Bonjour. Après vous avoir parlé brièvement de ma carrière, j'aimerais faire quelques commentaires qui, à mon avis, sont fort pertinents. Je respecterai les 10 minutes qui m'ont été accordées.
Je suis titulaire d'un doctorat de l'Université McGill en océanographie biologique. J'ai enseigné dans le secteur des pêches et de l'aquaculture pendant environ 30 ans et j'ai pris ma retraite, comme enseignant, il y a cinq ou six ans. J'ai enseigné à Alert Bay et également à Nanaimo, à l'Université Vancouver Island.
Je suis spécialiste, entre autres, en salmoniculture, en biologie des salmonidés, en biologie des invertébrés, en conchyliculture et en écologie marine. Pour ce qui est du pou du poisson, j'ai eu de l'expérience sur le terrain dans l'archipel Broughtons et dans les îles Gulf pendant une période de trois ou quatre ans. Je faisais partie du Comité consultatif scientifique du Forum sur le saumon du Pacifique et je suis actuellement directeur de l'Institut pour la recherche côtière de l'Université Vancouver Island et associé de recherche au centre qui étudie les mollusques à la VIU.
J'aimerais d'abord faire quelques annonces. Je n'ai pas vraiment eu beaucoup de temps pour me préparer — en fait, je n'ai eu qu'hier. Il y a des domaines dans lesquels je ne me sens pas expert, alors si vous posez des questions sur un domaine où je ne juge pas être compétent ou en connaître suffisamment, je vous le dirai.
Ce que je veux dire surtout — et ce ne sera probablement pas la première fois qu'on vous le dit —, c'est qu'on a dépensé beaucoup d'argent pour étudier le pou, les exploitations salmonicoles et le saumon sauvage. Je pense qu'environ 20 millions de dollars y ont été consacrés au cours des 10 dernières années; certains disent que c'est peut-être même 30 millions de dollars, voire plus.
Une bonne partie de ces recherches ont été effectuées dans le but de prouver ou de réfuter le fait que l'aquaculture avait un impact, par l'entremise du pou du poisson, sur les populations de saumon rose. Par conséquent, bon nombre de ces travaux de recherche, à mon avis, ne se sont pas attardés sur les connaissances critiques qu'il nous faut pour régler le problème.
Par exemple, nous ne savons pas comment le pou du poisson, à son stade infectieux, qui est très rare dans le plancton, trouve son hôte, le saumon rose. Nous savons que c'est ce qui se produit, mais nous ne savons pas comment le pou arrive à trouver son hôte, et c'est quelque chose qu'il nous faut absolument savoir si nous voulons vraiment procéder à une étude épidémiologique. Cela a un impact sur tous les modèles que vous pourriez utiliser pour décrire l'infection et évidemment, cela pourrait jouer sur les techniques de gestion utilisées.
Nous n'avons en fait qu'une idée générale et fort vague de la façon dont l'infection par le pou du poisson en haute mer peut continuer à toucher le poisson. Comment le pou est-il transféré dans des zones où il n'y a pas d'exploitations salmonicoles, par exemple, à de jeunes poissons lors de leur séjour en haute mer et dans les zones côtières? En dépit d'un grand nombre de théories, nous n'avons aucune certitude.
De plus, le pou du poisson que nous retrouvons en Colombie-Britannique — je sais qu'on vous l'a déjà probablement dit — est probablement une espèce différente. Des études génomiques démontrent qu'il s'agit d'un pou différent, ce qui est parfaitement logique. Par conséquent, nombre des données que nous retrouvons dans les recherches effectuées en Europe pendant une longue période ne peuvent pas être utilisées ici avec quelque confiance que ce soit. Nous n'en connaissons pas suffisamment sur l'impact relatif de la température et de la salinité sur notre espèce de pou du poisson. Nous n'en savons pas suffisamment sur l'interaction entre le parasite et le système immunitaire de l'hôte, et cela est très important.
Nous savons que le saumon du Pacifique a une bonne résistance naturelle au pou du poisson. Autrement dit, nous parlons ici d'un parasite qui a bien su s'adapter. Mais il y a beaucoup d'autres facteurs que nous ne connaissons pas parce qu'il s'agit ici d'une nouvelle espèce, et nous n'étions pas conscients de cet aspect lorsque nous avons commencé nos travaux.
De plus, et vous êtes sans aucun doute bien au courant de la situation, c'est qu'il existe en Colombie-Britannique une polarisation marquée à ce sujet. Les scientifiques se penchent sur le débat, et c'est bien, mais l'intensité du débat ici à ce sujet est très forte.
C'était un débat beaucoup plus animé et plus récurrent, à mon avis, que pour d'autres sujets, à un point tel qu'il y a des scientifiques de renommée des deux côtés qui tiennent des propos complètement contraires et qui ne sont pas du tout d'accord les uns avec les autres. Cela ne facilite pas les choses pour les non-spécialistes qui essaient de se faire une opinion quand vous avez des spécialistes fort compétents qui ne sont pas du tout du même avis. C'est un grave problème.
Il importe également de signaler — quoique je ne sais pas si nombre de scientifiques seraient d'accord avec moi — qu'en dépit de toutes les recherches que nous effectuons dans le domaine des sciences naturelles, de la biologie et de l'océanographie, pour n'en mentionner que quelques-uns, nous n'avons toujours pas trouvé de solutions au problème. Nous allons d'un problème à l'autre, parce que la vraie question, à mon avis, est la suivante: devrions-nous avoir un secteur de la salmoniculture en Colombie-Britannique? Certains sont d'avis que nous devrions avoir des sites d'élevage, d'autres jugent que non. Le problème, c'est l'acceptation sociale de la salmoniculture.
Même si toutes ces questions sont abordées comme étant des préoccupations environnementales et qu'on parle aussi de l'impact environnemental, y compris les effets négatifs sur le poisson sauvage, je pense que les vrais problèmes sont bien différents, parce que nous ne semblons jamais être en mesure de les régler. Peu importe les recherches scientifiques que nous effectuons, le conflit demeure toujours, et ne semble pas s'atténuer.
Je serai heureux de revenir à cette question plus tard, si vous le désirez, mais je crois que les sciences sociales pourraient offrir tout autant de réponses à nos questions que les sciences naturelles, et c'est une chose que nous n'avons pas encore vraiment examiner en Colombie-Britannique.
Permettez-moi de faire quelques autres commentaires. Je crois que nous avons eu parfaitement raison de nous attaquer au problème du pou du poisson lorsqu'il a fait surface il y a environ 10 ans, parce que le problème avait déjà existé pendant plusieurs années en Europe.
Mais il s'agissait d'un problème politique, dès les premiers jours, quand des résidants de la province ont vu un grand nombre de poux du poisson sur les alevins du saumon rose après la plus grande échappée de saumons roses de l'histoire des salmonidés. Ils ont noté que le poisson portait des poux du poisson, puis, un an plus tard, en 2002, les remontes des saumons roses avaient chuté de façon dramatique.
La population de saumons est passée d'environ 300 à 50 millions en une seule génération. C'est une chute extraordinaire. Ce n'est pas inusité pour le saumon rose... mais c'était quand même extrême. Il serait donc normal de se tourner vers le pou du poisson, mais le problème du pou du poisson a été cerné immédiatement par ceux qui vivent dans cette région de la province, par des gens qui voulaient que les sites de salmoniculture disparaissent du secteur depuis déjà plusieurs années.
Il y a d'autres facteurs bien légitimes qui expliquent la chute dramatique de la population de saumons roses. Par exemple, il est fort possible qu'il y avait trop d'alevins pour la nourriture disponible. Il s'agit donc d'une mortalité attribuable à la densité. C'est la pierre angulaire de l'écologie moderne et de la gestion des pêches. L'abondance de la nourriture et le moment de l'apparition des alevins n'ont peut-être pas coïncidé. Peut-être les alevins sont-ils venus trop tôt ou la nourriture s'est-elle présentée plus tard. C'est un phénomène qui existe. Les conditions océaniques en haute mer ont également peut-être joué un rôle.
Je ne dis pas que ces facteurs étaient présents lorsque les stocks ont chuté, mais parce que l'on sait que le saumon rose connaît d'importantes variations au niveau de la population et qu'il y a souvent des chutes dramatiques, et que cela se produisait bien avant qu'on invente la salmoniculture, et ce à des endroits où il n'y avait pas de sites de salmoniculture, je juge qu'on aurait dû au moins se pencher sur certaines de ces autres hypothèses à l'époque. Cependant, on a décidé de blâmer le pou du poisson et on n'est jamais revenu sur cette décision, et on n'a jamais étudié de plus près ces autres hypothèses. C'est regrettable.
L'incidence de poux du poisson a diminué à la fois chez le poisson d'élevage et chez le poisson sauvage. Cela semble être une tendance qui se dessine depuis 2005. Nous ne pouvons pas vraiment déterminer si cette diminution est attribuable à des changements environnementaux, comme une baisse de la salinité de l'eau ou un changement de la température, mais nous savons clairement que les sites d'élevage sont traités, mis en jachère ou vidés, ou encore qu'ils n'ont que des saumoneaux avant que n'arrivent les alevins du saumon rose.
Il s'agit là d'un programme de gestion locale qui a été lancé par le gouvernement provincial en collaboration avec les principaux salmoniculteurs de la région; je crois qu'il est juste de dire que la gestion des sites d'élevage a permis de limiter les risques associés aux exploitations, aux poux du poisson et aux saumons sauvages. En d'autres termes, il existe un système de gestion aujourd'hui qui devrait permettre de limiter le problème.
Je désire mentionner le saumon rouge parce que j'ai noté dans les médias qu'on laisse entendre que la chute du nombre de saumons rouges dans le fleuve Fraser pourrait être attribuable au passage de saumoneaux rouges à proximité de sites de salmoniculture des îles Discovery à proximité de la rivière Campbell. Une bonne partie des travaux effectués en laboratoire au cours des deux ou trois dernières années ont démontré — et il faut être prudent quand on pense à transférer les résultats obtenus en laboratoire à ce qui se passe sur le terrain — que le saumon rose, qui ne fait que 0,2 gramme ou un cinquième de gramme lorsqu'il arrive à l'eau salée, est vulnérable au pou du poisson jusqu'à ce qu'il atteigne 0,3 ou 0,5 ou un demi-gramme. Puis, il acquiert une certaine résistance. Lorsque l'alevin atteint un gramme, il est alors très résistant au pou du poisson.
Le saumon sockeye passe toute une année dans les lacs, et parfois plus longtemps, avant d'arriver à l'océan. Ces saumons sont assez gros. Ils sont des saumoneaux et non plus des alevins. Ils peuvent faire trois ou cinq grammes, et ils sont donc peut-être 25 fois plus gros que l'alevin du saumon rose. Leur peau et leurs écailles sont parfaitement développées et devraient offrir une plus grande résistance aux poux du poisson, même si ces derniers se fixaient sur eux lorsqu'ils passent près d'un site aquacole. Je pense donc que ce problème n'existe pas. C'est mon opinion personnelle.
J'aimerais enfin vous dire quelques mots sur la façon de ne pas faire les choses. En Colombie-Britannique... Permettez-moi de faire marche arrière. On dirait que les recherches effectuées sur les sites d'élevage du saumon portent souvent sur des sujets qui semblent préoccuper le public. Cela semble être logique: vous voulez régler les problèmes qui semblent préoccuper la population. Ces problèmes sont survenus par vague, et le problème le plus récent est celui du pou du poisson, et c'est en fait le problème qui a duré le plus longtemps et celui qui a fait couler le plus d'encre au cours des dernières années.
Mais tout semble indiquer que les préoccupations du public sont tributaires de la couverture médiatique. Ainsi, ceux qui savent mieux convaincre les journalistes de rédiger des articles sur un sujet particulier semblent être ceux qui dictent les priorités en matière de recherche. Tout compte fait, si le Vancouver Sun décide des priorités en matière de recherche, ce n'est peut-être pas l'idéal. Dans ces circonstances, le travail scientifique, comme je l'ai déjà signalé, devient polarisé sur la recherche de la preuve irréfutable. Ainsi, on gaspille beaucoup de temps et d'argent simplement pour trouver quelqu'un à blâmer et pour éviter d'être blâmé, et c'est pourquoi nous ne connaissons pas certains des aspects de la biologie du saumon rose, du pou du saumon ou du pou du poisson.
Si vous pensez au temps que les gestionnaires et les fonctionnaires ont consacré à cette question, vous ne pourrez jamais vraiment évaluer combien la question du pou du poisson nous a coûté — et nous ne savons toujours pas ce que nous devons savoir. Nombre de questions moins charismatiques ont été négligées et l'on dépense de l'argent sur une question qui a essentiellement fait l'objet d'une promotion par les médias ou par ceux qui ont su comment rejoindre les médias.
Il nous faut donc une nouvelle approche. Je ne sais pas quoi. Je crois qu'il faut faire preuve d'innovation. Encore une fois, les sciences sociales pourraient peut-être nous aider.
Voilà qui met fin à mes commentaires.
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Je vais aborder la question sous un angle légèrement différent.
Bonjour, Bill.
M. William Pennell: Bonjour!
M. Brian Harvey: Je pense que je devrais me contenter de vous dire qui je suis, comment j'en suis venu à m'intéresser au pou du poisson, et quelles sont mes connaissances spécialisées. Je suppose que je suis ici pour répondre à vos questions et pour vous fournir des renseignements et peut-être même mon opinion.
Je suis un biologiste indépendant. Je travaille à titre indépendant depuis que j'ai reçu mon doctorat en 1979 de l'Université de Victoria. J'ai étudié la physiologie du poisson dans le secteur de la pêche et j'ai concentré mes études sur l'utilisation durable de la biodiversité aquatique.
Je connais assez bien la biologie et les problèmes associés au pou du poisson parce que j'ai eu deux contrats avec le Forum du saumon du Pacifique de la Colombie-Britannique en 2008 et en 2009. On m'avait demandé d'étudier les publications scientifiques revues par un comité de lecture pertinente portant sur l'interaction entre le saumon sauvage et le pou du poisson provenant des élevages de saumon de l'archipel Broughton. C'est la tâche qu'on m'avait confiée. Je ne suis pas un biologiste expert du pou du poisson. Je n'ai pas d'expérience personnelle ou professionnelle en la matière car je n'ai pas effectué des expériences sur le pou du poisson. J'ai eu par la suite un autre contrat du forum sur le saumon, qui m'avait demandé d'étudier tout ce qui présentait un danger pour le saumon sauvage en Colombie-Britannique, ce qui incluait le pou du poisson.
Dans les 10 premières années de ma carrière, je me suis concentré tout particulièrement sur la conservation de la biodiversité aquatique dans les pays en voie de développement et au sein des collectivités autochtones. Après environ 10 ans, j'ai mis sur pied une ONG canadienne qui, à mon avis, est une bonne réussite — et elle existe toujours d'ailleurs. Il s'agit d'un organisme à but non lucratif appelé World Fisheries Trust qui permet simplement d'appliquer les conclusions de mes recherches au Canada et dans les pays en voie de développement. Nous avons assuré la formation d'intervenants et mené des travaux de développement communautaire. J'ai pendant cette période publié quatre ouvrages techniques sur la conservation de la diversité biologique aquatique.
Dans la troisième décennie de ma carrière, j'ai quitté le World Fisheries Trust pour me concentrer plutôt sur mon rôle de conseiller indépendant et d'auteur. Je me suis spécialisé dans deux secteurs: j'ai préparé des examens, des évaluations des risques et des analyses de politique sur les secteurs des pêches et de l'aquaculture pour des organismes nationaux et internationaux. Puis, faisant peut-être de preuve d'un peu plus de créativité, j'ai écrit et publié des articles, des chroniques et des ouvrages sur la science et le développement des pêches. Ces publications étaient destinées au grand public.
J'ai publié mon premier vrai livre en 2008 intitulé The End of the River . Cet ouvrage porte sur la gestion de l'eau et les pêches à l'échelle internationale et plus particulièrement, la gestion de l'eau au Brésil.
Au fil des ans, divers organismes comme la FAO des Nations Unies, l'ACDI, le CRDI, Pêches et Océans, la Banque mondiale, le Programme de l'environnement des Nations Unies, la Convention sur la diversité biologique de Montréal et de nombreux autres organismes ont financé mes travaux.
J'ai rédigé plusieurs analyses des risques et des résumés biologiques pour le MPO. Ces documents portaient principalement sur des espèces relevant du COSEPAC ou figurant sur la liste des espèces aquatiques en péril. Certaines de ces espèces avaient fait couler beaucoup d'encre, dont le saumon rouge du lac Cultus et le naseux Nooky, un petit poisson obscur qui a tout un passé politique.
J'oeuvre dans le secteur des pêches durables et de la conservation de la biodiversité au Canada, en Asie du Sud-Est et en Amérique latine depuis environ 25 ans. J'ai même lancé une longue campagne pour la préservation de la diversité génétique du saumon, et je connais donc assez bien les problèmes relatifs au saumon en Colombie-Britannique.
J'ai organisé et présidé un grand nombre de conférences et d'ateliers internationaux sur la biodiversité aquatique et j'ai oeuvré à titre de conseiller auprès des gouvernements provinciaux et fédéral sur certaines de ces questions. J'ai aussi travaillé étroitement avec les premières nations. J'ai en fait beaucoup collaboré avec elles, y compris les Shuswap, en Colombie-Britannique, les Nuu-chah-nulth, qui regroupent plusieurs bandes, les Carrier-Sekani et les Sliammon.
À l'heure actuelle, je suis expert-conseil et écrivain. Pour ce qui est de la consultation, je me concentre sur les questions de politique et de biodiversité aquatique.
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Si j'ai bien saisi, vous voulez que je vous dise si le pou du poisson n'est qu'un facteur parmi tant d'autres qui menace le saumon rose; je parle seulement du saumon rose parce que c'est la seule espèce sur laquelle on s'est vraiment penché.
Je dirai simplement ceci: mon opinion est celle de la majorité des scientifiques qui rédigent des rapports de recherche sur la question, c'est-à-dire que plusieurs facteurs menacent le saumon. Il existe une interaction entre nombre de ces facteurs. Nous ne comprenons pas tout à fait comment ces interactions fonctionnent, mais évidemment, vous ne seriez pas un bon biologiste si vous ne reconnaissiez pas qu'il y a habituellement plusieurs facteurs qui entrent en ligne de compte pour expliquer ce genre de situation. Un très grand nombre de facteurs ont un impact sur les populations de salmonidés, cela a déjà été démontré.
Aux États-Unis, par exemple, la situation est un peu différente et ils ont un système qui repose sur quatre piliers qu'on appelle en anglais les « quatre H ». Voyons si je me souviens bien, harvest, la récolte, hatcheries, l'écloserie, l'hydro-électricité. C'est quoi l'autre H? Ah oui, évidemment, l'habitat, soit la perte d'habitat.
Les choses sont un peu différentes ici en Colombie-Britannique. Nous n'avons pas les importants développements hydroélectriques qu'on retrouve aux États-Unis. Mais les autres facteurs, comme le changement climatique et les contaminants qui proviennent des fonderies d'Asie, ont tous un impact sur la population de salmonidés. Il n'est donc pas probable qu'il n'y ait qu'un seul facteur qui explique la situation. Encore une fois, le principe de précaution est un outil utile qui permet de conclure qu'il pourrait y avoir 10 facteurs qui contribuent à la situation, mais ce constat ne simplifie pas les choses lorsqu'on essaie d'élaborer des politiques ou d'adopter des mesures législatives.
En passant, je comprends votre situation parce que vous devez vous fier à des experts qui tergiversent et qui essaient de protéger leur position. Je comprends très bien votre situation. J'essaie d'écrire pour le grand public, de vulgariser pour permettre aux lecteurs de bien comprendre une question particulière, mais le principe de précaution dit quand même qu'il pourrait y avoir 10 facteurs qui expliquent une situation. Quels sont les facteurs pour lesquels on peut prendre des mesures?
Dans le cas qui nous occupe, on peut agir au niveau des récoltes. On peut agir au niveau de l'impact des écloseries sur le saumon sauvage. Il est possible de redonner aux saumons sauvages une partie de son habitat. On ne peut pas vraiment faire grand-chose au niveau du changement climatique dans l'immédiat pour aider les salmonidés, car il est clair que le changement climatique a un impact sur ces populations, mais nous pouvons également faire quelque chose pour régler le problème du pou du poisson.
Si nous jugeons que les récoltes posent un problème, nous les réduisons. Nous ne serons peut-être pas en mesure de démontrer que c'est un des facteurs, aussi étrange que cela puisse paraître. Ce n'est pas aussi simple que l'on pense, mais nous jugeons que l'exploitation est un des problèmes. Il suffit simplement de diminuer les prises.
Si nous sommes d'avis qu'il y a de fortes chances que le pou du poisson présente un problème, il s'agit de prendre des mesures. Je crois que c'est justement ce qu'on a fait lorsqu'on a adopté des programmes de gestion intégrée, dont Bill Pennell parlait tout à l'heure.
Ainsi, mon opinion n'est pas vraiment différente de celle de la plupart des scientifiques. Nous vivons dans un écosystème. Il y a toutes sortes de facteurs d'influence, et il y a beaucoup de choses qui menacent le saumon. Il suffit de mentionner le pou du poisson. Il s'agit peut-être là d'un des facteurs que nous pouvons contrôler plus facilement que les autres.
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Je m'appelle Martin Krkosek. Je suis associé en recherche à l'École des sciences aquatiques et des pêches de l'Université de Washington.
Je me penche sur le dossier du pou du poisson et du saumon depuis déjà un peu plus de huit ans. J'ai obtenu un doctorat de l'Université de l'Alberta pour l'étude que j'ai réalisée sur ce dossier il y a deux ans et demi. J'ai reçu plusieurs prix pour ces travaux, dont une médaille d'or du gouverneur général. J'ai rédigé une vingtaine d'articles sur le sujet au fil des ans, y compris certains des articles les plus importants qui sont parus dans les plus grands journaux scientifiques et qui ont su grandement attirer l'attention des médias.
Je tiens à vous remercier de m'avoir invité à vous rencontrer aujourd'hui. C'est tout un honneur pour moi d'être en mesure de venir vous parler de cette question. J'ai préparé un document d'information pour vous; malheureusement, il n'existe pas encore de version française, mais elle ne saurait tarder.
J'approuve pratiquement tout ce que mes collègues ont dit lors de la dernière heure. À mon avis, nous nous concentrons beaucoup sur ce que nous ne savons pas dans ce dossier mais pas vraiment sur ce que nous savons, et j'aimerais vous en dire un petit peu plus long là-dessus.
Quatre grandes questions caractérisent ce dossier, des questions sur lesquelles je me penche depuis déjà un bon moment. La première question est la suivante: est-ce que le pou du poisson des élevages salmonicoles contamine le saumon sauvage? Deuxièmement, le cas échéant, quel est l'impact sur le comportement et sur la survie du poisson sauvage? Troisièmement, s'il s'agit d'infestations en série, quels effets ont-elles sur les populations de saumons sauvages touchées? Enfin, si tout cela représente un problème, quelles nouvelles méthodes de gestion pouvons-nous adopter, s'il y en a? Je me penche sur toutes ces questions depuis déjà huit ans.
Est-ce que le pou du poisson provenant d'élevages salmonicoles infecte le saumon sauvage? Tout semble indiquer que c'est le cas. Les élevages de saumon ne sont pas la seule source de pou du poisson dans l'environnement; en fait, le pou du poisson est un parasite naturel qui existait bien avant que l'on ne procède à l'élevage du saumon. Ce qui a changé, c'est le moment où la transmission se fait dans la vie du saumon et l'ampleur de l'infestation.
Lorsqu'il n'y a pas d'exploitations salmonicoles, le jeune saumon quitte les rivières et les lacs et se rend dans l'environnement marin littoral au printemps, soit en mars, avril, mai et juin. Pendant cette période, il y a très peu d'hôtes naturels pour le pou du poisson dans l'environnement du littoral. La majorité des hôtes sont au large; il s'agit de saumons adultes, et ils suivent à cette époque leur migration trophique. Ce n'est qu'à l'été, soit en juillet ou en août, que d'importantes populations de saumons sauvages reviennent vers le littoral, portant alors des poux du poisson. Ainsi, il existe une période de trois à quatre mois entre le moment où le jeune saumon se rend dans l'océan et le moment où il est exposé pour la première fois au pou du poisson. C'est pendant cette période qu'il est le plus petit et le plus vulnérable à l'infection.
Les choses sont bien différentes lorsqu'il y a des exploitations salmonicoles. Elles présentent une population hôte très importante pour le pou du poisson pendant l'hiver, de sorte que lorsque les jeunes saumons arrivent dans l'environnement marin littoral, ils sont en contact avec des élevages de saumons qui renferment des millions d'hôtes domestiqués à un endroit comme l'archipel Broughton, et ces hôtes portent une grande quantité de poux du poisson. Lorsque le jeune saumon entre dans l'océan, il est en contact avec ces parasites et il n'est pas vraiment en mesure de leur résister. C'est justement ce qui nous inquiète: l'impact du pou du poisson au début de la période où le saumon est un alevin, pendant ses premiers mois de vie marine.
Nous avons constaté que dans les régions où il n'y a pas d'exploitations salmonicoles, la prévalence naturelle d'infection est d'environ 5 p. 100 pour le jeune saumon à cette étape de sa vie. Cependant, dans les régions où il y a des élevages de saumon, la prévalence fluctue énormément, mais elle est habituellement beaucoup plus importante et, dans certains cas, elle peut atteindre 90, 95 ou même 100 p. 100. On relève à l'occasion un taux de mortalité très élevé associé à une charge importante de poux du poisson.
Nul besoin d'être mathématicien pour voir ce que cela représente. J'étudie cette question environ six mois par année depuis déjà huit ans, et vous voyez vraiment l'impact de cette charge de poux du poisson.
Le pou du poisson peut entraîner la mort du jeune saumon. Un pou adulte suffit à causer la mort du plus petit saumon. Les cas les plus communs sont ceux du jeune saumon de taille moyenne qui porte deux ou trois poux, et là l'interaction est beaucoup plus subtile. Il est plus probable qu'il y ait un effet sublétal qui prédispose le poisson à des maladies ou en fait une proie plus facile pour les prédateurs. C'est probablement ce qui entraîne la mort du saumon. Le pou modifie le comportement du jeune saumon de sorte qu'il devient une proie plus facile pour les prédateurs. En fait, dans l'océan, bien avant que le pou ne tue le poisson, un prédateur le tuera simplement en raison de l'infection qui a modifié son comportement.
Pendant à peu près cinq ans, le jeune saumon de l'archipel Broughton a connu de graves infestations en série du pou du poisson. Ce sont en fait ces infestations qui nous ont poussés à nous pencher sur ce dossier. À l'époque, nous avons enregistré un taux de mortalité très élevé chez les jeunes saumons. En utilisant des outils classiques en matière de pêches et d'épidémiologie, nous avons pu isoler l'impact du pou du poisson des nombreux autres facteurs de confusion et nous avons conclu que le pou du poisson avait une incidence sur la productivité des populations de saumons roses sauvages de l'archipel Broughton. Pendant cette période d'infestation, la productivité a diminué à un point tel que les populations étaient menacées de disparition à l'échelle locale.
Depuis, d'importants changements ont été apportés à la gestion. Ainsi, on est passé d'une gestion axée sur la protection de la productivité des sites d'élevage à une gestion axée sur la protection du saumon sauvage contre le pou du poisson. Il s'agit d'un plan de gestion locale coordonnée; tout ce travail se fait principalement aujourd'hui encore dans l'archipel Broughton.
Au printemps, lorsque le jeune saumon se dirige vers la mer, à peu près la moitié des sites sont vides ou sont traités avec des antiparasitaires chimiques afin de réduire au niveau le plus bas possible le nombre de poux du poisson pendant cette période de dévalaison. Des résultats préliminaires semblent indiquer que ce plan de gestion est efficace. La charge de poux dans les sites d'élevage et sur le saumon sauvage a diminué de façon dramatique au cours des dernières années.
En se servant des modèles que nous employons actuellement, nous, les scientifiques, pourrions conclure que tout cela mènerait au rétablissement de ces populations. Les prévisions que nous avons faites par le passé, alors que nous nous attendions à la disparition locale de certaines populations en raison de l'infestation du pou du poisson, ne sont plus utiles aujourd'hui. Les infestations de pou du poisson ont été dans une large mesure éliminées dans l'archipel Broughton en raison du changement des méthodes de gestion.
Cette nouvelle gestion dépend en grande partie du recours aux antiparasitaires chimiques et, à mon avis, cette situation est un peu précaire. D'abord, le fait est que ces produits chimiques pourraient avoir un effet négatif sur l'écosystème aquatique. C'est un produit toxique pour les crustacés. Cela inclut les crevettes, le crabe et les copépodes du zooplancton, qui sont un élément essentiel du réseau trophique. À ce jour, aucune étude n'a été faite afin d'évaluer l'impact de ces produits chimiques sur l'environnement.
De plus, ces produits chimiques peuvent aussi avoir une utilité limitée car il est possible que le pou du poisson développe une résistance à ces produits. C'est une chose qui s'est déjà produite au Nouveau-Brunswick, en Norvège et au Chili. Compte tenu de ce qui s'est produit dans les autres régions, il se pourrait fort bien que la même chose survienne en Colombie-Britannique, même si cela pourrait prendre un peu plus de temps avant de se produire.
Cependant, l'hiver dernier, pour la première fois, nous avons noté qu'un traitement au Slice — le benzoate d'emamectine — n'a pas porté fruit en Colombie-Britannique, dans la baie Nootka, ce qui nous pousse à croire que le pou du poisson commence déjà à développer une résistance aux produits chimiques utilisés dans la province.
Cependant, ce n'est pas la seule explication possible. Il se peut également que la dose donnée n'était pas appropriée ou que le saumon se nourrissait moins et n'a donc pas reçu la dose appropriée. Aucune étude n'a encore été effectuée dans le but de déterminer si le pou du poisson a développé une résistance chimique en Colombie-Britannique.
À ce jour, la majorité des études faites en Colombie-Britannique ont porté sur le saumon rose de l'archipel Broughton, et c'est à cet endroit que nous avons pu en apprendre le plus sur la science et l'interaction du pou du poisson et du saumon. Cela nous a permis de noter l'efficacité des nouvelles mesures de gestion.
J'aimerais cependant signaler que dans toutes les grandes régions de salmoniculture de la Colombie-Britannique, tout principalement les îles Discovery, l'archipel Broughton et la baie Clayoquot, nous avons les mêmes modèles d'infestation du pou du poisson et de diminution des populations de saumons sauvages, qu'il s'agisse du saumon rose, du saumon kéta, du saumon coho, du saumon quinnat ou du saumon rouge.
Il est fort probable que les problèmes que nous avons relevés dans l'archipel Broughton sont généralisés dans la province. Cependant, il est également probable qu'il existe des solutions au niveau de la gestion qui nous permettront de gérer ces problèmes. Ces solutions dépendent de la viabilité à long terme des produits chimiques utilisés pour contrôler le pou du poisson dans les sites d'élevage.