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SDIR Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international


NUMÉRO 052 
l
1re SESSION 
l
44e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 4 juin 2024

[Enregistrement électronique]

(1605)

[Traduction]

    J'aimerais souhaiter la bienvenue à Mme Oleksandra Matviichuk.
    Madame Matviichuk, bienvenue au Comité. Au nom de tous les membres du Comité, nous tenons à vous féliciter pour votre prix Nobel bien mérité.

[Français]

    Notre sous-comité commence maintenant une séance d'information avec Mme Oleksandra Matviichuk à titre de présidente du Centre pour les libertés civiles.

[Traduction]

    Madame, vous disposez de cinq minutes pour votre déclaration préliminaire, et nous passerons ensuite aux questions des membres du Comité.

[Français]

    Je vous souhaite encore une fois la bienvenue, madame Matviichuk. Je vous cède la parole pour cinq minutes.

[Traduction]

    Je vous remercie beaucoup de me donner la parole. C'est un grand honneur pour moi de m'adresser à un public si distingué.
    Je suis une avocate des droits de la personne et je documente les crimes de guerre commis dans le cadre de la guerre lancée par la Russie contre l'Ukraine. Nous avons uni nos efforts à ceux de dizaines d'organismes de différentes régions et nous avons établi un réseau national de documentalistes locaux. En travaillant ensemble pendant seulement deux ans sur ce projet à grande échelle, nous avons documenté plus de 72 000 incidents de crimes de guerre.
    Les Russes utilisent les crimes de guerre comme méthode de guerre. Ils infligent délibérément d'énormes souffrances aux civils ukrainiens afin de briser la résistance de la population et d'occuper le pays. Nous ne documentons pas seulement les violations des Conventions de Genève, car nous documentons aussi la souffrance humaine.
    Je voudrais aujourd'hui me concentrer sur les violations des droits de la personne sous l'occupation russe, mais permettez-moi d'abord de vous assurer que les Ukrainiens souhaitent la paix bien plus que quiconque. La paix ne vient pas lorsqu'un pays envahi cesse de se battre. Dans ce cas, ce n'est pas la paix, c'est l'occupation, et l'occupation n'est qu'une autre forme de guerre.
    Les personnes sous occupation n'ont aucun moyen de défendre leurs droits, leur liberté, leur vie, leurs biens et leurs proches. Ils vivent dans une zone grise. L'occupation russe ne change pas un état de vie en un autre. L'occupation russe est synonyme de torture, de disparitions forcées, de viols, de déni d'identité, d'adoption forcée de ses propres enfants, de camps de concentration et de fosses communes.
    L'histoire du père Stepan Podolchak, âgé de 59 ans, illustre parfaitement cette situation. Il y a deux mois, des Russes sont venus chez lui. Ils ont emmené le prêtre après avoir saccagé sa maison. Ils lui ont mis un sac sur la tête et il était pieds nus. Deux jours plus tard, les Russes ont annoncé à sa femme que le père Stepan Podolchak était mort. Les Russes l'ont torturé à mort uniquement parce qu'il a refusé de transférer son église au Patriarcat de Moscou.
    À titre d'avocate, je me trouve dans une situation très difficile. En effet, nous ne disposons d'aucun outil juridique pour mettre fin aux atrocités russes et sauver les civils ukrainiens. La guerre transforme les gens en nombres — et j'ai commencé à constater moi-même —, car l'ampleur des crimes de guerre est telle qu'il devient impossible de reconnaître toutes les histoires individuelles.
    J'aimerais cependant vous raconter l'une de ces histoires. Il s'agit de l'histoire d'Oleksandr Shelipov, un civil de 62 ans, qui a été tué par l'armée russe près de sa maison. Cette tragédie a fait l'objet d'une énorme couverture médiatique uniquement parce qu'il s'agissait du premier procès après le début de la guerre à grande échelle. Devant le tribunal, sa femme Kateryna a déclaré que son mari était un simple agriculteur, mais qu'il représentait tout son univers, et qu'elle avait maintenant tout perdu.
    Notre vrai travail, à titre d'avocats des droits de la personne, est de tenter de rendre aux gens leur nom, car la justice est le seul moyen d'y arriver. Nous voulons que justice soit rendue à toutes les victimes de cette guerre, indépendamment de leur identité, de leur position sociale, des types de crimes dont elles ont été victimes et du fait que les médias ou les organisations internationales s'intéressent ou non à leur cas, car la vie de chaque personne est importante.
    Je suis ici pour vous demander de soutenir notre combat pour la justice. Nous devons créer un tribunal spécial sur l'agression et demander des comptes à M. Poutine, à M. Lukashenko, aux hauts responsables politiques et aux commandements militaires de l'État russe, car toutes les atrocités que nous documentons actuellement découlent de leur décision de déclencher cette guerre. Ce n'est que logique. Si nous voulons éviter les guerres à l'avenir, nous devons punir les États et les dirigeants qui déclenchent de telles guerres dans le présent.
    Je vous remercie.
(1610)
    Nous passons maintenant aux questions.
    Nous entendrons d'abord M. Majumdar.
     Vous avez la parole. Vous avez cinq minutes.
    Je vous remercie de votre témoignage, de votre présence et de votre combat sans relâche pour le peuple ukrainien.
    J'aimerais d'abord vous poser une question sur les points que vous venez de soulever et de présenter.
    Les institutions internationales actuelles ne fournissent pas les outils que les procès de Nuremberg ont fournis pour poursuivre les personnes qui avaient ordonné des atrocités plutôt que les individus qui avaient commis ces atrocités. À titre d'avocate, comment un tribunal spécial peut‑il être constitué, selon vous? Quels sont les obstacles politiques et juridiques à surmonter?
    Combien de minutes puis‑je utiliser pour répondre?
    Nous partageons le temps imparti.
    Je crois que nous devons créer un tribunal spécial sur l'agression dans le cadre de la Cour internationale de Justice, car seul ce tribunal peut vaincre l'immunité dont jouit M. Poutine en vertu du droit international. C'est essentiel, car si nous créons un tel tribunal hybride sans cette possibilité, nous ne pourrons jamais expliquer au peuple ukrainien et au peuple canadien pourquoi la communauté internationale a créé un tribunal spécial pour intenter des poursuites contre les personnes responsables de crimes d'agression sans avoir la possibilité d'intenter des poursuites contre les hauts responsables.
    C'est une excellente réponse. Je vous remercie.
    En ce qui concerne l'Ukraine et les problèmes humanitaires auxquels les Ukrainiens font face aujourd'hui, quelle est, selon vous, la meilleure façon pour le Canada de fournir une aide humanitaire aux Ukrainiens?
    Puisque je suis avocate des droits de la personne, ma réponse semblera très bizarre, mais pour parler très franchement, nous avons besoin d'armes. Vous pouvez envoyer des dizaines de générateurs, mais un seul F‑16 peut protéger le ciel ukrainien des roquettes qui détruisent les systèmes énergétiques en Ukraine. Je pense qu'il est bien plus essentiel de ne pas se contenter d'éteindre les feux, mais de commencer à s'attaquer aux causes du problème.
    Je comprends.
    Il est parfois frustrant d'observer les événements à partir d'Ottawa et les promesses qui sont faites et qui ne sont pas tenues, notamment en ce qui concerne la production de défense, les fournitures d'armes et d'autres choses qui ont été achetées, mais qui n'ont pas encore été distribuées au peuple ukrainien. Je pense qu'il s'agit d'une mauvaise pratique du gouvernement sur laquelle nous devons nous pencher.
    Permettez-moi de vous interroger sur la persécution du patrimoine culturel ukrainien.
    Vous avez décrit une situation horrible dans laquelle la liberté religieuse a été sapée. Il s'agissait de s'incliner devant le Patriarcat de Moscou. Dans quelle mesure les protestants et les catholiques sont-ils persécutés en Ukraine aujourd'hui?
    Il y a plusieurs années, nous avons créé une table ronde religieuse. Nous avons invité différentes églises, confessions et organisations religieuses à collaborer avec les organisations de défense des droits de la personne, afin de garantir une situation de liberté religieuse dans les territoires occupés.
    La Russie prétend être un pays religieux, mais elle considère la religion comme une catégorie collective. Si vous ne faites pas partie de la machine militaire russe, votre religion sera persécutée. C'est la raison pour laquelle la Russie a délibérément organisé un système de persécutions religieuses dans les territoires occupés. Il s'agit là d'un véritable problème.
    Si j'ai bien compris, il nous reste environ une minute.
    Lorsque vous vous rendez dans des capitales comme Ottawa et dans d'autres pays du monde, quel est le principal message que vous souhaitez faire comprendre au monde entier, en soulignant que la guerre en Ukraine est liée à des régimes autoritaires dont les empiétements touchent le Moyen-Orient et la région indo-pacifique? Dans ce contexte, quel est le meilleur conseil que vous pourriez donner aux législateurs du monde démocratique?
    Je tiens à ce que tout le monde sache qu'il ne s'agit pas seulement d'une guerre entre deux États. C'est une guerre entre deux systèmes, à savoir l'autoritarisme et la démocratie. Avec cette guerre, M. Poutine tente de convaincre le monde entier que la démocratie, la primauté du droit et les droits de la personne sont de fausses valeurs parce qu'elles ne peuvent protéger personne pendant une guerre. Avec cette guerre, M. Poutine veut nous convaincre qu'une communauté dotée d'un fort potentiel militaire et d'armes nucléaires peut défier l'ordre international, dicter ses règles à l'ensemble de la communauté internationale et même modifier par la force des frontières internationalement reconnues.
    Si la Russie réussit, elle encouragera d'autres dirigeants autoritaires dans différentes parties du monde à lui emboîter le pas.
(1615)
    Madame Matviichuk, je vous remercie beaucoup d'être ici aujourd'hui.
    Je vous remercie, monsieur Majumdar.
    Madame Vandenbeld, vous avez la parole. Vous avez cinq minutes.
    Je vous remercie beaucoup d'être ici et je vous remercie de votre témoignage poignant. Soyez assurée que nous sommes tous à vos côtés, aux côtés du peuple ukrainien et de toutes les victimes de crimes de guerre pour lesquelles vous vous efforcez d'obtenir justice. Je sais qu'un grand nombre de ces victimes et survivants de crimes de guerre sont des femmes, en particulier lorsqu'il s'agit de violence sexuelle.
    Je sais également que les femmes sont des agentes de changement en Ukraine. J'aimerais que vous nous décriviez dans quelle mesure les Ukrainiennes participent à la documentation et à d'autres moyens de remporter le combat contre la Russie de Poutine.
    Je connais un nombre incroyable de femmes fantastiques dans différents domaines de la société ukrainienne. Quelque 60 000 Ukrainiennes se sont enrôlées dans les forces armées ukrainiennes. Les Ukrainiennes prennent des décisions politiques importantes. Elles coordonnent des initiatives civiles. Elles documentent des crimes de guerre. Les femmes sont à l'avant-plan de ce combat pour la liberté et la démocratie, car la bravoure n'a pas de sexe. D'un point de vue sexospécifique, la dimension de valeur de cette guerre est très visible.
    Dans les pays démocratiques, les femmes peuvent jouer le rôle qu'elle souhaite au sein de leur famille et de la société. En Russie et dans les autocraties, les femmes ne jouent que le rôle qui leur est assigné dans leur famille et la société. C'est le fondement d'un régime autoritaire, car les relations établies entre les personnes et la société reflètent toujours la manière dont un gouvernement se comporte envers son propre peuple.
    À des fins d'éclaircissements, dans ce combat contre la Russie, nous, les femmes ukrainiennes, nous battons pour nos filles. Nous voulons que nos filles n'aient jamais à faire face à des situations où elles doivent prouver à quelqu'un qu'elles sont des êtres humains.
    Je pense que c'est extrêmement convaincant.
    J'aimerais faire un commentaire sur une chose que vous avez dite. Nous savons que l'organisation que vous dirigez — et donc vous-même — est lauréate du prix Nobel de la paix. En même temps, vous comparaissez devant notre comité pour demander des armes. Cela peut parfois sembler contradictoire.
    Pouvez-vous expliquer ce que la paix signifie pour vous et pour le peuple ukrainien, et pourquoi vous êtes ici aujourd'hui — à juste titre, selon moi — pour demander les armes dont vous avez besoin dans ce combat pour restaurer la paix?
    Le problème, c'est que parfois, les communautés internationales ne définissent pas correctement le mot « paix ». La paix, c'est la liberté de vivre sans craindre la violence et d'avoir une perspective d'avenir à long terme. C'est une chose que nous n'avons pas en Ukraine, car notre pays est attaqué par les Russes.
    À titre d'avocate des droits de la personne, je ne dispose d'aucun instrument juridique pour mettre fin aux atrocités russes. Les troupes russes bombardent délibérément des bâtiments résidentiels, des écoles, des églises, des musées et des hôpitaux. Les soldats russes attaquent les corridors d'évacuation. Ils torturent les gens dans les camps de filtration. Ils emmènent de force les enfants ukrainiens en Russie. Ils enlèvent, volent, violent et tuent des civils dans les territoires occupés. L'ensemble du système international de paix et de sécurité n'est pas en mesure de les arrêter. C'est la raison pour laquelle je suis dans cette position. Lorsque quelqu'un me demande comment protéger les Ukrainiens, je dois répondre qu'il faut fournir des armes à l'Ukraine.
    À titre d'avocate des droits de la personne, je pense que cette situation est temporaire et que nous serons en mesure de rétablir l'ordre international avec une force légitime. Nous pourrons obtenir justice et rompre le cercle d'impunité dont la Russie jouit depuis des décennies en Tchétchénie, en Moldavie, en Géorgie, au Mali, en Libye et en Syrie. Nous serons en mesure d'assurer la paix dans notre partie du monde.
    Vous luttez en effet pour la paix pour nous tous et pour l'ensemble du monde démocratique. Nous vous en sommes très reconnaissants et nous vous soutenons.
    J'aimerais vous poser une brève question sur vos besoins les plus criants. J'imagine très bien que la tâche de documentation que vous avez entreprise est énorme. Quels sont vos besoins les plus criants en termes de soutien direct pour accomplir cette tâche?
(1620)
    Veuillez répondre en 25 secondes, s'il vous plaît.
    Nous avons besoin de professionnels sur le terrain, et pas seulement de formations et de consultants, car nous devons enquêter sur 130 000 procédures criminelles en ce moment.
    Je vous remercie.
    Je vous remercie, madame Vandenbeld.
    Monsieur Brunelle-Duceppe, vous avez la parole. Vous avez cinq minutes.

[Français]

    Merci, monsieur le président.
    Madame Matviichuk, je vous remercie d'être parmi nous aujourd'hui. C'est véritablement un honneur pour nous de vous recevoir. Vous représentez le courage et la force ainsi que l'amour de votre nation.
    J'ai eu la chance de connaître personnellement Mme Victoria Amelina, avec qui j'ai passé quelques jours. Toutes les conversations que j'ai eues avec elle m'ont ouvert les yeux à bien des égards. Elle aussi est l'incarnation du courage, de la force et de l'amour de son pays et de son peuple. On la pleure chaque jour, bien entendu. On pense à elle tous les jours.
    Vous avez beaucoup parlé de la création d'un tribunal spécial. Je pense qu'il s'agit d'une de vos plus importantes propositions. Ce tribunal agirait de façon parallèle à la Cour pénale internationale et traduirait immédiatement en justice les responsables de crimes de guerre.
    Pouvez-vous nous parler plus en détail de ce tribunal et de ses objectifs? Comment serait-il mis en place, selon ce que vous proposez?

[Traduction]

    Je vous remercie beaucoup de votre question et je vous remercie d'avoir mentionné ma très chère amie Victoria Amelina. Elle a été tuée par une roquette russe l'année dernière à Kramatorsk. Elle est un excellent exemple d'une écrivaine ukrainienne qui a commencé à documenter les crimes de guerre russes. Elle savait que parce qu'elle n'était qu'un être humain, ses efforts ne suffiraient pas à mettre fin à cette guerre, mais sans ses efforts, rien ne peut être arrêté.
    Lorsque nous parlons d'un tribunal spécial, nous devons décrire le problème. Le problème, c'est qu'aucun tribunal international ne peut poursuivre M. Poutine et son entourage en justice pour le crime d'agression. C'est la raison pour laquelle nous devons créer un tribunal spécial dans le but de prévenir les guerres à l'avenir. C'est un message pour l'avenir qui signale que si un État déclenche une guerre, qu'il la gagne ou la perde, il sera puni. Non seulement on aurait ainsi des mesures juridiques pour les guerres, mais cela rendrait aussi les guerres insensées.
    Il serait important de créer ce tribunal spécial dans les locaux d'organisations internationales, car nous pouvons imaginer que M. Poutine créera son propre tribunal au Venezuela, en Iran, au Nicaragua, en Syrie ou en Érythrée. C'est la raison pour laquelle nous travaillons sur deux plans, c'est‑à‑dire que soit nous créons ce tribunal spécial au siège de l'Organisation des Nations unies, ce qui suppose une majorité de voix difficile à obtenir, soit nous créons ce tribunal spécial dans les locaux d'organisations internationales régionales comme le Conseil de l'Europe.

[Français]

    Si je comprends bien votre démarche, logiquement, il faudrait mettre en place ce tribunal dès maintenant. Il ne faudrait pas attendre la fin de la guerre pour l'établir. Ai-je bien compris?

[Traduction]

    Oui, parce que le problème, c'est que nous regardons encore le monde dans l'optique des procès de Nuremberg, au cours desquels les criminels de guerre nazis n'ont été jugés qu'après l'effondrement du régime nazi. Nous vivons dans un nouveau siècle. La justice ne devrait pas dépendre de l'ampleur du pouvoir du régime de M. Poutine. Cela signifie que nous ne pouvons pas attendre. Nous devons créer un tribunal spécial dès maintenant et faire en sorte que M. Poutine et les autres criminels répondent de leurs actes.

[Français]

     Me reste-t-il du temps de parole, monsieur le président?

[Traduction]

    Il vous reste une minute et demie.

[Français]

    C'est parfait.
    De quelle façon pouvons-nous, en tant que parlementaires canadiens et québécois, vous aider dans votre démarche visant l'établissement d'un tel tribunal, madame Matviichuk? Je comprends que la communauté internationale a son rôle à jouer. Le Canada devrait-il avoir un rôle plus grand? Devrait-il faire l'équivalent de ce qui se fait par les autres pays?
    J'aimerais connaître votre opinion à cet égard.

[Traduction]

    Le Canada peut jouer un rôle de premier plan. Nous vivons dans un monde nouveau. Nous voyons encore le monde sous l'angle des États et des organisations interétatiques, mais je pense que les gens ont beaucoup plus de pouvoir qu'ils ne peuvent même l'imaginer. C'est la raison pour laquelle les citoyens du Canada, et votre Parlement, peuvent créer une demande de justice.
    En ce moment, je constate que les politiciens des différents pays considèrent que la justice est secondaire. Ils ne comprennent pas que la justice est une condition préalable à la paix dans notre partie du monde, où la Russie utilise la guerre depuis des décennies comme un outil pour servir des intérêts géopolitiques et les crimes de guerre comme une méthode pour gagner des guerres.
(1625)

[Français]

    Vous avez aussi...

[Traduction]

    Je vous remercie beaucoup.

[Français]

    Merci beaucoup.

[Traduction]

    Monsieur Johns, vous avez la parole. Vous avez cinq minutes.
    Je vous remercie beaucoup, madame Matviichuk, d'être ici et je vous remercie de votre courage, de votre force et de votre leadership dans cette terrible tragédie. Une jeune et forte Ukrainienne nommée Darka Harnyk a fait un stage dans mon bureau. Elle nous a aidés à comprendre le courage des femmes ukrainiennes dans la crise actuelle.
    J'aimerais commencer par parler des enfants. Nous avons appris que 19 500 enfants ukrainiens ont été enlevés et emmenés en Russie. Que peut faire le Canada pour aider au retour des enfants ukrainiens enlevés pendant cette guerre contre l'Ukraine?
    Le Canada est un chef de file dans la coalition internationale pour le retour des enfants ukrainiens, ce qui signifie qu'il peut lancer un grand nombre de mesures qui peuvent être prises simultanément par les États membres de cette coalition internationale. Par exemple, nous pouvons parler de sanctions. Nous devons montrer que les personnes impliquées dans la politique génocidaire consistant à emmener des enfants ukrainiens en Russie et à les élever comme des Russes seront punies. Le Canada peut également adresser à la vice-secrétaire générale des Nations unies, qui est responsable des enfants en temps de guerre, une demande visant à accorder le statut « d'enfant enlevé » aux enfants ukrainiens qui sont en Russie jusqu'à ce que le lieu où ils se trouvent et leur sort soient connus. Le Canada peut faire beaucoup de choses.
    Je vais me concentrer sur une autre chose que le Canada peut faire pour les enfants ukrainiens. Puisque les enfants vivent l'expérience de la guerre, et qu'il s'agit d'une expérience horrible, ils ont besoin d'une aide psychologique importante. Nous manquons aujourd'hui de spécialistes de la santé mentale en Ukraine pour leur apporter cette aide.
    Pour que vous puissiez comprendre les circonstances en jeu, j'aimerais vous raconter l'histoire d'un enfant ukrainien. C'est l'histoire d'un garçon de 10 ans, Ilya, de Marioupol. Lorsque les Russes ont tenté de s'emparer de la ville, ils n'ont pas permis au Comité international de la Croix-Rouge d'évacuer les civils. Ilya et sa mère se sont donc cachés dans le sous-sol de leur immeuble pour échapper aux bombardements russes. Ils ont fait fondre de la neige pour avoir de l'eau. Ils ont fait du feu pour cuisiner un peu de nourriture. Lorsque leurs réserves se sont épuisées, ils ont été contraints de sortir et de faire soudainement face aux bombardements russes. La mère d'Ilya a été blessée à la tête et la jambe du garçon a été déchiquetée. Avec beaucoup de force, la mère d'Ilya l'a emmené dans l'appartement d'un ami.
    Il n'y avait aucune aide médicale, car avant ces événements, les Russes avaient détruit les hôpitaux et toute infrastructure médicale à Marioupol. Dans l'appartement de cet ami, Ilya et sa mère se sont allongés sur le canapé et se sont serrés l'un contre l'autre. Ils sont restés ainsi pendant plusieurs heures. Ilya a raconté à ma collègue que sa mère est décédée dans ses bras.
    Je suis vraiment désolé d'entendre cette histoire.
    Je sais que vous avez rencontré le premier ministre hier. Le Canada fait partie de la coalition internationale. Nous croyons savoir que le premier ministre a l'intention de soulever la question lors des prochaines réunions du G7.
    Quelles devraient être les demandes, en particulier en ce qui concerne les soutiens à la santé mentale? Souhaitez-vous que des équipes de professionnels de la santé mentale viennent du G7 et de la communauté internationale pour soutenir les enfants en Ukraine?
    Je pense qu'il faut trouver des solutions durables. Cela signifie qu'il est probablement temps d'aider l'Ukraine à offrir un nouveau programme dans les universités pour former de nouveaux spécialistes de la santé mentale en Ukraine. Nous ne savons pas pendant combien de temps nous aurons besoin de ces spécialistes. Il ne peut s'agir d'une simple assistance temporaire.
(1630)
    Il y a beaucoup d'Ukrainiens à l'étranger — au Canada, par exemple — qui s'attendent à rentrer et à contribuer à la reconstruction de l'Ukraine à la fin de cette guerre. Le Canada, les Canadiens et d'autres pays pourraient-ils aider à former des Ukrainiens, afin qu'ils soient équipés pour retourner chez eux à la fin de ce conflit, qui, espérons‑le, viendra à terme?
    Nous ne savons pas si nous sommes à la fin, au milieu ou au début de la guerre. Par conséquent, nous n'avons pas le luxe de reporter beaucoup de choses après la période de guerre. Nous devons commencer la relance dès maintenant pour redonner un souffle à la collectivité locale et offrir aux gens la possibilité de retourner chez eux.
    Je vous remercie.
    Au nom du Comité, madame, je tiens à vous remercier de votre présence et de l'excellent travail que vous faites en tant qu'avocate spécialisée dans les droits de la personne. Je répète que votre prix Nobel est bien mérité.
    Je vous remercie.
    C'était un grand plaisir pour le Comité de vous accueillir. Merci beaucoup.
    La séance est suspendue.
(1630)

(1640)

[Français]

    Bon retour à tous. Nous reprenons la séance.
    Le Sous-comité commence maintenant son étude sur la situation actuelle au Soudan.
    Conformément à notre motion de régie interne à propos des tests de connexion, je souhaite informer le Sous-comité que tous les témoins ont effectué les tests de connexion requis avant la réunion.
    J'aimerais maintenant souhaiter la bienvenue aux témoins, qui sont avec nous par vidéoconférence. Nous recevons Mme Beatrice Lau, qui est conseillère juridique à Médecins sans frontières, ainsi que M. Santiago Stocker, qui est le directeur de programme pour le Soudan de l'International Republican Institute.
    Madame et monsieur, je vous souhaite la bienvenue.
    Chaque témoin disposera d'un maximum de cinq minutes pour prononcer son allocution. Par la suite, nous passerons aux questions.
    Madame Lau, je vous invite à faire votre allocution d'ouverture. Je vous cède la parole pour cinq minutes.

[Traduction]

    Je vous remercie de me donner l'occasion de m'adresser à vous aujourd'hui.
    Cette année, entre janvier et avril, j'étais au Soudan avec Médecins Sans Frontières, ou MSF. Nous fournissons actuellement de l'aide médicale dans neuf États du Soudan. D'après mon expérience sur le terrain, il n'est pas exagéré de dire que le Soudan est empêtré dans une malheureuse combinaison de conflits, de personnes déplacées, de malnutrition et de violence fondée sur l'appartenance ethnique et le genre.
    Le système de santé du pays est au bord d'un effondrement total, puisque de 70 à 80 % des établissements de santé ne sont plus opérationnels. Une menace réelle d'éclosions de maladies plane à l'horizon, car le programme national d'immunisation est interrompu depuis le début du conflit. Nos équipes ont administré les dernières fioles de vaccins il y a des semaines, et aucun nouvel approvisionnement ne s'est rendu dans les régions où les besoins sont criants.
    Malgré l'ampleur de cette crise humanitaire, nous constatons l'absence inquiétante d'autres intervenants humanitaires dans les régions où nous travaillons. C'est peut-être en partie attribuable à des préoccupations en matière de sécurité dans le contexte des combats violents qui se poursuivent dans certaines régions du pays, où des travailleurs humanitaires sont tués, blessés et harcelés, et où le matériel humanitaire est pillé. L'absence d'intervention humanitaire est également attribuable à un grave sous-financement. Il y a plus d'un mois, à la Conférence humanitaire internationale pour le Soudan qui s'est tenue à Paris, de nombreux pays se sont engagés à fournir de l'aide, y compris le Canada, qui a convenu de verser 132 millions de dollars. Malgré ces engagements, le plan d'intervention humanitaire pour le Soudan cette année reste financé à seulement 16 %.
    Dans mon intervention d'aujourd'hui, j'aimerais me concentrer sur un enjeu précis, à savoir le manque d'accès à l'aide humanitaire.
    À l'heure actuelle, on estime que 11 millions de personnes — soit près de la moitié des personnes qui ont besoin d'aide — se voient refuser de l'aide en raison de l'obstruction systématique des mouvements transfrontaliers par les deux opposants de ce conflit, et des restrictions des opérations transfrontalières imposées par le gouvernement du Soudan. Depuis que le pays a sombré dans la guerre, les opérations transfrontalières à partir du Tchad sont le seul moyen d'accéder à la région du Darfour. MSF, qui est sur place, confirme qu'il n'y a pas d'autres options viables pour atteindre cette partie du pays.
    À cet égard, la fermeture du poste frontalier d'Adré par le gouvernement du Soudan en février a considérablement limité l'aide qui peut maintenant atteindre le Darfour. C'est particulièrement inquiétant quand on sait que la majorité des 4,9 millions de personnes qui, selon les Nations unies, ne sont qu'à un pas de la famine se trouvent dans la région du Darfour, et que la possibilité d'intensifier les interventions pour éviter le pire diminue rapidement.
    La récente escalade militaire à El Fasher et ses environs, dans le Darfour du Nord, a rendu impossibles les opérations transfrontalières par le poste frontalier de Tine — le seul passage du Tchad auquel le gouvernement du Soudan a consenti après février. De plus, MSF et d'autres intervenants humanitaires continuent de rencontrer des obstructions systématiques et des refus délibérés de passage humanitaire sécuritaire de la part des deux parties en conflit. Depuis la fin de septembre, nos demandes visant à envoyer du personnel ou des fournitures médicales au‑delà des lignes de conflit ont été refusées à maintes reprises.
    L'absence persistante d'autorisations a récemment forcé MSF à suspendre son travail et à retirer du personnel de l'hôpital d'enseignement Madani, qui est le seul hôpital fonctionnel dans la capitale de l'État d'Al Djazirah. Avant l'interruption de nos activités, MSF était la seule ONG internationale à fournir de l'aide humanitaire médicale à Madani.
    Pour éviter que la crise ne tourne davantage à la catastrophe, il faut dès maintenant des interventions à tous les niveaux. Il n'y a pas de temps à perdre. Nous exhortons donc respectueusement le gouvernement canadien à faire deux choses.
    Premièrement, nous vous demandons de renforcer vos efforts diplomatiques pour exiger que les parties en conflit respectent leurs obligations en vertu du droit international humanitaire et leur engagement à l'égard du Traité de Djeddah. Plus précisément, ils devraient cesser immédiatement tous les actes de négation, d'obstruction et d'ingérence ou de politisation de l'action humanitaire et permettre un accès humanitaire sans entraves, y compris par toutes les lignes transfrontalières possibles, afin d'accélérer l'aide. Ils doivent aussi protéger les civils contre la violence et les missions médicales et humanitaires contre les attaques.
(1645)
    Deuxièmement, songez à augmenter votre engagement financier ou à rendre les fonds disponibles de façon souple et novatrice. Il ne faut pas oublier qu'il y a une société civile très dynamique au Soudan, et que des organisations soudanaises et des réseaux de bénévoles répondent à des besoins que les acteurs internationaux ne peuvent pas atteindre.
    Je vous remercie. Vous avez pris exactement cinq minutes.

[Français]

    Je donne maintenant la parole à M. Stocker, qui est le directeur de programme pour le Soudan de l'International Republican Institute.
    Monsieur Stocker, je vous souhaite la bienvenue. Vous avez la parole pour cinq minutes.

[Traduction]

    Merci, mesdames et messieurs les députés. Je suis heureux d'avoir l'occasion de vous faire part de mon point de vue sur la question du Soudan et de faire entendre la voix de nos partenaires soudanais, qui ont beaucoup souffert et qui ont désespérément besoin d'être écoutés.
    Il n'y a pas plus grande expression de l'autodétermination démocratique que le renversement populaire d'un dictateur. C'est ce qui s'est passé au Soudan en 2019, créant l'espoir que le Soudan entrerait dans une ère démocratique. Cependant, une transition pénible s'en est suivie, qui a finalement abouti à un coup d'État militaire en 2021, orchestré par les mêmes partis qui ont plongé le Soudan dans la guerre civile. La dévastation causée par cette guerre est pire encore parce qu'elle a été précédée d'une occasion ratée de faire une transition vers la démocratie.
    La vitesse et l'ampleur de l'effondrement du Soudan sont ahurissantes. À l'heure actuelle, le Soudan compte environ 8,8 millions de personnes déplacées et quelque 25 millions de personnes qui ont besoin d'aide humanitaire. Le Soudan est maintenant aux prises avec la plus grande crise de personnes déplacées en raison d'un conflit dans le monde, et l'une des plus importantes de l'histoire récente. En date du 24 mai, le projet de données sur la localisation et les événements de conflits armés a recensé plus de 17 000 victimes directes du conflit, et plus de 30 000 personnes blessées, selon le Comité international de secours. Ces chiffres sont prudents et ne comprennent pas les décès dus à la famine, aux blessures ou aux maladies, et ne tiennent probablement pas compte des morts attribuables à de multiples massacres de civils par les Forces de soutien rapide, ou FSR, et les milices alliées au Darfour. Même selon ces chiffres conservateurs, la guerre au Soudan est la plus meurtrière du continent africain.
    La guerre combine les pires tactiques d'une guerre à la fois conventionnelle et non. L'utilisation massive d'armes, y compris l'artillerie, les mortiers, les drones et les frappes aériennes, a causé des dommages majeurs aux zones peuplées et aux infrastructures civiles. En même temps, la mobilisation à grande échelle des forces ethniques et religieuses a entraîné une violence sectaire et une criminalité endémique au sein de la population.
    Une guerre soutenue présente des risques importants pour la région et, par extension, pour les intérêts américains et canadiens. Il est de plus en plus possible que le conflit ait un effet d'entraînement dans les États voisins. La stabilité de la mer Rouge, déjà menacée, sera encore plus précaire, et le risque d'extrémisme violent augmente. Les milices islamistes sont déjà mobilisées et combattent avec les FAS. Ces milices, avec leurs propres fins et leur idéologie extrémiste, sont des acteurs dangereux ayant un pouvoir de veto qui pourraient faire dérailler un éventuel processus de paix. Le Soudan présente de nombreux facteurs qui, selon les données empiriques, augmentent les risques d'extrémisme violent.
    Dans ce contexte, permettez-moi de parler brièvement de ce que fait l'International Republican Institute, ou IRI, au Soudan.
    À l'IRI, nous essayons de mettre en place les conditions nécessaires pour que les aspirations du peuple soudanais soient prises en compte par des mécanismes légitimes. Depuis 2019, nous travaillons à renforcer les composantes civiles pour qu'elles participent au processus de transition. L'IRI a appuyé l'établissement des plateformes de partis politiques pour les femmes et les jeunes, où des membres de différents partis politiques et d'anciens mouvements armés se sont réunis pour discuter des moyens d'améliorer l'inclusion des femmes et des jeunes dans les processus internes des partis et dans le cadre du processus de transition politique.
    Avec la coalition Taqaddum, nous soutenons nos membres par la formation et la défense des droits, et aidons à la planification de scénarios et aux négociations. Nous travaillons également avec les comités de résistance, qui ont joué un rôle clé dans la destitution d'al‑Bashir en 2019, afin de leur fournir les outils et les stratégies nécessaires pour organiser et participer pleinement aux processus politiques et à la défense des droits. En partenariat avec Internews, nous aidons les journalistes et les maisons de presse à faire des reportages sur la guerre et les violations des droits de la personne. Nous sommes reconnaissants de recevoir du financement de l'Agence américaine pour le développement international, ou USAID, et du département d'État des États-Unis pour mener à bien ces activités.
    Je remarque que ces acteurs de la société civile, qui revêtent une importance cruciale, font face à des menaces importantes, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du Soudan. De nombreux intervenants de la société civile n'ont pas pu quitter le Soudan pour assister à la récente conférence inaugurale de la coalition Taqaddum, à Addis-Abeba. Les membres des comités de résistance de la Taqaddum et d'autres organisations de la société civile ont été impitoyablement ciblés par les FAC et les FSR au Soudan. La communauté internationale doit en faire davantage pour protéger ces acteurs, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du Soudan.
    Passons maintenant à la question du cessez‑le‑feu et des négociations. Il est urgent d'arriver à un cessez‑le‑feu. Bien que les FSR en aient accepté à plusieurs reprises un cessez‑le‑feu de principe, les FAC ont rejeté ces appels et se sont engagées à se battre jusqu'à la victoire. Il est peu probable que les belligérants parviennent à un tel accord, à moins que les deux parties estiment que le coût des combats est plus élevé que le coût d'un cessez‑le‑feu.
(1650)
    La communauté internationale peut accroître les mesures punitives, y compris les sanctions, contre les dirigeants des Forces armées soudanaises et des Forces de soutien rapide, les fournisseurs d'armes internationaux et les principaux membres du gouvernement de coalition des FAS, y compris les entreprises et les groupes religieux radicaux qui sont membres de la coalition. Les forces civiles sont rarement incluses dans les négociations directes, mais nous savons qu'historiquement, en Afrique, les cessez‑le‑feu qui comprennent un calendrier pour la tenue de négociations ou pour l'avancement d'un processus de paix sont deux fois plus susceptibles d'être durables que les cessez‑le‑feu qui ne sont pas liés à des négociations de fond.
    Pourriez-vous conclure, s'il vous plaît? Le temps est écoulé.
    Oui, certainement.
    En conclusion, il n'y aura pas de cessez‑le‑feu tant que la communauté internationale n'augmentera pas considérablement les coûts pour les belligérants et ceux qui les parrainent. Il n'y aura pas d'accord de paix tant que les FAS, les FSR et le front civil ne seront pas inclus dans les négociations. Les négociations achopperont tant que les incompatibilités fondamentales qui ont mené à la révolution de 2019, au coup d'État de 2021 et à la guerre de 2023 n'auront pas été corrigées. Selon toute vraisemblance, cela ne pourra se concrétiser qu'avec l'inclusion des trois parties.
    C'est avec plaisir que je répondrai à vos questions.
(1655)
    Merci.
    Nous passons maintenant aux séries de questions.
    J'invite M. Majumdar à prendre la parole. Vous avez sept minutes.
    Merci.
    Monsieur Stocker, permettez-moi de commencer par vous.
    Quelque 14 700 personnes ont été tuées depuis 2023, et ce n'est pas fini. Vous avez mentionné les 8,6 millions de personnes déplacées et les 25 millions de personnes qui ont un besoin urgent d'aide humanitaire. Il s'agit de la plus grande crise de déplacement dans le monde actuellement. J'ai lu que 3,5 millions d'enfants de moins de cinq ans souffrent de malnutrition et que 30 civils ont été massacrés à El Fasher, il y a un peu plus d'une semaine.
    La guerre civile dure depuis près d'un an. Qu'est‑ce qui fait défaut dans la stratégie actuelle, selon vous? Quelles sont les lacunes?
    Premièrement, les répercussions pour les belligérants ne sont pas assez importantes pour favoriser un cessez‑le‑feu, pas plus que les répercussions pour les FSR, les FAS et ceux qui les soutiennent, d'ailleurs. Nous savons que les Émirats arabes unis, l'Arabie saoudite, l'Égypte, la Russie, l'Iran et d'autres soutiennent les belligérants, non seulement financièrement et politiquement, mais aussi par la fourniture d'armes et l'exploitation des minéraux, notamment l'or. Le soutien de ces parrains internationaux est essentiel à la poursuite du conflit.
    Comme je l'ai indiqué, il s'agit d'un conflit conventionnel, à certains égards. L'artillerie, les mortiers, les drones et les munitions qui servent aux frappes aériennes nécessitent un approvisionnement continu. Ce conflit est alimenté de l'extérieur; il faut donc augmenter considérablement les coûts pour les parrains et les belligérants eux-mêmes.
    Il faut un soutien accru à la coalition civile. Les acteurs de la société civile qui exercent de fortes pressions pour la paix nous disent qu'une plateforme de négociation unifiée doit être mise en place pour regrouper les processus de paix. Ils veulent que la communauté internationale prête attention au conflit, qu'elle élève la question et qu'elle utilise tous les leviers à sa disposition pour parvenir à un cessez‑le‑feu et à des négociations de fond pour régler les problèmes qui sont au cœur de ce conflit.
    Permettez-moi de poser une question complémentaire. Elle porte sur le coût humain si tragique associé à la nature du conflit. Quels risques ce conflit incessant représente‑t‑il pour l'ensemble de la région de la Corne de l'Afrique?
    Les risques sont nombreux. Premièrement, il y a le risque de débordement dans les pays voisins — Soudan du Sud, Égypte, Tchad, Libye —, pas seulement pour ce qui est des réfugiés, mais aussi des conflits potentiels. Il s'agit, dans bien des cas, de pays qui connaissent déjà des problèmes d'instabilité interne.
    Ensuite, il y a les risques d'extrémisme violent. Au Soudan, toutes les cases sont cochées. Les facteurs qui contribuent à la montée des grandes organisations extrémistes violentes sont réunis et présents. C'est très préoccupant, et c'est une dynamique qui pourrait avoir une incidence non seulement sur le Soudan, mais aussi sur la région, ainsi que sur les intérêts américains et canadiens.
    À cela s'ajoute le déplacement de population. On compte déjà près de neuf millions de personnes déplacées à l'intérieur du Soudan, mais environ deux millions de personnes ont été chassées du Soudan vers la région qui, comme je l'ai dit, éprouve déjà des problèmes de stabilité. Cela pourrait créer des pressions liées à l'immigration et aux réfugiés au‑delà de la région.
    Ce sont toutes des conséquences prévisibles et plausibles qui se déroulent sous nos yeux. C'est pourquoi la communauté internationale doit accorder beaucoup plus d'attention à ce qui se passe au Soudan.
    Selon vous, dans le contexte de la montée de l'extrémisme violent et radical découlant d'une guerre civile totale qui est loin d'être terminée, quelles seront les répercussions sur la migration vers l'Europe et à l'extérieur de la région en général, à l'échelle mondiale, comme ce que vous venez de décrire?
    On sous-estime à quel point le conflit pourrait empirer. Comme je l'ai mentionné, les déplacements internes atteignent déjà des niveaux sans précédent et les déplacements externes sont aussi extrêmement importants. Ce conflit pourrait s'envenimer davantage, de nombreuses façons prévisibles. La montée d'importantes organisations extrémistes violentes pourrait jouer un rôle à cet égard.
    Le conflit est déjà plus complexe qu'auparavant. Beaucoup d'acteurs armés et d'intérêts sont en jeu, et lorsque tant d'intérêts sont en jeu, le conflit et son évolution deviennent beaucoup plus difficiles à prévoir et à résoudre. Une escalade importante pourrait se produire, ce qui augmenterait considérablement les pressions qui s'exercent déjà, non seulement sur les pays de la région, mais aussi sur l'Europe et d'autres régions.
(1700)
    Merci beaucoup.
    Madame Lau, dans le temps qui me reste — une ou deux minutes —, j'aimerais connaître votre point de vue. Plus précisément, comment les Forces de soutien rapide et les Forces armées soudanaises ont-elles entravé la livraison de l'aide humanitaire au Soudan? Quels sont certains des obstacles techniques auxquels vous êtes confrontés, en particulier sur le terrain?
    Premièrement, au Soudan, nous avons besoin de permis de voyage — une autorisation des autorités respectives pour déplacer du personnel ou des fournitures d'aide à un endroit donné —, où que nous allions. C'est le cas des zones contrôlées par les FAS et les FSR. On constate que c'est de plus en plus difficile. En fait, de septembre 2023 à maintenant, nous n'avons réussi à obtenir aucun permis de voyage pour un déplacement de l'autre côté ou pour traverser la ligne, ce que nous appelons un déplacement au‑delà de la ligne de front.
    Même au cours des deux ou trois derniers mois, de plus en plus, même dans les secteurs contrôlés par les Forces de soutien rapide, par exemple, il est devenu impossible d'acheminer des fournitures de Khartoum à l'État d'Al Jazirah, qui est toujours dans la zone contrôlée par les FSR. Nous n'avons obtenu aucune autorisation de déplacer ces fournitures et ce personnel.
    Merci.
    Notre troisième témoin vient d'arriver; nous devons donc suspendre la séance.
(1700)

(1700)

[Français]

    Nous reprenons la séance.

[Traduction]

    Je voudrais souhaiter la bienvenue à Mme Nazik Kabalo, directrice de la Sudanese Women Rights Action.
    Madame, bienvenue au Comité. La parole est à vous pour cinq minutes.
    Monsieur le président et chers membres du sous-comité, c'est un honneur pour moi de témoigner devant vous aujourd'hui pour vous fournir des renseignements sur la situation relative aux droits de la personne au Soudan.
    Après 13 mois de guerre, le Soudan est devenu une terre d'horreur et de famine. La population, qui compte 49 millions de personnes, dont plus de 20 millions d'enfants, vit dans un état qui s'est effondré. Selon les derniers appels des Nations unies, la moitié de la population a besoin d'une aide humanitaire d'urgence et 18 millions de personnes souffrent d'une faim extrême, dont 3,5 millions d'enfants qui souffrent de malnutrition aiguë.
    Selon un rapport publié par Human Rights Watch le mois dernier, les FSR commettent des actes de nettoyage ethnique, des crimes contre l'humanité et des crimes de guerre, et utilisent la famine et la violence sexuelle comme des armes de guerre dans le Darfour occidental. Les recherches que nous avons effectuées sur d'autres régions du Soudan et les rapports d'autres groupes locaux et internationaux confirment que le même type de violations graves des droits de la personne est commis dans d'autres zones de conflit au Soudan, notamment à Al Jazirah, à Khartoum et au Kordofan.
    Au moment où je m'adresse à votre comité, El Fasher, où vivent plus de deux ou trois millions de personnes, est assiégée par les FSR. Ces deux derniers jours, plus de 48 personnes ont été tuées. Les C ont procédé à des bombardements à l'aveugle dans les zones de conflit du Soudan, tuant des civils et détruisant des hôpitaux, des ponts et d'autres biens publics et privés.
    Au Soudan, les parties au conflit ne respectent pas le droit humanitaire international et utilisent de l'artillerie lourde et bombardent les zones résidentielles des villes les plus peuplées du pays. Ces attaques indiscriminées contre des zones civiles ont entraîné la destruction de biens publics et privés et d'infrastructures de base, et ont privé des millions de personnes de l'accès aux services de base comme l'eau, l'électricité, les soins de santé, l'éducation et les moyens de communication.
    La guerre au Soudan est alimentée par l'envoi continu d'armes et de ressources financières par d'autres pays. Il est bien établi que les Émirats arabes unis soutiennent les FSR, tandis que d'autres pays, dont l'Iran et la Russie, appuient les FAS.
    La réaction du Canada dans le cadre de son engagement au Soudan n'a pas été assez forte et il n'a pas placé la situation de ce pays en tête de l'agenda des affaires étrangères. Le Canada a obtenu des résultats remarquables en matière de soutien aux processus de paix au Soudan depuis l'accord de paix de 2005. Ce bilan et cette expérience doivent être mis à profit pour promouvoir la paix et mettre fin aux souffrances du peuple soudanais. Le Canada doit envisager plus sérieusement l'importance stratégique du conflit au Soudan et la placer au cœur de ses préoccupations en matière de paix et de sécurité en Afrique, au Moyen-Orient et dans le reste du monde.
    Je demande aux membres du Comité et au gouvernement canadien de prendre des mesures pour inciter les parties au conflit à respecter leurs obligations en vertu du droit humanitaire international; de mettre en œuvre les engagements du gouvernement canadien en matière de protection des civils et de protection des femmes et des filles dans le cadre du plan d'action national du Canada, en appliquant la résolution 1325 et les autres engagements pris dans le cadre de la politique étrangère féministe du Canada; d'augmenter le financement de l'aide humanitaire et de soutenir la société civile locale en vue de répondre à l'expansion de la crise, notamment grâce à des initiatives menées par des femmes et des jeunes; de veiller à ce que le gouvernement canadien intervienne davantage au niveau le plus élevé dans la situation au Soudan; de rétablir une présence diplomatique canadienne dans le pays; de nommer un envoyé spécial qui contribuera aux efforts de rétablissement de la paix; de revoir les plans relatifs à l'immigration et à la réinstallation annoncés pour les Soudanais afin de répondre aux besoins croissants et de s'aligner sur d'autres plans mis en œuvre pour d'autres pays comme l'Ukraine; de collaborer avec d'autres membres du Conseil de sécurité pour étendre l'embargo sur les armes au Darfour à l'ensemble du Soudan; de soutenir les appels en faveur d'un renvoi de la situation au Soudan devant la Cour pénale internationale afin que sa compétence soit élargie à toutes les zones de conflit du Soudan où des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité ont été prétendument commis; et de prendre des mesures efficaces pour mettre fin au soutien apporté aux parties au conflit au Soudan par des pays comme les Émirats arabes unis, la Russie et l'Iran, notamment en mettant fin à la vente d'armes aux Émirats arabes unis.
    Merci, monsieur le président.
(1705)
     Merci, madame Kabalo.
    Je vais ouvrir la séance de questions et de réponses.
    J'invite M. Ali Ehsassi à prendre la parole pour sept minutes.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Merci beaucoup à nos témoins de comparaître devant nous aujourd'hui. Leurs exposés sont très instructifs et j'ajouterais qu'ils donnent à réfléchir.
    Je vais commencer par Mme Lau.
    M. Majumdar nous a présenté des statistiques qui font froid dans le dos. Je me souviens qu'en février, Médecins sans frontières affirmait qu'un enfant mourait toutes les deux heures dans la région de Zamzam, au Soudan. Les choses se sont-elles améliorées depuis ou ont‑elles empiré?
    Malheureusement, non, la situation est en fait... Nous avons plus de possibilités de mener — par exemple, avec Médecins sans frontières — des évaluations nutritionnelles ailleurs que dans le camp de Zamzam, dans le Darfour du Nord. Ces derniers mois, nous avons mené des évaluations nutritionnelles dans le Darfour-Occidental, le Darfour du Sud et à Gedaref. Nous sommes également présents dans d'autres régions du Soudan.
    Tous les résultats semblent confirmer que la situation de malnutrition extrême ou aigüe ne se limite pas au Darfour du Nord et au Zamzam. Le Zamzam est peut-être la première région pour laquelle nous avons réussi à tirer la sonnette d'alarme. Le monde entier a appris qu'une crise de malnutrition catastrophique se déroulait au Soudan.
    Malheureusement, il ne s'agit pas que de cette partie du pays...
(1710)
     J'en suis parfaitement conscient. Je disais simplement que c'était la pire situation, d'après ce que j'ai pu comprendre.
    Pourriez-vous nous expliquer la situation actuelle? Je comprends que des atrocités sont commises de part et d'autre de ce conflit. Selon vous, quelle est l'initiative multilatérale la plus crédible pour garantir l'acheminement de l'aide humanitaire vers ce pays?
    C'est précisément ce que nous considérons comme l'une des initiatives les plus importantes à prendre pour débloquer l'accès humanitaire...
    Quelqu'un est‑il aux commandes? Y a‑t‑il, selon vous, une initiative en cours que les pays du monde entier devraient soutenir?
     Pour autant que je sache, il n'existe pas de plateforme sur laquelle les deux parties se soient mises d'accord. Cela rend la situation très difficile à cause de ce que nous avons vu. Par exemple, Médecins sans frontières et même les agences de l'ONU ont essayé de dialoguer sur une base bilatérale avec chacune des parties pour résoudre la question de l'accès humanitaire. Le problème est que, lorsque l'une des parties accepte de faire quelque chose pour améliorer la situation, l'autre partie trouve une façon de saboter ses efforts et de les annuler.
    Il nous faut en effet trouver une sorte de plateforme pour réunir les parties et débloquer la situation.
    Merci pour votre réponse, madame Lau, et pour tous les efforts que vous déployez.
    Je vais maintenant m'adresser à M. Stocker.
    Vous avez suggéré qu'une assistance soit fournie aux coalitions civiles. Dans la mesure du possible, existe‑t‑il des réseaux de distribution qui pourraient s'assurer que les fournitures parviennent aux coalitions civiles dans tout le pays?
    Certains des travaux les plus importants réalisés sur le terrain au Soudan sont effectués par des organisations soudanaises, des services d'urgence et des comités de résistance, et ces organismes ont besoin d'un soutien direct. Ce besoin a été exprimé par l'administratrice de l'USAID, Samantha Power, et par d'autres personnes qui comprennent et savent que la communauté internationale doit trouver des moyens créatifs de financer et de soutenir directement les organisations sur le terrain qui fournissent des services médicaux et autres au niveau local, dans les quartiers et les collectivités. Il existe des moyens d'y parvenir. Ces efforts nécessiteront la détermination, la créativité et la coordination de la communauté internationale, mais le besoin est impératif.
    Nous devons également soutenir la coalition civile hors du Soudan. Il existe une coalition très crédible, Taqaddum, qui vient de tenir sa conférence fondatrice, ainsi que d'autres groupes de la société civile qui sont en première ligne pour pousser à la négociation. Ils sont tout à fait disposés à envisager n'importe quelle plateforme, n'importe quel forum ou n'importe quelle voie pour entamer des pourparlers. Ils ont besoin de soutien et, j'ajouterais, de protection. Il s'agit des membres des organisations à l'intérieur et à l'extérieur du Soudan, qui sont persécutés et ciblés par les deux parties et qui, à l'extérieur, sont confrontés à de nombreuses difficultés liées à leur financement, à leurs déplacements et à leur résidence. Ils ont réellement besoin d'aide pour mener à bien leurs opérations de base. Le fait est qu'au bout du compte, l'avenir de la démocratie au Soudan sera négocié par ces acteurs, et que tout soutien qu'on leur apportera pour les aider à opérer efficacement et en toute sécurité sera bienvenu et productif.
    Merci.
     Il me reste très peu de temps, mais je pense que je vais m'adresser à Mme Kabalo, que Mme Vandenbeld connaît bien et dont elle fait toujours l'éloge.
    J'aimerais savoir si vous avez d'autres conseils à nous donner. Votre témoignage nous a été très utile, mais j'aimerais vous donner la possibilité de souligner toute question que vous aimeriez mettre en lumière.
    Merci beaucoup.
    Je tiens à souligner que dans le cas des organisations locales, des groupes de femmes et des groupes de jeunes qui travaillent sur le terrain, il ne s'agit pas d'un problème d'accès, mais de financement. De nombreux groupes de femmes et de jeunes sur le terrain tiennent bon et nourrissent des millions de personnes à Khartoum, une région où aucune organisation non gouvernementale internationale ou organisation d'aide internationale n'a pu mettre les pieds depuis le début de la guerre. Tous les habitants de Khartoum dépendent entièrement de l'aide humanitaire et des initiatives locales. Je sais que l'organisation Médecins sans frontières est présente à Khartoum, mais d'autres organisations, en particulier celles qui fournissent de la nourriture et d'autres formes d'aide à la subsistance, n'y sont pas.
     Ce dont nous avons besoin, c'est d'une reconnaissance accrue des efforts de la réponse locale, qui a comblé les lacunes de l'absence des organisations internationales dans l'offre d'une aide au Soudan. Nous avons besoin que vous vous efforciez de combler les lacunes en matière de financement pour nourrir la population sur le terrain, car à l'heure actuelle, le principal problème est la faim, et nous devons agir dès maintenant. Je pense que la communauté internationale doit comprendre que l'État du Soudan s'est effondré — il n'y a actuellement pas d'État au Soudan — et que tous les groupes locaux fonctionnent actuellement comme un semi-gouvernement. Juste avant de vous parler, je discutais de la manière de fournir un système fonctionnant à l'énergie solaire à un hôpital qui sert plus d'un million d'habitants à Khartoum. Voilà comment nous devons les aider à s'assurer que les choses fonctionnent.
(1715)

[Français]

    Merci, madame Kabalo.
    Je cède maintenant la parole à M. Brunelle‑Duceppe pour sept minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Je remercie tous les témoins qui participent à la réunion d'aujourd'hui.
    Monsieur Stocker, le 14 novembre 2023, la secrétaire générale adjointe de l'ONU, qui est aussi conseillère spéciale pour la prévention du génocide, a publié une déclaration dans laquelle elle s'alarmait de la violence au Darfour. Selon cette déclaration, le risque d'actes génocidaires et de génocides est très élevé. Plus récemment, en avril 2024, le Centre Raoul Wallenberg pour les droits de la personne soulevait les mêmes craintes.
    Quel est votre point de vue sur cette déclaration et ces craintes quant au risque d'actes génocidaires ou de génocides au Darfour?

[Traduction]

    Je laisserai à d'autres le soin de se prononcer sur l'aspect juridique. Cependant, l'existence d'un nettoyage ethnique à grande échelle de divers groupes au Darfour est bien documentée. Certains de ces groupes avaient été la cible de génocides antérieurs. Les massacres se poursuivent et le risque de génocide est important.
    El Fasher étant assiégée — je pense que cette ville compte aujourd'hui deux ou trois millions d'habitants, dont quelque 800 000 déplacés —, il s'agit d'un risque important. Récemment, des communautés et des minorités ethniques à l'intérieur et autour d'El Fasher, comme les communautés Zaghawa, ont récemment été ciblées par les FSR. D'autres groupes, comme les Masalit et les Fours, ont été pris pour cible en raison de leur identité ethnique par les FSR et la milice arabe qui est leur alliée.
    Il ne fait aucun doute que ces meurtres ont lieu et qu'ils sont, à bien des égards, perpétrés sur la base de l'appartenance ethnique. Il est possible que ces meurtres se produisent à plus grande échelle. C'est pourquoi nous devons absolument examiner la situation d'El Fasher, qui est assiégée et qui compte, comme je l'ai dit, près de trois millions d'habitants. Nous pourrions être confrontés à des scénarios catastrophiques. C'est une raison supplémentaire d'attirer l'attention de la communauté internationale sur cette question.

[Français]

    Merci beaucoup, monsieur Stocker.
    Madame Lau, ma prochaine question s'adresse à vous, puisque votre organisation a une immense expertise en matière de conflits armés un peu partout sur la planète.
    On a l'impression que la communauté internationale ne porte pas d'intérêt au conflit au Soudan. On a l'impression que ce conflit passe sous le radar et que la communauté internationale ne s'intéresse pas à ce qui se passe au Soudan.
    Faites-vous le même constat? Si oui, comment expliquer ce désintérêt?
(1720)

[Traduction]

    D'après notre expérience, il est très difficile d'attirer l'attention des pays donateurs et de la communauté internationale sur la situation au Soudan et de leur faire prendre conscience de tous les problèmes auxquels nous sommes confrontés, notamment la malnutrition, l'effondrement des installations sanitaires et du système de santé, ainsi que la menace d'une épidémie. Il est très difficile de faire passer ce message et d'attirer l'attention nécessaire à l'obtention d'un financement pour que, par exemple, les acteurs humanitaires sur le terrain puissent apporter l'intervention humanitaire tant attendue. Comme je l'ai mentionné dans mon exposé, cette situation s'explique en partie par les préoccupations en matière de sécurité. Cependant, dans les zones éloignées de la ligne de front, de la ligne de conflit, et qui sont assez facilement accessibles d'un point de vue logistique — par exemple, dans l'État du Nil Blanc — nous ne voyons pas non plus d'acteurs internationaux sur le terrain. Lorsque les opérations transfrontalières étaient possibles, avant que le gouvernement soudanais ne décide de fermer le poste-frontière en février, les agences de l'ONU menaient également des opérations transfrontalières très limitées.
    Il se peut que cette situation soit due à ce que nous avons vu sur le terrain, à savoir que les Nations unies ont, depuis avril dernier, attribué au Soudan le niveau de sécurité « évacuation ». Cela signifie que tous les organismes des Nations unies et éventuellement leurs partenaires de mise en œuvre ne peuvent pas se trouver au Soudan, sauf dans la partie orientale, à Port-Soudan. Ils ne peuvent pas y passer la nuit. Cela explique également pourquoi on n'a pu observer qu'une présence ou une réponse humanitaire très limitée sur le terrain.
    Le financement, la sécurité et peut-être certaines restrictions auto-imposées expliquent l'absence de réponse.

[Français]

    Il me reste peu de temps de parole, mais j'aimerais m'adresser à vous, madame Kabalo.
    Pouvez-vous nous parler des conséquences que ce manque d'intérêt de la communauté internationale peut avoir sur le conflit? Je pense notamment à la possibilité de cessation des hostilités, à l'impunité pour les crimes d'atrocité présumés et à l'intervention humanitaire. Quelles sont les conséquences du désintérêt de la communauté internationale envers le conflit qui se passe actuellement au Soudan?

[Traduction]

    Juste avant cette séance, vous avez parlé de l'Ukraine. Dans l'intérêt de la communauté internationale, il n'y a aucune comparaison entre ce qui se passe en Ukraine, une guerre qui dure depuis deux ans, et ce qui se passe au Soudan et, de la même manière, à Gaza. Le Soudan est littéralement enterré sous Gaza et l'Ukraine dans l'agenda de la communauté internationale. Il faut que cela change rapidement. Hier soir encore, notre vice-président du Conseil souverain de transition s'est envolé pour la Russie afin de conclure un accord sur l'ouverture de notre port à la Russie, probablement pour qu'elle puisse y installer une base militaire.
    Je pense que la négligence de la communauté internationale à l'égard de ce qui se passe au Soudan est, d'un point de vue stratégique et pour la sécurité mondiale, une erreur que la communauté internationale pourrait payer très cher. Le problème est le même pour d'autres situations en Afrique de l'Ouest et dans d'autres pays d'Afrique. La communauté internationale et le monde occidental doivent ouvrir grand les yeux, car la guerre qui se déroule actuellement au Soudan est une guerre par procuration. C'est un fait. La Russie, les Émirats arabes unis et l'Iran sont impliqués. Cette guerre ne concerne pas seulement le peuple soudanais. Lorsque nous en parlons comme d'une guerre du peuple soudanais, nous ne tenons pas compte de ces facteurs, car sans les armes, l'argent et les ressources fournis aux deux parties belligérantes, cette guerre ne se serait jamais poursuivie.
     Je vous demande humblement d'agir pour mettre un terme au financement de cette guerre.
    Merci, madame Kabalo.

[Français]

    Merci à tous les témoins.

[Traduction]

    J'invite maintenant M. Johns à prendre la parole pour sept minutes. Allez‑y.
     Merci à tous pour vos témoignages très importants dans le cadre de cette terrible crise humanitaire et de ce conflit.
    Il est évident que les femmes et les jeunes filles souffrent énormément dans cette crise, et nous avons entendu des rapports épouvantables sur la violence sexuelle armée et les conséquences de la malnutrition périnatale.
    Madame Kabalo, pourriez-vous nous faire part des principales lacunes en matière de services et d'aide pour les femmes et les jeunes filles au Soudan? Sur quels domaines les fonds et les efforts internationaux doivent‑ils se concentrer en priorité?
(1725)
     Ces huit derniers mois, j'ai effectué des recherches sur les violences sexuelles commises au Soudan, et les résultats que nous avons obtenus sont bouleversants. Au Soudan, la violence sexuelle est non seulement utilisée comme une arme, mais elle fait aussi partie du butin de guerre. Pour les troupes qui travaillent sur le terrain dans des régions comme Khartoum et Al Jazirah, l'un des incitatifs au combat est le viol des femmes. Voilà comment les femmes et leur corps sont traités, comme si elles faisaient elles-mêmes partie des zones de combat.
    À l'heure actuelle, nous avons surtout besoin qu'on apporte une aide aux organisations locales de femmes et aux organisations internationales qui s'efforcent de protéger et d'aider les victimes de violences fondées sur le sexe. Au Soudan, nous ne disposons même pas de trousses de prélèvement en cas de viol. Le problème majeur auquel nous sommes confrontés en ce moment est la question des grossesses de femmes victimes de viol et des enfants nés de ces viols, dont personne ne veut s'occuper. C'est un problème majeur en ce moment.
    Les trousses de prélèvement en cas de viol, le soutien psychologique et le financement de l'évacuation des victimes des zones de combat sont les principaux problèmes. Les groupes locaux de femmes sur le terrain qui tentent de soutenir les survivantes sont également attaqués, en particulier par FAS à Port-Soudan et par les FSR dans les zones qu'elles contrôlent.
     Madame Kabalo, merci de nous faire part des horreurs qui se déroulent sur le terrain.
    Pouvez-vous nous parler davantage de ce que le monde doit savoir sur la situation actuelle? Le moment est‑il déterminant? Quels sont les éléments de ce conflit dont nous n'entendons pas assez parler?
    L'un des principaux problèmes du Soudan à l'heure actuelle — et la raison pour laquelle vous n'en entendez pas parler — est que 70 à 80 % du pays vit sans communication depuis quatre mois. Auparavant, l'infrastructure de communication du pays avait été affaiblie par sa destruction délibérée par les parties belligérantes. En outre, le gouvernement des SAF au Soudan a rétabli les lois de sécurité de l'ancien régime qui empêchent les défenseurs des droits de la personne de documenter les violations sur le terrain. Au Soudan, vous pourriez être tué simplement parce que vous avez un téléphone intelligent sur vous. Ces appareils font également partie du butin de guerre.
    Au Soudan, les gens vivent à nouveau à l'ère des lettres. Nous sommes complètement déconnectés du monde. Même pour vérifier que quelqu'un est décédé dans l'une des villes du Soudan, il faut attendre 7 à 10 jours. C'est le temps nécessaire pour confirmer le décès d'un père, d'une mère ou d'un oncle. Ce sont là quelques‑uns des principaux problèmes que nous rencontrons actuellement.
    Les acteurs humanitaires sur le terrain ont besoin de financement et de soutien pour reconstruire les infrastructures de communication au Soudan et pour trouver d'autres solutions, comme l'utilisation de la communication par satellite, comme on l'a fait en Ukraine. Il faut aussi que les défenseurs des droits de la personne documentent les faits, que les médias les rapportent et que le monde prenne des mesures.
     Mme Kabalo vient de parler des répercussions du commerce des armes sur le Soudan, et plus particulièrement du rôle que jouent la Russie, la Chine et l'Iran dans l'armement des parties belligérantes.
    Monsieur Stocker, pourriez-vous nous dire ce que le Canada devrait faire pour remédier à ce problème. Que devrait faire la communauté internationale? Dites-nous où le Canada apporte une aide et où il n'en apporte pas suffisamment, et ce qu'il pourrait faire de plus dans le cadre du rôle diplomatique qu'il pourrait jouer.
     Tout d'abord, il faut accroître les coûts pour les parties qui fournissent des armes aux belligérants. Comme je l'ai dit, il s'agit à bien des égards d'un conflit conventionnel. Il cause d'énormes dégâts à la population civile et aux infrastructures. Nous savons très bien qui fournit les armes, mais les coûts imposés à ces acteurs sont faibles. Le Canada doit prendre toutes les mesures possibles vis‑à‑vis de l'Arabie saoudite, des Émirats arabes unis et de l'Égypte pour utiliser son influence et celle d'autres membres de la communauté internationale en vue d'imposer des coûts.
    La nomination d'un représentant spécial serait utile. Nous avons vu l'envoyé spécial américain. Sa nomination a été productive et a démontré un intérêt accru de la part des États-Unis. Il a eu une série d'interactions très utiles. Ce genre d'engagement serait donc utile.
    Quels que soient les coûts qui pourraient être imposés aux fournisseurs d'armes externes, ainsi qu'aux belligérants eux‑mêmes et à toutes les entreprises et organisations qui les soutiennent... Des sanctions ont été prises à l'encontre d'une poignée d'entités et de personnes, mais elles sont loin d'être suffisantes pour constituer un effort vigoureux.
(1730)
    Merci beaucoup.
     Madame Lau, Médecins Sans Frontières a présenté un très bon exposé. Ce que nous lisons et entendons — les statistiques et les répercussions de ce conflit et de cette guerre — est terrible. Votre exposé contient‑il des éléments que vous n'avez pas eu l'occasion de souligner et sur lesquels nous devrions insister lorsque nous ferons part de nos préoccupations au gouvernement du Canada?
    Comme je l'ai souligné, le problème principal est l'accès à l'aide humanitaire. La communauté diplomatique doit redoubler d'efforts pour faire pression sur les deux parties au conflit afin de débloquer l'accès humanitaire. Sans cela, même s'il y a des fonds et même si plus d'acteurs peuvent apporter une aide, celle‑ci ne pourra pas atteindre la population.
    L'autre aspect concerne le financement. Je suis tout à fait d'accord avec Mme Kabalo, et j'y ai fait allusion dans mes remarques préliminaires. Étant donné que seulement 16 % du plan de réponse humanitaire est financé, il est bien sûr essentiel d'augmenter le financement. Nous devons également envisager une voie non traditionnelle ou une voie plus créative, une voie innovante qui nous permette d'acheminer les fonds vers les acteurs qui pourront apporter une réponse, comme le réseau de volontaires et peut-être certaines des sociétés civiles qui peuvent répondre aux besoins sur le terrain en ce moment.
    Merci beaucoup.
    Merci à tous.

[Français]

    Je remercie les témoins de leurs témoignages et de leur participation à notre importante étude.

[Traduction]

    Plaît‑il au Comité de lever la séance?
    Des députés: Oui.
    Le président: La séance est levée. Bonne continuation à tous.
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