Je vous souhaite la bienvenue à la 18e réunion du Sous-comité des droits internationaux de la personne.
Je remercie tous les témoins et tous les députés de leur présence, ainsi que les employés.
Cette réunion se déroule sous forme hybride, conformément à l'ordre de la Chambre adopté le 23 juin 2022.
[Traduction]
Les membres participent en personne et par Zoom, tout comme les témoins.
J'ai quelques commentaires à faire pour commencer.
Avant de prendre la parole, veuillez attendre que je vous nomme. Lors de la dernière séance du Comité, qui était vraiment intéressante, il y a eu un incident. Je suis certain que cela ne se reproduira pas.
Donc, je nommerai les gens à qui je donne la parole. Sur Zoom, l'interprétation est également offerte. Sous l'icône du globe, au bas de votre écran, vous avez le choix entre le son du parquet, l'anglais ou le français.
Tous les commentaires doivent être formulés par l'intermédiaire de la présidence. Vous pourrez prendre la parole lorsque vous aurez été nommé.
[Français]
Conformément à la motion adoptée par la Chambre et à
[Traduction]
L'article 108(2) du Règlement du 26 avril 2022, nous allons étudier la situation en Haïti.
[Français]
Au cours de la première heure, nous accueillons...
:
Merci, monsieur Brunelle‑Duceppe.
Le problème semble maintenant résolu.
Nous accueillons trois témoins aujourd'hui.
Nous recevons M. Chalmers LaRose, du département de science politique de l'Université du Québec à Montréal et du Collège militaire royal du Canada.
[Traduction]
De l'Association du capital humain de la jeunesse ethnoculturelle de demain, nous avons
[Français]
M. Patrick Auguste, qui participe en personne.
[Traduction]
Nous accueillons également, par Zoom, Mme Morgan Wienberg, de Little Footprints Big Steps, une organisation de développement international.
Nous passons maintenant aux déclarations liminaires de tous les témoins.
[Français]
Vous aurez droit à cinq minutes chacun.
[Traduction]
Lorsqu'il vous restera une minute, je ferai un signe de la main. Veuillez donc regarder dans ma direction de temps à autre. Je devrai vous interrompre lorsque les cinq minutes seront écoulées. Vous pourrez compléter votre propos lors des séries de questions.
[Français]
Nous allons commencer par M. LaRose, qui dispose de cinq minutes.
Je suis désolé, mais on m'indique que M. LaRose n'est pas en ligne pour le moment.
Nous commençons donc par M. Auguste, qui participe en personne, qui dispose de cinq minutes.
Je remercie le Comité de m'avoir invité à comparaître.
J'aimerais faire un bref survol de la situation avant de proposer des solutions.
Nous sommes le 4 novembre. En Haïti, une paralysie politique a favorisé l'émergence de la violence des groupes armés, l'affaiblissement des institutions, notamment les institutions policières et de justice, une généralisation de l'insécurité, une paralysie économique, une détérioration du climat socioéconomique, une détérioration rapide des conditions de vie de la majorité de la population et une perte de confiance totale dans les autorités, alimentée par une paralysie de la machine gouvernementale.
Selon moi, les raisons pour lesquelles nous en sommes arrivés là sont multiples. Il y a la détérioration continue du dialogue politique depuis la chute de la dictature de Duvalier, en 1986 — cela fait déjà 36 ans —, l'atmosphère politique et sociale de plus en plus conflictuelle, les fractures sociales et politiques qui se multiplient ainsi qu'une société de plus en plus morcelée et divisée.
Plusieurs groupes sont impliqués, aujourd'hui. D'abord, il y a les activistes politiques, qui alimentent constamment le conflit politique en s'accusant réciproquement d'être la cause de tous les problèmes du pays et qui bloquent systématiquement l'émergence d'un consensus par manque de flexibilité. On utilise l'approche du tout ou rien au lieu d'une approche gagnant-gagnant, souple et flexible. Ensuite, nous trouvons les autorités, qui jouent le même jeu que les activistes politiques. Puis, il y a les groupes armés informels et illégitimes, qui alimentent le niveau d'insécurité en usant de la violence contre la population, notamment au moyen de kidnappings, de vols et de menaces, contre les forces policières, contre les institutions, notamment le Palais de justice, et contre les activistes politiques. Ces groupes peuvent compter sur une importante entrée d'armes illégales et de munitions au pays et sur celles prises sur des policiers, et sur les rançons obtenues à la suite d'un kidnapping.
Les forces policières, elles, forment un groupe de plus en plus débordé et incapable de s'opposer aux groupes armés informels et illégitimes. Il y a aussi de plus en plus de policiers assassinés.
En Haïti et dans la diaspora haïtienne, il y a actuellement un mouvement qui s'oppose aux interventions venant de l'étranger. Cela s'explique en grande partie par les dérapages lors des expériences précédentes.
Les militaires étrangers ont fait subir des violences à la population vulnérable, notamment aux femmes et aux enfants. Il y a aussi la hausse des prix du logement et des aliments. Enfin, il y a la maladie: les soldats népalais sont soupçonnés d'avoir amené le virus du choléra en Haïti.
Le soutien politique de la communauté internationale envers le gouvernement actuel est contesté, puisque ce dernier semble manquer de leadership, en plus d'être impuissant et de mauvaise foi dans les négociations avec ses opposants politiques. D'ailleurs, depuis l'assassinat du président élu, Jovenel Moïse, il y a plus d'un an, aucun échéancier n'a été établi en vue d'une élection.
Or, à l'interne, il y a quand même un certain soutien à une intervention militaire étrangère, puisque la majorité de la population souffre grandement, qu'elle est de plus en plus privée du minimum vital, qu'elle est exposée à la violence et qu'elle se sent abandonnée. D'ailleurs, j'ai deux frères en Haïti qui me transmettent le même message.
C'est avec regret que l'intervention militaire étrangère est acceptée, mais c'est tout de même préférable à la violence des gangs armés.
Je vais maintenant donner quelques pistes de solution.
Selon moi, l'intervention étrangère est incontournable, mais il faut tenir compte du passé pour ne pas répéter les mêmes erreurs.
Je crois aussi qu'il est important que la table de négociations ne se limite pas aux autorités haïtiennes.
Je vais m'arrêter ici, parce que mon temps de parole est écoulé, mais je suis prêt à répondre à vos questions.
:
Merci, monsieur le président.
Au départ, je voulais attirer l'attention du Comité sur les violations des droits des enfants qui découlent de la séparation systémique des familles et de l'exploitation des enfants, en Haïti, par des institutions à but lucratif, mais en raison de la crise actuelle, la plupart des Haïtiens n'ont même pas accès aux droits de la personne les plus fondamentaux. En raison de ce qu'on ne peut que qualifier de « guerre civile », on compte actuellement plus de 100 000 personnes déplacées en Haïti. De nombreuses familles sont toujours sans abri depuis le tremblement de terre de 2021.
Les écoles sont fermées. Ces cinq dernières années, tous les élèves du pays ont été privés de l'accès à l'éducation à maintes reprises.
Les hôpitaux et les services ambulanciers sont non fonctionnels. Beaucoup de procédures médicales sont uniquement disponibles à Port-au-Prince, qui est actuellement inaccessible. L'accès aux transfusions sanguines et à l'oxygénothérapie est difficile, en particulier dans les régions à l'extérieur de la capitale.
La malnutrition est endémique. Dans un contexte d'inflation exponentielle, la plupart des familles ont perdu leur source de revenus en raison des confinements prolongés et du manque de mobilité à l'intérieur du pays. Dans les régions coupées de la capitale, les pénuries de fournitures essentielles ont entraîné une inflation encore plus paralysante. Des familles considérées comme étant de la classe moyenne il y a quelques mois ont maintenant de la difficulté à se nourrir.
Les prisonniers meurent de faim. En fait, le Code pénal haïtien n'est pas respecté. De nombreux enfants sous l'âge minimum sont emprisonnés et il arrive que des gens soient détenus pendant plus d'un an sans avoir un procès. Souvent, pour punir les enfants prisonniers, on les place dans une cellule avec un adulte, où ils subissent alors des agressions sexuelles et physiques.
Les services sociaux haïtiens ont observé dans la crise actuelle une hausse marquée du nombre d'enfants séparés de leur famille ou non accompagnés. Les enfants de la rue sont recrutés — et sont même victimes de la traite de personnes — par des gangs armés, puis forcés à commettre des crimes.
Dans un contexte où les familles luttent pour survivre, les enfants ont un risque accru d'être placés en établissement. En ce moment, en Haïti, plus de 700 orphelinats fonctionnent dans l'illégalité. Il s'y commet d'innombrables violations des droits des enfants: négligence grave, violence physique et psychologique, traite d'enfants, exploitation sexuelle. Les pédophiles de l'étranger ciblent souvent les enfants des orphelinats. Il est difficile de les traduire en justice, malgré les dénonciations officielles. Certains de ceux qui violent les droits de la personne en Haïti semblent intouchables en raison de leurs relations politiques et de leurs moyens financiers.
Bien que les autorités haïtiennes tentent de fermer les orphelinats illégaux et de réunir les enfants séparés avec leur famille, les directeurs d'orphelinats versent des pots-de-vin, menacent ou ignorent les responsables locaux, en raison du déséquilibre des ressources. Le soutien étranger à la protection de l'enfance, notamment, doit cadrer avec les initiatives et les recommandations des spécialistes haïtiens du domaine, sans quoi nous pourrions nous retrouver à appuyer, involontairement, les systèmes qui favorisent l'exploitation des enfants.
En Haïti, bon nombre de garçons et filles ont recours à la prostitution pour survivre. La violence sexuelle est également endémique. Beaucoup de femmes et d'enfants sont victimes de viol. Cela ne se limite pas à la capitale: l'insécurité a gagné l'ensemble du pays. Meurtres et agressions sexuelles sont souvent filmés et diffusés partout au pays, mais sont rarement punis. Cette situation a des répercussions dévastatrices pour la santé mentale.
Ces problèmes découlent de la pauvreté sans cesse croissante, de l'instabilité économique, de la faiblesse du système judiciaire et de l'abus de pouvoir de politiciens corrompus et d'un petit nombre de familles influentes de l'élite.
Des mesures immédiates s'imposent pour régler les problèmes d'accès aux fournitures de base, aux services de transport abordables, aux soins médicaux et à l'éducation, afin de réduire les coûts de la vie irréalistes, de mettre fin à la traite des enfants et de permettre aux Haïtiens de circuler en toute sécurité dans leur propre pays.
Toutefois, des mesures à plus long terme s'imposent également pour lutter contre la séparation et l'exploitation systémiques des enfants dans l'ensemble des établissements; exercer des pressions afin de faire de la protection de l'enfance une priorité; veiller à ce que les interventions internationales s'accompagnent d'un soutien durable visant à accroître l'autonomie des Haïtiens et des infrastructures haïtiennes à l'avenir; tenir les dirigeants haïtiens responsables du traitement réservé au peuple haïtien et des conditions dans lesquelles il vit afin d'éviter que la crise actuelle ne se répète.
Je vous remercie.
:
Distingués membres du Sous-comité, répondant à votre aimable invitation à comparaître, j'ai le plaisir aujourd'hui de me présenter devant vous dans le cadre de votre étude de la situation actuelle en Haïti.
Je suis haïtien, spécialiste en relations internationales, observateur de la situation politique en Haïti. C'est donc à ce titre que j'ai l'honneur de partager avec vous mes observations et mes réflexions au sujet de ce qu'il convient d'appeler la problématique haïtienne.
Permettez-moi tout d'abord de faire un bref survol historique afin de rappeler la trajectoire d'Haïti sur l'échiquier international.
Ancienne colonie française de Saint‑Domingue, Haïti conquit son indépendance en déboulonnant la structure esclavagiste et coloniale qui entretenait le régime d'accumulation capitaliste. À ce titre, la contribution de ce nouvel État fut exemplaire, tant à l'épanouissement qu'au raffermissement des idées de liberté et d'égalité dans le monde, et, en particulier, sur le plan régional, grâce à sa contribution à la conquête des libertés des peuples latino-américains.
Toutefois, après l'indépendance du pays, plusieurs générations d'Haïtiens ont pourtant été contraintes d'indemniser les héritiers de leurs anciens maîtres esclavagistes. Le fardeau de la double dette d'Haïti, c'est-à-dire l'indemnité et l'emprunt contracté pour la payer, fut colossal. Cette situation a précipité Haïti sur la voie de son retard de développement, tout en contribuant à l'enrichissement des grandes places financières d'Europe et d'Amérique du Nord.
Aujourd'hui, la situation dans le pays est catastrophique, l'heure est grave. Les Haïtiens sont obligés de quitter le pays dans des conditions inhumaines pour trouver du travail. Plus qu'une situation de pauvreté, c'est une situation de misère. Les hôpitaux sont dépourvus de tout, les routes sont inaccessibles, la justice est absente, la violence est à son sommet. Le gouvernement ne contrôle rien. L'État est dans une agonie accélérée. Les Haïtiens sont aux abois.
Si on ajoute à cela les dégâts causés par les catastrophes naturelles répétées et une crise politique et sociale endémique, il s'agit là d'une situation d'une extrême gravité. De plus, ce qu'on a tendance à qualifier de gangs criminalisés qui sèment la terreur partout n'est que l'émanation d'un phénomène politique. Ce sont les élites économiques et politiques transnationales, soutenues par des gouvernements étrangers dans le cadre des tensions géopolitiques actuelles, qui recourent à ces secteurs appauvris de la société comme instruments de leur guerre politique, en leur fournissant armes et munitions et en leur offrant une protection politique et judiciaire.
Pour remédier à cette situation, plusieurs souhaitent une nouvelle intervention étrangère sous le parapluie humanitaire. Je suis en total désaccord avec cette prescription. Les événements qui se sont déroulés dans le pays depuis les 20 dernières années indiquent clairement que le passé ne peut inspirer le présent. Je recommande aux interventionnistes de porter une certaine attention au bilan dressé par l'OEA, ou Organisation des États américains, à ce sujet.
Je cite le communiqué du Secrétariat général de l'OEA sur Haïti, émis le 8 août 2022:
Les 20 dernières années de présence de la communauté internationale en Haïti constituent l'un des échecs les plus importants et manifestes de mesures mises en œuvre et d'actions réalisées dans le cadre de quelques actions de coopération internationale que ce soit.
Nous parlons du fait qu'en 20 ans de stratégie politique erronée, la communauté internationale n'a pas été capable de faciliter la construction d'une seule institution ayant la capacité de répondre aux problèmes des Haïtiens, 20 ans plus tard pas une seule institution n'est plus forte qu'elle ne l'était auparavant.
Je cite également l'ambassadeur Daniel Foote, envoyé spécial américain en Haïti, qui, dans sa lettre de démission, déclare:
Ce cycle d'interventions politiques internationales en Haïti a constamment produit des résultats catastrophiques. Des impacts plus négatifs sur Haïti auront des conséquences désastreuses non seulement en Haïti, mais aux États‑Unis et chez nos voisins de l'hémisphère.
Devant cette situation, qu'est-il possible de faire pour orienter la coopération avec Haïti et aider le pays à se remettre sur pied? Tout doit passer de prime abord par le rétablissement d'un climat de sécurité relative. Dans l'immédiat, la coopération internationale avec Haïti devrait s'orienter vers une assistance urgente en matière de sécurité.
Haïti est un pays à trajectoire unique et particulière dont la sécurité ne peut reposer entièrement sur les caprices de forces externes ou d'hypothétiques pays amis ni entre les mains exclusives de forces policières. Si le renforcement des capacités d'intervention de la police haïtienne demeure indispensable, il est tout aussi incontournable de mettre l'accent sur la composante militaire de la sécurité par le redéploiement des forces armées d'Haïti.
En parallèle, il est nécessaire de favoriser une médiation internationale de la crise politique. Le compromis politique qui en émergera pourra faciliter la transition vers un pouvoir élu sans entraves extérieures. Ce n'est qu'à partir de ces actions concrètes que l'État haïtien pourra...
:
Je vais commencer par M. LaRose.
Je pense que j'aurais aimé que le témoin poursuive son témoignage, car il arrivait à la véritable cause du problème ainsi qu'à des solutions à long terme, possiblement, au lieu des solutions temporaires que l'on voit depuis 20 ans, comme il l'a indiqué, probablement.
Si nous voulions établir une liste des priorités quant aux mesures à prendre en vue d'une intervention significative pour endiguer la violence qui sévit au pays, dans le contexte des multiples catastrophes qui ont frappé le pays et, maintenant, des troubles, des enlèvements et toutes les répercussions sur les communautés vulnérables, en particulier les enfants et les femmes... Si je demandais à M. LaRose de me donner une liste de priorités pour les mesures à prendre, une sorte de feuille de route, que nous répondrait‑il?
:
Je n'avais pas terminé mon allocution, mais je dirai ce qui suit en réponse à votre question.
La situation en Haïti est à la fois complexe et simple, et elle dure depuis un certain temps. Le problème, en Haïti, est le manque de sécurité. La solution aux problèmes de sécurité à Haïti est de fournir des ressources aux forces de sécurité du pays.
Après 1994, la communauté internationale a créé une force de police en Haïti et a détruit l'armée haïtienne. Cette décision était fondée sur la prémisse qu'une force de police suffisait à assurer la sécurité du peuple haïtien, mais nous avons pris conscience, au fil du temps, que ce n'est pas le cas et ce ne le sera jamais, étant donné la nature de la société haïtienne.
Quelles mesures pouvons-nous prendre pour améliorer la sécurité en Haïti? Nous pouvons fournir des ressources logistiques et doter la police nationale de l'effectif nécessaire. Deuxièmement, en parallèle, nous pouvons construire l'armée haïtienne en tant que deuxième force de sécurité. Ensemble, ces deux forces de sécurité devraient permettre d'assurer la sécurité nécessaire dont la force haïtienne a besoin et ainsi d'empêcher une intervention internationale en Haïti.
:
Il me faudrait beaucoup de temps pour répondre à cette question.
Je pense que la situation en Haïti a été examinée sous l'angle de l'histoire de l'armée haïtienne. Il faut tenir compte du fait que l'armée que nous avions avant 1994 a été créée en 1940 par les Américains, lorsqu'ils ont envahi Haïti. Ils ont créé une armée semblable à la force qu'ils avaient sur le terrain. C'était une armée très politisée, tant sur le plan de l'effectif que des interventions. C'est d'ailleurs cette armée qui est responsable du coup d'État contre le gouvernement élu d'Haïti en 1991.
La prémisse était que l'élimination de l'armée assurerait la survie de la démocratie. Dans le contexte de la société haïtienne, l'armée faisait obstacle à l'émergence de la démocratie. Ils ont éliminé l'armée pour donner un rôle prédominant à la force policière. Toutefois, la force policière n'a jamais été organisée et n'a jamais eu l'effectif suffisant pour assurer la sécurité nécessaire dans toutes les régions du pays.
Le problème, c'est que l'armée haïtienne a été détruite pour des raisons idéologiques, politiques, géopolitiques et économiques liées à l'île, laissant Haïti dans une situation de vide sur le plan de la sécurité.
:
Je vous remercie pour cela.
On compte actuellement 100 000 Haïtiens déplacés dans le pays. Il y a une crise sanitaire, avec le choléra et d'autres maladies. Le système d'éducation est brisé ou inexistant. Ces situations ont des répercussions sur les enfants et les femmes les plus vulnérables. Il semble que ce sont les priorités absolues auxquelles la communauté internationale doit s'attaquer et essayer de régler.
De l'autre côté, je suis d'accord avec vous sur la question de la sécurité, du renforcement de l'armée ou des forces de police afin qu'elles jouent un rôle dans le rétablissement de la loi et l'ordre.
Pour revenir aux priorités, avez-vous une idée des mesures à prendre pour régler à tout le moins la crise sanitaire et la crise de l'éducation qui sévissent actuellement?
En guise de contexte, j'ai vécu en Haïti pendant plus de 10 ans et je suis revenue au Canada à la fin septembre. J'ai été obligée de partir en raison de la situation là‑bas.
Avant la crise actuelle, comme je l'ai mentionné — en fait, depuis 2018 —, le gouvernement haïtien avait interdit l'ouverture de nouveaux orphelinats au pays. Il reconnaissait ainsi les conclusions de recherches internationales exhaustives faisant état des préjudices causés aux enfants par ces établissements. Malheureusement, l'affluence de dons et de bénévoles de l'étranger a créé une fausse demande pour la création de nouveaux établissements. En tant que Canadiens, nous avons la responsabilité de jouer un rôle pour contrer ce phénomène.
Dans le contexte de la crise actuelle, les enfants des orphelinats, déjà négligés et maltraités, se retrouvent dans des conditions extrêmement difficiles. Des rapports que nous avons reçus indiquent que des enfants fuient les orphelinats parce qu'ils ne sont pas nourris. Il est difficile de savoir s'ils retournent dans leur famille ou s'ils se retrouvent tout simplement dans la rue, bien que les services sociaux accueillent de nombreux enfants non accompagnés, de tous âges, qui sont dans la rue.
En outre, certains orphelinats se livrent en réalité à la traite des enfants. En raison de l'insécurité ambiante, ils déplacent les enfants dans des endroits plus sûrs, mais sans en informer les autorités haïtiennes ni les parents de ces enfants. La majorité des enfants des orphelinats ont des parents vivants.
De plus, en période d'agitation ou de catastrophe, il y a toujours un risque que de nombreux enfants soient enlevés à leur famille et placés dans des orphelinats ou même abandonnés à l'orphelinat parce que la situation est désespérée et que les familles éprouvent des difficultés.
Je remercie les témoins de leur présence.
Merci de me donner l'occasion de participer. Je serai bref moi aussi afin de permettre à M. Dubourg de poser une question. Je sais que le temps est limité.
Madame Wienberg, j'aimerais vous redonner la parole. Je tiens à souligner encore une fois le dévouement dont vous avez fait preuve au cours de la dernière décennie, ou plus, pour le sort des enfants en Haïti.
J'aimerais prendre un moment pour regarder au‑delà de la stabilisation de la crise actuelle pour savoir comment nous pouvons, en tant que pays, continuer à nous concentrer sur les enfants haïtiens et mettre fin à la violence, à l'exploitation et à la traite dont ils sont victimes depuis de nombreuses années, voire des décennies. Espérons que cela demeurera chose du passé lorsque la crise sera résorbée.
Pour le Canada, quelle est la meilleure façon de jouer un rôle à cet égard? Je vous demanderais de répondre en une minute, environ, afin que M. Dubourg ait aussi le temps de poser une question. Je vous remercie.
:
Je vous remercie de votre question, monsieur Hanley.
En tant que Canadiens — et cela vaut aussi pour les citoyens d'autres pays — il est essentiel que nous reconnaissions notre responsabilité dans la lutte contre les violations des droits des enfants en Haïti et dans d'autres pays semblables, car nous contribuons à perpétuer le cycle d'exploitation qu'ils subissent.
En raison du déséquilibre des ressources dont j'ai parlé, les autorités haïtiennes de protection de l'enfance — principalement les services sociaux, l'IBESR et la BPM, la brigade de protection des mineurs de la police nationale — ont énormément de difficulté à faire appliquer les lois et à mettre en œuvre des initiatives pour lutter contre la traite des enfants et ces orphelinats abusifs à but lucratif et s'occuper d'autres crises liées aux droits des enfants.
Les ONG et le soutien de l'étranger sont considérablement plus forts que les ressources dont dispose le gouvernement. Les directeurs d'orphelinats, les violeurs d'enfants et les divers violateurs des droits des enfants peuvent donc faire fi des autorités gouvernementales, puisqu'ils peuvent toujours recevoir le soutien dont ils ont besoin pour duper ou menacer leurs victimes et, parfois, le gouvernement.
Il importe d'informer les gens sur ces questions afin qu'ils soutiennent les familles et les communautés plutôt que les établissements, et que l'ensemble des organismes canadiens travaillent de concert avec les autorités haïtiennes de protection de l'enfance.
:
Merci beaucoup, monsieur le président.
[Français]
Je remercie les témoins de participer à ce comité.
Ma première question s'adresse à vous, monsieur LaRose.
D'abord, je vous remercie de votre allocution.
Nous participons à un comité sur les droits de la personne. Certains rapports sur la situation actuelle en Haïti nous informent que des enfants de 10 ans sont violés en présence de leurs parents et qu'il y a plus de 85 000 femmes enceintes qui n'ont aucun service. Vous nous proposez d'augmenter les forces policières pour contrer tout cela.
Que pourriez-vous nous proposer de faire dans l'immédiat, parce qu'il y a urgence d'agir en Haïti?
:
En fait, si nous abordons la question sous l'angle des droits de la personne, cela veut dire que nous devrons toujours faire ce qu'on appelle de la limitation des dégâts. C'est comme de mettre un pansement sur une plaie. On réussit à couvrir la plaie, mais on ne règle pas vraiment le problème, c'est-à-dire qu'on intervient à la surface et non pas en profondeur. En ce moment, Haïti a surtout un cuisant besoin de résoudre son problème de sécurité. Une fois ce problème résolu, on pourra ensuite s'attaquer aux violations des droits de la personne.
Résoudre la crise haïtienne se fera en plusieurs phases. Dans l'immédiat, il faut éteindre le feu en Haïti. Une fois que ce sera fait, il faudra aborder d'autres questions connexes et, par la suite, s'attaquer aux questions les plus complexes. Selon moi, c'est la stratégie à adopter: éteindre le feu et, ensuite, aborder quelques questions connexes comme la crise alimentaire, la crise des droits de la personne, la crise énergétique, etc. Nous pourrons donc régler tout cela, une fois que le problème de sécurité sera résolu.
Je recommande que cette question de sécurité soit réglée par les Haïtiens eux-mêmes, c'est-à-dire qu'on fournisse aux forces de sécurité haïtiennes le matériel logistique nécessaire pour pouvoir intervenir dans des situations de crise sécuritaire en Haïti. À partir de là, nous pourrons aussi remettre sur la table le problème de la sécurité en Haïti, en augmentant les forces de sécurité et en remobilisant, en parallèle, les Forces armées d'Haïti, qui doivent normalement représenter l'instrument de sécurité du pays, et non les forces étrangères.
Selon moi, c'est cela qui est important.
:
Il y a très certainement, dès le départ, un lien direct entre l'interne et l'externe, en Haïti. C'est pour cela que j'ai commencé mon allocution en mettant en contexte la création de l'État haïtien, qui a donné lieu à d'énormes ramifications entre l'interne et l'externe. Cet État a été complètement banni du reste du monde pendant au moins un siècle. Lors de la lutte géopolitique des années 1900-1915, les Américains sont entrés en Haïti et ils ont créé une armée qui était, ainsi que toute la société haïtienne, au service des Américains.
Regardons la chronologie des événements à partir de la chute du régime de Duvalier, en 1986, jusqu'à l'intervention américaine, en 1994, et revenons au président Aristide. Ce cycle d'événements a donné lieu à l'intervention des Nations unies, qui a alors offert son soutien lors de ces événements.
En résumé, à mon avis et en tant que chercheur en relations internationales, il y a eu une démarche consciente et rationnelle pour ne pas donner à Haïti la possibilité de résoudre elle-même la question de sa propre sécurité. On a complètement décousu toutes les structures de sécurité, en Haïti. Maintenant, quelle est l'intention derrière cela? Je ne peux pas le savoir.
Pourquoi la communauté internationale doit-elle toujours penser à intervenir en Haïti quand il y a un problème de sécurité? Pourquoi ne pas laisser Haïti elle-même résoudre ce problème de sécurité de manière permanente?
Ce sont les questions que nous devons nous poser.
:
Je vous remercie de cette question, monsieur le député.
Puisque vous me posez une question au sujet de la politique extérieure du Canada, je dirais que, en ce qui concerne la question haïtienne, le Canada devra élaborer une politique étrangère mesurée et respectueuse. Le Canada devra aussi trouver sa propre voie dans cette crise et ne pas chercher à être simplement le sous-traitant des États‑Unis.
Il faut absolument que la démarche canadienne reflète ses propres valeurs, sa propre vision à la fois des droits de la personne, de la sécurité et du monde, et il ne doit pas être à la traîne des États‑Unis pour essayer de résoudre un problème en Haïti.
Je crois que le Canada ne peut pas, aujourd'hui, se permettre d'élaborer une politique étrangère capricieuse, c'est-à-dire essayer de chercher à élaborer une politique de puissance, qui ne serait pas nécessairement conforme à la nature et aux traditions de la politique canadienne.
Le Canada ne peut pas prendre la direction d'une intervention en Haïti, puisque cela serait contreproductif et contre sa propre morale.
À mon avis, le Canada devra continuer à développer des relations normalisées avec la société haïtienne par l'entremise de ses instruments d'intervention traditionnelle, c'est-à-dire ses organisations, les projets qu'il développe en Haïti et son soutien à la police haïtienne. En même temps, si le Canada le juge nécessaire, à mon avis, il pourra aussi mettre en avant la question des forces armées d'Haïti pour essayer de remobiliser cette force.
:
Merci, monsieur le président.
Je remercie les témoins d'être avec nous aujourd'hui dans le cadre de cette étude importante.
Le Québec a une relation privilégiée avec Haïti depuis plusieurs années. Plusieurs Québécois canadiens sont d'origine haïtienne. Il y a beaucoup d'institutions, notamment à Montréal, dont certaines sont dans ma circonscription, Rosemont—La Petite‑Patrie, je dois le souligner. On y trouve le Bureau de la communauté haïtienne de Montréal et le Centre N A Rive. Il y a aussi la Maison d'Haïti, qui n'est pas dans ma circonscription, mais qui n'en est pas loin et dont un représentant va venir nous parler tantôt.
Ce lien d'affection et de proximité avec Haïti fait en sorte que la situation épouvantable que vit le pays est d'autant plus pénible à voir et à constater. Cela nous fait mal en tant que Montréalais et Québécois.
On assiste à une faillite de l'État à tous les égards. Beaucoup de choses ont été dites et, quant à moi, je veux mettre l'accent sur la sécurité et sur un gouvernement de transition vers des élections. La priorité, à mon sens, est la sécurité des citoyens et des citoyennes. Rien ne peut s'accomplir si les gens sont constamment attaqués, assassinés, violés, menacés et kidnappés. Il y a le grave problème de la corruption et celui des gangs de rues. Du côté des néo-démocrates, on constatera que nous voulons assurer une stabilité et une sécurité au peuple haïtien par et pour les Haïtiens, sans imposer quoi que ce soit.
Quel rôle concret le Canada peut-il jouer pour contribuer à cette stabilisation et au retour d'une plus grande sécurité pour les Haïtiens et les Haïtiennes sans faire de l'ingérence?
Je voudrais entendre les trois témoins à cet égard.
Monsieur Auguste, voulez-vous commencer?
:
Je vous remercie, monsieur Boulerice.
Pour rétablir la confiance, je propose en premier lieu que le Canada fasse publiquement un mea culpa, au nom de la communauté internationale, de ce qui a été mal fait dans les interventions du passé. Je parle de confiance avec de transparence.
La deuxième étape consiste à travailler en équipe, en créant un comité mixte composé de représentants étrangers, dont le Canada pourrait prendre le leadership, et de représentants locaux haïtiens qui ne viennent pas seulement des autorités gouvernementales. Ce comité mixte pourrait être ouvert à la population générale et à la diaspora haïtienne. Il pourrait y avoir une dizaine de personnes autour de la table qui dirigeraient vraiment cette intervention. À partir des erreurs commises dans le passé, chacun doit faire son mea culpa et faire un effort pour qu'on en arrive à une situation qui s'améliore.
Concrètement, en ce qui concerne la sécurité, je pense que les gangs, entre autres, y jouent un rôle politique. Si on arrive à rétablir ce climat de confiance, les gangs et les armes vont se taire en grande partie, à mon avis.
Maintenant, comment peut-on avancer sur le terrain? Il faut renforcer les institutions et la police haïtienne. Il faut un plan sur trois, quatre ou cinq ans, il faut renforcer vraiment la justice, qui est à plat, pour arriver petit à petit à laisser la population respirer en libérant les rues, par exemple.
Nous arriverons à quoi? Nous pouvons arriver, sur une période de trois à cinq ans, à remettre ce pays sur la bonne voie. Cependant, il faudrait que chacun des acteurs fasse son mea culpa. Or, aujourd'hui, ils se relancent tous la balle. Mentionnons les étrangers, les États‑Unis, les Haïtiens, les gens de l'époque Duvalier, qui sont toujours là, les gens de la nouvelle époque d'Aristide, qui sont là. Ils se lancent tous la balle et ils ont tous coupables. Personne n'est parfait.
Je crois que cette approche va rassurer la jeunesse et la diaspora et incitera tout le monde à travailler ensemble. Le cas haïtien ne peut pas être résolu par une seule des parties, et, surtout, pas uniquement par la partie haïtienne.
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Je vous remercie de la question.
Je pense que la question de la sécurité a été soulevée. À mon avis, les questions relatives aux droits de la personne, qui sont essentielles, la question de la sécurité et les effets à long terme de nos interventions doivent être examinés en parallèle.
On parle de plus de 100 000 personnes déplacées à l'intérieur du pays. Ces gens ne vivent pas dans des abris, mais dans des lieux publics, au vu et au su de tous. Ils meurent de faim et subissent toutes les violations des droits de la personne dont nous avons parlé. Il faut s'y attaquer de toute urgence. Voilà pourquoi les gens qui sont sur le terrain et qui n'ont pas tendance à être favorables à une intervention internationale réclament une telle intervention: ils ont désespérément besoin d'aide.
Cependant, dans le cadre des interventions internationales pour répondre aux besoins immédiats, nous devons garder à l'esprit les effets à long terme afin d'éviter de reproduire les erreurs commises dans le passé lors de telles interventions. Le gouvernement haïtien ne peut pas avoir l'oreille des gouvernements de la communauté internationale, car il est évident qu'il n'agit pas dans l'intérêt du peuple haïtien.
J'aime l'idée proposée par le témoin précédent, à savoir qu'il faut mobiliser les dirigeants communautaires — pas seulement les autorités haïtiennes, mais la société civile aussi —, car ces gens s'efforcent déjà, avec les faibles moyens dont ils disposent, à aider leurs communautés en pareille situation.
Il faut aussi veiller à renforcer les capacités et, comme M. LaRose l'a aussi indiqué, je pense, à régler la question de la sécurité. Écarter les gangs ne suffira pas à régler les causes profondes du problème, car ces gangs sont les pantins de familles influentes et de politiciens qui paient des citoyens pour qu'ils manifestent, sèment le chaos et bloquent les rues dans les communautés. Si ces personnes ne sont pas frappées de sanctions, cette situation perdurera longtemps, même lorsque nous aurons l'impression que la crise humanitaire est résolue.
Il est essentiel d'examiner ces questions.
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Merci, monsieur Boulerice.
Nous allons suspendre la séance dans quelques secondes, mais, avant cela, j'aimerais remercier tous les témoins d'être ici aujourd'hui. Vous avez la possibilité de soumettre un mémoire additionnel de 10 pages.
[Traduction]
Si vous souhaitez le faire, sachez que cela sera traduit, puis publié sur notre site Web. Cela dit, vos témoignages figurent au compte rendu et nous seront très utiles dans notre travail.
Nous allons suspendre la séance pour une minute tout au plus, puis nous reprendrons nos travaux avec notre deuxième groupe de témoins.
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Merci, monsieur le président.
Mesdames et messieurs, membres du Comité, bonjour.
Je vais vous épargner beaucoup de choses qui ont déjà été dites ici, et je vais parler de l'incidence de l'insécurité sur la vie du peuple haïtien.
L'insécurité qui prévaut de nos jours est une conséquence de la mauvaise gouvernance et d'un peuple aux abois en raison d'un manque d'investissement sur les plans social et économique, dont il a été l'objet. Quand on laisse un peuple sans instruction et que les enfants sont laissés à eux-mêmes dans la rue, on ne récolte que de l'insécurité et on produit des délinquants en quantité industrielle. Ces délinquants sont des voleurs, des assassins ou des kidnappeurs qui font régner la terreur pour subsister, tout en étant à la solde des puissants: des personnes de l'État, des leaders politiques et même des hommes d'affaires véreux. Malheureusement, ce sont ces enfants si fragiles que les puissants de la place utilisent pour faire régner la terreur et maintenir le chaos afin de défendre chacun leurs propres intérêts.
Il y a un dilemme concernant une éventuelle intervention étrangère, c'est-à-dire que certaines personnes s'y opposent et d'autres l'appuient. Ceux et celles qui s'y opposent avancent différentes raisons: la colonisation française, l'occupation américaine, l'intervention américaine de 1994, le choléra amené par la MINUSTAH, le dysfonctionnement des institutions, etc. Ces positions sont quelquefois justifiées, mais on se demande ce qui a été fait sur le plan national pour que ces maux ne continuent pas de s'abattre sur le pays.
Vous êtes déjà au courant de tous les déplacés et des tueries qui ont lieu actuellement. Il y a un manque sérieux de leaders responsables. Le peuple haïtien est laissé à lui-même. Il n'y a pas d'orientation ni de prise en charge réelle du pays. Sans vouloir le répéter, il n'y a pas d'oxygène, pas de possibilité de dialyse dans les hôpitaux, pas d'eau potable, etc. On ne peut même pas se procurer de l'eau, un besoin essentiel. C'est vous montre bien que tout est fini dans ce pays.
Je vais vous dire ce que je peux proposer. Je pense que j'ai tout entendu ici, mais il y a une proposition beaucoup plus importante. Si une intervention doit se faire, il vous faudra une structure de transition composée des fils et des filles compétents et intègres de la diaspora haïtienne. Cela prend de vrais techniciens qui sont prêts à participer à la mise en place d'un plan Marshall, par exemple. Pourquoi pas? Nous avons aussi des ressources, en Haïti. Faisons des accords gagnant-gagnant, à moyen terme et non pour l'immédiat, pour permettre au moins à Haïti de se développer à partir de ce problème que nous avons.
Si une intervention militaire totale doit se faire et que le Canada doit y participer, il devra s'assurer de certaines choses.
Tout d'abord, il devra assurer une intervention militaire totale guidée par des autorités nationales, ainsi que par des gens honnêtes, compétents et intègres de la diaspora haïtienne qui s'approprient la mission pour l'orienter.
Ensuite, il faudra une quantité suffisante de militaires pour résoudre vraiment le problème d'insécurité à court terme.
De plus, il faudra éviter d'être victime de l'asymétrie de l'information. On parle beaucoup, c'est vrai.
Par ailleurs, il faudra utiliser des militaires qui ne viennent pas de pays où ils avaient l'habitude de recevoir 2 000 $ ou 3 000 $ par année. S'ils viennent en Haïti, ils vont recevoir 2 000 $ ou 3 000 $ par mois. Alors, que vont-ils faire? Ils vont recommencer. Ils vont même armer les gangs, comme ils l'ont déjà fait par le passé, pour pouvoir rester au pays. Cela ferait en sorte d'alimenter davantage les gangs. Ce n'est pas ce que nous voulons. Nous voulons travailler ensemble. Cela prendra donc des militaires ayant une mission de courte durée, comme je viens de le dire, et l'obligation d'améliorer la situation rapidement.
En outre, il faudra imposer des sanctions sévères à ceux qui ne respectent pas les valeurs afférentes aux droits et libertés, comme les pédophiles, par exemple.
Qui plus est, il devra utiliser des drones et d'autres armements pour capturer les bandits. On sait que la communauté internationale a le pouvoir de le faire. On vient de voir que le général iranien a été repéré par un drone; ce ne sont pas les gangs d'Haïti qui pourraient y échapper.
Avec les drones, il est possible de les repérer, de les éliminer et de bloquer leurs sources. On peut bloquer les ressources et les comptes bancaires de gens de la société civile, d'hommes d'affaires et de politiciens là où ils acheminent les munitions en Haïti. Vous savez que 86 % des armes et des munitions proviennent des États‑Unis. Il faut donc travailler avec les États‑Unis en amont pour bloquer cette situation.
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Vous avez dit: « le deuxième témoin ». Je ne savais pas qui était ce deuxième témoin. J'avais l'impression qu'il y avait trois personnes.
Je voudrais d'abord vous remercier de cette invitation, de me donner l'occasion de parler de la situation dans mon pays d'origine et, surtout, de donner voix aux revendications et aux espoirs du peuple haïtien.
Mesdames et messieurs les députés, je viens vous apporter un message fort du peuple haïtien, tant de l'intérieur que dans la diaspora, de son refus catégorique de toute agression sur son territoire. Nous nous opposons formellement à toute forme d'intervention, peu importe son nom, son contenu et la couleur des bottes qui la porteraient.
Le peuple haïtien vit historiquement les conséquences désastreuses des multiples interventions depuis l'invasion européenne sur cette terre en 1492. Mentionnons, à titre illustratif, le génocide des Taïnos induisant la venue des captifs et des captives de l'Afrique; la dette de l'indépendance imposée par la France en 1825; le vol de la réserve d'or de la Banque Nationale de la République d'Haïti, réserve jamais restituée depuis l'occupation américaine de 1915‑1934; la dépossession de la paysannerie ainsi qu'une migration forcée et orchestrée; la déstructuration des institutions étatiques; et le remplacement de l'armée nationale par une gendarmerie apatride. Les raisons inavouées de ces envahissements ont toujours été occultées derrière des soi-disant velléités de venir aider Haïti, d'apporter la civilisation ou de rétablir la paix.
Aujourd'hui, le Core Group, sous la houlette du Canada, entre autres, souhaite répondre à une demande inconstitutionnelle et illégale d'un gouvernement illégitime, décrié par le peuple haïtien, pour venir contrer l'insécurité et résoudre la crise humanitaire.
Il va sans dire qu'Haïti fait face actuellement à une des pires crises qui affecte toutes les sphères de la société. Cependant, cette crise n'est pas nouvelle; elle est la conséquence de politiques imposées au peuple haïtien par l'intermédiaire de laquais locaux tant des secteurs politiques que du secteur privé des affaires. Les politiques d'ajustement structurel déstructurant l'économie haïtienne en sont des exemples. J'en veux pour preuve la récente mesure criminelle du gouvernement d'Ariel Henry d'augmenter de 128 % le prix du carburant à la demande du Fonds monétaire international, appuyé par le Core Group, sur un peuple déjà en détresse.
Pendant plus de 20 ans, les Forces armées canadiennes et des forces policières comme la GRC ont fait partie des Casques bleus des différentes missions de l'ONU en Haïti, de la Mission des Nations unies en Haïti, ou MINUHA, en 1993, au Bureau intégré des Nations unies en Haïti, ou BINUH, en 2019. Cette dernière force au pays jusqu'en 2022 avait pour mandat la promotion et le renforcement de la stabilité politique et de la bonne gouvernance, la professionnalisation de la police, la réduction de la violence communautaire et de la violence des gangs.
Toutes ces missions ont été non concluantes. Elles n'ont donné aucun résultat sur le plan de leurs propres objectifs. De surcroît, elles n'ont apporté que souffrance pour la population tout en accroissant sa vulnérabilité: viols, enfants sans père, prostitution. Ceux qui ont perpétré ces crimes n'ont jamais été interpellés, voire jugés.
Nous nous questionnons sur le désir soudain de vouloir juguler cette crise résultant de la politique appliquée en Haïti par les pays du Core Group, dont le Canada, qui ne tiennent pas compte des revendications des masses haïtiennes et qui observent un silence mortifère devant les exactions de toutes sortes qu'elles subissent.
Rien n'a été dit sur les massacres, les centaines d'enlèvements ruinant la classe moyenne, paupérisant davantage les classes populaires, semant le deuil et le désespoir dans les familles; rien n'a été dit sur les répressions systématiques et sauvages de la police nationale formée aux bons soins des forces canadiennes, entre autres sur les manifestants; rien n'a été dit sur les initiatives de fédérer et de donner un statut légal à ces mêmes gangs qu'aujourd'hui on veut combattre; rien n'a été dit non plus sur l'arrivée massive d'armes et de munitions en provenance des États‑Unis; et on pourrait continuer.
Fort de ces constats, la Coalition haïtienne au Canada contre la dictature en Haïti, ou CHCDH, en adéquation avec les désidératas du peuple haïtien, demande au gouvernement canadien de surseoir à toute forme d'intervention en Haïti qui risque de provoquer un génocide dans les quartiers populaires sous contrôle de gangs lourdement armés; d'arrêter d'appuyer le gouvernement illégitime d'Ariel Henry; d'arrêter le soutien indirect aux gangs par le truchement de gouvernements fantoches, dont celui d'Ariel Henry; de soutenir une solution haïtienne à la crise ignorée systématiquement, notamment l'accord de Montana regroupant les forces vives de la nation, résultat d'un consensus large, et prônant une transition de rupture.
La CHCDH demande aussi au gouvernement canadien d'apporter une coopération respectueuse de la dignité, de la Constitution et de la souveraineté d'Haïti, basée sur les besoins réels exprimés par les actrices et les acteurs locaux, et ce, par une assistance technique à la police nationale et de la formation sur le respect des droits de la personne, par un soutien au système judiciaire pour rendre justice à la population relativement aux différents massacres et à la dilapidation des fonds de PetroCaribe, ainsi que par un soutien aux demandes de réparation des familles de plus de 10 000 morts du choléra et des 800 000 personnes infectées.
Mesdames et messieurs les députés, le peuple haïtien debout, en lutte en dépit de centaines d'années de déni de justice, d'inégalités sociales criantes, vous exhorte à l'écouter et à respecter sa volonté.
Merci.
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La sonnerie se fait actuellement entendre.
Mme Anita Vandenbeld: Oui.
Le président: J'ai besoin du consentement unanime pour continuer pendant 15 minutes. Nous passerions aux séries de questions. Est‑ce que tout le monde est d'accord?
Des députés: Oui.
Le président: Nous allons faire un tour rapide. Puisque nous avons le consentement unanime, nous continuerons pendant 15 minutes exactement. Donc, chacun aura un peu moins de quatre minutes.
Nous commençons par le Parti conservateur. Monsieur Viersen, allez‑y, s'il vous plaît. Vous avez quatre minutes.
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Je vous remercie de votre question.
Si je comprends bien, vous désirez savoir ce que je propose, concrètement, et si le Canada peut apporter à lui seul la solution que je propose. Comme je m'adresse aux députés du Canada, j'insiste sur ce que le Canada peut apporter. Certes, il n'y a pas seulement le Canada qui peut jouer un rôle.
Je propose de respecter les compétences. On parle souvent d'Haïti comme d'un pays en faillite. Or, il y a des compétences en Haïti, aussi, même en matière de sécurité. Ce qui y manque, ce sont les ressources matérielles et logistiques. Dans le cas d'une coopération, nous demandons que le Canada offre un accompagnement pour l'entraînement, par exemple d'une force spéciale de la police nationale, de concert avec des ressources matérielles et logistiques adéquates.
De plus, il faudrait une formation sur la question des droits de la personne. On a tendance à oublier que cette police est elle aussi en train d'enfreindre les droits de la personne en Haïti. Nous avons donc besoin d'une formation en ce sens.
Je ne suis pas venue faire un diagnostic. Il a été fait en Haïti par les organisations des droits de la personne et beaucoup d'autres organisations. À court terme, je demande d'apporter une coopération respectueuse de notre dignité et de nos besoins réels. Quant à ces besoins réels, les acteurs locaux et les actrices locales sont capables de les exprimer. Il faut s'asseoir d'abord avec les Haïtiens pour savoir comment intervenir et sous quelle forme.
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Merci, monsieur le président.
J'aimerais remercier les témoins d'avoir accepté de comparaître devant le Comité, aujourd'hui. Leur participation à notre étude est très importante.
Madame Ismé, j'aimerais vous poser la même question que celle que j'ai posée tout à l'heure.
On nous dit que, actuellement, plus de 85 000 femmes enceintes ne reçoivent aucun service et que des enfants de moins de 10 ans sont violés en présence de leurs parents.
Vous avez parlé de la compétence des Haïtiens et de la Police nationale d'Haïti, la PNH. D'ailleurs, le Canada a investi dans la formation des membres de la PNH.
Vous avez proposé des solutions. Que devons-nous faire pour défendre les droits de la personne des Haïtiens?
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Je vous remercie de votre question, monsieur Dubourg.
À mon avis, la première solution est d'arrêter de soutenir le gouvernement actuel, puisqu'il n'a aucune volonté politique de résoudre ces problèmes. Le fond de la question, c'est la volonté politique de résoudre les problèmes. Si la police nationale ne reçoit pas d'ordre de la part du chef principal du Conseil supérieur de la police nationale, la CSPN, elle ne peut pas agir.
Avant tout, il faut nous débarrasser de ce gouvernement fantoche, qui a été mis en place par des entités étrangères, et non par le peuple haïtien.
Ensuite, je réitère qu'il y a des spécialistes de la question en Haïti. Or ils n'ont pas de moyens matériels et logistiques. Ils doivent être accompagnés en matière d'entraînement et de formation. La police nationale doit être encadrée afin de former des unités techniques et tactiques spécialisées qui pourront répondre rapidement à la situation.
Ce sont les Haïtiens qui devront faire face à la situation.
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Il est difficile de répondre brièvement, monsieur le député.
La question haïtienne n'est pas seulement une question militaire. C'est la raison pour laquelle nous sommes contre une intervention militaire, en plus des autres éléments que j'ai déjà mentionnés. On ne résout pas une crise humanitaire au moyen de l'occupation.
Il faut aussi s'attaquer à la crise humanitaire. La plupart des jeunes qui font partie des gangs sont sans espoir et sont instrumentalisés par les oligarques, par les gens au pouvoir.
Il faut donc se pencher sur un autre aspect de la crise. Cet aspect demande également une coopération qui ne vise pas seulement à donner des sacs de blés et de l'huile, entre autres.
Comme votre temps de parole est limité, je ne peux pas développer mon argument. Par exemple, on peut acheter, chez les paysans, les denrées en train de pourrir à cause de cette crise. Il faut faire preuve de créativité tout en respectant nos désirs et en comptant sur les trucs locaux.
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En fait, je ne suis pas directement en faveur d'une intervention. J'ai dit que si nous devions intervenir, cela devrait se faire d'un commun accord avec un comité, créé selon une structure traditionnelle, qui serait composé de filles et de fils compétents d'Haïti, de la diaspora et de vrais techniciens. Nous pourrions aussi négocier, par exemple, de vrais accords avec les personnes qui veulent intervenir et avec les gens du terroir, qui se réuniraient pour éliminer d'abord la question des armes à feu.
Il y a un problème social, c'est vrai, mais qu'est-ce qui cause ce problème social? Qu'est-ce qui fait que ce problème s'aggrave toujours? C'est parce qu'il y a trop de gangs armés qui ont des munitions provenant de l'international. Il faut bloquer ces gangs à la source, en amont.
En même temps, il faut intervenir conjointement avec les spécialistes d'Haïti et les spécialistes à l'international, comme le Canada, pour éradiquer ce problème. On peut l'éradiquer, on peut le cibler. Une fois que deux, trois, quatre et cinq gangs auront commencé à tomber, je suis persuadé que les autres gangs vont comprendre que ce n'est pas le bon chemin à prendre. En même temps, il faut aussi amener le développement en Haïti.
Il faut prendre l'exemple des interventions qui ont quand même donné des résultats et il faut tirer profit des récentes missions onusiennes qui ont réussi, notamment au Liberia, au Timor oriental et sur la Côte d'Ivoire. On a vu comment ils ont traité les dossiers. Ces missions ont réussi parce qu'un État a orienté des missions, mais la partie technique a été gérée par des structures indépendantes.
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Merci, monsieur le président.
Je remercie les témoins de se joindre à nous, aujourd'hui.
Madame Ismé, je suis très heureux de voir quelqu'un de la Maison d'Haïti venir témoigner dans le cadre de cette importante étude du Sous-comité des droits internationaux de la personne.
J'aimerais continuer dans le même esprit que vos interventions sur le fait que le gouvernement canadien devrait arrêter de soutenir le gouvernement haïtien que vous jugez illégitime.
Nos avons beaucoup entendu parler, un peu plus tôt, de propositions pour établir un dialogue national avec les forces de l'opposition et les forces vives de la société civile.
Comment voyez-vous le travail d'accompagnement que le gouvernement canadien pourrait faire afin d'assurer cette transition en prévision, peut-être, de nouvelles élections et d'un gouvernement dapluseprésentatif de la volonté nationale des Haïtiens et des Haïtiennes?
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D'abord, je dois dire que, devant l'état de pourrissement actuel de la crise en Haïti, nous ne pouvons pas parler d'élections. C'est presque un consensus dans le pays. Ce que nous pensons, c'est que cet aspect du sujet doit rester entre les mains des Haïtiennes et des Haïtiens. Les questions de constitution, de calendrier électoral et de conseil électoral permanent relèvent des affaires internes d'Haïti et ne concernent que les Haïtiens. Le rôle du Canada serait donc de soutenir les propositions haïtiennes.
Parmi les proposions structurées, j'ai parlé notamment de l'accord de Montana, qui relève d'un consensus assez large de plusieurs secteurs vifs de la société, dont les paysans, les ouvriers, les organisations politiques de gauche comme de droite, par exemple. C'est la société civile.
Je pars de là, parce qu'il s'agit de femmes et d'hommes qui ont fait preuve de courage depuis deux ans, qui se sont rencontrés et qui ont formulé une proposition dite de rupture avec l'impunité, la gabegie administrative et la corruption.
Je pense qu'il faut maintenant se focaliser et laisser aux Haïtiens le temps de pratiquer cette transition de rupture, afin de préparer la société à la transition démocratique dont nous parlons. Ainsi, le pays pourrait réaliser des élections dignes de ce nom, qui seraient vraiment démocratiques et répondraient aux besoins du peuple haïtien. On ne fait pas des élections pour le plaisir de faire des élections; on en fait pour créer une société qui correspond à ce que voudrait la majorité du peuple. Cette transition de rupture est très importante. Elle permettrait non seulement de donner le temps de régler certains problèmes, mais d'asseoir ce consensus à l'intérieur de la population. Cela permettrait une réconciliation du peuple haïtien avec lui-même. Il s'agit de cela, aussi. C'est un peuple qui a subi des centaines d'années d'injustices criantes et d'inégalités sociales.