FAIT Réunion de comité
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37e LÉGISLATURE, 2e SESSION
Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international
TÉMOIGNAGES
TABLE DES MATIÈRES
Le mardi 8 avril 2003
¿ | 0910 |
The Chair (Mr. Bernard Patry (Pierrefonds—Dollard, Lib.)) |
M. Michael Hawes (directeur général, Programme Fulbright Canada-États-Unis) |
¿ | 0915 |
¿ | 0920 |
¿ | 0925 |
Le président |
Mme Annette Hester (directrice, Centre de recherche de l'Amérique latine, Université de Calgary) |
¿ | 0930 |
¿ | 0935 |
¿ | 0940 |
Le président |
M. Stockwell Day (Okanagan—Coquihalla, Alliance canadienne) |
M. Michael Hawes |
¿ | 0945 |
M. Stockwell Day |
M. Michael Hawes |
La vice-présidente (L'hon. Diane Marleau (Sudbury, Lib.)) |
Mme Francine Lalonde (Mercier, BQ) |
M. Michael Hawes |
Mme Francine Lalonde |
¿ | 0950 |
M. Michael Hawes |
La vice-présidente (L'hon. Diane Marleau) |
Mme Annette Hester |
Mme Francine Lalonde |
Mme Annette Hester |
¿ | 0955 |
La vice-présidente (L'hon. Diane Marleau) |
M. Murray Calder (Dufferin—Peel—Wellington—Grey, Lib.) |
Mme Annette Hester |
À | 1000 |
M. Michael Hawes |
À | 1005 |
Mme Annette Hester |
La vice-présidente (L'hon. Diane Marleau) |
M. Keith Martin (Esquimalt—Juan de Fuca, Alliance canadienne) |
M. Michael Hawes |
À | 1010 |
Mme Annette Hester |
M. Michael Hawes |
Mme Annette Hester |
M. Michael Hawes |
La vice-présidente (L'hon. Diane Marleau) |
Mme Karen Redman (Kitchener-Centre, Lib.) |
À | 1015 |
Mme Annette Hester |
M. Michael Hawes |
Mme Annette Hester |
À | 1020 |
Mme Karen Redman |
M. Michael Hawes |
Le président |
M. Stéphane Bergeron (Verchères—Les-Patriotes, BQ) |
À | 1025 |
M. Michael Hawes |
Mme Annette Hester |
À | 1030 |
M. Stéphane Bergeron |
Le président |
M. Stéphane Bergeron |
Le président |
M. Michael Hawes |
À | 1035 |
Mme Annette Hester |
Le président |
Mme Karen Kraft Sloan (York-Nord, Lib.) |
Mme Annette Hester |
À | 1040 |
Mme Karen Kraft Sloan |
Mme Annette Hester |
M. Michael Hawes |
À | 1045 |
Mme Karen Kraft Sloan |
M. Michael Hawes |
Mme Karen Kraft Sloan |
Le président |
CANADA
Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international |
|
l |
|
l |
|
TÉMOIGNAGES
Le mardi 8 avril 2003
[Enregistrement électronique]
¿ (0910)
[Traduction]
The Chair (Mr. Bernard Patry (Pierrefonds—Dollard, Lib.)): Nous allons passer à l'ordre du jour, à savoir, conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, l'étude du dialogue sur la politique étrangère du ministre des Affaires étrangères.
Comme premier témoin ce matin, nous avons avec nous Michael Hawes, qui est directeur exécutif du Programme Fulbright Canada-États-Unis. M. Hawes enseigne l'économie politique et les relations internationales au département d'études politiques de l'Université Queen's depuis 1985. En 1999-2000, il était professeur distingué et titulaire de la bourse J. William Fulbright à l'Université de Californie à Berkeley et agrégé supérieur de recherche et titulaire de la bourse John A. Sproul au Programme d'études canadiennes. Comme deuxième témoin, nous avons Mme Annette Hester, de l'Université de Calgary, qui est directrice du Latin American Research Centre. Elle a souvent été invitée à prendre part à des tables rondes sur l'intégration hémisphérique et les négociations commerciales.
Je vous souhaite la bienvenue à vous deux. Comme vous le savez, vous disposez chacun d'environ 10 minutes pour effectuer votre exposé, et ensuite il y aura une période de questions.
Monsieur Hawes, la parole est à vous.
M. Michael Hawes (directeur général, Programme Fulbright Canada-États-Unis): Permettez-moi d'abord de témoigner ma reconnaissance au comité, qui me donne l'occasion de faire part de mon point de vue sur ce que j'estime être une question cruciale et d'actualité au Canada, c'est-à-dire l'état actuel de notre relation avec les États-Unis et les perspectives futures la concernant. Bien que j'aimerais aborder un grand nombre des questions citées dans le document sur le dialogue et soulevées par le comité et que je serais ravi de parler de la logique et de la vision stratégique décrites dans votre rapport de décembre 2002 intitulé Partenaires en Amérique du Nord, je vais me pencher presque exclusivement sur nos relations avec les États-Unis. Plus précisément, je vais m'attarder aux stratégies générales qui visent à établir un équilibre entre le maintien d'une politique étrangère canadienne indépendante qui préserve, protège et promeut les valeurs et les préférences propres au Canada et le besoin profond et urgent d'entretenir un lien solide et positif avec les États-Unis.
Il y a presque 20 ans, j'ai écrit un petit livre intitulé Principal Power, Middle Power or Satellite: Competing Perspectives in the Study of Canadian Foreign Policy. À cette époque, un débat relativement vigoureux avait lieu au Canada sur la question de savoir si la politique étrangère canadienne était fondée sur une stratégie clairement, et peut-être intelligemment, élaborée par la diplomatie des puissances moyennes ou si elle était simplement le reflet de la dépendance croissante du Canada envers les États-Unis. Autrement dit, la politique étrangère canadienne émanait-elle du Canada ou de Washington? Certains vont prétendre que ce débat est de retour, quoique dans le contexte d'un monde plus complexe. D'autres prétendent que le débat n'a jamais cessé d'avoir lieu. Je suis d'avis que la question a toujours joué un rôle essentiel dans notre compréhension de la politique étrangère canadienne et que toute évaluation attentive de la politique étrangère canadienne, et certainement de tout plan d'action, doit être fondée sur la façon dont on perçoit le problème et ce qu'on imagine être possible.
Dans mon mémoire, je passe en revue la perspective des puissances moyennes, la perspective des états satellites et celle moins convaincante des puissances principales. Je tiens à dire que le Canada a joué et devrait continuer de jouer un rôle sain de puissance moyenne sur la scène politique internationale. Le Canada a élaboré et suivi une politique étrangère fondée sur ce rôle. Honnêtement, je vois très peu de raisons de modifier le fondement de notre politique étrangère. Ce qui est plus préoccupant, c'est l'orientation future.
Ma modeste contribution au débat a constitué en une évaluation systématique des trois perspectives et en une critique relativement complète de leurs principaux éléments. Au terme de cette évaluation, comme je viens de le mentionner, j'ai trouvé l'argument des puissances moyennes beaucoup plus convaincant que celui des deux autres, et c'est toujours le cas. La preuve empirique qui appuie la perspective des puissances moyennes est beaucoup plus solide et la logique de l'argument plus cohérente.
Ce qui importe dans le débat, c'est le fait que, pendant 50 ans, deux faits, ou réalités, fondamentaux et interreliés ont façonné et par la suite caractérisé le rôle du Canada dans le monde. Le premier est le rôle démesurément grand que les États-Unis ont joué et continuent de jouer dans la vie économique, sociale, culturelle et politique des Canadiens. Le deuxième est l'engagement considérable envers les principes et les pratiques de la diplomatie et de la gestion multilatérales. Le Canada était présent lors de la création de l'ordre international. Nous étions là lors de la naissance des Nations Unies, de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord, de l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce et d'autres instruments économiques de l'après-guerre. En outre, le Canada a démontré à maintes reprises au fil des ans un engagement soutenu et de longue date à l'égard de ces organismes, de leurs principes et de leurs activités. La raison qui sous-tend cet appui est que l'élaboration de règles internationales constitue le moyen le plus sûr pour une puissance moyenne de défendre ces intérêts nationaux et de les promouvoir.
Les événements dramatiques récents survenus sur la scène politique mondiale ont amené les Canadiens et leurs gouvernements à réexaminer ces deux réalités fondamentales. Au cours de la période qui a immédiatement suivie la guerre froide, lorsque le principal moteur de la politique mondiale ne constituait plus une menace externe unique et identifiable, la logique du multilatéralisme a subi un examen considérable. Ce qui a eu d'importantes répercussions sur la politique en matière de sécurité et de défense et sur la politique économique étrangère. Entre autres, l'époque subséquente à la guerre froide, au 11 septembre et prochainement, j'ose espérer, au conflit en Irak est de plus en plus unipolaire et caractérisée par une tendance officielle et non officielle au régionalisme.
¿ (0915)
En ce qui concerne la première réalité fondamentale à propos de la politique étrangère canadienne, je dirais que la tendance au régionalisme a permis de resserrer notre lien avec les États-Unis, quoique cela ait engendré des mésententes et des différends bien réels, à commencer par le débat public relativement acrimonieux qui a eu lieu en 1988. Le Canada a fini par signer une entente complète sur le libre-échange avec les États-Unis, laquelle est devenue, en 1994, l'Accord de libre-échange nord-américain. Les événements du 11 septembre semblent par contre avoir redéfini l'époque de l'après-guerre froide, donné aux Canadiens une perspective quelque peu différente du pouvoir et de l'influence des États-Unis et nous a poussés à nous engager dans la guerre contre le terrorisme et à mettre de nouveau l'accent sur notre relation, devenue un peu plus difficile, avec les États-Unis. L'idée que l'Amérique soit vulnérable a considérablement adouci, je crois, le sentiment antiaméricain de longue date, quoique modéré, qui règne au Canada. Cependant, le conflit en Irak a provoqué, selon moi, le retour du balancier, bien qu'il ne soit pas clair encore jusqu'où il ira.
À première vue, il semble que le gouvernement du Canada soit confronté à un sérieux dilemme. Il semble que le Canada a dû choisir entre les institutions et les ententes multilatérales et le régionalisme. En fait, la décision concernant notre participation au conflit en Irak semble illustrer très clairement ce dilemme. Toutefois, je tiens à dire que le gouvernement canadien peut et devrait suivre une politique étrangère qui tient compte des tendances régionalistes et qui, en même temps, continue de respecter les pratiques et les principes généraux des institutions néo-libérales et de la gestion multilatérale. La thèse principale de mon très court exposé est la suivante : l'évolution passée et actuelle des circonstances, conjuguée à l'engagement de longue date du Canada à l'égard de ces principes, a créé une situation dans laquelle le régionalisme joue nécessairement un rôle de plus en plus central, bien que pas nécessairement déterminant, dans la politique étrangère canadienne. C'est dire que la relation ne peut pas progresser dans le contexte du multilatéralisme.
En des termes plus concrets, je dirais qu'une évaluation objective de la relation actuelle donnerait des résultats quelque peu mitigés. D'un côté, en dépit du fait que le système international soit de plus en plus complexe et que les défis auxquels sont confrontés les gouvernements nationaux soient de plus en plus préoccupants, il y a lieu d'être optimiste à propos de notre capacité de gérer la relation. Comme l'ambassadeur Michael Kergin nous l'a récemment rappelé, ce n'est pas seulement l'économie canadienne, mais aussi l'économie mondiale qui est dominée par les États-Unis—des technologies avancées aux pratiques des entreprises, en passant par la prévalence de la devise et la destination des investissements. Selon l'ambassadeur, la proximité du Canada avec cette puissance engendre des difficultés particulières, mais offre aussi des occasions remarquables.
D'un point de vue positif, le Canada a été un partenaire constant et stable dans le cadre de la guerre contre le terrorisme : immédiatement après les événements du 11 septembre, le Canada a offert son aide, à la fois en tant que destination des vols commerciaux américains et comme soutien au maintien de la circulation des capitaux. Le Canada a été le quatrième plus important participant à la coalition internationale en Afghanistan; les entreprises et les consommateurs canadiens ont surmonté les obstacles importants à la frontière; les deux gouvernements ont réussi à mettre en place un plan d'action pour une frontière intelligente; et les ententes en matière de sécurité à la frontière et dans les aéroports semblent avoir été élaborées et mises en oeuvre rapidement.
D'un autre côté, par contre, nous avons connu des différends commerciaux, le plus important étant celui apparemment insoluble du bois d'oeuvre, et nous vivons des différends politiques grandissants et ce qui semble être une détérioration inquiétante de la confiance du public dans notre partenaire et dans notre relation avec lui. Mon sentiment est qu'il y a eu une détérioration générale de la relation au cours des dernières années et un affaiblissement ces derniers mois.
Un certain nombre de mes collègues à l'université et dans les médias prétendent que la relation risque d'atteindre un nouveau creux. En fait, il existe des ressemblances étonnantes entre la présente crise et la dernière crise importante que nous avons connue, qui, honnêtement, était une crise entre les deux capitales, et non pas entre les deux peuples, qui remonte au début des années 80. Nous sommes confrontés à une administration américaine nouvelle, assez conservatrice et quelque peu inexpérimentée, du moins en ce qui concerne la politique étrangère. En outre, la situation entourant la politique étrangère est particulièrement complexe et difficile. Nous en sommes, comme au début des années 80, à une époque de création dans le système international. À tout le moins, il y a lieu de considérer le conflit actuel et les conflits correspondants au sein des États dits occidentaux comme le reflet d'une crise fondamentale concernant l'ordre international. Le Canada a un gouvernement, ou plus précisément un dirigeant, qui approche de la fin de son mandat et qui a des préférences et des priorités beaucoup plus libérales que son homologue américain. Le gouvernement canadien est caractérisé par un certain degré d'incertitude politique en ce qui concerne son avenir. Pour compliquer davantage la situation—et cela pourrait être dit de la situation qui régnait au début des années 80—les préférences de la personne qui prendra probablement les rênes ne sont pas bien connues, et il n'est pas certain non plus que ce soit cette personne qui accède au pouvoir.
¿ (0920)
Il reste à voir s'il s'agit simplement d'un moment difficile dans la relation ou du début de quelque chose qui créera un froid. Au cours des deux derniers mois, j'ai passé beaucoup de temps dans des collèges et des universités d'Amérique du Nord, de Vancouver au Tennessee, et je dois avouer que je suis préoccupé par le climat qui règne. Bien que je pourrais mal interpréter les déclarations, les activités du Congrès américain semblent confirmer la perception que j'ai eue partout aux États-Unis.
Ce que je veux dire, c'est que des mesures peuvent être prises afin de contrer ce phénomène et nous amener dans la direction opposée à celle que nous semblons prendre. Un certain nombre de stratégies peuvent être mises en place en ce qui a trait à la politique étrangère canadienne, la première et la plus évidente étant l'actuel débat national sur l'avenir de la politique étrangère canadienne et, de toute évidence, les travaux du comité et le processus enclenché par l'annonce du dialogue du ministre sur la politique étrangère nous font avancer à grands pas dans cette direction. En outre, selon moi, il vaut la peine d'examiner d'autres moyens de faire progresser ce processus, notamment en mettant sur pied une autre commission semblable à la Commission royale Macdonald, dont les travaux se sont échelonnés du début au milieu des années 80.
Bien que je discuterai d'aucune de ces stratégies en détail, je dirai cependant que d'autres témoins qui ont comparu devant le comité ont préconisé la création d'une stratégie nationale en matière de sécurité ou l'élaboration d'une politique étrangère intégrée qui tente précisément d'envisager la sécurité dans le contexte du débat sur la prospérité. D'autres ont formulé des observations intéressantes et importantes à propos de l'évolution de la politique d'aide et de la politique en matière de développement, de l'importance du multiculturalisme et des préoccupations associées à la difficulté de maintenir les valeurs et la culture d'un pays dans un monde où les politiques de réglementation sont de plus en plus menacées par la technologie, par les règles régissant le commerce et par le coût en rapide croissance des produits culturels. Ce que je voudrais proposer, et c'est ce qui fera l'objet du reste de mon bref exposé, est une stratégie plus musclée en matière de diplomatie publique ainsi qu'une tentative plus systématique de comprendre la complexité de la relation.
À mon avis, les États-Unis jouent un rôle central dans la prospérité de notre économie, sont indéniablement liés à notre sécurité physique et possèdent la capacité d'influencer de façon dramatique le paysage culturel du Canada, que cela nous plaise ou non. La question n'est pas de savoir si nous allons ou si nous devrions maintenir une relation étroite avec les États-Unis. Il s'agit plutôt de savoir comment maintenir et promouvoir nos valeurs canadiennes et comment suivre une politique étrangère véritablement indépendante à l'endroit et au moment où cela importe vraiment.
En ce qui concerne la diplomatie publique, j'estime que le Canada peut et devrait tenter beaucoup plus sérieusement d'accroître sa représentation aux États-Unis. En clair, bien que nos missions aux États-Unis travaillent très fort pour représenter le Canada et accroître la compréhension de notre pays, il est très clair qu'il existe un écart entre nos engagements et nos capacités. Cet écart peut être facilement comblé, à mon avis, en effectuant un investissement modeste en ressources humaines et financières, qui serait plus que compensé par une appréciation plus grande et plus nuancée aux États-Unis du point de vue et des priorités du Canada. Comme je l'ai dit, lors de mes récentes visites aux États-Unis, il m'est apparu très clair que, même s'il existe certains désaccords, et même une certaine discorde, le problème réside dans la mauvaise information et la mauvaise communication qui est à l'origine de la perception qui existe à notre égard et des préoccupations. Je crois qu'il s'agit d'un problème qui peut être réglé.
Cela dit, je crois que nous devons aussi accroître et appuyer au sein du gouvernement fédéral la volonté croissante de comprendre nos priorités en matière de politique étrangère, particulièrement celles concernant les États-Unis. Les améliorations récentes apportées au Centre canadien de gestion, les initiatives mises en oeuvre au Bureau du Conseil privé, notamment un engagement plus vaste envers l'apprentissage, et le travail lié à la recherche sur les politiques devraient être davantage encouragés. Je crois qu'une tentative systématique d'offrir du perfectionnement dans ce domaine en milieu de carrière serait très censée.
¿ (0925)
Il existe un autre instrument auquel nous devrions prêter attention, que je comprends suffisamment bien je crois. Le programme auquel je participe en ce moment, le Programme Fulbright Canada-États-Unis, un programme d'échange binational, tente de façon systématique de déterminer comment promouvoir une compréhension mutuelle. Les échanges entre universités vont au-delà de la politique, ils comportent des ententes réciproques, ils sont axés sur la question des changements de génération et ils peuvent avoir un effet multiplicateur très considérable.
Entre autres, la fondation est en train de mettre en place un réseau de titulaires de chaires invités dans les établissements universitaires au Canada et aux États-Unis, en vue de favoriser la recherche sur les questions clés liées aux politiques publiques contemporaines. Il s'agit de titulaires de chaires dans le domaine des recours commerciaux, de la gouvernance mondiale, des études nord-américaines, des études en écologie et en environnement, des frontières et de la sécurité. La possibilité de cibler des domaines qui intéressent particulièrement le Canada, tout en demeurant en dehors du débat politique, nous permet de développer des capacités et constitue un investissement important à long terme dans la relation. Cette initiative vise à favoriser l'ouverture d'esprit et la compréhension et donne lieu à une appréciation plus grande et plus respectueuse des points de vue des deux nations, mais plus particulièrement, des points de vue du Canada au sein des États-Unis.
Il y a près de 50 ans, le sénateur Fulbright a déclaré que l'éducation est le meilleur moyen—probablement le seul—pour une nation de cultiver un certain degré d'objectivité à propos du comportement et des intentions des autres nations. Selon moi, cette observation est tout aussi vraie et convaincante aujourd'hui. Si nous voulons être en mesure de suivre une politique étrangère véritablement indépendante, fondée sur nos intérêts, nous devons entretenir un partenariat solide et constant avec les États-Unis qui tienne le coup dans les moments où nous devons maintenir des priorités et des politiques différentes des leurs.
Merci de m'avoir invité à comparaître et de m'avoir écouté.
Le président: Merci beaucoup, monsieur Hawes.
Maintenant, Mme Annette Hester.
Mme Annette Hester (directrice, Centre de recherche de l'Amérique latine, Université de Calgary): Bonjour, et merci beaucoup de votre invitation.
J'ai une vision parallèle à celle de Michael et, de façon opportune, je vous parlerai des modalités de financement du programme Fulbright.
La situation actuelle en Irak, et particulièrement les décisions qui y ont mené, a mis en relief la pertinence des questions que votre comité a posées dans sa note d'introduction à la discussion et dans les enjeux soumis au panel dans le contexte du Dialogue sur la politique étrangère. Il est important de dégager un consensus dans la population canadienne sur le rôle que le Canada devrait jouer dans les affaires internationales, sur les moyens à prendre pour le concrétiser, et tout particulièrement sur la façon dont le Canada peut mener une réflexion indépendante dans le contexte international tout en conservant une relation positive et influente avec notre voisin et principal partenaire commercial, les États-Unis. Essentiellement, quelle devrait être, à notre avis, la position stratégique du Canada dans le monde? Comment pouvons-nous nous positionner pour en faire sorte de conserver notre prospérité économique dans un monde aux liens toujours plus étroits et pour exercer une influence en vue de favoriser le partage de la richesse? Et par-dessus tout, que pouvons-nous faire pour promouvoir la paix dans le monde?
C'est aussi là l'essentiel des questions posées par le ministre Graham dans son initiative d'examen de la politique étrangère reflétée dans le document intitulé «Un dialogue sur la politique étrangère». Je conviens qu'il s'agit là de questions importantes et pertinentes, mais je ne suis pas venu comparaître pour y répondre. Je suis venue vous expliquer de quelle façon la position stratégique du Canada sur les enjeux propres aux affaires internationales, au commerce international, à la défense ainsi qu'à toute une brochette d'autres domaines est formulée, discutée et enseignée ou non dans nos universités et centres de recherche. Je suis venue ici aujourd'hui pour exprimer l'opinion suivante : même si l'on demande de plus en à des Canadiens, en particulier des personnes des milieux universitaires et des ONG, de participer à des consultations publiques diverses—au cours des trois derniers mois, j'ai personnellement été invitée à participer à quatre processus de consultation différents, sur l'ACDI, le dialogue sur la politique étrangère, les négociations sur l'ALEA et la conférence sur la sécurité de l'hémisphère qui aura lieu sous peu—et ce, sans compter des conversations officieuses avec des fonctionnaires du MAECI sur un certain nombre de relations régionales et bilatérales spécifiques, le gouvernement actuel ne semble guère s'intéresser à la façon dont les opinions ainsi exprimées sont façonnées. Je suis venue comparaître parce que j'estime que des changements s'imposent. Or, ces changements surviendront uniquement lorsque vous, nos représentants élus, serez convaincus qu'ils sont nécessaires et que vous ferez front commun pour les mettre de l'avant. Je sais que vous pouvez faire une différence, mais la question qui se pose est la suivante: en ferez-vous une?
Pour discuter de ces points, soit la formulation, la discussion et l'enseignement de la position stratégique du Canada vis-à-vis le monde dans les universités et centres de recherche, j'aimerais faire une comparaison avec les États-Unis. Depuis la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis ont consacré des ressources importantes à la formation d'experts capables de répondre aux besoins stratégiques de l'Amérique, grâce à la National Defense Education Act de 1958, et en particulier de la partie VI de cette loi. En adoptant cette mesure— que j'ai jointe en annexe à mon mémoire—, le Congrès américain reconnaissait que la défense, la sécurité et les intérêts économiques de la nation étaient inextricablement liés à l'éducation et à un soutien financé ciblé pour des programmes, des bourses d'étude et des centres de recherche dans des établissements de haut savoir. Ce soutien, que l'on appelle couramment la partie VI, a été la pierre angulaire de l'éducation internationale aux États-Unis depuis 40 ans. Il prend la forme d'un financement de base, par opposition à un financement par projet—et c'est une importante distinction—,qui assure la mise en oeuvre de 14 programmes différents, à hauteur de 80 millions de dollars en 2002.
¿ (0930)
Quant à la démarche du Canada, elle a été axée sur l'aide étrangère. D'après M. James Shute, directeur du Centre des programmes internationaux à l'Université de Guelph, la participation du Canada au Plan Colombo de 1950 a marqué le début de l'aide internationale bilatérale en tant qu'expression de la politique étrangère canadienne. De cette décision a découlé deux grandes thèmes qui ont caractérisé la dimension internationale des universités canadiennes, soit la présence d'étudiants étrangers munis de visa et la coopération au développement.
Même s'il est toujours facile de porter des jugements après coup, la myopie d'une telle politique est devenue évidente depuis le 11 septembre. Lorsque le FBI et la CIA ont compris que ce n'était pas de plus d'outils technologiques dont ils avaient besoin, mais de plus de ressources humaines, particulièrement d' experts en culture et en langues étrangères, les ressources étaient là. Le fruit de la politique américaine d'après-guerre était mûr pour la récolte. Il y avait des centaines, voire des milliers d'Américains bien renseignés qui travaillaient dans des centres de réflexion, des ONG, des universités et des entreprises qui avaient l'expertise et les contacts internationaux nécessaires. Par exemple, aux États-Unis, dans les centres internationaux ou régionaux il y a 15 régions désignées, comme l'Afrique, le Moyen-Orient, l'Amérique latine, qui constituent l'un des programmes issus de la partie VI, lesquels peuvent compter sur 80 millions de dollars. D'ailleurs, en 2002, ils représentaient 27,17 millions du financement total. Pour vous donner une idée de ce que cela signifie, 118 centres ont reçu en moyenne des subventions de 231 000 $ chacun.
Au début de la mise en oeuvre de la mesure, le financement nécessaire à la création de divers centres provenait uniquement de subventions prévues dans la partie VI. Cependant, il y a eu depuis de nombreux changements, y compris le fait qu'à l'heure actuelle, cette subvention doit s'accompagner de subventions de contrepartie à hauteur d'au moins 50 p. 100 provenant d'autres fonds gouvernementaux fédéraux. Comme en témoigne la vitalité des institutions américaines, les fondations américaines, comme la Fondation Ford et la Fondation Kellog, les grandes entreprises et les gouvernements des États ont volontiers participé à cet effort. Le résultat de ce financement constant depuis 45 ans est une myriade de centres de recherche et d'études internationales bien établis et de première classe.
Voici ce qu'a dit Mme Nannerl Keohane, présidente de l'Université Duke, dans une récente allocution prononcée à l'occasion de la Conférence sur l'éducation internationale:
La partie VI de la NDEA nous a permis de stimuler notre croissance dans ce domaine et, jusqu'à maintenant, l'Université Duke a accueilli huit centres internationaux financés par le Trésor fédéral, alors qu'elle n'en comptait que quatre il y a à peine dix ans. Cela va du vénérable et très réputé Joint Consortium in Latin American Studies au Rotary International Centre for Peace and Conflict Resolution nouvellement ouvert. La partie VI à son actif au moins une belle réussite en dépit de sa taille relativement modeste par rapport au budget fédéral de l'éducation. Elle a permis d'accroître les ressources en matière de formation universitaire et professionnelle sur de nombreux campus. L'enseignement supérieur est plus diversifié sur le plan international. Son caractère international est plus prononcé qu'il ne l'était auparavant. |
La situation au Canada est remarquablement différente. Il n'existe pas de stratégie concertée liant les intérêts nationaux du Canada dans le contexte mondial à l'éducation, à quelque niveau que ce soit. Même si Développement des ressources humaines a récemment financé un programme universitaire favorisant la mobilité internationale, le financement des activités internationales dans les universités canadiennes a traditionnellement été consenti par le truchement de l'Agence canadienne de développement international, l'ACDI. Le mandat des programmes de l'ACDI est de répondre aux besoins en développement et en éducation des pays bénéficiaires, projet par projet. Ce modèle, qui est sans doute excellent pour la prestation d'aide étrangère, est lamentable pour ce qui est de favoriser l'éducation et la recherche internationales. Qui plus est, il accorde la priorité aux besoins des pays en développement et perd de vue les propres besoins stratégiques du Canada. Ainsi, les relations entre le Canada et le Brésil ont connu récemment certaines tensions. Or, le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international du Canada a dû remuer ciel et terre pour réunir un groupe d'experts connaissant bien le Brésil pour élaborer des recommandations de solutions et des stratégies futures. La liste des candidats était terriblement courte. En fait, nous nous connaissons tous par nos prénoms et nous pouvons nous réunir dans une salle beaucoup plus petite que celle-ci.
Cette énorme carence dans la politique canadienne est citée comme l'un des plus grands défis à l'enseignement supérieur dans un rapport sur l'internationalisation publié en l'an 2000 par l'Association des universités et des collèges du Canada. On peut y lire, en conclusion :
Les établissements sont préoccupés par ce qu'ils perçoivent comme l'absence d'une stratégie nationale concertée en vue de favoriser l'internationalisation et par le manque de soutien financier. |
¿ (0935)
La seule expérience canadienne qui s'apparente à celle de la partie VI a été le financement de base que le ministère de la Défense nationale a consenti aux institutions pour la création d'un certain nombre de centres d'études militaires et stratégiques disséminés un peu partout au pays. Même si les détracteurs de cette initiative sont toujours prêts à en relever les faiblesses, le résultat de cette politique a été la création de cinq centres qui ont mieux fait connaître les enjeux concernant la défense nationale au Canada, qui prodiguent des conseils d'experts au ministère et au Parlement et qui forment des jeunes Canadiens à réfléchir à ces questions sous l'angle d'une position stratégique canadienne. C'est bien beau, mais il faut mettre cela en perspective. Il n'est pas suffisant de comprendre que notre sécurité nationale est importante. Nous devons réfléchir au maintien de notre survie sur un marché planétaire et savoir que la façon dont nous interagissons avec les autres nations au niveau économique, social et culturel est tout aussi primordiale. Et pourtant, il n'existe pas de politique de financement des centres qui font des recherches sur les affaires internationales.
Les maigres ressources allouées au MAECI ont pratiquement toutes été acheminées vers des organisations qui sont un peu ses attributs, comme le Centre canadien pour le développement de la politique étrangère. Malheureusement, il semble que même ces fonds soient compromis à l'heure actuelle car le Conseil du Trésor envisage de retirer toutes les ressources disponibles pour le financement de base, ce qui laissera au MAECI uniquement des fonds à répartir entre divers projets. Qui plus est, lorsque des fonds ont été alloués à des centres indépendants, d'après des reportages publiés dans la presse et des informations du domaine public, ils l'ont été en raison de contacts politiques, non pas avec le MAECI, mais avec des ministres, comme ce fut le cas avec l'annonce récente d'une subvention de contrepartie de 30 millions de dollars à l'Institut canadien de recherches sur la gouvernance mondiale à Waterloo.
On peut toujours faire valoir qu'il n'y a plus de financement de base disponible pour permettre aux centres d'effectuer des recherches sur des enjeux généraux, mais il y a une forte demande pour notre expertise. Le deuxième point que je veux soulever porte sur la demande accrue concernant la participation d'experts à des consultations publiques. Comme je l'ai mentionné, parallèlement à ce manque criant de financement, on note une augmentation exponentielle au gouvernement de la demande pour les services d'experts qui mènent des recherches dans les affaires internationales. Cela se reflète dans la nouvelle pratique consistant à tenir des consultations publiques sur pratiquement tous les aspects de la politique gouvernementale au Canada, notamment sur les questions de politique étrangère. On l'a déjà dit, mais je tiens à le réitérer, cette évolution s'est produite sans que l'on consente parallèlement des fonds à la recherche dans ce domaine. La conséquence, à long terme, c'est que la qualité et la disponibilité des mémoires présentés dans diverses tribunes est grandement compromise. À long terme, la conséquence de cette politique, c'est qu'il y aura toute une génération qui n'aura pas été formée pour réfléchir à la position stratégique du Canada. Néanmoins, on nous demande quand même d'exprimer des opinions sur le sujet. Il va de soi que cela ouvre grand la porte à des groupes d'intérêts spéciaux pour façonner l'opinion, voire polariser l'opinion publique sur la base d'une information erronée.
En conclusion, je tiens à souligner que l'écart entre l'offre et la demande dans le domaine de l'expertise internationale au Canada se creuse rapidement. Il faut s'attaquer de front à cette déficience. Le financement de l'éducation et de la recherche lié à la position stratégique du Canada sur la scène mondiale doit être une priorité si nous voulons cheminer au même rythme que les autres dirigeants occidentaux, sans parler de la nécessité de développer un train d' idées novatrices au pays. Ce défi est clairement le vôtre, et j'aimerais savoir qui se fera le champion de cette cause.
¿ (0940)
Le président: Merci.
Nous allons maintenant passer aux questions et réponses, mais tout d'abord, comme je constate que nous avons le nombre de députés requis, je voudrais demander à mes collègues s'ils seraient d'accord pour que le greffier organise un déjeuner de travail avec M. Karsten Voigt, coordonnateur de la coopération entre l'Allemagne et les États-Unis. Il sera ici autour du 30 avril. D'accord? Très bien.
Monsieur Day.
M. Stockwell Day (Okanagan—Coquihalla, Alliance canadienne): Merci, monsieur le président. Monsieur Hawes et madame Hester, je vous remercie de votre temps et de vos exposés.
Je comprends bien le propos de M. Hawes. Il y a une différence entre les capitales et les populations, les citoyens des deux pays. Il y a une distinction entre les deux. Après avoir voyagé et parlé à bien des gens, j'ai l'impression—et mes collègues seront peut-être d'accord—, qu'ils croient majoritairement qu'on peut aplanir les difficultés et parvenir à une entente, que cela est plus important que nos différences. Il y a davantage de collégialité d'esprit parmi la population que dans les capitales. Malheureusement, lorsque les relations commencent à se fissurer dans la capitale, à Ottawa par exemple, comme cela s'est produit au cours des quelques derniers mois, le dur travail que nos représentants effectuent dans nos missions aux États-Unis est compromis. Les employés qui travaillent dans nos ambassades, à Washington ou ailleurs, doivent faire des pieds et des mains pour que se maintiennent des relations harmonieuses entre nos deux pays. D'ailleurs, ils font de l'excellent travail compte tenu du fait que l'incapacité de notre capitale d'élaborer une position de principe cohérente alourdit leur tache.
Mme Hester a parlé de toute la question du financement, et je suis d'accord avec ses observations. Bien qu'elle dispose d'un financement convenable,les efforts de l'ACDI sont dispersés entre un trop grand nombre de pays et l'aspect acquisition des connaissances et développement de la recherche, selon les paramètres que vous avez évoqués, fait défaut. Aux États-Unis, le régime fiscal permet et encourage la création de fondations. Comme vous le savez, il s'agit de fondations imposantes. Cela permet d'évacuer toute inquiétude au sujet du copinage politique auquel Mme Hester a fait allusion. Lorsqu'une fondation voit le jour à l'instigation d'un ministre, il est possible qu'elle fonctionne bien, qu'il n'y ait aucun problème, mais le doute persiste au sujet des liens politiques et la diversité d'opinion est limitée.
Je suis rentré de Yale, il y a environ trois semaines, après y avoir donné une série de conférences. J'ai été très impressionné par la représentation canadienne parmi les étudiants. Mme Hester connaît peut-être l'un des diplômés de Calgary, Samir Kaushik—vous l'avez peut-être rencontré. Il est très actif sur le campus à Yale. Et il y a aussi Dianna Lee. La présence canadienne au modèle des Nations Unies à Yale est très importante. En pourcentage, pouvez-vous me dire si la présence américaine ici au Canada est sensiblement la même? Nos fondations, Fulbright et autres, permettent-elle de faire venir des professeurs et des étudiants des États-Unis pour qu'ils se familiarisent avec le Canada et pour qu'ils puissent, à leur retour chez eux, avoir une influence aussi forte que des gens comme Samir et Dianna?
M. Michael Hawes: Le programme Fulbright est fortement axé sur la réciprocité. Pour chaque étudiant qui part chez nos voisins du sud, un autre vient au nord. Et c'est la même chose pour les professeurs. En fait, depuis 18 mois, j'ai mis sur pied diverses chaires, où d'éminents professeurs américains peuvent, sur invitation, venir enseigner dans les universités canadiennes pendant un an. Il y en a une à l'Université de la Colombie-Britannique, en Alberta, je suis heureux de le dire et maintenant d'autres sont prévues pour l'automne à l'Université de Calgary, à l'Université de l'Alberta à Lethbridge, à l'Université d'Ottawa, à l'Université Carleton, à l'Université Queen's, à l'Université de Toronto, à Dalhousie et à l'Université du Nouveau-Brunswick. Nous faisons donc un effort délibéré pour attirer des professeurs et des étudiants américains chez nous.
Comme Annette l'a éloquemment expliqué, le grand problème, c'est l'ampleur de l'effort consenti. Le programme Fulbright à l'échelle mondiale est plus généreux que la partie VI. En fait, l'allocation du Congrès pour le programme Fulbright cet automne s'élevait à 274 millions de dollars provenant directement du trésor public. Et tous les arrangements Fulbright donnent lieu à des fonds de contrepartie. Ma fondation est une fondation binationale. Un tiers de notre argent provient du Congrès américain, une petite somme, un tiers du ministère des Affaires étrangères, une petite somme également, et un troisième tiers, beaucoup plus important, provient du secteur privé. Le problème ne tient pas à la nature binationale ou réciproque du programme, mais à sa taille. Lorsque j'ai assumé mes fonctions il y a 20 mois, il y avait 40 participants au programme. Cette année, il y en aura près de 80 mais en fait, pour ce qui est de réaliser nos objectifs, nous grattons seulement la surface de ce que l'on pourrait et devrait faire.
¿ (0945)
M. Stockwell Day: Faites-vous des recommandations à notre gouvernement au sujet de la structure de la fiscalité pour que du côté canadien, la participation du secteur privé soit aussi dynamique? Présentez-vous des instances de ce genre sans crainte de répercussions? Faites-vous valoir qu'il devrait y avoir certains incitatifs fiscaux pour le secteur privé?
M. Michael Hawes: Effectivement. J'ai rencontré trois sous-ministres différents au cours des 10 derniers jours.
[Français]
La vice-présidente (L'hon. Diane Marleau (Sudbury, Lib.)): Madame Lalonde.
Mme Francine Lalonde (Mercier, BQ): Merci beaucoup. Je voudrais d'abord souligner, madame la présidente, que je regrette de n'avoir pu entendre les conférenciers un à la suite de l'autre. Ils ont deux domaines d'expertise différents et, quant à moi, j'aurais aimé poser des questions à ces deux témoins. Je m'excuse donc auprès de Mme Hester. Elle peut néanmoins répondre à mes questions.
Monsieur Hawes, merci beaucoup pour votre très intéressante intervention. J'ai deux questions à poser, peut-être trois. Voici la première. Vous avez nommé, au chapitre des événements très importants, la signature de l'accord de libre-échange, en 1988, et la guerre contre l'Irak. Il y a eu aussi le 11 septembre. Or, je veux souligner le fait que dans ces deux cas, à mon avis, le Québec a exercé d'importantes pressions. En 1988, c'est connu, on s'est fait de solides ennemis dans le reste du Canada. Pour ce qui est de la guerre contre l'Irak, le Québec, selon moi, a fait beaucoup de pressions. J'aimerais savoir ce que vous pensez du poids du Québec dans le cadre de la politique étrangère du Canada.
Marc Lortie, lors d'une conférence que j'ai entendue à l'UQAM dans le cadre d'un colloque sur les rapports avec les États-Unis, disait que, comme ce fut le cas dans les années 1980, un des problèmes majeurs auxquels nous allions nous buter serait le piètre état de l'économie américaine. Êtes-vous également de cet avis?
En outre, si au Canada certains se sont tournés vers l'entente de libre-échange, c'est que le mauvais état de leur économie portait les États-Unis au protectionnisme. Les 500 milliards de dollars de déficit et les 500 milliards de dollars de déficit commercial peuvent laisser croire à certains qu'il serait préférable de se tourner à nouveau vers le protectionnisme ou les ententes bilatérales. Il a été très clairement dit que la ZLEA n'était plus vraiment au programme. C'est du moins ce qu'on a entendu dire. Ainsi, les choses se dérouleraient plus vite et plus efficacement par le biais d'ententes bilatérales.
Je vais m'en tenir à ces deux questions. Je veux vous laisser du temps.
[Traduction]
M. Michael Hawes: Une chose est claire au sujet de notre pays : il y existe des disparités régionales légitimes. Je pense que la position du Québec à l'égard des États-Unis a toujours été cohérente et,à vrai dire, franchement admirable. Cela dit, je ne prétends pas comprendre comment cela a pu se traduire dans le domaine de la politique étrangère ou de la politique gouvernementale. À l'évidence, le Québec a toujours eu un certain poids aux États-Unis,et il continue d'en être ainsi. L'autre soir, j'ai mangé avec le délégué général du Québec à New York, et je rencontrerai M. Boucher, le délégué général du Québec à Los Angeles la semaine prochaine. Mon argument est le même : ne serait-ce qu'en engageant des ressources modestes, on peut faire beaucoup plus.
Au sujet de la question de M....
[Français]
Mme Francine Lalonde: Excusez-moi.
[Traduction]
Je veux qu'on me comprenne bien. J'ai dit qu'au sujet de l'accord de libre-échange, en 1988, le Québec a été un facteur décisif, votant massivement pour donner un mandat à M. Mulroney. N'eut été du Québec, il est possible que la position du Canada ait été différente à l'époque. Peut-être plus tard y aurait-il eu un revirement, mais il est possible qu'il n'y ait pas eu d'accord de libre-échange. Deuxièmement, au sujet de la guerre en Irak, si l'opposition au Québec n'avait pas été aussi vigoureuse, il est possible que le gouvernement ait réagi différemment. Voilà ce que je voulais dire.
¿ (0950)
M. Michael Hawes: En ce qui a trait à l'Irak, le gouvernement du Canada a adopté sa position très rapidement, devançant l'opinion publique. À mon avis, il ne s'est pas trompé, mais il aurait été intéressant de voir ce qui se serait passé si plus de temps s'était écoulé.
Pour revenir aux commentaires de M. Lortie, vous avez tout à fait raison: les fluctuations économiques aux États-Unis déterminent leurs tendances au protectionnisme. Les États-Unis sont par nature et historiquement isolationnistes et protectionnistes. Compte tenu de l'interaction entre le Congrès et le la Chambre des représentants, le système politique américain est naturellement protectionniste. À vrai dire, cela vient renforcer mon argument voulant que nous devons être mieux représentés aux États-Unis, particulièrement pendant ces périodes où les pressions en vue d'adopter des stratégies économiques étroites, bornées et nombrilistes se font davantage sentir. Nous n'avions pas autant besoin d'être représentés de 1996 à 1999 alors que l'économie américaine était florissante, que la croissance économique n'était pas ébranlée par les pertes d'emploi ou les disparités régionales ou encore par d'autres crises. Maintenant, la situation a changé, et j'estime que ce besoin est sensiblement plus grand. Sans vouloir me lancer dans une analyse économique approfondie, on peut dire que tout le monde connaît et comprend le modèle du cycle conjoncturel. Par conséquent, nous subirons des pressions à la hausse et à la baisse en fonction de circonstances diverses, et nous constaterons sans doute que ce besoin de représentation qui est le nôtre se situe fréquemment au niveau actuel.
La vice-présidente (L'hon. Diane Marleau): Madame Hester.
Mme Annette Hester: Pourriez-vous répéter la question?
Mme Francine Lalonde: Quel a été, à votre avis, le rôle du Québec dans ces deux enjeux, le libre-échange en 1988 et la guerre en Irak?
Mme Annette Hester: Je ne peux pas vraiment commenter le rôle joué par le Québec, mais la participation du Québec dans les affaires internationales est remarquablement différente de celle de l'Alberta, non seulement en raison de sa position, mais aussi à cause de la façon dont les centres internationaux, les universités, les entreprises et les pouvoirs publics travaillent de concert. Je dis souvent en Alberta que je suis très envieuse, voire verte de jalousie face à l'excellente performance du Québec à l'étranger. Je voyage fréquemment en Amérique latine. Lorsqu'on voit l'interaction entre les différents acteurs de la société québécoise, on constate qu'elle s'inscrit dans une approche intégrée, que l'on sait où l'on va et comment, et quel est le rôle de chacun. Il est fort intéressant de noter à quel point les acteurs québécois sont beaucoup plus efficaces pour communiquer leur message, particulièrement lorsqu'ils veulent s'en donner la peine. Je ne sais pas trop quel genre de message le nouveau gouvernement voudra envoyer aux États-Unis à l'heure actuelle et dans quelle mesure il sera efficace. Cela reste à voir.
Comme Michael l'a dit, cela montre à quel point il est important d'envisager le Canada d'un point de vue stratégique car notre position dans les Amériques revêt pour nous une importance cruciale à ce stade-ci. Le Conseil de sécurité a mis le Mexique et le Chili dans une position très délicate, et ces deux pays se sont tournés vers le Canada pour obtenir son soutien. Tant le Mexique que le Brésil ont une approche très dynamique en ce qui concerne leur représentation aux États-Unis et la façon dont ils y bâtissent leur image. Le Brésil a à Washington un centre issu d'un partenariat entre le secteur privé et le gouvernement. dont l'unique mandat est de faire du lobbying et de veiller à ce que des articles sur le Brésil paraissent dans les journaux américains. Leurs représentants travaillent sans relâche. Ils organisent des conférences au Congrès sur des enjeux d'importance pour le Brésil. Le Mexique travaille lui aussi d'arrache-pied pour imposer son image aux États-Unis. Nos différents partenaires dans les Amériques privilégient la voie que vous proposez et investissent énormément de ressources pour y arriver et promouvoir leur image et leurs rapports avec le Congrès américain.
¿ (0955)
La vice-présidente (L'hon. Diane Marleau): Monsieur Calder.
M. Murray Calder (Dufferin—Peel—Wellington—Grey, Lib.): Merci beaucoup, madame la présidente.
Annette, Michael, je vous souhaite la bienvenue ce matin.
Michael, j'aime bien votre analogie. Vous comparez une puissance moyenne à un type qui se retrouverait au milieu et qui forcément se sent tiré dans deux directions. Cela dit, je pense qu'à l'heure actuelle il nous faut nous tourner vers les États-Unis eux-mêmes pour comprendre pourquoi ils pensent de cette façon. J'ai deux questions.
Sous l'égide de la présente administration, la politique américaine actuelle est très unilatérale dans son approche, beaucoup plus que dans le passé. Je pense que l'une des raisons qui explique cela, c'est qu'il existe un cercle d'initiés qui remonte à 1991 et qui a beaucoup plus d'influence maintenant qu'il en avait à l'époque. On est aussi en présence d'un président qui a acquis certaines connaissances dans le domaine des affaires internationales, mais qui n'a pas appris par l'expérience, ce qui fait la différence entre les deux administrations Bush. Pour notre part, nous sommes dans une position peu enviable. D'une part, nous nous soucions d'avoir de bonnes relations avec notre voisin immédiat et principal partenaire commercial et d'autre part, nous voulons tout de même être en mesure d'exercer notre souveraineté, d'appliquer cette approche multilatérale propre à la puissance moyenne que nous sommes. Comment concilier notre besoin d'une relation bilatérale étroite avec les États-Unis tout en reconnaissant notre besoin d'avoir des institutions internationales vigoureuses? Et comment pouvons-nous influencer de façon optimale les États-Unis afin qu'ils collaborent avec la communauté internationale?
En tant que secrétaire parlementaire du commerce international, j'ai une question à vous poser, Annette. Dans le passé, nous n'avons pas cherché à asseoir notre présence en Amérique latine aussi agressivement que les États-Unis, bien que cela soit en train de changer. Quelle est la perception du Canada en Amérique latine? Et comment pouvons-nous soit l'utiliser à notre avantage soit nous faire connaître de façon plus efficace en Amérique latine?
Mme Annette Hester: À quelques exceptions près, comme notre relation avec le Brésil, qui a parfois été fragile, je crois que dans l'ensemble nous avons une très bonne image en Amérique latine et d'excellents rapports avec les différents partenaires parce que nous faisons contrepoids aux Américains. Je suis justement revenue du Brésil la semaine dernière. Lorsque j'y ai parlé des possibilités de formation au Canada dans les domaines pétrolier et gazier, j'ai été frappée de voir le nombre de gens désireux de venir chez nous, particulièrement actuellement, car ils ne veulent pas aller aux États-Unis.
Je pense que cela va dans les deux sens. Il est vraiment important de tisser des liens très solides avec l'Amérique latine, sans oublier que celle-ci est et sera notre plus grande rivale sur le marché américain. Par conséquent, plus nous la comprendrons, mieux nous nous en porterons à long terme car c'est une concurrente avec laquelle nous devrons compter, que nous le voulions ou pas. C'est déjà le cas avec le Mexique, même si ce pays est aussi un proche allié. J'estime que c'est tout à notre avantage, d'un point de vue stratégique, de bien comprendre l'Amérique latine. Au chapitre des échanges commerciaux internationaux dans le domaine de l'agriculture, nous négocions avec le Groupe de Cairns, qui se compose du Brésil, de l'Argentine, du Mexique, de l'Australie, de la Nouvelle-Zélande, etc.
Nous avons donc, en quelque sorte, une attitude schizophrène : nous voulons être appréciés, mais nous voulons aussi défendre Bombardier, ce qui, d'ailleurs, semble tout à fait naturel en Amérique latine. Il y a cette idée—ou au moins cette image—que le Canada doit toujours se comporter de manière exemplaire, mais les Latinos-Américains considèrent que notre pays doit défendre ses intérêts, un point c'est tout.
Au-delà de ces considérations, nous avons toutes les raisons du monde d'entretenir d'excellentes relations avec l'Amérique latine. Nous sommes respectés et perçus comme un partenaire qui fait contrepoids aux Américains. Je pense que nous devrions considérer les pays d'Amérique latine, particulièrement le Mexique et le Brésil, qui sont les plus grands pays et ceux qui ont le plus d'influence dans la région, comme nos alliés et nos concurrents dans nos relations futures avec les États-Unis.
À (1000)
M. Michael Hawes: Je pourrais très bien me servir de cela pour faire un lien avec les questions que vous m'avez posées. Franchement, je considère que les États-Unis n'ont plus aucune politique à l'égard de l'Amérique latine. Ce n'est pas qu'ils ont cessé de s'intéresser à la zone de libre-échange; ils ont tout simplement cessé de s'intéresser à l'Amérique latine. Les raisons pour lesquelles les Américains s'intéressaient à l'Amérique latine, pour des questions de narco-terrorisme, de commerce ou de politique générale, ont tout bonnement été éclipsées par la situation en Irak, le terrorisme et le Moyen-Orient. Je pense qu'il est absolument urgent que le Canada saisisse l'occasion qui lui est donnée d'accomplir des progrès importants dans ses relations avec l'Amérique latine. C'est un bon moment pour le faire.
Permettez-moi de répondre aux deux questions que vous m'avez posées et qui d'ailleurs, selon moi, ne font qu'une. Comment concilier la nécessité d'entretenir des relations bilatérales fortes avec notre préférence pour la gestion et les institutions multilatérales ainsi que le libéralisme? Tout d'abord, il nous faut définir une politique étrangère claire et ciblée et savoir exactement ce que nous voulons et ce pourquoi nous sommes disposés à nous battre. Il y aura des époques où nous aurons des divergences importantes, voire déterminantes, avec les États-Unis. C'est pourquoi nous devons être préparés et résolus à faire valoir nos points de vue à l'occasion. À propos de Cuba, nous devrions rappeler périodiquement à Washington que nous ne sommes pas intéressés par l'application extraterritoriale des lois américaines. Nous avons notre propre politique à l'égard de Cuba et nous la respecterons.
Au cours des derniers mois, il y a eu une certaine confusion à l'égard de la position et des politiques canadiennes, ce qui m'amène à la deuxième partie de ma réponse, qui concerne toute la question du processus. À propos de l'Irak, je pense qu'il est juste de dire que le processus a échoué des deux côtés. Ce qui a inquiété les Américains, ce n'est pas la décision finale qu'a pris le gouvernement canadien dans cette crise, mais plutôt le processus qui l'a conduit à une telle décision.
Troisièmement, comme je l'ai dit, je pense que nous devons concentrer beaucoup de nos énergies au niveau infranational. On ne peut pas se préoccuper uniquement des relations avec l'administration américaine. Les administrations changent, comme vous l'avez vous-même fait remarquer. Cette administration a certaines caractéristiques qui ne la mènent pas nécessairement à partager le point de vue canadien. Cela arrivera de temps en temps. Nous ne savons pas si ce sera pour une courte ou une longue période, si les éléments les plus conservateurs de l'administration américaine finiront par avoir gain de cause ou pas, mais nous devons être prêts à faire face à ce type de situation.
La question qui se pose est donc de savoir comment faire valoir notre point de vue à Washington. Honnêtement, en tant que puissance moyenne, si vous me permettez l'expression, le Canada a toujours cru en sa capacité de comprendre clairement vers où il se dirige et de se faire entendre de l'administration américaine. Je pense qu'il est déraisonnable actuellement de mettre tous les oeufs dans le même panier pour pouvoir traiter avec l'administration dans son ensemble. J'explique cela dans un petit ouvrage que j'ai écrit il y a plusieurs années et dans lequel je dis que la diplomatie des puissances moyennes se fonde sur l'exemption et l'exception. Nous nous précipitions à Washington pour demander des exemptions à des politiques que nous n'aimions pas car nous entretenions d'étroites relations avec l'administration américaine. Dans une certaine mesure, nous devons toujours être prêts à le faire, comme les Brésiliens et les Mexicains, mais j'estime que nous devons adopter une stratégie de compréhension beaucoup plus approfondie et beaucoup plus ciblée de ce que nous voulons et comment nous pouvons l'obtenir, que ce soit par l'intermédiaire de la promotion de centres de recherche universitaires, en encourageant les États et les gouvernements locaux à s'intéresser aux Canadiens et à leurs préoccupations ou.... Je pense que nous devons travailler à tous ces niveaux.
À (1005)
Mme Annette Hester: Je suis absolument d'accord qu'il faut savoir ce que l'on veut, se fixer des objectifs précis et s'y tenir. C'est de cela dont je parlais quand je faisais référence aux centres de recherche et au financement. Comment formuler ce qu'on veut et comment l'obtenir?
Ce que vous dites à propos de l'administration américaine à l'égard de l'Amérique latine est tout à fait vrai, mais j'aimerais faire une observation à propos de Cuba. Vous devez aussi vous rappeler—et c'est à cela que sert la recherche—que tous ceux qui s'occupent de l'Amérique latine actuellement à la Maison Blanche connaissent le dossier cubain. Si vous décidez de prendre position sur Cuba, par exemple—je ne dis pas pour ni contre—, sachez que vous risquez de susciter des réactions chez tous ceux qui, à la Maison Blanche, s'occupent des affaires étrangères et de l'Amérique latine. Tout ce qu'ils comprennent, c'est Cuba, et peut-être le Venezuela, mais ce n'est même pas sûr car ils mélangent et gâchent tout. Il faut voir à quel point ils ont cafouillé dans ce dossier, c'était vraiment pathétique. Le Venezuela joue un rôle majeur dans la satisfaction des besoins énergétiques des États-Unis. CITCO a une capacité de raffinage de un million de barils de pétrole par jour. Ce pays est le troisième distributeur de carburant en importance aux États-Unis et le plus grand fabricant d'asphalte de la côte Est; il possède des intérêts pétrochimiques et se trouve être le plus grand fournisseur de produits pétroliers des États-Unis, mais cela n'empêche pas les Américains de continuer à gérer la situation très maladroitement.
L'administration américaine ne comprend pas très bien l'Amérique latine, mais elle est encore très sensible au dossier cubain. Je ferais donc attention avant d'aborder ce sujet.
La vice-présidente (L'hon. Diane Marleau): Merci.
Monsieur Martin.
M. Keith Martin (Esquimalt—Juan de Fuca, Alliance canadienne): Merci beaucoup.
Je vous remercie d'être ici aujourd'hui. J'ai trois questions à vous poser.
Monsieur Hawes, compte tenu de la situation dans laquelle nous nous trouvons face aux Américains à l'échelle internationale, nous devons reconnaître que l'unilatéralisme qu'a adopté ce pays traduit l'échec des organes multilatéraux à relever les défis auxquels nous sommes confrontés. Comment notre pays peut-il renforcer et améliorer les institutions multilatérales et leur donner davantage de pouvoir quand nous sommes de moins en moins capables d'obtenir la coopération de nos partenaires américains et de ceux oeuvrant au sein d'organisations comme l'OTAN et l'ONU, notamment à cause de notre incapacité à participer militairement à différentes opérations?
Ma deuxième question porte sur un sujet que nous avons déjà abordé : notre aptitude à coopérer simplement avec nos homologues américains. Nous avons tous des problèmes quand nous allons aux États-Unis. À leurs yeux, nous ne sommes peut-être guère plus qu'un objet de curiosité, un animal échappé d'un zoo. Comme l'a dit un jour un de nos homologues : «Je suis venu vous voir parce que je possède un bungalow au Canada». C'est bien gentil, mais ce n'est pas ce que nous recherchons. Que faire pour tisser des liens plus étroits avec les Américains?
Enfin, pour en revenir à notre inaptitude à assumer pleinement nos engagements, j'aimerais que vous nous disiez, monsieur Hawes, si vous estimez opportun que le gouvernement fédéral désigne un ministre qui serait exclusivement responsable des relations canado-américaines au sein du cabinet.
M. Michael Hawes: Il est très facile de répondre à la troisième question. Oui, absolument. Très franchement, je pense que nous avons aussi besoin d'élaborer une stratégie nationale en matière d'éducation. Je sais que nous ne sommes pas censés utiliser ce mot à Ottawa.
À (1010)
Mme Annette Hester: Je ne le savais pas. C'est ce que j'ai toujours dit.
M. Michael Hawes: Il faut parler d'apprentissage.
Mme Annette Hester: Oh! très bien.
M. Michael Hawes: Permettez-moi de répondre maintenant aux questions 1 et 2. Tout d'abord, comment améliorer les institutions multilatérales? La première chose consiste à savoir ce que l'on veut. Deuxièmement, comme je le disais à mes enfants lorsqu'ils étaient petits, vient un moment où il faut faire des choix. Lloyd Axworthy disait souvent, à propos des organisations internationales : « vous les créez et nous y adhérerons ». Nous adhérons systématiquement à toutes les organisations internationales. Le problème, actuellement, c'est que les organisations internationales font face à une crise, tant à la base qu'à la tête—car il n'est pas clair que tous les gouvernements soient pleinement engagés à l'égard de ces organisations ou qu'ils puissent satisfaire leurs extraordinaires attentes. Le soi-disant mouvement anti-mondialisation prétend que ces institutions sont anti-démocratiques ou non-démocratiques et qu'elles n'ont aucune validité. Par conséquent, à ce qui était une sorte de danger venu d'en haut—en plus des craintes que beaucoup d'entre nous avions à l'égard du risque moral—s'ajoute maintenant une menace venant d'en bas, et beaucoup de ces organisations sont pratiquement assiégées. Troisièmement, il faut aussi reconnaître que le gouvernement américain—et ce n'est pas nouveau ni propre à cette administration—est très peu engagé dans les grandes organisations multilatérales, ce qui rend la situation très difficile.
Il n'y a pas de réponse simple à votre question, si judicieuse et opportune soit-elle, car nous ne pouvons pas agir seuls. Une des stratégies consisterait à créer une coalition internationale distincte à l'appui des institutions que nous jugeons les plus importantes et les plus influentes. Il faudrait choisir ces institutions et décider à quelles nous entendons consacrer des ressources.
Quant à savoir comment faire participer plus utilement les Américains, la seule réponse qui me vient est celle que je vous ai donnée plus tôt : nous devons être présents. J'occupe mon emploi actuel depuis le 1er septembre 2001. J'ai passé une semaine de formation à Washington, c'était la semaine du 11 septembre. Je venais juste de quitter mon bureau à Berkeley. J'avais encore mon bureau là-bas et un numéro de téléphone où on pouvait me joindre. Le 14 septembre, lorsque j'ai écouté les messages sur mon répondeur, il y avait 181 appels de journalistes du secteur de la Baie. J'étais le seul Canadien dont ils connaissaient le numéro de téléphone et je n'étais pas là.
Il faut les faire participer plus activement, de la même façon que nous l'avons fait avec les Mexicains. En favorisant tout simplement les transactions, nous avons mis fin aux stéréotypes selon lesquels le Mexique n'est qu'une destination touristique et qu'il n'y a rien d'intéressant à tirer de cette relation. Je pense que nous devons nous affirmer davantage et nous devons en payer le prix.
La vice-présidente (L'hon. Diane Marleau): Merci.
Madame Redman.
Mme Karen Redman (Kitchener-Centre, Lib.): Merci, madame la présidente.
J'ai vraiment apprécié vos interventions et je dois vous dire, madame Hester, que je trouve votre candeur très rafraîchissante.
J'ai une question pour chacun de vous. Il me semble que dans la vie politique, il y a deux scénarios possibles quand les choses tournent mal : soit que les politiciens ont été mal conseillés soit qu'ils ont été bien conseillés, mais qu'ils n'ont pas écouté. Vous parlez de toutes les initiatives et de l'argent investi aux États-Unis, et même si je considère que c'est très louable, je sais qu'il y a des gens, aux États-Unis, qui vous diraient qu'un petit groupe d'individus a détourné l'attention de l'administration américaine.
Ce que vous avez dit à propos de l'engagement des jeunes m'intéresse beaucoup, monsieur Hawes, car en tant que députée—je viens de la région de Kitchener-Waterloo—, je déplore souvent le fait que mes enfants et les jeunes auxquels je m'adresse soient beaucoup plus enclins à travailler dans une ONG qu'à envisager une carrière politique. Je trouve cela troublant. J'aimerais donc que vous précisiez davantage ce que vous entendez par engagement des jeunes car nous devons y être attentifs.
Par ailleurs, j'aimerais savoir quels sont, selon vous, les indicateurs permettant de déterminer si nos relations avec les États-Unis ont tiédi ou bien, pire encore, si elles marquent le début d'un grand refroidissement. Comment le savoir?
Madame Hester, vous avez parlé du financement des organisations internationales. Je viens de la région de Waterloo où on a investi 30 millions de dollars dans un centre appelé, je crois, Institute on Global Governance. Celui-ci fonctionne avec des capitaux privés auxquels s'ajoutent les 30 millions de dollars du gouvernement canadien. Pensez-vous que le Canada devrait multiplier ce type d'initiatives? En outre, l'Université Wilfrid Laurier est maintenant l'hôte de l'Academic Council of the United Nations System (ACUNS). Par conséquent, le Canada s'est déjà engagé dans cette voie, mais peut-être que vous pensez qu'il devrait faire plus; j'aimerais avoir votre opinion là-dessus.
À (1015)
Mme Annette Hester: J'aimerais qu'il y ait davantage de fonds de contrepartie. J'estime que ce serait beaucoup mieux pour les institutions car ce n'est pas bon que la totalité de leur financement provienne d'une seule et même source dont elles deviennent dépendantes. Par ailleurs, de la même façon que vous pouvez obtenir 30 millions de dollars d'un organisme privé, vous pouvez en recevoir autant d'un ministère. Ceci ne s'est pas fait dans le cadre d'un processus transparent; il s'agissait plutôt d'un cadeau, d'un accord politique. Cela n'a rien à voir avec le programme, mais il n'y a pas de financement coordonné transparent pour toutes les parties en présence, alors que c'est ce que prévoit la partie VI pour que tout le monde soit en concurrence. Vous savez comment présenter une proposition; vous savez aussi que vous êtes jugé selon certains critères et que tout le monde est logé à la même enseigne. Il y a ensuite le financement privé. Moi aussi, je peux trouver du financement privé, mais comment pourrais-je, sans représentation libérale à Calgary, obtenir des fonds de contrepartie? La méthode employée laisse à désirer.
Pour ce qui est des jeunes, j'ai une fille de 19 ans qui rêve de devenir gouverneur général. Elle pense que c'est le meilleur métier du monde. Mais je me demande si les jeunes, au Canada, ne sont pas aussi le reflet de nos universités et des idées qu'elles véhiculent. Je vois souvent des jeunes prêts à travailler pour des ONG. Quarante années d'ACDI et d'aide étrangère ont contribué à créer le cadre pour des études internationales dans les universités. Mais ces universités ne parlent pas des besoins stratégiques du Canada. Il y a donc toute une génération qui s'intéresse aux ONG, mais en même temps elle est presque déconnectée du fait que 75 p. 100 de nos revenus dépendent du commerce, qui se fait pour la plupart avec les États-Unis, ou du pétrole et du gaz. C'est ce qui leur permet de voyager partout dans le monde pour aller protester. Nous sommes incapables de penser stratégiquement pour le Canada et de réfléchir à ce qu'il faudrait faire pour conserver notre style de vie. C'est du moins ce que je conclus de mon expérience. Nous nous intéressons grandement aux ONG et nous sommes très idéalistes, mais je me surprends souvent à me demander : de quoi a besoin le Canada?
M. Michael Hawes: Permettez-moi de prendre aussi l'exemple de Waterloo. Sans perdre de vue qu'il y a peut-être eu des questions de procédure, je n'ai rien contre le partenariat John English-Andy-Cooper-RIM. Le rôle du gouvernement canadien n'est pas de fournir de l'argent au départ, mais plutôt d'appuyer des initiatives qui amènent la communauté et le secteur privé à faire ce travail. Je ne connais pas très bien le processus que John, Andy et d'autres ont suivi. Le Centre for International Governance Innovation, si c'est bien ainsi qu'on l'appelle, est maintenant le siège de l'ACUNS, qui se trouvait avant à l'Université de l'Alberta.
Mme Annette Hester: Mais selon la procédure établie.
À (1020)
Mme Karen Redman: On a également dit que pour être un pays responsable, nous devions réfléchir à un autre modèle de balance commerciale, non seulement dans le cadre de nos relations avec nos partenaires d'Amérique du Nord, mais aussi avec ceux de la Chine et d'autres marchés. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.
M. Michael Hawes: C'est ce que je vais faire. Je parlerai ensuite des jeunes et du fameux refroidissement des relations. Je pourrais d'ailleurs aisément établir un lien entre ces trois sujets.
Dans sa politique étrangère et dans sa politique commerciale, le Canada s'est toujours évertué à réduire sa dépendance à l'égard des États-Unis—par la prétendue odieuse troisième option du gouvernement—et à toujours faire contrepoids à l'influence américaine. Le problème, comme nous avons pu le constater au cours des 50 dernières années, c'est que la proximité géographique, les similitudes culturelles et la réalité économique rendent difficile l'application de cette théorie. Durant les années 1990, j'ai passé énormément de temps à Tokyo. J'enseignais à l'Université de Tokyo et à celle de Kokusai Daigaku. Il y a certainement des Canadiens, ici à Ottawa et dans le milieu des affaires, qui voudraient bien que nous accroissions considérablement nos échanges avec la Chine, le Japon et Taïwan, pour n'en citer que quelques-uns. Mais en réalité, je crois que nous visons toujours les 20 p. 100 d'échanges à l'extérieur du marché américain, à moins d'un événement déterminant. Les États-Unis sont un énorme marché et une économie extrêmement performante.
Quant aux jeunes, très franchement, je n'ai pas du tout envie de les blâmer. Je pense que les jeunes Canadiens s'intéressent incroyablement à toutes sortes de choses. Mais ce qui est arrivé dans le système universitaire canadien—et dans le système d'enseignement en général—, c'est que la réduction du financement public et des ressources disponibles ont incité les jeunes à se spécialiser. Ce système a encouragé les universités à limiter leurs travaux aux activités fondamentales—comme d'habitude, on va à l'essentiel. Nous n'envoyons pas d'étudiants à l'extérieur. Si nous envoyions beaucoup plus de jeunes à l'étranger, dans le cadre d'échanges, pendant une année, ils nous reviendraient plus conscients de leurs responsabilités publiques et chercheraient à savoir ce qu'ils peuvent et ce qu'ils doivent faire pour leur pays. La réponse est donc simple. Nous devons leur offrir davantage de débouchés et élargir leurs horizons; et ils répondront à l'appel, cela ne fait aucun doute. J'ai passé beaucoup de temps sur les campus de collèges américains, et comme l'a dit M. Day, les étudiants canadiens sont extraordinaires. Ils font vraiment très bonne figure. Que ce soit à Tokyo, à Beijing, à Londres ou en Californie, les Canadiens réagissent extrêmement bien face aux autres; le seul problème, c'est que nous leur donnons moins de possibilités.
Le président: Merci.
Monsieur Bergeron.
[Français]
M. Stéphane Bergeron (Verchères—Les-Patriotes, BQ): Merci, monsieur le président.
D'abord, merci beaucoup pour vos présentations et merci d'être parmi nous aujourd'hui. Je dois dire d'entrée de jeu que je suis pour le moins agacé par un certain nombre de commentaires qui reviennent fréquemment concernant la perte d'influence du Canada au sud de la frontière et au sein d'organisations internationales comme l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord, par exemple. Je m'interroge toujours à savoir si ces commentaires-là sont formulés par rapport au rôle ou à l'influence qu'avait le Canada il y a de cela une dizaine, une quinzaine, une vingtaine d'années sur la scène internationale, qui, on le sait, était démesurée par rapport à son véritable poids politique, économique et militaire, ou si ces commentaires sont formulés à l'égard de la position prise par le Canada actuellement dans le dossier sur l'Irak, comme si le Canada s'était rangé parmi les parias, parmi les marginaux de la communauté internationale, alors que le Canada est du même côté que la Russie, que la France, que la Belgique, que l'Allemagne. Le Canada n'est pas parmi les marginaux de la communauté internationale. Je dirais que ce sont les États-Unis et le Royaume-Uni qui font partie des marginaux de la communauté internationale par rapport à la position qu'ils ont prise dans le conflit en Irak.
Cela étant dit, monsieur Hawes, vous avez conclu votre présentation par une phrase qui m'a beaucoup fait sursauter. Vous avez dit que le Canada est en mesure de mettre de l'avant une politique étrangère indépendante pour peu qu'il entretienne un partenariat fort et stable avec les États-Unis.
Cela m'apparaît en soi représenter une espèce de paradoxe puisque justement le défi de la politique étrangère du Canada, c'est de pouvoir se démarquer par rapport aux États-Unis. La situation actuelle en Irak nous a démontré jusqu'à quel point il y a des limites à la capacité du Canada de faire preuve d'indépendance, si je puis dire, au niveau de sa politique étrangère sans se voir menacé de « sanctions », que ce soit au niveau de la perte d'influence, d'un refroidissement des relations politiques, de conséquences au niveau économique. C'est pourtant étonnant parce que vous faisiez vous-même allusion, au début de votre allocution, à la détérioration des relations Canada--États-Unis depuis le début des années 1980. Or, depuis le début des années 1980, le Canada a, à plusieurs reprises, fait preuve de beaucoup d'ouverture et a fait preuve de beaucoup de sympathie à l'égard des États-Unis. Qu'on pense à la crise des otages en Iran, à la décision de boycotter les Jeux olympiques de Moscou lors de l'invasion de l'Afghanistan par l'URSS, à la participation du Canada à la lutte antiterroriste en Afghanistan où le Canada a perdu des soldats, à la décision du Canada d'entreprendre des discussions sur les frontières communes, qu'on pense à une foule de choses. Pourtant, cela n'a jamais entraîné, du côté des Américains, une certaine reconnaissance, une certaine appréciation de ce que le Canada pouvait faire. Mais lorsque le Canada fait mine de vouloir faire preuve d'un peu d'autonomie, on montre les dents, on montre son mécontentement.
L'ambassadeur des États-Unis au Canada fait preuve d'un comportement tout à fait antidiplomatique et menace le Canada de la mauvaise humeur possible des États-Unis par rapport à la position qu'il a adoptée. Comment pensez-vous sérieusement, monsieur Hawes, qu'on puisse faire preuve d'une politique étrangère indépendante, laquelle reposerait sur un partenariat fort et stable avec les États-Unis? N'y a-t-il pas là un paradoxe?
À (1025)
[Traduction]
M. Michael Hawes: Je ne crois vraiment pas que ce soit un paradoxe. Mark Twain a dit un jour qu'être brillant, c'est aller de l'avant tout en défendant deux idées complètement contradictoires. Je pense qu'il avait raison. Si nous voulons prendre des décisions difficiles quand c'est vraiment important et adopter des positions indépendantes, nous devons bâtir une relation forte et stable avec notre principal partenaire et avoir une confiance suffisamment solide pour accepter de ne pas être d'accord sur certains points. Je pense que ce n'est ni un paradoxe ni un casse-tête en raison de l'importance du processus. Je ne crois pas que les élus politiques que j'ai pu rencontrer aient mal compris l'importance fondamentale de la réélection ou de la relation entre eux et leur électorat. Cela ne surprendrait personne, aux États-Unis, que vous disiez que vous avez une responsabilité à l'égard de vos administrés. Si la majorité de vos électeurs veulent que vous suiviez une stratégie contraire à celle adoptée par Washington, vous pourrez facilement défendre votre point de vue si vous avez tissé des rapports étroits.
Mais je le répète, il faut être très soigneux dans ses choix et dans les combats qu'on est prêt à livrer. Il est normal que les gens ne s'entendent pas toujours. Les désaccords peuvent avoir des conséquences négatives lorsqu'ils visent uniquement la contestation. Certains prétendent que pour avoir une politique étrangère indépendante, il faut aller à l'encontre de celle établie ou suivie par Washington. C'est vrai et faux à la fois. Il se peut que nos intérêts respectifs sur ce continent soient suffisamment proches pour décider d'adopter les mêmes politiques. Il se peut aussi que nos intérêts sur la scène internationale, ceux qui sont mus par la nécessité de promouvoir et de garantir l'ordre et la stabilité, soient suffisamment convergents pour que nous décidions de choisir les mêmes instruments pour arriver à nos fins. Mais nous devons entretenir d'étroites relations pour être capables de revendiquer nos vraies grandes différences.
Mme Annette Hester: Ce que j'ai dit au sujet des problèmes avec le Brésil contredit un peu les arguments de Michael. Il y a eu des difficultés justement parce que la relation était très ténue. Si les relations sont très superficielles, dès que survient le moindre désaccord sur une question—ce qui est tout à fait normal—, tout semble se détériorer. Je pense que nous avons déjà jeté les bases d'une bonne relation avec les Américains; il suffit de la consolider. Cette relation est suffisamment étroite, profonde et étendue pour que nous acceptions nos désaccords respectifs sans que cela nous empêche d'aller de l'avant.
Il arrive que ce qui se dit ne serve finalement qu'à amuser la galerie de part et d'autre de la frontière. Quiconque observe l'attitude des politiciens et écoute leur discours peut se rendre compte, avec un peu de recul, que ce n'est rien de plus que de la démagogie, et cela vaut autant pour les ambassadeurs que pour les personnalités publiques. J'écris beaucoup d'articles dans les journaux et je suis souvent surprise des titres qu'ils leur donnent. Je me demande d'où ils les sortent. Parfois, je me demande même s'ils ont lu ce que j'ai écrit. C'est incroyable de voir comment les grands titres peuvent éclipser le discours. Quiconque a été dans cette situation comprendra certainement de quoi je veux parler.
À (1030)
[Français]
M. Stéphane Bergeron: Je ne saurais être davantage d'accord avec vous sur la nécessité d'entretenir une relation très étroite avec les États-Unis, compte tenu de l'importance des liens à la fois économiques, politiques et culturels qui nous unissent à eux.
Mais je vous pose la question: croyez-vous, en toute candeur et sincérité, que le Canada peut vraiment être en désaccord avec les États-Unis sur une question comme celle de l'Irak, alors qu'en dépit du fait qu'il ne s'est pas officiellement engagé dans cette guerre, il se retrouve dans une situation tout à fait kafkaïenne, ayant malgré tout des troupes qui font la lutte sur le terrain aux côtés des Britanniques et des Américains, alors que des pays comme l'Espagne, qui ont pris cet engagement, n'ont aucun soldat sur le terrain?
Croyez-vous véritablement que nous puissions affirmer notre désaccord sans avoir à faire des compromissions comme celles que nous faisons aujourd'hui, à la fois sur le terrain et à la Chambre? À toutes fins utiles, nous sommes en train de discuter d'une motion qui constitue un genre d'acte de contrition à l'égard de la position que nous avons prise face aux États-Unis.
[Traduction]
Le président: Poursuivons rapidement. C'était une remarque, pas une question.
[Français]
M. Stéphane Bergeron: C'était une question, et je vous prierais de ne pas émettre de commentaires ou d'opinions sur mes questions, monsieur le président.
Le président: Je voulais seulement savoir si vous aviez une question.
[Traduction]
M. Michael Hawes: À mon avis, vous avez tout à fait raison. Nous pouvons et devons appliquer des politiques étrangères indépendantes. Si le gros de l'électorat canadien est opposé à ce type d'intervention, nous devons défendre cette position. Personne n'a dit que la politique étrangère était chose facile, pas plus que notre position face aux États-Unis, qui exige d'ailleurs beaucoup de travail de votre part, de celle de vos collègues et du ministère des Affaires étrangères. Je ne cherche aucunement à être désinvolte ou arrogant, mais je crois honnêtement que c'est la force de nos relations qui nous permettra de suivre la voie que nous avons choisie en ces moments très difficiles. Et il y en aura d'autres, comme la période tourmentée que nous avons traversée à cause de Cuba. Selon moi, notre position était inattaquable. C'était vraiment celle qu'il fallait prendre, même si elle allait provoquer la colère de Washington. Il en est de même pour la position que nous avions adoptée au début des années 1980 et qui, je crois, a généré la première des crises que j'ai connues entre les deux capitales. Cette position reflétait les intérêts de notre pays ainsi que l'opinion publique canadienne qui demandait à ses élus de garantir et de protéger certains acquis.
Bien sûr, la tâche sera ardue. Il faudra y consacrer énormément d'énergie, mais plus nos relations seront fortes et soutenues, mieux nous nous en porterons et plus il nous sera facile de passer au travers. Les États-Unis s'en tiennent à une position, alors que la grande majorité des autres pays du monde en défendent une autre. Nous pouvons et devons toujours protéger et promouvoir nos valeurs uniques, mais ce sera difficile.
À (1035)
Mme Annette Hester: C'est ce qui fait du Canada un grand pays. Lorsque j'étais au Brésil, nous disions tous à quel point c'était merveilleux que le Canada prenne position contre la guerre tout en continuant de respecter ses engagements. Notre pays a envoyé des militaires dans le Golfe, mais ça ne l'a pas empêché d'avoir le courage moral de dire qu'il n'était pas d'accord.
Le président: Merci.
Madame Kraft Sloan.
Mme Karen Kraft Sloan (York-Nord, Lib.): Je vous remercie beaucoup, monsieur le président.
Madame Hester, j'aimerais vous parler de votre proposition consistant à adopter une approche plus coordonnée et globale à l'égard du financement et de l'aide pour la recherche internationale. Je travaille beaucoup dans le domaine environnemental et, même si je ne défends pas exactement le même type d'arguments, j'ai aussi mis l'accent sur la nécessité d'adopter une stratégie en la matière. Ma première question concerne les liens avec les décideurs et la deuxième porte sur le financement.
Vous avez fait état d'un très gros investissement dans une institution et parlé de toute la question de la transparence, etc. Vous avez également souligné l'importance des fonds publics. Il me semble qu'une partie du travail devrait aboutir à la réalisation de certains objectifs de politique gouvernementale. Je comprends que vous ne vouliez pas toujours établir de liens avec une administration en particulier car ce n'est pas nécessairement dans l'intérêt du public. Pour en revenir au modèle particulier des États-unis, si vous envisagez vraiment de développer cette initiative dans le but d'effectuer des études et des recherches internationales, cela permettrait de bien comprendre le reste du monde et la place qu'occupe ce pays. J'espère aussi, peut-être simplement parce que je suis Canadienne, que cela contribuera à améliorer ou à renforcer notre position dans le processus multilatéral. Il me semble que dans le cas de l'Irak, nous avons essuyé une cuisante défaite. Vous dites aussi que les Américains ne semblent pas comprendre le Venezuela. Il se pourrait qu'au fond l'information ne circule pas correctement. J'aimerais savoir comment vous entendez développer de bonnes relations avec les décideurs publics car il est à espérer que la recherche influencera les législateurs.
Deuxièmement, en matière de partenariat et de financement, d'après mon expérience au Canada dans le mouvement environnemental, je sais que les fondations canadiennes ne peuvent livrer concurrence à leurs fondations soeurs aux États-Unis. Là-bas, tout est très différent. Le financement des fondations est risqué, c'est le moins que l'on puisse dire, et probablement relié à des projets, à des documents de recherche et autres choses du genre. Et si d'importantes sommes d'argent viennent du secteur privé, j'ai quelques raisons de craindre pour la défense des intérêts publics. J'aimerais connaître votre point de vue sur la question.
Mme Annette Hester: Le fait que l'administration américaine ait choisi de ne pas se servir de l'expertise existante ne signifie pas pour moi que cette expertise n'est pas disponible aux États-Unis. Lorsque les problèmes ont éclaté au Venezuela, à la suite du coup puis du contre-coup d'État en avril, les commentaires les plus vifs venaient des États-Unis, de la Dotation Carnegie, d'un grand nombre d'intellectuels et de plusieurs centres. L'expertise est donc bien réelle. Maintenant, je ne saurais vous dire comment l'administration fait ses choix.
À (1040)
Mme Karen Kraft Sloan: Existe-t-il un autre pays ayant une structure d'aide semblable pour ce type de centres de recherche?
Mme Annette Hester: Il existe toutes sortes de modèles différents, dont celui des Britanniques. Mais la partie VI permet le développement, selon une échelle proportionnelle à la taille des États-Unis, d'expertise sur certaines régions, ce qui est vraiment unique. Même si l'Europe jouit de connaissances en la matière, l'expertise relative à l'Amérique latine est vraiment impressionnante et elle émane d'intellectuels indépendants de très haut niveau. Mais il n'est pas dit que l'administration américaine y fasse toujours appel, même si elle y a recours à l'occasion.
Notre centre de recherches est en mesure de financer des projets. Je n'ai aucune difficulté à trouver du financement pour nos projets. Le problème, c'est qu'on passe d'un projet à un autre puis à un autre sans jamais prendre le temps de respirer. On doit toujours chercher de l'argent pour le projet suivant. On n'a plus le temps de s'arrêter pour faire des recherches, pour penser ou voir l'ensemble de la situation pour déterminer l'orientation à prendre, élaborer un avis éclairé sur la direction à suivre, les raisons qui nous y poussent, les considérations politiques, l'importance réelle et toutes les choses qu'un chercheur se doit d'analyser. Vous ne pouvez pas le faire sans bien comprendre les tenants et les aboutissants d'une situation. Mais il n'y a pas moyen d'y arriver; je n'ai même pas de secrétaire; tout ce que je fais, c'est aller à la poste. Je suis sur le point d'obtenir un doctorat en photocopie; je me débrouille très bien. J'écris un document, je l'imprime, je le photocopie et je l'amène à la poste parce que personne ne veut nous donner du financement de base. Nous avons le soutien de certaines entreprises qui attendent des résultats tangibles. Je peux vous parler de résultats jusqu'à l'épuisement—je suis consultante auprès d'entreprises et je sais comment faire.
En outre, nous sommes censés élaborer un plan d'affaires montrant notre autonomie financière. Très bien. Cela prouve que je suis consultante. Mais si je suis consultante au sein d'une université, cela veut dire que je fais concurrence au secteur privé. J'utilise le soutien et les moyens de l'université pour arriver à mes fins, ce qui est encore pire. Alors, je n'agis pas comme consultante et je finis par me disputer avec mon patron, le doyen—qui, au passage, est quelqu'un d'exceptionnel—et avec le président de l'université car je ne suis pas disposée à adopter un modèle de fonctionnement voulant que je sois autosuffisante car je n'y crois pas. L'idée c'est qu'en bout de ligne, si vous avez la structure fiscale adéquate et si vous créez un système offrant de bonnes mesures incitatives, vous pouvez espérer que les entreprises et les fondations relèvent le niveau. C'est ce que nous sommes sur le point de faire en Alberta où je dis que nous pouvons travailler en partenariat, et ce que nous voyons au Québec fonctionne également très bien.
Lorsque je voyage à l'étranger avec des ministres ainsi que des représentants de gouvernement ou du milieu des affaires, je joue un rôle que personne d'autre ne peut occuper; mais si je suis consultante, je ne peux pas jouer ce rôle. Je n'ai pas accès aux journaux, aux journalistes, aux différents élus ou à des chefs d'entreprises, alors que je peux le faire en tant qu'intellectuelle et reporter.
Nous avons tous un rôle à jouer. D'une certaine manière, nous devons comprendre ce que l'université et le centre de recherche visent et, à partir de là, établir des liens avec les entreprises, les gouvernements, etc.
M. Michael Hawes: Personne n'atteint le niveau des États-Unis, mais le modèle allemand est intéressant car il offre davantage d'argent à la recherche indépendante et il accorde plus d'intérêt aux échanges et au rayonnement des activités, tout comme c'est le cas, dans une moindre mesure et de façon assez curieuse, au Japon. Vous pourrez observer des similitudes historiques entre ces trois pays.
Deuxièmement, vous avez tout à fait raison d'établir un lien avec la politique gouvernementale. Au cours des 20 derniers mois, j'ai tenté de développer dans mon programme un lien spécial avec le Centre canadien de gestion, le Projet de recherche sur les politiques, le Bureau du Conseil privé, le ministère de la Justice, l'ACDI, la U.S. Geological Survey et le United States Institute for Peace parce que le but n'est pas simplement de faire des recherches, mais de déboucher sur l'élaboration de politiques. Je viens de conclure une nouvelle entente avec l'ACDI. En vertu de celle-ci, des gens iront rencontrer des représentants de l'Agence pour aborder certaines questions, de sorte qu'il y aura une relation réelle entre les chercheurs et ceux qui définissent les politiques.
Enfin, je suis absolument d'accord sur le fait que nous avons besoin de créer des fondations. Peu importe la structure, il nous faut profiter de cette objectivité et nous avons besoin d'une organisation où la sélection se fait indépendamment des critères politiques et commerciaux. Dans ma propre organisation, nous avons, je crois, l'un des systèmes les plus contraignants qui soit. Pour qu'un jeune Canadien puisse bénéficier du programme Fulbright, son dossier, dans lequel sont dissimulés les nom, âge et sexe, est examiné par un comité composé de neuf personnes. Ensuite, le dossier est revu par un autre comité composé de six membres : soit trois présidents d'universités canadiennes et trois présidents d'universités américaines. Après, il passe devant ce que l'on appelle le Conseil des chercheurs étrangers, qui est composé de gens nommés par le Congrès ou le président. Mais le problème, en bout de ligne, c'est qu'il n'y a de politique nulle part. Cela coûte très cher d'élaborer un processus aussi compliqué et ardu, et il n'y a aucune garantie de respect de la liberté académique et intellectuelle.
À (1045)
Mme Karen Kraft Sloan: Il existe un programme au Canada en vertu duquel les députés passent un certain temps—une semaine—dans un syndicat ou une grande société. En ce qui me concerne, je suis allée à Shell Canada, à Calgary. Je ne sais pas s'il existe quelque chose du genre entre le Canada et les États-Unis. Il serait peut-être intéressant d'envisager une telle initiative, peut-être pas pour vous, mais pour quelqu'un d'autre.
M. Michael Hawes: En septembre, ma fondation mettra en place pour la première fois un programme d'échange d'étudiants de premier cycle entre le Canada et les États-Unis. Le gouvernement mexicain a déjà créé des stages permettant à des étudiants et à des professeurs d'être accueillis au Congrès ainsi que dans des sociétés et des tribunaux américains. Ce n'est pas notre cas. Le Département d'État américain m'a demandé d'examiner quelques documents concernant ce qu'il appelle un projet de renforcement trilatéral. Nous allons l'étudier, mais il n'y a encore rien de concret.
Mme Karen Kraft Sloan: J'ai accueilli des stagiaires américains dans mon bureau à plusieurs reprises.
Le président: Je tiens à remercier les deux témoins qui ont comparu ce matin d'avoir accepté notre invitation. Dans un sens, vos témoignages étaient un peu différents de ce que nous avons l'habitude d'entendre, mais c'était très bien.
Je tiens à rappeler à mes collègues qu'après la séance de jeudi matin, j'inviterai les membres du comité à débattre du contenu du rapport sur la politique étrangère.
Je vous remercie et je vous souhaite une bonne fin de journée.
La séance est levée.