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NDVA Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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37e LÉGISLATURE, 2e SESSION

Comité permanent de la défense nationale et des anciens combattants


TÉMOIGNAGES

TABLE DES MATIÈRES

Le mardi 4 février 2003




¿ 0910
V         Le président (M. David Pratt (Nepean—Carleton, Lib.))
V         M. Leon Benoit (Lakeland, Alliance canadienne)
V         Le président
V         Pr Martin Rudner (directeur du Canadian Centre of Intelligence and Security Studies, Norman Paterson School of International Affairs, Université Carleton)

¿ 0915

¿ 0920

¿ 0925

¿ 0930
V         Le président
V         M. Leon Benoit

¿ 0935
V         Pr Martin Rudner
V         M. Leon Benoit
V         Pr Martin Rudner
V         M. Leon Benoit
V         Pr Martin Rudner
V         M. Leon Benoit
V         Pr Martin Rudner
V         M. Leon Benoit
V         Pr Martin Rudner
V         M. Leon Benoit
V         Pr Martin Rudner
V         M. Leon Benoit
V         Pr Martin Rudner
V         M. Leon Benoit
V         Pr Martin Rudner

¿ 0940
V         Le président
V         M. David Price (Compton—Stanstead, Lib.)
V         Pr Martin Rudner
V         M. David Price
V         Pr Martin Rudner
V         M. David Price
V         Pr Martin Rudner
V         M. David Price
V         Pr Martin Rudner

¿ 0945
V         M. David Price
V         Pr Martin Rudner
V         M. David Price
V         Pr Martin Rudner

¿ 0950
V         Le président
V         M. Claude Bachand (Saint-Jean, BQ)
V         Pr Martin Rudner

¿ 0955
V         M. Claude Bachand
V         Le président
V         M. Claude Bachand
V         Pr Martin Rudner

À 1000
V         Le président
V         M. Joe McGuire (Egmont, Lib.)
V         Pr Martin Rudner
V         M. Joe McGuire
V         Pr Martin Rudner

À 1005
V         M. Joe McGuire
V         Pr Martin Rudner
V         M. Joe McGuire
V         Pr Martin Rudner
V         M. Joe McGuire
V         Pr Martin Rudner
V         M. Joe McGuire
V         Pr Martin Rudner

À 1010
V         Le président
V         M. Peter Stoffer (Sackville—Musquodoboit Valley—Eastern Shore, NPD)
V         Pr Martin Rudner
V         M. Peter Stoffer
V         Pr Martin Rudner
V         M. Peter Stoffer
V         Pr Martin Rudner

À 1015
V         M. Peter Stoffer
V         Le président
V         M. Peter Stoffer
V         Pr Martin Rudner

À 1020
V         Le président
V         M. Dominic LeBlanc (Beauséjour—Petitcodiac, Lib.)
V         Pr Martin Rudner

À 1025

À 1030
V         Le président
V         Mme Elsie Wayne (Saint John, PC)
V         Pr Martin Rudner

À 1035
V         Mme Elsie Wayne
V         Le président
V         M. Janko Peric (Cambridge, Lib.)
V         Pr Martin Rudner

À 1040
V         M. Janko Peric
V         Le président
V         M. Claude Bachand

À 1045
V         M. Martin Rudner

À 1050
V         M. Claude Bachand
V         Pr Martin Rudner
V         Le président
V         M. Ivan Grose (Oshawa, Lib.)
V         Pr Martin Rudner
V         M. Ivan Grose
V         Pr Martin Rudner
V         M. Ivan Grose
V         Le président
V         M. Joe McGuire
V         Pr Martin Rudner

À 1055
V         M. Joe McGuire
V         Le président
V         Mme Anita Neville (Winnipeg-Centre-Sud, Lib.)
V         Pr Martin Rudner
V         Le président

Á 1100
V         Pr Martin Rudner
V         Le président
V         M. Joe McGuire
V         Le président
V         Pr Martin Rudner

Á 1105
V         Le président
V         Le président
V         M. Peter Stoffer
V         Le président
V         M. Peter Stoffer
V         Le président
V         M. Peter Stoffer
V         Le président










CANADA

Comité permanent de la défense nationale et des anciens combattants


NUMÉRO 008 
l
2e SESSION 
l
37e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 4 février 2003

[Enregistrement électronique]

¿  +(0910)  

[Traduction]

+

    Le président (M. David Pratt (Nepean—Carleton, Lib.)): Je déclare ouverte la présente séance du Comité permanent de la défense nationale et des anciens combattants.

    Avant de passer au sujet à l'ordre du jour, je voudrais souhaiter officiellement la bienvenue aux nouveaux membres du comité. Les députés du gouvernement trouvent le comité intéressant. J'ose dire, pour ceux d'entre nous qui siègent au comité depuis quelque temps, que le fait de venir ici pour entendre des témoins et s'entretenir avec eux constitue le point saillant de notre journée.

    Je souhaite aussi la bienvenue à notre nouveau secrétaire parlementaire, Dominic LeBlanc, qui succède à M. John O'Reilly, qui a rendu des services inestimables au cours des dernières années. Dominic, nous te souhaitons bonne chance dans tes nouvelles responsabilités.

    Je crois savoir que M. Stoffer fera une déclaration à la fin de la séance.

+-

    M. Leon Benoit (Lakeland, Alliance canadienne): Démissionne-t-il?

+-

    Le président: Je n'anticiperai pas ce que M. Stoffer a à dire.

    Peut-être pouvons-nous passer maintenant à notre témoin. Nous avons avec nous M. Martin Rudner, qui est directeur du Canadian Centre of Intelligence and Security Studies, à la Norman Paterson School of International Affairs.

    Monsieur Rudner, vous êtes très bien connu dans votre domaine. Nous vous remercions d'avoir accepté de venir témoigner, à court préavis, afin de partager avec nous votre point de vue en ce qui concerne notre étude des relations canado-américaines et des divers aspects de ces relations.

    Monsieur Rudner, je vous cède la parole.

+-

    Pr Martin Rudner (directeur du Canadian Centre of Intelligence and Security Studies, Norman Paterson School of International Affairs, Université Carleton):

    Je vous remercie beaucoup, monsieur le président. C'est un honneur et un privilège pour moi de témoigner aujourd'hui devant le comité. En ce rigoureux mois de février, je souhaite partager avec vous ce matin certains faits ayant trait au renseignement dans le cadre de l'étude que le comité a amorcée. J'examinerai la relation canado-américaine dans le domaine du renseignement—le renseignement étranger et le renseignement de sécurité, les deux types de renseignement auxquels contribue le Canada en collaboration avec d'autres pays, en particulier avec les États-Unis, bien sûr.

    Les membres du comité ont reçu ce matin un document que j'ai rédigé. Ce document est fondé sur une étude que je viens de terminer, mais qui n'a pas encore été publiée. L'étude porte sur le rôle du Canada dans le domaine du renseignement. Elle sera publiée ultérieurement. Je vais aborder un certain nombre des questions saillantes, en insistant sur le lien avec les États-Unis dans le domaine du renseignement.

    Les relations internationales du Canada dans le secteur du renseignement peuvent être divisées en trois niveaux: les relations multilatérales, plurilatérales et bilatérales. Bien sûr, notre lien avec les États-Unis est très important à chacun de ces niveaux, mais chacun d'entre eux a une fonction différente. Je vais les passer brièvement en revue afin que nous puissions constater la complexité du lien que nous entretenons avec les États-Unis en particulier et avec la communauté internationale en vue de satisfaire nos besoins en matière de renseignement, et j'insiste sur nos besoins.

    En passant, permettez-moi de signaler que le terme renseignement englobe l'information et les connaissances. Nous parlons de renseignement lorsque l'information et les connaissances sont obtenues de façon clandestine, c'est-à-dire sans avoir nécessairement obtenu l'accord de la source. C'est pourquoi les sources et les méthodes doivent être gardées secrètes.

    On dit que 95 p. 100 du renseignement est de source ouverte. En fait, il est issu d'une analyse très détaillée d'information de source ouverte. Les 5 à 10 p. 100 restants sont des secrets que nos ennemis ou nos adversaires veulent nous cacher. Ces secrets concernent deux éléments, à savoir leurs intentions et leurs capacités—leurs intentions de nous attaquer ou d'attaquer nos alliés et amis et leurs capacités de mettre en oeuvre ces attaques. Le renseignement est donc la gestion des connaissances ou de l'information.

    Nous faisons partie d'un réseau complexe de relations. Permettez-moi de les passer brièvement en revue.

    Au niveau multilatéral, nous contribuons principalement à ce qu'on appelle le renseignement d'origine électromagnétique, qui est un terme recherché concernant notre capacité d'obtenir de l'information par l'entremise de technologies électroniques, dont la radio, Internet ou les télécommunications. Même les signaux émis par les ordinateurs peuvent fournir aux capteurs de l'information détaillée. Nous avons la capacité de décoder l'information codée et chiffrée. Ainsi, nous pouvons comprendre les communications.

    Comme nous le savons tous, le renseignement d'origine électromagnétique a contribué de façon primordiale à notre victoire lors de la Seconde Guerre mondiale. Son importance est tout aussi grande aujourd'hui. À l'heure actuelle, la plupart de l'information que nous détenons à propos d'Al-Qaïda a été obtenue grâce à notre capacité d'intercepter les communications électroniques de ce groupe. Permettez-moi de vous donner un exemple de la complexité qui peut parfois exister.

    Il y a environ deux ans, un membre du Congrès américain a déclaré par erreur que les États-Unis étaient capables de suivre la trace d'Oussama ben Laden et même d'intercepter ses appels téléphoniques à sa mère. Ce membre du Congrès était tenu au secret, mais il a fait ce qu'il croyait être, je pense, une déclaration de fierté, mais peut-être désinvolte. En effet, il a ainsi transmis un message à Oussama ben Laden, qui a dès lors cessé d'utiliser son téléphone cellulaire pour parler à sa mère. Comme vous pouvez l'imaginer, cela a empêché les Américains d'intercepter pendant un moment les communications d'Al-Qaïda et de connaître son intention et ses capacités.

¿  +-(0915)  

    Plus récemment, nous avons appris qu'Al-Qaïda communique à l'aide d'un moyen de communication électronique très complexe, à savoir la stéganographie, qui permet, par exemple, d'intégrer quelques octets de code dans une pièce musicale ou une image. Cette intégration ne déforme pas la mélodie ni l'image qu'on envoie par Internet. Chaque jour, un milliard de fichiers audio ou vidéo sont envoyés par des jeunes et d'autres personnes. L'alliance dont nous faisons partie a la capacité de non seulement intercepter ces fichiers, mais de repérer et décoder ces messages codés. Il s'agit d'une technique extrêmement complexe.

    De quelle alliance s'agit-il? Il s'agit d'une alliance qui est toujours officiellement secrète, qui date de plus de cinquante ans et dont font partie le Canada, les États-Unis, le Royaume-Uni, l'Australie et la Nouvelle-Zélande. Ces pays ont non seulement la capacité de recueillir du renseignement d'origine électromagnétique partout dans le monde, mais ils entretiennent aussi des liens très étroits et partagent toute l'information qu'ils captent sur les ondes, pour ainsi dire. Ces pays travaillent ensemble au sein d'une alliance, et ils assurent une surveillance des communications de presque tous les coins de la planète. Ils possèdent des ordinateurs capables de déchiffrer les messages cryptés ou codés et ils fournissent du renseignement provenant des communications de groupes comme Al-Qaïda et d'autres entités du réseau de terroristes.

    Il est important que le comité comprenne que le Canada prend part à cette alliance depuis plus de cinquante ans, mais à l'origine les États-Unis ne voulaient pas notre présence. D'après les historiens, les États-Unis doutaient que le Canada ait une contribution à apporter. Après tout, quelle était notre capacité de recueillir de l'information et de la partager? Ce sont les Britanniques qui ont mis sur pied ou qui ont tenté de mettre sur pied, immédiatement après la guerre, un accord au sein des pays du Commonwealth auquel devait prendre part le Royaume-Uni, le Canada, l'Australie et la Nouvelle-Zélande. Les Britanniques ont signé l'accord avec les États-Unis, qui ont également signé au nom du Canada. C'est de cette façon que nous sommes devenus une partie à l'accord.

    Le Canada s'est en fait avéré être très utile dans la collecte et la fourniture d'information, principalement dans les installations de collecte d'information, qui étaient situées de façon très stratégique dans le nord et dans l'ouest et qui, durant la guerre froide, permettaient de surveiller la région arctique et l'extrême est de l'Union soviétique ainsi que le nord-est de la Chine. En regardant le globe terrestre, on peut constater l'importance stratégique de ces régions de l'ancienne Union soviétique pour la sécurité nord-américaine. Si les Soviétiques avaient lancé des missiles ou des bombes, ces engins auraient passé par l'Arctique. Dans le cadre de nos tâches en matière d'alerte rapide, nous devions découvrir les intentions et les capacités des Soviétiques de l'Arctique qui constituaient une menace pour l'ensemble de l'Amérique du Nord, y compris le Canada, bien sûr. Nous sommes donc devenus une très importante partie de l'alliance.

    Cette alliance existe encore aujourd'hui et elle possède l'une des meilleures capacités au sein du monde démocratique d'effectuer un suivi des capacités et des intentions des terroristes. Par exemple, nous devons non seulement savoir si les terroristes planifient une attaque et quand elle est prévue, mais nous devons aussi surveiller la circulation des fonds. La circulation internationale des fonds ne se résume plus en majeure partie au transfert de lingots d'or d'une banque à une autre. Presque toutes les transactions sont effectuées électroniquement. Le renseignement d'origine électromagnétique ne vise pas seulement les communications verbales ou celles qui ont lieu dans le cyberespace, mais aussi celles qui ont lieu par l'entremise de systèmes bancaires. Ces informations sont très importantes pour poursuivre les efforts de lutte contre le terrorisme.

    L'information sur le vol d'identité, par exemple, est aussi importante. L'un des plus grands problèmes auxquels sont confrontés les pays démocratiques aujourd'hui est l'accès par des terroristes à des documents pouvant leur permettre de passer les frontières dans l'anonymat presque total en volant l'identité de personnes innocentes, notamment des Canadiens. Bien sûr, un des moyens de contrôler ce problème, est de doter presque tous les bureaux d'immigration dans le monde d'un terminal qui permet de valider les passeports. Mais pour ce faire, il faut des bases de données actuelles auxquelles on peut avoir accès instantanément de partout dans le monde et qui sont mises à jour instantanément selon les dernières informations. Découvrir les vols d'identité est une des activités du renseignement d'origine électromagnétique.

¿  +-(0920)  

    Passons maintenant au niveau plurilatéral. À ce niveau, le Canada collabore avec des pays d'optique commune. Il existe de nombreux groupes, mais aucun d'entre eux n'a été officiellement confirmé et même leurs noms sont des noms de code. Tous les renseignements qui figurent dans le document que je vous ai transmis proviennent de sources ouvertes, mais au fil du temps, certains de ces noms finissent par se savoir. Il ne fait aucun doute dans mon esprit que, une fois que les noms sont connus, ils sont modifiés. Un groupe dans les années 70 qui s'appelait Kilowatt, ne porte probablement plus le même nom, mais c'est le nom qui a été rendu public, et c'est par ce nom que nous connaissons le groupe.

    Kilowatt a pris naissance en Europe. À la fin des années 60 et au début des années 70, les Européens étaient confrontés à un accroissement du terrorisme en Allemagne, en Grande-Bretagne, aux Pays-Bas, en Belgique, en France et en Italie, où des premiers ministres, des gens d'affaires et des parlementaires ont été tués. Les terroristes s'en prenaient aussi à la collectivité. Les Européens ont formé un groupe qui s'appelle TREVI—dont les lettres signifient Terrorisme, Radicalisme, Extrémisme et Violence Internationale— dont le but est de partager le renseignement. Comme les terroristes venaient d'un peu partout dans le monde, les services de renseignement et les organismes d'application de la loi sont devenus internationaux. Les terroristes ne pouvaient plus trouver refuge de l'autre côté d'une frontière et planifier leurs attaques à partir d'un tiers pays. Au début des années 70, un autre groupe a été formé pour faire face à l'intensification du terrorisme arabe. Le Canada s'est joint à ce groupe, qui s'appelait alors Kilowatt.

    Un troisième groupe a été formé pour faire face au terrorisme non arabe, comme le terrorisme basque. Ce groupe s'appelait Megaton. Beaucoup plus tard, un quatrième groupe a été mis sur pied pour se pencher sur la circulation de fonds entre les terroristes. Ce groupe s'appelait Egmond—ce nom est officiel, car les Hollandais l'ont révélé dans leur rapport annuel à l'agence hollandaise du renseignement.

    Ces groupes sont en fait des bases de données. Lorsque le Canada, par l'entremise de nos organismes d'application de la loi et nos services du renseignement, obtient de l'information à propos des intentions et des capacités des terroristes, cette information est entrée dans ces banques de données. Si l'intention est d'attaquer la Grande-Bretagne, par exemple, les Britanniques auraient accès, au même titre que tout autre pays, à cette information en tant qu'alerte rapide à propos d'une attaque terroriste prévue dans leur pays.

    Parmi ces groupes, il existe un groupe spécial appelé CAZAB. Ce nom est officiel, quoique le groupe n'est peut-être pas connu sous ce nom. Il est formé du Canada, de l'Australie, de la Nouvelle-Zélande, de l'Amérique et de la Grande-Bretagne. Les dirigeants des services du renseignement de sécurité, dans notre cas, le SCRS, des pays membres du groupe se réunissent annuellement pour partager de l'information stratégique, de l'information de planification ainsi que de l'information actuelle. C'est le volet humain de l'alliance concernant le renseignement d'origine électromagnétique. C'est la plus étroite de nos relations internationales.

    En ce qui concerne le renseignement de sécurité et le renseignement d'origine électromagnétique, bien que nous collaborons de très près avec les Australiens, les Néo-Zélandais et les Britanniques, il ne fait aucun doute que la majeure partie du renseignement, du point de vue du Canada, est transmis du sud au nord. Les États-Unis sont sans doute ceux qui recueillent le plus d'information dans le monde, car ils détiennent des intérêts partout sur la planète. Ils possèdent la plus grande communauté du renseignement en termes de moyens. Ils possèdent des moyens de recueillir de l'information depuis l'espace jusqu'au fond de l'océan. Ils peuvent repérer et intercepter de l'information d'importance tactique ou stratégique pour eux. Grâce aux alliances dont nous faisons partie, nous avons accès à cette information. En fait, presque toute l'information est partagée. C'est comme si nous pouvions nous connecter à leur base de savoir et obtenir l'information dont le gouvernement du Canada a besoin à des fins stratégiques.

¿  +-(0925)  

    Et troisièmement, on compte une variété de relations bilatérales. Dans les rapports officiels portant sur notre communauté du renseignement, on estime à quelque 140 le nombre de ces relations bilatérales entre notre communauté du renseignement et celle d'autres pays. La plupart concernent des questions d'immigration et notre capacité d'obtenir de l'information sur les personnes qui prévoient séjourner ou immigrer au Canada et de nous assurer, d'un point de vue de sécurité, que les allées et venues de ces personnes ne constituent pas une menace pour la sécurité du Canada. Évidemment, une composante très importante du renseignement de sécurité, c'est de s'assurer de la bonne foi des gens qui viennent au Canada.

    Mais comme vous pouvez l'imaginer, nos relations bilatérales comportent également une dimension antiterroriste très importante. Pour la première fois de notre histoire, nous partageons maintenant des renseignements avec des pays avec lesquels les démocraties auraient trouvé impensable de le faire jusqu'ici. On pense à des pays du Moyen-Orient qui ont été reconnus, notamment dans la presse internationale, comme la Syrie, l'Égypte, la Jordanie, la Libye et l'Iran, qui possèdent certains avantages lorsqu'il s'agit d'infiltrer les réseaux terroristes.

    Pour des raisons qui leur appartiennent, ces pays ont pénétré les réseaux terroristes et possèdent des renseignements qu'ils sont prêts à partager avec les États-Unis, malgré l'hostilité qu'ils entretiennent à son égard. Par exemple, le président de la Syrie s'est plaint publiquement il y a huit ou neuf mois du fait que la Syrie ne recevait pas, de la part des États-Unis, tout le crédit qui lui revenait pour les renseignements qu'elle fournissait à ce pays. Les Syriens n'aiment pas les États-Unis avec qui les points de désaccord sont nombreux, mais il y a une convergence d'intérêts au sujet du terrorisme et, en particulier, du terrorisme lié au réseau d'Al-Qaïda. Alors, aujourd'hui, nous pratiquons le partage de renseignements avec une grande variété de pays.

    Dans le document que j'ai présenté, il est fait état de certains des différents types de renseignements recherchés ainsi que des questions qui se posent. Premièrement, comment reconnaître des cellules terroristes? Certains pays possèdent ce que nous pouvons appeler un avantage ethno-culturel pour infiltrer Al-Qaïda et son réseau plus vaste. Certains pays ont des avantages en matière d'interrogation. Parfois, l'interrogation peut être rigoureuse ou même brutale, mais pas toujours. Certains des avantages peuvent provenir des caractéristiques culturelles—la langue, la religion—, ce qui vous permet d'inciter plus facilement les gens à dévoiler l'information qu'ils possèdent. Souvent, il ne s'agit pas tant de faire parler les gens que de faire en sorte que les gens qui font partie de ces réseaux terroristes deviennent des agents, parce que la seule façon de réussir la lutte antiterroriste, c'est d'avoir des agents de renseignement au sein de ces organisations. Ainsi, nous participons maintenant à une nouvelle activité qui consiste à partager des renseignements à un niveau bilatéral.

    Mon dernier mot portera sur les succès et les échecs. Est-ce que ce réseau de renseignement auquel participe le Canada au niveau plurilatéral, multilatéral et bilatéral produit des renseignements qui sont utiles pour assurer la sécurité du Canada contre les menaces terroristes? Les données indiquent qu'il y a eu des succès et des échecs. Parmi les succès, nous pouvons citer la capture d'un terroriste qui planifiait, à partir du Canada, une attaque contre l'aéroport international de Los Angeles. Cet individu a été arrêté, jugé coupable et il purge maintenant sa peine de prison.

    Des renseignements obtenus aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur de la Grande-Bretagne ont permis à ce pays d'arrêter des terroristes dont un ou deux ont été accusés d'avoir participé à une tentative pour répandre le poison ricin dans des installations militaires britanniques et dans d'autres installations. Et au cours du dernier mois, l'Espagne, la France et l'Italie ont réussi à capturer des éléments très importants d'un réseau terroriste qui préparait des attaques en Europe et au Royaume-Uni. Dans tous ces cas, il y a eu échange de renseignements entre les communautés du renseignement.

    Singapour a publié un rapport décrivant les réseaux et les cellules terroristes du Sud-Est asiatique qui avaient planifié des attaques terroristes sur son territoire depuis des bases situées en Indonésie et au Malaysia et à partir de bases de préparation situées en Thaïlande. Encore une fois, le partage de renseignements à l'échelle internationale a permis d'atténuer les conséquences de ces attaques et de procéder à l'arrestation des coupables, dont une personne qui portait un passeport canadien et qui est maintenant interrogée aux États-Unis.

¿  +-(0930)  

    Ces derniers temps, ces types de réseau de renseignement nous ont permis d'enregistrer des succès et de prévenir des attaques très sérieuses qui auraient pu coûter des milliers de vie humaines. Mais il y a également eu des échecs attribuables à des problèmes aussi bien de partage que de collecte de renseignements. Bali en est un exemple, de même que le camion qu'Al-Qaïda a fait exploser près de l'ancienne synagogue de Djerba, en Tunisie, tuant plus de 10 touristes allemands. L'attaque du pétrolier français à Bab-el-Mandeb, au Yémen, est un autre exemple d'échec au niveau du partage et de l'utilisation du renseignement.

    Ainsi, nos relations avec les États-Unis sont cruciales pour la capacité du Canada à recueillir des renseignements et à fonctionner au niveau international dans ce domaine. Là où nos dispositifs en matière de partage de renseignements au niveau international ont bien fonctionné, nous avons enregistré des succès évidents en parvenant à interrompre des activités terroristes. Lorsque le partage de renseignements a été moins efficace, les données indiquent que le prix à payer pour les attaques terroristes qui ont réussi a été très élevé.

    Merci beaucoup de votre attention. Je suis à vous pour répondre à vos questions et pour discuter.

+-

    Le président: Professeur Rudner, j'aimerais vous remercier au nom du comité de votre exposé très instructif et du document que vous nous avez présenté.

    Comme d'habitude, nous allons débuter les questions avec M. Benoit.

+-

    M. Leon Benoit: Merci d'être ici aujourd'hui, professeur.

    Votre exposé et votre présence ici à titre de témoin font partie d'une étude sur la relation militaire entre le Canada et les États-Unis. La semaine dernière, on a rapporté que le gouvernement canadien envoyait des espions aux États-Unis pour aider à organiser des manifestations contre la guerre. Que cela soit vrai ou faux, nous ne le savons pas. Nous ne le saurons probablement pas avant un certain temps, si jamais nous finissons par le savoir. Mais si les Américains croyaient que c'était vrai, que pourraient-ils faire et quelles répercussions cela pourrait-il avoir sur le partage de renseignements entre le Canada et les États-Unis?

¿  +-(0935)  

+-

    Pr Martin Rudner: Que je sache, monsieur Benoit, ce n'est pas le gouvernement du Canada qui a été soupçonné d'avoir envoyé des espions, mais l'ambassade d'Irak.

+-

    M. Leon Benoit: Ce fait n'était pas clair. Il aurait pu s'agir de quelqu'un de l'ambassade d'Irak, mais il aurait aussi pu s'agir de quelqu'un qui vient...

+-

    Pr Martin Rudner: La question était que l'ambassade d'Irak, en tant qu'ambassade, a fait le nécessaire pour envoyer des agents provocateurs aux États-Unis dans le but de stimuler l'activité contre la guerre et peut-être aussi pour se livrer à des activités d'espionnage concernant les efforts militaires américains dirigés contre l'Irak.

    Franchement, je ne serais pas surpris que l'ambassade d'Irak l'ait fait—et cette remarque ne s'adresse pas à l'Irak en particulier. Tout pays qui est dans un état d'hostilité ou de quasi hostilité avec un autre n'hésitera pas à utiliser ses ambassades comme une ressource pour le renseignement et on peut s'attendre que l'Irak et peut-être aussi d'autres pays fassent de la collecte de renseignements.

    Pour moi, la véritable question n'est pas de savoir si l'Irak l'a fait ou non. Je soupçonne qu'elle l'a fait. C'est pourquoi il y a une ambassade. La question est de savoir si le Canada...

+-

    M. Leon Benoit: ... aurait dû les arrêter.

+-

    Pr Martin Rudner ... par l'entremise de sa communauté du renseignement de sécurité, était au courant de cet activité des Irakiens et la surveillait.

    Dans le domaine du renseignement, on ne veut pas toujours procéder à des arrestations. Disons qu'ici l'idée, c'est qu'on préfère filer les suspects que de les ficeler, parce que si vous les filez, vous les contrôlez et vous pouvez savoir à quoi ils s'intéressent et ce qu'ils font. Je suppose que le Service canadien du renseignement de sécurité a tout ce qu'il faut pour surveiller les activités d'une ambassade hostile au Canada, y compris les efforts qu'elle déploie contre nos amis et nos alliés.

    Et les États-Unis s'attendent exactement à cela du Canada. Alors, pour moi, la question—qui, de toute évidence, ne recevra jamais de réponse—est la suivante: le SCRS était-il au courant, quand a-t-il été mis au courant et a-t-il partagé cette information avec les États-Unis? En tant que professeur, je n'ai pas accès à ce type d'information, mais d'après ce que nous avons vu et d'après ce que mes recherches m'ont révélé au sujet de nos relations étroites, je présume que oui, le SCRS était au courant, et si le SCRS était au courant, alors, oui, nous avons sans doute partagé cette information.

+-

    M. Leon Benoit: Alors, la remarque faite par... j'ai oublié qui, aux États-Unis...

+-

    Pr Martin Rudner: C'était le journal Newsday.

    Une voix: [Note de la rédaction: inaudible]

+-

    M. Leon Benoit: Non, je pense que la remarque venait d'un haut fonctionnaire américain.

+-

    Pr Martin Rudner: Je pensais que c'était un journaliste qui avait obtenu l'information—ou, du moins, c'est ce qu'il a dit—à partir des dossiers du Department of Homeland Security.

+-

    M. Leon Benoit: Exact, et c'est la source de cette information qui allait faire l'objet de ma prochaine question. Les Américains pourraient avoir de nombreuses raisons de vouloir faire des commentaires sur les manifestations contre la guerre et de dire que les instigateurs viennent d'ailleurs.

    En termes de renseignements canadiens et du rôle du Centre de sécurité des télécommunications dans le domaine du renseignement, pourriez-vous juste nous expliquer un peu comment ces éléments s'agencent ensemble, et particulièrement dans l'optique des relations Canada-États-Unis? J'aimerais ensuite que vous nous parliez de la question de la surveillance du CST. La surveillance de cet organisme est assurée uniquement par un commissaire nommé, tandis que pour le SCRS, par exemple, la surveillance incombe à un Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité, qui est un organisme formé de trois personnes nommées. Je pense qu'il y a une différence considérable entre les deux. Pouvez-vous élaborer davantage sur cette question?

+-

    Pr Martin Rudner: Le mandat de la CST est de rassembler des renseignements étrangers à partir de signaux électromagnétiques, y compris les signaux de télécommunication et les autres formes de signaux rayonnés. Par exemple, à une époque plus lointaine, les stations radar soviétiques et leurs signaux auraient été captés et analysés par le CST. Le CST travaille en très étroite collaboration avec les États-Unis, la Grande-Bretagne, l'Australie et la Nouvelle-Zélande pour ce qui est du partage et de l'analyse des renseignements obtenus grâce à ces signaux.

    Jusqu'à l'adoption du projet de loi C-36, le CST n'avait pas le droit d'intercepter les échanges de messages faisant intervenir un citoyen canadien.

+-

    M. Leon Benoit: Mais il le faisait. Je pense que c'est assez clair.

+-

    Pr Martin Rudner: Oh non, il ne le faisait pas. Nous avons le témoignage du juge qui est responsable en qualité de commissaire du CST...

+-

    M. Leon Benoit: Le commissaire, oui.

+-

    Pr Martin Rudner: ... que cela ne se faisait pas. Mais maintenant, le Centre en a l'autorité, pourvu que ce soit en liaison avec le terrorisme et qu'il ne s'agisse pas d'un citoyen canadien, mais que le signal provient du Canada. Par exemple, si quelqu'un qui appartient au réseau Al-Qaïda est sur le territoire canadien et qu'il envoie un courriel, pour les besoins de la discussion, au Pakistan, ce message peut aujourd'hui être intercepté. Si c'est Martin Rudner qui envoie le message au Pakistan et même s'il utilise le mot «Al-Qaïda», le CST ne peut pas légalement intercepter ce message.

    La surveillance, l'instance qui surveille le CST, c'est le commissaire du CST, qui est un juge. Il publie un rapport annuel. Dans son rapport annuel, on trouve trois choses qui intéressent le présent comité.

    La première chose, c'est le produit du CST. Le commissaire du CST a dit que l'an dernier, le produit du CST s'élevait, si ma mémoire est fidèle, à 150 000 rapports transmis au gouvernement du Canada sur des menaces et des questions liées à des menaces qui ont été interceptées. À mon sens, il s'agit d'une production massive.

    Deuxièmement, le commissaire du CST a donné l'assurance qu'il n'y a eu aucune violation de la loi canadienne. Cela ne concerne pas l'interception. C'était avant le projet de loi C-36, avant la Loi antiterroriste. Cela ne concernait pas l'interception de communications de citoyens canadiens, ce qui comprend les personnes, les entreprises et les organismes.

    Troisièmement, et ce qui est très important à mes yeux, le commissaire du CST a donné l'assurance que nous n'avons pas recours à nos alliés pour intercepter des messages de Canadiens d'une manière qui serait illégale pour le CST lui-même. Par exemple, vous n'avez pas le genre de situation où le CST ne pouvant intercepter les messages des Canadiens, peut quant même avoir accès à l'information, parce que peut-être les Australiens, eux, peuvent le faire et qu'ils peuvent ensuite partager cette information avec le CST; et les Australiens n'ont pas l'autorisation d'intercepter des messages de citoyens australiens en faisant en sorte que ce soit le CST qui le fasse à leur place. Le commissaire du CST nous donne l'assurance explicite que tel n'est pas le cas.

¿  +-(0940)  

+-

    Le président: Je vais devoir vous interrompre, professeur Rudner, parce que M. Benoit a largement dépassé le temps qui lui était accordé.

    Nous allons maintenant donner la parole à M. Price.

+-

    M. David Price (Compton—Stanstead, Lib.): Professeur, merci beaucoup d'être ici aujourd'hui. Je vais continuer exactement dans la même veine.

    J'ai quelques autres questions, mais est-ce que vous dites que l'information recueillie ici, disons, sur un citoyen américain, ne peut être partagée avec les Américains?

+-

    Pr Martin Rudner: Disons ceci. Si le Canada interceptait une communication d'un Américain qui portait sur des questions qui concernent le Canada, nous intercepterions certainement cette communication et elle deviendrait du renseignement pour le gouvernement du Canada. Ce que nous ne pouvons pas faire, c'est accepter d'être chargé par l'Agence de sécurité nationale des États-Unis—c'est ce que je comprends des propos du commissaire du CST—de mener des activités d'interception des messages des citoyens américains, parce que cela violerait ce principe

    Et incidemment, un autre principe que nous avons, c'est de ne pas nous espionner mutuellement. Cela fait partie de l'alliance et un principe fondamental de toutes ces ententes internationales, c'est que le Canada et, dans ce cas-ci, les États-Unis, ne se livrent pas à des activités de renseignement l'un contre l'autre. Alors, ordinairement, le CST n'intercepterait pas des signaux en provenance des États-Unis. Maintenant, si par hasard le Canada interceptait un message américain envoyé, disons, par un ressortissant américain en Grande-Bretagne qui communique avec quelqu'un, disons, pour les besoins de la discussions, en Arabie saoudite, et que cette communication concerne la sécurité du Canada et la lutte contre le terrorisme, cela constituerait du renseignement pour le gouvernement du Canada. Mais non, nous ne menons pas d'activités de renseignement dirigées contre les États-Unis.

+-

    M. David Price: Qu'arriverait-il si cette communication concernait la sécurité des États-Unis; serait-elle transmise à ce pays?

+-

    Pr Martin Rudner: Oui, mais nous n'aurions pas été chargés de le faire.

+-

    M. David Price: Non, ce ne serait pas quelque chose qui a été demandé, ce serait un accident.

+-

    Pr Martin Rudner: Et nous ne mènerions pas non plus des activités aux États-Unis ou contre les États-Unis.

+-

    M. David Price: Merci.

    J'ai une question concernant le Department of Homeland Security. Si nous regardons tous les groupes, tous les autres services gouvernementaux que cet organisme tente de réunir, nous savons que la plupart d'entre eux ont, dans le passé, éprouvé des difficultés lorsqu'il s'est agi de partager de l'information. Nous savons également que le Canada a eu une participation dans certains de ces groupes et qu'il a partagé des renseignements. En regroupant tous ces organismes dans une même entité, les Américains vont filtrer leur information beaucoup plus soigneusement qu'avant, ils vont regarder les choses attentivement. Est-ce que vous pensez que le Canada se verra privé des renseignements que nous partagions avant avec ce pays?

+-

    Pr Martin Rudner: Juste pour que ce soit clair, est-ce que vous parlez de l'exportation ou de l'importation de renseignements, si je peux m'exprimer ainsi? S'agit-il de renseignements que nous obtenons ou de renseignements que nous...

¿  +-(0945)  

+-

    M. David Price: Je parle des deux. Les contrôles à la frontière viennent tout de suite à l'esprit—et la question mérite qu'on s'y arrête un peu.

    Sur le plan des contrôles à la frontière, nous savons que nous avons été incapables de partager directement les bases de données, mais il existe tout de même un échange à la frontière, de vive voix. Les agents de part et d'autre de la frontière se parlent: «Pourriez-vous vérifier ce gars-là pour nous?» Nous n'avons pas d'accès direct aux données, mais des échanges ont lieu régulièrement depuis longtemps. Le Département de la sécurité intérieure va-t-il imposer des contraintes sur ce genre d'échange?

+-

    Pr Martin Rudner: Pour être honnête, je crois qu'il faut faire une distinction entre trois domaines du renseignement, distincts parce que c'est ainsi que les traitent les deux pays. Il y a donc le renseignement de sécurité, les renseignements concernant le respect des lois et d'autres renseignements publics qui, au Canada et aux États-Unis, sont protégés par des lois de respect de la vie privée.

    En ce qui concerne la collecte d'information sur les menaces, je ne crois pas que nous hésitions à partager les renseignements électromagnétiques et les renseignements de sécurité dans le cadre actuel des arrangements pris avec les États-Unis. Le renseignement concernant le respect de la loi est légèrement différent et un peu plus épineux, parce qu'aux États-Unis, il est partagé avec différentes compétences, mais il existe toujours des contraintes d'ordre juridique et en rapport avec le respect de la vie privée quant au genre d'information qui peut être partagé par les organismes d'application de la loi.

    D'autres formes de renseignements—sur les voyageurs, la santé, les finances et ainsi de suite—sont secrets dans les deux pays, ce qui soulève d'importants points. Ceux qui s'occupent de la sécurité et du renseignement tentent actuellement de faire valoir qu'on a en fait besoin d'un réseau plus étendu de renseignement parce que les terroristes sont intégrés à la société. Il n'y a pas de plaque à leur porte annonçant qu'ils sont des terroristes. Il faut pouvoir assembler de l'information de différentes provenances pour repérer tout le réseau. Cela pourrait engager des renseignements qui jusqu'ici étaient considérés comme étant des renseignements relevant de la vie privée. Comme ils doivent la partager, les milieux du renseignement de sécurité ne sont pas à l'aise avec ce genre d'information, pour diverses raisons.

    Je vous répondrai donc que nous ne faisons que commencer à définir les principes du partage. Auparavant, le partage était plutôt aisé. Il existait trois limites à ne pas dépasser, mais elles sont devenues floues. La meilleure façon de régler ce problème sera de confier, selon moi, les décisions que nous prenons à des comités et à d'autres qui en examineront les répercussions éthiques, juridiques et opérationnelles.

+-

    M. David Price: Vous avez mentionné tout à l'heure quelque chose au sujet du caractère multiculturel du Canada, ce qui nous donne certains avantages. Je vais vous poser la question directement. Selon vous, étant donné ces avantages, faudrait-il que le Canada ait son propre service de renseignement étranger?

+-

    Pr Martin Rudner: Il faut que le Canada ait la capacité de réunir et d'analyser des renseignements étrangers. Nous avons à la fois des intérêts et des objectifs internationaux. Cela signifie qu'il faut disposer d'un moyen de réunir de l'information concernant notre sécurité, notre politique étrangère ainsi que nos objectifs et nos intérêts.

    J'ajoute cependant que nous avons déjà un organisme de renseignement étranger. En fait, nous en avons trois. Ward Elcock a raison de dire que le mandat du SCRS lui permet de mener des opérations à l'étranger pour évaluer les menaces qui pèsent contre le Canada. Je disais donc que nous en avons trois. Les deux autres sont le Centre de la sécurité des communications, qui réunit des renseignements étrangers d'origine électromagnétique, et J2, au ministère de la Défense nationale.

    J2 est en effet la division des opérations de renseignement de sécurité du ministère de la Défense nationale. Elle s'occupe—à bon droit—de la collecte de renseignements militaires à l'étranger pour que les Forces canadiennes qui effectuent à l'étranger des opérations de maintien de la paix ou je ne sais quoi encore disposent des renseignements de sécurité dont elles ont besoin. On ne peut pas mener des opérations à l'étranger sans connaître le théâtre des opérations et la région qui l'entoure. Nous disposons donc déjà de ce service.

    La question est de savoir s'il en faut davantage. Selon moi, c'est le cas, si nous voulons assurer une présence canadienne à l'échelle internationale. Savoir s'il faut élargir le mandat du SCRS ou créer un tout nouvel organisme à cette fin est une décision qui relève du gouvernement du Canada, après avoir consulté le Parlement du Canada et les Canadiens. Cependant, j'estime que le besoin impérieux d'un pareil organisme se justifie facilement.

¿  +-(0950)  

+-

    Le président: Monsieur Rudner, je vais devoir vous interrompre et céder la parole au suivant.

[Français]

    Monsieur Bachand, vous avez sept minutes.

+-

    M. Claude Bachand (Saint-Jean, BQ): Je voudrais d'abord vous remercier pour votre présentation. J'ai eu l'occasion de lire votre texte hier après-midi et je l'ai trouvé très intéressant parce qu'il traite d'un domaine un peu mystérieux et ténébreux, soit toute la question du renseignement et de l'espionnage. Comme nous, hommes et femmes politiques, sommes curieux de nature, c'est un sujet qui nous passionne.

    Je vous ai entendu dire que le Canada n'avait pas le mandat, par exemple, d'espionner les États-Unis. Cependant, dans le texte que vous nous avez remis et que j'ai lu hier après-midi, vous dites que des services secrets amis, ça n'existe pas. Il y a que des services secrets d'États amis. Vous dites qu'ils ont de plus en plus tendance à surveiller les pays neutres et les pays amis aussi.

    J'imagine que cela cause un certain problème quant à la fiabilité des sources et quant à la coopération. Par exemple, si le Canada sait que les Américains nous surveillent et font un peu d'espionnage chez nous, non pas parce qu'ils nous considèrent comme des ennemis, mais parce qu'ils veulent nous surveiller, j'imagine que cela a une incidence un peu négative sur la coopération.

    Je me demande aussi si la technique d'envoyer de faux renseignements existe. Donc, il faut contrôler la fiabilité des renseignements aussi. Y a-t-il quelqu'un qui fait ça à l'intérieur de nos services actuellement?

[Traduction]

+-

    Pr Martin Rudner: Tout d'abord, par souci de clarté, je précise que, dans le cadre de notre alliance concernant les renseignements électromagnétiques et notre arrangement de renseignements humains, il n'y a pas d'espionnage de l'un par l'autre au sein de l'alliance. Nous pouvons donc être tout à fait rassurés que les États-Unis et les autres alliés ne mènent pas au Canada d'opérations de renseignements de sécurité contre le Canada, point final. C'est clair.

    Toutefois, la question plus générale que vous posez a aussi beaucoup d'importance. Avons-nous une capacité de contre-ingérence? Je vous répondrai par l'affirmative. Le Service canadien du renseignement de sécurité a, comme importante composante opérationnelle, une capacité de contre-ingérence.

    Qu'est-ce la contre-ingérence, me demandez-vous? L'idée n'est pas de stationner un policier à chaque porte pour assurer la sécurité. C'est là l'effet d'une responsabilité assumée parce que l'on rappelle la sûreté. Au Canada, la sûreté relèverait de la Gendarmerie royale du Canada et des forces policières des provinces et des municipalités.

    Je ne sous-estime pas l'importance de la sûreté, mais ce n'est pas de la contre-ingérence ou du contre-espionnage. La contre-ingérence consiste en réalité à s'infiltrer dans des services de renseignements de sécurité ennemis. Si l'on examine ce qui s'est passé durant la guerre froide, qui est la seule preuve que nous ayons, on voit que le Canada est capable s'introduire dans les services du renseignement de sécurité de pays ennemis. Comment s'y prend-il? D'après ce que nous enseigne l'histoire, il existe en réalité trois façons de le faire.

    D'une part, on peut introduire un agent canadien dans le service de renseignements de sécurité hostile. Il nous arrive de le faire. Les dossiers sur la guerre froide le confirment. D'autre part, nous pouvons persuader un de leurs agents de travailler pour nous, ce qui en fait un agent double. Ainsi, il travaille pour l'autre pays, mais il travaille également pour nous. D'après les causes entendues au Canada et d'autres documents, nous avons la preuve que nous avons réussi à convaincre d'ex-agents du Pacte de Varsovie à travailler pour nous durant la guerre froide, de même que d'autres agents hostiles depuis lors, par exemple de l'Iran ou de l'Irak.

    Enfin, la solution probablement la plus intéressante est l'offre d'aide spontanée. Voici comment cela se passe. Le service de renseignement de sécurité ennemi introduit un agent au Canada. L'agent secret est journaliste, diplomate, étudiant, personne d'affaires ou voyageur. Il débarque ici et se rend compte que nous ne sommes pas les démons dont il est venu déjouer les plans. En fait, il nous aime bien et entre littéralement dans nos bureaux pour offrir ses services au Canada, moyennant contrepartie—soyons honnêtes—habituellement l'asile au Canada.

    D'après ce que l'on trouve dans le domaine public, ce sont là les signes d'une excellente capacité de contre-ingérence des Canadiens. Nous avons donc cette capacité, mais nous n'avons pas à craindre—je crois que c'est très important d'être rassurés à cet égard—que nos alliés mènent des opérations hostiles de renseignement de sécurité au Canada.

¿  +-(0955)  

[Français]

+-

    M. Claude Bachand: Merci beaucoup.

[Traduction]

+-

    Le président: Il vous reste une minute et demie.

[Français]

+-

    M. Claude Bachand: J'aimerais qu'on aborde les méthodes d'interrogation. En lisant votre document, j'ai été surpris par certaines choses. On savait déjà que, pour éviter les lois qui protègent les citoyens des États-Unis, les Américains avaient transféré leurs activités en terre étrangère, en l'occurrence à Guantanamo. Vous abordez aussi ouvertement un phénomène qui m'a aussi étonné. Il s'agit du fait que pour obtenir des renseignements de la part des suspects qui ont été arrêtés, on envoie ces derniers dans des pays où les techniques d'interrogation sont un peu plus « robustes ». Enfin, vous avouez que les confessions qui peuvent en résulter ne peuvent être utilisées au plan judiciaire, c'est-à-dire devant les tribunaux, mais qu'elles sont une contribution importante à cette base de données que nous connaissons et qui est centralisée en matière de questions concernant le terrorisme.

    Je voudrais que vous me livriez vos impressions sur ces techniques. Sont-elles conformes au droit international? Je sais bien qu'on parle ici de gens soupçonnés de terrorisme, mais il peut y avoir parmi eux de pauvres innocents. Pour ma part, je n'aimerais pas être envoyé dans une prison en Turquie et qu'on me frappe le dessous des pieds pour me faire avouer des choses que je ne sais pas. Je préférerais être jugé au Canada. Au fait, qui décide de ces questions présentement? Est-ce un groupe restreint?

[Traduction]

+-

    Pr Martin Rudner: Il s'agit-là d'une question très vaste, mais je vais vous répondre en soulignant quelques points en raison du temps limité dont je dispose.

    La première chose dont il faut parler, c'est de ceux qui sont soumis à ce qu'on appelle des interrogatoires plus «poussés». Il s'agit du transfert à des fins d'interrogation de personnes, du pays où elles ont été capturées vers un pays où elles sont soumises à une forme plus «robuste» d'interrogatoire. C'est une question opérationnelle. On n'embarque pas les gens comme cela. C'est impossible.

    Le milieu du renseignement dispose de peu de ressources, notamment de temps. Ce qui l'intéresse, naturellement, ce sont les renseignements vite périmables. Si quelqu'un vous dit qu'il y a huit mois, il y a eu une rencontre au cours de laquelle on a planifié quelque chose, il est trop tard. L'information n'est déjà plus pertinente.

    Ce qu'on veut obtenir, c'est de l'information très opportune de deux genres. La première concerne des événements pour lesquels le compte à rebours est commencé. Y a-t-il quelque chose que la personne peut nous dire au sujet d'un événement imminent?

    La seconde est la plus intéressante et, selon moi, la plus importante. Pourquoi ne nous a-t-on pas communiqué les noms des personnes qui sont détenues à Guantanamo et ailleurs? Voilà une question intéressante. Pourquoi? La réponse, c'est qu'al-Qaïda ignore qui s'y trouve. L'essentiel, ce n'est pas que ces personnes se trouvaient à une rencontre l'an dernier, en Afghanistan, et que nous voulions qu'elles nous disent de quoi il y a été question. C'est de l'histoire. La véritable question est de savoir vers qui se tourner et qui est disposé à travailler pour nous. Nous pouvons ensuite les libérer et garder les autres prisonnières. Elles réintègrent le réseau al-Qaïda. Quand on leur demande où elles étaient, elles ne disent pas qu'elles étaient à Guantanamo. Elles disent qu'elles étaient dans les montagnes, dans l'est de l'Afghanistan, qu'elles ont survécu au terrible assaut américain et qu'elles sont disponibles. Nous ignorons combien de personnes ont été ainsi arrêtées, retournées, puis libérées, pour ainsi dire, et travaillent actuellement pour nous sur place.

    De la même façon, bien des interrogatoires qui ont lieu au Maroc ou en Jordanie en ce moment visent davantage à savoir si les personnes sont disposées à travailler pour nous désormais que les secrets qu'elles détenaient il y a longtemps. Voilà qui explique pourquoi leurs noms ne sont pas communiqués et pourquoi il faut utiliser l'écran de la guerre, pour ainsi dire, pour ne pas perdre notre capacité d'infiltration et d'interception des terroristes.

    C'est là une opinion personnelle, formée à partie de sources publiques d'information.

À  +-(1000)  

+-

    Le président: Monsieur Rudner, je vous remercie beaucoup. Nous vous avons laissé poursuivre sans vous interrompre parce que la question était intéressante et que vous fournissiez de bonnes informations.

    Les députés du parti ministériel ont-ils d'autres questions à ce stade-ci?

+-

    M. Joe McGuire (Egmont, Lib.): Monsieur Rudner, je me demandais simplement si les renseignements de sécurité dont on disposait, mais auxquels on n'a pas donné suite, auraient permis d'éviter la tragédie du 11 septembre.

+-

    Pr Martin Rudner: Je vous répondrai par un oui catégorique, comme l'ont eux-mêmes concédé les services de renseignements de sécurité. Je vous en donne deux exemples.

    La National Security Agency, c'est-à-dire l'agence de renseignements de sécurité d'ordre électromagnétique des États-Unis, a déclaré avoir en fait intercepté des communications, la veille du 11 septembre, qui portaient sur les attaques du lendemain. Elle a réussi non seulement à les intercepter, mais à en identifier l'importance et à les décrypter. Toutefois, elles étaient en arabe, et on en attendait littéralement la traduction. Le problème, ce ne fut pas le renseignement, mais bien un manque de ressources. Le gouvernement des États-Unis, dans sa sagesse ou sa folie, n'a pas prévu les ressources voulues pour faire la traduction, en temps réel, d'une foule de langues vers une langue qu'utilisent les États-Unis—en d'autres mots, vers l'anglais.

    Ce n'est un secret pour personne que le milieu du renseignement de sécurité des États-Unis recrute à tour de bras actuellement les personnes qui ont des compétences linguistiques, et le Canada fait la même chose. Même si l'on intercepte des communications codées, une fois que l'on a brisé le code, on n'a pas forcément le texte en français, en anglais, voire en espagnol ou en d'autres langues que l'on maîtrise. C'est donc un exemple.

    Nous savons également que les services de renseignements de l'Allemagne et de la France avaient de l'information au sujet de la cellule de Hambourg. Le service de renseignement de Malaisie avait de l'information au sujet de la rencontre de planification de Kuala Lumpur durant laquelle s'est organisée l'attaque du 11 septembre. Le problème, c'était la lenteur du mécanisme de partage. Les Malaisiens avaient réuni de l'information, comme les Égyptiens, les Français et les Allemands, mais nous n'avions pas en place les mécanismes d'échanges faciles requis pour en faire un tout, de sorte que les analystes américains puissent faire leur évaluation et en venir à la conclusion juste.

    Inutile de dire que, depuis le 11 septembre, ces mécanismes ont été huilés—si vous me permettez l'expression—pour que circule bien l'information.

+-

    M. Joe McGuire: Ainsi, la collecte et l'interprétation de renseignements de sécurité ne sont plus monotones.

+-

    Pr Martin Rudner: Il y aura toujours un défi à relever. Il s'agit, en bout de ligne, d'une tâche lente et fastidieuse qui consiste à faire la collecte de beaucoup de petits segments d'information et ainsi de suite, puis à établir les rapports entre eux. À partir de là, il faut des analystes capables d'évaluer la signification de l'information, en termes de menace imminente. Il faut y appliquer toute une gamme de connaissances, de compétences, de langues et de cultures.

    Il faut connaître le pachtou pour contrer le terrorisme venu d'Afghanistan ou l'ourdou pour discuter des problèmes provenant du Pakistan. Le Jamia Islamia trouve ses racines en terre de Java et de Malaisie et il pourrait utiliser le javanais ou le Bahasa Malaysia pour communiquer. Très peu de personnes connaissent bien toutes ces langues et cultures. Il faut renforcer notre base de connaissances et de ressources en vue de relever ce défi. Selon moi, ce serait là une raison pour laquelle le Canada aimerait avoir cette capacité de renseignement étranger. Il n'y a pas un allié qui puisse à lui seul tout faire dans ce domaine. Nous, les Canadiens, avons une véritable contribution à faire à la capacité d'analyse.

À  +-(1005)  

+-

    M. Joe McGuire: Quelle perception en ont les Américains, soit les journalistes ou les élus? La sénatrice Hillary Rodham Clinton a qualifié notre frontière de passoire pour les espions, terroristes et toutes sortes d'individus faisant la navette entre notre pays et le sien. Cela a-t-il miné la confiance qui existe entre les deux gouvernements à un niveau officiel, ou ce que dit la sénatrice Clinton est-il vrai?

+-

    Pr Martin Rudner: Je vais commencer par dire que notre frontière est l'un des intérêts stratégiques les plus vitaux du Canada. L'ouverture de cette frontière est d'une importance première pour le Canada, et non seulement sur le plan économique, soit dit en passant. Par exemple, nous, les universitaires, avons assurément besoin de franchir la frontière, tout comme les parlementaires, les athlètes et les gens du spectacle.

    Ensuite, notre coopération dans le milieu du renseignement de sécurité a été extrêmement efficace. Tout ne se sait pas. Je ne crois pas que la façon dont Ahmed Ressam a été arrêté à la frontière était accidentelle, que l'agent d'immigration ou des douanes a inspecté cette voiture-là, sur 10 000, par hasard. Il m'est difficile de ne pas croire que le milieu du renseignement de sécurité les a avertis et leur a dit quoi chercher et quoi faire. Notre service du renseignement de sécurité a donc été efficace.

    Cependant, nous avons un problème, et il vaut pour les deux pays. Les deux sont des sociétés démocratiques qui doivent respecter la règle du droit, dont les lois de respect de la vie privée forment une composante très importante. Nous ne pouvons pas scruter la vie privée et les relations privées de chacun et nous n'essayons pas de le faire. C'est là un élément important de notre droit. Il y aurait donc, effectivement, des personnes au Canada qui franchissent la frontière vers le sud et vice-versa et qui sont malveillantes, même en termes de sécurité. Il s'agit-là d'un véritable défi que doivent relever nos milieux de la sécurité et du renseignement puisqu'ils doivent respecter la loi.

    Je crois que nous sommes capables de respecter les limites de la loi, et nous avons certes la capacité de partager de l'information sans contourner la loi. Nous ne nous en sommes pas sortis trop mal...

+-

    M. Joe McGuire: Est-il possible d'être libre et en sécurité à la fois?

+-

    Pr Martin Rudner: Oui, cela ne fait aucun doute.

+-

    M. Joe McGuire: Certains sont d'avis que c'est dorénavant impossible et que nous nous ingérons trop dans la vie privée des gens.

+-

    Pr Martin Rudner: Il faut voir la feuille de route des démocraties. Par exemple, le Royaume-Uni a combattu une guerre contre le terrorisme sur son sol et lutte contre le terrorisme maintenant en imposant des contraintes minimales sur la liberté des citoyens britanniques. L'Espagne s'est démocratisée dans le contexte d'une guerre contre un terrorisme extrême. Les Israéliens ont maintenu une démocratie et la règle du droit même aux prises avec un genre de menace terroriste que très peu d'autres sociétés connaissent, des gens se faisant exploser au milieu de la population civile. Il est donc possible de lutter contre le terrorisme tout en respectant la loi, incontestablement, et l'histoire le prouve.

+-

    M. Joe McGuire: Donc, dans nos relations avec les États-Unis, du moins officiellement, il ne devrait pas y avoir de problème minant la confiance acquise au cours des cinquante dernières années. Étant donné notre participation limitée à l'effort militaire déployé aux États-Unis, y a-t-il méfiance ou voit-on le Canada comme un fournisseur secondaire d'information ou de sécurité?

+-

    Pr Martin Rudner: Il faudrait faire une distinction entre ce que pensent les Américains du rôle du Canada sur le plan militaire—où, soutiennent-ils, nous sous-investissons dans notre capacité militaire, affaiblissant ainsi notre rôle au sein des alliances, y compris au sein de l'OTAN—et ce qu'ils pensent de son rôle dans le domaine du renseignement de sécurité, pour lequel il est incontestablement un producteur modeste. Le Canada a été une source précieuse et a fourni des renseignements de sécurité d'excellente qualité que les États-Unis ont jugé utiles pour assurer leur propre sécurité, tout comme le reste de nos alliés.

    Certains de nos alliés étaient préoccupés. Nous savons tous, par exemple, que des groupes du Canada soutenaient le terrorisme en Irlande. Toutefois, le Canada a réduit au minimum le soutien et a joué un rôle dans l'évaluation de la gravité du terrorisme irlandais et la promotion de l'accord du Vendredi Saint et des autres accords de paix, également issus de notre capacité de collecte de renseignements de sécurité. Nous n'envoyons pas à l'étranger des gens sans information, et cette information vient en bonne partie de notre milieu du renseignement.

    Je crois que nos alliés apprécient à sa juste valeur notre rôle. La question est de savoir si nous sommes disposés à investir des ressources au Canada pour contrer la menace à mesure que le terrorisme prend de l'expansion—et il prend de l'expansion, la menace est réelle. Les faits montrent que, depuis le 11 septembre, nous avons effectivement massivement accru nos dépenses. Notre milieu du renseignement a accru sa capacité justement pour relever ces défis, parce qu'ils représentent des menaces non seulement pour les États-Unis, mais également pour le Canada.

    Je crois donc que nous occupons une place modeste dans l'échiquier du renseignement, sans forcément verser dans les produits-créneaux. Notre modeste pays produit de l'information importante et de grande valeur.

À  +-(1010)  

+-

    Le président: Monsieur Stoffer.

+-

    M. Peter Stoffer (Sackville—Musquodoboit Valley—Eastern Shore, NPD): Je vous remercie énormément, monsieur, de votre exposé.

    Notre solliciteur général a déclaré récemment que, selon lui, les Canadiens devraient être disposés à renoncer à un peu de leur droit à la vie privée pour accroître leur sécurité. Seriez-vous d'accord avec une pareille déclaration?

+-

    Pr Martin Rudner: Je le crois, mais d'abord, permettez-moi de vous demander ce qu'est cette question de vie privée. Par exemple, ...

+-

    M. Peter Stoffer: Par exemple, les voyageurs qui prennent l'avion.

+-

    Pr Martin Rudner: Disons-le comme ceci. La vie privée désigne des renseignements particuliers. Si quelqu'un me dit qu'il aimerait examiner votre compte de banque, je lui répondrai que la loi actuelle le lui interdit. Quelqu'un pourrait affirmer vouloir consulter vos dossiers médicaux contre votre volonté. Or, il ne peut pas le faire. Voilà ce qu'est le respect de la vie privée.

    Quand je prends l'avion pour me rendre du Canada au Royaume-Uni, est-ce de la vie privée? Quand je monte à bord de l'appareil, il faut que je franchisse les douanes et l'immigration canadiennes et, à ma descente, les services britanniques de douanes et d'immigration. J'estime qu'il ne s'agit donc pas là d'une question de vie privée. Si ces renseignements sont partagés ou conservés... À vrai dire, j'ignore si le service britannique d'immigration et de nationalité conserve ces renseignements pour une heure, une semaine ou un mois quand je descends de l'avion à Heathrow, mais je fournis ces renseignements volontairement. Je ne suis pas obligé d'aller au Royaume-Uni. Aucun droit de la personne n'oblige le Royaume-Uni à me laisser entrer. C'est en ce sens que je ne crois pas que les renseignements publics à votre sujet violent forcément votre droit à la vie privée. Je ne suis pas sûr que le fait que nous sachions que des personnes ont pris l'avion pour aller d'ici au Pakistan viole leur vie privée, et je ne suis pas sûr que la plupart des Canadiens estimeraient que c'est une atteinte à leur droit à la vie privée.

+-

    M. Peter Stoffer: Comme vous le savez, monsieur, George Radwanski, commissaire à la protection de la vie privée du Canada, serait probablement en désaccord avec vous, puisqu'il a en fait déclaré le contraire. J'aimerais essentiellement avoir votre opinion au sujet des observations qu'il fait dans son récent rapport, concernant ses graves préoccupations en termes d'orientation du renseignement de sécurité au Canada.

+-

    Pr Martin Rudner: Si j'ai bien compris, il a deux préoccupations. D'une part, en vertu de la nouvelle loi projetée, ce ne serait pas que les services de sécurité qui auraient accès à l'information, mais également, pourrait-on dire aux fins du débat, l'Agence des douanes et du revenu du Canada. À ce moment-là, on pourrait dire que l'information est pertinente sur le plan de la sécurité, effectivement, mais qu'elle ne devrait pas forcément être partagée avec, par exemple, une foule d'autres ministères qui pourraient se servir de l'information à d'autres fins que la sécurité. Je comprends cela, mais je crois que l'enjeu est quelque peu différent.

    L'Agence des douanes et du revenu n'a pas forcément besoin de savoir que M. et Mme X sont allés à Londres, point final. Santé Canada n'a pas besoin de savoir qu'ils sont allés en Thaïlande. Par contre, sur le plan de la sécurité, si l'on soupçonne qu'ils sont allés en Thaïlande pour rencontrer des membres du Jamia Islamia, ce pourrait être un segment important d'information qu'il faut coller à d'autres pour assurer la sécurité du Canada, si elle est en jeu.

    Donc, effectivement, il faut faire en sorte que les renseignements de sécurité ne soient disponibles qu'à des fins de sécurité.

    Tel que j'ai compris son rapport, le commissaire à la protection de la vie privée craint beaucoup que ce ne soit là que le premier empiétement, que ce ne soit que le début d'une tentative généralisée de tout savoir sur une personne, d'envahir sa vie privée, dans l'intérêt collectif de la sécurité publique. Je ne partage pas cette préoccupation.

    Voici comment je vois le milieu du renseignement de sécurité. Dans l'ensemble, c'est un petit milieu au Canada. En fait, il l'est dans la plupart des autres sociétés. La dernière chose dont il a besoin ou qu'il souhaite, c'est l'entrée massive et excessive de renseignements sans pertinence et sans importance—sans importance en termes de menace. Qui en a besoin? Certes pas lui.

    Il est intéressant de noter qu'en vertu de la loi britannique, jusqu'à il y a tout juste un mois à peu près, il n'y avait pas eu une seule poursuite en vertu de la loi britannique sur l'antiterrorisme, la criminalité et la sécurité. C'était inutile. Les services de renseignement de sécurité n'en voulaient pas. En fait, de leur point de vue, l'information dont ils ont le plus souvent besoin est la façon de persuader quelqu'un qui agit contre vous de devenir un agent double. Ils pourraient s'en servir lors d'un entretien comme: «Écoute. Nous savons que tu as une soeur qui a besoin de soins médicaux. Aide-nous et ta soeur pourra venir se faire soigner au Canada. Nous savons que tu as un cousin qui se cherche une place dans une université en génie. Collabore, et ton cousin pourrait obtenir un visa et venir s'installer au Canada.» Voilà le genre d'information qui est utile.

    Donc effectivement, nous avons peut-être besoin d'en savoir un peu au sujet de cet agent pour lui faire ce genre d'offre. Je ne suis pas sûr que cela menace la vie privée des Canadiens, par contre.

À  +-(1015)  

+-

    M. Peter Stoffer: Un fait surprenant que vous avez mentionné, c'est la capacité de décrypter des photos sur l'Internet. Cette technologie est à notre portée et, pourtant, je semble bien souvent incapable de trouver mes clés.

    Des voix: Oh, oh!

+-

    Le président: C'est là, Peter, une tout autre question de sécurité.

    Des voix: Oh, oh!

+-

    M. Peter Stoffer: J'aurais deux autres points à aborder brièvement avec vous. Beaucoup de personnes sont très inquiètes de la proposition des États-Unis concernant la défense anti-missile. J'aimerais essentiellement savoir ce que vous en pensez. Certains affirment—c'est aussi une question qui vous est adressée—que si nous n'y prenons pas part, nous perdrons soit la faveur des Américains, soit la capacité de coopérer davantage dans la collecte de renseignements de sécurité.

    De plus, vous avez dit que les États-Unis—corrigez-moi si je fais erreur—ne réunissent pas de renseignements de sécurité au Canada même à cet égard. Je trouve cela plutôt préoccupant. Comme vous le savez, il était beaucoup question de Aryan Nation durant les années 1980, et il existait une filière transfrontalière entre les Dakotas, le Montana et l'Alberta. De plus, le peuple mohawk et sa frontière assez poreuse suscitent des préoccupations, car il y a de la contrebande dans ce secteur. Il y a eu le FLQ dans les années 1970. Et il existe d'autres préoccupations à cet égard concernant des immigrants au Canada qui ont peut-être de viles intentions. Êtes-vous en train de dire que les États-Unis ne réunissent pas du tout de renseignements sur des Canadiens au Canada en vue de protéger leur propre sécurité? Je m'attendrais au contraire.

+-

    Pr Martin Rudner: Monsieur Stoffer, permettez-moi de dire que les alliés ont toujours déclaré qu'ils ne mèneraient pas d'opérations contre un des leurs. Non seulement ne collectent-ils pas de renseignements sur les Canadiens, mais encore ne mènent-ils pas d'opérations au Canada contre qui ce soit, qu'il s'agisse de visiteurs, de touristes, etc.

    Soyons précis à cet égard. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas échange d'informations entre organismes d'application de la loi lorsqu'il y a infraction de la loi. Tous les incidents que vous décrivez correspondaient à des problèmes d'application de la loi. Ces groupes avaient violé les lois et les organismes d'application de la loi ont échangé ces informations, en vertu de la loi.

    Quelle est la différence? Les organismes d'application de la loi ne peuvent intervenir qu'à partir d'une probabilité, lorsqu'ils constatent une violation probable de la loi. Les services de renseignement peuvent se baser sur des motifs plus vagues de soupçon, ce qui explique la raison pour laquelle ils ne peuvent déposer de preuve devant les tribunaux. Les règles qui les régissent sont moins restrictives, ce qui signifie par ailleurs que la loi doit les assujettir à une surveillance plus étroite. Par conséquent, ils ne peuvent intervenir au Canada ni viser de Canadiens, pour justement nous protéger d'un système qui ressemblerait beaucoup à celui de la Gestapo où n'importe qui pourrait intervenir n'importe où à propos de n'importe quoi. Nous ne voulons pas d'un tel environnement et c'est la règle, également observée par nos alliés. C'est très important.

    Pour ce qui est de la défense antimissile et du renseignement, je crois que les États-Unis connaissent parfaitement bien les insuffisances du Canada dans les domaines militaire et de la défense. L'ambassade des États-Unis à Ottawa est très efficace et fait rapport de tout ce qui se dit au Canada, tant au Parlement qu'au sein de la société civile. Les Américains examinent notre budget et connaissent nos dépenses. Ils assurent une présence américaine chez nous et connaissent nos faiblesses qu'ils peuvent critiquer. Il est possible qu'ils souhaitent que nous fassions plus d'efforts. Cela ne pose pas de problème, mais nous sommes un pays souverain et c'est à nous de prendre des décisions pour le Canada. Je pense que les États-Unis le comprennent et l'acceptent.

    Pour ce qui est du renseignement, les États-Unis comprennent également—tout comme nous—que dans ce domaine, les frontières ne comptent plus. Nous travaillons comme alliés et échangeons des renseignements vu qu'il s'agit d'assurer la sécurité pour nous tous. Nous établissons des liens et dans le domaine du renseignement, je crois que les États-Unis font confiance au Canada, et inversement, nous faisons confiance aux États-Unis et à nos autres alliés; c'est encore le cas, d'après moi. C'est ce que l'on a pu observer jusqu'à la fin de la guerre froide et c'est ce qui se passe aujourd'hui, alors que nous sommes confrontés au problème très difficile du terrorisme international.

À  +-(1020)  

+-

    Le président: Monsieur le professeur, je dois vous interrompre.

    Monsieur Stoffer, merci pour vos questions.

    Monsieur LeBlanc.

+-

    M. Dominic LeBlanc (Beauséjour—Petitcodiac, Lib.): Merci pour votre exposé fort intéressant ainsi que pour le débat qui s'ensuit, monsieur le professeur. Je possède très peu de connaissances au sujet de ces problèmes et j'essaye d'apprendre, si bien que je suis particulièrement heureux de vous voir présenter le contexte de manière accessible et je ne doute pas que les cours que vous enseignez soient très intéressants.

    J'aimerais reprendre quelques-unes des questions posées par Joe McGuire et Peter Stoffer; comme elles sont assez précises, je vais simplement vous demander d'y répondre; ainsi, je n'utiliserai pas le temps dont mes collègues voudraient disposer pour discuter avec vous.

    Dans votre exposé, vous parlez de l'échange de renseignements entre le Canada et les États-Unis en le qualifiant de presque total. Je me demande pourquoi il ne serait pas total. Pourquoi avez-vous ajouté le mot «presque»? Quelles peuvent être les situations dans lesquelles—et j'aimerais en connaître les raisons—il n'y aurait pas échange dans les deux sens? C'est ma première question.

    Deuxièmement, vous avez cité des exemples assez dramatiques et tragiques d'échecs en matière de renseignements. Je me demande si, à votre avis, il s'agit d'un échec au niveau de l'échange ou au niveau de la collecte de renseignements. Par exemple, les renseignements étaient-ils disponibles mais non traduits ou échangés, ou n'étaient-ils simplement pas disponibles?

    Ma troisième question, qui est peut-être indue, porte sur ce dont nous avons parlé quelque peu, soit le contexte juridique dans lequel s'inscrit la collecte et l'échange de renseignements. Peter a soulevé quelques questions relatives à la vie privée. Pensez-vous que certaines lois canadienne pourraient être modifiées de manière à faciliter le travail de renseignement ou pour combler des lacunes qui permettent certaines pratiques inquiétantes, que ce soit pour des raisons de protection de la vie privée ou de sécurité?

    Cette question est légèrement hypothétique, mais j'ai étudié le droit aux États-Unis et j'essaie de comparer les deux compétences. J'aimerais donc savoir ce que vous en pensez.

    Merci, monsieur le président.

+-

    Pr Martin Rudner: Vos trois questions sont extrêmement intéressantes. Permettez-moi d'essayer d'y répondre une après l'autre, tout en respectant le temps dont nous disposons.

    Pour ce qui est de l'échange de renseignements, je pense qu'il est juste de dire qu'il est quasiment total, en ce qui me concerne. J'ai utilisé le mot «presque», car il n'existe pas un seul universitaire qui soit convaincu de la totalité de quoi que ce soit. Permettez-moi de vous donner un exemple.

    Nous savons que dans le cadre des opérations de maintien de la paix de l'OTAN dans les Balkans, l'échange de renseignements de l'OTAN se faisait à trois niveaux. Les États-Unis disposaient de technologies fabuleuses—imagerie par satellite, surveillance, signaux, et j'en passe. L'échange s'est fait avec un seul pays: le Canada.

    Un deuxième niveau d'échange était prévu, avec d'autres alliés de l'OTAN qui n'ont pas eu accès à certains renseignements américains. Ce n'est pas parce qu'ils n'étaient pas des pays alliés, puisqu'il s'agissait en fait d'alliés de l'OTAN des États-Unis. Toutefois, ils n'y avaient pas droit et vous allez comprendre pourquoi dans un instant.

    Un troisième niveau d'échange était prévu avec d'autres pays qui faisaient partie de la coalition pour le maintien de la paix, sans pour autant avoir accès à des renseignements. Pourquoi? C'est parce que les États-Unis ne veulent pas révéler au grand jour leurs méthodes et sources ultra-perfectionnées et ne veulent même pas que d'autres aient la moindre idée de cette capacité américaine.

    Soit dit en passant, j'ajouterais que c'est la raison pour laquelle les Américains font preuve de beaucoup de retenue à propos du renseignement sur l'Irak. Avant l'exposé du secrétaire d'État de demain, les États-Unis vont désensibiliser toute cette information pour que les Irakiens et d'autres ne sachent pas ce dont est capable l'Amérique. Après tout, s'ils peuvent viser Bagdad, ils peuvent également viser Miami, Benghazi ou Karachi.

    Les États-Unis nous donnent accès à ces renseignements. Ils nous font tellement confiance que nous sommes le seul pays qui ait accès aux renseignements sensibles américains. Il se peut que les États-Unis collectent des renseignements qu'ils choisissent de ne pas échanger avec le Canada pour quelque raison que ce soit—je n'en connais pas, mais j'imagine qu'il pourrait en exister—pour des questions de politique étrangère américaine, par exemple; ils peuvent penser que les Canadiens n'ont pas besoin d'être mis au courant. La plupart du renseignement équivaut au besoin de savoir; par conséquent, ils n'ont pas besoin dans ce cas-là d'en faire part au Canada. Toutefois, si le Canada demandait ces renseignements, il pourrait les obtenir en vertu de l'entente. Comme le Canada n'en sait rien, il ne va bien sûr rien demander.

    C'est la raison pour laquelle j'ai utilisé le mot «presque». Les relations entre nos deux pays sont les plus étroites possibles.

    Pour ce qui est des échecs, il est difficile de savoir, car nous n'avons accès à rien d'autre que des sources ouvertes. Nous disposons d'un nombre suffisant de telles informations pour savoir que l'incident de Bali est clairement un échec au niveau de l'échange. On disposait de renseignements indiquant que Jamia Islamia prévoyait une attaque à Bali. On disposait de renseignements sur l'endroit où la planification se faisait, dans le sud de la Thaïlande et en Malaisie. Les liens n'ont pas été établis, si bien qu'aucune alerte rapide n'a pu être donnée. Le livre blanc de Singapour est fort révélateur et je vous recommande de le lire, puisqu'il se trouve sur le Web.

    Une analyse psychologique des terroristes arrêtés a également été faite afin d'essayer de comprendre ce qui amène ces gens à s'engager dans ce genre de terrorisme suicidaire. Là encore, l'analyse est échangée; elle figure de toute façon sur le Web.

    Une telle information microanalytique, au-delà du livre blanc, aurait été échangée avec les alliés de façon que... Avant Bali, disons que si un pays avait fait des évaluations psychologiques, il aurait peut-être considéré qu'il n'était pas vraiment utile de faire connaître ses conclusions. Aujourd'hui, on sait qu'il faut les diffuser. Les services de sécurité et du renseignement au Canada seraient donc mis au courant de la présence de terroristes éventuels, grâce à Singapour, et disposeraient du renseignement voulu dont nous n'aurions pas disposé auparavant. L'incident de Bali est révélateur d'un problème au niveau de l'échange de l'information.

À  +-(1025)  

    Pour ce qui est des questions de droit, je ne suis pas avocat, mais j'ai l'impression, à en croire les services de sécurité et de renseignement, que les lois actuelles sont adéquates. Les Britanniques disposent d'un instrument juridique que nous n'avons pas. Il pourrait être utile, même si nos propres services de renseignement et de sécurité ont déclaré ne pas en avoir vraiment besoin. Il est possible aujourd'hui en Grande-Bretagne, ce qui est quelque chose de nouveau, de déposer devant le tribunal de l'information en matière de renseignement comme preuve extraordinaire. C'est maintenant légal, mais ne répond pas aux stricts critères juridiques en matière de preuve observés par nos tribunaux.

    À cause des problèmes de terrorisme que connaît le Royaume-Uni, les Britanniques ont assoupli les règles du jeu et permettent aux juges de décider si la preuve fondée sur le renseignement peut être retenue par les tribunaux afin d'intenter des poursuites judiciaires. Je ne pense pas que le Canada ait retenu cette option, ou peut-être nos services de renseignement et d'application de la loi sont d'avis qu'elle est inutile. Pourtant, c'est peut-être un des éléments qu'il vaudrait la peine d'envisager dans le contexte des meilleures pratiques. Si cela s'avère important, nous pourrions peut-être envisager une telle option. Autant que je sache, toutefois, nos services d'application de la loi et de sécurité et de renseignement sont d'avis que les lois canadiennes sont suffisantes.

À  +-(1030)  

+-

    Le président: Merci, monsieur le professeur.

    Merci, monsieur LeBlanc.

    Madame Wayne.

+-

    Mme Elsie Wayne (Saint John, PC): Je vous remercie d'être parmi nous aujourd'hui, monsieur le professeur. J'ai quelques questions au sujet de la sécurité des frontières et de la sécurité antiterroriste entre le Canada et les États-Unis.

    Si je comprends bien, des membres du FBI travaillent au Canada, de même que des membres de la CIA. Cela semble dire que les États-Unis s'inquiètent considérablement à propos de la situation du terrorisme au Canada.

    Au Nouveau-Brunswick, à Saint John, ville la plus proche des États-Unis dans cette région du Canada—et je l'ai signalé il y a quelque temps—23 réservations avaient été faites avant le 11 septembre pour un voyage à Washington. Aucun des voyageurs n'est parti. La responsable de l'agence de voyages était si inquiète qu'elle a contacté un avocat et tous les deux sont venus me voir. J'ai appris que rien n'avait été fait au Canada alors que la GRC avait été contactée. Elle m'a alors remis tout le dossier, que j'ai amené à Ottawa, à la GRC. À ce moment-là, un seul voyageur s'était manifesté. À Toronto, il s'est avéré que ce voyageur, un Arabe, était muni de faux papiers, d'un faux passeport, etc. La situation était très grave.

    Si les États-Unis considèrent que nous faisons notre travail, pourquoi les agents du FBI et de la CIA se trouvent-ils au Canada?

+-

    Pr Martin Rudner: Pour la même raison que les services canadiens de renseignement ont des agents à Washington. Effectivement, un groupe important d'agents de la CIA et du FBI et peut-être d'autres organismes américains de renseignement se trouvent à Ottawa dans le cadre de nos relations bilatérales. Ce sont des agents de liaison et leur travail consiste à assurer une liaison directe entre la CIA, aux États-Unis, et le SCRS, au Canada; ce sont les éléments de contre-renseignement ou de contre-terrorisme.

    Les relations sont très étroites. Certains agents de la National Security Agency américaine qui se trouvent à Ottawa sont chargés d'assurer la liaison avec le Centre de la sécurité des télécommunications; avec la GRC dont un des mandats vise le contre-terrorisme et la sécurité; avec Citoyenneté et Immigration Canada; avec Transports Canada; et avec tous les autres ministères du gouvernement du Canada dotés d'unités de renseignement, comme par exemple l'Agence des douanes et du revenu du Canada, etc. C'est le travail qu'ils effectuent ici. Nous avons nos propres agents de liaison qui font exactement la même chose à Washington et qui se trouvent aussi à Londres, soit dit en passant, ainsi que dans d'autres capitales. Effectivement, ils sont au Canada, mais ne font pas du renseignement, ils font uniquement un travail de liaison.

    Je ne veux pas minimiser l'importance des liaisons qui sont la base de l'échange du renseignement. Elles jouent un rôle très important, mais ne témoignent pas d'un manque de confiance envers le Canada et ne prouvent certainement pas que des opérations de renseignement sont menées au Canada. C'est tout le contraire. De telles liaisons nous indiquent que les États-Unis font confiance au Canada et c'est précisément la raison pour laquelle ils envoient des agents de liaison dans notre pays. Ils tirent profit de ces liaisons, tout comme nos agents à Washington et à Londres tirent profit des liaisons qu'ils établissent dans ces deux villes. Cette présence dans les deux pays est donc compréhensible.

    Vous avez posé toutefois une question plus vaste en demandant si des gens qui font partie intégrante de la société canadienne représentent une menace pour la sécurité du Canada ou celle de nos amis et alliés. La réponse est oui. C'est ce que déclare Ward Elcock dans le rapport annuel du SCRS. Il se trouve au Canada des gens qui poursuivent des objectifs malveillants. Donnez-moi quelques instants pour que je puisse vous parler d'un exemple du genre de problèmes qui ne sont pas réglés, car il est à mon avis très important.

    Les Britanniques ont découvert que bien des gens participant à la mise au point en Irak d'armes de destruction massive, d'armes biologiques, chimiques et nucléaires, étaient formés dans des universités du Royaume-Uni. Les services de renseignement du Royaume-Uni les avait repérés et, dans la plupart des cas, en avaient averti les universités. Un mécanisme leur permet d'agir de la sorte et de dire en fait qu'un tel ne devrait pas étudier la physique nucléaire. Les universités ne sont pas stupides. Elles ont compris et n'ont pas autorisé cette personne à étudier la physique nucléaire. Dans plusieurs cas toutefois, ces gens n'ont pas été repérés, ont terminé leurs études et leurs travaux de recherche au Royaume-Uni; ils sont maintenant soupçonnés d'être les principaux acteurs du développement d'armes de destruction massive en Irak, dans le passé à tout le moins. J'espère que Hans Blix va nous laisser savoir en temps et lieu s'ils sont toujours actifs dans ce domaine ou non.

    Quelles sont les répercussions pour le Canada? Nous ne disposons pas d'un tel mécanisme. Dans le contexte canadien, il serait complètement inacceptable que les services canadiens de sécurité et de renseignement ou les organismes d'application de la loi disent à un département de chimie, de biologie ou de physique d'une université que telle ou telle personne risque d'utiliser le laboratoire à des fins malveillantes. Pourtant, il serait naïf de croire que des gens malveillants qui veulent passer à l'attaque ne profitent pas des lacunes du système. Nous avons donc de vrais problèmes.

À  +-(1035)  

+-

    Mme Elsie Wayne: Effectivement, car à mon université, qui est une université internationale, tous les étudiants arabes se sont retrouvés dans la cour de l'université pour manifester leur joie au moment de l'attaque du 11 septembre à New York. Le président et le vice-président leur ont ordonné de rentrer en classe immédiatement. Ils étaient donc parfaitement au courant de ce qui allait se passer.

    J'ai parlé des 23 réservations et du fait qu'aucun des voyageurs n'était parti. C'est un problème important. Il ne fait aucun doute que tout est examiné, surveillé et va continuer de l'être. Ce qui m'inquiète beaucoup toutefois, c'est que nous avons une centrale nucléaire ainsi que la raffinerie de pétrole privée la plus importante qui soit au Canada. Une recherche effectuée dans certains des appartements des étudiants a permis de trouver une liste de toutes les centrales nucléaires au Canada et de leur emplacement.

+-

    Le président: Madame Wayne, votre temps de parole est écoulé si bien que je considère votre intervention comme une déclaration plutôt que comme une question.

    Monsieur Peric.

+-

    M. Janko Peric (Cambridge, Lib.): Monsieur le professeur, vous avez fait mention des Balkans. Savez-vous pourquoi, à votre avis, Michael Rose a échangé de l'information avec Slobodan Milosevic à l'époque où M. Rose était responsable des forces NU en Bosnie?

    Il y a trois mois environ, il a été révélé publiquement que lorsque le tribunal de La Haye a ordonné aux forces internationales de capturer Radovan Karadzic en Bosnie, un officier français a appelé l'un des gens de Karadzic pour l'informer de la chose. À votre avis, pourquoi y aurait-il eu échange d'une telle information avec l'ennemi?

+-

    Pr Martin Rudner: C'est une question très intéressante, mais je ne veux pas sortir de mon sujet. Je ne suis pas spécialiste de l'histoire récente des Balkans, mais je dirais deux choses qui peut-être vont permettre de comprendre cette question et ses conséquences.

    D'après les preuves disponibles, nous savons que les services yougoslaves du renseignement avaient infiltré avec succès certains éléments de l'OTAN et de l'UE dans l'ancienne Yougoslavie, en Croatie et dans la Bosnie-Herzégovine, notamment, grâce surtout à plusieurs officiers français qui travaillaient pour eux. Qu'est-ce que cela nous indique? Cela nous indique que dans le domaine du renseignement, on essaie toujours d'introduire un agent dans le service ennemi. Tout comme nous pratiquons le contre-renseignement pour essayer d'introduire un agent double canadien ou un agent dans les services de l'ennemi, ils font la même chose. Nos services de contre-renseignement sont là pour justement le repérer. C'est leur raison d'être. Le service de renseignement de l'OTAN n'avait pas cette capacité de contre-renseignement.

    Pour être honnête, je ne sais pas comment cela a été divulgué, car ce n'est pas nécessairement du domaine public. Nous savons toutefois qu'au moins deux officiers français—je crois qu'il y en avait deux—ont été arrêtés et accusés d'avoir trahi leur service de renseignement.

    C'est donc un exemple classique du renseignement et du contre-renseignement. Tous les services de renseignement s'attendent à pareille situation. Après tout, la Yougoslavie dispose d'un service de renseignement pour justement infiltrer les autres.

    Qu'est-ce que cela nous apprend? Je crois que le Canada peut en tirer une leçon importante. Comme nous le savons tous, en dehors de nos rapports avec les États-Unis, le Canada participe beaucoup au maintien de la paix. Un des problèmes dans ce domaine, c'est que les NU ont exigé que les opérations de maintien de la paix s'abstiennent de tout travail de renseignement. Les Nations Unies ont effectivement jugé que le renseignement ne cadrait pas avec leur mandat. Les guerres dans les Balkans nous ont appris que l'on ne peut pas fonctionner efficacement sans capacité de renseignement. Par suite du rapport de Lakhdar Brahimi sur la réforme NU du maintien de la paix, le Secrétariat des Nations Unies commence à prévoir une capacité NU de renseignement qu'il qualifie d'information stratégique, mais c'est bien sûr un euphémisme.

    Quelle leçon en tirent les Canadiens? Je crois que cela doit nous faire comprendre que si nous participons à des opérations de maintien de la paix dans le cadre des NU, surtout si elles peuvent entraîner le Canada dans des opérations de combat, il faudrait alors que notre pays prévoit une capacité de renseignement. Nous ne pouvons pas envoyer nos soldats à l'étranger jouer un rôle militaire sans prévoir une capacité de renseignement et de contre-renseignement pour justement protéger nos forces contre ce à quoi on peut s'attendre, c'est-à-dire que nos ennemis risquent de mener des opérations de renseignement contre nous, d'obtenir des renseignements canadiens et de les utiliser contre nous s'ils le peuvent.

    J'espère avoir ainsi répondu à votre question.

À  +-(1040)  

+-

    M. Janko Peric: Merci.

+-

    Le président: Merci, monsieur Peric.

    Nous allons maintenant passer aux tours de cinq minutes. Monsieur Bachand.

[Français]

+-

    M. Claude Bachand: Merci, monsieur le président. Monsieur Rudner, tout à l'heure, vous avez relaté le fait qu'un membre du Congrès américain aurait dit publiquement qu'on pouvait même écouter les conversations entre Oussama ben Laden et sa mère, et cela a un peu court-circuité les services de renseignement, car ça devait être une source importante pour eux.

    Je pars de ce fait pour poser ma question. Nous sommes tous des députés élus démocratiquement par nos électeurs respectifs, qui nous confient la responsabilité de gérer les impôts et de gérer aussi toute la question de leur sécurité. Comme vous le savez, ici, au Canada, la GRC, le SCRS et le CST ne sont pas des instances très démocratiques; ce ne sont pas des gens qui rendent compte publiquement du travail qu'ils font.

    Comme députés, on constate également qu'il y a une certaine inégalité entre les nations. Par exemple, mon collègue David Price et moi sommes allés au US Central Command à Tampa Bay, chez ceux qui conduisaient l'opération en Afghanistan. On nous a mentionné combien de personnes du JTF2, des forces spéciales, étaient en Afghanistan et où ils étaient, un renseignement qu'on n'aurait jamais pu avoir ici, au Canada. Je ne suis même pas sûr que le ministre de la Défense nationale savait où étaient toutes les forces du JTF2 en Afghanistan.

    Ça a toujours été un sujet de préoccupation pour moi. Les politiciens américains ont beaucoup plus de contrôle sur le domaine du renseignement. C'est peut-être parce que ce sont eux qui décident des budgets, des montants à donner à tous ces gens-là. Nous aussi, nous décidons des budgets, et nous avons constaté au dernier budget fédéral qu'il y avait énormément d'argent supplémentaire qui avait été accordé spécifiquement à tous ces corps-là.

    Est-ce que vous pensez que ce serait faisable, au Canada, que les députés soient beaucoup plus renseignés sur les opérations qui se déroulent? Dans le fond, je dois vous avouer qu'actuellement, nous sommes tenus dans l'ignorance complète. Je n'oserais pas appeler la GRC et le SCRS pour leur demander de me mettre au courant de leurs plus récentes opérations de renseignement. Je pense qu'ils ne voudraient pas me répondre. Pensez-vous qu'ils auraient raison de ne pas le vouloir? Ne pensez-vous pas que les députés devraient être informés au préalable, vu qu'ils sont mandataires du dépôt des intentions des électeurs et que ce sont eux qui sont responsables, en dernier recours, de la sécurité de leurs électeurs et de la gestion des budgets de la nation?

À  +-(1045)  

[Traduction]

+-

    M. Martin Rudner: Vous posez là une question très importante, qui met en lumière le problème de transparence qui existe au sein de la communauté du renseignement et de la sécurité. On ne peut, pour des raisons évidentes, du moins dans les domaines de la sécurité et du renseignement, avoir le même genre de transparence que dans les domaines, par exemple, de la santé, du commerce ou des finances. On ne peut, pour des raisons évidentes, dévoiler les moyens et les sources qu'on utilise. Si l'on connaissait le nom de la personne, en Irak, qui transmet au Royaume-Uni et aux États-Unis des renseignements sur les armes de destruction massive que possède l'Irak, cette personne serait tuée sur le champ. Or, il y a quelqu'un là-bas qui transmet cette information.

    Donc, on ne peut, pour des raisons évidentes, divulguer le nom de cette personne. Toutefois, et j'insiste là-dessus, cela ne veut pas dire qu'on ne peut mettre au point un mécanisme de surveillance parlementaire pour la communauté du renseignement et de la sécurité. Il existe déjà, au Canada, des mécanismes de surveillance. Le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité, le commissaire du CST et le Bureau du vérificateur général du Canada remplissent tous des fonctions de surveillance. À mon avis, la surveillance parlementaire manque de rigueur. Pourquoi? Honnêtement, à cause des normes qu'imposent nos alliés.

    Jetons un coup d'oeil aux contraintes qui existent. Il y en a une, notamment, qu'il convient de mentionner, et c'est le fait que nous sommes des importateurs nets de renseignements. En effet, nous importons beaucoup plus de renseignements que nous n'en produisons et exportons. Qu'est-ce que cela signifie? Eh bien, que nos alliés sont prêts à partager leurs renseignements avec le Canada, mais à la condition que le Canada garde ces renseignements secrets, et encore. Les Américains peuvent très bien divulguer des renseignements qu'ils ont recueillis, mais ils n'acceptent pas que le Canada dévoile, à son tour, ces renseignements. Ils soutiennent que, parce que nous importons des renseignements, nos normes doivent être plus sévères que les leurs, en tant qu'exportateurs.

    Or, le SCRS et le CST sont beaucoup plus discrets que le Royaume-Uni ou les États-Unis. En tant qu'importateurs nets de renseignements, ils tiennent à conserver leur réputation dans ce domaine. Voilà pourquoi on apprend, à Washingon, des choses qu'il est impossible d'apprendre à Ottawa.

    Il existe des moyens de surmonter ce problème. Le Congrès américain possède des pouvoirs de surveillance énormes. Toutefois, il a ceci de particulier qu'il est tenu au secret sous la foi du serment.

À  +-(1050)  

+-

    M. Claude Bachand: Devrait-on faire la même chose ici?

+-

    Pr Martin Rudner: La question est intéressante. Est-ce que les parlementaires canadiens seraient prêts à se soumettre à une telle discipline? Parce qu'il s'agit bien d'une discipline.

    Les Britanniques ont trouvé une autre solution. Ils ont créé un comité de parlementaires—non pas un comité parlementaire, mais un comité formé de parlementaires des deux Chambres—qui est tenu au secret sous la foi du serment et qui agit comme comité de surveillance. La formule est intéressante. Les Australiens sont en train, eux aussi, d'explorer une autre formule.

    Ce que je propose, c'est que le Canada s'inspire des meilleurs modèles. J'examinerais les modèles américain, britannique, israélien, qui consiste en un comité de la défense et des affaires étrangères, et aussi australien, parce que tous ces pays ont un régime parlementaire. Ils sont confrontés aux mêmes problèmes que nous—les Australiens, comme nous, sont des importateurs nets. Nous pourrions, de cette façon, trouver une formule qui convient au Parlement du Canada et qui répond aux besoins des parlementaires.

    Votre question donne à penser, de manière implicite, que vous souhaitez que les parlementaires prêtent le serment du secret, mais qu'ils fassent preuve aussi de transparence à l'égard du public canadien.

+-

    Le président: Monsieur Rudner, je vais devoir vous interrompre. Vous soulevez un point fort intéressant, mais je vais devoir donner la parole aux autres membres du comité.

    Monsieur Grose.

+-

    M. Ivan Grose (Oshawa, Lib.): Monsieur Rudner, vous avez dit que les agences américaines partagent, avec le Canada, des renseignements qu'elles ne partagent même pas avec d'autres pays. Ce n'est certainement pas l'impression que nous avons. Est-ce le prix que nous devons payer, parce qu'il y a des éléments au sein de l'administration américaine qui ne nous font pas confiance, qui ne font confiance à personne? Si on avait l'impression que le Canada entretient des liens très étroits avec les agences américaines de collecte de renseignements, on ne nous permettrait peut-être pas d'avoir accès à ces renseignements. Devons-nous garder le secret si nous voulons continuer d'avoir accès à des renseignements confidentiels?

+-

    Pr Martin Rudner: Non. Tout ce que j'ai dit, et tout ce qui figure dans mon exposé, relève du domaine public. Nous savons que les Américains nous transmettent des renseignements qu'ils ne communiquent pas à d'autres. Cela, je le tire de documents qui sont publics, et notamment d'un rapport qu'une commission d'enquête du Netherlands Institute for War Documentation, chargée de faire la lumière sur la tragédie de Srebrenica, a remis au gouvernement néerlandais. Pour résumer une question fort complexe, les Néerlandais ont effectivement dit qu'ils n'ont pas accès aux renseignements auxquels les Canadiens, eux, ont accès. Ces renseignements viennent de sources tellement confidentielles que les États-Unis n'acceptent de les partager qu'avec leur allié le plus intime.

+-

    M. Ivan Grose: Nous savons tout cela, mais si le New York Times annonçait, demain matin, que les États-Unis partagent tous leurs secrets avec le Canada, croyez-vous que cette pratique continuerait?

+-

    Pr Martin Rudner: Oui. Je pense que le Congrès américain, qui exerce une fonction de surveillance, est au courant de la situation, puisque Martin Rudner a lui-même accès à cette information à partir de sources qui relèvent du domaine public. En fait, ce partage de renseignements entre nos deux pays se poursuit depuis une cinquantaine d'années. Ce n'est pas quelque chose de nouveau. Cela fait cinquante ans que nous partageons des renseignements. Les États-Unis nous transmettaient des renseignements d'origine électromagnétique, par exemple, alors que nous ne savions même pas que ce NSA et CST voulaient dire. Le Canada et les États-Unis s'échangeaient des renseignements d'origine électromagnétique. Nous savions qu'ils avaient pénétré le système de communication soviétique, puisqu'ils avaient accès aux renseignements transmis au bureau politique. Les Américains partageaient ces données avec nous.

+-

    M. Ivan Grose: Merci.

+-

    Le président: Monsieur McGuire, il reste deux minutes et demie.

+-

    M. Joe McGuire: J'aimerais vous poser deux questions. D'abord, le budget consacré à la surveillance et au renseignement maritimes est-il adéquat? Avons-nous les ressources et l'équipement nécessaires pour faire le travail? Ensuite, est-ce que la Russie fait maintenant partie des alliances internationales avec qui nous partageons des renseignements?

+-

    Pr Martin Rudner: Je vais d'abord répondre à votre deuxième question.

    Non, la Russie ne fait pas partie de ces alliances plurilatérales. Elle est considérée comme un pays ami, mais nous savons qu'elle mène, dans le domaine du renseignement, des opérations contre le Canada et ses alliés. Je ne serais pas étonné qu'il y ait réciprocité dans ce domaine.

    Tout le monde sait que nous entretenons des liens avec la Russie. Le service de renseignement russe a un agent de liaison en poste à l'ambassade de la Russie, à Ottawa. Cet agent de liaison a des contacts avec ses homologues canadiens, comme il se doit, sauf que ces contacts sont plutôt restreints.

    Prenons, par exemple, l'accord bilatéral et l'accord de libre-échange. Nous avons un accord de libre-échange avec les États-Unis. Dans le cas de la Russie, elle nous envoie du caviar, tandis que nous lui envoyons quelques bâtons de hockey et autres produits du même genre.

    Pour ce qui est de votre première question, qui porte sur la surveillance et qui est très importante, je pense qu'il faut plutôt la poser aux spécialistes des Forces canadiennes. Je ne saurais vous dire s'ils ont besoin de ressources additionnelles pour bien assurer la surveillance de nos côtes, le long des trois océans. Il s'agit là d'une question essentiellement opérationnelle qui relève de leur compétence.

À  +-(1055)  

+-

    M. Joe McGuire: Merci.

+-

    Le président: Madame Neville, vous avez le temps de poser une question très brève.

+-

    Mme Anita Neville (Winnipeg-Centre-Sud, Lib.): Monsieur Rudner, vous nous avez présenté un exposé fort intéressant, et je vous en remercie.

    Vous avez parlé de la coopération canado-américaine et des défis que pose la sécurité à la frontière. Nous avons beaucoup entendu parler des inquiétudes qu'ont les Américains au sujet des citoyens canadiens qui, souvent, sont nés à l'étranger, probablement dans un pays du Moyen-Orient. Que pensez-vous de tout cela? Comment allons-nous, à la longue, venir à bout de ce problème? Le recours au ciblage racial fait couler beaucoup d'encre au Canada.

+-

    Pr Martin Rudner: Pour ce qui est du ciblage racial, les autorités chargées de l'application de la loi nous disent qu'elles n'ont pas recours à cette pratique. Mais un fait demeure. Les personnes d'origine arabe, qui sont musulmanes, qui viennent du Pakistan, ne sont pas nécessairement toutes soupçonnées de faire partie d'un réseau terroriste. Nous nous entendons là-dessus.

    Toutefois, il ne fait aucun doute que les auteurs des attaques terroristes menées contre ces pays viennent de cette région du monde. Il ne faut pas oublier que le groupe Al-Qaïda a mené des attaques terroristes dans des pays comme l'Égypte et l'Irak. L'Égypte a perdu un président lors d'une attaque menée par les prédécesseurs du groupe Al-Qaïda. Il s'agit donc d'une réalité avec laquelle il faut composer.

    Pour revenir à l'exemple de M. Stoffer, il faut chercher ses clés non pas là où il y a de la lumière, mais là où on les a perdues. Donc, oui, la communauté du renseignement doit éviter de pratiquer le ciblage racial, mais elle doit aussi s'intéresser aux pays qui sont à l'origine du problème.

    Quel rapport y a-t-il entre cette question et le statut de Canadien, la citoyenneté canadienne? L'usurpation d'identité demeure un problème. Il y a des personnes qui utilisent à mauvais escient les documents émis par le Canada dans le but de compromettre notre sécurité. Ensuite, certains Canadiens, semble-t-il, auraient été recrutés par des organisations terroristes. Les Omanais, par exemple, ont capturé un Canadien qui est en train d'être interrogé et qui, d'après les journaux, fournit de nombreux renseignements au sujet de sa participation, et celle d'autres personnes, au réseau Al-Qaïda.

    Maintenant, les États-Unis sont d'avis que s'ils détiennent un visiteur qui est muni d'un passeport canadien et d'un passeport d'un autre pays, ils peuvent très bien décider de renvoyer cette personne non pas au Canada, mais vers cet autre pays. Que peut faire le Canada dans ce cas-là? Rien, comme il ne peut rien faire si une personne arrive au point d'entrée munie de deux passeports et que nous soupçonnons qu'elle se livre à des activités illégales ou terroristes. Il peut toutefois choisir de renvoyer cette personne vers l'un ou l'autre des deux pays.

    La loi américaine permet aux États-Unis de poser un tel geste. Il n'y a pas grand-chose que le Canada puisse faire. Il peut uniquement conseiller aux immigrants reçus de demander la citoyenneté canadienne le plus tôt possible pour éviter ce risque. Pour obtenir la citoyenneté canadienne, il faut faire l'objet d'un contrôle de sécurité, ce qui devrait rassurer nos alliés et nos amis et leur démontrer que les personnes qui obtiennent la citoyenneté canadienne sont des personnes de bonne foi.

+-

    Le président: Merci, madame Neville.

    J'aimerais, monsieur Rudner, vous poser deux brèves questions.

    D'abord, est-ce que le SCRS peut, en vertu des lois actuelles, empiéter sur les domaines d'activité des services de renseignement étrangers? Souvenez-vous de la commission Macdonald, en 1984. Donald Macdonald a clairement laissé entendre que allions devoir, à un moment donné, tenir à tout le moins un débat sur la nécessité d'avoir un service de renseignement étranger. Compte tenu de ce qui s'est passé le 11 septembre, est-ce que le SCRS se livre à des activités de renseignement à l'étranger qui pourraient compromettre l'avenir de cet organisme?

    Enfin, si le Canada décide de se doter d'un service de renseignement étranger, comment vont réagir nos alliés les plus proches, y compris les Américains?

Á  +-(1100)  

+-

    Pr Martin Rudner: Ce sont là deux questions très importantes. Je vais commencer par la première.

    D'après le directeur du SCRS, M. Elcock, les lois existantes permettent au SCRS de se livrer à des activités à l'échelle internationale, mais dans un cadre très restreint, c'est-à-dire si le Canada fait l'objet de menaces—ce qui est tout à fait justifié. Donc, le SCRS a des agents de liaison en poste dans de nombreuses capitales. Le SCRS peut, en fait, recueillir des renseignements à l'étranger, s'il y a une menace qui pèse sur le Canada.

    Or, qu'arrive-t-il si le SCRS identifie une menace à l'étranger, mais une menace non pas à la sécurité du Canada, mais à la sécurité d'un de nos alliés? Le SCRS ne peut, en droit et en principe, intervenir. Cette situation constitue une anomalie lourde de conséquences. À mon avis, il faut soit modifier la loi habilitante du SCRS et donner un sens plus large à cette définition, soit créer une nouvelle agence canadienne qui dispose d'une plus grande de marge de manoeuvre.

    Ce qui m'amène à votre deuxième question. Le SCRS est-il l'instrument indiqué? Il y a au moins deux choses dont il faut tenir compte.

    D'abord, le renseignement de sécurité représente un volet légitime et important des activités de renseignement du Canada, et aussi d'autres pays. Il faut, pour cela, des compétences spécialisées qui sont différentes de celles que commande le renseignement étranger. Il serait inquiétant d'avoir un organisme qui essaie de développer un trop grand nombre de compétences, parce qu'il aurait tendance à s'éparpiller, à compromettre son excellence. Je préférerais avoir un organisme qui se spécialise dans un domaine particulier. C'est ce que font, d'ailleurs, la plupart des pays qui mènent des activités de renseignement. Ils ont des services de renseignement qui se spécialisent dans le renseignement de sécurité, et des services de renseignement qui se spécialisent dans le renseignement étranger et dans le renseignement d'origine électromagnétique. Ces domaines d'activité requièrent des compétences particulières que vous ne voulez pas compromettre.

    Deuxièmement, et fait tout aussi important, les pays démocratiques hésitent à confier à un organisme en particulier le pouvoir de mener des enquêtes pour des motifs autres que raisonnables. Ce n'est pas sain. Les Israéliens ont le Shin Bet. Les Britanniques ont le British Security Service, ou le MI5. Les Français, les Américains et les Australiens ont des organismes de sécurité intérieure et des organismes de sécurité extérieure qui ont des mandats très distincts, puisqu'on ne veut pas qu'un petit groupe de personnes se retrouve avec des pouvoirs trop vastes.

    Il s'agit là d'un principe de compétence louable qui semble s'appuyer sur l'expérience internationale, et que le Canada doit, à mon avis, continuer d'appliquer.

    Ai-je oublié la deuxième question?

+-

    Le président: La deuxième question portait sur la réaction des alliés...

+-

    M. Joe McGuire: Votre temps est écoulé.

    Des voix: Oh, oh!

+-

    Le président: Merci, monsieur McGuire.

+-

    Pr Martin Rudner: Brièvement, j'en ai discuté de façon informelle avec nos alliés, et il est intéressant de noter que nos alliés préfèrent le statu quo pour des motifs à la fois intéressés et désintéressés. D'abord, ils savent que le Canada est un importateur net de renseignements étrangers. D'où proviennent ces renseignements? De ces mêmes pays.

    Or, ces pays n'exercent pas nécessairement de contrôle sur les projets politiques du Canada. C'est impossible. Toutefois, ils exercent un contrôle sur une bonne partie des renseignements qui sont transmis au Canada et qui servent de fondement à ces projets. Je ne dis pas qu'ils font preuve de malveillance, mais ils savent très bien ce que le gouvernement du Canada, lui, sait, et cela leur convient.

    Ensuite, de nombreux pays estiment que la contribution du Canada à ce chapitre serait minime. En fait, le service canadien de renseignement étranger reproduirait ce que d'autres services font déjà, ce qui pourrait constituer un défi pour ces derniers. Mais je n'en suis pas certain. Ils ne réagiraient pas de la même façon face aux Australiens, par exemple. Les Australiens disposent déjà d'une importante capacité de collecte de renseignement étranger. Leurs renseignements s'ajoutent à ceux que possèdent les groupes CAZAB et UKUSA, et d'autres groupes bilatéraux.

    Donc, nos alliés préféreraient qu'on maintienne le statu quo, mais il reste que le Canada pourrait apporter une contribution dans ce domaine s'il choisissait de se doter d'un tel service.

Á  -(1105)  

+-

    Le président: Monsieur Rudner, je tiens à vous remercier, au nom de tous les membres du comité. Nous avons été vivement impressionnés par l'étendue et la profondeur des connaissances que vous avez de ce sujet fort complexe.

    Des voix: Bravo!

+-

    Le président: M. Stoffer souhaite dire quelques mots.

+-

    M. Peter Stoffer: Merci beaucoup, monsieur le président.

    J'ai appris, hier matin, à 9 h 30, que je ne ferais plus partie du comité de la défense. Votre nouveau collègue sera Bill Blaikie.

    J'en ai discuté avec Jack Layton. À mon avis, il n'y a que deux personnes au sein de mon parti qui sont en mesure d'assumer cette responsabilité et de défendre la position du parti en matière de défense: il s'agit de Bill Blaikie et de Lorne Nystrom. Je me suis entretenu avec Bill, et il m'a dit qu'il accepterait volontiers de me remplacer. Je crois que cela va grandement aider notre parti. Vous savez tous ce que je pense de la question. Toutefois, Bill, qui compte 23 années d'expérience au Parlement, sera en mesure d'aider le parti à changer la perception qu'il a des questions militaires et de défense.

    Je tiens à remercier David Pratt pour sa collaboration, et je tiens à remercier aussi tous les membres du comité pour l'intérêt qu'ils ont porté au dossier de Shearwater. Je sais que vous poursuivrez l'excellent travail qui a été fait jusqu'ici pour protéger cette base.

    Je tiens à remercier Michel, nos attachés de recherche et nos adjoints. J'ai beaucoup aimé travailler avec ce comité. Vous êtes fantastiques. J'ai surtout éprouvé une très grande fierté quand le CPDNAC a déposé un rapport appuyé presqu'à l'unanimité par tous les membres du comité. Ce rapport constitue une bible pour moi, pour ma circonscription. Je suis d'accord avec son contenu, ses recommandations, et j'espère que nous verrons, dans le prochain budget, une augmentation adéquate des ressources consacrées à nos militaires.

    Comme je l'ai dit aux membres de mon parti, et comme je l'ai dit à tous ceux qui ont bien voulu m'écouter, les militaires font le sacrifice de leur vie pour leur pays. En tant que parlementaires, nous avons une responsabilité à l'égard de ces hommes et de ces femmes. Si nous ne sommes pas prêts à honorer cette obligation, alors notre place n'est pas ici, à la Chambre des communes.

    Donc, merci à tous. Ce fut une expérience agréable.

    Des voix: Bravo!

+-

    Le président: Monsieur Stoffer, je tiens à dire, au nom de tous les membres du comité, que vous avez apporté une contribution très importante aux travaux du comité. L'intérêt que vous portez aux questions militaires et au bien-être des hommes et des femmes qui font partie des Forces canadiennes est bien connu. Je pense que les médias l'ont aussi reconnu.

    Vous allez nous manquer. Votre départ va laisser un grand vide.

+-

    M. Peter Stoffer: C'est un vide que Bill Blaikie sera en mesure de combler.

+-

    Le président: J'en suis certain.

    Encore une fois, au nom de tous les membres du comité, merci beaucoup.

+-

    M. Peter Stoffer: Merci.

-

    Le président: La séance est levée.