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Je vous remercie de m’avoir invité. C’est un honneur d’être ici.
Compte tenu du temps de parole relativement bref dont je dispose. J’aimerais mettre en relief cinq points qui, selon moi, sont particulièrement pertinents relativement à l’estimation des risques et des dommages sanitaires du cannabis. Mon premier point fournit un contexte général pour la discussion qui suivra. Je suis un psychologue clinicien et un chercheur dans le domaine des toxicomanies, et j’ai acquis une expérience considérable de la conduite de recherches en collaboration avec des personnes aux prises avec des problèmes de toxicomanie et des troubles mentaux plus généraux et du traitement de ces personnes.
Étant donné mes compétences dans ce domaine, j’aimerais mettre principalement l’accent sur les effets néfastes et les risques du cannabis qui se rapportent au fonctionnement psychologique et comportemental ainsi qu’au bien-être. Je choisis également de me pencher surtout sur ses effets psychologiques et comportementaux, plutôt que sur ses effets sur la santé physique en tant que telle, à cause de l’absence de données probantes portant sur les risques significatifs pour la santé et les effets néfastes attribuables à la consommation du cannabis.
Dans une décision rendue en 1988 par le juge de droit administratif en chef de la DEA, Francis Young, a affirmé que la marijuana était probablement une des substances thérapeutiques les plus sûres que connaisse l'humanité. Les nombreuses recherches qui ont été menées ultérieurement pour étudier les conséquences sanitaires de la consommation du cannabis n’ont pas prouvé le contraire. À mon avis, la déclaration du juge Young est aussi vraie aujourd’hui qu’elle l’était il y a un peu plus de 25 ans de cela. En l’absence de risques et d’effets néfastes liés à la santé physique, je pense qu’on devrait se concentrer sur les effets néfastes du cannabis sur la santé psychologique et publique ainsi que sur les risques qu’il fait peser sur cette santé.
À cet effet, j’aimerais parler de l’état des connaissances scientifiques au chapitre de la corrélation qui existe entre l’utilisation du cannabis et des problèmes de santé liés à la violence, au fonctionnement cognitif, à l’anxiété et aux psychoses. Comme mon temps est compté, je vais simplement vous donner un aperçu de chacun de ces points, en mettant l’accent sur quelques études clés que j’ai remises au greffier.
La violence est une importante préoccupation en matière de santé publique et la principale cause de blessures. Une documentation substantielle confirme que la violence est une conséquence négative importante de la consommation de substances en général, et d’alcool en particulier. Par conséquent, il est logique d’enquêter sur la mesure dans laquelle l’utilisation du cannabis peut également être liée à la violence interpersonnelle. En effet, la prohibition du cannabis au début des années 1900 était imputable en partie au rôle putatif du cannabis dans la libération des pulsions agressives, et la corrélation entre son utilisation et la violence a suscité l’attention de nombreux chercheurs. Toutefois, en dépit du grand nombre de recherches qui démontrent le lien qui existe entre la consommation d’alcool et la violence, les faits ne prouvent pas clairement que l’utilisation du cannabis et la violence sont liées. Les résultats des études menées sont incohérents, et bon nombre d’entre elles ont négligé de prendre en considération les effets potentiellement troublants d’autres facteurs, comme ceux d’une tendance antisociale générale et de l’utilisation concomitante d’autres substances, notamment l’alcool.
En effet, l’une des théories les plus importantes qui expliquent la corrélation entre l’utilisation du cannabis et la violence, à savoir la théorie de la déviance générale, soutient que, lorsque le lien entre l’utilisation du cannabis et la violence est apparent, il peut être attribué à une prédisposition générale pour la violation des règles et à une tendance antisociale, plutôt qu’à tout effet direct de l’utilisation du cannabis. Cette théorie cadre avec les résultats d’études menées en laboratoire sur des animaux qui n’ont révélé aucun lien entre l’intoxication au cannabis et l’agressivité.
Les études sur les humains donnent des résultats contradictoires. Bien que certaines études aient décelé des liens entre la consommation du cannabis et un risque accru de violence, bon nombre d’entre elles ont omis de contrôler des facteurs clés. Une étude récente qui examinait le lien temporel entre l’utilisation du cannabis et la violence familiale — c’est-à-dire laquelle est apparue en premier, l’utilisation de substances ou la violence? — a révélé que l’utilisation du cannabis réduisait le risque de violence. Une autre étude récente des auteurs de violence familiale de sexe masculin a indiqué qu’après avoir tenu compte de la consommation d’alcool, elle n’avait découvert aucun lien entre l’utilisation du cannabis et la perpétration de la violence familiale. Cette constatation ultérieure coïncide avec les travaux effectués récemment par notre laboratoire qui ont révélé que le lien entre l’utilisation de cannabis et la perpétration de violence familiale était expliqué par la consommation d’alcool et des caractéristiques de la personnalité antisociale. En somme, la théorie, selon laquelle un comportement de plus en plus violent devrait faire partie des risques et des effets néfastes liés à l’utilisation du cannabis, n’est pas appuyée fermement ou systématiquement, et un tel comportement ne devrait pas faire partie des risques encourus.
Chose intéressante, une étude menée récemment aux États-Unis qui examinait les effets de la légalisation du cannabis médical sur les crimes violents a révélé que, dans les États où elle avait été mise en oeuvre, la légalisation était liée à des taux de violence réduits. De telles constatations sont plausibles dans la mesure où le cannabis peut servir de substitut à d’autres substances qui altèrent l’état de conscience, comme l’alcool ou les amphétamines, et dont les liens avec la violence sont plus prononcés. Toutefois, il faudra mener d’autres recherches pour évaluer la mesure dans laquelle le cannabis peut réduire la violence interpersonnelle.
Tout comme les recherches qui ont examiné le lien entre le cannabis et la violence, les recherches qui ont examiné le lien entre la consommation du cannabis et les facultés mentales n’ont pas amené les scientifiques à s’entendre sur les effets du cannabis sur le rendement cognitif. Il est clair qu’une intoxication aiguë au cannabis entrave les processus cognitifs, comme la mémoire et l’attention d’un grand nombre d’utilisateurs dans les heures qui suivent immédiatement leur ingestion du cannabis. Cependant, les effets à long terme du cannabis et la stabilité de tout effet néfaste qu’il pourrait avoir ne sont pas clairs et semblent dépendre d’un certain nombre d’autres facteurs.
Même les effets aigus de l’intoxication au cannabis semblent varier considérablement d’une personne à l’autre, et ce sont les utilisateurs occasionnels de cannabis qui subissent les effets cognitifs les plus puissants, alors que les utilisateurs réguliers de cannabis semblent développer une tolérance aux perturbations cognitives et aux baisses du rendement cognitif qui peuvent accompagner l’intoxication au cannabis.
Bien que préoccupants, les effets aigus du cannabis le sont moins que leurs effets à long terme ou résiduels et la réversibilité de toute différence cognitive liée au cannabis après l’interruption de son utilisation.
Une étude menée à l’école de médecine de Harvard a comparé trois groupes de personnes: des gens qui utilisaient fréquemment du cannabis, qui en avaient consommé plus de 5 000 fois au cours de leur existence et qui en consommaient toujours régulièrement; des utilisateurs fréquents de cannabis qui avaient réduit ou interrompu leur consommation de cannabis; et des non-utilisateurs. L’étude a révélé que les résultats de l’examen du fonctionnement cognitif des trois groupes ne différaient pas après 28 jours d’abstinence.
De même, une méta-analyse détaillée — c’est-à-dire une analyse de plusieurs études regroupées en une seule — des effets non aigus du cannabis a détecté un effet résiduel faible mais discernable dans seulement deux des huit domaines cognitifs et a conclu que les données disponibles « n’avaient pas permis de révéler qu’une consommation régulière de cannabis à long terme avait un effet substantiel et systématique sur le fonctionnement neurocognitif des consommateurs. » Il est également à noter qu’une étude récente portant sur les jeunes Canadiens a indiqué que ceux d’entre eux qui consommaient du cannabis et du tabac obtenaient de meilleurs résultats scolaires que ceux qui ne consommaient que du tabac.
En somme, les données disponibles indiquent que, même si une intoxication aiguë au cannabis peut compromettre la vitesse de réponse, la mémoire et l’attention de la personne intoxiquée, l’utilisation du cannabis n’a pas d’importants effets néfastes irréversibles sur les facultés mentales et la réalisation de tâches exigeantes sur le plan cognitif et que, par conséquent, ces effets ne devraient pas faire partie des risques associés à l’utilisation du cannabis.
La relation qui existe entre l’utilisation du cannabis et les psychoses a considérablement attiré l’attention des chercheurs, et plusieurs études ont confirmé l’existence d’un lien entre la consommation de cette substance et certains troubles psychotiques, dont le plus grave, le plus préoccupant et le plus débilitant est la schizophrénie. Toutefois, la mesure dans laquelle le cannabis joue un rôle causal dans le développement de la schizophrénie n’est toujours pas claire, tout comme la mesure dans laquelle l’utilisation du cannabis influe sur les psychoses dont souffrent des personnes qui n’auraient peut-être pas développé des troubles psychotiques autrement. Les faits démontrent néanmoins que l’utilisation du cannabis peut entraîner une apparition plus précoce de la maladie chez certaines personnes vulnérables et peut également aggraver l’état de santé de celles qui ont des antécédents de troubles psychotiques.
Un argument convaincant utilisé pour réfuter le présumé lien causal entre l’utilisation du cannabis et les psychoses est le fait que son utilisation, qui s’est substantiellement accrue au cours des dernières décennies, n’a pas été accompagnée d’une augmentation du nombre de cas de troubles psychotiques. Toutefois, cette importante observation n’écarte pas la possibilité que l’utilisation du cannabis puisse avoir des effets plus subtils sur l’exacerbation des psychoses existantes ou sur l’apparition plus précoce de troubles psychotiques complètement développés. Comme c’est le cas pour la plupart des recherches sur le cannabis et sur les problèmes de santé mentale, il faudra mener d’autres recherches pour établir une relation de cause à effet et pour éliminer des facteurs potentiellement déconcertants comme la personnalité des personnes atteintes, leurs antécédents en matière de santé mentale et l’utilisation concomitante d’autres substances.
En effet, de plus en plus de données prouvent que les éléments constitutifs du cannabis peuvent avoir des effets contraires sur le développement des psychoses. Le THC, l’un des principes actifs du cannabis peut entraîner le développement ou l’exacerbation des psychoses, alors que le cannabidiol, l’un de ses autres principaux éléments constitutifs, a des effets antipsychotiques. Cela semble indiquer que les personnes qui risquent de développer des psychoses peuvent utiliser le cannabis pour soulager leurs symptômes, ce qui, en revanche, peut nous amener à surestimer l’influence causale du cannabis.
Les effets divergents des différents constituants du cannabis tendent aussi à démontrer que les risques associés à la consommation de cette substance peuvent varier en fonction du type consommé, c'est-à-dire en fonction du rapport relatif de THC et de CBD.
En résumé, bien qu'il faille poursuivre les recherches et que les effets dépendent d'une vaste gamme de facteurs de risques extérieurs liés à la génétique, au contexte environnemental et aux variétés de cannabis, les données démontrent que la consommation de cannabis peut provoquer l'apparition précoce d'une psychose et des conséquences plus graves pour la faible proportion de la population qui peut être prédisposée aux épisodes psychotiques.
Enfin, l'association entre le cannabis et l'anxiété a été documentée dans la littérature médicale il y a bien plus d'un siècle. Les données empiriques demeurent néanmoins équivoques en ce qui a trait aux effets anxiolytiques et anxiogènes de la consommation de cannabis.
Des études ont rapporté une forte prévalence de troubles anxieux chez les gros consommateurs de cannabis et un risque de développement tardif de troubles anxieux chez les consommateurs de cannabis plus modérés. De plus, les attaques de panique sont parmi les effets indésirables les plus courants de l'intoxication au cannabis, notamment chez les personnes qui en consomment pour la première fois. En revanche, d'autres études font état d'une diminution des risques de dépression et de troubles anxieux chez les consommateurs de cannabis, et la raison la plus couramment invoquée pour justifier la consommation de cannabis est le soulagement de l'anxiété. On a également documenté l'efficacité du cannabis pour soulager l'anxiété qui sous-tend d'autres troubles médicaux, comme les douleurs chroniques, le VIH-sida et la sclérose en plaques.
Nos résultats en laboratoire tendent à démontrer les effets anxiolytiques plus que les effets anxiogènes du cannabis. Le soulagement de l'anxiété était l'une des principales raisons invoquées par les consommateurs canadiens de cannabis à des fins médicales, et les recherches que nous avons effectuées auprès d'étudiants ont montré que les utilisateurs habituels de cannabis étaient moins anxieux et moins sensibles aux symptômes d'anxiété que les utilisateurs occasionnels et les non-utilisateurs.
Compte tenu des propriétés antixiolitiques du cannabis, le trouble de stress post-traumatique, ou TSPT, est l'un des troubles pour lesquels plusieurs États américains permettent ou recommandent l'utilisation du cannabis à des fins médicales. Des chercheurs américains s'apprêtent à mener des essais cliniques sur l'utilisation du cannabis pour traiter le TSPT chez les anciens combattants qui en souffrent, car le TSPT est l'un des troubles anxieux les plus graves et les plus débilitants qui soient.
En résumé, les recherches sur le rapport entre l'utilisation du cannabis et l'anxiété sont équivoques et les données actuelles n'indiquent pas qu'il faille ajouter l'exacerbation problématique de l'anxiété aux risques liés à la consommation de cannabis. De fait, d'autres recherches pourraient conclure à l'efficacité du cannabis ou de ses constituants comme traitement contre certains troubles anxieux.
Merci beaucoup.
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Merci beaucoup, madame la présidente. Je demanderais à M. Walsh de bien vouloir m'aider avec la portion francophone de mon exposé, car je n'aurai pas assez de mains. Si on pouvait démarrer le chronomètre lorsque je commencerai, ce serait parfait.
Merci, madame la présidente.
Je m'appelle Philippe Lucas. Je suis candidat au doctorat au programme de dimensions sociales de la santé de l'Université de Victoria, adjoint de recherche pour le Centre de recherche en toxicomanie de la Colombie-Britannique, ainsi que vice-président de la recherche et des services aux patients de Tilray, une entreprise de marijuana thérapeutique autorisée par le gouvernement fédéral et située à Nanaimo, en Colombie-Britannique.
Mon exposé d'aujourd'hui portera sur l'incidence de la consommation de cannabis sur les consommateurs et l'ensemble de la société, et j'insisterai sur le phénomène de la dépendance. Commençons donc par répondre à une question primordiale: le cannabis peut-il entraîner une dépendance?
Les données probantes montrent que seul un utilisateur régulier de cannabis sur dix va développer des habitudes de consommation problématiques, et comme vous pouvez le voir sur le tableau, des études indiquent que le cannabis est beaucoup plus sûr et moins toxicomanogène que bien d'autres substances licites et illicites, dont la nicotine, l'alcool et même la caféine. Pour les utilisateurs qui développent une dépendance au cannabis, la période de sevrage est généralement modérée et courte. Selon le DSM-V, les symptômes associés au sevrage du cannabis sont notamment l'irritabilité, la perte d'appétit et l'insomnie, et peuvent durer quelques jours ou quelques semaines. La majorité des Canadiens qui abandonnent le cannabis le font sans l'aide d'un traitement formel de la toxicomanie.
Malgré le faible risque de dépendance, le cannabis a pendant des décennies été décrié comme le point de départ potentiel vers la consommation de drogues dures. Les recherches sociales et cliniques sont cependant venues déboulonner ce mythe, et de façon convaincante.
Le rapport de 2002 sur le cannabis du Comité spécial du Sénat sur les drogues illicites a conclu que si les consommateurs de drogues dures étaient nombreux à avoir aussi consommé du cannabis, les raisons les ayant amenés à le faire vont des facteurs sociaux tels que la pauvreté, au statut illicite du cannabis, dont la distribution est alors contrôlée par le marché noir. Comme le Sénat l'a découvert, les tendances en matière de consommation de drogues au Canada ne soutiennent tout simplement pas cette hypothèse. Je cite le rapport sénatorial: « ...alors que plus de 30 % [des Canadiens] ont une expérience de consommation de cannabis, moins de 4 % ont consommé de la cocaïne et moins de 1 % de l’héroïne ».
De plus, des données récentes laissent croire que plutôt que de mener à une dépendance, le cannabis a été, pour certaines personnes, une porte de sortie à un problème de toxicomanie. Différentes études menées auprès de sujets humains et animaux indiquent que le système cannabinoïde influe sur la dépendance aux substances licites et illicites. On a par exemple démontré que les envies de nicotine pouvaient être modulées par le système endocannabinoïde, et des recherches récentes montrent que les récepteurs de cannabinoïdes interrompent les signaux dans les systèmes récepteurs d'opioïdes, ce qui influe tant sur les envies d'opiacés que sur la gravité des symptômes de sevrage. Labigalini Jr et ses collaborateurs ont étudié cet effet auprès de personnes ayant une dépendance au crack et ont rapporté que 68 % des 25 sujets qui géraient eux-mêmes leurs symptômes à l'aide du cannabis avaient été en mesure de renoncer totalement au crack.
De plus, les recherches indiquent que la consommation de cannabis n'interfère pas avec le traitement de la toxicomanie. Des données tirées du système de mesure des résultats de la Californie montrent que les patients consommant du cannabis à des fins thérapeutiques obtiennent d'aussi bons résultats, sinon de meilleurs, que les patients n'en consommant pas, qu'on parle de facteurs comme la complétion du traitement, les démêlés avec la justice ou l'état de santé. Plus récemment, Scavone et ses collaborateurs ont examiné les répercussions de la consommation de cannabis durant un traitement de substitution à la méthadone chez 91 patients ayant une dépendance aux opiacés. Ils ont conclu que les patients consommant du cannabis présentaient des symptômes de sevrage moins aigus, ce qui favorise l'observance du traitement à la méthadone et ses résultats.
Mes propres recherches confirment ces résultats. J'ai récemment mené une enquête transversale sur les répercussions subjectives du cannabis à des fins thérapeutiques sur la consommation de substances licites et illicites, telles que rapportées par 404 patients consommant du cannabis à des fins médicales. Au final, 75 % des répondants ont dit consommer du cannabis pour remplacer une autre substance: 67 % pour remplacer des médicaments d'ordonnance, 41 % pour remplacer l'alcool, et 36 % pour remplacer des substances illicites comme le crack et la méthamphétamine en cristaux.
Ces constatations se retrouvent également dans l'Enquête sur l'accès au cannabis à des fins médicales, la plus vaste enquête menée à date auprès des patients canadiens consommant du cannabis à des fins médicales. Les répondants ont indiqué à 86 % consommer du cannabis pour remplacer au moins une autre substance: 80 % ont dit l'utiliser pour remplacer des médicaments d'ordonnance, 51 % pour remplacer l'alcool, et 32 % pour remplacer des substances illicites.
Les patients ayant rapporté un plus grand nombre de symptômes étaient plus susceptibles de consommer du cannabis en remplacement d'une autre substance. Il est aussi intéressant de noter que les patients de moins de 30 ans étaient beaucoup plus enclins à consommer du cannabis en remplacement de médicaments d'ordonnance, d'alcool et de substances illicites que les patients de 50 ans et plus.
En ce qui a trait aux jeunes, dans un sondage mené auprès de 67 étudiants de 17 à 24 ans de l'Université de la Colombie-Britannique, qui portait sur la consommation de cannabis et d'alcool au cours des six derniers mois, 71 % des répondants ont indiqué boire de l'alcool moins rapidement quand ils avaient consommé du cannabis, 53 % ont dit boire moins quand ils avaient consommé du cannabis, et aucun d'entre eux n'a rapporté ressentir un besoin accru de boire de l'alcool. Cela laisse croire que pour certains étudiants, le cannabis est un moyen qu'ils prennent consciemment pour réduire leur consommation d'alcool.
Voilà ce qu'on sait sur le cannabis et la dépendance, mais qu'en est-il des répercussions de sa consommation sur l'ensemble de la société? La réduction de la criminalité est un point central de la plateforme du gouvernement en place, alors il pourrait être utile de savoir si l'utilisation ou l'acceptation sociale du cannabis mène à une hausse du taux de criminalité. Fait intéressant à noter, une nouvelle étude de Morris et ses collaborateurs sur les taux de criminalité dans les États américains qui ont légalisé le cannabis à des fins médicales montre qu'il y a en fait une nette réduction du nombre d'homicides et d'agressions dans ces États par rapport aux États voisins.
Je cite les auteurs:
Vu la corrélation entre l'alcool et les crimes violents, remplacer l'alcool par de la marijuana pourrait permettre de réduire légèrement l'incidence de crimes violents recensés dans chacun des États. [Traduction]
Alors, qu'est-ce que cela signifierait pour la santé publique si les Canadiens consommaient du cannabis plutôt que de l'alcool, des médicaments et des substances illicites? À la lumière de la hausse alarmante du nombre de Canadiens ayant une dépendance aux opiacés d'ordonnance, de plus en plus de recherches laissent croire que le cannabis pourrait s'avérer un substitut sûr et efficace pour les patients en quête d'un traitement contre la douleur chronique et les utilisateurs d'opiacés à des fins non médicales.
De plus, comme l'usage intraveineux des opiacés, du crack, de la cocaïne et de la méthamphétamine en cristaux favorise la transmission de maladies chroniques graves telles que le VIH/sida et l'hépatite C, les données supposant que le cannabis peut s'avérer un substitut efficace pour ces substances pourraient guider une stratégie de santé publique visant à réduire la transmission de maladies et les surdoses provoquées par l'usage de drogues injectables. Puisque l'alcool a beaucoup plus de répercussions sociales, sanitaires et financières sur les personnes et les collectivités que toutes les substances illicites combinées, adopter des politiques publiques éclairées par les données qui sont de plus en plus nombreuses à indiquer que le cannabis pourrait atténuer ou même traiter la dépendance à l'alcool, cela pourrait avoir une incidence importante sur le taux global d'alcoolisme et ainsi sur l'occurrence d'accidents de la route liés à l'alcool, de cas de violence familiale et de crimes violents.
En résumé, le cannabis n'est pas particulièrement accoutumant et 90 % des utilisateurs n'y développeront pas de dépendance. En outre, de plus en plus de données indiquent que le cannabis, qu'on considérait auparavant comme le point de départ de la toxicomanie, pourrait en fait être une porte de sortie pour certaines personnes aux prises avec un problème de consommation de drogue. À la lumière de ces recherches, les politiques qui réduisent les peines associées à l'utilisation du cannabis ou qui en légalisent l'accès pour les adultes pourraient limiter les répercussions néfastes qu'ont l'alcool et la consommation problématique de drogues sur la sécurité et la santé publiques, et pourraient même réduire l'occurrence de crimes violents au Canada.
En terminant, j'aimerais remercier la Chambre des communes de m'avoir invité aujourd'hui, ainsi que Tilray, le Centre de recherche en toxicomanie de la Colombie-Britannique et l'Université de Victoria d'avoir soutenu mes recherches.
Je suis disposé à répondre à vos questions. Merci, madame la présidente.
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Merci beaucoup, madame la présidente. Je suis heureux de vous voir assurer la présidence du comité.
Je remercie les témoins d'être ici.
Revenons à l'étude prénatale, faite à Ottawa, par un témoin antérieur, la neuroscientifique Andra Smith. Connaissez-vous cette étude, qui a employé l'IRM fonctionnelle?
C'était un suivi de sujets de la naissance à l'adolescence, mais qui quantifiait des modifications très importantes du débit sanguin, relativement à l'altération des fonctions exécutives chez les consommateurs de marijuana et le retard de leur réponse cognitive, de leur pouvoir de raisonnement, de leur capacité de résoudre des problèmes et de prendre des décisions, particulièrement chez les adolescents. Plus ils sont jeunes quand ils commencent à en consommer et plus ils en fument, plus l'altération est forte.
Il me semble que ce serait un vrai sujet d'inquiétude, alors que la jeunesse canadienne est l'une des populations qui en consomme le plus dans le monde. Il y va de la productivité de notre pays, qui est importante pour certains d'entre nous, ici. Nous voulons que nos concitoyens puissent, à l'âge adulte, fonctionner au mieux de leurs fonctions cognitives. Je me demande si cela vous inquiète que l'IRM fonctionnelle révèle un retard de la myélinisation du cortex préfrontal et la sollicitation, à la place, du système limbique, qui prend plus les décisions sur le coup de l'émotion; que les personnes à qui on demande d'accomplir telle tâche prennent en fait plus de temps pour résoudre des problèmes simples et que, en conséquence, cela mène peut-être à l'anxiété dont nous parlons.
Je me demande si vous avez des observations à faire sur les travaux scientifiques publiés et sur ces sujets de préoccupation?
Eh bien, dans les études à long terme, en fait — je parle de l'étude de Neeson, en Nouvelle-Zélande... Elle a signalé une baisse du quotient intellectuel, le décrochage scolaire, l'augmentation des problèmes d'attention et, encore une fois, l'altération des fonctions cognitives et exécutives supérieures. C'est un risque important pour les jeunes. Il y a aussi le risque accru d'accidents de la circulation, qui, bien sûr, nous inquiète chez les jeunes.
Je tiens à mentionner les effets nocifs pour les poumons, mentionnés, ici, par M. Kevin Sabet, qui a révélé une augmentation des risques de bronchite, de toux et de production de flegme. Il prétend que la consommation de cannabis produit de 50 à 70 % de plus d'hydrocarbures cancérogènes que celle de tabac. Vous dites qu'il n'y a pas de risque sensiblement établi pour la santé; je me demande ce que vous pouvez répondre à cette production supplémentaire d'hydrocarbures cancérogènes. Sans donner de précisions scientifiques, il a ensuite dit que la fumée de marijuana renferme une enzyme qui transforme les hydrocarbures en produits cancérogènes.
Que pensez-vous de ces risques de cancer du poumon — je pense que l'un de vous a laissé entendre que ce pouvait être un traitement contre le cancer, ce qui m'étonne beaucoup — et en plus, de l'allégation selon laquelle un usage persistant et intense chez les adolescents réduit le quotient intellectuel de six à huit points. Ce serait, je pense, un motif d'inquiétude pour la plupart des gens qui veulent que les jeunes deviennent des adultes très productifs.
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Merci beaucoup, madame la présidente.
Mon collègue, le Dr Lunney, a mentionné l'étude de la scientifique Andra Smith à laquelle j'ai fait référence un peu plus tôt. D'après ce que je comprends, vous n'étiez pas au courant de cette étude longitudinale et périnatale.
Je vous donne un peu d'information en lien avec ma question. L'étude avait un groupe sujet de 10 personnes et un groupe contrôle de 14 personnes. J'ai trouvé particulier que trois jeunes du groupe contrôle avaient avoué avoir consommé de la marijuana d'une à quatre fois durant la dernière année.
Dans les discussions sur la marijuana, je trouve qu'on ne distingue pas assez les
[Traduction]
types de consommateurs, ceux qui en consomment beaucoup, peu et occasionnellement.
[Français]
Monsieur Lucas, vous avez mentionné dans votre présentation qu'environ 40 % de la population canadienne a déjà consommé de la marijuana. C'est un pourcentage assez élevé.
De ce pourcentage, pouvez-vous nous dire combien ont consommé de la marijuana à quelques reprises dans leur vie? Quel pourcentage de gens en consomment de façon occasionnelle, soit quelques fois par mois? Quel pourcentage représentent les grands consommateurs?
Je ne sais pas quels sont les barèmes ou les catégories, ni où on trace la limite. Je suis intéressé à vous entendre à ce sujet, car 40 %, c'est beaucoup de gens.
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Merci beaucoup, madame la présidente.
Merci, monsieur Wilks. Je vois que vous m'avez cédé votre temps. Je vous en remercie. C'est très aimable et courtois de votre part.
J'aimerais parler davantage des effets bénéfiques du cannabis, parce qu'en tant que médecin, je n'ai jamais vu d'études qui ne quantifiaient pas les bienfaits et les risques d'un médicament, qu'il soit sur ordonnance ou en vente libre. Lorsqu'on détermine qu'un médicament est sûr et efficace, il faut évidemment que les avantages l'emportent sur les risques.
J'aimerais y revenir. On nous a parlé — et c'est bien connu — du risque de troubles cognitifs chez les enfants en période prépubertaire. Nous savons également que le cannabis crée une dépendance. Ce sont tous des facteurs bien connus, et personne ne les remet en question.
Toutefois, il faudrait savoir quels sont les avantages qui nous permettraient de remettre les choses en perspective. J'ai voulu y revenir parce que j'ai vu qu'on vous a attaqué à propos des effets bénéfiques de la marijuana dans le traitement de la douleur. Je sais que de nombreuses études se sont penchées sur la douleur neurogène, et c'est d'ailleurs pour soulager cette douleur que beaucoup de personnes atteintes de la sclérose en plaques en consomment.
Pourriez-vous nous parler davantage des bienfaits de la marijuana, y compris du traitement de la douleur neurogène? Vous avez dit qu'on l'utilisait pour atténuer les problèmes gastro-intestinaux et les nausées. Comment cela fonctionne-t-il dans le cas des nausées? Est-ce que la marijuana agit sur le cerveau ou plutôt sur le système gastro-intestinal?
Je ne sais pas qui d'entre vous veut répondre.
Je suis surtout préoccupé par la consommation chez les jeunes et la consommation pendant la grossesse. Voici les commentaires du Centre canadien de lutte contre les toxicomanies:
[...] on a montré que l’usage de cannabis pendant la grossesse nuit au développement et à l’apprentissage des enfants à partir de l’âge de trois ans environ et que ces effets subsistent au moins jusqu’à l’adolescence.
C'est très préoccupant. Précédemment, le Dr Sabet a mentionné les chiffres suivants: un adolescent sur six développe une dépendance; chez les adultes, c'est un sur dix. À l'adolescence, le cerveau est particulièrement à risque. Nous craignons que cela ait une incidence à long terme sur le processus de myélinisation du cortex préfrontal.
Ma première question — le temps est limité, mais j'en ai une deuxième — est la suivante: la myélinisation retardée du cortex préfrontal ne préoccupe-t-elle pas les gens assis au bout de la table? Comment allons-nous traiter ce problème chez les jeunes? C'est la première question.
La deuxième est liée à la sécurité. Vous avez cité le Colorado comme exemple d'un endroit où il n'y avait pas d'effets nocifs, mais les preuves présentées par le Dr Sabet démontrent qu'en fait, le nombre d'accidents de la route au Colorado a augmenté. Il a dit: « Bien que le nombre d'accidents de la route a diminué entre 2007 et 2011, le nombre d'accidents mortels liés à des conducteurs ayant obtenu un résultat positif au test de dépistage de la marijuana a connu une forte augmentation. » Sur ce même sujet, il a parlé de la hausse du nombre d'admissions en salle d'urgence: « En 2011, les incidents liés à la marijuana représentaient 26 % des visites à l'urgence, contre 21 % à l'échelle nationale. »
J'aimerais avoir vos commentaires à ce sujet, brièvement. Ensuite, s'il reste du temps, je céderai la parole à mon collègue.