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Chers collègues, je vous souhaite la bienvenue à la 34
e réunion du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international.
Le Comité reprend son étude relative à l'octroi de licences d'exportation d'armes, en portant une attention particulière aux licences d'exportation vers la Turquie.
[Traduction]
Comme toujours, pour assurer le bon déroulement de la séance, j'invite tous les participants à demeurer en sourdine lorsqu'ils n'ont pas la parole. Lorsqu'il vous restera 30 secondes pour vos questions ou votre déclaration, je vous ferai signe avec ce bout de carton.
Les services d'interprétation sont accessibles en cliquant sur l'icône du globe terrestre au bas de votre écran.
Chers collègues, nous allons devoir composer cet après-midi avec un temps réduit et un programme très chargé. Je demanderais donc à chacun de bien vouloir s'en tenir au temps qui lui est imparti.
[Français]
Je souhaite la bienvenue aux témoins qui font partie du premier groupe.
Nous recevons aujourd'hui Pierre Jolicoeur, professeur au département de Sciences politiques du Collège militaire royal du Canada, et Jean-Christophe Boucher, professeur assistant à l'Université de Calgary.
Professeur Jolicoeur, vous disposez de cinq minutes pour faire votre allocution d'ouverture.
Monsieur le président, distingués membres du Comité, je vous remercie de m'avoir invité à témoigner, aujourd'hui, devant votre comité. Il s'agit de ma première expérience de ce genre.
Je tiens à souligner le fait que je ne suis pas un spécialiste des armes, de l'armement ou des exportations d'armes. Je travaille au Collège militaire royal du Canada, mais je ne suis pas un militaire. Je suis un civil, qui s'intéresse davantage à la géopolitique et aux études stratégiques au sens général. Je suis aussi un spécialiste de l'ex-URSS et de la région du Caucase.
Puisqu'il est question du Caucase, il y a eu, l'automne dernier, en 2020, un important conflit de 44 jours. En effet, une guerre a opposé l'Azerbaïdjan au Nagorno-Karabakh. Il s'agit d'un territoire sécessionniste qui, par le biais des armes, au début des années 1990, avait réussi à obtenir une indépendance de facto, c'est-à-dire qu'elle a conquis militairement son indépendance. Pourtant, aucun État de la communauté internationale n'a reconnu cette indépendance, contrairement à d'autres cas similaires, comme le Kosovo, l'Ossétie du Sud, ou d'autres États de facto.
Ce conflit a néanmoins modifié de façon importante, et probablement durable, l'équilibre géopolitique dans la région. Nous verrons au cours des prochains mois et des prochaines années les conséquences de ce conflit tout récent. Tous les analystes militaires semblent dire que l'emploi de drones militaires a été un facteur qui a permis à l'Azerbaïdjan de reconquérir une partie importante de son territoire sécessionniste. Lors des opérations, les drones ont été une arme cruciale utilisée dans les développements auxquels nous avons assisté au cours de l'automne.
Plusieurs de ces drones étaient utilisés par l'Azerbaïdjan, certains ont été achetés de l'État d'Israël, et d'autres, de la Turquie. Notamment, la Turquie a fourni des drones Bayraktar TB2, qui sont de conception turque, mais qui comprennent des pièces et des équipements canadiens, américains, allemands et autres. Parmi les équipements canadiens, il y a le système de ciblage et de surveillance L3Harris WESCAM. Ce sont des éléments qui servent au guidage et à la navigation de ces drones, qui sont également équipés de systèmes de propulsion construits par Bombardier. Il y a des composantes canadiennes dans ces drones, que la Turquie a vendus à l'Azerbaïdjan et qui ont été employés avec succès dans cette opération militaire il y a quelques mois.
On peut s'intéresser à l'aspect technique des opérations militaires, mais, à mes yeux, l'enjeu prépondérant réside dans les drones. Un élément essentiel de ce qui s'est produit tient au fait que la Turquie a tiré parti de l'équipement fourni par le Canada pour modifier le statu quo d'un « conflit gelé » dans la région et pour déstabiliser cette dernière, menaçant ainsi la paix et la sécurité internationale.
Depuis des années, la Turquie s'active de plus en plus sur la scène régionale. Elle adopte un comportement de plus en plus déstabilisant. Le conflit au Caucase n'est qu'un exemple éloquent parmi bien d'autres. C'est un exemple où on a pu voir l'impact de ce retour de la Turquie sur la scène internationale, où elle adopte une position plus affirmée.
Par exemple, la Turquie déploie sa marine dans la Méditerranée occidentale pour faire valoir ses revendications sur des champs pétrolifères, des ressources pétrolières donc, à proximité de Chypre. Ce sont des territoires qui sont également revendiqués par la Grèce et par Chypre. La Turquie intervient également en Libye. On suspecte que, là aussi, les mêmes drones auraient aussi été employés.
Encore une fois, on suspecte que des équipements canadiens ont servi dans ce théâtre de guerre en dépit du fait qu'il y a, depuis plusieurs années, un embargo sur l'envoi d'armes en Syrie. Pareillement, la Turquie intervient régulièrement en Syrie.
On peut le voir, la Turquie est une source d'insécurité, surtout en raison de son comportement de plus en plus erratique et du fait que le pouvoir semble être concentré autour de la personne du président Erdogan. C'est une tendance qui existe depuis plusieurs années. Or, depuis 2016, c'est-à-dire depuis la tentative de coup d'État manqué, le pouvoir à Ankara semble être concentré autour du président.
On observe également une dérive autoritaire au sein de ce pays. L'État utilise de plus en plus les armes pour opprimer sa population, pour emprisonner des opposants et pour violer les droits de la personne, notamment à l'encontre des minorités, dont les Kurdes.
Pour toutes ces raisons, on peut douter de la fiabilité de notre partenariat avec la Turquie. La Turquie est l'un des partenaires du Canada au sein de l'OTAN. Or, pour diverses raisons, elle est de plus en plus préoccupante.
Je terminerai en disant que la Turquie vient d'acquérir un système de défense antimissile auprès de la Russie, en dépit des avertissements des pays membres de l'OTAN et, notamment, des États-Unis. La conséquence a été d'exclure la Turquie du programme des avions F-35.
La réaction des États-Unis et des autres partenaires canadiens nous permet de constater que la Turquie est une source de préoccupation. En fait, on peut se demander si elle partage les mêmes valeurs démocratiques que l'OTAN. Bien que nous soyons partenaires et que nous devions porter secours à nos alliés — dans ce cas-ci, il s'agit de la Turquie —, on peut remettre en question la fiabilité et le sérieux de notre relation avec la Turquie.
Je vous remercie grandement de votre invitation à comparaître devant le Comité.
[Traduction]
Comme j'ai grandi à Aylmer, au Québec, je peux passer facilement de l'anglais au français. Je vais vous présenter mes observations en français, mais nous pourrons discuter en anglais par la suite.
[Français]
Mon collègue a mis l'accent sur les dimensions géopolitiques et, dans une large mesure, je suis d'accord avec lui. Je ne reviendrai donc pas sur la question de la Turquie et de son rôle dans la région. Nous pourrons en reparler.
Dans mon cas, je voudrais mettre l'accent sur les dimensions et les considérations d'ordre national quant à l'octroi de licence d'exportation d'armes et sur la réflexion de cet enjeu au Canada.
Dans une large mesure, je pense que le gouvernement canadien manque de transparence à ce sujet depuis un certain temps. Il faut essayer de trouver un équilibre entre une industrie de la défense dynamique et le respect des droits de la personne.
Ma réflexion à ce sujet est basée sur deux choses. D'une part, mon équipe de recherche à l'Université de Calgary passe beaucoup de temps à sonder les Canadiens et les Canadiennes sur les enjeux de la défense, et nous avons recueilli des données sur la perception des Canadiens par rapport à l'exportation d'armes. Je pense que c'est une information qui est importante. D'autre part, des membres de mon équipe de recherche ont également fait des analyses comparatives de la façon dont d'autres pays semblables au Canada, dont l'Australie et les Pays-Bas, arrivent à trouver un équilibre entre les deux pôles que sont, pour eux aussi, les soucis pour les droits de la personne et le désir d'avoir une industrie de la défense dynamique.
Premièrement, sur le plan économique, je crois que le gouvernement du Canada, en réfléchissant à la réglementation del'octroi de licence d'exportation d'armes, devrait trouver une façon d'encourager le développement d'une industrie de la défense dynamique et viable au Canada, et ce, pour plusieurs raisons: l'industrie de la défense est un secteur économique très important, créateur d'emplois de qualité et réparti partout au Canada, particulièrement en Ontario et au Québec. En moyenne, les gens gagnent de meilleurs salaires dans cet important secteur d'innovation.
Deuxièmement, la majorité des études portant sur d'autres pays, par exemple Israël, les États-Unis ou la Grande-Bretagne, démontrent généralement que toute innovation dans le domaine de la défense a tendance à polliniser les autres secteurs de l'économie. Dans une grande mesure, l'industrie de la défense canadienne améliore l'économie et la compétitivité du Canada.
Troisièmement, pour survivre, l'industrie de la défense canadienne doit exporter. L'exportation fait donc partie de la substantifique moelle de l'industrie de la défense. Plus de 60 % de la production est exportée, surtout aux États-Unis.
En outre, il y a une relation entre la taille des entreprises et leur capacité à innover. Plus elles sont importantes, plus elles peuvent mettre de l'argent dans la recherche-développement. Il y a quand même un intérêt à trouver une façon de conserver ces compagnies pour qu'elles restent viables.
Quatrièmement, l'industrie de la défense canadienne n'existe pas vraiment. Nous sommes complètement intégrés à l'industrie américaine et, d'une certaine façon, à l'industrie européenne. La grande partie des compagnies de défense canadiennes sont, en fait, des filiales de compagnies américaines telles que Boeing, Lockheed Martin, L3Harris et Raytheon. Ainsi, toute législation aura une incidence assez important sur les relations canado-américaines. En ce moment, les compagnies de la défense ont tendance à acquérir des compagnies civiles. Ainsi, la division entre compagnies de la défense et compagnies civiles est de plus en plus floue, et il sera de plus en plus difficile de les distinguer.
Je pense que nous devrions trouver une façon d'encourager ces compagnies à survivre et à foisonner au Canada. Ensuite, en matière de droits de la personne, il faut reconnaître que l'exportation d'armes est un enjeu politique et normatif important au Canada. Par le passé, le gouvernement du Canada a manqué de transparence, et je pense que ce manque de transparence a créé de la confusion et favorisé une politisation de cet enjeu.
En septembre 2020, nous avons demandé aux Canadiens quels étaient, à leur avis, les facteurs les plus importants concernant la vente d'équipement. Pour 31 % d'entre eux, c'était le respect des droits de la personne, pour 22 %, le respect des droits internationaux; seulement 23 % d'entre eux disaient que nous devrions favoriser les emplois locaux au Canada et 10 % parlaient du maintien des bonnes relations avec nos alliés.
Cela signifie que nous ne pouvons ni occulter ni éliminer les enjeux normatifs de cette question, et je pense que toute réflexion devrait mettre l'accent sur la manière d'équilibrer tant les intérêts économiques du Canada que le souci pour les droits de la personne.
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Merci beaucoup, professeur Boucher.
Chers collègues, il y a un petit changement à notre horaire.
[Traduction]
L'un de nos témoins du deuxième groupe doit nous quitter relativement tôt. Comme il s'agit d'un témoin important, nous l'avons invité à se joindre à la conférence pour qu'il nous présente dès maintenant ses remarques liminaires.
[Français]
Avec votre accord, nous allons demander à M. Jacques Maire, député à l'Assemblée nationale de la République française, de faire son discours d'ouverture de cinq minutes.
Monsieur Maire, puisque vous êtes en ligne et que vous utilisez un microphone, ce serait bon pour les interprètes que vous leviez un peu votre microphone, si c'est possible.
Vous avez maintenant la parole pour cinq minutes.
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Bonsoir. Il est plus de 22 heures chez moi. Je partage ma chambre avec mon épouse, et il y a des limites à ce que je peux lui faire subir.
Chers collègues, je voudrais simplement vous transmettre quelques messages un peu généraux.
Premièrement, l'industrie française de l'armement est assez importante dans notre pays, sur le plan économique, mais surtout le plan de l'autonomie stratégique. Autant il y a un consensus extrêmement fort pour maintenir l'industrie de l'armement comme étant un élément de souveraineté et un élément de diplomatie, autant le rôle du parlement en la matière est tout à fait faible. Je dirais qu'il n'y a pas de processus, de dialogue et de contrôle très important, même s'il y a un rapport annuel et des statistiques.
Je ne sais pas si ces sujets vous intéresseront, mais j'aimerais vous dire que nous souhaitons évidemment renforcer ce dialogue et ce contrôle. En ce moment, il y a une évolution assez forte du contexte national qui est notamment liée à la multiplication des contentieux possibles en Europe qu'on voit pointer à l'occasion de la mise en œuvre de plus en plus forte du Traité sur le commerce des armes et de la position commune de l'Union européenne.
La pression sur notre politique d'exportation est notamment venue du Yémen et pas beaucoup de la Turquie. Pourquoi? C'est parce que l'Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et l'Égypte sont un client important de la France et que la Turquie n'est pas un très grand client.
La France exporte à peu près 50 millions d'euros de matériel militaire par an, et je dois dire qu'il n'y a aucun des grands programmes stratégiques sur lesquels nous nous sommes positionnés — de grands programmes aéronautiques, navals, sous-marins ou de défense aérienne, par exemple — pour lesquels nous sommes très présents.
Cela étant, la France a effectivement engagé un dispositif de sanctions immédiates assez fort, en septembre 2019, dans un contexte bien précis, soit le contexte de partition de la Syrie et d'une occupation assez large de la frange sud de la Turquie en Syrie, de façon, en quelque sorte, à faire un nouveau « Yalta » en Syrie entre, d'un côté, les Syriens appuyés par les Russes et, de l'autre côté, les Turcs, tout cela au détriment de nos alliés kurdes dans la lutte contre Daech.
Cette situation de sanctions est en fait assez rare. Elle n'est jamais rendue publique en France. Il y a des sanctions, des pressions régulières, mais elles ne sont pas rendues publiques, parce que, quand elles sont rendues publiques, elles ont en général comme conséquence de détruire la relation bilatérale et, finalement, de complètement remettre en cause le partenariat.
Cependant, dans le cadre de la Turquie, puisque c'est un acteur suffisamment proche, complexe et perturbant en ce moment, il a été décidé de rendre cette mesure publique. Elle n'a pas été suivie de façon très large par d'autres pays européens, qui ont probablement souhaité recourir à d'autres méthodes, y compris des méthodes davantage axées sur le ciblage de personnes.
Pour dire quand même les choses d'une façon assez claire, alors que le contexte sur l'Arménie et sur la question des drones a été évoqué tout à l'heure par un des prédécesseurs, c'est vrai que nous avons vraiment une inquiétude concernant la politique de prolifération par la Turquie deses propres équipements sur des théâtres tiers, soit pour des buts politiques — c'est le cas de l'Azerbaïdjan —, soit pour des buts qui sont plus ambigus. Sur le théâtre ukrainien — du côté ukrainien vis-à-vis des Russes depuis peu de temps —, on retrouve actuellement les mêmes drones que ceux qui ont été utilisés par l'Azerbaïdjan et la Turquie dans le contexte arménien.
De tels sujets commencent effectivement à nous alerter, et on a des comportements du côté turc qui sont clairement assez hostiles à l'OTAN elle-même. Je vous rappelle simplement qu'il y a eu un grave incident naval, le 10 juin 2020, dans le cadre d'une opération de l'OTAN que vous devez avoir en tête et qui s'appelle Sea Guardian. Rappelez-vous le contexte en Libye avec deux parties, et notamment la volonté, si je puis dire, de l'OTAN d'interdire la fourniture d'armements en Libye, soit du côté de Haftar, soit du côté de Sarraj.
Les Turcs ayant réussi avec succès à alimenter la part occidentale de façon assez massive, l'OTAN a décidé d'une opération qui, effectivement, est un contrôle d'embargo. Ce contrôle d'embargo a notamment ciblé un bateau, le Cerkin, qui, lui-même, a été à la fois délibérément contrevenant à toutes les mesures d'identification et qui, en même temps, a été accompagné par des bateaux militaires. Je tiens simplement à dire qu'ayant été suivis par des avions américains, par des bateaux italiens et ayant été interpellés par la marine française, les bateaux français ont été totalement illuminés et menacés par des batteries de missiles et de canons, ce que l'on ne fait pas entre amis de l'OTAN.
Cela a créé une crise au sein de l'OTAN. Cela a aussi renforcé la nature maintenant très prudente de l'Union européenne, qui a décidé des sanctions en décembre de nature plus, je dirais, individuelles sur des leaders turcs et qui a généré, du côté turc, une volonté de revenir au dialogue avec l'Union européenne, ce qu'elle fait de façon active depuis quelques mois.
Je vous remercie.
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Je vous remercie de votre question.
C'est une position très difficile. Nous voulons maintenir de bonnes relations avec la Turquie, parce qu'elle est quand même membre de l'OTAN. Cependant, le fait de lui interdire certaines formes de commerce ou d'échanges économiques pourrait froisser les Turcs.
Je n'ai pas de meilleure réponse à vous offrir que la suivante. Si l'on décidait malgré tout de vendre des armes aux autorités turques, il faudrait leur demander de nous assurer un meilleur suivi ou, à tout le moins, de nous indiquer l'usage ultime réservé à ces armes par l'État turc. Il ne resterait plus qu'à espérer une collaboration et une transparence quant à cet usage.
L'expérience que nous avons vécue au Caucase semble nous montrer que la Turquie n'est pas prête à faire preuve de cette transparence. Je dois mentionner que les mécanismes de contrôle canadiens que nous avons mis en place semblent adéquats. Le problème n'est pas tant de vendre des armes à des partenaires économiques à l'intérieur de la Turquie, qui ont fait correctement leur travail. C'est plutôt que, une fois que les concepteurs de ces drones ont vendu le matériel à leur pays, c'est le gouvernement turc qui, en ultime instance, décide de l'utiliser à d'autres fins que ce à quoi nous nous attendons en tant que Canadiens.
Il faudrait alors demander des garanties vérifiables, si l'État turc est prêt à se plier à ces règles.
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Certainement. Je crois que nous avons été en quelque sorte obnubilés par les exportations d'armes vers l'Arabie saoudite et tout ce qui s'est ensuivi, si bien que nous n'avons pas su mettre en place dans une perspective globale un processus efficace pour débattre de ces questions sur la scène publique.
Je crois que le projet de loi adopté en 2019 nous a permis de faire un pas en avant, mais je pense qu'il y a d'autres actions que nous aurions pu mener de façon plus efficace pour favoriser une plus grande transparence. À titre d'exemple, la plus grande partie de ce travail s'accomplit actuellement à Affaires mondiales Canada, qui est loin d'être un modèle à suivre en matière de transparence. La plupart des rapports qui ont été produits sont d'ailleurs de qualité très médiocre.
Dans d'autres pays où des mesures sont prises en ce sens, il y a des normes de qualité à respecter pour les rapports devant être produits. C'est le cas aux Pays-Bas. On produit là-bas des rapports trimestriels indiquant le nombre de permis d'exportation octroyés, le nombre de demandes rejetées, les pays concernés, et la valeur des exportations, autant de renseignements que nous n'avons pas au Canada.
En outre, il est plus difficile de suivre le déroulement du processus au Canada du fait que différents ministères en sont responsables — Affaires mondiales Canada, Défense nationale, Innovation, Sciences et Développement économique.
J'estime que nous en avons beaucoup à faire pour créer un environnement qui serait propice à une considération de ces enjeux sur des tribunes publiques et qui permettrait à l'industrie de la défense de vraiment savoir à quoi s'en tenir quant à ce qu'elle peut faire ou non et quant aux pays avec lesquels elle peut transiger. À mes yeux, toutes les avancées en ce sens aideront le gouvernement du Canada à progresser vers ses objectifs, aussi bien du point de vue du respect des droits de la personne qu'aux fins de la prospérité des entreprises de ce secteur.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Je veux remercier tous nos témoins pour leurs exposés, et je les prie de nous excuser de les avoir fait attendre pour le vote, mais cela fait partie des réalités incontournables de notre travail.
J'ai bien l'impression qu'en écoutant ces témoignages, nous convenons tous qu'il est nécessaire de trouver un juste équilibre entre la collaboration avec nos alliés et les mesures à prendre du point de vue humanitaire. J'estime particulièrement importantes les indications que vous nous fournissez quant aux mécanismes mis en place par d'autres pays dont nous pourrions nous inspirer pour être un peu plus transparents.
Nous pouvons notamment constater que, dans nos transactions avec les États-Unis, nous ne posons pas nécessairement toutes les questions que nous devrions poser en application du Traité sur le commerce des armes. Est-ce simplement parce que les États-Unis sont un pays allié que nous sommes plus tolérants? Pensez-vous que nous devrions agir de la sorte, ou ne serait-il pas préférable que nous indiquions très clairement que nous allons toujours suivre les mêmes règles et nous montrer aussi transparents, peu importe le pays avec lequel nous transigeons?
Peut-être que vous voudriez répondre à cette question, monsieur Boucher. Je vois que vous semblez sourire...
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Je partage l'ambivalence de M. Boucher à cet égard.
Nos relations avec la Turquie sont importantes. La Turquie est notre quatrième partenaire commercial en importance au chapitre de la vente d'équipement militaire. Cependant, il y a des acteurs plus importants.
Le Canada et les États-Unis font du commerce dans à peu près tous les domaines économiques possibles, et non seulement dans le domaine militaire. Si nous remettions en question notre partenariat dans le domaine militaire, il pourrait y avoir des répercussions à bien d'autres égards. Cette situation serait insoutenable pour le Canada, dans le contexte économique actuel et dans celui à venir. La symbiose économique du Canada et des États-Unis fait que le Canada n'a aucune autonomie à cet égard.
Cela dit, au-delà de ces partenariats économiques, il y a l'intégration du domaine militaire canadien — M. Boucher y a fait allusion. Notre industrie militaire est intégrée. Non seulement les compagnies américaines opèrent au Canada, mais le Canada fabrique souvent des pièces ou des équipements compatibles avec ceux de l'industrie militaire américaine. Nous ne pourrions...
Il peut être acceptable de ne pas avoir de règles lorsqu'on travaille avec un pays ami. Je suis consciente des considérations économiques, de la nature des échanges commerciaux et de tout ce qui caractérise nos relations avec les États-Unis. Ils sont un peu comme ce voisin que l'on va voir pour emprunter une tasse de sucre.
Je pense qu'il s'agit en fait de déterminer si nous allons nous en tenir ou non à des principes dans toutes nos relations. Au lieu d'en choisir certains qui pourraient avoir droit à un traitement de faveur, ne devrions-nous pas adopter des lignes directrices claires et objectives qui s'appliqueraient à tout le monde? Dans le cas qui nous intéresse, on pourrait toujours faire valoir que la Turquie a joué pour nous tous un rôle important en combattant Daech. Les Turques ont donc accompli certaines choses qui faisaient bien notre affaire, mais ils ont aussi des agissements qui nous déplaisent.
C'est loin d'être évident. Nous tournons autour du pot toutes les fois que nous recevons des témoins. Ils nous répondent systématiquement: « Oui, mais... ».
Je ne sais pas s'il faudrait alors se demander si l'industrie des armes ne devrait pas, d'un point de vue éthique, être tenue d'adopter une position de principe quelconque... On peut s'apercevoir que l'on vend des armes à un pays qui a toujours été un bon client et qui les a toujours utilisées à bon escient, mais qui soudain — comme c'est le cas pour la Turquie d'après ce que vous nous avez indiqué — adopte un comportement imprévisible et difficile à comprendre. Dans ce contexte, est-ce que les fabricants d'armes ne devraient pas être tenus de se donner un ensemble clair de principes à suivre?
Nous essayons ici de nous en prendre à un côté ou à l'autre, mais il n'y a rien d'aussi tranché. C'est un problème très délicat auquel il faut bien réfléchir avant de pousser les hauts cris et de passer à l'action.
J'aimerais savoir ce que vous en pensez et peut-être aussi voir si M. Maire a des idées à ce sujet, étant donné que son pays a imposé des sanctions à la Turquie.
Quelles sont les mesures concrètes que nous pourrions prendre pour accroître la transparence et adopter une position fondée sur des principes, sans égard à ce que prévoit le Traité sur le commerce des armes? Y a-t-il quoi que ce soit que nous puissions faire dans une conjoncture géopolitique souple et fluide qui ne cesse d'évoluer de jour en jour?
Je ne vous pose pas la question dans le but de défendre les actions de mon gouvernement dans ce dossier. Je le fais parce que je veux que vous nous aidiez à y voir plus clair relativement à ces enjeux très complexes. Je ne sais pas si c'est le cas pour tous mes collègues, mais je peux vous dire que j'arrive difficilement à savoir à quoi m'en tenir.
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Merci, monsieur le président.
Je remercie les témoins d'être des nôtres et de contribuer à nos travaux pour tenter d'éclairer notre lanterne quant à la suite des choses.
Je remercie particulièrement M. Maire d'être des nôtres à cette heure tardive et je le prie de remercier sa conjointe de sa compréhension, sa collaboration et sa sollicitude.
Nous devons faire toute une série d'exercices de quadrature du cercle, dans la mesure où il nous faut concilier des intérêts et des objectifs qui peuvent paraître divergents. D'une part, il nous faut entretenir une industrie d'armement viable, intéressante et créatrice d'emplois et d'innovation. Il faut donc effectivement exporter des armes. D'autre part, il faut nous assurer que le tout se fait dans le respect des valeurs qui sont les nôtres.
Par ailleurs, lorsque nous mettons en application les valeurs qui sont les nôtres, nous devons également tenir compte du fait que, si nous ne vendons pas d'armes à certains pays, d'autres pays moins scrupuleux sur le plan des valeurs se feront un plaisir d'occuper le champ laissé libre par les entreprises canadiennes.
De plus, très souvent, nous réalisons qu'avec l'évolution des choses, les amis d'aujourd'hui sont les ennemis de demain. Cela touche la question géopolitique qu'évoquait Mme Fry il y a quelques instants.
On se souvient que les Américains ont armé les moudjahidines en Afghanistan, pour finalement réaliser qu'on avait armé les talibans et Al-Qaïda contre les pays occidentaux. On se retrouve dans des situations où, par pays interposé, on finit par causer des dommages importants à des alliés. Je pense notamment à la France, qui a, pendant de nombreuses années, vendu des Mirages et des missiles Exocet à l'Argentine. La marine britannique en a fait les frais durant la guerre des Malouines.
Nous nous retrouvons avec un allié pour le moins turbulent. En effet, la Turquie devient de plus en plus instable et de moins en moins fiable. Je pense notamment au fait qu'on avait assuré, entre autres au Canada, que ces équipements ne se retrouveraient pas ailleurs qu'en Syrie. Cela me permet de faire une petite parenthèse sur les propos de Mme Fry, qui a dit que nous étions bien contents de compter sur la Turquie pour lutter contre Daech, mais que nous l'étions moins de voir la Turquie s'en prendre à nos alliés kurdes, qui combattaient eux aussi Daech. La Turquie est donc un allié de moins en moins fiable.
Alors, comment devons-nous nous comporter dans cet environnement pour le moins particulier où nous devons, comme je l'évoquais, réaliser la quadrature du cercle à plusieurs égards?
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C'est une question importante et fondamentale. Il faut établir un protocole qui offre une flexibilité au gouvernement et qui lui permet de réagir rapidement. Dans le contexte actuel, ce n'est pas ce qu'on a.
Le rapport d'Affaires mondiales Canada est présenté une fois par année. Cependant, cette année, ce rapport est en retard. Dans une large mesure, ce qui se trouve dans le rapport ne permet pas vraiment de faire une analyse exhaustive de ce qui est vendu et de l'endroit où c'est vendu. Le rapport n'indique pas comment on peut avoir une idée de ce qui est fait.
Je pense que les Pays-Bas ont une meilleure approche. Selon leur système, le ministère des Affaires étrangères des Pays-Bas doit publier un rapport tous les trois mois. Il doit indiquer au Parlement néerlandais et au gouvernement ce qui est fait tous les trois mois. De plus, si un permis d'exportation est accordé pour un pays se trouvant sur la liste, comme la Turquie, le ministère doit le signaler au Parlement néerlandais dans un délai de deux semaines. Si les entreprises néerlandaises tentent de vendre des armes à la Turquie et qu'un permis est autorisé, le Parlement en est avisé dans un délai de deux semaines.
Cela permet tant aux parlementaires néerlandais qu'à la société civile de réagir de manière beaucoup plus rapide et cela permet beaucoup plus de transparence, ce qui ne serait pas le cas si on attendait un an. Quand on publie un rapport plus rapidement, cela permet un ajustement beaucoup mieux ciblé en réponse aux événements.
Un des problèmes qu'on a aujourd'hui, c'est qu'on signe des contrats sans savoir ce qui arrivera dans 10 ans ni comment cet équipement sera utilisé. On doit être plus rapide et avoir une meilleure façon de procéder.
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Personnellement, je ne peux qu'abonder dans le même sens: plus de transparence permettrait aux citoyens canadiens d'avoir un meilleur aperçu des ententes que nous avons avec nos différents partenaires commerciaux, ceux au sein de l'Alliance et les autres.
Tout à l'heure, on a parlé de la vente d'armes à l'Arabie saoudite. Je donne l'exemple de l'Arabie saoudite, puisqu'il s'agit d'un cas assez flagrant. D'ailleurs, il s'agissait du plus grand contrat militaire que le Canada a signé; il portait sur les blindés légers que le Canada vend et exporte en Arabie saoudite.
Cela démontre la difficulté de trouver un équilibre entre la nécessité d'exporter des produits et le fait de les exporter vers un partenaire commercial qui n'a pas du tout les mêmes valeurs que le Canada sur le plan des droits de la personne — on peut le voir à son comportement. On dit que ces armes ont été utilisées lors du conflit au Yémen, dans la péninsule arabique.
La décision du Canada, le 12 avril dernier, de suspendre l'exportation d'armes à l'endroit de la Turquie est la bonne. Cela permet d'envoyer le signal que le Canada s'occupe de ce genre de préoccupation et qu'il ne veut pas être associé à des répressions ou à un usage illicite ou non approprié de ces armes.
En combinaison avec ce que disait M. Boucher, ce genre de mesure est une très bonne approche également. Cela permet d'envoyer le signal que le Canada ne veut pas être associé à des mouvements de répression.
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Merci, monsieur le président.
Merci à tous nos témoins.
Monsieur Jolicoeur, vous avez parlé du renforcement de la capacité militaire en Azerbaïdjan, un phénomène qui n'est pas récent, car on peut l'observer de façon manifeste depuis une bonne dizaine d'années. C'est une transformation dont vous avez certes eu connaissance et qui ne devrait pas non plus avoir échappé au Canada. On peut parler maintenant d'un conflit latent étant donné le cessez-le-feu imposé et les quatre résolutions adoptées par le Conseil de sécurité des Nations unies pour déclarer illégale l'occupation de territoires additionnels dans la région du Nagorno-Karabakh. Nous devrions être au fait de la situation, comme nous devrions connaître les activités de Baykar. Le gouvernement turc n'a pas caché son soutien à l'Azerbaïdjan.
Le Canada n'aurait-il pas dû y penser à deux fois avant de vendre ces drones ou de permettre que de l'équipement de ciblage soit vendu, avec un effet domino, à Baykar, puis au gouvernement turc avant d'aboutir en Azerbaïdjan? Un signal d'alarme n'aurait-il pas dû retentir au Canada avant que ces drones se retrouvent en Azerbaïdjan?
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Merci beaucoup, monsieur Harris.
Comme je vous l'indiquais, nous disposions de très peu de temps cet après-midi.
[Français]
Malheureusement, il ne reste plus de temps pour le deuxième tour de questions.
Au nom de tous les membres du Comité, je remercie les témoins de leur comparution, de leur expertise, de leur témoignage et, surtout, de leur participation à notre étude. Nous leur en sommes grandement reconnaissants.
[Traduction]
Merci beaucoup d'avoir été des nôtres aujourd'hui, malgré les délais très serrés. Portez-vous bien.
Nous allons permettre à nos témoins du premier groupe de se déconnecter, après quoi nous interromprons brièvement nos travaux, madame la greffière, pour effectuer les tests de son avec nos prochains témoins afin de pouvoir poursuivre avec eux.
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Chers collègues, nous reprenons la réunion.
J'aimerais donner quelques consignes aux nouveaux témoins.
J'encourage tous les participants à mettre leur micro en mode sourdine lorsqu'ils n'ont pas la parole. Quand il ne vous restera que 30 secondes, je vous ferai signe à l'aide de petit carton, comme je le fais toujours. Pour avoir accès aux services d'interprétation, veuillez cliquer sur l'icône en bas de votre écran.
[Traduction]
Je veux souhaiter la bienvenue au second groupe de témoins que nous recevons aujourd'hui.
[Français]
Nous recevons aujourd'hui Mme Dominique Babin, avocate et associée chez BCF Avocats d'affaires.
[Traduction]
Nous accueillons également M. James Fergusson, professeur au Centre d'étude sur la défense et la sécurité, département des études politiques, Université du Manitoba.
[Français]
Nous allons commencer par Mme Babin.
Madame Babin, vous disposez de trois à cinq minutes pour faire votre allocution d'ouverture.
Vous avez la parole.
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Merci, monsieur le président.
Bonjour à tous. Je remercie les députés de leur invitation à comparaître aujourd'hui devant le Comité.
Je vous avoue que c'est la première fois que je comparais devant un comité parlementaire. Vous m'excuserez si mon respect du décorum n'est pas tout à fait à point. Je suis très contente d'être ici aujourd'hui.
Je salue aussi M. Fergusson, qui comparaît également devant le Comité.
Permettez-moi de me présenter. Je m'appelle Dominique Babin, et je suis avocate et associée en droit des affaires au cabinet BCF, à Montréal. Je pratique le droit des affaires depuis plus de 20 ans. Pendant cinq de ces années, j'ai travaillé à titre de directrice des affaires juridiques pour une société américaine dans le secteur de la défense. À ce titre, j'ai géré les licences à l'exportation au quotidien pour l'entreprise de la défense.
Maintenant que je travaille en pratique privée, les entreprises du secteur de la défense, mais aussi d'autres secteurs, viennent me consulter pour s'assurer de la conformité de leurs transactions et de leurs exportations. Je voudrais souligner dès le départ que, à titre d'avocate, mon rôle est vraiment de conseiller les entreprises pour s'assurer qu'elles se conforment aux lois adoptées par le Parlement.
Je dois vous dire en toute humilité que je ne suis pas ici pour donner des conseils sur les politiques étrangères que devrait adopter le Canada précisément relativement à la Turquie. Par contre, comme l'a mentionné la Dre Fry, je suis bien placée pour vous donner des suggestions pratiques d'améliorations qui pourraient mitiger certains effets négatifs que peut avoir l'application des contrôles à l'exportation, qui, il est vrai, constituent des barrières au commerce.
Avant de me présenter ici, j'ai consulté des compagnies et des partenaires avec qui je fais affaire sur une base régulière. Par contre, je suis ici à titre personnel, et pas pour faire du lobbying ou pour communiquer des messages que certains m'auraient demandé de transmettre. Je suis vraiment ici en mon nom personnel et en tant que professionnelle.
J'avais préparé une allocution très longue, avant de savoir que notre temps serait limité. Je me suis demandé quels étaient les deux principaux messages que j'aimerais vous communiquer dans mon allocution d'ouverture. Ce sont vraiment des questions pratiques.
Le principal défi auquel sont souvent confrontées les entreprises avec qui je travaille est celui de reconnaître les marchandises qui sont contrôlées.
Une fois qu'une marchandise a été reconnue comme étant contrôlée et qu'on la sait dangereuse, c'est correct de suivre tout le processus d'approbation pour obtenir une licence. Or je constate que les compagnies se contraignent souvent à suivre ce processus, alors que ce n'est même pas nécessaire. Je vais vous donner des exemples.
Dans le groupe 2 de la liste des marchandises d'exportation contrôlée, certaines notions évoquent des marchandises qui sont spécialement conçues pour des fins militaires ou pour du matériel militaire. Il est parfois difficile pour les entreprises de savoir si leur marchandise répond au critère d'être spécialement conçue ou modifiée pour des fins militaires.
Aussi, certaines technologies sont combinées. Une technologie commerciale peut être combinée avec une technologie militaire, par exemple. Par la force des choses, que ce soit par ignorance ou pour des raisons pratiques, on décide parfois de dire que la portion commerciale est contrôlée, même quand elle est exportée séparément. Dans certains cas, on veut juste éviter les délais à la frontière. On demande alors un permis à l'exportation, ce qui est plus pratique que de devoir justifier qu'on ne l'a pas.
Ma première recommandation pratique serait de favoriser l'accès à des avis consultatifs qui, eux, seraient contraignants ou qui auraient une force probante lors du passage aux douanes.
Vous avez amplement discuté du deuxième enjeu, qui est la prévisibilité liée à l'octroi des permis. J'entends souvent dire que, plutôt que de refuser un permis aux entreprises exportatrices qui présentent une demande de permis, on les invite à retirer leur demande pour ne pas avoir à leur refuser l'octroi du permis.
Selon moi, il serait beaucoup plus avantageux pour un pays d'être un peu plus transparent et d'avoir des mesures plus claires, qui pourraient viser plus précisément certains éléments de la liste des marchandises contrôlées. Cela me ramène à l'importance de bien identifier les marchandises contrôlées.
Je vous remercie.
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Les gouvernements qui envisagent de prendre des mesures de contrôle doivent tenir compte d'aspects stratégiques, politiques, économiques, technologiques, culturels et moraux ou éthiques qui, dans de nombreux cas, ne sont pas facilement conciliables. À première vue, les décisions ne sont jamais faciles à prendre.
Cependant, pour les gouvernements canadiens, ce n'est pas aussi difficile que cela semble l'être. En fait, à certains égards, ils ne sont pas vraiment à l'origine des contrôles à l'exportation de marchandises militaires et à double usage du Canada. En raison de principes de longue date qui sous-tendent la politique étrangère du Canada, on pourrait dire, en fait, que d'autres prennent les décisions, ou du moins établissent les paramètres de base des décisions canadiennes et que le Canada remplit les blancs.
Les contrôles à l'exportation du Canada s'appuient sur les régimes de sanctions du Conseil de sécurité des Nations unies, sur toute une série d'accords internationaux et multilatéraux, ainsi que sur un ensemble de préférences et d'intérêts qu'on en commun des pays aux vues similaires, les alliés du Canada au sein de l'OTAN et les États-Unis en particulier. Ces derniers sont, bien sûr, extrêmement importants. Les capacités en matière de technologie de défense et à double usage et les capacités de production du Canada sont intégrées dans ce que l'on peut appeler la base industrielle et technologique de défense nord-américaine. Puisque le Canada fournit des composantes et des sous-systèmes au sein de structures organisationnelles et de chaînes d'approvisionnement américaines complexes, une partie importante des marchandises canadiennes est assujettie au règlement américain sur le commerce international des armes.
Naturellement, des difficultés surgissent si toutes ces forces ne sont pas en harmonie les unes avec les autres. C'est notamment le cas lorsque des divergences apparaissent entre les alliés européens de l'OTAN du Canada et les États-Unis.
Malgré cela, le Canada ne peut pas, et ne devrait pas, aller à contre-courant de la communauté internationale, de ses alliés et des États-Unis, sauf en ce qui concerne les marges politiques. C'est d'autant plus vrai dans les récentes décisions de suspendre la délivrance de nouvelles licences d'exportation vers la Turquie et d'interdire, par la suite, l'octroi de licences d'exportation. D'une certaine façon, il s'agissait d'une solution canadienne fondée sur le fait que la Turquie avait violé, dans une certaine mesure, l'interdiction relative aux garanties d'utilisation finale. Elle a été mise en œuvre après que des preuves ont démontré que la technologie de surveillance canadienne intégrée dans les drones turcs avait été fournie à l'Azerbaïdjan, puis utilisée dans la récente guerre dans le Haut-Karabakh. Le Canada ne peut pas rester les bras croisés lorsqu'un accord juridique est violé et, de ce point de vue, la décision canadienne ne doit pas être interprétée comme l'expression d'une position quelconque sur le conflit ou tout autre aspect du comportement de la Turquie.
En même temps, il n'est pas difficile d'interpréter cette décision comme étant plus politique que juridique. À cet égard, le Canada est en phase avec ses alliés européens et les États-Unis, bien qu'il ait peut-être un pas ou deux d'avance.
Les préoccupations liées au comportement de la Turquie existaient bien avant qu'elle ne commette cette violation. Par exemple, l'Union européenne et les alliés de l'OTAN ont exprimé un ensemble de préoccupations au sujet du comportement de la Turquie à l'intérieur et à l'extérieur de ses frontières, et des pourparlers ont été entamés entre l'Union européenne et l'OTAN sur la possibilité d'imposer, de façon coordonnée, des interdictions sur les exportations de matériel militaire et à double usage. Les États-Unis envisagent d'imposer des interdictions similaires et ont gelé les ventes de F-35 à la Turquie.
Bien entendu, si les motifs du Canada, des États-Unis et de l'Union européenne présentent des similitudes générales, ils sont aussi nettement différents. Ce qui pose problème pour toutes les parties concernées, c'est le statut de la Turquie en tant que membre géostratégique clé de l'alliance, les effets des contrôles coordonnés des exportations de marchandises militaires et à double usage sur l'adhésion de la Turquie, et en particulier son importance par rapport aux activités de dissuasion de l'OTAN sur le flanc sud et dans la mer Noire. Il y a également des répercussions sur la paix et la stabilité en Europe du Sud et dans la mer Égée.
La question centrale concernant la Turquie est le conflit entre les engagements juridiques des membres de l'alliance dans la zone, tels qu'ils sont énoncés aux articles 3, 5 et 6 du traité de Washington, et les intérêts nationaux hors zone.
En particulier, l'article 3 se lit comme suit:
Afin d'assurer de façon plus efficace la réalisation des buts du présent Traité, les parties, agissant individuellement et conjointement, d'une manière continue et effective, par le développement de leurs propres moyens et en se prêtant mutuellement assistance, maintiendront et accroîtront leur capacité individuelle et collective de résistance à une attaque armée.
La Turquie a des intérêts nettement différents au Moyen-Orient, que le reste des membres de l'alliance n'appuient pas entièrement. Trouver un juste équilibre entre ces différences n'est pas une tâche facile, mais il va sans dire qu'il est préférable que la Turquie soit membre de l'alliance plutôt que de ne pas en être membre. À mon avis, c'est ce que pense le gouvernement turc également.
À cet égard, l'interdiction par le Canada des exportations du secteur de la défense ne va pas faire basculer la Turquie. Le Canada n'est tout simplement pas si important, et la Turquie ne dépend pas des exportations canadiennes du secteur de la défense. On ne peut pas en dire autant des États-Unis et d'autres alliés de l'OTAN, qui pourraient faire basculer la Turquie si des interdictions généralisées étaient appliquées. Toutefois, c'est peu probable. Ce qui est important pour le Canada, c'est de négocier rapidement une résolution avec le gouvernement turc, ce qui contribuerait positivement à la gestion de cette question au sein de l'alliance.
Je suis impatient de répondre à vos questions sur la question turque ou à des questions plus générales sur les contrôles d'exportations de marchandises militaires et à double usage.
Merci.
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Merci, monsieur le président.
Monsieur Fergusson, je vous souhaite la bienvenue au Comité. J'aimerais pouvoir dire qu'il est bon de vous voir, mais il est bon de vous entendre. Je suis un ancien étudiant de l'Université du Manitoba. J'ai une spécialisation en études politiques. C'était en 1983, et j'ignore si nos chemins se sont croisés, mais il y avait de merveilleux professeurs à l'époque, dont Paul Thomas. Je suis heureux de vous voir — ou plutôt de vous entendre, désolé —, et je suis ravi qu'un Manitobain témoigne aujourd'hui.
L'un des aspects qui m'intéresse beaucoup est ce conflit, si l'on veut, entre les intérêts de politique étrangère des pays et leurs obligations internationales lorsqu'il s'agit des licences d'exportation. Par exemple, le Canada, tout comme la Turquie, est partie à l'Arrangement de Wassenaar. Le Traité sur le commerce des armes, les lois nationales, tout couvre essentiellement le même terrain pour éviter que des violations des droits de la personne soient commises, faire en sorte que des évaluations des risques soient menées, et ainsi de suite. Voyez-vous cela comme un problème, ou ces décisions devraient-elles être prises strictement sur la base de nos obligations internationales?
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Merci, monsieur le président.
Ma première question s'adresse à quiconque souhaite y répondre.
Quels sont les pays que vous considérez comme de brillants exemples ou des références sur le plan des régimes de contrôle des exportations, et pour quelle raison? Je peux vous dire que, pendant la comparution du groupe de témoins précédent, on a mentionné que les Pays-Bas ont une liste qu'ils doivent revérifier, ou certains pays ont été mis sur une liste de telle sorte que s'ils devaient convenir d'octroyer une licence d'exportation pour un pays, je crois que le Parlement doit en être informé. Par ailleurs, le témoin précédent a mentionné qu'ils produisent des rapports trimestriels.
Est-ce que vous voyez les Pays-Bas de cette façon? Ou avez-vous d'autres exemples de pays qui, selon vous, sont des exemples brillants que nous devrions suivre?
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En fait, je ne connais pas toutes les lois de tous les pays, moi non plus.
[Traduction]
Je n'ai pas de brillants exemples à donner.
[Français]
Cela dit, les États-Unis marquent de très bons points en matière de prévisibilité. Ils identifient les produits au moyen d'un Export Control Classification Number, l'ECCN. De plus, les restrictions à l'exportation vers certains pays sont indiquées.
[Traduction]
Par exemple, l'ECCN X ne peut être exporté vers le pays Y pour telle raison.
[Français]
En matière de transparence, c'est quand même un bon exemple. Les États-Unis ne sont peut-être pas un exemple parfait, mais l'enjeu principal de l'industrie est que notre système de contrôle à l'exportation doit être harmonisé avec celui des États-Unis pour faciliter le commerce entre les deux pays. Il faut aussi que les systèmes établis des deux côtés de la frontière soient exportés à l'extérieur de l'Amérique du Nord.
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Merci, monsieur le président.
Je remercie les témoins de leur présence parmi nous et de leurs commentaires des plus utiles pour les travaux de ce comité.
Je veux signaler à Me Babin qu'elle pourra toujours nous transmettre les notes qu'elle avait préparées et qu'elle n'a manifestement pas été en mesure d'exposer compte tenu des contraintes de temps. Elles serviront à éclairer les travaux de ce comité.
J'aimerais poursuivre dans la même lignée que les questions qui a ont été posées par M. Morantz et par Mme Sahota, plus particulièrement au professeur Fergusson. Ce dernier semblait mettre en doute, dans le monde où l'on vit, cette espèce d'angélisme du Canada, qui veut continuer à mettre en avant la protection des droits de la personne et les valeurs qui guidaient la politique étrangère canadienne antérieurement.
J'ai une première question. L'Institut international de recherche sur la paix de Stockholm, ou SIPRI, a estimé que le nombre d'armes importées en Azerbaïdjan durant la période de 2011 à 2020 était d'environ 8,2 fois supérieures à la quantité d'armes importées en Arménie durant la même période. Un article paru dans Defense News, le 25 juin 2020, laissait entendre que l'Azerbaïdjan prévoyait acheter des drones fabriqués en Turquie, les fameux Bayraktar TB2. Nous savons également qu'un groupe d'experts des Nations unies sur la Lybie a soumis un rapport au Conseil de sécurité, en décembre 2019, indiquant, entre autres, que la Turquie a fourni régulièrement des armes aux parties prenant part au conflit en Lybie.
Donc, compte tenu de ce qui s'est passé, vous nous avez dit que les gouvernements pouvaient indépendamment des règles établies, prendre des décisions sur une base politique. Selon vous, le gouvernement du Canada a-t-il fait preuve d'aveuglement volontaire en prétendant n'avoir pas vu ce qui était en train de se dessiner sous ses yeux, ou a-t-il véritablement été mené en bateau par la Turquie?
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Il est difficile de répondre à cette question sans avoir accès aux documents principaux ou sans s'entretenir avec les personnes directement impliquées.
Rappelons-nous que la technologie particulière que les entreprises canadiennes... Il est très important de reconnaître que le problème n'est pas que des entreprises canadiennes ont enfreint les conditions des licences d'exportation ou qu'elles ont fait quoi que ce soit d'illégal. Le problème concerne l'utilisation finale. La technologie se répand dans le monde indépendamment des mesures de contrôle des exportations. La technologie de surveillance et de ciblage — qui est l'enjeu clé — et la façon dont elle se répand... Bien sûr, elle peut se répandre simplement en installant un produit canadien dans un drone turc, qui sera ensuite vendu à l'Azerbaïdjan. Elle peut aussi faire l'objet d'une réingénierie très facilement.
À mon avis, pour ce qui est du point que vous avez fait valoir concernant l'Azerbaïdjan et le conflit au Nagorny-Karabakh, il y a deux éléments à considérer. Premièrement, l'Azerbaïdjan produit du pétrole, alors il avait les moyens d'accroître ses capacités militaires. L'Arménie s'est emparée du Nagorny-Karabakh en 1991-1992, et je ne me souviens pas que le gouvernement du Canada se soit exprimé à ce sujet. La République d'Azerbaïdjan, qui faisait partie de son territoire car elle avait été intégrée à l'Union soviétique, était tout simplement vulnérable et elle ne pouvait rien y faire. Les négociations ont échoué. Il était évident que, à un moment donné, cela allait se produire.
Je ne pense pas que le gouvernement canadien — qu'il s'agisse d'Affaires mondiales, de la Défense nationale ou d'ISDE —, ou toute autre institution canadienne concernée, pouvait prédire ce qui allait se passer. C'est là le problème. C'est impossible à prédire.
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Merci, monsieur le président.
Je remercie les deux témoins pour leur présence aujourd'hui.
Monsieur Fergusson, en faisant abstraction de notre relation avec les États-Unis, avec qui nous avons signé il y a de nombreuses décennies un accord sur le partage de la production de défense qui couvre beaucoup de terrain et une grande partie de notre industrie, je dois dire que vous paraissez d'avis que le Traité sur le commerce des armes... Je ne dirai pas aucun effet, mais vous semblez penser qu'il n'ajoute rien. Ce point de vue me préoccupe. Je le mets en doute, dans une certaine mesure, bien entendu. Dans le traité lui-même, on met beaucoup l'accent sur la question des détournements. Un article complet porte là-dessus, qui contient de nombreuses dispositions sur la façon de gérer cette question et sur les moyens de faire en sorte que cela fonctionne.
Je veux vous poser une question ouverte. Elle ne concerne pas précisément la Turquie, quoique ce pays met en lumière toute cette question des détournements et des assurances au sujet de l'utilisation finale. Ma question est la suivante: en l'absence d'un régime adéquat concernant l'utilisation finale, d'un programme et de règles et mesures efficaces pour assurer un contrôle et prévenir les détournements, il se trouve donc à n'y avoir aucun contrôle des armements. Est-ce juste d'affirmer cela?
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Il y a aussi la conformité, monsieur, et je fais partie de ceux qui croient que si nous signons un accord dans un but précis, nous devons faire tous les efforts nécessaires pour mettre en place des règles qui permettront d'atteindre ce but.
Je pense que le traité nous lie sur le plan moral et politique, mais en réalité, ce sont les règles que nous mettons en place, la façon dont nous les appliquons et notre volonté à les appliquer qui importent réellement. C'est ce sur quoi le Comité doit se pencher, et non pas sur la question de savoir si le traité en lui-même change les choses.
Je crois que nous devons accepter de ne pas être d'accord à ce sujet.
Mon temps est déjà écoulé, si je me fie au président, alors, je vais m'arrêter là.
Je vous remercie beaucoup pour vos réponses.
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Je vous remercie beaucoup, monsieur Harris et monsieur Fergusson.
Chers collègues, le respect du temps a représenté tout un défi. Je tiens à vous remercier pour votre collaboration et pour la discipline dont vous avez fait preuve en ce qui concerne le respect du temps imparti.
J'aimerais, au nom de tous, remercier les témoins pour leur présence cet après-midi.
[Français]
Nous vous remercions de vos avis d'experts et de vos témoignages. Nous vous en sommes très reconnaissants.
[Traduction]
Soyez prudents. Nous allons certes tenir compte de vos commentaires dans le cadre de la préparation de notre rapport.
Nous allons vous laisser vous déconnecter.
Chers collègues, je demanderais votre indulgence pour que nous passions à huis clos pendant ce que j'espère être un court moment. Il y a deux points importants et urgents à aborder, mais cela ne devrait pas prendre plus de 5 à 10 minutes.
Je vous serais donc très reconnaissant de bien vouloir vous reconnecter brièvement pour la partie à huis clos de la réunion grâce au lien que vous avez reçu à cette fin.
Nous allons reprendre dans quelques minutes.
[La séance se poursuit à huis clos.]