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NDVA Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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37e LÉGISLATURE, 2e SESSION

Comité permanent de la défense nationale et des anciens combattants


TÉMOIGNAGES

TABLE DES MATIÈRES

Le mardi 11 février 2003




¿ 0910
V         Le vice-président (M. David Price (Compton—Stanstead, Lib.))
V         Pr Joel Sokolsky (Doyen des arts, Collège militaire royal du Canada)

¿ 0915

¿ 0920

¿ 0925

¿ 0930

¿ 0935

¿ 0940
V         Le président (M. David Pratt (Nepean—Carleton, Lib.))
V         M. Bill Blaikie (Winnipeg—Transcona, NPD)
V         Le président
V         Mme Cheryl Gallant (Renfrew—Nipissing—Pembroke, Alliance canadienne)
V         Pr Joel Sokolsky

¿ 0945
V         Mme Cheryl Gallant
V         Pr Joel Sokolsky
V         Mme Cheryl Gallant
V         Pr Joel Sokolsky
V         Mme Cheryl Gallant
V         Pr Joel Sokolsky
V         Mme Cheryl Gallant
V         Pr Joel Sokolsky

¿ 0950
V         Mme Cheryl Gallant
V         Pr Joel Sokolsky
V         Le président
V         M. David Price (Compton—Stanstead, Lib.)

¿ 0955
V         Pr Joel Sokolsky
V         M. David Price
V         Pr Joel Sokolsky
V         M. David Price
V         Pr Joel Sokolsky
V         M. David Price
V         Pr Joel Sokolsky
V         M. David Price
V         Le président
V         M. Claude Bachand (Saint-Jean, BQ)

À 1000
V         Pr Joel Sokolsky

À 1005
V         Le président
V         M. Lawrence O'Brien (Labrador, Lib.)
V         Pr Joel Sokolsky
V         M. Lawrence O'Brien

À 1010
V         Pr Joel Sokolsky
V         M. Lawrence O'Brien
V         Pr Joel Sokolsky
V         Le président
V         M. Bill Blaikie

À 1015
V         Pr Joel Sokolsky
V         M. Bill Blaikie
V         Pr Joel Sokolsky
V         Pr Joel Sokolsky
V         M. Bill Blaikie
V         Le président
V         M. Joe McGuire (Egmont, Lib.)

À 1020
V         Pr Joel Sokolsky
V         M. Joe McGuire
V         Pr Joel Sokolsky
V         M. Joe McGuire
V         Pr Joel Sokolsky
V         M. Joe McGuire
V         Pr Joel Sokolsky
V         M. Joe McGuire
V         Pr Joel Sokolsky
V         M. Joe McGuire
V         Pr Joel Sokolsky

À 1025
V         M. Joe McGuire
V         Pr Joel Sokolsky
V         M. Joe McGuire
V         Pr Joel Sokolsky
V         M. Joe McGuire
V         Pr Joel Sokolsky
V         Le président
V         Mme Cheryl Gallant
V         Pr Joel Sokolsky
V         Mme Cheryl Gallant
V         Pr Joel Sokolsky
V         Mme Cheryl Gallant
V         Pr Joel Sokolsky
V         Mme Cheryl Gallant
V         Pr Joel Sokolsky
V         Mme Cheryl Gallant

À 1030
V         Pr Joel Sokolsky
V         Mme Cheryl Gallant
V         Pr Joel Sokolsky
V         Le président
V         Le président
V         M. Ivan Grose (Oshawa, Lib.)
V         Le président
V         M. Ivan Grose
V         Le président
V         M. David Price
V         Pr Joel Sokolsky

À 1035
V         M. David Price
V         Pr Joel Sokolsky
V         M. David Price
V         Le président
V         M. David Price
V         Le président
V         Pr Joel Sokolsky
V         Le président
V         Mme Cheryl Gallant
V         Pr Joel Sokolsky
V         Mme Cheryl Gallant
V         Pr Joel Sokolsky

À 1040
V         Le président
V         M. Joe McGuire
V         Pr Joel Sokolsky
V         M. Joe McGuire
V         Pr Joel Sokolsky
V         Le président

À 1045
V         Pr Joel Sokolsky
V         Le président
V         Pr Joel Sokolsky
V         Le président
V         Pr Joel Sokolsky

À 1050
V         Le président
V         Mme Anita Neville (Winnipeg-Centre-Sud, Lib.)
V         Pr Joel Sokolsky
V         Mme Anita Neville
V         Pr Joel Sokolsky
V         Le président
V         Pr Joel Sokolsky
V         Le président
V         Pr Joel Sokolsky

À 1055
V         Le président
V         Pr Joel Sokolsky
V         Le président
V         Pr Joel Sokolsky
V         Le président
V         Pr Joel Sokolsky
V         Le président










CANADA

Comité permanent de la défense nationale et des anciens combattants


NUMÉRO 009 
l
2e SESSION 
l
37e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 11 février 2003

[Enregistrement électronique]

¿  +(0910)  

[Traduction]

+

    Le vice-président (M. David Price (Compton—Stanstead, Lib.)): La séance est ouverte. Bonjour, mesdames et messieurs.

    Je vais commencer par souhaiter la bienvenue à Bill, notre tout dernier nouveau membre. Nous sommes heureux de vous compter parmi nous. Je suis certain que nous aurons des discussions fort intéressantes.

    Les problèmes causés par le froid et la circulation ont quelque peu retenu notre président, alors je vais donner le coup d'envoi ici.

    J'aimerais commencer par souhaiter la bienvenue à M. Sokolsky.

    Nous sommes heureux de vous accueillir de nouveau parmi nous. Nous envisageons avec plaisir d'entendre votre exposé. Comme nombre d'entre nous l'ont constaté, vu tout ce que vous avez publié, vous avez tous les antécédents qu'il faut pour discuter du sujet qui nous occupe.

    Si vous voulez bien commencer, nous passerons ensuite aux questions.

+-

    Pr Joel Sokolsky (Doyen des arts, Collège militaire royal du Canada): Merci de l'occasion qui m'est ici donnée de comparaître devant vous.

    Ce que j'aimerais faire aujourd'hui, dans le cadre de votre examen des relations canado-américaines en matière de défense, c'est me pencher tout d'abord sur la nature de la politique étrangère américaine contemporaine, pour ensuite examiner les relations canado-américaines, les concepts et la façon dont le Canada a, dans un passé récent, traité avec les États-Unis, pour ensuite passer en revue le contexte de l'actuelle crise. L'argument général que je vais avancer est que la relation bilatérale ne peut pas être considérée isolément de l'environnement stratégique d'ensemble et des relations canado-américaines à l'extérieur de l'Amérique du Nord.

    Il y a deux aspects à cette relation bilatérale. Le premier concerne ce que nous faisons en Amérique du Nord. Le deuxième concerne nos relations avec les États-Unis dans le cadre d'initiatives stratégiques à l'extérieur de l'Amérique du Nord, et pour les États-Unis, c'est en fait ce dernier aspect qui est le plus important, en dépit de l'accent mis à l'heure actuelle sur la sécurité intérieure.

    Permettez-moi de commencer par vous citer un extrait d'un document soumis au Conseil privé du Canada:

    La nature du leadership exercé par les États-Unis dans le monde occidental (qui a été largement assuré par le biais des Nations Unies et de l'OTAN) a causé nombre de problèmes entre les États-Unis et ses associés et alliés beaucoup moins puissants, dont le Canada. Nombre de ces problèmes résultent du désir non anormal des États-Unis d'obtenir l'appui d'autres pays pour ses politiques, et d'un manque de sophistication dans les méthodes employées. Cela n'aurait pas en soi été trop grave si le Canada et d'autres pays avaient toujours été convaincus du bien-fondé des politiques proposées (et très souvent imposées) par les États-Unis.

Le document se poursuit comme suit:

Ceci nous amène à ce qui constitue véritablement le problème fondamental dans les relations actuelles entre le Canada et les États-Unis. Notre crainte sous-jacente est que les Américains ne soient pas suffisamment patients, surtout au fur et à mesure de l'augmentation de leur puissance militaire; qu'ils soient plus enclins que nous à penser que la guerre est inévitable ou presque; que pour cette raison ils soient peut-être trop prêts à prendre des risques. Nous autres et l'administration américaine s'entendent sur la nécessité d'accroître nos forces afin d'être en mesure de négocier... Nos différences concernent principalement des questions d'emphase et d'opportunité, mais celles-ci peuvent être très importantes.

Enfin, le document dit ceci:

    Il y a des problèmes auxquels se trouvera confronté tout gouvernement canadien face aux États-Unis et qui doivent être compris par les Américains. Il y a tout d'abord un sentiment anti-américain latent au Canada tel que, d'une part, une administration canadienne est sujette à la tentation de tirer sur les plumes de l'aigle pour obtenir plus de soutien au Canada et, d'autre part, la marge de manoeuvre d'un gouvernement canadien dans ses relations avec les États-Unis est limitée par le fait que s'il va trop loin dans sa déférence à l'égard des États-Unis, il perdra sensiblement de son appui au Canada.

Ce document est daté du 29 juin 1951. Il en ressort que les problèmes que nous avons avec les États-Unis ne sont pas nouveaux.

    Cependant, tout comme à l'époque où ce document est sorti, nous vivons peut-être aujourd'hui un point tournant ou un point critique dans nos relations internationales.

    Je vais donc commencer par me pencher sur les États-Unis tels qu'ils existent à l'heure actuelle, sur la politique étrangère américaine, surtout depuis le 11 septembre, et sur la façon dont cela s'inscrit dans la relation bilatérale.

    Il est évident, et il était en fait évident avant le 11 septembre, que les États-Unis, étant donné leur position dominante mondiale--cela était vrai même avec l'administration Clinton et n'est donc pas unique à l'administration Bush--suivent une politique, à tout le moins depuis la fin de la Guerre froide, de maintien de leur domination mondiale dans l'intérêt de leur propre sécurité. Cela n'exclut cependant pas de travailler par le biais d'organisations multilatérales. Pour les États-Unis, le multilatéralisme et la promotion des intérêts américains ne sont pas exclusifs.

    La différence--et ceci est important pour le Canada--est que pour les Américains, le multilatéralisme est un mécanisme grâce auquel ils obtiennent de l'appui pour leurs politiques. Au Canada, nous avons tendance à percevoir le multilatéralisme comme étant un moyen grâce auquel contenir les États-Unis. Ce n'est pas là la vision américaine. Pour reprendre les mots de sir Brian Urquhart, pour les États-Unis, le multilatéralisme signifie rallier les troupes «à la Western», et non pas se faire contenir.

    La tendance, qui était déjà évidente dans l'administration Clinton, et qui a en fait été accueillie dans différentes régions du monde, reflète l'assise même de la politique étrangère américaine. L'assise de la politique étrangère américaine depuis le début de la république met l'accent sur la capacité, la nécessité, de protéger la république contre toute attaque physique et de protéger le système de gouvernement, en privilégiant l'action unilatérale mais également, ce qui est plus important, je pense, l'action non entravée. Les États-Unis travailleront avec d'autres, mais en dernière analyse, c'est de l'unilatéralisme.

    En vérité, l'unilatéralisme est l'approche par défaut des États-Unis à l'égard du monde. L'on confond souvent cela avec isolationnisme. Ce n'est pas la même chose. C'est la capacité des États-Unis, lorsqu'ils le peuvent et lorsqu'ils le veulent, d'agir seuls à l'étranger. Lorsqu'ils sont menacés directement, comme cela a été le cas au début de la république, au début du 19e siècle et au début de la participation américaine dans la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis réagissent par voie d'action unilatérale.

    C'est pourquoi nous ne pouvons je pense surestimer l'incidence qu'ont eu les événements du 11 septembre sur les États-Unis. J'ai relevé dans les actualités ce matin que même les numéros satiriques de Saturday Night Live tendent à appuyer l'administration et de se moquer de son opposition. Même les Américains qui ont peut-être quelques réserves quant à l'actuelle politique n'ont aucune réserve quant à l'importance du fait que les États-Unis sont maintenant menacés et qu'en bout de ligne il leur faut agir seuls dans leur propre défense si d'autres ne veulent pas s'allier à eux.

    Cette politique sous-tend l'approche américaine. Il n'y a rien de nouveau dans la politique de sécurité nationale américaine; tout simplement, c'est une chose que l'on n'a pas vu au grand jour depuis nombre d'années. Pendant la Guerre froide et dans l'ère post-Guerre froide, il y a eu beaucoup de taquineries multilatérales au sujet de ce que les États-Unis allaient faire, mais ce pays faisait en fait cavalier seul.

    Comme l'a dit un universitaire, l'inclinaison à agir unilatéralement, qui découle de la préférence traditionnelle américaine de définir l'intérêt national sans la contrainte d'alliés, n'a été que renforcée par la prouesse économique et militaire américaine dans les années 90. Avec un tel pouvoir, sous-tendu par une croyance en l'exceptionnalisme moral de l'Amérique, la plus grave menace à l'omnipotence américaine viendra peut-être par suite de l'opposition, de l'aliénation, de l'Europe, du Japon et d'autres pays.

    Les États-Unis sont donc en train de pousser de façon unilatérale, et leur approche est sûre de produire une réaction chez d'autres puissances, comme on l'a vu ces jours derniers.

    Il y a plusieurs éléments de la politique étrangère américaine, et surtout celle de l'administration Bush, qui auront une incidence directe sur le Canada. Ce sont les hypothèses voulant que nous vivons dans un monde unipolaire; que la menace aux États-Unis est le fait de petits États, d'États voyous et d'acteurs non étatiques ou terroristes; que ces groupes peuvent être dissuadés, mais que s'ils ne le peuvent pas, ils pourront être contrés par l'usage de force exercée pré-emptivement pour le compte des États-Unis; et que les États-Unis ont le droit d'intervenir contre des menaces à leur sécurité partout dans le monde et qu'ils ne vont pas attendre pour que la menace se concrétise.

    Nous savons tous qu'avant le 11 septembre, plusieurs comités présidentiels avaient déjà émis des avertissements d'attentats terroristes contre les États-Unis. Le comité Hart-Rudman avait averti que de nombreux Américains allaient mourir dans un proche avenir sur le sol américain. Les États-Unis pensent que ces avertissements n'ont pas été pris au sérieux, mais maintenant, ils le sont. Il y a au sein de l'actuelle administration une dépréciation générale des organisations et des règles internationales dans la mesure où celles-ci contraignent les États-Unis.

¿  +-(0915)  

    Encore une fois, il n'y a là rien de nouveau. C'est pourquoi le Sénat américain a rejeté la Ligue des Nations en 1919, parce que celle-ci contraignait la capacité des États-Unis d'agir de façon unilatérale.

    Il me faut dire ici que bien que nous critiquions les Américains du fait qu'ils tiennent ces propos, vous conviendrez peut-être qu'ils sont les seuls à être honnêtes, car la plupart des grandes puissances ne laisseraient jamais une organisation internationale restreindre leur action. Au moins les Américains sont honnêtes en disant à l'avance qu'ils ne vont pas accepter cela. Mais cela est plus explicite dans les déclarations en matière de sécurité nationale qui sortent à l'heure actuelle.

    Cela crée une certaine incertitude en ce qui concerne les alliées et, ici encore, l'approche des États-Unis face à ces alliés est qu'ils ne seront pas contraints par eux; ils cherchent à travailler avec eux.

    Sous-tend cela une hypothèse voulant que la menace aux États-Unis soit une menace aux alliés et qu'ils devraient s'en rendre compte, et c'est pourquoi ils devraient collaborer avec les États-Unis; mais s'ils ne s'en rendent pas compte, les États-Unis agiront seuls. Je ne saurai trop souligner l'importance de cette croyance, et cela n'est aucunement nouveau; bien au contraire, pendant la Guerre froide et dans le gros de l'ère post-Guerre froide, les États-Unis ont pu rallier les alliés à ce qu'ils voulaient faire. Mais cela est aujourd'hui plus difficile, car je pense qu'il y a de la résistance à l'égard de cette approche.

    Dans cette approche, il n'est pas étonnant que la sécurité du territoire américain soit devenue plus importante pour les États-Unis. Pour eux, c'est la sécurité du territoire américain; ce n'est pas la sécurité de l'Amérique du Nord. Je reviendrai là-dessus plus tard, mais la priorité est le territoire américain, mais pas forcément la défense de l'Amérique du Nord en tant que telle. Voilà qui les motive.

    En même temps, dans l'approche américaine en matière de sécurité nationale, en dépité de l'accent mis sur la sécurité du territoire, en dépit de l'établissement du Department of Homeland Security, de la résistance du commandement du Nord, l'Amérique compte livrer sa guerre contre le terrorisme dans des États hors-la-loi outre-mer. Si vous examinez le gros des dépenses américaines en matière de défense, celles-ci ne visent pas à protéger le territoire; elles visent à assurer aux États-Unis la capacité de protéger leur puissance à l'étranger.

    Dans cette approche à la sécurité, donc, l'Amérique se défendra là-bas aussi bien qu'ici, mais le «là-bas» est particulièrement important, et c'est aspect «là-bas» qui crée des tensions avec les alliés.

    J'ai esquissé ce qui constitue selon moi l'approche de l'administration américaine. Comme vous pouvez vraisemblablement l'imaginer, cette approche n'a pas été adoptée sans débat aux États-Unis. En fait, il y a eu un bien plus vaste débat à ce sujet aux États-Unis qu'au Canada, et il y a également au sein du Sénat américain des voix qui s'y sont opposées ou en tout cas qui ont émis des avertissements. Lorsque nous reprochons aux Canadiens de critiquer les États-Unis, il faudrait reprocher aux Américains de critiquer les États-Unis, car si vous écoutez les débats au Sénat américain, vous savez qu'on y soulève les mêmes mises en garde.

    Comme l'a dit un universitaire, les États-Unis risquent de devenir une superpuissance très solitaire en empruntant cette approche. Il y a donc une certaine tension. Cela n'a pas fait l'objet d'un débat exhaustif, mais je dirais, s'agissant de la nécessité de contrer cette menace, qu'il y a aux États-Unis un consensus général et que le débat dans ce pays ne porte pas sur la question de savoir si les États-Unis doivent agir seuls mais bien sur l'idée générale qu'au besoin ils devront agir seuls, mais que l'administration Bush est peut-être un petit peu trop sévère.

    Néanmoins, comme je l'ai laissé entendre lorsque j'ai cité plus tôt le document déposé au Conseil privé, cela n'est pas forcément une position nouvelle pour le Canada. De tous les pays du monde, c'est le nôtre qui est le plus habitué à traiter avec les États-Unis, et en un sens, nous avons également l'habitude d'être isolés de nos autres alliés.

¿  +-(0920)  

    L'assise de notre relation avec les États-Unis remonte à ce que l'on a appelé l'«exemption de Kingston», soit l'échange de déclarations entre le premier ministre Mackenzie King et Franklin Roosevelt en 1938, Roosevelt disant que les États-Unis ne resteraient pas passifs si le Canada était menacé par un autre empire, et le premier ministre répondant que le Canada avait pour obligation d'assurer au maximum sa sécurité afin que des forces ennemies ne puissent pas traverser le Canada pour attaquer les États-Unis.

    L'essence de cette relation, donc, est que le Canada ne peut pas devenir un risque de sécurité pour les États-Unis. L'on dit souvent que les États-Unis défendent le Canada et que nous devrions en être reconnaissants. La réalité est que les États-Unis ne défendent pas le Canada; les États-Unis se défendent eux-mêmes en défendant le Canada lorsqu'ils estiment que le Canada ne peut pas se défendre suffisamment bien pour assurer la sécurité américaine. Le facteur de motivation ici est l'intérêt américain.

    Dans la mesure où ils pensent qu'il leur faut aider le Canada, ils s'engageront dans des activités de collaboration, mais l'important est la défense des États-Unis, car il n'existe en fait aucune menace indépendante dirigée contre le Canada.

    Cela étant dit, pour le gros du 20e siècle, en tout cas pendant la deuxième moitié, nous avons pour la plupart partagé la perception des Américains de leur menace à eux-mêmes. Nous avons cru, surtout pendant la Guerre froide, que l'Union soviétique constituait une menace pour les États-Unis et qu'il était important pour ces derniers d'être en sécurité, car cela était dans notre intérêt également. Nous partagions leurs valeurs et, dans cette mesure-là, les mesures coopératives établies pendant la Guerre froide pour structurer cette relation étaient dans l'intérêt de la sécurité nationale du Canada et dans l'intérêt de sa souveraineté; mais le facteur de motivation était la sécurité nationale américaine.

    Cependant, pendant la Guerre froide, l'on pouvait en fait dire de l'Amérique du Nord qu'elle était un bras mort stratégique. Exception faite de services d'alerte en cas d'attaque et d'évaluation d'attaques au missile, les obligations du Canada envers la sécurité des États-Unis pendant la Guerre froide étaient minimes. Il y avait très peu de forces américaines au Canada et celles-ci n'ont cessé de décliner. Comparativement à ce que nos alliés européens avaient sur leur territoire, y compris des forces canadiennes, nous nous en sommes assez bien tirés pendant la Guerre froide.

    Les États-Unis souhaitaient en fait que les forces canadiennes soient n'importe où sauf au Canada. Ils préféraient que ces forces soient déployées en Europe et à Chypre et sur le plateau du Golan. Du point de vue américain, donc, le test de vérité de l'engagement canadien n'était pas ce que le pays faisait pour la défense nord-américaine mais bien ce qu'il faisait pour la défense de l'Amérique du Nord dans un sens plus global, et je pense que cela a rendu cette relation bilatérale confortable pour le Canada. Il y avait des préoccupations en matière de souveraineté mais, en fait, vu la nature limitée de la présence américaine au Canada...

    Au fond, comme on l'a appris lors de la crise des missiles avec Cuba, les États-Unis veulent bien consulter le Canada mais il s'agit en fait de l'informer. Lorsqu'ils se sont sentis menacés, ils se sont attendus à ce que le Canada respecte les ententes déjà négociées. Dans l'ère post-Guerre froide, la défense de l'Amérique du Nord a initialement reculé sur le plan importance relative au fur et à mesure de l'effondrement de l'Union soviétique et du recul de la menace des bombardements, qui n'avait jamais été importante, pour finir par disparaître, et c'est alors que nous avons vécu le contrôle des armements. Cela a en fait mené à la mise en hibernation d'éléments du Système d'alerte du Nord et au déclin du nombre d'aéronefs consacrés au NORAD.

    En dépit des inquiétudes de la fin des années 1990 en matière de terrorisme, en fait depuis le 11 septembre, il n'était pas clair que le NORAD allait survivre. Dans les années 1990, cependant, le Canada a plus que jamais auparavant dans son histoire rapproché sa politique en matière de défense de celle des États-Unis.

¿  +-(0925)  

    Et voici maintenant ce qu'il y a d'ironique. En une période de déclin de menaces directes à l'Amérique du Nord et de menaces directes aux deux pays, la politique de défense du Canada s'est davantage rapprochée de celle des États-Unis à l'étranger.

    Comme je l'ai argué, même avant la diffusion par le gouvernement de la Stratégie 2020, le Canada s'était engagé aux côtés des Américains, à compter de la Guerre du Golfe, dans les opérations de maintien de la paix, qui étaient, je pense, devenues américanisées en matière de robustesse, en Bosnie, au Kosovo, même avant le 11 septembre.

    Les Canadiens faisaient des choses avec les Américains à l'étranger qu'ils n'avaient pas fait pendant la Guerre froide, envahissant et occupant des pays et restructurant leurs gouvernements. Cela était acceptable aux yeux du public canadien parce que ces missions étaient largement perçues comme assurant de l'aide aux pays visés.

    Pendant cette période, les dépenses canadiennes en matière de défense ont reculé tout comme la taille des forces armées, comme ce fut le cas chez la plupart de nos alliés. Je pense que vous savez que le déclin dans certains pays comme par exemple l'Allemagne, et même aux États-Unis au début des années 90, était, en pourcentage, supérieur à celui enregistré au Canada.

    Le gouvernement canadien, principalement libéral, a pu s'en tirer en contribuant des forces réduites mais efficaces aux opérations multilatérales menées par les États-Unis. Les États-Unis ont-ils apprécié cela? La réponse est oui. Le Canada s'est-il engagé envers ses conseils en vue d'une stratégie plus vaste? La réponse est non.

    Je pense que le dossier du Canada dans les années 90 ne fait pas état d'un gouvernement prenant ses distances par rapport aux États-Unis. C'est en fait tout le contraire, à cause d'un environnement public bénin qui acceptait ces activités, y compris au plus fort de la campagne au Kosovo menée en dehors du mandat des Nations Unies et en recourant à la force.

    Depuis le 11 septembre, bien sûr, la relation a changé et les États-Unis ont décidé d'assurer leur propre sécurité, créant le Department of Homeland Security, créant leur propre commandement de combat, NORTHCOM, versant le Space Command, qui avait été jumelé avec le NORAD, au Strategic Command.

    Que cela signifie-t-il pour le Canada? Cela signifie que les États-Unis prennent plus au sérieux la sécurité du territoire américain, et cela signifie que les relations nord-américaines en matière de sécurité, qui avaient été en déclin, vont maintenant augmenter en importance pour le Canada. Plus particulièrement, l'établissement du Northern Command, pour ce qui est de l'organisation des forces américaines, va exiger que le Canada s'investisse plus au-delà de la défense aérienne et de la surveillance aérospatiale dans la défense de l'Amérique du Nord.

    Le Canada l'avait déjà fait à bien des égards. Si vous regardez le côté maritime, nous avions déjà une collaboration sous le Commandement de l'Atlantique de l'OTAN dans l'Atlantique. Il y avait également des relations étroites entre l'Armée du Pacifique du Canada et l'Armée du Pacifique des États-Unis. Il y a donc une partie de cela qui n'est pas nouvelle. Ce que nous pourrions cependant avoir c'est une plus grande centralisation de cette relation de la part des Américains. L'on ne sait pas trop comment va se faire tout le tri, mais il est à mon sens dans l'intérêt du Canada de collaborer ici, de veiller à ce qu'il y ait une présence canadienne, tout comme nos alliés européens collaborent avec les commandements américains outre-mer dans leur région.

    Je n'y vois pas forcément une menace à la souveraineté canadienne s'il y a en définitive un rôle canadien, et il semble qu'il y ait, en dépit de certains propos qu'on entend aux États-Unis, une certaine réceptivité à l'égard du rôle canadien. Vous ne pouvez cependant pas prétendre que l'établissement d'un groupe de planification à Colorado Springs va doter le Canada d'un pouvoir d'influence important à l'égard de la politique américaine en matière de sécurité nationale. À mon sens, cela ne va pas arriver. Ce qui va arriver c'est que cela va offrir une perspective canadienne sur les dossiers, et nombre de ces questions, comme vous le savez, ne sont pas nécessairement militaires, dans la mesure où, par exemple, NORTHCOM coordonne également la défense civile aux États-Unis.

¿  +-(0930)  

    Une question qui pourrait préoccuper le Canada est le démantèlement du commandement spatial et le versement de ses fonctions au commandement stratégique. Cela pourrait exclure le Canada de l'accès à des renseignements sur l'espace, dont il n'a pas forcément besoin, mais dont il a bénéficié. Il est probable que ce soit le commandement stratégique, et non pas le NORAD, qui obtienne le feu vert pour un système national de défense antimissile, et qu'il revienne au Canada de décider.

    Ici encore, je pense, compte tenu de la nature des relations internationales et dans la mesure où le Canada pourrait participer, la défense nationale antimissile telle qu'envisagée par les États-Unis est une chose à laquelle le Canada ne devrait pas s'opposer. L'on ne sait pas clairement de quelle façon le Canada participerait, mais je reviendrais à ce que j'ai dit plus tôt. Si les États-Unis estiment à l'heure actuelle qu'il leur faut un système limité, il n'y a pour le Canada aucun avantage à s'y opposer. Il n'y a aucune préoccupation en matière de contrôle des armements. Si les États-Unis veulent y consacrer de l'argent, alors c'est très bien, mais je pense que cela pourrait bien être encore un autre test de vérité pour l'engagement du Canada à l'égard de la défense stratégique du continent.

    J'estime donc que la collaboration de NORTHCOM est une chose que nous devrions envisager avec plaisir. Nous avons toujours lamenté le fait qu'il n'y avait pas d'adresse unique pour les relations stratégiques américaines avec le Canada. Ce n'était pas la Commission permanente mixte de défense, ce n'était pas le Comité de coopération militaire et ce n'était certainement pas le Groupe de planification régionale Canada-États-Unis de l'OTAN. Je dirais à tous ces Canadiens qui estiment que le Canada n'est pas pris au sérieux par le Pentagone que ceci ne sera peut-être pas pris au sérieux, mais que cela attirera au moins un peu plus d'attention.

    Pour ce qui est de la souveraineté, comme l'a dit l'un de mes collègues, la question n'est pas la souveraineté, mais la perte d'une certaine autonomie. Mais rares sont les pays qui ont une autonomie totale. Il nous faut également savoir que, vu l'humeur américaine, qui est dans une certaine mesure dirigée contre le Canada, l'acceptation d'un Canadien, le général Penney, comme chef du groupe de planification, et d'un député américain, et le maintien d'un Canadien au poste de commandant adjoint du NORAD sont des choses qui, si les Américains étaient nombreux à le savoir, pourraient leur causer des problèmes. Il importe donc peut-être de ne pas faire de vagues.

    Enfin, permettez que je m'attarde sur le contexte plus large. À mon avis, nous pouvons gérer la relation bilatérale. Je pense que la question est celle de bâtir à partir des liens que nous avons, entre bureaucraties, avec une étroite collaboration militaire et la bonne volonté qui est là. Je pense que ce qui va affecter notre relation avec les États-Unis va venir de l'extérieur. Nous constations déjà cela avant les événements récents, mais nous le voyons en ce moment.

    Henry Kissinger a dit, dans ses trois pages sur le Canada dans ses mémoires à trois volumes, que les Canadiens étaient souvent partagés entre leur instinct en faveur de la défense commune, ce qui les amenait à collaborer de façon générale avec les États-Unis, et leur tentation de rester au-dessus du combat comme un genre d'arbitre international, ce qui était souvent encouragé par l'opinion publique canadienne.

    De l'avis de Kissinger, le Canada ne disposait que d'une étroite marge de manoeuvre, marge de manoeuvre à l'intérieur de laquelle il réussissait à naviguer avec un talent extraordinaire. Mon argument aujourd'hui est que cette marge pourrait se resserrer encore davantage, que le danger pour le Canada dans ses relations avec les États-Unis n'est pas la gestion du NORAD ou NORTHCOM, question qui pourrait, je pense, être réglée: le problème est plutôt ce qui se passera si les tendances actuelles devaient déboucher sur un effondrement ou une réorganisation du système d'alliances occidentales, surtout assorti de tensions avec les États-Unis, l'Europe et le Conseil de sécurité. Si ces organisations multilatérales devaient souffrir du fait de la crise actuelle--et il y a un risque que même sans guerre, des dommages irréparables ont déjà été causés du point de vue américain--le Canada, même s'il n'est pas seul avec les États-Unis, se trouvera rangé avec ce pays, avec un plus petit nombre d'alliés, et pour le Canada, cela est particulièrement important.

¿  +-(0935)  

    Je pense qu'il nous faut nous rendre compte que bien que nous ayons campé nos relations en de larges termes multilatéraux, tout particulièrement à l'OTAN, le secrétaire Rumsfeld exprimait l'opinion générale selon laquelle l'OTAN que l'on connaissait est la vieille alliance, que le contrat trans-atlantique a été remplacé par ce que j'appellerais un contrat trans-européen; que pour les États-Unis, le lieu central des préoccupations en matière de sécurité de ses relations s'est déplacé vers l'Est, aux pays d'Europe de l'Est, et qu'en fait, si cette tension devait mener au sapage de l'OTAN, davantage de pressions seraient exercées sur le Canada. Une ligne pourrait bien être tracée, et il nous faudra alors prendre une décision. Il faut espérer qu'il y aura encore d'autres alliés avec nous.

    Si les États-Unis partent en guerre, ils partiront avec les coalitions volontaires, mais il y aura également les craintifs, les gens qui auront peur de ce qui se passera s'ils ne s'y alignent pas; les prudents, qui suivront mais qui seront préoccupés par les suites; et les velléitaires, les Européens de l'Est, qui vont suivre car c'est la seule possibilité et parce qu'ils aimeraient en fait être là où le Canada se trouve à l'heure actuelle.

    Je pense donc que le problème auquel se trouvera confronté tout gouvernement canadien est le suivant: il se rapprochera des États-Unis sur un plan bilatéral, mais il appartiendra à une alliance beaucoup plus proche et beaucoup plus serrée dirigée par les Américains, surtout si les Nations Unies devaient souffrir. En fait, donc, cela exigera tout le talent que nous avons pour manoeuvrer à l'intérieur d'une marge qui sera beaucoup plus limitée pour le Canada.

    C'est pourquoi je pense qu'il est important pour les Canadiens, et tout particulièrement pour vous, compte tenu de vos responsabilités, d'éviter une polarisation stérile d'un débat sur les relations canado-américaines. Or, c'est souvent là le débat au Canada, un dialogue des sourds entre ceux qui disent que nous ne faisons rien pour aider les États-Unis et ceux qui disent que nous ne devrions rien faire pour aider les États-Unis. C'est un débat entre ceux qui pensent que de plus importantes dépenses en matière de défense nous achèteront plus d'influence à Washington et ceux qui pensent que des dépenses militaires moindres et une plus grande aide étrangère nous achèteront de l'influence aux Nations Unies.

    C'est un débat entre ceux qui ne voient aucun problème de souveraineté avec une intégration nord-américaine plus poussée et ceux qui n'y voient que des problèmes de souveraineté. C'est un débat entre ceux qui pensent que nous pouvons changer le monde en travaillant avec les États-Unis et ceux qui pensent que nous pouvons changer le monde en nous opposant aux États-Unis.

    Mon avis est qu'il nous faut faire ce que font les États-Unis, soit suivre son intérêt national en matière de sécurité. De façon générale, je pense que cela mènera à des relations plus étroites avec les États-Unis, sur la base d'une menace justifiable dirigée contre le continent, mais le but ici n'est pas de nous intégrer aux Américains mais bien d'être solidaires avec eux en faisant une contribution identifiable et souveraine. Ce sera difficile à faire, mais c'est là le réel défi auquel nous nous trouvons confrontés, et il n'y a aucune issue pour échapper à ce dilemme.

    Merci.

¿  +-(0940)  

+-

    Le président (M. David Pratt (Nepean—Carleton, Lib.)): Professeur Sokolsky, j'aimerais, au nom de tout le comité, vous remercier de cette présentation très puissante, originale et, dirais-je, instructive.

    J'aimerais également m'excuser auprès du comité de mon retard aujourd'hui. La circulation sur le Queensway était absolument épouvantable. Je remercie M. Price d'avoir commencé la réunion.

    J'aimerais également, toujours au nom du comité, accueillir M. Blaikie au sein du comité de la défense. Je pense que, dans l'esprit de la plupart des personnes autour de la table, vous avez du pain sur la planche pour remplacer M. Stoffer, vu ses contributions, mais je suis certain que vous serez à la hauteur de la tâche.

+-

    M. Bill Blaikie (Winnipeg—Transcona, NPD): Je chausse du 13.

    Des voix: Oh! Oh!

+-

    Le président: Voilà qui est réglé.

    Nous allons maintenant entamer la période des questions avec Mme Gallant, pour sept minutes.

+-

    Mme Cheryl Gallant (Renfrew—Nipissing—Pembroke, Alliance canadienne): Merci, monsieur le président, et merci à vous, professeur Sokolsky.

    Dans le courant de votre exposé, vous anticipiez nos questions et y répondiez au fur et à mesure.

    Premièrement, pensez-vous que la façon dont les Nations Unies sont en train de gérer la situation en Iraq, avec des règles de salle de tribunal--par exemple les exigences en matière de fardeau de la preuve, de preuve, d'indices incontournables--s'applique à une situation dans laquelle un pays essaie de prévenir la commission d'un crime?

+-

    Pr Joel Sokolsky: Je pense que les Nations Unies doivent tenter cela. Mais compte tenu de la nature du gouvernement dont il est question, la réalité est que vous n'obtiendrez jamais de preuve claire et nette. Les relations internationales ne fonctionnent pas à la manière des politiques nationales. C'est la première chose que l'on vous apprend dans le cours de relations internationales 101. Ce n'est pas national; c'est de l'auto-assistance. Si vous recherchez des preuves absolues, vous n'en trouverez pas.

    Permettez-moi de dire également que je pense que les pays qui demandent ces preuves, s'ils avaient été attaqués, ne les demanderaient pas. Si cet avion s'était écrasé contre la Tour Eiffel, les Français ne seraient pas en train de demander des preuves absolues ou qu'un contingent armé des Nations Unies aille vérifier sur place.

¿  +-(0945)  

+-

    Mme Cheryl Gallant: Auquel cas il faudrait que nous convenions que les pays qui résistent au sein des Nations Unies demandent l'impossible.

+-

    Pr Joel Sokolsky: Ils agissent en fonction de leur propre intérêt. Lorsque les pays s'assoient au Conseil de sécurité, ils ne deviennent pas tout d'un coup altruistes, n'agissant que pour le bien des affaires mondiales. Ils disent eux aussi que si l'avion s'était écrasé contre la Tour Eiffel, les États-Unis ne seraient pas en train de mener la guerre contre le terrorisme.

    Il nous vaut nous rendre compte de ce qui se passe ici. Les Nations Unies n'ont pas décidé d'agir seules; ce sont les États-Unis qui ont poussé les Nations Unies à agir.

+-

    Mme Cheryl Gallant: Pensez-vous qu'il ressort suffisamment de renseignements pour établir qu'il y a clairement un danger à l'heure actuelle pour les Américains?

+-

    Pr Joel Sokolsky: Je pense qu'il y a un danger pour les États-Unis du fait de groupes désaffectés partout dans le monde. Je n'ai vu aucune preuve solide d'un lien entre le régime iraquien et ces groupes, mais les actions de Saddam Hussein à ce jour indiquent que ses intérêts sont opposés aux États-Unis et qu'il a encouragé des groupes partout dans le monde dans leur opposition aux États-Unis. Il est très clair que si les États-Unis étaient restés chez eux, il ne serait pas en train d'agir de la sorte, mais les États-Unis exercent du pouvoir et de l'influence dans sa partie du monde, et c'est là la cause de ce ressentiment.

    Mais, non, les renseignements dont on dispose ne sont pas concluants. Bien sûr, nous n'avons pas tout vu, mais je pense que l'on dispose de suffisamment de données pour justifier l'actuelle politique américaine à l'égard de Saddam--ce qui n'est pas sans risque. Si vous rechercher une politique étrangère objective, vous n'allez pas en trouver.

+-

    Mme Cheryl Gallant: Cela fait plus d'une décennie que Saddam ne respecte pas les règles du jeu et les résolutions des Nations Unies. Selon vous, qu'est-ce qui a, en dernière analyse, forcé une décision de la part des États-Unis?

+-

    Pr Joel Sokolsky: Clairement, ce sont les attentats du 11 septembre. L'on savait que les États-Unis, qui avaient été avertis de cela par leurs propres commissions, n'allaient pas traîner. Ce sont les pirates de Barbarie; ce sont les rives de Tripoli; ce sont les États-Unis partant en chasse contre...

    Je pense donc que c'est cela qui a amené la crise. Cela dit, les États-Unis ne respectent pas toujours les règles eux non plus, mais c'est là la réalité des affaires internationales. Ce qui a forcé la décision se sont ces attentats et la croyance que des mesures n'avaient pas été prises au préalable et que des gouvernements, pas juste le gouvernement iraquien mais également celui de l'Arabie saoudite et d'autres alliés dans la région, n'avaient pas pris ces menaces au sérieux.

+-

    Mme Cheryl Gallant: Vous avez fait état d'actions unilatérales américaines. M. Bush est en train de bâtir une coalition. Pensez-vous que cette coalition qu'il est en train de réunir agit unilatéralement, ou bien ne faites-vous que comparer cela à une initiative sanctionnée par les Nations Unies?

+-

    Pr Joel Sokolsky: Oui. Comme je l'ai dit plus tôt--et je sais que cela paraît être un oxymoron--pour les États-Unis, unilatéralisme et multilatéralisme ne sont pas... Les États-Unis agissent indépendamment et demandent à d'autres de se joindre à eux. Ce n'est pas un groupe qui se réunit et qui décide d'agir.

    Je pense que cela change beaucoup les choses s'agissant de la nature de la coalition. Si les Nations Unies avaient décidé d'intervenir contre l'Iraq sans y avoir été poussées par les Américains, l'on aurait alors parlé de multilatéralisme, mais derrière ce multilatéralisme, il y a un acte américain unilatéral. Rien de tout cela ne serait en train de se passer sans les États-Unis. Voilà qui crée les dilemmes. C'est pourquoi les Français, les Russes et les Chinois sont fâchés.

    Là n'est donc pas la question. Si les États-Unis réussissent leur coup, leur puissance et leur influence à l'échelle mondiale subiront peut-être un revers, et ils comprennent cela.

¿  +-(0950)  

+-

    Mme Cheryl Gallant: Pourquoi pensez-vous que la position officielle canadienne jusqu'ici, pour ce qui est de la sa politique étrangère dans cette situation, ait été ce que l'on sait--c'est-à-dire à toutes fins pratiques inexistante?

+-

    Pr Joel Sokolsky: Eh bien, les Nations Unies si nécessaire, mais pas nécessairement les Nations Unies. Je pense que le Canada a été un petit peu vacillant. Comme je l'ai dit, le Canada s'est engagé envers une approche multilatérale, comme d'autres, à cause de l'opinion publique nationale.

    Je vous ai exposé une défense des États-Unis, mais ma critique serait que l'Amérique encourage la démocratie à l'étranger. Elle ne peut pas s'attendre à ce que des gouvernements démocratiques donnent l'impression de lui emboîter le pas tout simplement, et sans débat. C'est là un angle mort dans la perspective américaine.

    Les gens au Canada lisent des articles dans le National Post et disent «Les Américains veulent que nous soyons plus actifs. Les Américains veulent que nous consacrions plus d'argent à la défense». Cela est vrai, mais ce n'est pas ce qu'ils veulent. Cela en fait partie. Ils veulent que nous dépensions davantage au titre de la défense à l'appui des États-Unis. Ils veulent que nous soyons plus actifs à l'appui des États-Unis. Il se trouve que je partage ce point de vue, mais mettons les cartes sur la table. Voilà ce qui a placé l'actuel gouvernement dans la position difficile que l'on sait.

    Néanmoins, comme je l'ai suggéré à la fin de mon exposé, pour l'actuel gouvernement, qui a en fait assez bien utilisé sa marge de manoeuvre au cours de la dernière décennie, le sablier va peut-être bientôt être vide. La marge est peut-être en train de se rétrécir, surtout si l'OTAN ne parvient pas à une entente.

+-

    Le président: Merci, madame Gallant, et merci, professeur.

    M. Price, pour sept minutes.

+-

    M. David Price (Compton—Stanstead, Lib.): Merci, monsieur le président. Je ne vais sans doute pas prendre la totalité des sept minutes qui me sont accordées.

    Comme l'a dit Mme Gallant, vous avez fourni beaucoup de réponses dans le cadre de votre exposé, qui a été très intéressant. Le petit spot le plus intéressant, je vous l'ai entendu dire au tout début lorsque vous avez parlé de «rallier les troupes à la Western». C'est la première fois que j'entends cette expression-là. C'était très bon. C'est beaucoup mieux que «coalition». C'est un fait.

¿  +-(0955)  

+-

    Pr Joel Sokolsky: Cela est attribuable à sir Brian Urquhart, l'ancien chef de l'opération de maintien de la paix aux Nations Unies. Il parlait ainsi des actions américaines en Somalie.

    Toutes mes excuses. Ce n'est pas de mon cru.

+-

    M. David Price: La seule question sur laquelle j'aimerais connaître vos idées est celle du problème de l'OTAN auquel nous sommes à l'heure actuelle confrontés, et je songe ici tout particulièrement à la Turquie. Les Turcs se trouvent dans une situation dans laquelle, oui, ils vont laisser entrer les Américains. Il ne va pas y avoir de troupes au sol tout de suite, mais les préparatifs sont en cours.

    En même temps, les Turcs sont à l'heure actuelle en territoire kurde. Ils sont dans le nord de l'Iraq, censément à la recherche de certains des Kurdes qui créent des problèmes en Turquie. Ont-ils donc déjà été envahis? L'on pourrait dire que oui, en poussant un peu. L'on pourrait alors invoquer l'article 5. D'un autre côté, je pense que la France et l'Allemagne ne se penchent pas du tout sur cette situation-là. Ils considèrent que c'est là un petit détail, et eux, ils regardent le tableau d'ensemble.

    Le Canada est coincé dans une situation. Rien n'a encore été invoqué, mais nous siégeons toujours à ce groupe des 16 qui est pour ainsi dire prêt à y aller, mais nous n'avons pas encore donné le feu vert, loin de là.

    J'aimerais simplement entendre vos commentaires à ce sujet.

+-

    Pr Joel Sokolsky: Je pense que les Français, les Belges et les Allemands ne veulent pas aller de l'avant avec la Turquie parce que ce serait un signal au reste du monde qu'ils entérinent une initiative américaine. C'est pour la même raison qu'ils résistent aux Nations Unies. Je pense que c'est là une juste évaluation des choses. J'estime qu'ils ont raison de penser que s'ils acceptent maintenant, cela constituera un nouvel endossement de l'initiative américaine. Il est clair que c'est ce que veulent les États-Unis.

    Mais cela est très difficile. Même si vous êtes en faveur de faire cela sans guerre, il vous faut montrer à Saddam Hussein que vous êtes prêts à faire la guerre. Une partie de cela serait un ferme signal venant de l'OTAN pour renforcer la Turquie. Ceux qui s'opposent à cette guerre ou qui souhaitent voir une solution diplomatique et sont peut-être prêts à accepter certaines des nouvelles concessions faites par le régime iraquien doivent comprendre qu'il est en train de jouer cette carte d'une scission au sein de l'alliance. Qui en est responsable? Est-ce les Européens, qui ne sont pas reconnaissants envers les Américains, ou bien est-ce les Américains, qui ont la main un peu lourde dans leur diplomatie?

    Les Français comprennent certainement très bien la position de la Turquie, mais s'ils acceptent...et dire non maintenant ne met pas forcément en danger la Turquie, étant donné qu'il n'y a pas de guerre.

+-

    M. David Price: Cela ne la met pas forcément en danger, mais en ne se positionnant pas maintenant cela donne l'impression que, s'il se présentait une véritable situation de type article 5, ils ne verraient pas les choses de cette façon car ils considéreraient la Turquie comme étant l'agresseur, étant donné les troupes stationnées là. Comment donc feraient-ils pour s'en sortir par la suite? Je pense que vous conviendrez avec moi qu'ils devraient...

+-

    Pr Joel Sokolsky: Oui. Ils sont à l'OTAN mais ils ne sont pas intégrés à la structure de commandement militaire. Alors vous pourriez convoquer le comité de planification de la défense.

    Comment les Français s'en sortiraient-ils? Franchement, je ne sais pas. Ils parient gros que les choses vont tourner en leur faveur, mais je pense que vous comprenez l'inquiétude des autres membres de l'OTAN. Ils craignent ce que cela signifie pour l'avenir de l'alliance.

    Des pays comme l'Espagne et l'Italie qui ne vont pas vraiment contribuer à cette guerre sont toujours d'accord. Le Canada, comme toujours, se trouve ici dans une position unique par rapport aux Européens du fait de sa situation géographique. Mais je pense que la réaction de l'administration américaine est un signal du sérieux avec lequel les États-Unis voient aujourd'hui toute résistance en la matière.

    J'ajouterais par ailleurs que je suis heureux que l'actuel gouvernement ait résisté à la tentation de se joindre aux Français et aux Allemands, car ceux-là ne sont pas intéressés à nos problèmes non plus. Ils diront «Joignez-vous à nous dans notre opposition aux Américains», mais ils ne s'intéressent pas à notre sécurité. Ils ne s'intéressent pas à nos relations avec les États-Unis.

+-

    M. David Price: Et il n'y a pas d'issue par la suite.

+-

    Pr Joel Sokolsky: Oui. Nous sommes dans une position différente. Et, franchement, il y a suffisamment de Canadiens enterrés en Europe pour que nous soyons aussi fâchés que les Américains au sujet de certains de ces comportements.

+-

    M. David Price: Merci beaucoup.

+-

    Le président: Merci, monsieur Price.

    Monsieur Bachand.

[Français]

+-

    M. Claude Bachand (Saint-Jean, BQ): D'abord, je voudrais vous remercier pour votre présentation. Il est certain que si on pouvait s'attarder [Note de la rédaction: Difficultés techniques]. Il y a des sujets que je voudrais effleurer seulement, parce que j'ai une question sur la souveraineté canadienne. Mais je voudrais parler de multiculturalisme et d'unilatéralisme.

    Vous avez dit que l'unilatéralisme des Américains était dû surtout à leur volonté de défendre leur propre territoire; or, sans vouloir vous contredire ou m'éloigner de ma question, j'aimerais quand même mentionner que l'unilatéralisme américain est probablement aussi fondé sur des impératifs économiques.

    Au sujet de la prévention, vous avez dit que dorénavant les Américains pouvaient se prévaloir [Note de la rédaction: Difficultés techniques] d'attaques préventives. Or, tout le monde sait que cela bouleverse la doctrine des relations internationales. Pour ma part, j'ai toujours dit que si les Américains pouvaient se permettre cela, la Corée du Nord pourrait éventuellement faire la même chose contre la Corée du Sud, et le Pakistan contre l'Inde. On pourrait discuter longuement de cette question.

    Mais je voudrais plutôt concentrer ma question sur la situation géopolitique du Canada face aux États-Unis. Une intégration majeure s'effectue présentement entre le Canada et les États-Unis. Vous avez dit plus tôt qu'il y avait là une question de souveraineté et que cela pouvait mener à une perte d'autonomie pour le Canada. Je trouve pour ma part que souveraineté et autonomie sont intimement liées. Elles sont presque équivalentes.

    Si on parle de l'aspect économique, j'aimerais inviter mes collègues à lire le livre de Paul Hellyer, intitulé Adieu Canada. M. Hellyer y aborde la question économique et décrit très bien l'intégration qui prévaut. Il y a aussi la pression que les Américains exercent pour qu'on s'enligne sur leur loi en matière d'immigration et les ententes bilatérales qui font que l'armée américaine pourrait intervenir--à notre demande, j'en conviens--, dans le cas de catastrophes. Il y a aussi Northern Command et l'interopérabilité, que les Forces canadiennes, non seulement l'armée de terre mais aussi l'aviation et la marine, ont endossée, faute de ressources.

    Vous avez parlé plus tôt de la marge de manoeuvre qui se rétrécit. En ce qui me concerne, j'irais même jusqu'à dire que cette marge de manoeuvre n'existe plus. On n'est pas encore le 51e État américain, mais on est, à mon avis, en bonne voie de le devenir. Vous connaissez, bien sûr, mon option politique; c'est un souverainiste qui vous parle.

    Bref, est-ce que vous pouvez nous donner plus de détails sur la façon dont on pourrait jouer du coude pour élargir la souveraineté canadienne? Est-ce qu'on peut ou non se permettre d'exprimer aux Américains notre désaccord sur des sujets aussi importants qu'une guerre en Irak?

À  +-(1000)  

[Traduction]

+-

    Pr Joel Sokolsky: Pour ce qui est de la souveraineté et de l'autonomie, ce que j'entends par autonomie, c'est notre capacité d'agir indépendamment pour faire ce que nous voulons. Je pense que cela est toujours limité par le système international. Nous sommes déjà très lourdement intégrés sur le plan économique, étant donné la nature de notre commerce--plus de 85 p. 100 de notre commerce se fait avec les États-Unis--mais cela suscite également en nous un intérêt stratégique à l'égard de la stabilité et de l'économie américaine. Voilà pourquoi je pense que cela est important pour le Canada.

    Quant à l'interopérabilité du Northern Command dans ces choses, oui, il semble que nous serions plus souverains et plus autonomes si nous ne nous engagions pas dans le Northern Command ni dans une interopérabilité. Du côté américain, ce ne serait pas un problème. La question est donc de savoir si nous aurions alors la moindre influence ou encore quelle serait la solution de rechange. L'autre possibilité pour le Canada serait de ne pas éviter une étroite collaboration avec les États-Unis en faveur de la possibilité d'être un acteur plus actif et plus indépendant sur le plan international pour d'autres plates-formes; l'autre solution est simplement d'éviter la collaboration avec les États-Unis et de sombrer encore plus dans la non-pertinence.

    C'est donc un choix difficile. Je ne pense pas que si nous évitons ces choses il y a quelque part une issue qui nous conférerait davantage d'influence. Je ne pense pas que les autres grandes puissances--l'Allemagne ou la France--s'intéressent au Canada comme s'y intéressent les États-Unis.

    Voilà en gros quelle est ma position. Je conviens que la collaboration avec les États-Unis limite parfois les options canadiennes, mais je pense que si nous nous entendons quant à la menace générale, alors c'est dans l'intérêt du Canada. Par ailleurs, je pense que bien que les Américains s'attendent à ce que le Canada suive, et comptent là-dessus, et sont fâchés à cause de cette affaire, notre statut à leurs yeux ne ferait que reculer si nous évitions ce genre de coopération.

    La plupart des Américains et le gouvernement américain ne verront en réalité jamais le Canada comme les Canadiens aimeraient être vus par les États-Unis. Mais ceux-ci nous voient à l'heure actuelle d'une façon dont nous ne voulons pas être vus du fait d'une perception voulant que nous ne fassions pas assez. Je n'approuve pas toutes les critiques que l'on entend au Canada, mais je conviens que cela va exiger du Canada qu'il fasse des choix difficiles. L'important, en bout de ligne, c'est notre sécurité économique et physique.

    Vous avez mentionné l'immigration. Renversez cela. Si nous pensions que des éléments criminels arrivaient au Canada depuis les États-Unis pour s'engager ici dans des activités illégales, nous en parlerions avec le gouvernement américain. Les Américains ont donc une préoccupation tout à fait légitime à cet égard.

    Pour ce qui est de notre politique d'immigration, oui, cela va exiger certains rajustements. Cependant, pour moi, la menace à la souveraineté canadienne vient du fait de ne pas s'y engager, et vous voyez du côté américain un désir de s'engager dans des discussions sur ces questions et de lancer des activités en collaboration avec nous.

À  +-(1005)  

+-

    Le président: Merci, professeur Sokolsky, et merci, monsieur Bachand.

    Monsieur O'Brien pour sept minutes.

+-

    M. Lawrence O'Brien (Labrador, Lib.): Merci, monsieur le président.

    Cette matinée est ma première au comité; je suis tout nouveau ici, mais le dossier de la défense n'est pas forcément tout nouveau pour moi. Je viens de Goose Bay, dans le Labrador, alors inutile de dire que j'ai à m'occuper de questions de défense dans le contexte de l'industrie de ma localité.

    J'aimerais commencer par vous demander si vous pensez que les médias au Canada sont en train de brosser un tableau fidèle de ce qui se passe, permettant aux Canadiens de bien réfléchir au conflit potentiel entre les États-Unis--et quiconque choisit de les suivre--et le Canada? J'ai parfois le sentiment que le portrait qui nous est livré par les médias ne nous fournit pas toujours tous les éléments qu'il nous faut pour pouvoir trancher les questions comme il se doit.

+-

    Pr Joel Sokolsky: Si j'ai bien compris votre question, il y a chez certains éléments des médias canadiens un préjugé anti-américain dans les reportages qui sont livrés. Certainement, l'administration Bush y est parfois caricaturée à la manière des Européens et d'autres, c'est-à-dire comme un yahoo, un cowboy, toujours le doigt sur la gachette et qui ne comprend pas la réalité des relations internationales. D'un autre côté, je pense qu'il y a eu au Canada plus de discussions au sujet de questions de défense que depuis fort longtemps.

    Cependant, comme je l'ai dit tout à l'heure, j'estime qu'il est important d'éviter la polarisation. Il y a au Canada des personnes qui pensent que chaque critique du Canada sortant de Washington est parole d'évangile, et il y a ceux qui pensent que chaque critique des États-Unis qui sort de la bouche de journalistes canadiens est une révélation.

    Il y a des gens du camp pro-défense qui rejetteront ce que nous faisons sur le plan défense alors que cela n'est selon moi pas justifié. Il y en a parmi le lobby pro-défense qui ne sont pas réalistes quant à l'influence qu'un plus gros investissement dans la défense nous achètera, comme il y en a de l'autre côté qui ne sont pas réalistes quant à l'influence que pourra nous procurer une réduction de nos budgets militaires. Il y a un certain réalisme. L'on ne voit pas cela dans le débat au Canada.

    L'essentiel ici est de savoir quel est l'intérêt national canadien? Je pense que nous suivons en fait notre intérêt national; c'est tout simplement que nous ne couchons pas les choses en ces termes-là. Un côté dit qu'il nous faut être de bons et loyaux alliés, l'autre côté dit qu'il nous faut faire campagne pour la paix mondiale. L'objet de la politique de défense canadienne est la sécurité nationale du Canada.

+-

    M. Lawrence O'Brien: Vous nous faites des analogies plutôt intéressantes, mais pour parler simplement, avec les événements du 11 septembre derrière nous comme vous l'avez dit--et je ne vais pas répéter vos commentaires de tout à l'heure--nous avons des préoccupations quant à la frontière, nous avons d'énormes échanges commerciaux avec les États-Unis, et ainsi de suite. Nous sommes sur le continent nord-américain et il est question de la sécurité de tout le continent, y compris les États-Unis, et le Canada en fait partie aussi, et il y a bien sûr d'autres choses également.

    Si ce conflit avait lieu et si le Canada restait à l'écart, quelle incidence cela aurait-il sur les relations canado-américaines en matière de commerce, de tourisme, et tout le reste, avec les centaines de milliers d'allers-retours qui se font chaque jour?

À  +-(1010)  

+-

    Pr Joel Sokolsky: Nous verrions des liens que nous n'aurions pas vu auparavant. Je pense que cela est rapidement en train de devenir un test de vérité. Je pense également que si nous ne voyions pas ces liens dans le domaine économique, nous les verrions ailleurs et nous subirions certainement un accueil glacial à NORTHCOM et ailleurs.

+-

    M. Lawrence O'Brien: J'aurais une dernière question. Le déploiement de missiles est en train de devenir un gros élément dans la protection nord-américaine. J'ai écouté certains des experts et je suis certain que vous devez avoir une position en la matière.

    Selon vous, où se situe le Canada quant au déploiement américain de missiles antimissiles balistiques ou autres, et qu'en est-il de la géographie du Canada? Venant de Goose Bay, que les Américains ont construit, j'aimerais m'attarder un petit peu là-dessus, car cela fait partie de la route transatlantique, de la route du Nord, etc. J'ai entendu certains experts dire que ce serait une bonne base potentielle, avec les longues pistes de décollage et d'atterrissage, quantité d'installations, d'infrastructure, etc.

    Quelle est votre impression?

+-

    Pr Joel Sokolsky: Pour ce qui est de la défense antimissile, si les Américains veulent se lancer, premièrement, ils le peuvent. Nous devrions nous efforcer de collaborer lorsque nous le pouvons, y compris en mettant à leur disposition le territoire canadien lorsque cela est utile.

+-

    Le président: Avez-vous encore autre chose, monsieur O'Brien?

    M. Lawrence O'Brien: Non, c'est très bien.

    Le président: Monsieur Blaikie.

+-

    M. Bill Blaikie: Merci, monsieur le président.

    J'aimerais revenir sur certains des propos que nous a tenus le professeur Sokolsky. J'ai cru y détecter une position que j'aimerais jusqu'à un certain point contester. Vous avez dit que la politique étrangère canadienne ne devrait être dictée que par ce qui est dans l'intérêt de la sécurité nationale du Canada, et vous avez juxtaposé cela aux personnes qui s'intéressent à des choses comme la paix dans le monde.

    Mais n'est-il pas concevable que la paix dans le monde soit dans l'intérêt de la sécurité nationale du Canada? Pourquoi établir une telle dichotomie alors que cela n'est pas forcément le cas? Il se pourrait très bien que la paix ait quelque chose à voir avec la sécurité. C'est une notion radicale dans certains contextes. Je tenais néanmoins à mettre cela sur la table.

    Je me souviens d'avoir été à la fin des années 80 à une réunion du Comité des affaires extérieures, comme on l'appelait à l'époque, et d'avoir entendu quelqu'un y dire quelque chose au sujet de la façon de faire canadienne. Le commentaire était que la position canadienne semble souvent être que lorsqu'on est réuni autour d'une table multilatérale il faut qu'il y ait dans la salle une personne qui n'a aucun principe afin que celle-ci fasse avancer le processus. Il me semble que c'est là le genre de chose qu'on est en train d'observer à l'heure actuelle chez le gouvernement canadien.

    Au contraire des Américains, des Français, des Allemands et de quantité d'autres personnes, voire même de gens à l'intérieur de l'opposition canadienne--bien que toute une gamme de positions soient prises à l'intérieur des différents partis de l'opposition--la position du gouvernement semble être que, quoi qu'il faille faire, ce ne sera fait qu'à la dernière minute pour donner l'impression--je dis bien «donner l'impression», car je pense qu'ils savent déjà ce qu'ils vont faire en dernière analyse--que cela est une question de nécessité ou vient en tout cas à l'issue d'un long processus, etc.

    Cela fait manifestement longtemps que vous étudiez la politique étrangère canadienne. Pensez-vous que ce soit là une représentation fidèle de la façon dont cela fonctionne?

    J'aimerais vous inviter à vous prononcer sur encore autre chose. Vous avez dit que les Américains agissent toujours dans leur propre intérêt. Mais vous avez également parlé de la façon dont ils se perçoivent, de ce genre d'exceptionnalisme moral qu'ils ont. Il me semble qu'une partie du problème est qu'ils veulent toujours envelopper leur intérêt propre dans cet exceptionnalisme moral. Nombre d'entre nous auraient moins de haut-le-coeur s'ils disaient simplement ce qu'ils préparent, au lieu de nous demander de croire que tout ce qu'ils font ils le font au nom de la démocratie, de la liberté et des droits de l'homme.

    Nous savons, selon votre propre témoignage, que ce n'est pas vraiment là le réel facteur de motivation. Mais depuis Woodrow Wilson, ils enveloppent tout sous le voile de la droiture, au lieu de nous dire tout simplement ce qu'ils font réellement afin que nous puissions décider si cela est également dans l'intérêt de notre sécurité nationale.

À  +-(1015)  

+-

    Pr Joel Sokolsky: Je vais commencer par votre dernier commentaire. Il y a un bon livre qui vient de sortir: il a été écrit par Andrew Bacevich, et a pour titre «American Empire». Bacevich est un ancien officier de l'armée américaine. Il dit que, oui, c'est ce que font toujours les États-Unis et qu'il nous faut en fait décaper un petit peu les choses.

    L'autre opinion, celle des autres Américains, est que le public américain n'appuiera pas une politique étrangère qui ne semble pas morale.

+-

    M. Bill Blaikie: Qui n'est pas habillée de la sorte.

+-

    Pr Joel Sokolsky: Qui ne l'est pas, et je pense que cela vaut pour d'autres... Heureusement que les États-Unis ont pour la plupart bien fait en faisant le bien en même temps.

    Dans certains cas, l'autre possibilité est que les Américains restent chez eux. Vous connaissez la fameuse déclaration de John Quincy Adams: «L'Amérique ne part pas à l'étranger à la recherche de monstres à détruire». Elle est le défenseur de son propre intérêt.

    Mais je conviens avec vous que les États-Unis pratiquent cet «exceptionnalisme» moral.

    Du côté canadien, le multilatéralisme est un outil que nous utilisons, car nous pouvons exercer un pouvoir indépendant. Lorsque nous avons pris les Espagnols en train de pêcher de nos poissons, nous avons agi de façon unilatérale. Lorsque nous sommes confrontés à un problème, si nous pouvons agir unilatéralement, nous le faisons.

    Pour ce qui est de votre premier point, la paix mondiale est dans l'intérêt de la sécurité nationale du Canada. La question pour le gouvernement est de savoir comment réaliser cela. La politique étrangère canadienne, depuis au moins 1945, a été quelque peu schizophrène. Nous prônons la sécurité collective par le biais des Nations Unies et la défense collective par le biais de l'OTAN et de nos alliés américains.

    Selon moi, au bout du compte, nous nous alignons avec les États-Unis et ses alliés. C'est là que réside en vérité notre sécurité. Dans le contexte actuel, le danger n'est pas tant aux Nations Unies; c'est plutôt l'éclatement de l'OTAN. C'est tout simplement qui nous sommes. Je pense que si vous examinez notre dossier, vous verrez que nous étions pour le désarmement pendant la Guerre froide mais que nous appuyons vraiment l'OTAN.

    Si vous me permettez, monsieur le président, cette position canadienne, vous la connaissez peut-être. Stephen Leacock, à la veille de la Seconde Guerre mondiale, s'est fait poser la question suivante par un Américain: «Si la Grande-Bretagne part en guerre, est-ce que le Canada doit partir en guerre?» Stephen Leacock a répondu comme suit: «Non, nous ne le devons pas, à cause du statut de Westminster». Question suivante: «Si la Grande-Bretagne part à la guerre, est-ce que le Canada va partir à la guerre?» Réponse: «Oui. Pourquoi? Parce que nous le devons».

    Des voix: Oh! oh!

+-

    Pr Joel Sokolsky: Je pense que cela correspond jusqu'à un certain point à la position dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui. Nous faut-il appuyer les Américains? Non. Le ferons-nous? Comme l'a dit Mark Twain, il est toujours risqué de faire des prédictions, surtout en ce qui concerne l'avenir, mais je pense qu'il nous le faut. Nous brillerions par notre absence, mais pas forcément aux yeux de ceux qui appuient une intervention pour qui nous brillerions par notre présence.

    C'est la simple réalité. C'est notre monde. Notre monde est celui des démocraties du nord. Le monde anglo-saxon est notre monde. Nous faisons du bon travail dans le tiers monde et ailleurs, mais, en dernière analyse, nous sommes occidentaux, nous sommes du nord, et nous sommes liés au système économique américain. Nous pouvons faire quantité d'autres choses, mais seulement si nous garantissons cette base. Voilà ce que je dis.

    Je sais que mon opinion est différente de celle des gens ici mais, au contraire d'autres, je pense que je n'ai aucune illusion quant à l'exercice aux États-Unis et au pouvoir américain. Mon épouse est américaine.

+-

    M. Bill Blaikie: Je ne dirais pas amen à cela.

    Des voix: Oh! oh!

+-

    Le président: Merci, professeur.

    Monsieur McGuire, pour sept minutes.

+-

    M. Joe McGuire (Egmont, Lib.): Merci, monsieur le président.

    J'aimerais revenir un petit peu en arrière. Vous avez mentionné que si la Tour Eiffel avait été la cible de l'attentat terroriste, les choses seraient différentes, que ce ne serait pas les Américains qui sonneraient la charge. D'après vous, qu'aurait fait la France si la Tour Eiffel avait été bombardée, compte tenu de l'expérience russe en Afghanistan et de toutes les mains qui auraient, semble-t-il, été tordues par eux?

À  +-(1020)  

+-

    Pr Joel Sokolsky: Je pense que les Français se seraient engagés dans une série d'activités secrètes et autres contre les terroristes. Ils sont à un moment intervenus contre Greenpeace lorsqu'ils pensaient qu'il y avait une menace pour leurs essais nucléaires. Vous pouvez constater leurs activités en Sierra Leone. Les Français n'ont pas peur d'exercer leur pouvoir à l'étranger s'ils estiment que cela est dans leur intérêt.

    Ils n'ont pas la capacité des États-Unis d'envahir un pays, mais il y aurait eu des mesures ciblées avec leurs agents et d'autres. Il y aurait eu un coup de filet en France même.

    Les Européens ont un autre problème, soit leur importante population musulmane qui, dans le cas de l'Allemagne et d'autres pays, n'a jamais été pleinement intégrée.

+-

    M. Joe McGuire: Mais ne pensez-vous pas qu'il leur aurait fallu compter sur les États-Unis?

+-

    Pr Joel Sokolsky: Ils auraient cherché un soutien américain.

+-

    M. Joe McGuire: Et les États-Unis en auraient sans doute consenti?

+-

    Pr Joel Sokolsky: Ils auraient donné un certain appui, mais je ne pense pas que les États-Unis auraient pris un engagement de grande envergure. Il y aurait eu une approche occidentale générale face au terrorisme, mais pas la campagne que l'on constate aujourd'hui.

+-

    M. Joe McGuire: Pourquoi pensez-vous que l'Allemagne et la France sont en train de jouer les bosses avec les États-Unis alors qu'ils savent que s'ils ne cèdent pas, alors une importante partie de l'alliance, par exemple l'OTAN et d'autres choses encore, pourrait s'écrouler? Pourquoi font-ils cela?

+-

    Pr Joel Sokolsky: Je pense qu'ils font cela premièrement parce qu'ils croient sincèrement que ce n'est pas la bonne politique. Mais, derrière cela, il y a, je pense, cette idée de réagir contre l'attitude de l'administration Bush, qui a eu la main lourde avec les alliés à bien des égards et qui ne s'est pas montrée assez compatissante à l'égard des problèmes intérieurs des autres.

    D'autre part--et cela relève davantage de spéculation--il y a cette crainte de la part de la France, de l'Allemagne, de la Russie et de la Chine que si les Américains réussissent leur coup cette fois-ci, alors ils seront insupportables et la domination américaine sera renforcée à un point tel que cela leur sera très inconfortable.

    Je sais que cela paraît méfiant et paranoïaque, mais je pense qu'il y a des Américains qui avertissaient, dès les débuts de l'administration Bush, que cela allait arriver, que c'était une invite aux problèmes, à l'aliénation des alliés.

    Le dilemme est que cela est vraiment important pour les États-Unis aussi, mais ils ne font pas le nécessaire. Notre dilemme est que nous ne voulons pas être pris au milieu.

+-

    M. Joe McGuire: Que dites-vous alors aux Canadiens qui, pour ce qui est de la politique nationale, demandent pourquoi nous devrions appuyer les États-Unis moralement, militairement ou de quelque autre façon vu ce qu'ils nous infligent pour ce qui est du bois d'oeuvre, de la Commission du blé, de la pomme de terre, des exportations de lait, etc.? Ils ont eu la main assez lourde avec nous aussi, et il est peut-être temps de marquer un temps d'arrêt et...

+-

    Pr Joel Sokolsky: Eh bien, ma première réponse serait que notre position de négociation dans ces différends ne serait pas améliorée du fait de ne pas les appuyer dans le cas qui nous occupe. Deuxièmement, autant nous leur en voulons pour leur maladresse dans tout cela, autant ils sont confrontés à une menace légitime à leur sécurité ici, et cela nous menace nous aussi.

    Comme je l'ai dit plus tôt en réponse à M. Blaikie, je ne suis pas sentimental. La réalité brutale est que c'est l'intérêt national qui impose la collaboration.

    Mais permettez-moi d'être un peu sentimental. Je pense que les Américains apprécieront cela. Nous ne sommes pas tenus de faire beaucoup de choses. Ils savent, sans doute mieux que nous... Nous n'avons pas à envoyer des milliers de troupes dans le désert. Ils nous ont demandé certaines choses; je pense que nous les ferons.

    Ce n'est pas une question de contrepartie; c'est une question d'atmosphère. Vu l'attitude des Américains à l'égard des alliés, je ne pense pas que nous voulions être dans ce camp-là.

+-

    M. Joe McGuire: Je suis d'accord avec vous sur ce qu'a dit Stephen Leacock, c'est-à-dire qu'il nous faudra être là, parce que je pense qu'il n'y a aucun doute là-dessus, mais comment faire pour intégrer le Mexique dans tout cela? Si c'est le «bunker Amérique du Nord», si c'est la sécurité de... Nous pensons tous au Canada, mais nous ne considérons jamais que le Mexique fait partie de cela.

+-

    Pr Joel Sokolsky: Je me demande s'il y a des Mexicains ici...

    Écoutez, nous ne sommes pas dans la même ligue que le Mexique, et nous ne le souhaiterions pas non plus. Nous considérons--et eux aussi--que nous sommes dans une autre ligue. Je veux dire par là que lorsque nous avons dit que la sécurité de l'Amérique du Nord était en danger, en Europe personne ne s'inquiétait du fait que le Mexique n'était pas à l'OTAN. Ils ne voulaient même pas que le Mexique appartienne au NORAD, et il n'y est toujours pas.

    Si nous voulons être le Mexique, alors très bien, les Américains commenceront à nous traiter comme ils traitent le Mexique.

À  +-(1025)  

+-

    M. Joe McGuire: Mais ne traitent-ils pas le Mexique beaucoup mieux qu'ils ne nous traitent?

+-

    Pr Joel Sokolsky: Pas pour tout.

+-

    M. Joe McGuire: Ils commencent à changer cela un peu.

+-

    Pr Joel Sokolsky: Auquel cas ne pas se lancer dans cette campagne ne ferait qu'accélérer les choses.

    Vous savez, il y a dans la vision américaine du Canada une attente. Nous sommes presque pires lorsque nous ne suivons pas, parce qu'ils s'y attendent. Ils s'attendent toujours à des problèmes avec les Français, mais pas aussi gros que cette fois-ci; ils s'attendent cependant à des problèmes avec eux. Mais ils s'attendaient à ce que le Canada les appuie ici.

    Et le dossier des années 1990 était bon. Il était plutôt bon. Pas tant avec l'actuelle administration, mais si vous aviez interrogé des fonctionnaires de l'administration Clinton au sujet du Canada et de ce que nous avons fait pour eux à Haïti, de ce que nous avons fait pour les appuyer en Bosnie et au Kosovo, ils vous auraient dit que c'était très apprécié. Clinton ne pouvait rien faire pour ce qui est du bois d'oeuvre parce que, écoutez, un président américain n'a pas autant de pouvoir vis-à-vis son administration et sa branche législative que le premier ministre du Canada.

+-

    M. Joe McGuire: Et, concrètement, cette reconnaissance s'est traduite de quelle façon?

+-

    Pr Joel Sokolsky: En une écoute. Je pense que du côté militaire cela se traduirait en une étroite collaboration avec les Canadiens par le biais de NORTHCOM. Cela pourrait se traduire en un élargissement de l'interopérabilité, en un maintien de formation conjointe, en une autorisation pour les Canadiens de faire leur formation sur des bases américaines et en un accès à la technologie.

    Je pense donc que cela refroidirait quelque peu les relations bilatérales en matière de sécurité.

    Les États-Unis doivent dans une certaine mesure collaborer avec le Canada, mais pas autant que nous le pensons. Ils n'ont pas besoin de ce groupe de planification.

+-

    Le président: Merci, professeur, et merci, monsieur McGuire.

    Madame Gallant, pour cinq minutes.

+-

    Mme Cheryl Gallant: J'aimerais simplement être certaine d'avoir bien compris votre réponse quant à l'explication des raisons pour lesquelles le Canada a participé au conflit au Kosovo sans l'accord des Nations Unies. Était-ce à cause de notre participation à l'OTAN et du fait que c'était une opération menée par l'OTAN?

+-

    Pr Joel Sokolsky: Oui. Je pense que la crédibilité de l'alliance était en jeu. Je pense également que c'était une cause justifiée sur le plan moral. Mais je crois également que l'OTAN faisait plutôt mauvaise figure.

    Permettez que je dise maintenant quelque chose qui me tient très à coeur: nous n'avons pas à nous excuser de quoi que ce soit aux Européens. Nous avons ramassé le ballon en Yougoslavie, ce qu'ils avaient dit qu'ils allaient faire au début des années 90. Si l'on parle donc de manque de reconnaissance, les Européens nous manifestent moins de reconnaissance que les Américains. C'est pourquoi j'ai tendance à privilégier l'alliance américaine. En fait, au bout du compte, si nous n'avons pas suffisamment de forces pour appuyer une campagne en Iraq, nous devrions nous retirer de la Bosnie. Que la France s'en occupe.

    Nous étions là. Nous étions la deuxième unité à entrer dans Pristina, avant les marines américains, et nous étions là en train de résoudre un problème européen. Lorsque les Européens, voire même Lord Robertson, se plaignent des Canadiens, ce sont là des personnes auxquelles nous n'avons pas à présenter d'excuses.

+-

    Mme Cheryl Gallant: L'une des options qu'envisage le Canada est d'aller en Afghanistan et d'y soulager certaines troupes américaines. Comment se compare l'incidence d'une telle initiative par opposition à notre présence sur les premières lignes en Iraq?

+-

    Pr Joel Sokolsky: Ce sera accepté si c'est là ce que nous offrons, mais je ne pense pas que les choses aillent jusque-là. Et l'impression est moins bonne.

+-

    Mme Cheryl Gallant: L'impression est moins bonne.

+-

    Pr Joel Sokolsky: Oui.

+-

    Mme Cheryl Gallant: Et quelle incidence cela pourrait-il avoir sur notre économie et nos relations?

+-

    Pr Joel Sokolsky: Non, je ne pense pas que ce serait quelque chose de précis, mais les Américains s'en souviendront.

+-

    Mme Cheryl Gallant: C'est donc l'idée de participer en Iraq qui témoigne de notre appui pour ce qu'ils font. Très bien.

    Vous avez donné des cours d'études canadiennes à l'Université Duke, alors si l'on fait une avance rapide vers le futur, lorsque vous enseignerez une nouvelle fois ce programme, comment allez-vous expliquer à vos étudiants la justification du fait que le Canada soit pendant si longtemps resté sur la touche?

À  +-(1030)  

+-

    Pr Joel Sokolsky: Aussi longtemps? Oh, je dirais que le gouvernement voulait donner l'impression que veulent donner d'autres gouvernements démocratiques, soit qu'il prend ses propres décisions, que les Canadiens ont toujours essayé de promouvoir le multilatéralisme et que, selon la façon dont les choses tournent, il aura peut-être mal calculé son coup cette fois-ci.

+-

    Mme Cheryl Gallant: J'en arrive maintenant à ma dernière question. Vous avez dit de façon détournée--et beaucoup de gens ont évoqué la même chose--qu'à ce stade-ci, même si le Canada se joint à cette coalition dirigée de façon unilatérale, il sera perçu comme étant sans pertinence. Que...

+-

    Pr Joel Sokolsky: Non. En fait, les autres alliés désertant les États-Unis, une réaffirmant à ce stade-ci par le Canada pourrait très bien jouer à Peoria, car ce que voit le public américain se sont d'autres alliés qui sont contre lui, et le Canada--que les Américains ne voient pas étant donné qu'il n'est pas sur l'écran radar--utilise ce risque d'une crise dans l'alliance pour réaffirmer son soutien pour les États-Unis. Les choses auront peut-être par inadvertance tourné pour le mieux.

    Les critiques et les tenants de cette opinion ne peuvent pas exagérer l'importance du Canada. En fait, si le Canada devait dire, demain: «Ça suffit, nous sommes préoccupés par la sécurité, l'alliance, et nous allons nous prononcer en faveur de l'initiative américaine», par rapport aux Français, aux Allemands et aux Belges, cela donnerait peut-être de meilleurs résultats. Les États-Unis vont-ils dire: «Allons, bon, assoyez-vous tout de suite à nos côtés au Conseil national de sécurité»? Non. Mais d'autres alliés sont dans la même position.

    Il est donc très difficile de traduire cela en des retombées ou des politiques spécifiques. Le mieux que je puisse dire est que si nous ne suivons pas, cela sera remarqué.

+-

    Le président: Le temps qui vous était alloué a expiré, madame Gallant.

    Mme Cheryl Gallant: Oh, j'ai expiré.

    Des voix: Oh! oh!

+-

    Le président: Oui, j'ai le regret de vous en informer.

    Monsieur Grose, voulez-vous...?

+-

    M. Ivan Grose (Oshawa, Lib.): Non, merci. Mme Gallant a emprunté la route que j'allais prendre, et le professeur a très bien répondu.

+-

    Le président: Vous ne voulez pas pousser plus loin sur cette route?

+-

    M. Ivan Grose: Non, merci.

+-

    Le président: Monsieur Price.

+-

    M. David Price: Je vais m'écarter un petit peu de la question proprement canado-américaine pour parler un peu plus de l'OTAN. J'ai de la difficulté à comprendre la coalition des Allemands, des Français et des Belges.

    Si je regarde les Allemands, le deuxième plus important groupe d'immigrants en Allemagne est celui des Turcs, et les Allemands se refusent à appuyer la Turquie. En France, il y a une population musulmane extrêmement importante qui, j'en suis sûr, exerce des pressions pour appuyer le fait que nous tous allons en bout de ligne avoir une fenêtre sur... La Turquie, qui appartient à l'OTAN, est le premier pays que l'on pourrait qualifier de semi-musulman, et elle s'oppose à ce que la France résiste. Si l'on regarde l'autre côté du tableau, l'Allemagne et la France vendent tous deux des armes et des pièces d'armement, indirectement, à l'Iraq. C'est de notoriété publique. La Belgique y est sans doute elle aussi intéressée.

    Nous n'entendons pas parler de pressions exercées en Allemagne par les Turcs. Voyez-vous quelque chose se passer là-bas?

+-

    Pr Joel Sokolsky: L'opinion publique turque est partagée là-dessus. C'est peut-être que les populations musulmanes dans ces pays n'appuieraient pas une attaque dirigée contre un autre État musulman. C'est peut-être là le problème.

    L'autre problème est que la Turquie a toujours soupçonné que son exclusion de l'Union européenne ou sa difficulté à s'y intégrer était due au fait que c'est un pays musulman. Par ailleurs, l'incapacité apparente de l'Europe de régler le problème en Bosnie était due au fait que les Européens n'avaient pas très envie de se porter au secours des Musulmans. L'ironie de la Bosnie est que ce sont les États-Unis qui se sont rangés du côté des Musulmans bosniaques.

    Je pense donc qu'il se passe ici beaucoup de choses. Les populations musulmanes sont peut-être bien opposées à la guerre. D'un autre côté, la Turquie a toujours soupçonné que les vieux alliés européens avaient fait de la discrimination contre elle du fait qu'elle était le seul membre musulman de l'OTAN. En tout cas, les Turcs étaient très ennuyés par leurs difficultés à entrer dans l'Union européenne. L'Union européenne a dit «Vous ne traitez pas comme il se doit les Kurdes» ou «Vous n'êtes pas vraiment une démocratie». Je pense que les Turcs voyaient là des indices d'une certaine discrimination.

À  +-(1035)  

+-

    M. David Price: Bien sûr, les Allemands ne sont eux non plus pas ravis des problèmes qu'ils ont eus avec les Turcs sur leur territoire, et ils ont donc eu tendance à les contrer.

+-

    Pr Joel Sokolsky: Il y a une vieille alliance germano-turque, mais la population turque en Allemagne éprouve encore de la difficulté à obtenir la citoyenneté, ce après plusieurs générations.

+-

    M. David Price: C'est exact.

+-

    Le président: Y a-t-il encore autre chose, monsieur Price?

+-

    M. David Price: Non, merci.

+-

    Le président: J'aimerais prendre quelques minutes au parti au pouvoir. J'aimerais poursuivre la question du positionnement du gouvernement canadien et du moment auquel il nous faut nous rallier.

    Professeur Sokolsky, si le Canada se ralliait à la cause--par exemple, suite au rapport de M. Blix--cela aurait-il une incidence importante sur l'opinion publique mondiale quant à l'appui de la position américaine? Y aurait-il un quelque avantage à cela, ou bien est-ce là une exagération?

+-

    Pr Joel Sokolsky: Je pense qu'il ne faut pas exagérer l'importance de l'adhésion du Canada. Tout dépend. Supposons que le Conseil de sécurité se refuse à agir comme le souhaitent les États-Unis. Je pense que c'est à ce moment-là qu'il faudra que le Canada prenne une décision.

    Je pense que pour certains Américains ce serait trop peu de choses, trop tard, si le Canada envoyait des forces armées. Pour d'autres, cela cadrerait avec ce qu'ont dit les sénateurs Kennedy et Bird, c'est-à-dire, que l'on laisse les Nations Unies faire son jeu et que le processus soit établi. Pour la plupart des gens, cela ne changera rien du tout.

    Ici, je pense que le gouvernement mérite quelque... Cela est jusqu'à un certain point valable de laisser le processus se dérouler et de voir ce qui en ressort en bout de ligne. Les États-Unis...nous nous sommes engagés à adhérer au processus jusqu'à son aboutissement. Il n'y a aucun danger à aller jusqu'au bout.

    Le nouveau danger, et c'est ce sur quoi je me suis efforcé d'insister, réside dans ce qui s'est passé avec l'OTAN, car cela a réellement une incidence sur le Canada. Pour nous, les Nations Unies n'assurent pas notre sécurité. Nous utilisons les Nations Unies pour nous mêler aux affaires d'autres gens. Mais l'OTAN, c'est nous, et c'est pourquoi c'est important.

    C'est pourquoi j'ai été heureux de voir le premier ministre se prononcer en faveur de l'envoi d'armements en Turquie.

+-

    Le président: Madame Gallant, pour cinq minutes.

+-

    Mme Cheryl Gallant: J'ai une petite question.

    La position du Canada a été de suivre la voie des Nations Unies et de respecter le rythme et la stratégie de l'ONU. Cela va-t-il de quelque façon inoculer notre pays, empêcher qu'il soit la cible des représailles ou de représailles possibles de Saddam Hussein?

+-

    Pr Joel Sokolsky: Non. Si nous partons en guerre, si lui-même ou quelqu'un d'autre avait en tête de frapper le Canada, la façon dont nous nous y serions pris n'importerait pas du tout. Ces gens-là respectent les Nations Unies encore moins que les différents éléments de l'administration américaine. Je veux dire par là que Saddam Hussein n'est pas du tout retenu par les Nations Unies. Il est retenu par la puissance des Nations Unies.

+-

    Mme Cheryl Gallant: Peu importe, donc: s'il a choisi le Canada comme cible potentielle pour quelque raison, notre décision d'y aller lentement ne protège aucunement les Canadiens.

+-

    Pr Joel Sokolsky: Non. Franchement, le reste du monde ne nous considère pas comme étant aussi indépendants que certains le pensent, et ce à juste titre, car nous ne le sommes pas. Nous sommes membres de l'OTAN. Nous faisons partie d'une alliance de sécurité avec les États-Unis. Il est faux de partir dans le monde et de faire semblant que nous sommes un genre d'arbitre indépendant qui est au-dessus de tout. Je pense que les gens nous voient pour ce que nous sommes. Vous ne pouvez pas avoir une stratégie de sécurité nationale fondée sur l'interopérabilité avec les forces armées américaines et vous attendre à être perçus à l'extérieur comme étant autre chose qu'un allié des Américains.

    Cela ne veut pas dire que nous ne pouvons pas appuyer quantité d'autres activités valables ailleurs dans le monde, en Afrique ou autre. Mais c'est ainsi, je pense que le monde nous perçoit, et autant nous...

    J'ignore si nous serons une cible particulière ni si nous devrions nous laisser convaincre d'abandonner cette position pour essayer de donner l'impression d'être quelque chose que nous ne sommes pas.

    Mme Cheryl Gallant: Merci.

À  +-(1040)  

+-

    Le président: Monsieur McGuire, pour cinq minutes.

+-

    M. Joe McGuire: Monsieur le président, le président vient en visite ici dans quelques mois. Beaucoup d'eau aura coulé sous les ponts d'ici-là.

    Si le témoin était premier ministre, en prévision de cette visite, quelles décisions susceptibles de bénéficier au Canada à l'avenir en vue de la sécurité de notre État prendrait-il?

+-

    Pr Joel Sokolsky: J'attendrais le rapport Blix puis, lorsqu'il ressortirait clairement que les Nations Unies sont dans une impasse, j'annoncerais que nous participerons à une coalition et que nous offrirons notre maximum dans le cadre de l'actuelle opération irakienne plutôt qu'en Afghanistan. Je poursuivrais par ailleurs le gros de ce que le gouvernement a déjà fait s'agissant de collaborer avec les États-Unis sur les frontières et l'immigration.

    Ce ne serait pas à cause de la venue du président, mais je pense qu'il serait très difficile pour le président de venir ici si son pays est en guerre et que nous n'y sommes pas. Je pense que c'est là la simple réalité des choses.

    Si ce n'était pas dans l'intérêt du Canada, si les États-Unis envahissaient la Patagonie sans raison, alors la situation serait, bien sûr, différente. Mais je pense que dans ce cas-ci, c'est dans notre intérêt.

    Ce n'est pas sans risque. Vous pourriez avoir quantité de raisons pour lesquelles ce serait fait, mais je pense que cela aiderait certainement. Il est intéressant qu'il ait accepté l'invitation avant de savoir ce qui va se passer.

+-

    M. Joe McGuire: En ce qui concerne le rapport de vendredi, donc, si les choses continuent d'être floues et que l'on dit qu'il faut donner encore une chance à la paix--

+-

    Pr Joel Sokolsky: Je pense que le rapport va dire que les Irakiens collaborent davantage maintenant, mais qu'il ne sera pas concluant. Je ne pense pas avoir le moindre doute que les Américains vont le rejeter comme étant trop peu, trop tard. Il nous faut donc être prêts.

    La proposition française et russe voulant qu'on y envoie des forces des Nations Unies n'est pas réaliste du tout. Les forces de qui? Les Américains n'iront pas. Une fois des forces onusiennes déployées dans la région, les Britanniques et les Américains ne pourront plus attaquer si les Irakiens tirent sur leurs avions. L'on se retrouverait ainsi dans une situation comme celle que l'on a vue en Bosnie, où les troupes de maintien de la paix étaient piégées et exploitées par le gouvernement local. Cela paralyse la communauté internationale, car ils disent: «Vous ne pouvez rien faire maintenant; nous avons nos propres troupes sur le terrain».

    Je pense que c'est précisément cela que souhaite Saddam Hussein. Le risque ici est que vous n'allez pas lui fournir la police onusienne mais bien tout un tas d'otages.

+-

    Le président: Merci, monsieur McGuire.

    Y a-t-il d'autres questions?

    J'aurai pour ma part quelques questions que j'aimerais poser au professeur.

    Il y a de fortes chances que nous serons d'ici 18 mois, je pense, ou peut-être deux ans, lancés dans un exercice genre livre blanc, un genre d'examen de la politique étrangère canadienne et peut-être également de notre politique de défense.

    Cet examen abordera toute cette question des relations canado-américaines et de la façon dont, entre autres choses... Nous avons bien sûr nombre de priorités à l'intérieur de notre politique de défense pour ce qui est des objectifs traditionnels de défense du Canada, notamment protection de l'Amérique du Nord et participation aux efforts visant à augmenter la paix et la sécurité dans le monde. Comment pourrions-nous d'abord nous rendre plus pertinents pour les États-Unis sur le plan défense, du point de vue budget de défense et pour ce qui est des genres de capacités que nous pourrions apporter à la table? Auriez-vous des idées là-dessus?

À  +-(1045)  

+-

    Pr Joel Sokolsky: Oui. De façon générale, je pense que nous avons deux grandes tâches--la première est la défense de l'Amérique du Nord et l'autre est la participation à des activités multilatérales ou autres liées à la défense de l'Amérique du Nord mais menées à l'extérieur de la défense de l'Amérique du Nord. Il nous faut une capacité nord-américaine et une capacité expéditionnaire.

    Pour ce qui est de l'Amérique du Nord, cela veut dire une participation à NORTHCOM, et une autre chose que nous pourrions faire serait de regarder la garde côtière. La U.S. Coast Guard relève maintenant du Department of Defense. La marine envisage de l'intégrer davantage.

    Nous devrions peut-être envisager de construire davantage de MCDV, c'est-à-dire de navires de défense côtière, en vue de notre contribution à la défense du territoire américain et examiner également notre propre garde côtière. Étant donné que notre marine assure une défense côtière, je pense que c'est là un secteur dans lequel nous pourrions continuer de collaborer.

    Nous devrions maintenir une capacité expéditionnaire outre-mer, mais nous n'aurons peut-être pas les moyens, ou peut-être que ce ne sera pas nécessaire, de maintenir à l'avenir une importante capacité de blindage. Ils aiment nos Coyotes. Ils aiment nos LAV III. Ils en ont utilisés. Ils en ont achetés. C'est peut-être cela que nous devrions faire. Peut-être que nous devrions avoir davantage de forces spéciales comme la Force opérationnelle interarmées 2 ou autre chose qui puisse fonctionner en collaboration avec eux et être utilisé outre-mer.

    Comme je le disais, je pense qu'il nous faut mettre l'accent sur la défense de l'Amérique du Nord ici et à l'étranger, en tant que principe d'organisation, et ne pas nous concentrer autant sur le maintien de la paix. Comme je l'ai mentionné il y a un instant, il faudra réévaluer dans le cadre de tout livre blanc nos engagements de maintien de la paix à long terme, engagements qui lient d'importants contingents de nos forces sur de longues périodes et limitent notre capacité d'assurer la défense de nos propres intérêts.

    Je pense que cela devrait déranger les gens que nous n'ayons que très peu de forces à envoyer en Iraq, du fait que nous venons tout juste de renouveler un contingent en Bosnie. Bien que cela soit important, ce n'est pas aussi important que l'autre chose. Voilà ce sur quoi nous devrions, je pense, mettre l'accent.

    Le comité devrait examiner le transport stratégique. Qu'est-ce qu'il nous faut? Nous faut-il nous rendre impérativement à tel endroit du jour au lendemain? Ou bien avons-nous un autre rôle? Sommes-nous les forces de secours? Si nous voulons jouer un rôle, il nous faut sans doute une meilleure capacité de transport stratégique, mais combien de troupes nous faudrait-il déployer?

    Je regarderais ce que font les Australiens. Ils font beaucoup avec un plus petit budget de défense et des forces plus petites. Un de mes étudiants, le lieutenant-colonel John Blaxland, est en ce moment en Australie, et il a publié un article sur l'Australie et le Canada dans la Revue militaire canadienne. Cela pourrait être pertinent.

    Les Australiens semblent faire un meilleur travail que nous. Comment cela se fait-il?

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    Le président: Ils dépensent également beaucoup plus d'argent que nous, en pourcentage de leur PIB.

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    Pr Joel Sokolsky: Oui, mais en chiffres absolus, ils obtiennent plus et ils semblent tirer davantage de ce qu'ils font, et ils collaborent avec les États-Unis. Avant tout, pour emprunter une définition à mon collègue Douglas Bland, l'objet des Forces armées canadiennes est assez simple: il leur faut être en mesure d'appliquer la force, qu'elle soit véritable ou menacée, pour le compte du gouvernement du Canada, lorsqu'une telle application de la force est un outil politique utile.

+-

    Le président: J'aurais une question corollaire. Pour ce qui est de nos capacités possibles, pensez-vous qu'il soit important pour le Canada d'avoir la capacité, par exemple, de mener des coalitions multinationales dans des endroits comme l'Afrique? En d'autres termes, est-il important que nous puissions transporter une structure de commandement et de contrôle et gérer des troupes du tiers monde ou autres dans le cadre d'engagements multinationaux en dehors de toute participation américaine?

+-

    Pr Joel Sokolsky: Dans l'ordre de priorités, je placerais cela en-dessous de l'Amérique du Nord et en-dessous de la capacité de collaborer avec les Américains. Si nous pouvions ajouter des fonds et des troupes illimités, je dirais oui, mais au bout du compte, l'Afrique est peut-être importante, mais nos intérêts nationaux vitaux ne sont pas en jeu là-bas.

    N'oubliez pas que nous pouvons faire beaucoup. Nous avons des forces individuelles, de petits groupes sous un officier, mais mener une coalition de forces serait, je pense, une bonne idée. Nous pourrions peut-être envisager de collaborer avec d'autres pays, peut-être même avec l'Australie, dans des endroits où les États-Unis n'ont pas de présence, comme par exemple au Timor oriental, ou dans des endroits où une telle intervention pourrait, de façon tangentielle, servir nos intérêts nationaux vitaux.

    Cela étant dit, si nous avons une bonne capacité, une solide capacité, alors nous pourrons faire une contribution et jouer un rôle de leader, mais vu le contexte actuel, je classerais cela en- dessous.

À  +-(1050)  

+-

    Le président: Merci.

    Madame Neville.

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    Mme Anita Neville (Winnipeg-Centre-Sud, Lib.): Merci, monsieur le président, et merci à vous, monsieur Sokolsky, pour un exposé fort instructif.

    Et le comité et le sujet sont nouveaux pour moi alors j'hésite même à me lancer dans la discussion, mais j'ai été frappée par le commentaire que vous avez fait au sujet de l'étroite collaboration entre le Canada et les États-Unis dans les années 90. Vous avez cité plusieurs cas. Cela m'a frappée que cela soit venu sous une administration qui mettait l'accent sur des approches multilatérales aux affaires mondiales. Comment expliquez-vous cela dans le contexte de la primauté accordée à la sécurité humaine canadienne?

+-

    Pr Joel Sokolsky: La sécurité humaine n'était pas incompatible avec la politique de l'administration Clinton. En fait, les critiques de l'administration Clinton lui reprochait de suivre une approche à la Mère Teresa en matière de politique étrangère, confondant cela avec du travail social.

    L'administration Clinton a fait la promotion de l'intervention de forces américaines à des fins humanitaires en Bosnie et à Haïti. Bien qu'elle ait voulu limiter la participation américaine, et il y avait également la question du Congrès, cela n'était pas incompatible avec ce qu'appuyait l'administration Clinton.

    La plateforme de la sécurité humaine a été critiquée, mais j'ai déjà déclaré publiquement que je n'y vois pas une incompatibilité avec les intérêts canadiens, là où cela est possible. Par ailleurs, sous la bannière de la sécurité humaine, nous avons coopéré plus étroitement avec les États-Unis que précédemment.

    L'autre aspect de la plateforme de la sécurité humaine est qu'elle est discrétionnaire. Ce n'est pas une obligation.

+-

    Mme Anita Neville: J'y vois tout simplement un certain illogisme, compte tenu du leadership au Canada à l'époque et de la nature de l'étroite collaboration telle que vous la décrivez.

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    Pr Joel Sokolsky: Je pense que vous avez absolument raison. Cela avait paru illogique. Les gens écrivaient pour dire que c'était de la diplomatie de sermonnaire et que le Canada ne respectait pas... Mais je pense que notre dossier est éloquent. Nous sommes intervenus, aux côtés des États-Unis, partout dans le monde, pour sauver les gens de leurs propres gouvernements.

    Même au Timor oriental, où il y avait une flotte américaine au large des côtes et nous y sommes entrés avec les Australiens, qu'était-ce? C'était la sécurité humaine. Pourquoi les Américains étaient-ils là? Il y avait l'Indonésie, mais nous n'aurions pas mené à bien le programme de sécurité humaine en l'absence du soutien des Américains.

    Sur le plan intellectuel, la plateforme de la sécurité humaine doit plus à un héritage américain qu'à un héritage canadien. C'est du wilsonianisme; c'est du méliorisme mondial. C'est nous qui avons toujours dit pendant la Guerre froide: «Oubliez ce qui se passe à l'intérieur des pays».

    Voilà donc l'ironie des années Chrétien-Clinton.

    Mme Anita Neville: Merci.

+-

    Le président: Eh bien, j'espère que vous ne ferez pas ce commentaire à Lloyd Axworthy.

    Des voix: Oh! Oh!

+-

    Pr Joel Sokolsky: En fait, c'est déjà fait. J'ai publié un article applaudissant à la plateforme de la sécurité humaine pour son réalisme et son pro-américanisme.

+-

    Le président: Avant de conclure, y a-t-il d'autres questions du côté du parti au pouvoir ou d'un autre parti? Non?

    J'aimerais vous poser quelques petites questions, rapidement, sur l'arsenalisation de l'espace. Comment réagissez-vous à ce qui semble être l'actuelle politique canadienne? Que devrait-on changer à l'intérieur de cette politique à l'avenir, s'il faut changer quelque chose, compte tenu de ce à quoi nous sommes confrontés sur le plan de notre défense nationale antimissile?

+-

    Pr Joel Sokolsky: Nous n'aurions pas de problème pour ce qui est des systèmes basés au sol. Si les États-Unis installaient des systèmes de défense antimissile dans l'espace, dans le contexte actuel, cela mettrait à l'épreuve notre politique de contrôle des armements, mais vu que nous ne sommes pas dans une situation concurrentielle de type guerre froide, je ne pense pas que cela serait forcément déstabilisant.

    Il vous faut vous demander si un drone d'observation sans équipage comme le Predator, qui a également des missiles, serait différent d'un satellite muni de missiles. Tout dépend de là où se trouve le véhicule dans l'atmosphère.

À  -(1055)  

+-

    Le président: Acceptez-vous l'argument selon lequel lorsqu'il y a des pièces d'équipement dans l'espace il faut les protéger? Clairement l'on doit se dire que s'il y avait une faible explosion nucléaire de la terre vers l'espace, cela éliminerait sans doute la quasi-totalité des systèmes de satellites civils que nous avons--qui valent environ 100 milliards de dollars. Cela étant, nous voudrons peut-être prendre des mesures pour protéger ces avoirs.

+-

    Pr Joel Sokolsky: Je partage cette position. Le lieu ne devrait pas déterminer si... Les satellites sont importants pour la stabilité car ils nous permettent de savoir ce qui se passe.

+-

    Le président: Pour ce qui est du PJBD, soit la Commission permanente mixte de défense Canada-États-Unis, entrevoyez-vous de la place pour une réforme possible ou un changement dans le mandat de cet organe, compte tenu des événements des deux dernières années? Allons-nous passer à côté de quelque chose si nous ne revoyons pas son mandat?

+-

    Pr Joel Sokolsky: C'est ici, selon moi, que NORTHCOM et que ce groupe mixte auraient une meilleure vue d'ensemble des relations de défense. À moins que les États-Unis ne soient prêts à rehausser leur évaluation du PJBD et d'y nommer des personnes de rang plus élevé pour lui donner un meilleur accès, je ne pense pas qu'il nous faille trop compter là-dessus.

    La relation structurale s'est toujours faite sur une base bureaucratie à bureaucratie ou service à service. Il sera plus facile pour les forces navales canadiennes et américaines de collaborer à une défense de l'Amérique du Nord que pour la force navale américaine et l'armée américaine de collaborer ensemble à la défense de l'Amérique du Nord. Je ne pense pas que le PJBD...je ne pense pas que cela donne quoi que ce soit de faire cela. Voilà où NORTHCOM interviendrait selon moi.

    Je pense que le gouvernement a fait cela dans le seul but d'éviter la confusion. Comme vous le savez, les commandants d'unités combattantes américaines ont avec eux un conseiller politique--un agent supérieur du service extérieur du rang d'ambassadeur. Nous n'avons pas eu cela avec... Nous avons eu là-bas le DCINC, c'est-à-dire le commandant en chef adjoint, mais il n'y a eu personne du MAECI ou du BCP. Il devrait y avoir au groupe de travail de NORTHCOM un représentant politique de haut rang, tout comme les Américains ont quelqu'un du State Department, afin qu'il y ait un lien direct entre les commandements.

    Bien que j'aie énormément de respect pour les militaires canadiens, il leur arrive parfois de combiner des affaires avec les Américains. Le gouvernement doit savoir ce qui se passe. Pour gérer cela précautionneusement, pour empêcher un malentendu du côté américain, le gouvernement du Canada doit s'assurer de parler d'une seule voix à Colorado Springs. Il lui faut s'assurer que les militaires ne vont pas dire «Nous aimerions faire cela, mais notre premier ministre n'est pas d'accord». Ils ne peuvent pas entendre cela. Il leur faut entendre: «Voici quelle est la politique du gouvernement canadien».

+-

    Le président: J'aimerais, au nom de tous les membres du comité, vous remercier de la passionnante présentation que vous nous avez faite aujourd'hui. Je pense que vous aurez deviné, vu le volume et la variété des questions posées, que vos commentaires ont suscité beaucoup d'intérêt. Bien que vous ne soyez pas le premier invité que nous ayons reçu dans le cadre de notre étude sur la coopération pour la défense entre le Canada et les États-Unis, vous nous avez certainement aidés à franchir un cap important.

    Merci encore de votre présence ici aujourd'hui.

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    Pr Joel Sokolsky: Merci.

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    Le président: La séance est levée.