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Je vous souhaite la bienvenue à la 30
e réunion du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international. Conformément à l'article 108(2) du Règlement et à la motion adoptée par le Comité le jeudi 29 octobre 2020, le Comité reprend son étude sur l'octroi de licences d'exportation d'armes, avec une attention particulière sur les licences d'exportation vers la Turquie.
[Traduction]
Comme d'habitude, j'encourage les participants à laisser leur micro en sourdine lorsqu'ils n'ont pas la parole et à adresser leurs observations à la présidence. Lorsqu'il vous restera 30 secondes pour poser vos questions ou pour témoigner, je vous ferai signe avec ce bout de papier jaune. Les services d'interprétation sont accessibles à partir de l'icône du globe au bas de votre écran.
J'aimerais souhaiter la bienvenue aux témoins de notre premier groupe. Nous accueillons aujourd'hui M. Michael Byers, professeur au département de sciences politiques de l'Université de la Colombie-Britannique. Bienvenue à nouveau au Comité, monsieur Byers. Nous sommes ravis de vous voir.
Nous accueillons également M. Christopher Waters, professeur à la faculté de droit de l'Université de Windsor; et Mme Peggy Mason, présidente de l'Institut Rideau sur les affaires internationales et ancienne ambassadrice. Il fait bon de vous voir, madame Mason.
Monsieur Byers, la parole est à vous. Vous disposez de cinq minutes.
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Merci. Je suis très heureux d'être ici.
J'aimerais tout d'abord saluer la décision qu'a prise , d'annuler 29 licences d'exportation le 12 avril dernier. Cette décision s'imposait au titre du Traité sur le commerce des armes. C'était la bonne décision, et je félicite le ministre Garneau de l'avoir prise.
Je suis actif dans ce dossier depuis 1992, durant la courte période où j'ai travaillé au bureau de services juridiques de ce qu'on appelait Affaires extérieures Canada à l'époque. Barbara McDougall était la ministre, et le gouvernement Mulroney exerçait de fortes pressions pour qu'un traité sur le commerce des armes soit négocié aux Nations unies.
Ce n'est qu'en 2014 qu'un traité est entré en vigueur, mais c'est en grande partie grâce à la diplomatie canadienne et à un fort appui multipartite. Il ne s'agit pas d'une question partisane. Cela fait trois décennies que nous exerçons des pressions pour l'adoption d'un traité important sur le commerce des armes, tous gouvernements confondus.
Par ailleurs, alors que nous cherchons à mettre en œuvre le Traité sur le commerce des armes, à protéger les droits de la personne et à préserver la paix et la sécurité internationales...
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J'en suis désolé. La greffière m'avait prévenu que cela se produirait.
Nous avons également une importante industrie de l'armement dans ce pays, et les exportations d'armes contribuent à l'économie canadienne, ce qui est tout à fait normal.
Le problème, c'est que certains des principaux marchés pour nos armes et nos systèmes d'armes sont des pays dont le régime est autocratique ou, du moins, n'est pas tout à fait démocratique, comme l'Arabie saoudite et la Turquie. Une surveillance attentive et un processus décisionnel rigoureux sont nécessaires pour nous assurer que nous atteignons les deux objectifs que sont la promotion de l'économie canadienne et le respect de nos obligations en vertu du droit international.
Le problème, au Canada, est que nous avons confié au même ministère la responsabilité d'accomplir ces deux tâches importantes — promouvoir les exportations d'armes et protéger les droits de la personne ainsi que la paix et la sécurité internationales. Il s'agit d'Affaires mondiales Canada.
J'éprouve beaucoup de sympathie pour les fonctionnaires qui doivent réaliser ces objectifs contradictoires au sein de ce seul ministère. C'est presque impossible. Par conséquent, ils finissent par prendre des décisions qui ne permettent pas d'accomplir pleinement l'une ou l'autre de ces tâches, et ils ne réussissent pas, en particulier, en ce qui concerne ma principale préoccupation, à mettre en œuvre intégralement le Traité sur le commerce des armes. Ils n'ont pas répondu aux attentes dans leurs recommandations concernant la loi de mise en œuvre. Grâce aux membres de ce comité et à leurs collègues du Sénat, les améliorations apportées à ce projet de loi nous ont rapprochés d'une pleine mise en œuvre.
Pour ce qui est de la mise en œuvre comme telle, ils commettent également des erreurs. Ils interprètent la loi de mise en œuvre de façon très étroite. Par exemple, ils disent qu'il n'y a pas de détournement lorsqu'il s'agit des systèmes de ciblage de Wescam pour les drones, car ils considèrent le système de ciblage comme un simple élément et non comme le système d'armes en tant que tel. C'est une interprétation très étroite alors qu'en fait, le système de ciblage constitue les yeux de la machine. C'est l'élément central qui rend ces drones opérationnels et efficaces, mais ils essaient de vous dire que, non, il ne s'agit pas du système d'armes. Il ne s'agit que d'une partie, comme un gadget sur une machine.
Ils examinent également les circonstances dans un cadre temporel et géographique très étroit. Une petite partie du Nord de la Syrie est le point central d'une exemption à la suspension des licences, alors que ces drones peuvent fonctionner pendant une demi-journée et parcourir des milliers de kilomètres. Un drone en mission de protection des civils dans le Nord de la Syrie pourrait ensuite être détourné par ses opérateurs pour remplir une autre mission à seulement 100 kilomètres de là, dans le Nord de l'Irak. La portée géographique et temporelle est étroite; on pense à ces drones, à leur utilisation et à ces systèmes de ciblage en fonction d'un mois, voire d'une année, sans se rendre compte que les opérateurs ou les assistants les utiliseront pendant une décennie ou plus.
Des problèmes de toutes sortes se posent. Par conséquent, nous ne voyons pas la situation dans son ensemble. Nous vendons des armes à des pays qui se lancent dans l'aventurisme à l'étranger, qui violent peut-être les droits de la personne et qui le feront peut-être pour des décennies à venir; et nous ne pensons pas aux tendances. Nous ne nous demandons pas si c'est une bonne idée. Nous nous concentrons sur le présent en raison de cet ensemble d'objectifs contradictoires auxquels les fonctionnaires sont confrontés.
J'ai quelques idées sur les moyens de résoudre le problème.
Merci.
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Bonjour. Je vous remercie de l'invitation.
J'étudie le Caucase du Sud, à savoir l'Arménie, l'Azerbaïdjan et la Géorgie, depuis 1998. Cela comprend des activités de recherche juridique, l'enseignement du droit et l'observation des élections dans ces trois pays. J'ai également visité le Haut-Karabakh dans le cadre de mes recherches, mais cela fait toutefois quelques années.
Le droit international humanitaire ou le droit des conflits armés constituent mon principal domaine d'étude et c'est dans ce cadre régional et juridique que s'inscrivent mes observations.
Permettez-moi d'abord de saluer la décision qu'a prise, plus tôt ce mois-ci, le d'annuler les licences d'exportation vers la Turquie qui avaient été suspendues plus tôt au cours de l'automne. C'était la bonne décision et une décision empreinte d'intégrité. Cependant, au lieu de montrer que notre régime de contrôle des exportations d'armes est robuste, l'épisode entier montre que nos contrôles ne sont pas à la hauteur. À mon avis, le Canada n'avait aucune raison de confier au régime turc des armes fabriquées au Canada dans un premier temps, et nous devons adopter un moyen plus proactif d'évaluer nos exportations d'armes.
Comme vous le savez, le Traité sur le commerce des armes et la loi de mise en œuvre du Canada constituent le cadre juridique directement applicable. Toutefois, l'un des problèmes qui se posent lorsque nous apprenons à appliquer ce cadre, c'est que les aspects pertinents à prendre en considération pour déterminer s'il existe un risque sérieux que des armes fabriquées au Canada soient utilisées pour commettre des violations graves du droit international ne sont pas précisés.
Affaires mondiales Canada a établi une définition du risque sérieux, mais on ne mentionne pas les aspects pertinents à prendre en considération dans l'évaluation des risques. Néanmoins, il existe des pratiques exemplaires. Par exemple, même avant que le Traité sur le commerce des armes soit adopté, le Comité international de la Croix-Rouge avait proposé une liste d'indicateurs que les États pourraient utiliser pour évaluer le risque que les armes exportées soient utilisées pour commettre des violations graves du droit humanitaire international. Autrement dit, concernant le critère du risque sérieux ou la valeur des mesures d'atténuation, on n'a pas à laisser une si grande place à l'interprétation comme c'est le cas actuellement.
Les questions pratiques à se poser, telles que suggérées par la Croix-Rouge, consistent notamment à savoir si le destinataire maintient un contrôle strict sur ses armes et leur transfert ultérieur; si un destinataire a commis des violations graves du droit international humanitaire ou a pris toutes les mesures possibles pour prévenir les violations; et si le pays destinataire a mis en place les mesures juridiques, judiciaires et administratives nécessaires à la répression de violations du droit international humanitaire.
Appliquons à la Turquie certains des critères proposés. Premièrement, la Libye nous a appris que la Turquie n'a pas maintenu un contrôle strict et efficace sur ses armes. Deuxièmement, alors que les rédacteurs du rapport final d'Affaires mondiales sur l'examen des licences d'exportation disent que « l'armée turque est une armée professionnelle qui agit conformément à ses obligations internationales », les coups d'État militaires, les tentatives de coup d'État et les purges sont des événements qui sont arrivés de façon régulière dans l'histoire moderne de la Turquie. De plus, à mesure que le régime d'Erdogan devient plus belliqueux, au sein du pays et à l'étranger, des rapports crédibles ont fait état de violations du droit international humanitaire commises par des combattants turcs soutenus par la Turquie ces dernières années, y compris en Syrie à l'automne 2019.
Maintenant, peut-être que tout cela nous amènerait à agir avec prudence plutôt qu'à sonner l'alarme s'il existait une surveillance démocratique de l'armée turque à l'échelle nationale. Après tout, chaque pays a des défis à relever en matière de surveillance militaire. Toutefois, la Turquie se trouve entre les mains d'un gouvernement autoritaire qui respecte peu les droits de la personne. Le harcèlement judiciaire que subissent les acteurs de la société civile est bien connu et le système judiciaire lui-même a été affaibli par des purges. Il n'y a pas de véritable surveillance nationale de l'armée ou de l'exécutif turcs.
Permettez-moi maintenant de revenir directement sur le conflit au Haut-Karabakh. Ce conflit n'a jamais été gelé. Il s'agissait d'un conflit latent qui a souvent dégénéré et qui, la plupart du temps, a fait de nombreuses victimes. Il s'agissait également d'un conflit dans lequel la Turquie soutenait depuis longtemps l'Azerbaïdjan. L'État turc s'est montré intransigeant quant à toute volonté réelle de rétablir les relations avec l'Arménie, et pendant ce temps, ses relations avec l'Azerbaïdjan n'ont fait que se renforcer ces dernières années pour des raisons culturelles et stratégiques. La Turquie forme des officiers des forces armées azerbaïdjanaises; elle fournit des armes à l'Azerbaïdjan et organise des exercices militaires avec ce pays.
Si les ventes d'armes à la Turquie, ainsi qu'à l'Arabie saoudite, révèlent les faiblesses de nos mécanismes de contrôle, comment pouvons-nous faire mieux? Il ressort clairement des témoignages que ce comité a entendus précédemment qu'Affaires mondiales Canada consulte des partenaires de l'industrie. Qu'en est-il des consultations avec des groupes de défense des droits de la personne ou d'autres groupes de la société civile? Pourquoi revient-il aux journalistes, aux ONG et aux diasporas de porter à l'attention du Canada les violations des ententes relatives aux utilisateurs finaux?
Dans le cas du Caucase du Sud, une partie du problème réside dans le fait que nous ne sommes pas présents sur le terrain: nous n'avons pas d'ambassades et, franchement, nous avons peu de capital diplomatique. Or, l'absence de services de renseignements locaux devrait nous rendre encore plus vigilants lorsqu'il s'agit d'évaluer des partenariats régionaux et la probabilité de ventes ou de transferts d'armes.
D'autres témoins qui ont comparu devant le Comité ont souligné qu'il y a des intérêts divergents. Certains ont parlé de « conflit d'intérêts » entre la promotion des produits de défense fabriqués au Canada et le respect de nos engagements internationaux.
Une chose est claire: le système actuel peut entraîner des revers diplomatiques lorsque des licences sont suspendues ou annulées. Et si l'on froisse les membres de diasporas, dans ce cas de la diaspora arménienne, ce n'est certainement pas bon pour les entreprises canadiennes ou pour notre régime multiculturel.
Parmi les solutions possibles, il y a la tenue d'un examen parlementaire systématique, une surveillance indépendante ou l'obtention d'avis d'experts et, à tout le moins, la tenue de consultations structurées auprès de groupes de la société civile et l'établissement de critères plus concrets pour évaluer le risque sérieux.
Merci.
Permettez-moi d'abord d'exprimer ma grande consternation devant la situation en Inde et ma solidarité envers le peuple indien, qui lutte contre cette terrible pandémie.
Permettez-moi ensuite de dire que je souscris aux propos des deux intervenants précédents.
Je veux parler brièvement aujourd'hui de la façon dont le Canada évalue le risque sérieux. Je parlerai tout d'abord de l'Arabie saoudite et ensuite de la Turquie.
De nombreux alliés ont maintenant suspendu ou interdit l'exportation de leurs armes vers l'Arabie saoudite en raison du risque qu'elles soient utilisées dans le conflit dévastateur qui sévit au Yémen, le gouvernement Biden étant le dernier à l'avoir fait. Si l'on se fie au désormais célèbre rapport canadien d'avril 2020 qui mettait fin à l'interdiction de la délivrance de nouvelles licences d'exportation de véhicules blindés légers vers l'Arabie saoudite au moment où les licences existantes arrivaient à échéance, le Canada répondrait sans doute, s'il avait répondu publiquement, ce qu'il n'a pas fait, que le cas des États-Unis est différent parce qu'ils fournissaient des armes utilisées dans les frappes aériennes saoudiennes qui sont associées à de nombreuses violations des droits de la personne, allant jusqu'aux crimes de guerre, tout en se gardant bien de parler de toutes les preuves de graves violations des droits de la personne commises contre des civils innocents mettant en cause des forces terrestres, y compris les forces dirigées par l'Arabie saoudite.
Comment le Canada explique-t-il qu'en 2019, le gouvernement belge a interdit l'exportation vers le Canada de tourelles, ce qui a été prolongé en février 2020, parce qu'elles étaient destinées à être incorporées dans des véhicules blindés canadiens destinés à l'Arabie saoudite? Manifestement, la Belgique ne souscrit pas à l'analyse cynique du risque sérieux faite par le Canada. Le Canada essaie de faire abstraction de la signification d'un risque sérieux de faciliter la commission de violations graves des droits de la personne et prétend qu'il doit y avoir une preuve directe qu'on se sert d'une exportation canadienne pour commettre des atrocités plutôt qu'une preuve directe d'un risque sérieux que les exportations canadiennes soient utilisées pour commettre ou faciliter la commission de telles atrocités.
Pour aider les organismes de contrôle des exportations à faire leurs évaluations nationales — le professeur qui a été le deuxième à témoigner aujourd'hui en a également parlé —, on élabore de plus en plus de pratiques exemplaires internationales. Il a parlé du CICR. Je veux parler d'un travail de collaboration qu'ont effectué tout récemment des gens de la faculté de droit de l'Université Harvard, dans le cadre duquel des responsables d'Affaires mondiales Canada ont été consultés. Dans leur rapport, ils parlent précisément de l'utilisation de véhicules blindés pour transporter des femmes et des filles vers des lieux où elles sont victimes de violence et d'exploitation sexuelles.
Ils poursuivent en disant ceci:
« Faciliter » est un concept plus général que « commettre ». Faciliter [la commission d'actes de violence fondée sur le sexe] signifie rendre un acte [de violence fondée sur le sexe] plus facile à commettre. La facilitation peut englober toutes sortes d'actes, qui peuvent dans certains cas se situer à plusieurs pas du préjudice lui-même.
L'incompréhension profonde du Canada quant à ce qui est essentiel à une bonne évaluation du risque sérieux de violations des droits de la personne saute aux yeux dans une réponse qu'a donnée le sous-ministre adjoint, Bruce Christie, le 13 avril, devant ce comité au sujet des exportations de Wescam vers la Turquie:
Toutefois, lorsque nous avons évalué les demandes de licence et déterminé si elles avaient contribué [aux violations de droits de la personne], nous n'avons pas cherché à savoir si les violations des droits de la personne avaient subi des répercussions dans la région. Nous avons cherché à savoir si la technologie canadienne avait contribué à des violations des droits de la personne ou à des violations du droit international humanitaire. Selon la Loi sur les licences d'exportation et d'importation et selon les critères du Traité sur le commerce des armes qui sont maintenant inscrits dans la loi, nous n'avons pas, sur le plan juridique, le droit d'examiner les violations des droits de la personne en général. Nous déterminons si les violations des droits de la personne ont été causées par l'exportation canadienne de technologies militaires.
C'est totalement faux. Il est nécessaire, pour évaluer le risque, d'examiner la situation des violations des droits de la personne en général. Sinon, il est impossible d'évaluer le risque de violations canadiennes. Tout ce que le Canada fait, c'est évaluer la preuve d'une utilisation antérieure directe d'équipement canadien, et ce n'est pas le critère qui convient. C'est comme si l'on essayait de déterminer si les exportations canadiennes seront déstabilisantes, isolément, sans examiner la situation générale du conflit. Quelle autre preuve pourrait mieux nous convaincre qu'il est nécessaire d'adopter une approche complètement différente?
En résumé, je renvoie les membres du Comité à ma première comparution devant le Comité dans le cadre de cette étude. J'avais alors conclu ma déclaration préliminaire en demandant la création d'un organisme expert indépendant chargé d'administrer de manière impartiale nos exportations d'armes, dans le plein respect des lois canadiennes et internationales. Entretemps, il faut lancer immédiatement les consultations sur la création d'un groupe consultatif indépendant d'experts, tel que promis en avril 2020, et il faut mandater un avis juridique spécialisé indépendant sur le respect des obligations juridiques internationales du Canada comme partie intégrante du processus actuel d'Affaires mondiales en matière de demande de licence d'exportation.
Je vous remercie beaucoup.
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Je vous remercie, monsieur le président.
Ma première série de questions s'adresse à M. Waters.
J'aimerais lui demander ce que nous savions, en septembre dernier, sur le conflit dans le Caucase. À la mi-septembre, une note d'information a été envoyée au en vue de sa rencontre avec son homologue turc.
Ce qui m'a paru intéressant, c'est que cette note d'information mentionnait les actions de la Turquie en Méditerranée orientale. Il était question du rôle de la Turquie dans la région en ce qui concerne la Syrie et d'autres actions menées par la Turquie, mais il n'y avait aucune mention du conflit de l'été précédent dans le Caucase.
Personnellement, j'ai trouvé cela surprenant, et je voulais donc vous demander s'il y avait eu des signes, cet été-là, que l'Azerbaïdjan chercherait à reprendre le territoire du Haut-Karabakh en 2020 et que la Turquie fournirait un soutien matériel à ces efforts.
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Monsieur le président, je vous remercie de la question.
Permettez-moi de fournir un indicateur concret. La Turquie a vendu six fois plus d'armes à l'Azerbaïdjan pendant l'année précédant le conflit. De plus, il y avait certainement des efforts en vue de renforcer les troupes sur le terrain. Les exercices conjoints avec la Turquie se sont multipliés au cours de la période précédant le conflit. Comme d'autres observateurs de la situation dans le Caucase du Sud, il y a eu tellement de poussées de ce conflit au fil du temps qu'il était difficile de prévoir, selon moi, que ce conflit serait celui où l'Azerbaïdjan lancerait sa grande offensive.
Je pense que cela revient à ce que je disais, c'est-à-dire que cette région est une poudrière depuis un certain temps. Vous vous souvenez sûrement que la Turquie a fermé sa frontière avec l'Arménie en 1993 et que cette situation n'a pas beaucoup changé depuis ce temps-là. À l'exception d'une brève tentative de rapprochement dans les relations arméno-turques au cours de la première décennie de notre siècle, la Turquie a armé l'Azerbaïdjan et a participé à des exercices conjoints en Azerbaïdjan.
Dans une certaine mesure, je pense que la question qu'il faut se poser… Cela dure maintenant depuis deux décennies et bien honnêtement, il ne s'agit pas vraiment d'une offensive militaire, mais plutôt d'une série d'agressions dans les deux sens le long de la ligne de démarcation.
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Je le pense certainement, monsieur le président.
Je me souviens d'avoir assisté à un dîner d'État, à la fin des années 1990, à l'occasion de la visite d'un dignitaire canadien. Je crois qu'il s'agissait du Président du Sénat. Le vice-premier ministre de la Jordanie s'est levé pendant le banquet et ses premières paroles ont été « Où est le Canada? »
Il est triste de constater que bien des années plus tard, nous n'avons toujours pas de véritable présence diplomatique sur le terrain. Même s'il est coûteux ou difficile d'ouvrir trois nouvelles ambassades en même temps, nous devrions au moins avoir une véritable représentation diplomatique à Tbilisi, la capitale de la Géorgie, qui est, en quelque sorte, un terrain neutre pour le Caucase du Sud. Nous sommes essentiellement absents du Caucase du Sud, malgré l'importance stratégique de la région, malgré l'importante diaspora arménienne au Canada et malgré les occasions réelles qui s'offrent à nous.
Pour vous donner un exemple, c'est un marché inexploité pour les universités, qui pourraient recruter dans la région. Je sais que cela nous amène bien au-delà de la discussion d'aujourd'hui, mais c'est une région très importante. Nous ne comprenons pas cela au Canada, et nous n'avons jamais réellement tenté de corriger la situation. Dans ce contexte, lorsque nous évaluons un risque important, comme l'a mentionné Mme Mason, nous sommes en quelque sorte aveugles à cet égard. En l'absence de renseignements véritables, je pense que nous devrions adopter une approche très prudente.
Je vous remercie.
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Je vous remercie, monsieur le président. Je tiens également à remercier les témoins de leurs excellents exposés qui donnent matière à réflexion.
Je pense que Mme Mason nous a parlé du conflit d'intérêts. M. Michael Byers nous a également parlé du conflit d'intérêts, ainsi que M. Waters. Je pense que c'est un enjeu complexe, et qu'il y a un conflit d'intérêts dans presque toutes les situations. Vous pourrez peut-être me donner certaines précisions à cet égard.
J'aimerais que M. Byers réponde à une question, s'il le peut, car je vais tenter de poser des questions aussi brèves que possible, afin que vous ayez le temps de répondre. Comment suggérez-vous de gérer le conflit que vous avez mentionné dans votre exposé?
J'aimerais également que M. Waters et Mme Mason répondent à une question sur le conflit. Nous sommes tous d'avis que la Turquie est un allié essentiel lorsqu'il s'agit de combattre Daech et de traiter tous ces enjeux connexes, et nous pouvons donc dire que la Turquie est un bon allié et que ce pays travaille avec nous pour vaincre Daech. Lorsque nous constatons que la Turquie s'en prend à la Syrie et à Assad, son dirigeant, nous en sommes tous heureux, mais la Turquie fait ensuite quelque chose qui, selon nous, ne correspond pas à nos valeurs.
Au bout du compte, il s'agit donc de savoir comment résoudre ce conflit essentiel. C'est une grande partie du conflit. La Turquie joue le rôle du héros dans une certaine situation, mais celui du méchant dans l'autre, et ainsi de suite. Il faut donc trancher ce conflit. Comment pouvons-nous y parvenir?
Je tenais à formuler des commentaires sur la question du Haut-Karabakh. En effet, je suis cheffe de la délégation canadienne de l'Assemblée parlementaire de l’OSCE, et je peux vous dire que nous — tous les membres de l'Assemblée parlementaire de l'OSCE...[Difficultés techniques]... à chaque réunion, ce serait que l'Arménie fait la tête à l'Azerbaïdjan lors d'une réunion et que l'Arménie fait encore la tête à l'Azerbaïdjan lors d'une autre réunion. Tout le monde considérait qu'il s'agissait d'une animosité et de manifestations de colère permanentes, et personne n'était donc prêt, dans le cadre de ce « conflit gelé » — et ce n'est pas réellement un conflit gelé —, à la flambée qui s'est produite l'été dernier.
Je pense que c'est là que réside la question, c'est-à-dire qu'on peut se demander quand il faut prêter attention à des gens qui s'injurient et se menacent sans cesse les uns les autres sans que rien ne se passe, et que quelque chose arrive soudainement.
Comment résoudre les conflits inhérents à la situation qui prévaut dans cette région?
Monsieur Byers, si vous le voulez bien, pouvez-vous me faire part de vos recommandations sur le conflit qui oppose l'économie aux valeurs prônées?
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J'ai quelques recommandations. La première, c'est que le doit indiquer clairement à la fonction publique que les obligations du Canada en vertu du droit international doivent rester au premier plan. Elles doivent faire l'objet d'une interprétation solide, conforme à 30 ans de politique étrangère canadienne en faveur d'un traité véritable sur le commerce des armes. En résumé, il faut formuler une instruction ministérielle selon laquelle le Traité sur le commerce des armes passe avant tout.
Je soutiendrais aussi fortement la recommandation de l'ambassadrice Mason, qui vise à créer un organisme indépendant pour éliminer ce conflit d'intérêts chez les fonctionnaires qui, malgré leurs efforts, ne réussissent pas à équilibrer ces objectifs.
Je pense qu'il est vraiment important de développer une expertise, non seulement sur le Caucase, mais aussi sur ces nouveaux systèmes d'armes et sur leur impact et les difficultés considérables qu'ils poseront pendant les années et les décennies à venir. Les systèmes de ciblage de Wescam sont parmi les meilleurs au monde. Ce sont les seuls qui ne sont pas fabriqués aux États-Unis ou en Israël et auxquels un pays comme la Turquie a accès. Ils sont excellents, et ils sont au cœur des systèmes de drones.
Ces systèmes de drones prolifèrent. Nous les avons vus dans le Haut-Karabakh, en Libye et au Yémen. En effet, Wescam vend ces systèmes de ciblage à l'Arabie saoudite, et il est donc possible qu'ils soient utilisés au Yémen.
Nous faisons donc face à un problème de prolifération, et le Canada est au centre de ce problème, car ces systèmes extraordinaires sont fabriqués en Ontario.
Le ministère des Affaires étrangères doit s'attaquer à ce problème et envoyer des experts en systèmes d'armes dans la région. Il doit envoyer des gens sur le terrain. Nous devons faire les choses correctement, car autrement, nous contribuerons à la souffrance et à la déstabilisation.
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Je vous remercie, monsieur le président.
Bonjour à tous.
Je remercie infiniment nos témoins de leur contribution aux travaux de ce Comité. Nous leur en sommes reconnaissants. Malheureusement, nous manquons toujours de temps pour approfondir les questions.
J'aimerais poser une question à Mme Mason, ancienne ambassadrice.
Madame Mason, lorsque le gouvernement du Canada a décidé, en se fondant sur un rapport extrêmement complaisant d'Affaires mondiales Canada, de lever le moratoire sur les ventes d'armes à l'Arabie saoudite, le s'était défendu en disant que le gouvernement allait nommer le ministre Champagne à ce ministère ainsi qu'un comité d'experts indépendant dont le mandat serait de nous éclairer sur l'opportunité ou pas d'autoriser telle ou telle vente d'armes.
Plusieurs mois plus tard et un ministre plus tard, ce comité n'existe toujours pas. Nous avons rencontré des représentants d'Affaires mondiales Canada il y a quelques jours, et, à ma question posée sur ce sujet, on m'a répondu que c'était encore en train d'être mis sur pied. Or, il y a un certain nombre d'organisations de la société civile qui ont écrit au pour signifier qu'elles souhaiteraient faire partie de ce comité. Affaires mondiales Canada n'a pas répondu à ces organisations de la société civile qui avaient manifesté leur intérêt.
Voyez-vous dans cette attitude d'Affaires mondiales Canada une façon de surseoir indéfiniment à la mise en place de ce comité afin de pouvoir continuer à faire ce que bon lui semble, dans le fond?
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Je parlais d'un rapport complaisant produit par Affaires mondiales Canada pour autoriser la levée du moratoire sur les ventes d'armes à l'Arabie saoudite. Nous avons affaire à un rapport de la même eau, si je puis dire, concernant la vente de matériel militaire à la Turquie. Selon le rapport, il n'existait pas de risque sérieux que les marchandises et les technologies militaires canadiennes exportées vers la Turquie soient utilisées pour porter atteinte à la paix et à la sécurité. On comprend aussi qu'il n'existait pas de risque sérieux que les marchandises et les technologies militaires canadiennes exportées vers la Turquie puissent servir à la commission ou servir à faciliter la commission d'actes répréhensibles qui sont énumérés dans la loi.
Devant un rapport aussi complaisant à l'égard de la vente d'armes ou de matériel militaire, qui a été utilisé dans le conflit du Haut-Karabagh, peut-être en Syrie, et peut-être en Libye également, comment peut-on, d'une part, dire que cela ne porte pas atteinte à la paix et à la sécurité et, d'autre part, décider qu'on met un terme de façon définitive aux exportations?
Si, véritablement, ces exportations ne portaient pas atteinte à la paix et à la sécurité, pourquoi décide-t-on tout à coup de suspendre la vente de ce matériel à la Turquie? N'y a-t-il pas une contradiction dans la position du Canada?
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Oui, il y a un conflit direct absolu. La différence est très évidente, parce que le
Globe and Mail a obtenu des preuves sur le terrain. La publication a embauché quelqu'un sur le terrain pour prendre ces photos de la technologie de Wescam capturée, et ces preuves n'ont pas pu être contestées.
Même s'il existe une abondance de preuves de la complicité canadienne dans les violations des droits de la personne au Yémen, il n'y a pas de preuves irréfutables en ce qui concerne l'utilisation par l'Arabie saoudite d'équipement fabriqué au Canada. Elles ne sont pas aussi directes. Il y a de nombreuses photos, mais elles ne sont pas officielles, et on n'a pas le genre de déclarations que le Globe and Mail a pu faire. Malheureusement, même s'il y a énormément de preuves, il faut aussi tenir compte d'un autre facteur.
En effet, lorsqu'on montre enfin les photos et qu'on indique que des véhicules d'assaut légers ont été utilisés, des gens répondent qu'il s'agit d'anciens véhicules d'assaut légers, et non des nouveaux véhicules que nous exportons. C'est une déclaration extraordinaire, mais même si c'est vrai, le contrat prévoit également des services continus d'entretien et de réparation des anciens véhicules.
Là encore, le Canada est complice, et il ne cherche aucun moyen qui pourrait permettre de mettre fin à ces exportations. Il est très important de comprendre que le Canada est l'un des rares pays exportateurs, sinon le dernier, dans cette situation, y compris la France. Ce n'est pas la norme. En effet, la plupart de nos alliés ont cessé il y a un certain temps.
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Je vous remercie, monsieur le président.
Je tiens également à remercier les témoins.
Tout d'abord, monsieur Byers, je suis heureux de vous revoir après toutes ces années. Je vous remercie de comparaître devant le Comité aujourd'hui.
Vous avez dit qu'il était nécessaire que le ministre actuel, , veille à ce que le ministère des Affaires mondiales mène une solide évaluation des risques. L'un des mantras favoris de l' — et il est même répété par des fonctionnaires d'Affaires mondiales —, c'est que nous avons l'un des systèmes de contrôle des armes les plus rigoureux au monde. Cette allégation est-elle crédible, monsieur?
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Merci pour la question. Je suis heureux de vous revoir.
Il est faux de prétendre que le Canada possède l'un des systèmes les plus robustes. La loi de mise en oeuvre comporte une faille énorme, qui concerne les exportations vers les États-Unis. Voilà précisément le vice irrémédiable de cette affirmation.
Ensuite, la même loi ne permet pas de remplir intégralement les obligations du Traité sur le commerce des armes. Ces personnes n'ont que l'expression « risque important » à la bouche. Ça ne fait pas partie de la terminologie du Traité. On est tenu de prendre des mesures d'atténuation et, s'il existe un risque prépondérant que ces mesures ne soient pas suffisantes, on n'autorise pas l'exportation. Ce n'est donc pas un risque important; il s'agit de savoir si on peut atténuer ou non le risque, si on peut l'éliminer. Même sur ce point, le ministère ne dit pas exactement ce que sont les obligations juridiques internationales du Canada.
Mais, encore, comme je l'ai dit dans mes remarques préliminaires, le ministère a continué d'appliquer la loi de mise en oeuvre le plus au pied de la lettre possible. Par exemple, il prétend que les systèmes de ciblage créeront un bidule sur le flanc d'un navire quand, en fait, ils sont le cœur du système. Ça permet de diminuer la portée géographique et temporelle. Autrement dit, c'est une tentative de concilier incitation des exportations pour l'économie et loi de mise en oeuvre. Ça rate à tout coup.
:
Oh! C'est surtout un écran de fumée et un jeu de miroirs destinés à tromper des gens comme vous.
Par exemple, la suspension de l'autorisation de nouvelles exportations d'armes sans toucher aux exportations en cours n'accomplissait pas vraiment grand-chose, sauf de permettre au ministère de dire qu'il faisait quelque chose.
Mais l'annulation des permis d'exportation, comme l'a fait , le 12 avril, est lourde de sens, et, encore une fois, je marque le coup. J'espère que vous y donnerez suite avec des instructions claires à son ministère sur le respect de la préséance du Traité et la fin des compromis sur nos obligations.
Mais non, toute cette histoire est en fait assez sordide. Elle révèle qu'on fait semblant d'appliquer la loi plutôt que de s'occuper sérieusement de ses obligations.
:
Monsieur Waters, j'ai une question.
Visiblement, vous avez parlé des relations ou de ce qui se passe dans la région du Haut-Karabakh, mais le ministère a semblé plaider en faveur de son ignorance des événements en Azerbaïdjan jusqu'en septembre, quand il a pris connaissance du rapport du projet Ploughshares, etc. Mais, dans les notes de service auxquelles nous avons eu accès grâce à notre demande de documents, on lit qu'Affaires mondiales Canada devait répondre à certaines questions du cabinet du ministre, conformément à une note d'information du 21 avril — note du cabinet du ministre. Voici la question sur l'Azerbaïdjan:
Azerbaïdjan : [Caviardage] L'objet pourrait-il servir dans le conflit dans le Haut-Karabakh? La compagnie veut-elle toujours du produit — le lui avons-nous fait confirmer?
Qu'est-ce que ça signifie pour vous — l'allusion, le 22 mai, à une note d'information du ministre, du 21 avril, et à une question laissée sans réponse?
J'ai maintenant une question pour Mme Mason et M. Byers, sur un sujet qu'ils ont abordé, la création d'un organisme indépendant pour évaluer les exportations d'armes.
J'hésite toujours un peu quand il est question de créer un organisme fédéral. La dernière fois que je les ai comptés, il y en avait quelque 204. Ça me rappelle un livre de Joseph Tainter sur l'effondrement des sociétés complexes, dont la thèse était que la création d'un organisme avait un rendement marginal négatif.
Cela étant dit, pouvez-vous énumérer les mécanismes dont disposent d'autres pays ou les pratiques exemplaires qu'ils emploient pour évaluer les exportations d'armes? Ont-ils des organismes indépendants? Comment les organisent-ils? Quels modèles étrangers pouvons-nous étudier?
Je reviens à M. Byers, si vous permettez, ainsi qu'aux questions de géopolitique. Je reviens au conflit d'intérêts, par opposition aux intérêts opposés, ainsi qu'à la place que le Canada s'octroie dans toute cette question.
Quel a été le rôle de la Russie dans ce conflit? Depuis 1998, dans l'ère postsoviétique à laquelle M. Waters faisait allusion, ç'a fait l'objet de beaucoup de machinations. Mais il faut aussi tenir compte de notre propre rôle dans la région, avec l'Arménie, par rapport à celui de la Russie. Avez-vous des observations à ce sujet?
:
Je vous remercie, monsieur le président.
Ma question est relativement brève.
On a vu, il y a quelques instants, que les mécanismes en amont mis en place par Affaires mondiales Canada avant d'autoriser l'exportation d'armes sont quelque peu laxistes, voire complaisants. On constate qu'il n'y a pas de mécanisme en aval, comme dans le cas de la Suisse ou de l'Allemagne, par exemple, qui possèdent un régime de vérification après expédition.
Comment Affaires mondiales Canada peut-il continuer de prétendre que le Canada dispose de l'un des régimes de contrôle des exportations d'armes parmi les plus rigoureux du monde?
:
Chers collègues, nous allons reprendre la discussion de cet après-midi. J'aimerais souligner aux nouveaux témoins que j'encourage tous les participants à mettre leur micro en sourdine lorsqu'ils ne parlent pas et à s'adresser à la présidence pour toutes leurs réponses et leurs questions.
Quand il restera 30 secondes à l'intervention, je ferai un signe avec ce bout de papier. Comme toujours, l'interprétation est disponible au moyen de l'icône du globe située au bas de l'écran.
[Traduction]
Je souhaite maintenant la bienvenue à notre deuxième groupe de témoins. Nous accueillons aujourd'hui Daniel Turp, qui est professeur associé à l'Université de Montréal. Nous recevons également Allison Pytlak, gestionnaire du programme de désarmement de la Women's International League for Peace and Freedom. Enfin, nous sommes en présence des représentants de Project Ploughshares: le directeur exécutif Cesar Jaramillo, et le chercheur Kelsey Gallagher.
Monsieur Turp, je vais vous demander de commencer vos remarques liminaires. Vous avez cinq minutes, je vous prie.
[Français]
Vous avez la parole.
:
Je vous remercie, monsieur le président.
Je salue les membres du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international. J'ai siégé à ce comité pendant un certain nombre d'années, en compagnie de M. Bill Graham et de M. Irwin Cotler. À cette belle époque, nous tenions des débats fort intéressants. Je me souviens que nous avions tenu des débats sur la loi de mise en œuvre du Statut de Rome de la Cour pénale internationale. À cette occasion, nous avions reçu le juge Philippe Kirsch, qui a par la suite été le président de la Cour pénale internationale.
Je ferai quelques brèves remarques, mais je vais devoir vous quitter à 17 h. Malheureusement, je ne pourrai pas être présent pour l'ensemble des travaux, c'est-à-dire jusqu'à 17 h 30, pour des raisons personnelles.
Je voudrais d'abord dire que je me réjouis qu'un comité permanent de la Chambre des communes puisse s'intéresser à la question de l'exportation des armes. Je crois que le Parlement a un rôle important et fondamental lorsqu'il s'agit de cette question. Le gouvernement ne devrait pas être le seul à devoir s'y intéresser. Le Parlement a une responsabilité de contrôle, mais, à mon avis, il ne l'a pas beaucoup exercée lors des précédentes législatures. Puisque le Comité a le mandat d'étudier la question de l'exportation des armes vers la Turquie, il a la chance de l'exercer, dans une certaine mesure.
J'espère que cela va se poursuivre et que l'on pourra mettre en place un régime qui fera en sorte que le Parlement sera saisi de façon beaucoup plus régulière de la question de l'exportation des armes. À mon avis, il en va de la transparence et de la démocratie. C'est important que le gouvernement rende des comptes aux parlementaires quant à la mise en œuvre d'un traité comme celui sur le commerce des armes et au respect de la loi sur les exportations et les importations, qui mettent en œuvre le Traité sur le commerce des armes. Cela constitue ma première remarque.
Deuxièmement, j'aimerais que le Comité, au terme de ses travaux, statue sur une l'importante question liée au respect ou au non-respect, par le Canada, dans ce cas particulier relatif aux exportations de drones vers la Turquie, du droit international et du Traité sur le commerce des armes. Selon certaines organisations non gouvernementales, ces exportations ont violé le Traité sur le commerce des armes.
J'aimerais en avoir la conviction, et je crois que les parlementaires sont en bonne position pour faire un constat concernant la violation, ou non, du Traité sur le commerce des armes. Le Canada n'a pas suspendu ses licences d'exportation. Il aurait pu le faire, mais il ne l'a pas fait. Cela est vraisemblablement en violation du droit international et du Traité sur le commerce des armes.
Il n'y a pas beaucoup d'autres entités qui pourraient statuer sur l'existence ou non de cette violation. Vous êtes bien placés pour le faire. Je crois qu'une telle constatation de violation ou de non-violation donnerait beaucoup de crédibilité à vos travaux.
Comme vous le savez, je m'intéresse à l'exportation d'armes vers l'Arabie saoudite. D'ailleurs, j'ai pris un certain nombre de recours devant la Cour fédérale pour tenter de faire annuler des licences d'exportation. Je crois que ce serait assez intéressant que les membres de votre comité s'intéressent à l'attitude de deux poids, deux mesures en matière de contrôle des exportations et d'octroi de licences, ou de leur suspension.
Comme le rappelait M. Steven Chase, qui s'intéresse beaucoup à ces questions, la Turquie accuse le Canada d'appliquer un critère de deux poids, deux mesures. À mon avis, c'est important que le Comité s'intéresse aussi à cette question.
Je ferai une dernière remarque. Je crois que, comme l'ont dit d'autres personnes, le Canada n'applique pas le bon test lorsqu'il s'agit du contrôle des exportations et de l'importation d'armes. Le test du risque sérieux ou prépondérant en vertu du Traité n'est pas appliqué correctement par le Canada ni par Affaires mondiales Canada. En effet, on laisse entendre que le test doit nécessairement supposer que des armes ont été utilisées pour déterminer qu'une suspension ou une annulation de licences est possible et nécessaire.
Ce n'est pas le bon test. Mme Mason l'a dit et je suis d'accord avec elle. Cela supposerait que vous statuiez sur l'interprétation que l'on doit faire de cette notion, tant dans la loi que dans le Traité sur le commerce des armes.
Je vous remercie de votre attention.
:
Je vous remercie, monsieur le président. Je tiens à vous remercier de m'accueillir.
Lorsque nous, les représentants de Project Ploughshares, avons comparu devant le Comité en décembre dernier, vous avez appris que les exportations d'armes canadiennes vers la Turquie étaient illégalement détournées vers le conflit dans le Haut-Karabakh. Compte tenu de l'abondance de preuves, nous avons réclamé l'annulation de toutes les licences d'exportation visées.
Affaires mondiales Canada a depuis reconnu ces cas de détournement et procédé à l'annulation des licences d'exportation, de sorte que nous n'essayons plus de persuader le Comité de ce qui est désormais une vérité bien établie. Il y a d'importantes leçons à tirer de cette expérience, dont certaines révèlent des lacunes inquiétantes dans l'application actuelle des contrôles à l'exportation d'armes au Canada.
Tout d'abord, le Canada n'a pas su agir de manière proactive. Ce sont la société civile et les médias, et non le gouvernement canadien, qui ont été les premiers à déceler et à signaler le détournement par la Turquie des exportations d'armes canadiennes. Ce manquement soulève des questions non seulement sur la capacité du Canada à surveiller ses propres exportations, mais aussi sur sa volonté à mettre en œuvre efficacement des contrôles à l'exportation en l'absence de pression publique.
Deuxièmement, la surveillance parlementaire donne des résultats et doit être intensifiée. La présente étude sur l'exportation d'armes vers la Turquie, et la décision ultérieure du gouvernement d'annuler les licences d'exportation illustrent ce point. Nous félicitons les membres du Comité pour leur travail judicieux, et nous réclamons à nouveau la création d'un sous-comité chargé de surveiller le respect des contrôles à l'exportation d'armes.
En troisième lieu, contrairement à ce que les représentants du gouvernement ont répété maintes fois, le seuil de refus des licences d'exportation d'armes est le risque d'une mauvaise utilisation, et non la preuve irréfutable qu'il y a eu une mauvaise utilisation. Dans le cas des exportations canadiennes vers la Turquie, le risque de détournement et de mauvaise utilisation aurait dû être évident bien avant l'éclatement du conflit dans le Haut-Karabakh. Des capteurs de surveillance et de ciblage produits en Ontario avaient déjà été trouvés dans de nombreuses zones de conflit, notamment en Syrie, en Irak et en Libye.
Quatrièmement, d'importantes questions se posent sur la cohérence de la politique canadienne à la suite de l'arrêt des exportations d'armes vers la Turquie. Des armes fabriquées au Canada sont toujours exportées dans des pays tels que l'Arabie saoudite, un paria en matière de droits de la personne, où il y aurait également de sérieuses raisons d'annuler les licences d'exportation. Il faudrait examiner plus attentivement la raison de ces incohérences.
Pour terminer, il faut reconnaître le fondement juridique qui sous-tend les contrôles canadiens à l'exportation. Malgré ce que d'autres témoins ont pu dire au Comité, le débat ne porte pas sur une notion nébuleuse de moralité — même si les décisions en matière de contrôle à l'exportation ont des incidences éthiques évidentes. Il s'agit en fin de compte de respecter la loi. Tant au pays qu'à l'étranger, la loi nécessite un système objectif et fiable, libre d'ingérence politique et de calculs économiques.
Voulez-vous poursuivre, monsieur Gallagher?
:
Je vous remercie, monsieur Jaramillo.
Je tiens à vous remercier de nous recevoir aujourd'hui.
L'annulation récente par le Canada des licences d'exportation vers la Turquie pour les capteurs de surveillance et de ciblage Wescam est une mesure très positive, qui est conforme aux obligations nationales et internationales. Elle crée un précédent concret pouvant s'appliquer à d'autres contrats de vente d'armes problématiques. Toutefois, les événements qui ont conduit à cette annulation témoignent de graves lacunes dans la mise en œuvre efficace du régime canadien de contrôle des armes.
À la suite de l'invasion unilatérale du Nord de la Syrie par la Turquie en octobre 2019, le Canada a suspendu la délivrance de nouvelles licences d'exportation d'armes à la Turquie. Au départ, la réaction semblait être une mesure proactive en réponse à un véritable risque de mauvaise utilisation des exportations en question. Pourtant, l'interruption n'a fait que suspendre temporairement la circulation d'armes vers la Turquie.
Cédant aux pressions politiques du gouvernement turc, Affaires mondiales Canada n'a pas tardé à rétablir discrètement des dizaines de licences d'exportation d'armes qui avaient récemment été suspendues, au moyen d'une liste croissante d'exemptions. La raison la plus souvent invoquée pour ces exemptions était qu'un refus de la licence aurait eu des « répercussions particulièrement négatives sur les relations bilatérales. »
Parmi les marchandises exemptées de la suspension, il y a toutes sortes de systèmes d'armements, dont les capteurs Wescam. Ces exemptions témoignent d'une politisation insidieuse du régime réglementaire canadien. Ni la loi canadienne ni le Traité sur le commerce des armes ne permettent que des calculs politiques soient pris en compte dans l'évaluation du risque que des exportations d'armes données contribuent à des violations des droits de la personne ou soient détournées vers un utilisateur non autorisé.
Les capteurs Wescam présentent ces deux risques, comme le démontre le comportement de la Turquie dans plus d'une zone de conflit. La situation aurait dû sauter aux yeux des responsables canadiens au moment de l'autorisation. Ces risques se sont à nouveau concrétisés lorsque les capteurs Wescam ont été utilisés pour guider des frappes aériennes dans le Haut-Karabakh, en violation des assurances relatives à l'utilisateur final, et sans doute à l'encontre des intérêts canadiens dans la région.
Comme le démontrent les documents remis au Comité, les responsables canadiens continuaient de préconiser l'approbation des exportations de Wescam vers la Turquie trois semaines seulement avant la reprise de la violence dans le Haut-Karabakh.
La révocation récente par le Canada des licences pour certaines armes à destination de la Turquie est effectivement une mesure bienvenue qui a des effets concrets, car cette technologie n'est pas facile à remplacer dans l'immédiat. Cependant, la décision a été prise à la suite de l'échec lamentable de la réglementation canadienne du commerce et du transfert d'armes. Afin de contrôler efficacement l'exportation d'armes canadiennes, le gouvernement du Canada doit appliquer les normes d'évaluation des risques de manière universelle et inconditionnelle, sans tenir compte des impératifs politiques, ou sans craindre de contrarier des clients potentiels.
Je vous remercie.
:
Je vous remercie de m'avoir invitée à prendre la parole aujourd'hui.
Nous avons également été heureux d'apprendre que le gouvernement du Canada avait annulé les licences accordées à la Turquie pour les capteurs de surveillance et de ciblage Wescam de L3Harris. Compte tenu du volume de renseignements indiquant le détournement de cet équipement vers d'autres utilisateurs finaux, il s'agit d'une mesure positive qui est conforme aux obligations nationales et internationales du Canada. Elle crée également un précédent pouvant être appliqué ailleurs, et nous nous réjouissons de l'intérêt que le Comité porte à cette question.
Cependant, même si cette décision était la bonne, il y a des préoccupations à exprimer et des leçons à tirer, comme l'ont dit les représentants de Project Ploughshares. Je souhaite toutefois m'attarder à un aspect précis du rapport final de l'examen, à savoir l'évaluation des risques de violence fondée sur le sexe dont il est question au critère no 6. Je dois dire que pour un gouvernement qui se dit féministe, qui agit en champion de l'égalité entre les sexes dans les forums multilatéraux sur le désarmement, et qui va bientôt publier officiellement sa politique étrangère féministe, la qualité de l'évaluation des risques de violence fondée sur le sexe laisse à désirer.
Les conclusions de cette section du rapport négligent des informations essentielles et ne démontrent pas une compréhension des concepts juridiques fondamentaux. Depuis 2016, les militaires turques sont de plus en plus impliqués dans les conflits armés en Syrie, en Irak et en Libye . C'est là que la technologie en question est employée, une technologie qui a été décrite comme étant « essentielle » au déploiement par la Turquie de véhicules aériens télépilotés, ou drones, et pour lancer des frappes aériennes.
Pourtant, sous le titre « La violence fondée sur le sexe dans le contexte des conflits où la Turquie est impliquée », il n'y a aucune mention de la violence fondée sur le sexe, même si son omniprésence est bien étayée par des sources crédibles et faciles à trouver. Au lieu de cela, le rapport indique simplement que la Turquie n'a pas « délibérément ciblé des enfants, des femmes ou des civils », puis il précise qu'elle est partie à la Convention relative aux droits de l'enfant et qu'elle accueille des réfugiés.
C'est préoccupant. D'une part, le rapport omet de mentionner le risque de violence fondée sur le sexe dans le contexte des conflits où la Turquie est impliquée, et où elle utilise l'équipement en question.
D'autre part, l'utilisation des mots « délibérément ciblé » laisse entendre que les concepts de « commettre » et de « faciliter » sont peut-être interprétés de la même façon. Sur le plan juridique, le mot « commettre » se rapporte à l'exécution directe d'une action, tandis que « faciliter » signifie le fait de rendre une chose possible ou plus facile. En d'autres termes, le verbe « faciliter » englobe un éventail plus large de comportements et d'utilisations des armes.
Une évaluation des risques a pour but d'évaluer précisément cela — le risque que des actes de violence fondée sur le sexe soient commis ou facilités à l'aide des articles en question, et non le fait de cibler délibérément des gens. Il convient de rappeler que la violence fondée sur le sexe ne se limite pas à la violence contre les femmes. Le concept peut également inclure la violence socio-économique, psychologique ou émotionnelle, en plus de la violence physique et sexuelle.
Une multitude de sources crédibles ont bien étayé la présence de violence fondée sur le sexe en Syrie, en Libye et en Irak, et affirment que son incidence a été fortement exacerbée par le conflit armé prolongé et par la violence dans tous ces lieux. Par exemple, en 2018, la Commission d'enquête des Nations unies sur la Syrie a confirmé que la violence sexuelle, fondée sur le sexe et contre les femmes, les filles, les hommes et les garçons étaient une « caractéristique dévastatrice et omniprésente du conflit ». La violence fondée sur le sexe est également omniprésente dans les camps de réfugiés turcs et dans la ville occupée d'Afrin. Il est donc difficile de comprendre comment cette information a pu être omise du rapport et de l'analyse des risques de violence fondée sur le sexe.
Les hommes et les garçons sont également victimes de violence fondée sur le sexe puisqu'ils sont parfois explicitement visés par les drones et les frappes signature. Certaines armées se fondent sur le sexe masculin pour établir une cible. Par conséquent, les hommes d'âge militaire risquent davantage d'être ciblés par erreur. C'est un problème qui porte atteinte aux droits civils à la protection dans les conflits et qui a des répercussions sur les droits de la personne. Voilà qui laisse entendre que le sexe peut être un signifiant clé de l'identité, ce qui constitue en soi une forme de violence fondée sur le sexe.
Enfin, il convient de noter qu'en mars 2021, la Turquie s'est retirée de la Convention d'Istanbul sur la prévention et la lutte contre la violence faite aux femmes, qui est mentionnée dans le rapport. Cette décision a suscité une vive réaction de la part de nombreux responsables de haut niveau dans la communauté des droits de la personne des Nations unies, et aussi de la part des féministes turques, dont certaines ont également exprimé leur inquiétude devant l'augmentation du nombre de féminicides et d'activités contre la communauté LGBTIQ en Turquie.
Je fais valoir ces arguments très précis en raison notamment de la qualité de la présente évaluation, mais aussi pour présenter des idées qui, je l'espère, permettront d'améliorer la qualité des évaluations des risques de violence fondée sur le sexe à venir ou en cours, par exemple en Arabie saoudite.
Pour conclure, je voudrais simplement préciser que notre devrait lancer officiellement la politique étrangère féministe du Canada dans les prochaines semaines.
Pour que nous soyons crédibles en tant que pays féministe, nous devons à tout le moins faire plus pour prévenir la violence fondée sur le sexe au pays et à l'étranger. Nous recommandons également des mesures plus audacieuses dans le contexte des transferts d'armes par le Canada et des relations militaires en général, car équiper et encourager le militarisme agressif est fondamentalement incompatible avec une approche féministe.
Je vous remercie de votre temps et de votre attention, et j'attends vos questions avec impatience.
:
Je vous remercie, monsieur le président.
J'ai quelques questions pour M. Jaramillo ou M. Gallagher.
Durant la dernière semaine, nous avons reçu M. Leuprecht, qui nous a parlé de l'idée selon laquelle les exportations d'armes sont essentiellement un instrument de politique étrangère. En d'autres mots, au moment de décider de délivrer ou non une licence d'exportation d'armes, un des facteurs dont les gouvernements tiennent compte, c'est si l'octroi d'une telle licence sert leurs intérêts en matière de politique étrangère.
Il a ajouté que cette pratique entre directement en conflit avec les obligations internationales du Canada liées au droit international humanitaire et qu'il faut s'assurer qu'un processus d'évaluation des risques est en place pour empêcher la violation des lois en la matière.
J'aimerais savoir si vous êtes d'accord avec M. Leuprecht là-dessus et ce que vous pensez de cette idée.
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Sauf le respect que je dois à M. Leuprecht, je suis entièrement en désaccord avec lui là-dessus.
Les contrôles à l'exportation sont très bien définis, surtout aujourd'hui. Ils visent à réduire le risque et la souffrance humaine, et l'équation ne laisse aucune place aux considérations liées à la politique, aux sanctions, aux emplois ou à d'autres facteurs non pertinents. L'équation est très simple: s'il existe un risque de mauvaise utilisation, l'exportation ne doit pas être autorisée, surtout puisque le Canada maintient avoir l'un des régimes de contrôle des exportations le plus rigoureux au monde.
Il y a une autre possibilité: on peut faire abstraction du risque au profit des gains ou pour d'autres raisons. Toutefois, il faudrait alors changer le discours et cesser d'affirmer que nos contrôles à l'exportation comptent parmi les plus rigoureux au monde. Nous pourrions faire abstraction du risque et déclarer que nos contrôles à l'exportation sont « passables » ou « médiocres ».
Pour pouvoir affirmer que notre régime de contrôle des exportations compte parmi les plus rigoureux au monde, nous devons respecter les attentes et les dispositions des instruments généralement reconnus, comme le Traité sur le commerce des armes, qui met l'accent sur le risque et la prévention.
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Je suis d'accord avec vous. Je pense que je cherchais plutôt à savoir si les intérêts en matière de politique étrangère entrent tout de même en ligne de compte, même s'ils ne le devraient pas, comme vous le dites.
Cela m'amène à ma prochaine question.
Une note d'information du 14 septembre 2020 à l'intention du ministre des Affaires étrangères porte sur un appel téléphonique qu'il devait avoir avec son homologue de la Turquie.
Cette note d'information lui propose des façons d'annoncer à son homologue qu'il a de bonnes nouvelles, à savoir qu'il a approuvé l'octroi de plusieurs licences. Soit dit en passant, la note d'information et l'appel étaient antérieurs à la découverte du capteur Wescam dans le Haut-Karabagh; le ministre n'avait donc aucune raison de penser que la conversation serait examinée minutieusement par la suite.
Il a déclaré, selon une des formulations proposées: « Je suis ravi de vous informer que j'ai approuvé l'octroi de plusieurs licences à titre exceptionnel. » Il a peut-être aussi dit: « Je suis conscient des préoccupations que vous avez soulevées auprès des gens de mon ministère concernant plusieurs licences d'exportation; je les examinerai très bientôt, en priorité [...] Je suis ravi de souligner, comme il en a été question plus tôt, que le Canada a apporté récemment des changements importants à sa politique d'exportation vers la Turquie: les restrictions ont été assouplies. »
C'est là la première partie de la conversation, d'où la première question que je vous ai posée.
La deuxième partie...
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Je comprends pourquoi M. Oliphant ne veut pas que je soulève la question. Nous ignorons si ces phrases ont été dites ou non durant la conversation, mais elles se trouvent dans la note d'information que les fonctionnaires ont préparée pour le ministre.
On ajoute du même souffle, sous la rubrique « Candidature au poste de secrétaire général de l'OCDE », que « le Canada propose la candidature de Bill Morneau, ancien ministre des Finances, au poste de secrétaire général de l'OCDE. M. Morneau est un excellent candidat et représenterait un atout pour l'OCDE. » Je pourrais continuer; il y a d'autres éloges à l'endroit de M. Morneau, ce qui est un peu étrange puisqu'il venait de démissionner en raison d'un scandale.
Monsieur Jaramillo, je me demande si vous croyez que dans ce cas-ci, des intérêts liés à la politique étrangère ont pu influencer le processus décisionnel, étant donné le contenu de la note d'information.
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Je vous remercie, monsieur le président. Pour commencer, une note d'information n'a pas de souffle; cette formulation sous-entend qu'il est question d'une conversation. Ensuite, je reçois régulièrement des notes d'information pour mes discussions avec des diplomates et des représentants d'autres gouvernements. Il y a des phrases que j'ignore, d'autres que j'utilise; je les reformule à ma manière, en faisant preuve de discernement. Je m'attendrais à la même chose de la part de tout ministre canadien des Affaires étrangères, peu importe son parti.
Mes premières questions s'adressent aux représentants de Project Ploughshares.
Je tiens d'abord à remercier Project Ploughshares, une organisation avec laquelle je collabore à l'occasion depuis environ 30 ans, pour son travail dans ce dossier. Je vous remercie d'avoir attiré l'attention sur la question, ce qui a entraîné la suspension de licences. Je vous remercie également pour vos efforts continus et pour les réflexions qui ont conduit au rapport préparé pour le ministre, qui a mené à l'annulation de licences.
À mon avis, cela montre que même si le processus n'est pas parfait, il a fonctionné, au moins dans ce cas-ci. J'aimerais que vous nous parliez un peu de votre méthodologie, de la façon dont vous recueillez l'information, du travail que vous faites sur le terrain — je sais que vous travaillez principalement de Waterloo —, des choses que vous entendez et des rapports que vous entretenez. Pouvez-vous nous donner un aperçu de la façon dont vous procédez?
:
Je ferai deux commentaires, monsieur le président.
Je remercie d'abord les témoins de leur participation aux travaux de ce comité, qui est extrêmement utile et pertinente.
J'aurais voulu poser des questions à mon ex-collègue Daniel Turp, qui affirme que le Canada a une politique de deux poids, deux mesures à l'égard des ventes d'armes, notamment à l'Arabie saoudite et à la Turquie. M. Morantz a soulevé le fait que nous avions posé un certain nombre de questions à M. Leuprecht. Je lui ai même posé des questions portant sur cette politique de deux poids, deux mesures, et, à ma grande surprise, il ne semblait pas considérer que le Canada avait une telle politique. J'aurais aimé que M. Turp donne davantage de détails sur cette question.
Je veux également revenir sur la question qui vient d'être posée par notre collègue M. Oliphant sur les façons de procéder de Project Ploughshares. Des témoins qui ont comparu devant le Comité nous ont souvent dit qu'Affaires mondiales Canada n'avait pas suffisamment de ressources pour effectuer convenablement les vérifications. On constate que peu de vérifications sont faites, que ce soit en amont ou en aval. En revanche, Project Ploughshares, qui dispose de ressources infiniment moins importantes, réussit à mettre au jour des informations extrêmement pertinentes, comme celle de l'utilisation de drones munis d'équipement de télédétection canadien dans le cadre du conflit dans le Haut-Karabagh.
D'ailleurs, nous aurions dû être alertés quant à cette situation, parce que, en décembre 2019, le Groupe d'experts sur la Libye des Nations unies a présenté un rapport au Conseil de sécurité, qui indiquait, entre autres choses, que la Turquie avait fourni régulièrement des armes aux parties prenant part au conflit, notamment des armes canadiennes. On constate donc que la Turquie a su profiter des failles du système canadien d'exportation d'armes.
Au vu de ce jugement assez dur des Nations unies, comment se fait-il qu'Affaires mondiales Canada continue de prétendre que le Canada dispose de l'un des régimes de contrôle d'exportation des armes le plus rigoureux du monde?
:
Je vous remercie, monsieur Bergeron. Je ne cherche pas à louer notre propre travail, mais ce que vous dites est très juste.
Si Project Ploughshares ou n'importe quelle autre organisation de la société civile est en mesure d'accomplir ce travail avec une fraction des ressources dont dispose le gouvernement canadien, il est sans doute raisonnable de présumer que le gouvernement canadien serait capable de faire de même, lui qui peut mettre à profit son appareil, ses ressources, ses consulats, ses ambassades, ses fonds, etc.
Il suffit de jeter un coup d'œil à la chronologie. D'abord, la société civile a publié les renseignements; ensuite, les médias en ont eu vent; puis le gouvernement canadien a imposé la suspension. Un lien causal apparaît, et encore une fois, la question s'impose: le Canada exporterait-il toujours des armes vers la Turquie si le gouvernement n'avait pas été alerté quant à leur utilisation? Aussi, le gouvernement a-t-il besoin d'être alerté par une organisation externe relativement à l'utilisation des exportations qu'il autorise?
:
Si vous me le permettez, j'ajouterais — je crois que d'autres témoins en ont déjà parlé — qu'il serait souhaitable de renforcer le régime canadien au moyen de mesures de vérification après l'expédition. D'autres pays ont adopté de telles mesures récemment, dont l'Allemagne et la Suisse, si je ne m'abuse, et ils ont découvert que leurs armes étaient mal utilisées, y compris de petites armes, qui sont fréquemment détournées. Nous sommes d'avis que le Canada pourrait et devrait réfléchir à la mise en place de telles mesures. Il ne s'agit pas d'une nouvelle idée radicale. Le Canada peut demander à ses alliés comment ils ont procédé et il peut commencer à faire le suivi des armes qu'il exporte.
Je suis aussi d'accord avec mon collègue M. Jaramillo: Affaires mondiales Canada doit agir de manière plus proactive.
Monsieur Bergeron, vous avez soulevé à juste titre le rapport du Groupe d'experts sur la Libye des Nations unies et la situation en 2019. Nous ne comprenons absolument pas pourquoi et comment il est possible que les agents canadiens aient ignoré l'existence de ce rapport et n'aient pas su que la Turquie enfreignait l'embargo de l'ONU sur les armes en envoyant des TB2 en Libye. En plus, nous savons maintenant, grâce aux documents rendus publics, que les agents canadiens savaient que les capteurs étaient utilisés sur des TB2; je vous rappelle qu'il s'agit du drone turc. Ils auraient vraiment dû faire le rapport entre les faits et tirer la conclusion qu'il y avait au moins un risque important que des capteurs Wescam soient déroutés vers la Libye. Cependant, ils ne l'ont pas fait, une omission qui est attribuable, selon nous, à l'approche réactive plutôt que proactive du ministère.
:
Je vous remercie, monsieur le président.
Je veux tout d'abord remercier tous nos témoins aujourd'hui, y compris M. Turp qui a quitté.
Monsieur Jaramillo ou monsieur Gallagher, vous pouvez répondre à mes questions.
Je suis un peu mêlé et vous pouvez sans doute m'aider. On a affirmé que... et vous avez tous les deux félicité le gouvernement d'avoir annulé les licences pour la Turquie, mais je ne suis pas certain de la portée de cette annulation. Nous savons, bien entendu, que le gouvernement accordera les licences, ou procède à l'évaluation des demandes de licence, au cas par cas, alors nous y reviendrons plus tard. Cela dit, je ne suis pas certain de ce qui a été annulé exactement, car dans une note d'information préparée par Affaires mondiales Canada pour les discussions du avec le ministre des Affaires étrangères de la Turquie le 5 octobre 2020 concernant la suspension de certaines exportations d'armes, on souligne que la décision porte sur « les licences d'exportation liées au conflit au Haut-Karabakh », et qu'aucune autre licence n'a été suspendue. Seules celles liées au conflit au Haut-Karabakh ont été suspendues le 5 octobre.
Puis, le a annoncé le 12 avril, à la fin du processus d'examen, l'annulation des licences d'exportation à la Turquie qui avaient été suspendues à l'automne 2020. Selon ce que j'en déduis, les seules licences qui ont été annulées, en fait, sont celles qui concernaient le conflit au Haut-Karabakh, et je pense qu'on semblait dire dans la documentation dont nous avons pris connaissance qu'il y avait des demandes en cours d'examen, mais non encore traitées, concernant le Haut-Karabakh. J'ai l'impression que nous sommes en présence d'une annulation partielle. Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet? Est-ce la conclusion à laquelle vous êtes parvenu également?
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Je vous remercie, monsieur le président.
J'aimerais simplement reprendre le fil de ce que M. Jaramillo a dit, à savoir qu'il ne devrait pas y avoir de considérations politiques qui entrent en jeu lors de l'évaluation d'une demande de licence.
J'aimerais simplement souligner qu'en avril 2020, soit l'an dernier, le gouvernement canadien a annoncé la prolongation de l'interdiction sur l'exportation des armes qui avait été instaurée plus tôt, et après cette annonce, le a eu une conversation téléphonique le jeudi 23 avril 2020 avec le président turc Erdogan. Dans le compte rendu de l'appel, il n'était pas fait mention de discussions sur les exportations d'armes, mais selon de très nombreuses sources provenant de médias d'information fiables à l'extérieur du Canada, l'interdiction liée à l'exportation des armes a été discutée.
En fait, le Middle East Eye est une publication pour laquelle écrivait Jamal Khashoggi avant de joindre le Washington Post. Selon un article paru dans cette publication, le président Erdogan avait appelé le premier ministre Trudeau pour discuter de l'interdiction. On y cite un représentant turc qui, en parlant du premier ministre, a dit ce qui pourrait se traduire en français ainsi:
« Trudeau n'a pas justifié sa décision de prolonger l'interdiction lors de l'appel », a déclaré le représentant turc. « Il a mentionné qu'ils prendraient des mesures pour remédier aux préoccupations des autorités turques concernant les exportations; qu'ils examineraient tout au cas par cas. »
Je veux simplement que cela apparaisse au compte rendu, car il y a eu des discussions un peu plus tôt au sujet des considérations politiques liées à l'approbation de ces exportations.
J'ai une brève question pour M. Jaramillo.
Dans votre témoignage lors d'une séance précédente du Comité, vous avez mentionné que la Suisse et d'autres pays ont un processus de post-approbation dans le cadre duquel ils se rendent dans le pays pour vérifier si les conditions de la licence sont respectées. Pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet?
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Je vous remercie, monsieur le président.
Madame Pytlak, je veux avoir votre point de vue. Nous avions un autre groupe de témoins avant vous, et on a beaucoup parlé de l'idée d'avoir un organisme indépendant, impartial, pour contrôler les exportations d'armes, mais je n'ai pas entendu beaucoup d'exemples de modèles dont on pourrait s'inspirer.
De plus, au sujet du test dont il a été question, il doit être changé, et il faut qu'il soit basé sur les risques. Si nous devions mettre en place un tel test, j'aimerais avoir plus d'exemples de ce à quoi il devrait ressembler et si un tel test va créer des conditions très instables pour nos industries de production de défense, pour notre économie, ou si cela va créer de la stabilité pour nos entreprises en sachant qu'elles peuvent continuer à produire certains produits parce qu'elles auraient un marché pour eux.
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Ce sont de très bonnes questions.
À propos du risque, c'est le terme employé dans le Traité sur le commerce des armes. On y parle de risque « prépondérant », mais je sais que le gouvernement du Canada parle de risque « sérieux », alors qu'il est question d'un risque « manifeste » dans d'autres pays. On en a d'ailleurs discuté aux réunions sur le Traité sur le commerce des armes qui ont eu lieu la semaine dernière. Entre les séances, on a examiné la question et comparé la façon dont les différents pays interprètent et utilisent ces termes dans leur propre mise en œuvre du Traité.
Les critères de risque existent déjà, ce qui est parfois facile à oublier selon moi lorsqu'on cherche à déterminer avec certitude ce qu'il adviendra d'un article donné. Il est très important de savoir que le Traité vise à évaluer la probabilité qu'un événement survienne. Je pense que plus les États parties au Traité peuvent communiquer entre eux et donner des exemples de ce qu'il en est lorsqu'ils opposent un refus en fonction du risque, plus ils renforceront à l'échelle internationale la compréhension de ce qu'il en est concrètement. On pourrait peut-être donner ainsi aux parties intéressées le degré de certitude dont vous parlez.
Je suis parfaitement d'accord pour dire qu'une surveillance parlementaire ou un autre mécanisme de surveillance indépendant serait une bonne voie à suivre au Canada et ailleurs. Je pense que cela illustre un peu certaines des préoccupations soulevées par M. Jaramillo et M. Gallagher au sujet d'une possible politisation des processus et de la prise de décisions sur le commerce des armes. Je pense que cela montre aussi pourquoi nous avons au départ ces contrôles des exportations en droit international ainsi que des freins et contrepoids. Je me réjouis vraiment que le Comité en discute aujourd'hui. Je rencontre souvent des législateurs de différents pays dans le contexte des travaux du Traité sur le commerce des armes, et j'ai l'impression que c'est un très gros problème. Le commerce international des armes est un dossier très dense. Plus on en fait pour mieux comprendre la question, plus on améliorera vraiment le contrôle des exportations d'armes dans le monde.
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Merci, monsieur Bergeron. Je dirais que la Turquie semble certainement disposée à miser sur son adhésion à l'OTAN pour que d'autres pays se soustraient à leurs obligations prévues dans le Traité sur le commerce des armes. Nous n'y pouvons rien. Nous n'avons aucun droit de regard sur ce que le gouvernement turc fait ou sur les appels faits par les dirigeants politiques du pays. Nous pouvons toutefois renforcer nos propres décisions sur les exportations, nos autorisations et nos refus.
Pour être franc, l'adhésion à l'OTAN n'est pas en soi une raison pour accorder une exemption ou un traitement différent à la Turquie. On peut essayer, mais nous ne devrions pas le permettre.
Dans le dernier rapport sur les exportations à la Turquie, qui est paru il y a seulement quelques semaines, le gouvernement du Canada dit qu'il évalue les permis d'exportation au cas par cas et vérifie s'il y a des circonstances exceptionnelles, y compris des programmes de coopération de l'OTAN. Je vais dire au Comité que du point de vue du Traité sur le commerce des armes, que nous suivons de très près — nous avons participé à toutes les conférences des États parties —, ce n'est pas une exemption valide. Entre alliés, on ne se laisse pas commettre des violations des droits de la personne et on ne se permet pas d'esquiver des obligations prévues dans le Traité sur le commerce des armes.