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Merci de m'avoir invité à comparaître devant le comité.
Je vous parle à partir du territoire des Salish de la côte et du détroit que je désire saluer avant de commencer.
Cela fait plus de 20 ans que j'étudie la formation de l'identité chez les adolescents et les jeunes adultes. Mes travaux se sont orientés sur le lien entre la formation de l'identité et le bien-être des jeunes des Premières Nations en Colombie-Britannique et au Manitoba. Plus précisément, j'ai étudié le rapport entre la difficulté à développer son identité et le suicide chez les jeunes. Nous avons essayé de comprendre pourquoi les taux de suicide varient autant dans les communautés des Premières Nations, allant d'un taux nul dans certaines d'entre elles à des taux beaucoup plus élevés que la moyenne provinciale dans d'autres.
Nous avons réussi à recueillir des données sur chacun des suicides qui ont eu lieu en Colombie-Britannique entre 1987 et 2006. Nous avons calculé le taux de suicide dans près de 200 communautés des Premières Nations de la Colombie-Britannique. Nous avons constaté que certaines communautés semblaient avoir résolu le problème du suicide chez les jeunes. En fait, notre première série de collectes de données a montré que plus de la moitié des communautés n'avaient enregistré aucun suicide chez les jeunes. D'autres avaient des taux inférieurs à la moyenne provinciale et une minorité, des taux largement supérieurs à la moyenne de la Colombie-Britannique
Nos recherches ont été guidées par l'idée voulant que les communautés qui ont réussi à préserver leurs traditions culturelles et à prendre en main leur avenir social et politique collectif étaient mieux en mesure de fournir un environnement protégeant leurs jeunes contre le risque de suicide.
Nous avons établi une série d'indicateurs pour mesurer ce que nous avons appelé la « continuité culturelle », les choses que nous pouvions évaluer et vérifier à propos de chacune des Premières Nations de la province. Nous avons évalué si les communautés avaient un bâtiment consacré à des activités et des événements culturels, si elles avaient réussi à favoriser l'utilisation de leur langue traditionnelle ou à inclure leur propre culture dans le programme scolaire. Nous avons examiné la participation des femmes dans la gouvernance locale. Nous avons regardé dans quelle mesure les communautés avaient la haute main sur les services civils de base, soit la police, les pompiers, les services de santé et l'éducation. Nous avons examiné l'historique des négociations et du règlement des revendications territoriales ainsi que des efforts visant à l'autonomie gouvernementale.
Nous avons constaté que la variation dans les taux de suicide n'était pas le fruit du hasard. Les communautés qui avaient les meilleurs résultats sur le plan de la continuité culturelle avaient les plus bas taux de suicide chez les jeunes.
On peut s'attendre à ce que les niveaux les plus élevés d'autonomie et de préservation de la culture de la communauté soient associés à de meilleurs résultats pour les jeunes, mais il faut le prouver avec des données objectives. C'est ce que nous avons fait en Colombie-Britannique, et que nous faisons maintenant au Manitoba.
Je pourrais continuer à vous parler de mes recherches, mais je désire aborder les deux dernières questions soulevées dans l'invitation que j'ai reçue.
La première concerne la disponibilité des statistiques sur le suicide et la deuxième, les pratiques exemplaires en matière de soins de santé mentale et de prévention du suicide.
Étant donné que c'est le gouvernement fédéral qui détient les données concernant les membres des Premières Nations ou les Indiens inscrits, nous avons eu énormément de difficulté à obtenir les données sur le suicide dont nous avions besoin pour la Colombie-Britannique. Nous avons bénéficié des relations de coopération entre le B.C. Coroners Service, le bureau du médecin-hygiéniste provincial et ce qui était alors Affaires indiennes et du Nord Canada. Nous sommes confrontés aux mêmes difficultés au Manitoba.
Les deux projets de recherche que j'ai menés sont des projets spéciaux ponctuels. Il n'y a pas de surveillance permanente du suicide au niveau des communautés. Ces dernières ne savent même pas où elles se situent sur le plan du suicide ou de tout autre résultat sanitaire par rapport aux autres communautés, la province ou l'ensemble du pays.
Je crois que nous avons besoin d'un système qui créera des bulletins de santé annuels pour chaque communauté des Premières Nations. Chacune d'elles devrait recevoir un rapport montrant où elle se situe sur le plan du suicide, de la santé mentale, des toxicomanies et autres aspects de la santé par rapport aux autres Premières Nations, à la province et à l'ensemble du pays.
Je dois souligner que ces rapports ne devraient pas être publiés. Il n'y a rien à gagner en annonçant en première page de tous les quotidiens canadiens quelle est la communauté où le taux de suicide est le plus élevé au pays, mais si les communautés n'ont pas accès à leurs propres données, comment peuvent-elles planifier ou créer des interventions?
Ces rapports pourraient aussi servir à mieux diriger les ressources vers les communautés qui en ont désespérément besoin et éviter de les gaspiller dans des communautés en bonne santé. Pour le moment, personne ne peut distinguer ces communautés des autres.
La dernière chose que je dirais concerne les pratiques exemplaires.
Nos recherches démontrent qu'un grand nombre de Premières Nations comprennent déjà que les programmes visant à réduire le suicide n'ont pas à cibler le suicide. Si nous soutenons la culture, nous soutiendrons la santé.
Certains aînés des Premières Nations et rédacteurs de journaux nous déconseillent de parler du suicide de crainte que cela ne suscite des suicides. En tant que chercheur, je ne suis pas sûr que les cas de suicide rapportés par les médias ou les programmes de prévention du suicide inspirent des idées suicidaires ou provoquent des suicides. Je suis convaincu que les efforts visant à promouvoir et à soutenir la culture contribuent à prévenir les suicides.
Nous avons des données qui le prouvent. Il faut simplement que nous réussissions mieux à communiquer ce message de même qu'à enregistrer et déclarer les données sur les suicides. À moins de savoir ce qui se passe dans les communautés, nous n'aurons pas de plan d'action. Il ne suffit pas de savoir que le taux de suicide, le taux de diabète ou le taux de blessures est plus élevé dans la population autochtone. Nous devons savoir, mais surtout, les communautés doivent savoir où elles se situent et ce qu'elles peuvent faire. Pour le moment, nous n'avons aucun moyen de le savoir et il faut que cela change.
Merci de votre attention. C'est tout ce que j'ai à dire. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.
Je tiens à saluer mon collègue, le Dr Lalonde.
[Le témoin s'exprime en cri.]
Je m'appelle Janet Smylie. Je suis médecin de famille et chercheuse en santé publique à Toronto, le territoire du peuple Mississauga.
Je vais aborder quatre thèmes.
Il s'agit d'abord des problèmes de santé mentale et des inégalités auxquels les Autochtones du Canada sont confrontés par rapport aux non-Autochtones. Je suis contente de faire suite au Dr Lalonde, car il a parlé du suicide en le présentant dans un contexte qui nous est utile. La plupart des Canadiens sont au courant, je pense, des taux de suicide très variables chez les Autochtones et les jeunes Autochtones.
Je voudrais parler des nouvelles données que nous avons pu recueillir en collaboration avec les fournisseurs de services de santé autochtones provinciaux et locaux en Ontario. Comme la majorité des Autochtones vivent maintenant en milieu urbain, au cours des deux dernières années, nous avons pu nous servir d'un échantillonnage en fonction des répondants dans le cadre d'un partenariat avec un centre de santé pour les Autochtones vivant en milieu urbain, le « De dwa da dehs nye's Aboriginal Health Centre », pour établir des estimations représentatives de la population en examinant les déterminants de la santé des Autochtones vivant en milieu urbain ainsi que les indicateurs de l'état de santé et de l'état de santé mentale.
Pour la recherche sur la santé en milieu urbain, l'échantillonnage en fonction des répondants est devenu une importante source de données représentatives de la population pour les groupes de gens difficiles à trouver. Malheureusement, dans les régions urbaines, les statistiques fédérales réussissent très mal à fournir un décompte réel des Autochtones et le transfert de la question sur l'identité autochtone du questionnaire détaillé de recensement à l'enquête nationale auprès des ménages a aggravé la situation. J'ai publié récemment un article sur ce sujet dans un journal international de statistiques.
En ce qui concerne cette étude, qui fait l'objet d'un examen final en vue de sa publication dans le Canadian Journal of Public Health, nous avons constaté que 42 % des adultes des Premières Nations qui se sont identifiées comme tels, à Hamilton, s'étaient fait dire par un fournisseur de soins de santé qu'ils souffraient d'un trouble psychologique ou mental. Je dois mentionner que la communauté autochtone est propriétaire de ces données et qu'elle nous a autorisés à les partager.
En utilisant un outil reconnu, l'échelle de Kessler, nous avons constaté des taux élevés de dépression et d'angoisse. Néanmoins, le plus surprenant est qu'en utilisant les filtres pour le dépistage du TSPT, nous avons aussi constaté que 33 % de la population adulte, soit un Autochtone auto-identifié sur trois du centre urbain en question, répondait aux critères du trouble de stress post-traumatique. D'autre part, 41 % avaient des pensées suicidaires et plus de la moitié avaient fait une tentative de suicide. Ensuite, ce qui n'a rien d'étonnant, je pense, étant donné le poids de ces problèmes de santé mentale, la moitié de l'échantillon a déclaré avoir fumé de la marijuana au cours des 12 derniers mois, une personne sur cinq a dit avoir consommé de la cocaïne et une sur cinq, des opiacés.
Fait étonnant, étant donné ces problèmes et d'autres — par exemple, 16 % des adultes d'un échantillon non ajusté selon l'âge étaient diabétiques, plus de la moitié des répondants ont dit avoir fait une tentative de suicide et un sur trois avait des symptômes de TSPT actif — nous avons constaté, en utilisant l'instrument mis au point pour les anciens combattants, que 25 % des répondants se déclaraient en excellente ou très bonne santé et 33 % en bonne santé générale. Lorsque nous les avons interrogés sur leur santé mentale, 21 % ont dit avoir une excellente ou très bonne santé mentale et 43 % une bonne santé mentale. Si vous leur demandez s'ils pensent être en bonne santé, les trois quarts des gens vous disent que oui.
Je voudrais mentionner certaines choses. Je vais approfondir un peu la question du trouble de stress post-traumatique, simplement parce que je pense qu'il faut vraiment s'y attarder si l'on veut trouver des solutions adéquates pour résoudre les inégalités entre Autochtones et non-Autochtones sur le plan de la santé mentale.
Je dirais que c'est une mesure inadéquate, car en réalité, les traumatismes sont complexes. D'éminents chercheurs se sont penchés sur la question, notamment la Dre Renee Linklater, ici, à Toronto, qui a publié un livre sur la nature des traumatismes vécus par les Autochtones. C'est relié à l'impact des traumatismes multigénérationnels et des traumatismes subis dans la famille d'origine, de même que des traumatismes et des insultes répétés dont les gens ont été victimes par la suite. plesLe test de dépistage du TSPT a été élaboré pour les anciens combattants qui, bien sûr, ont subi un très grave traumatisme, mais sur une période de temps limitée.
J'ajouterais, à propos de ce test de dépistage du TSPT, que dans cette population, un adulte sur trois présente régulièrement au moins trois des quatre symptômes ci-après: cauchemars d'expériences traumatisantes; évitement des souvenirs de traumatismes ou des situations rappelant un traumatisme; constamment sur ses gardes, attentif ou sursaute facilement; se sent détaché des autres et de ce qui l'entoure.
J'estime qu'il s'agit vraiment d'un fardeau énorme et surtout caché. La toxicomanie a été un moyen de gérer soi-même ce très lourd fardeau de traumatismes complexes, de chagrin, de dépression et d'anxiété pendant des générations.
Bien entendu, comme je l'ai mentionné, il est important de souligner qu'il y a des comorbidités physiques qui rendent le problème encore plus complexe. En plus des taux élevés de diabète, nous avons constaté des taux d'hépatite C plus de 10 fois supérieurs aux taux enregistrés dans la population générale. En fait, 52 % des adultes et les trois quarts des personnes âgées de plus de 50 ans font état d'une limitation de leurs activités.
Étant donné ces difficultés, les autoévaluations révèlent un incroyable degré de résilience, mais j'émettrais des réserves, comme je le fais depuis des années, quant à l'utilisation des mesures fondées sur une autoévaluation. Nous avons donc le tiers de la population qui présente des symptômes actifs comparables à ceux des anciens combattants et dont plus de la moitié a des limitations d'activités, mais une énorme sous-déclaration lorsqu'on demande aux gens comment ils vont. Néanmoins, ce genre de déclaration est encore utilisé dans les rapports que génère le gouvernement fédéral à partir d'études comme l'« Enquête sur les enfants autochtones » ou l'« Enquête auprès des peuples autochtones ».
Pour en revenir aux causes profondes, une autre source que je voudrais porter à votre attention est un rapport que nous avons publié en février de cette année, qui a été commandité par le Wellesley Institute, un institut non partisan de Toronto, intitulé First Peoples, Second Class Treatment: The role of racism in the health and well-being in Indigenous peoples in Canada. Dans ce rapport, ma coauteure, Billie Allan, une autre chercheuse détenant un doctorat en travail social et moi-même, avons pu nous appuyer sur le travail approfondi de mes collègues chercheurs, les membres de la communauté ainsi qu'un conseil de grands-parents.
Nous avons décrit en détail l'impact des politiques coloniales historiques et actuelles, y compris la Loi sur les Indiens, la dépossession des terres et la persécution politique des Métis, le déplacement forcé des Inuits ainsi que les traumatismes des pensionnats, la rafle des années 1960 et la surreprésentation continue et contemporaine des enfants autochtones dans le système d'aide à l'enfance. Un bon nombre d'entre vous savent peut-être qu'il y a maintenant plus d'enfants pris en charge qu'à l'époque des pensionnats. En Saskatchewan, par exemple, les enfants autochtones représentent 80 % des enfants pris en charge.
Dans le rapport en question, nous avons pu décrire en détail le caractère omniprésent du racisme comportemental et épistémique systémique et ses répercussions néfastes sur la santé mentale, y compris les traumatismes et la nouvelle traumatisation qu'une personne subit lorsqu'elle essaie d'avoir accès à des services.
Les répercussions néfastes du racisme sur la santé et la santé mentale ont été bien démontrées dans la littérature, au niveau international, pour d'autres populations victimes de racisme. En fait, comme nous avons eu une réunion internationale à l'occasion de la publication de notre rapport, nous avons pu inviter le Dr David Williams, un éminent chercheur qui a mis au point les mesures du racisme aux États-Unis, à Harvard, ainsi que nos collègues autochtones des différents pays. Par exemple, nos collègues de la santé publique autochtone, notamment Ricci Harris, ont pu démontrer — car l'enquête sur la santé de la Nouvelle-Zélande soulève la question du racisme — que si vous faites un contrôle statistique de la classe sociale et du racisme, les inégalités en matière de santé disparaissent. Leurs recherches ont été publiées dans The Lancet.
Nous avons moins de données au Canada et dans notre rapport, nous discutons de la forte stigmatisation qui nuit à la reconnaissance du racisme. Néanmoins, nous avons des preuves, par exemple, du découragement des étudiants autochtones qui doivent lutter contre le racisme à Edmonton et d'un niveau de racisme perçu décrit par ma collègue, la Dre Annette Browne, dans son étude sur une salle d'urgence du centre-ville, qui a été si élevé que les clients avaient l'habitude de préparer une stratégie pour gérer le racisme du personnel de la salle d'urgence avant de s'y rendre. Dans l'étude de Hamilton que j'ai déjà citée, l'étude de l'échantillonnage urbain en fonction des répondants, nous avons constaté que la moitié des adultes qui s'étaient auto-identifiés disaient avoir été traités injustement à cause du racisme.
Pour ce qui est des autres voies, bien entendu, il faut aussi réfléchir à l'impact sexospécifique des politiques coloniales et de son lien avec…
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Pour ce qui est de la cause profonde de ces problèmes, il y a aussi les répercussions sexospécifiques, la pauvreté, les logements surpeuplés, l'éloignement des territoires traditionnels et la scolarisation de membres de la famille dans des pensionnats, qui ont également été reliés à des effets négatifs sur la santé mentale.
En ce qui concerne l'insuffisance des services et programmes existants et des prochaines mesures à prendre, compte tenu de ce que j'ai déjà dit à l'égard du racisme systémique et comportemental, il est évident qu'il n'y a pas suffisamment de services non stigmatisants et adaptés à la culture. En fait, la majorité des patients risquent fort d'être de nouveau traumatisés.
Si vous le permettez, je voudrais approfondir brièvement. Si le tiers des adultes du pays présente un traumatisme complexe répondant aux critères du TSPT que j'ai déjà décrits, cela donne 300 000 personnes que tout fournisseur de soins de santé ou membre de la communauté souhaiterait diriger vers un soutien urgent, y compris l'accès à des conseillers et thérapeutes compétents ainsi que des conseillers et des soutiens appartenant à leur culture. Nous avons entendu mon collègue, le Dr Lalonde, parler d'efficacité et nous savons que c'est important pour l'identité et les mesures de soutien adaptées à la culture. Pourtant, dans le cadre de mon travail clinique, ici, à Toronto, il n'y a pas un seul thérapeute à qui je peux adresser des gens. Je travaille donc à temps partiel comme médecin de famille en mettant l'accent sur le soutien et la thérapie en santé mentale. Il n'y a pas une seule personne vers qui je puisse diriger les patients, et pourtant, je dirais qu'il y a plus de 10 000 Autochtones qui ont besoin de ce genre de soutien.
Pour résumer, les traumatismes complexes subis sur une période de plusieurs centaines d'années ont eu des effets sur des centaines de milliers de personnes qui auront besoin, pendant toute leur vie, de systèmes complets. La vérité et la réconciliation exigent une restitution et des recours. Il est important de reconnaître les erreurs, mais le processus de reconnaissance actuel présente des lacunes, même au niveau du soutien, pour les personnes qui déclarent avoir été victimes de traumatismes et leur nouvelle traumatisation est devenue apparente. L'investissement qui a été fait dans la Fondation autochtone de guérison de 1998 à 2014 n'était qu'un début, mais pourtant il a été aboli.
Je crois avoir démontré la nécessité d'un investissement important en santé mentale incluant à la fois des services spécifiques pour les Autochtones et des services pour l'ensemble de la population. Merci.
[ Le témoin s'exprime en ojibway.]
Bon après-midi et merci. Je voudrais d'abord vous remercier de m'avoir invitée à discuter avec le comité. Merci pour votre invitation.
Je voudrais discuter avec vous de la santé mentale du point de vue d'une Première Nation. Je me suis présentée en ce qui concerne mon identité culturelle. Je fais partie de la Première Nation Delaware. C'est une petite communauté du sud-ouest de l'Ontario et j'ai salué le peuple Anishinaabe sur la terre duquel nous sommes réunis.
J'ai grand plaisir à vous parler d'un projet de recherche que nous venons de terminer l'année passée. C'était un projet de recherche financé par les IRSC qui explorait le rôle que peut jouer la culture pour résoudre les problèmes de toxicomanie. Le point de départ de cette recherche a été « Honorer nos forces: Cadre renouvelé du Programme de lutte contre les toxicomanies chez les Premières Nations du Canada » qui disait que la recherche devait être abordée de façon à refléter la culture et les valeurs autochtones.
Nous avons établi une méthodologie pour procéder de cette façon et les priorités de nos recherches sont décrites dans Honorer nos forces. Nous avons appliqué cette méthodologie et mené nos recherches en collaboration avec le Programme national de lutte contre l'abus de l'alcool et des drogues chez les Autochtones et le Programme national de lutte contre l'abus de solvants chez les jeunes dans l'ensemble du pays. De la côte Est à la côte Ouest, 15 groupes linguistiques et culturels différents ont participé à notre étude. C'était aussi bien les Premières Nations cries Mi'kmaq, Malaseet et Ojibway des quatre coins du pays que les Premières Nations Salish de la côte, Nuu-chah-nulth, Kwakiutl, Carrier Sekani et Chilcotin, de la côte Ouest.
Les aînés, les acteurs culturels et les conservateurs du savoir autochtone ont participé à notre étude. Une de nos priorités était de faire des recherches sur les connaissances autochtones et de démontrer comment le savoir se développe et se manifeste dans une culture. Nous pouvons trouver des données probantes en dehors des revues scientifiques, mais nous avons également étudié les publications sur le sujet et mené une étude exploratoire. Nous avons constaté qu'il existait dans le monde environ 4 500 articles parlant de la culture et du rôle qu'elle peut jouer pour résoudre les problèmes de toxicomanie.
Nous n'avons retenu que 19 de ces études pour notre recherche. Dans les études que nous avons examinées, aucune des mesures visant à démontrer l'impact de la culture n'évaluait le bien-être global de la personne. Neuf des 19 études mesuraient l'impact de la culture et la plupart d'entre elles étaient axées sur le bien-être physique et les changements de comportement. La majeure partie des publications examinaient les changements en fonction des faiblesses. Elles ne parlaient pas du bien-être, mais des changements au niveau des faiblesses. Quelle quantité de substances avez-vous consommée aujourd'hui? Quelle quantité en consommerez-vous demain?
Nous avons été enthousiasmés par les résultats, qui ont donné un instrument d'évaluation du bien-être autochtone. Nous avons aussi élaboré un certain nombre d'autres outils, dont un cadre de bien-être autochtone basé sur le savoir autochtone. Nous avons testé cet instrument dans 18 centres de traitement sur les 54 que compte le pays pour nous assurer de sa validité psychométrique. Lors de l'essai pilote de l'instrument, nous avons constaté qu'il donnait des résultats valides quel que soit l'âge ou le sexe. Nous avons vu que les personnes qui parlaient surtout une langue autochtone faisaient état d'un meilleur niveau de bien-être global. Cet instrument a également démontré que les clients avaient subi un traitement au moins cinq fois avant celui qu'ils étaient en train de suivre. Nous avons également bien démontré une progression du bien-être chez les clients qui suivaient un nouveau traitement et chez les nouveaux clients, ce qui valide l'utilité des admissions répétitives dans le Programme national de lutte contre l'abus de l'alcool et des drogues chez les Autochtones et le Programme national de lutte contre l'abus de solvants chez les jeunes.
Nous avons constaté que le niveau de bien-être variait aussi selon la durée du traitement. Les programmes d'une durée d'au moins 12 à 16 semaines sont ceux qui donnaient les meilleurs résultats tandis que les programmes de 7 à 11 semaines étaient les moins efficaces.
L'instrument d'évaluation du bien-être autochtone est en partie basé sur une autoévaluation de même que sur l'évaluation d'un observateur, et la combinaison de ces deux mesures a démontré une augmentation d'au moins 18 % du bien-être entre l'évaluation faite à l'entrée et celle qui a été faite à la sortie.
L'instrument d'évaluation du bien-être et le cadre de bien-être autochtone mesurent le bien-être global de la personne et nous avons intégré dans ce cadre des indicateurs culturels qui mesurent de façon fiable le bien-être et son évolution avec le temps.
Comme je l'ai dit, la définition culturelle du bien-être se fonde sur la personne tout entière. Par conséquent, elle tient compte du bien-être du point de vue spirituel, émotif, mental et physique et les indicateurs de bien-être sont l'espoir, le sentiment d'appartenance, la raison d'être et le but. Les investissements dans le bien-être spirituel grâce à l'identité, les valeurs et les croyances produisent un niveau d'espoir. Les investissements dans le bien-être émotif — le lien avec la culture par l'entremise de la famille ou les définitions culturelles de la famille, de la communauté, des relations et une certaine attitude vis-à-vis de la vie — produisent un certain niveau et sentiment d'appartenance.
Les investissements dans le bien-être mental qui sont à la fois rationnels et intuitifs et axés sur la culture permettent de comprendre sa raison d'être. Enfin, le bien-être physique provient d'un sentiment de plénitude et du sentiment d'obtenir de sa culture un mode de vie unique, ce qui donne un but.
Lorsque nous avons présenté ce cadre de bien-être autochtone un peu partout au Canada, il a été bien accueilli dans les collectivités et les centres de traitement qui n'ont pas participé à nos recherches. Nous avons aussi constaté qu'il y avait 22 façons courantes de parler de la culture en tant qu'intervention. C'est important, parce qu'il n'y a pas de culture homogène, mais des variations d'une région à l'autre en fonction de la langue et du lien à la terre. Néanmoins, dans l'ensemble de ces cultures, il y a 22 façons courantes de parler de la culture.
Les données limitées du Programme national de lutte contre l'abus de l'alcool et des drogues chez les Autochtones révèlent que 90 % des personnes qui ont terminé un traitement ont eu accès à des interventions culturelles. Ce qu'il faut retenir c'est que les centres de traitement se servent de la culture depuis longtemps, mais que cela n'a pas été bien défini et n'a pas été documenté. Cet instrument d'évaluation du bien-être va maintenant être intégré dans une base de données nationale appelée Addictions Management Information System. Ce système a été déployé l'année dernière dans tous les centres de traitement.
La pleine utilisation de la base de données s'est révélée difficile parce qu'il n'y avait pas de ressources au niveau national pour apprendre aux fournisseurs de traitement comment utiliser le système. Nous avons donc eu recours à des moyens comme des webinaires pour enseigner au personnel des centres de traitement comment utiliser pleinement cet outil.
Nous espérons qu'avec le temps nous pourrons démontrer l'importance du système AMIS afin que les fournisseurs de services l'utilisent pleinement. Nous disposerons alors d'une base de données probantes que nous avons constituée dans l'ensemble du pays pour démontrer l'importance de la culture et la capacité du PNLAADA et PNLAS à remédier aux problèmes de toxicomanie et de santé mentale.
Nous avons aussi élaboré une adaptation culturelle des tests de dépistage de la consommation de drogue qui est à la fois un outil de dépistage et d'évaluation adapté pour mesurer les traumatismes du point de vue des Premières Nations qui considère non seulement les effets intergénérationnels à long terme des traumatismes, mais aussi les aspects communautaires des traumatismes qui s'accumulent d'une génération à l'autre.
Comme je l'ai dit, il faut consacrer davantage de ressources au système d'information de la gestion des toxicomanies pour qu'il puisse être utilisé.
Cet automne, nous allons également procéder à un essai pilote de l'instrument d'évaluation du bien-être autochtone dans le cadre du Programme de soutien en santé relatif aux pensionnats indiens et des équipes de bien-être mental.
Un bon exemple de collaboration et de partenariat que je voudrais citer — aussi pour démontrer l'impact des indicateurs de bien-être que sont l'espoir, l'appartenance, la raison d'être et le but — est l'élaboration du Cadre du continuum du mieux-être mental des Premières Nations. Lorsque nous avons présenté nos recherches, ces indicateurs ont également été bien reçus dans les différentes régions. Ils ont donc été intégrés dans le Cadre du continuum du mieux-être mental des Premières Nations. D'autre part, les gens ont dit que la culture doit être à la base des investissements que nous faisons dans le bien-être et qu'il faut mesurer les résultats sur le plan de l'espoir, de l'appartenance, de la raison d'être et du but.
Je voudrais dire aussi, au sujet de la collaboration…
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Merci beaucoup de m'avoir demandé de témoigner devant vous aujourd'hui. Comme l'a dit le président, je vais parler au nom du Psychiatric Awareness Medication Group, un groupe qui fournit de l'information à partir d'un site Web pour les personnes qui prennent des médicaments psychiatriques. Je suis aussi la coprésidente du Réseau canadien pour la santé des femmes, j'ai participé à de nombreuses audiences de Santé Canada sur la réglementation et j'ai fait partie du Comité consultatif d'experts sur la vigilance des produits de santé pendant cinq ans.
Je vais apporter à la séance d'aujourd'hui l'expérience que j'ai acquise en travaillant auprès des familles, des parents et des enfants en les sevrant de façon sécuritaire des médicaments psychiatriques. Ce sont des personnes qui ont subi toutes sortes d'effets secondaires reliés à des médicaments psychiatriques qui ont aggravé leurs problèmes émotionnels et de santé mentale. Je vais parler des lacunes et des obstacles que présente la stratégie de santé mentale et proposer quelques pratiques exemplaires.
Je voudrais d'abord parler du contexte dans lequel nos services de santé mentale sont fournis et c'est vraiment un contexte unique et sans précédent.
Tout d'abord, nous avons des taux très élevés de prévalence des maladies mentales et des taux élevés de diagnostics dans de nombreux domaines de la santé mentale et ces taux continuent de croître. Je pense qu'au Canada nous estimons maintenant que 20 % des Canadiens risquent de souffrir d'une maladie mentale et dans certains cas, ces taux sont beaucoup plus élevés. L'Organisation mondiale de la Santé dit maintenant que la dépression sera la principale cause d'invalidité à l'échelle mondiale d'ici 2020. Il y a 30 ans, on considérait que la dépression ne touchait qu'un très petit nombre de gens et qu'elle guérissait toute seule.
Par conséquent, sur le plan statistique, comment cela se manifeste-t-il? Nous avons 6 % des garçons de 6 à 14 ans qui prennent des psychostimulants. Le quart des personnes âgées de nos foyers de soins prennent des antipsychotiques même si elles n'ont pas eu un diagnostic de schizophrénie. Nous avons 20 % à 25 % des femmes d'âge moyen et plus âgées qui prennent des antidépresseurs. Le nombre d'enfants à qui l'on prescrit des antipsychotiques, des médicaments très puissants qui ne sont pas approuvés pour ce groupe d'âge, a décuplé. Et nous avons un grand nombre de gens qui prennent des benzodiazépines — 15 % à 25 % dans certains cas. J'ai été très alarmée d'apprendre que le Canada se classe au troisième rang de 22 pays de l'OCDE comparables pour ce qui est de la consommation d'antidépresseurs.
Qu'est-ce que cela signifie pour le patient et sa santé mentale? Tous les médicaments psychoactifs ont des effets secondaires. Ce sont des médicaments très puissants qui affectent la structure du cerveau et les neurotransmetteurs qui sont les substances chimiques du cerveau. Tous les médicaments peuvent exacerber ou créer de nouveaux problèmes de santé mentale ou de nouveaux types de problèmes émotionnels pour l'utilisateur.
Par exemple, une personne qui prend un tranquillisant comme l'Ativan, un médicament très souvent prescrit, finira par être déprimée si elle le prend trop longtemps. Elle retournera alors voir son médecin, se plaindra d'être déprimée et son médecin augmentera le dosage de benzodiazépines ou prescrira un antidépresseur pour remédier à la dépression qui est un effet secondaire du tranquillisant. C'est ce qu'on appelle la cascade médicamenteuse et la personne qui prend un médicament psychoactif pendant un certain temps va prendre d'autres médicaments pour remédier aux effets secondaires du médicament qu'elle prend déjà.
C'est la même chose pour les antidépresseurs. Une personne qui en prend peut devenir agitée et présenter une acathisie qui est l'impossibilité de rester sans bouger les jambes. Elle peut avoir une dépression agitée et se faire prescrire un tranquillisant ou un antipsychotique pour remédier à ces symptômes.
Je veux faire valoir que nous devons prendre très au sérieux les effets indésirables des médicaments psychiatriques. Non seulement ces médicaments ont un impact sur le sentiment de bien-être mental des patients, mais ils ont aussi des effets physiques. Par exemple, les tranquillisants provoquent des vertiges et des chutes qui conduisent à des fractures de la hanche. Les antidépresseurs peuvent conduire au suicide ou à l'idéation suicidaire et au dysfonctionnement sexuel. Les antipsychotiques peuvent causer des déficiences cognitives, des pertes de mémoire et des problèmes de ce genre ainsi que prédisposer au diabète et à l'AVC. Nous devons donc vraiment prendre cela au sérieux.
L'autre chose que nous devons reconnaître est que si une personne prend pendant longtemps un médicament psychoactif ou psychiatrique, son cerveau va s'y adapter et elle va s'y accoutumer. Je sais que c'est un terme fort que nous n'aimons pas utiliser à propos des médicaments que nous prescrivons. Néanmoins, il s'agit du même mécanisme que celui de la dépendance à la drogue. Lorsqu'une personne essaie de réduire son dosage ou de le modifier, elle peut avoir une intensification de ses symptômes qui peuvent être très désagréables, y compris une augmentation de son angoisse et de son agitation, et cela peut même aller jusqu'à des hallucinations et un comportement violent et irrationnel. Je pense que nous voyons, dans les médias, des gens commettre de terribles homicides ou des actes suicidaires qui sont associés à des médicaments prescrits. Nous estimons que les médicaments sont certainement un facteur dans ce genre de cas.
Par conséquent, que devons-nous faire pour y remédier? Nous devons réévaluer la mesure dans laquelle nous prescrivons les médicaments psychiatriques. Une étude récemment réalisée aux États-Unis montre que le taux de prescription de médicaments psychiatriques aux enfants a augmenté d'environ 31 % au cours de la dernière décennie. Pourtant, les enfants à qui on prescrit ces médicaments sont ceux qui ont des problèmes vraiment modérés alors que les enfants ayant des problèmes très graves ne sont pas soignés. Je crois donc que nous devons vraiment réévaluer la mesure dans laquelle nous prescrivons les médicaments psychiatriques. Pour ce faire, nous devons apporter davantage de soutien aux familles, aux femmes enceintes et à celles qui ont des difficultés post-partum, aux jeunes, aux adolescents, aux aînés afin qu'ils puissent remédier à leur sentiment d'isolement et trouver une aide cognitive accessible et raisonnable sur le plan de l'accès. Je pense qu'un bon endroit pour fournir ces services aux familles est l'école où il y avait, par le passé, des conseillers scolaires et des groupes qui aidaient les parents à résoudre leurs problèmes familiaux et à s'occuper de leurs enfants.
Je pense aussi que nous devons vraiment évaluer l'utilisation que les gens font des médicaments et les effets que ceux-ci peuvent avoir sur la santé mentale. Nous parlons de lutter contre la polyprescription, mais je pense qu'à chaque fois qu'une personne consulte un fournisseur de soins de santé pour un problème de santé mentale, il faut évaluer les médicaments qu'elle prend. Ce ne sont pas seulement les médicaments psychiatriques qui causent des symptômes de troubles mentaux. Ce sont également les médicaments communément prescrits en cardiologie, les antibiotiques, les corticostéroïdes, les médicaments pour cesser de fumer et les traitements contre l'acné. Tous ces médicaments peuvent être associés à des problèmes de santé mentale que l'intéressé ou son médecin n'associe pas aux médicaments. Je dirais aussi que nous avons vraiment besoin de médecins et de fournisseurs de soins de santé qui savent non seulement évaluer les effets secondaires ou les effets indésirables des médicaments psychiatriques, mais aussi de médecins qui savent comment faire le sevrage progressif de ces médicaments, comment concevoir des méthodes de sevrage, comment soutenir les gens, comment comprendre les difficultés que traverse une personne pendant le sevrage. J'ai fait le sevrage de dizaines de gens. C'est une tâche ardue, mais la mesure dans laquelle ils peuvent retrouver la santé est vraiment miraculeuse. Il faut toutefois des fournisseurs de soins de santé qualifiés pour fournir ce genre de service.
En dernier lieu, je dirais que lorsque nous considérons la santé mentale en général, nous devons la voir comme un problème sociospécifique. Les deux tiers des patients chez qui des problèmes de santé mentale sont diagnostiqués et qui reçoivent des médicaments sont des femmes. Les femmes sont l'objet de nombreux facteurs de stress reliés au rôle qu'elles jouent dans la société et aux attentes auxquelles elles doivent répondre. Je pense que nous devons vraiment en tenir compte pour évaluer le traitement le plus efficace des problèmes de santé mentale.
Merci.
:
Merci beaucoup de me permettre de vous présenter le point de vue du Centre de toxicomanie et de santé mentale, le plus grand hôpital pour les maladies psychiatriques.
Je voudrais commencer par une définition de « dépendance » étant donné qu'on nous a demandé de parler des dépendances. En général, ce terme comprend les toxicomanies, mais aussi, depuis plus récemment, les troubles liés aux paris et aux jeux. Par exemple, le DSM-5 et le CIM-11 actuellement en préparation incluront également ce genre de troubles.
Si vous prenez l'ensemble des dépendances, nous devons dire que l'abus d'alcool représente la dépendance la plus répandue. Le tabagisme soulève un point d'interrogation, car les troubles qui y sont liés ne sont généralement pas évalués dans les enquêtes auprès de la population générale comme l'ESCC. Pour ce qui est du nombre de personnes touchées par des dépendances, l'alcool arrive encore au premier rang. Au Canada, environ un homme sur vingt — et c'est pour tous les groupes d'âge — présente des troubles liés à la consommation d'alcool et ce taux est de 1,7 % pour les femmes.
Les troubles liés à la consommation de cannabis représentent la deuxième dépendance la plus importante et pour toutes les autres dépendances à la drogue, le taux est d'environ la moitié de celui du cannabis, soit à peu près 0,7 %. Là encore, la prévalence est plus importante pour les hommes que pour les femmes par un facteur de 2:1 pour la plupart de ces dépendances.
Pour ce qui est des méfaits, un grand nombre de troubles résultant des substances licites sont associés à beaucoup plus [Note de la rédaction: inaudible] sur le plan de la mortalité et de la morbidité, mais aussi de l'invalidité que les substances illégales. Et toutes ces dépendances sont fortement associées à d'autres troubles mentaux. Cela veut dire qu'en général, elles s'accompagnent de troubles de l'humeur. Environ une personne sur cinq ayant une dépendance présente en même temps des troubles de l'humeur et si vous incluez les troubles anxieux généralisés, ils touchent environ une personne sur dix. Bien entendu, les troubles de l'humeur sont ce que nous appelons normalement la dépression et comprennent toute une gamme d'états dépressifs.
Pour passer à vos questions concernant la stratégie sur la santé mentale et la façon dont les dépendances sont traitées, dans l'ensemble, les dépendances sont couvertes par la stratégie sur la santé mentale, et il y a beaucoup de choses très importantes à dire à leur sujet. Néanmoins, en pratique, si vous examinez les politiques nationales et les approches stratégiques, vous verrez que beaucoup de choses ont été réglementées par la Stratégie nationale antidrogue du gouvernement du Canada et que cela entraîne un conflit d'objectifs et un conflit entre les principales approches.
Lorsque nous examinons la Stratégie nationale antidrogue, l'ajout récent de l'usage non médical d'opiacés délivrés sur ordonnance et l'usage non médical d'autres drogues est un pas dans la bonne voie. Comme vous l'avez entendu dire dans le premier témoignage, bien entendu, c'est en partie le résultat de dépendances causées par le système médical.
Néanmoins, les deux substances les plus coûteuses du point de vue de la santé et de l'économie sont le tabac et l'alcool qui restent entièrement en dehors de la stratégie. Même si c'est un problème de moindre envergure et moins coûteux, je mentionnerai de nouveau que les paris et les jeux ne sont pas non plus inclus dans la Stratégie nationale antidrogue.
Nous soulignons que toutes les dépendances et les toxicomanies devraient être considérées comme des problèmes de santé et faire l'objet d'une approche de santé publique. Cela veut dire que nous devrions avoir pour les drogues illicites une approche reposant sur quatre piliers, soit la prévention, la réduction des méfaits, le traitement et l'application de la loi. Le même principe s'applique aux substances licites.
Nous devons dire également que l'approche en cours au Canada à l'égard des substances illicites est trop axée sur la répression. Autrement dit, si nous examinons l'équilibre entre une approche reposant sur quatre piliers et l'approche canadienne actuelle, la balance penche du côté de la répression, tant en ce qui concerne l'argent dépensé que les efforts globaux de la société. Il faudrait ajouter à cela la réduction des méfaits, une approche qui est entièrement absente actuellement. Plus le Canada pourra orienter son approche globale vers la sphère de la santé publique, meilleures seront nos chances de réduire les méfaits globaux.
Pour répondre à la première question, je résumerais en disant qu'au Canada, il faudrait aborder les dépendances avec une approche de santé publique, plus ou moins comme nous l'avons vu dans le cas de la stratégie sur la santé mentale. Si nous adoptons l'approche de la santé publique, nous aurons à modifier certaines choses dans la Stratégie nationale antidrogue, mais nous serons récompensés par de meilleures stratégies pour s'attaquer aux dépendances et réduire les méfaits qui y sont reliés.
Dans la deuxième partie de mon exposé, je voudrais examiner la question de la stigmatisation. Vous avez parlé de la stigmatisation à l'égard des dépendances et malheureusement, la dépendance entraîne une forte stigmatisation dans notre société. Nous ne sommes pas le seul cas au monde. Les dépendances sont les troubles mentaux les plus stigmatisés dans tous les pays riches, en Amérique du Nord, en Europe et au Japon.
D'après les enquêtes, nous savons que même si la stigmatisation globale associée à la santé mentale a diminué au cours des dernières décennies, pour ce qui est des dépendances, ce n'est malheureusement pas le cas. Les personnes qui ont des dépendances sont jugées imprévisibles et dangereuses. En général, les gens considèrent qu'elles ont une moralité défaillante et sont seules responsables de leur assuétude. Bien entendu, cela pose un problème non seulement pour les intéressés, mais aussi pour le système de soins de santé dans son ensemble, car de tous les troubles mentaux, ce sont ceux pour lesquels le taux de traitement est le plus bas.
Le taux de traitement des troubles mentaux reste en dessous du taux de traitement des troubles somatiques, mais le taux est particulièrement bas pour les dépendances. Par exemple, pour les troubles liés à la consommation d'alcool, seulement une personne sur dix reçoit un traitement adéquat ou est soignée en Ontario.
Un facteur qui y contribue est notre tendance à voir le monde en noir et blanc, généralement à considérer qu'une personne est malade ou n'est pas malade et non pas comme un continuum. Malheureusement, à cause de cette approche dichotomique qui ne voit pas la dépendance comme une forte consommation de substance au fil du temps, comme une étape d'un continuum — que nous partageons tous — ces personnes sont plus stigmatisées et davantage exclues de notre société. Elles ne cherchent donc pas à se faire soigner, parce qu'elles ne veulent pas avoir à reconnaître leur dépendance. Cela entraîne des problèmes dans tout le système de santé, autant dans les soins primaires que les soins spécialisés.
La stigmatisation fait obstacle à un continuum de soins sans faille et cela fait partie des problèmes touchant les dépendances.
Je vais m'arrêter là. Je dispose de 10 minutes et comme je les ai utilisées, je voudrais simplement résumer.
Toutes les dépendances devraient être considérées comme un problème de santé publique et être abordées du point de vue de la santé publique. La stigmatisation est l'un des principaux obstacles, non seulement pour la santé mentale en général, mais également pour le traitement des dépendances.
Merci beaucoup.
:
Merci beaucoup, monsieur le président.
Mesdames et messieurs, bon après-midi. Bonjour.
Comme le président l'a mentionné, j'ai le plaisir de comparaître devant vous en tant que président et chef de direction des Services de santé Royal Ottawa pour vous faire part de nos opinions à l'égard de la stratégie sur la santé mentale pour le Canada.
[Français]
Je vous remercie de m'avoir invité à participer cet important forum.
[Traduction]
J'applaudis aussi vos efforts qui portent sur une question de santé cruciale, les soins de santé mentale pour nos familles et nos collectivités. Au Royal Ottawa, on ne peut pas parler de la santé à moins de soutenir la santé mentale. Il est essentiel de comprendre le lien entre la santé mentale et physique pour comprendre la complexité du cerveau.
Je suis chargé, avec mon équipe de direction, de diriger et de gérer les activités d'un centre universitaire de sciences de la santé qui se spécialise dans le traitement de la santé mentale, des maladies mentales et des dépendances. Nous desservons un vaste éventail de clients qui reçoivent des services dans le cadre de plus de 15 programmes spécialisés au Royal. Nous avons pour mission de traiter des patients, aussi bien des jeunes de 16 ans qui ont des besoins complexes sur le plan de la santé mentale, que des patients gériatriques ayant des problèmes reliés au vieillissement, comme la démence, des problèmes de comportement et des maladies chroniques. Nous gérons, à Ottawa, un centre de traitement de 222 lits qui a soigné plus de 1 600 patients internes et 14 000 patients externes au cours de l'année écoulée.
[Français]
Nous tenons également plus de 1 000 consultations de télémédecine chaque année.
[Traduction]
Nous nous sommes également servis de la technologie grâce à la création d'applications pour la sensibilisation à la santé mentale, la détection précoce de problèmes de santé mentale et un outil d'autogestion. À Brockville, nous gérons un établissement de psychiatrie légale, y compris deux lits pour le Service correctionnel du Canada.
[Français]
Depuis cette année, nous traitons également des femmes incarcérées ayant des besoins accrus en matière de santé mentale.
[Traduction]
Nous fournissons aussi des services de traitement et des services cliniques en santé mentale à 100 détenus du sexe masculin qui purgent une peine provinciale au Centre correctionnel et de traitement St. Lawrence Valley pour le gouvernement de l'Ontario.
Nous sommes très fiers du travail que nous faisons dans notre clinique pour les blessures de stress opérationnel. Nous sommes le seul centre universitaire de sciences de la santé à faire partie du réseau de cliniques BSO d'Anciens Combattants Canada. Nous offrons des soins et des recherches spécialisés en santé mentale aux anciens combattants, aux soldats et aux agents de la GRC. Ce sont des hommes et des femmes qui rendent un grand service à notre pays ainsi que pour la paix et la sécurité dans le monde. Qu'ils soient déployés pour des missions de combat, des missions de maintien de la paix ou des opérations sur le territoire national, un grand nombre de nos anciens combattants et des membres des Forces canadiennes sont victimes de conséquences psychologiques à la suite de leur service courageux. Le nombre de soldats qui demandent de l'aide est en hausse. L'année dernière, nous avons enregistré 238 % de renvois de plus qu'il y a cinq ans. Nous faisons de notre mieux pour fournir les soins nécessaires et aider ces personnes à retrouver une qualité de vie.
Aujourd'hui, je voudrais parler de trois obstacles qui posent un problème pour la santé mentale et de la façon dont une stratégie nationale, une défense des intérêts et un financement pourraient changer la vie des gens et leurs résultats cliniques.
Le premier obstacle est l'accès aux soins. Ce n'est pas une nouvelle expression ou un nouveau concept, mais une chose que nous ne pouvons tout simplement pas garantir dans notre système actuel de santé mentale. Il ne fait aucun doute que nos campagnes contre la stigmatisation rejoignent les Canadiens, qu'elles abaissent les barrières sociales et qu'elles incitent les gens à demander de l'aide. Le problème est que les campagnes de sensibilisation ne sont pas reliées à des possibilités de traitement. Se rendre compte que l'on a besoin d'aide est une première étape. La vraie difficulté est d'essayer d'obtenir le bon traitement au bon moment. Comme nos budgets d'exploitation globaux n'ont pas augmenté au cours des six dernières années, nous avons rationalisé nos opérations pour les rendre plus efficientes de façon à traiter davantage de patients; néanmoins, de plus en plus de gens essaient d'avoir accès à nos soins. Les dernières statistiques de l'Agence de la santé publique du Canada révèlent qu'un Canadien sur trois sera touché par une maladie mentale au cours de sa vie. Nous avions toujours cru que ces chiffres étaient de un sur cinq. Ce sont les dernières statistiques. Le nombre des personnes à la recherche de soins augmente au lieu de diminuer.
Je regarde, chaque jour, nos listes d'attente et le nombre de personnes qui désirent se faire soigner. Un financement existe pour aider les gens à naviguer dans le système de santé mentale fragmenté de l'Ontario, mais pas pour les soins spécialisés qui leur permettront de reprendre leur vie en main.
Nous commettons une injustice envers les collectivités lorsque nous cherchons à colmater les brèches dans le système au lieu de bâtir les services qui permettront de retrouver la santé. La façon dont nous abordons l'accès aux soins a des répercussions bien au-delà du patient. La santé mentale touche toute la famille de toutes sortes de façons. Elle touche aussi les amis, les collègues et les employeurs.
[Français]
La maladie mentale nous affecte tous. C'est un problème social qui exige notre attention.
[Traduction]
La semaine dernière, je parlais à une mère qui m'exhortait à admettre son fils de 20 ans, Andy, au Royal parce qu'il continue à se faire du mal. J'ai dû lui dire que le premier rendez-vous disponible pour les troubles concomitants, un programme visant les dépendances, était dans trois mois. Que va faire Andy pendant ce temps? Va-t-il pouvoir rester chez ses parents? Il les a déjà menacés plusieurs fois et la police a été appelée. Il risque fort de se retrouver en prison. Quelles sont les chances qu'il puisse attendre à la maison en s'accrochant à l'espoir d'obtenir de l'aide? Il est plus probable que sans le soutien d'une équipe spécialisée qui sait comment traiter ses troubles complexes il deviendra anxieux et frustré en essayant de gérer ses troubles et ses dépendances.
Il y a une longue liste de gens comme Andy. En fait, hier, nous avions 1 858 patients de l'agglomération urbaine d'Ottawa sur notre liste d'attente, 500 dont nous devons encore faire le triage et nous ne sommes pas les seuls dans cette situation. D'après ce que m'ont dit certains de mes collègues des quatre coins du pays, la situation est à peu près la même dans chaque province et chaque territoire.
Le gouvernement du Canada a enregistré des bons résultats par le passé grâce à sa politique nationale de listes d'attente pour certaines interventions médicales, qui a été adoptée en 2004. De nombreux Canadiens ont bénéficié de cette mesure gouvernementale vraiment nécessaire. Les rapports de l'Institut canadien d'information sur la santé ont clairement montré qu'un investissement de un million de dollars avait nettement réduit les temps d'attente dans tout le pays et amélioré la qualité des soins. Ne pouvons-nous pas faire la même chose pour la santé mentale?
Selon la Commission de la santé mentale du Canada, notre pays consacre à la santé mentale environ 7 % de chaque dollar dépensé pour la santé publique. Des pays comme la Nouvelle-Zélande et le Royaume-Uni ont dépensé jusqu'à 10 % ou 11 % de leur budget de la santé publique pour la santé mentale de façon à répondre aux besoins de leurs citoyens.
[Français]
Nous appuyons la recommandation de la commission en vue d'augmenter les dépenses liées à la santé mentale à 9 % sur une période de 10 ans.
[Traduction]
Nous devons nous demander aujourd'hui ce qui nous empêche d'atteindre cet objectif réaliste.
Nous savons que plus de 75 % des maladies mentales se manifestent pendant l'adolescence. Ne pouvons-nous pas montrer à nos jeunes qu'ils comptent vraiment, et qu'ils peuvent avoir accès à des services et à des soins quand ils en ont besoin s'ils souffrent d'une maladie mentale? Ceux qui souffrent d'une maladie mentale ont besoin d'un porte-parole national et d'un financement pour les soins spécialisés, en plus des campagnes de sensibilisation qui sont si nécessaires.
[Français]
Il faut placer la santé mentale des Canadiennes et des Canadiens en priorité.
[Traduction]
Il faut mieux soutenir les soins de santé mentale pour des raisons morales et sociales, mais également pour des raisons économiques. Selon un rapport préparé pour la Commission de la santé mentale du Canada en 2011, les troubles et les maladies psychiatriques coûtent à l'économie canadienne plus de 48,5 milliards de dollars chaque année en coûts directs et indirects. Autrement dit, c'est non seulement la bonne solution, mais la solution intelligente.
Une autre question importante est celle du vieillissement de notre population, comme vous l'avez souvent entendu dire. C'est un facteur qui entraîne d'importants changements démographiques. Comme chacun sait, la proportion d'aînés souffrant de démence va plus que doubler d'ici 2031, au Canada; d'ici 2028, plus de 310 000 aînés souffriront de démence, rien qu'en Ontario.
[Français]
Nous voyons d'importantes augmentations selon les catégories d'âge allant de 65 ans à 90 ans. Il faut changer le parcours à cet égard.
[Traduction]
Nous savons que nous pouvons changer nos perspectives d'avenir grâce à une action ciblée. Les recherches réalisées au cours de la dernière décennie au Canada, aux États-Unis et en Europe ont clairement démontré que l'apparition tardive de la dépression est un prodrome, un symptôme précoce de démence. Si nous nous soucions de la vie de nos aînés et de l'avenir de nos jeunes générations, nous devons investir dans des traitements précoces qui s'attaqueront à cet important facteur de risque de démence et réduiront ces chiffres alarmants. Nous avons la possibilité d'endiguer la crise avant qu'elle ne déferle sur nous.
La semaine dernière, le Dr Merali vous a parlé des recherches importantes sur la dépression menées à l'Institut de recherche du Royal Ottawa et de son point de vue quant à la nécessité d'une collaboration nationale, en tant que cofondateur du Réseau canadien de recherche et d'intervention sur la dépression. Nous devons investir davantage dans la recherche en santé mentale afin d'améliorer les résultats cliniques pour la dépression. Soignons les gens mieux et plus rapidement.
En troisième et dernier lieu, je parlerai du faible niveau de financement de la recherche en santé mentale et en particulier de la recherche en prévention du suicide. La compréhension du cerveau est le dernier champ de découverte qui permettra d'avoir des traitements personnalisés pour la maladie mentale. Il faut un financement de la recherche sur la prévention du suicide et une coordination nationale pour faire progresser les pratiques exemplaires dans l'ensemble du pays.
En tant que coprésident du réseau communautaire de prévention du suicide, à Ottawa, depuis quatre ans, je connais trop bien les effets du suicide sur les familles. Nous avons fait de la région d'Ottawa une collectivité plus sûre sur le plan du suicide et nous avons réuni les principaux organismes communautaires, les hôpitaux, la police, les organismes gouvernementaux, Centraide, les écoles, les collèges, les universités, les clients, les défenseurs des droits et les jeunes pour qu'ils nous aident à mettre en lumière les lacunes, à décompartimenter les services et à mieux coordonner nos efforts pour sauver des vies.
Nous nous sommes inspirés du modèle de réduction du suicide de Nuremberg, en Allemagne, et nous avons tiré la leçon de l'expérience de cette collectivité. À Ottawa, nous nous sommes fixé comme objectif de réduire le nombre de suicides de 20 % d'ici 2020. Nous avons piloté des nouvelles initiatives qui forment et habilitent nos jeunes pour qu'ils s'entraident. Nous avons aussi fait savoir aux jeunes vers qui ils peuvent se tourner pour trouver de l'aide et nous avons créé des sentinelles communautaires pour bâtir un climat de confiance et de sécurité pour tous nos jeunes.
Avec l'aide du DIFD, une initiative dirigée par les jeunes, et de la Fondation Mach-Gaenslenn, le Royal a établi une chaire canadienne en recherche sur la prévention du suicide. Il y a de nombreuses initiatives sur la prévention du suicide au Canada, mais savons-nous vraiment quelles sont les solutions reposant sur des données probantes ou les plus efficaces pour réduire le suicide? Nous voulons trouver la réponse et nous espérons pouvoir diriger un effort de collaboration et de soutien dans l'ensemble du pays. Nous le devons à nos clients…