FAIT Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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37e LÉGISLATURE, 2e SESSION
Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international
TÉMOIGNAGES
TABLE DES MATIÈRES
Le mardi 28 octobre 2003
 | 1205 |
Le vice-président (M. Stockwell Day (Okanagan—Coquihalla, Alliance canadienne)) |
M. Osman Tastan (professeur de loi musulmane, Université d'Ankara (Turquie)) |
 | 1210 |
 | 1215 |
Le vice-président (M. Stockwell Day) |
Mme Francine Lalonde (Mercier, BQ) |
 | 1220 |
Le vice-président (M. Stockwell Day) |
M. Osman Tastan |
 | 1225 |
 | 1230 |
Le vice-président (M. Stockwell Day) |
Mme Alexa McDonough (Halifax, NPD) |
M. Osman Tastan |
 | 1235 |
La présidente suppléante (Mme Aileen Carroll (Barrie—Simcoe—Bradford, Lib.)) |
Mme Francine Lalonde |
La présidente suppléante (Mme Aileen Carroll) |
 | 1240 |
M. Osman Tastan |
 | 1245 |
La présidente suppléante (Mme Aileen Carroll) |
M. Stéphane Bergeron (Verchères—Les-Patriotes, BQ) |
M. Osman Tastan |
La présidente suppléante (Mme Aileen Carroll) |
M. Stéphane Bergeron |
 | 1250 |
M. Osman Tastan |
La présidente suppléante (Mme Aileen Carroll) |
Mme Karen Redman (Kitchener-Centre, Lib.) |
M. Osman Tastan |
Mme Karen Redman |
M. Osman Tastan |
 | 1255 |
Mme Karen Redman |
La présidente suppléante (Mme Aileen Carroll) |
Mme Francine Lalonde |
La présidente suppléante (Mme Aileen Carroll) |
Mme Alexa McDonough |
M. Osman Tastan |
· | 1300 |
La présidente suppléante (Mme Aileen Carroll) |
M. Osman Tastan |
La présidente suppléante (Mme Aileen Carroll) |
M. Osman Tastan |
La présidente suppléante (Mme Aileen Carroll) |
CANADA
Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international |
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TÉMOIGNAGES
Le mardi 28 octobre 2003
[Enregistrement électronique]
 (1205)
[Traduction]
Le vice-président (M. Stockwell Day (Okanagan—Coquihalla, Alliance canadienne)): Je déclare la séance ouverte.
Nous avons le grand plaisir d'accueillir aujourd'hui le Dr Osman Tastan, un monsieur que nous avons rencontré récemment, du moins certain d'entre nous, durant notre récente tournée. Nous avons rencontré le témoin d'aujourd'hui quand nous étions à Ankara, en Turquie.
C'est un plaisir de vous accueillir ici aujourd'hui, docteur Tastan.
Le Dr Tastan est actuellement à l'Université d'Ankara. Vous serez peut-être intéressés d'apprendre qu'il est également passé par l'Université d'Exeter, en Angleterre, où il a obtenu un doctorat en droit musulman au Département des études arabes et musulmanes. Il faut également qu'il enseigné au Département des études sur le Proche-Orient de l'Université Cornell, dans l'État de New York, aux États-Unis.
Vous avez donc une feuille de route intéressante et impressionnante, docteur Tastan. On vous a déjà mis au courant de ce que nous faisons et de la nature de notre étude.
Certains d'entre vous seront peut-être intéressés d'apprendre que le Dr Tastan a beaucoup publié et qu'il est très recherché comme conférencier. Il a publié sur une vaste gamme de sujets, depuis le code alimentaire énoncé dans le Coran jusqu'à l'idée de la désobéissance civile en droit musulman, depuis la controverse et la pénalité pour adultère dans la loi islamique traditionnelle jusqu'à la politique des pays islamiques en matière de population, et aussi sur la guerre sainte dans le monde islamique, ce qui est bien sûr un sujet du plus haut intérêt.
Docteur Tastan, nous sommes tellement heureux que vous ayez du temps à nous consacrer. Nous savons que vous êtes probablement un peu fatigué de votre récent voyage transatlantique. Je vous remercie d'avoir bien voulu venir nous rencontrer.
Veuillez prendre le temps qu'il vous faudra pour faire votre exposé, après quoi les membres du comité auront des questions à vous poser.
M. Osman Tastan (professeur de loi musulmane, Université d'Ankara (Turquie)): Je vous remercie beaucoup de m'avoir invité ici.
Distingués membres du comité, monsieur le greffier, je me sens honoré d'avoir l'occasion de prendre la parole devant le Comité permanent des affaires étrangères et du Commerce international à la Chambre des communes, dans ce pays d'Amérique du Nord qui est d'une extrême importance, qui est apprécié et admiré partout dans le monde pour ses réalisations et sa réussite en matière de démocratie et de pluralisme.
Je vais commencer mon discours en exprimant ma gratitude à son excellence le greffier, M. Stephen Knowles, qui m'a invité à prendre la parole devant les distingués membres du comité sur cette question des relations avec les pays musulmans.
Comme vous l'avez dit, monsieur le président, nous nous sommes rencontrés à Ankara, et j'ai été très heureux que vous, à titre de représentants des autorités canadiennes, soyez intéressés à venir prendre connaissance sur place, dans la région, d'une version réelle de l'Islam. Si je ne me trompe, vous deviez ensuite vous rendre en Iran et en Arabie Saoudite. Avec la Turquie, ces trois pays forment un trio très important, à mon avis.
La Turquie, étant constitutionnellement séculière, conserve une solide culture islamique sunnite. L'Iran, qui est constitutionnellement religieux, a une solide culture islamique chiite, tandis que l'Arabie Saoudite est réputée pour être un foyer d'islam sunnite traditionaliste, à la fois sur le plan des institutions et de la religion proprement dite, puisque ce pays abrite la Mecque et Médine, qui sont les deux villes sacrées de l'Islam.
Je crois qu'une véritable compréhension entre l'Occident et les pays islamiques se heurte à divers obstacles et, à ce sujet, je voudrais faire deux observations brèves et directes. Premièrement, il subsiste à la fois chez les musulmans et chez les chrétiens une mémoire politique qui conserve des vestiges de préjugés et de rivalités religieuses datant de l'époque médiévale et de leur rencontre plutôt hostile pour des motifs religieux. Deuxièmement, l'occident, dans l'esprit des masses populaires musulmanes modernes, est d'une part technologiquement « supérieur », et d'autre part, représente « l'autre ». Ainsi, on l'apprécie pour la qualité de vie et la technologie qu'il a à offrir à l'humanité, et en même temps, on lui résiste, en tant qu'autre, à cause de sa domination culturelle mondiale. De son côté, l'occident conserve une perception stéréotypée des musulmans, avec leur habillement traditionnel désuet par rapport à celui de l'homme moderne, et avec la limitation des droits des femmes, la polygamie et des peines sévères en droit coranique, etc. De plus, l'Islam, dans les contacts avec des non-musulmans, est étroitement associé au concept du « jihad », c'est-à-dire la guerre sainte et la violence.
Parmi ces préjugés qui sont profondément enfouis dans la culture socio-politique et la mémoire des peuples de part et d'autre, les relations de l'occident avec les pays islamiques sont assurées plus directement par des organisations gouvernementales et par les mouvements commerciaux et économiques internationaux, tandis que les relations du monde musulman avec l'occident, en un sens, sont d'une certaine manière plus diversifiées : envoi d'étudiants outre-mer dans les établissements occidentaux d'études supérieures, pour permettre à l'élite moderne et libérale d'avoir accès au monde politique et à la haute société du monde musulman, importation de technologie, et adoption d'un niveau de vie plus relevé pour les citoyens des pays musulmans.
De plus, l'occident est une destination d'espoir pour un bon nombre de gens qui sont insatisfaits de leur sort dans leur pays et qui comptent y trouver un meilleur niveau de vie. De plus, la largeur de vue des démocraties occidentales en matière de droits de la personne et de liberté d'expression offre une voix d'avancement possible pour une culture d'opposition intellectuelle et politique du monde musulman. De cette manière, les idées politiques internes du monde musulman peuvent facilement parvenir dans la diaspora musulmane installée en occident. Ainsi, il devient plus que jamais important d'établir un dialogue constructif tenant compte de la culture socio-politique islamique, comme prérequis pour établir des relations positives et durables avec le monde musulman.
 (1210)
Cependant, pour les raisons que je viens d'évoquer, il subsiste en Occident un vieux fond de méfiance envers les sociétés musulmanes, et l'on cherche à y remédier par une coopération efficace avec l'élite musulmane moderne. Parallèlement, dans les sociétés islamiques, il y a de même un vieux fond de méfiance qui tire son origine non seulement des anciennes rivalités religieuses de l'époque médiévale, mais aussi de l'histoire récente des guerres et de la colonisation. Ainsi, toute proposition de changement socio-politique dans le monde musulman est très facilement interprétée comme étant associée à la dynamique externe façonnée par l'Occident, et suscite ainsi la méfiance.
Par conséquent, le changement même qui est nécessaire pour mettre en place une société musulmane moderne se voit refuser le niveau de légitimité sociale dont il a besoin. Presque tous les jours, on peut lire des chroniqueurs et entendre des commentateurs télévisuels expliquer les événements socio-politiques dans le monde musulman et aux alentours par des théories du complot.
Pour établir et maintenir de meilleures relations avec l'Occident et plus particulièrement le Canada, les préjugés et la méfiance historique susmentionnés doivent être remplacés par des approches et des contacts viables et positifs. Je crois que le Canada, à titre de l'un des pays les plus avancés sur le plan économique, doté d'une société démocratique progressiste et étant l'un des pays occidentaux suscitant le moins de méfiance sur le plan politique, a une occasion unique de se faire le pionnier de relations positives avec les pays musulmans. À cette fin, les points suivants peuvent être considérés comme favorisant une compréhension meilleure et durable du monde musulman.
Premièrement, l'Islam doit être étudié et compris non seulement comme une idéologie, non seulement sous l'angle de la guerre sainte et de la loi religieuse, mais aussi comme une culture sociale, riche de traditions et d'expériences, que les musulmans ont créée et entretenue à titre de partie intégrante de la société humaine. Cela devrait également donner aux musulmans une occasion légitime et le droit d'apporter des changements à leur propre contexte sociétal s'ils estiment et se rendent compte qu'ils ont besoin d'un changement socio-culturel plus poussé.
En fait, un tel changement se produit effectivement dans les sociétés musulmanes, quoique dans certaines limites. Par exemple, le droit pénal islamique est très rarement appliqué rigoureusement. La polygamie n'est pas aussi répandue qu'autrefois. On fait la promotion des droits des femmes. Et le Coran est le foyer d'attention tout au long des études islamiques afin d'élaborer de nouvelles interprétations du texte sacré à la lumière de cultures traditionnelles accumulées tout au long de l'histoire et ayant résisté à l'usure du temps.
Deuxièmement, il faut promouvoir les domaines de coopération qui ne sont pas politiquement sensibles. Par exemple, la coopération universitaire sous forme d'échanges d'étudiants et de professeurs doit être appuyée au moyen d'un plan de travail, selon le modèle du projet Socrate/Érasme qui est appliqué par les États membres de l'UE, et du projet Leonardo da Vinci et d'autres programmes d'éducation supérieure européens qui encouragent la coopération entre différentes couches de la société, de part et d'autres, dans différentes voies de carrières. L'objet fondamental de ce vaste effort est de faire ressortir l'importance de la compréhension inter-sociétale et interculturelle pour constituer des bases solides de relations internationales.
Troisièmement, il faut encourager les études inter-religieuses en allant au-delà de la mode de l'étude comparative des religions. Il faut étendre la portée de ce champ d'étude pour en faire l'étude comparative des civilisations. La raison d'être en est que les différences entre les civilisations et aussi l'histoire des civilisations peuvent permettre de comprendre et d'apprécier la diversité entre les peuples de différentes affiliations religieuses. Cette culture de la différence et de la diversité est en soi une source potentielle de pluralisme et de tolérance dans la société humaine, dont on a le plus grand besoin.
Quatrièmement, l'Islam doit particulièrement être perçu comme un élément fondamental de l'identité des individus musulmans et des sociétés musulmanes également. Ainsi, il serait possible de mettre en place une coopération et des relations internationales fondées sur une intention plus marquée d'établir la paix et la réconciliation entre des sociétés de fois différentes, grâce à une compréhension profonde des valeurs religieuses et culturelles mutuelles. De cette manière, les attitudes et sentiments réactionnaires répandus à la fois dans les cercles politiques et populaires peuvent être remplacés par une approche rationnelle et la recherche d'un changement social et politique en direction d'une société mondiale davantage démocratique et fondée sur les droits de la personne.
 (1215)
Si les points susmentionnés doivent être pris en considération pour une perspective plus positive sur les relations internationales avec les pays musulmans, mon cinquième point est que l'Islam, en tant que religion, culture, politique et société, peut être étudié dans les contextes historique et moderne. En ce sens, je crois qu'une série de conférences, en commençant par les divers aspects religieux et politiques de l'Islam, revêtirait une grande importance pour établir une meilleure compréhension entre l'Occident et les pays musulmans, car de tels événements constituent des occasions uniques de rassembler des universitaires des deux mondes, en leur assignant la tâche particulière de comparer et d'analyser les différents points de vue et de dégager des points de synthèse et de réconciliation.
En guise de conclusion de tout ce dont je viens de vous parler, nommément les différents aspects de l'effort nécessaire pour mieux comprendre le monde musulman et pour créer et maintenir de meilleures relations avec les pays musulmans, je soutiens que les relations internationales doivent être perçues, conceptualisées et contextualisées comme des relations inter-sociétales et interculturelles.
Merci beaucoup de m'avoir écouté.
Le vice-président (M. Stockwell Day): Merci, docteur Tastan.
Nous allons maintenant passer aux questions et aux échanges.
Au Canada, nous manifestons une grande déférence envers les partis d'opposition, tout au moins pour ce qui est de pouvoir poser des questions, et nous allons donc donner d'abord la parole au Bloc québécois qui posera la première question.
[Français]
Mme Francine Lalonde (Mercier, BQ): Merci, monsieur le président.
Bienvenue, monsieur Tastan. Au Canada, il y a deux langues officielles; c'est la raison pour laquelle je m'exprime en français à la Chambre des communes. Merci infiniment pour cette synthèse. Vous savez que nous revenons d'une tournée qui a commencé en Turquie, mais qui s'est continuée en Iran, en Arabie saoudite et qui s'est terminée en Égypte. Nous sommes très heureux que vous soyez là. Ce que vous nous avez offert en guise d'introduction, c'est une sorte de synthèse.
Je pourrais avoir plusieurs questions à vous poser, mais j'en ai surtout deux. La première porte sur l'islam, la démocratie et les droits humains. Nous avons compris, je crois, qu'il y a, dans les divers pays que nous avons visités, beaucoup de gens qui sont engagés dans le processus de la démocratie et de la défense des droits humains, mais qui ne veulent pas que ceci soit imposé par l'Ouest. De notre côté, il nous faut comprendre que le Coran, la loi islamique, n'est pas contradictoire avec la démocratie.
Deuxièmement, vous avez dit qu'il faudrait, pour diminuer la méfiance à l'endroit de l'Ouest, établir une coopération efficace avec l'élite musulmane. Mais est-ce que cela serait suffisant, compte tenu du fait que l'élite, dans plusieurs pays, nous est apparue comme coupée de la base de la population?
 (1220)
[Traduction]
Le vice-président (M. Stockwell Day): Docteur Tastan, à titre d'information, quand nous passons à la période des questions, nous accordons environ 10 minutes pour chaque question et la réponse qui suit. Ainsi, vous avez environ 7 minutes pour répondre à cette première question.
M. Osman Tastan: D'accord.
Merci beaucoup. J'ai eu grand plaisir à vous rencontrer à Ankara et je suis aussi content que vous m'ayez invité ici pour m'entretenir avec vous.
Vous avez posé deux questions. Je vais d'abord répondre à la première, avant d'aborder la question du Coran.
Au sujet de la coopération avec l'élite musulmane, j'ai en effet mentionné dans mon discours la coopération avec l'élite du monde musulman, mais je n'ai pas dit, ou j'ai essayé d'éviter de dire...mais je soutiens qu'il est très important de coopérer avec l'élite, parce que c'est le seul canal intellectuel et moderne par lequel vous pouvez atteindre les sociétés traditionnelles. De cette manière, oui, c'est positif de coopérer avec l'élite, mais je conviens avec vous que l'élite, en particulier l'élite politique, est coupée et quelque peu isolée de la société.
Le point que j'ai abordé ensuite—si j'avais le temps, je donnerais une réponse plus élaborée—renforçait en fait ce que vous venez de laisser entendre, à savoir que l'élite est quelque peu coupée...que des relations exclusivement avec l'élite pour tenter de rejoindre la collectivité seraient tout à fait stériles et ce serait généralement difficile. C'est pourquoi j'ai bien apprécié que M. le greffier et la délégation viennent à Ankara et poursuivent ensuite en Iran et en Arabie Saoudite pour essayer de rencontrer le vrai monde, les organisations de la société civile et les gens qui ne viennent pas des cercles gouvernementaux officiels. Cela leur a permis de voir davantage la véritable culture qui est répandue dans cette société et trouver ainsi de meilleures idées pour l'établissement de relations plus positives.
Donc, sur ce point, je suis entièrement d'accord. Nous n'avons pas de divergence d'opinion.
Pour revenir à votre première question au sujet de l'Islam, de la démocratie et des droits de la personne, cette question est d'un grand intérêt. Il est vrai que des gens ont dit dans la région qu'il n'y avait aucune contradiction entre le Coran et la démocratie...pour ce que j'en ai compris. Dans l'histoire de l'Islam, les droits humains sont très anciens. Le prophète Mahomet, avant qu'il reçoive la charge, ou qu'il ait la révélation, en un sens, quand il n'était qu'un jeune homme dans sa société. avait déjà adhéré à une société des droits de l'homme qui existait à cette époque à La Mecque. C'était juste avant l'Islam. Selon l'appellation arabe, c'était une alliance de personnes vertueuses, en un sens, qui appuyait les droits de la personne dans la ville de La Mecque.
Plus tard, le véritable Islam coranique a commencé à émerger, et le texte du Coran comprend le concept de la Shura, qui est une sorte de conseil. Maintenant, comment cela est mis en pratique, c'est une autre histoire, mais en théorie, la Shura constitue une bonne base pour une société démocratique, parce que cela veut dire que l'on rassemble tous les docteurs de la loi coranique pour tenir une discussion libre et essayer de dégager un compromis ou s'entendre sur une conclusion commune.
 (1225)
Nous avons certains universitaires qui ont étudié cette question. L'un d'eux est Fazlur Rahman, qui a enseigné pendant de nombreuses années dans des universités à Chicago. Il était originaire du Pakistan. Il soutenait que le concept de la Shura n'a pas été correctement mis en pratique durant l'histoire, parce qu'on ne lui donnait aucun pouvoir, sinon des pouvoirs purement symboliques. Un sultan s'entourait de docteurs de la loi et les consultait, mais il ne s'estimait jamais tenu de suivre les résultats des consultations.
Bien sûr, ce n'est pas un point positif, mais en un sens, ce qui est positif, c'est qu'il y a des bases de culture démocratique dans le Coran, par exemple la Shura et aussi le fait que la majorité se voit confier un mandat dans le Coran. Si l'on donne une majorité à une culture stagnante qui change très lentement, cela ne nous donne pas une très bonne idée de la manière de procéder. Mais si l'on donne à la majorité une interprétation selon laquelle on peut inscrire son choix sur un bulletin de vote, et si l'on fait des recherches sur l'opinion publique, etc., alors évidemment, on peut interpréter ce mandat de la majorité conférée par l'Islam d'une manière plus démocratique. C'est tout à fait possible.
Cependant, le texte du Coran lui-même donne lieu à des discussions dans les milieux universitaires islamiques, parce que le texte fait partie du développement historique de l'Islam. Ainsi, lorsqu'il y avait une guerre au début de l'Islam, alors que le Coran était encore en cours de rédaction, c'est-à-dire que le prophète Mohammed continuait d'en avoir la révélation par bribes, verset par verset, ceux-ci reflétaient évidemment l'état de guerre et cherchaient à exercer une influence par des énoncés rigoureux et sévères. Mais il y a aussi dans le Coran des énoncés très tolérants qui pourraient orienter vers une culture démocratique.
Donc, si le texte coranique est interprété littéralement et de façon exclusive, les choses seront ainsi, mais s'il est possible d'en donner une interprétation teintée par les circonstances historiques, de le contextualiser et de l'actualiser, alors on pourrait vraiment en dégager des notions démocratiques. C'est possible.
 (1230)
Le vice-président (M. Stockwell Day): Merci.
Nous allons passer à Mme McDonough ou à M. Casey.
Et ce seront des échanges de cinq minutes et non pas de dix. Je me suis trompé.
Merci.
Mme Alexa McDonough (Halifax, NPD): Premièrement, je vous souhaite la bienvenue, docteur Tastan. J'étais censée accompagner mes collègues en Turquie, mais à ma grande déception, il m'a été impossible d'y aller. Mes questions seront donc beaucoup moins éclairées que les leurs, eux qui ont bénéficié de leur récent voyage en Turquie et dans les pays voisins.
L'un des problèmes sur lequel nous achoppons énormément—c'est peut-être la nature humaine, en partie—c'est que, très souvent, on omet—et quand je dis « on », je veux dire tout le monde—de faire la distinction entre les diverses formes d'expression religieuse. Au sein même de la foi chrétienne, par exemple, il y a beaucoup de confessions religieuses différentes, beaucoup d'institutions et de pratiques religieuses différentes. Autrement dit, le christianisme, à titre d'exemple, est extrêmement divers, et pourtant, même nous qui siégeons dans un comité qui se penche sur la question des relations entre le Canada et les pays musulmans et les communautés musulmanes, je crois que nous souffrons parfois d'une erreur d'optique en nous imaginant que l'Islam est monolithique.
Pour ce qui est de la Turquie—et je pose cette question en partie par ignorance—, je pense que l'on a souvent le sentiment que nous pouvons plus facilement comprendre et établir des relations démocratiques, de collaboration et de coopération avec la Turquie parce que la Turquie est fondamentalement un état séculier. Son groupe religieux dominant est l'Islam, mais il ne domine pas la culture politique.
Je me demande si vous pourriez faire des commentaires là-dessus et aussi si nous sommes fondés de considérer que la Turquie n'est peut-être pas représentative de beaucoup d'autres pays du Moyen-Orient dont la majorité ne sont pas des États séculiers.
Avez-vous des réflexions ou des révélations dont vous pourriez nous faire part et qui nous aideraient à mieux appréhender cette réalité?
M. Osman Tastan: Merci de votre question.
La Turquie et d'autres pays musulmans sont comparables à différents égards et non à d'autres. Ils sont comparables dans le sens où l'islam sert d'identité, comme je l'ai indiqué dans mon introduction. En Turquie, lorsque vous regardez la communauté, l'islam en tant que système de droit n'est pas en vigueur, mais en tant qu'identité, il est présent et d'une manière très sensible.
Les grandes masses ne s'intéressent pas aux détails du droit islamique, mais lorsqu'il s'agit du Ramadan, l'islam devient quelque chose d'individuel—par exemple, si vous voulez jeûner pendant le mois du Ramadan. L'islam est plus apparent au niveau individuel en Turquie. Alors, il est plus simple ou plus approprié de dire que dans la sphère publique en Turquie, l'islam n'est pas une référence d'une grande importance. En conséquence, la constitution et le droit turcs n'ont absolument aucun rapport avec l'islam; il n'y a aucune allusion à la religion, dans un sens. Mais lorsqu'il s'agit des pratiques individuelles, comme le fait de se rendre à la mosquée le vendredi, ou de jeûner, alors, là, l'Islam est fort.
Ce que la Turquie partage avec d'autres pays musulmans, c'est une sensibilité à l'égard de l'identité musulmane. Si les valeurs musulmanes étaient en quelque sorte bousculées, théoriquement, les réactions seraient alors semblables, mais du point de vue légal et du point de vue des institutions, cela est totalement différent. La société qui repose sur des valeurs islamiques fonctionne différemment. Par exemple, vous ne pouvez voir facilement les masses musulmanes marcher dans les rues en Turquie, mais cela peut arriver dans d'autres pays.
Mon point de vue personnel, c'est que cette question est enracinée profondément dans le système d'éducation, parce que l'éducation islamique traditionnelle se fait dans des madrassas, des écoles islamiques très anciennes. Ces écoles, d'une manière héréditaire, remplacent les professeurs par les étudiants, et ainsi de suite, de sorte que la chaîne des enseignants est en même temps la chaîne des leaders islamiques.
En fait, ce système d'éducation a été éliminé complètement et un nouveau système d'éducation a été implanté. Les madrassas ont été bannies au début du XXe siècle en Turquie. Ainsi, il y a des professeurs religieux, mais nous ne pouvons plus dire que ce sont des leaders religieux qui pourraient mobiliser les masses en Turquie. Cela fait une différence du fait que l'islam demeure un élément plus individuel en Turquie, mais dans le reste du monde musulman, dans les établissements d'enseignement, il y a également d'éminents professeurs, et leurs leaders sont en place.
Autre chose, la Turquie est davantage en contact avec l'islam par l'intermédiaire du soufisme, dans le sens populaire, dans la culture populaire. Il s'agit beaucoup d'un attachement silencieux aux pratiques de l'islam au niveau personnel, privé, etc. Cela est différent d'une connaissance textuelle et claire de l'islam, ce qui pourrait très bien être le cas dans le Golfe, par exemple.
 (1235)
La présidente suppléante (Mme Aileen Carroll (Barrie—Simcoe—Bradford, Lib.)): Merci, monsieur Tastan.
J'ai accepté de remplacer M. Day à titre de président à la condition que mon nom reste sur la liste des gens qui veulent poser des questions. J'ai reçu cette autorisation et je vais maintenant poser ma question.
Comme mes collègues, je vous suis reconnaissante de votre présence ici. Il y a tellement de choses que nous voudrions vous demander. Comme l'a dit Mme McDonough, elle a malheureusement manqué le voyage, mais d'autres parmi nous y étions. Nous avons maintenant l'occasion de vous parler à travers cette lentille, ce qui rend cette occasion plutôt spéciale.
J'aimerais parler d'une question dont nous avons tant discuté et tant entendu parler, à savoir la question du hidjab et des remous autour de cette question en Turquie. Un matin, deux femmes sont venues nous faire un exposé. Une de ces femmes était avocate, et je pense qu'elle a parlé au nom d'une association d'avocats—dites-moi si je me trompe, madame Lalonde—ou de groupes de femmes.
Mme Francine Lalonde: Une fédération de femmes—et elle était avocate.
La présidente suppléante (Mme Aileen Carroll): Très bien.
L'autre était une femme dont le mari est membre de l'assemblée parlementaire. Elle avait voulu se présenter elle aussi comme candidate, mais ne l'a pas fait parce que, comme vous le savez, elle n'était pas autorisée à porter le hidjab dans les immeubles du gouvernement en Turquie.
Elles ont présenté deux perspectives très différentes sur cette question et j'aimerais entendre votre point de vue, pas seulement en ce qui a trait aux racines islamiques du port du hidjab, mais sur la façon dont cela joue sur la dynamique de la vie politique en Turquie à l'heure actuelle, en disant peut-être comment cela influera sur l'adhésion de la Turquie—on l'espère—à l'Union européenne, mais également du point de vue des femmes. Parce qu'un professeur est venu nous dire que nous, les femmes occidentales, ne devrions pas avoir un oeil désapprobateur sur cette question, parce que cela représente des familles conservatrices qui permettent à leurs filles d'aller à l'université, ce qui n'aurait pas été le cas dans le passé, et ces jeunes filles se voient interdire l'université à cause de la loi actuelle concernant le port du hidjab.
En tant que femme occidentale, cela me pose certaines difficultés. Mais nous ne sommes pas ici pour parler de mes problèmes, nous sommes ici pour avoir votre point de vue éclairé. Auriez-vous l'obligeance de traiter de cette question?
Merci.
 (1240)
M. Osman Tastan: Merci beaucoup.
Je dois d'abord dire qu'il s'agit d'une question difficile. Je suis également heureux d'être ici de sorte que nous puissions avoir des discussions plus directes. Il est bien d'être au Canada.
La question du hidjab est très délicate du point de vue politique. L'élite turque s'identifie elle-même beaucoup. Elle le fait de manière distincte, étant laïque, sans référence à la religion ni dans le droit ni dans la constitution. Cette question du hidjab n'était pas, je crois, très importante il y a plusieurs décennies, parce que certaines parties des communautés, particulièrement la majorité sunnite, qui est de culture islamique plus traditionnelle, n'envoyaient pas les filles à l'école pour des raisons qui relèvent de la tradition; alors, la question du hidjab ne se posait pas. Mais après les années 50, lorsqu'un parti conservateur centre-droite est arrivé au pouvoir, et qui a été ré-élu à plusieurs reprises, les Sunnites ont commencé à vouloir envoyer leurs filles étudier également.
Dans ce sens, ce costume islamique traditionnel est devenu une source de conflit, et après la révolution iranienne, cette question a pris encore plus d'importance, parce que l'on craignait que si l'influence iranienne se manifeste, elle le ferait par l'intermédiaire de symboles politiques. Ainsi, le voile islamique, ou hidjab, a été perçu comme une expression politique de l'islam plutôt que le point que je viens tout juste de mentionner, un point individualiste. Mais personne n'est allé nulle part. Et cette situation a touché particulièrement les écoles. Après la fin de vos études, vous devez intégrer le marché du travail, vous devez vous chercher un emploi, alors vous étudiez en portant le hidjab et ensuite, vous vous rendez dans le domaine public où vous ne pouvez porter le hidjab...
Alors, dans le temps, le hidjab a toujours été un outil pour les partis populistes, promettant d'apporter la liberté et plus de tolérance à l'égard du hidjab, pour obtenir plus de votes; mais avec le temps, ces partis se désintéressent de la question. Ils estimaient que c'était un problème, un détail mineur, et n'ont pas voulu l'attaquer de front. Cela comprend le gouvernement actuel, qui est également connu, jusqu'à un certain point,... comme étant islamique, mais ils ne sont pas désireux d'en faire une question importante.
La Turquie ne s'est jamais rendue jusqu'au bout de cette question. Le hidjab, selon ses racines islamiques, n'a pas une forme très définie. Certaines personnes prétendent que l'islam semble dire qu'il n'y a pas de forme particulière pour le hidjab, et certaines prétendent que oui. Le gouvernement, ou l'élite, joue sur le fait que le hidjab n'est pas nécessairement un voile; il peut également ressembler aux vêtements d'une femme occidentale.
Alors, cette question a toujours fait partie de la politique. En Turquie, il n'y a pas d'écoles religieuses indépendantes, alors il est difficile de dire : « Si vous voulez porter le vêtement religieux, allez dans une autre école. » Et c'est un autre point.
 (1245)
De toute façon, il s'agit d'une controverse et il y a deux points de vue, comme vous venez juste de le dire. Un point de vue veut qu'il soit préférable d'envoyer les femmes à l'école, parce que si elles ne peuvent aller à l'école à cause du hidjab, elles seront totalement privées d'éducation, et ce n'est pas une bonne chose. L'autre point de vue, c'est que si vous les laissez aller à l'école avec le hidjab, c'est ce qui arrivera dans l'avenir, alors c'est une sorte de...
La présidente suppléante (Mme Aileen Carroll): Merci beaucoup.
[Français]
Monsieur Bergeron, avez-vous une question?
M. Stéphane Bergeron (Verchères—Les-Patriotes, BQ): Merci, madame la présidente.
Contrairement à la plupart des collègues ici présents, je n'ai pas eu le plaisir de vous rencontrer dans le cadre de notre mission, puisque je faisais partie du groupe qui a visité l'Asie du Sud-Est et l'Asie du Sud. J'ai beaucoup apprécié votre présentation touchant la charia, où vous disiez que tout était question d'interprétation des textes coraniques. Malheureusement, on constate que très souvent, on en fait une interprétation très rigoriste qui, d'un point de vue occidental, mène à des peines, à des châtiments qui nous paraissent ne pas cadrer avec les concepts de droits humains les plus élémentaires.
Cela dit, j'aimerais vous poser une question sur l'ombre qui plane toujours lorsqu'on doit traiter des relations entre le Canada et le monde musulman, cette ombre que constituent les États-Unis. Pourquoi est-ce que je parle des États-Unis comme d'une ombre qui plane sur les relations entre le Canada et le monde musulman? C'est que, d'une part, il est très difficile, en tant que Nord-Américains, de définir une politique étrangère en faisant totalement abstraction de l'importance du rôle que jouent les États-Unis dans notre politique étrangère. D'autre part, nous ne sommes pas sans savoir, vous et moi, que les États-Unis jouent un rôle capital dans le maintien en place d'un certain nombre de régimes dans le monde musulman.
Alors, nous avons été amenés à comprendre qu'il n'y a pas un monde musulman, mais plusieurs mondes musulmans. Dans nos interventions auprès des gens que nous avons eu l'occasion de rencontrer, nous avons voulu leur montrer qu'il n'existe pas non plus un Ouest, mais qu'il y a plusieurs Ouest et qu'on ne peut pas assimiler tous les pays de l'Ouest aux États-Unis. Toutefois, nous devons composer avec cette puissance omniprésente à nos portes et dans notre politique, celle des États-Unis.
Alors, du point de vue de la Turquie, qui a les pieds à la fois ancrés dans la culture musulmane et dans la culture occidentale, comment un pays comme le Canada peut-il articuler ses relations avec les mondes musulmans, compte tenu de l'omniprésence des États-Unis à la fois dans notre politique étrangère et dans la politique de la quasi-totalité des États où il y a une majorité de musulmans?
[Traduction]
M. Osman Tastan: Merci beaucoup.
J'ai compris que vous avez dit qu'il y avait de nombreux peuples musulmans, et non pas un, et ensuite, vous avez posé une question. Est-il possible de répéter?
[Français]
La présidente suppléante (Mme Aileen Carroll): Est-il possible de répéter ce que vous avez dit?
[Traduction]
M. Stéphane Bergeron: Il serait peut-être plus facile que je pose la question en anglais.
Ce que je vous demandais, c'est comment, du point de vue de la Turquie, qui a des racines à la fois dans le monde musulman et dans le monde occidental, voyez-vous la possibilité pour le Canada d'avoir une relation distincte avec les « mondes » musulmans, si je peux dire ainsi, lorsque nous connaissons l'importance que les États-Unis occupent dans nos propres affaires nationales, dans nos affaires étrangères et le rôle qu'ils jouent au sein des affaires internes de la plupart des pays islamiques.
 (1250)
M. Osman Tastan: Merci beaucoup de cette question particulière.
En fait, j'avais une phrase pertinente dans mon allocution, mais pour une raison ou pour une autre, je l'ai laissé tomber. Peut-être devrais-je y revenir. Il est vrai que les États-Unis ont une influence dominante mondialement, et comme vous êtes son proche voisin, il n'est pas étonnant qu'ils exercent une influence ici aussi. Et c'est encore plus vrai dans le cas du Moyen-Orient, comme nous pouvons tous le voir.
Quel rôle le Canada peut-il jouer? Je pense que le Canada a une occasion unique, parce que les États-Unis, étant présents physiquement dans la région et ayant une influence assez dominante... et l'Union européenne, oui, il y a des minorités musulmanes plus actives à l'intérieur de l'Union européenne. Ainsi, ils font même partie des questions internes du monde musulman.
Pour ce qui est de l'Union européenne, si nous parlons du Royaume-Uni et de la France tout au long du siècle, et de la Première Guerre mondiale, de nombreuses personnes dans le monde musulman croient que tous les problèmes du monde musulman sont liés aux arrangements intervenus à la suite de la Première Guerre mondiale et ainsi de suite, et à l'époque de la colonisation.
Alors, je dirais que, oui, il y a des puissances plus importantes que le Canada, comme les États-Unis et peut-être l'Union européenne, et ces dernières ont plus d'influence dans le monde musulman. Mais leur image suscite en quelque sorte la suspicion. Le Canada est plus neutre. Et il a encore la possibilité de jouer un rôle positif, parce que le monde musulman n'a pas une réaction aussi défavorable face au Canada; elle est peut-être même favorable. Alors, si je pense que cet aspect psychologique peut être compris par le Canada, ce pays pourrait jouer un rôle, peut-être pas immédiat et très clair, mais peut-être un rôle de fond qui pourrait avoir des résultats positifs à moyen terme, je pense.
[Français]
La présidente suppléante (Mme Aileen Carroll): Monsieur Bergeron, vouliez-vous poser une autre question? Est-ce que quelqu'un d'autre a des questions? C'est comme vous voulez, mais nous avons assez de temps.
[Traduction]
Mme Karen Redman (Kitchener-Centre, Lib.): Merci, madame la présidente.
Veuillez m'excuser; j'ai dû m'absenter quelques minutes. Comme Mme McDonough, je n'ai pas été en mesure de faire le voyage. Je suis certaine qu'il a été très utile, alors, j'ai hâte que mes collègues m'informent des détails du voyage.
À votre avis, quelle est la mesure la plus efficace que le Canada pourrait prendre pour améliorer les relations avec les pays du monde musulman?
M. Osman Tastan: Dans quel sens particulier, je suis désolé...?
Mme Karen Redman: Nous venons juste de parler de la relation du Canada face aux États-Unis. Quelle est la chose la plus efficace que notre pays pourrait faire pour améliorer les relations et la compréhension mutuelle avec le monde musulman?
M. Osman Tastan: Je crois que la meilleure façon, c'est d'y aller en fonction du contexte—par exemple, organiser des conférences qui réunissent des gens lettrés, ou des activités auxquelles ces gens peuvent participer, des activités qui ne sont pas perçues dans les pays musulmans comme ayant une dimension politique, mais qui sont positives socialement.
Je peux vous donner un exemple. À Ankara, les États-Unis ont une ambassade, mais ils ont aussi une bibliothèque et un centre d'enseignement de l'anglais. La bibliothèque et le centre d'apprentissage de l'anglais sont considérés par les gens comme une école et l'aspect politique n'est pas perçu... C'est quelque chose que l'on comprend plus naturellement. Mais lorsqu'il y a quelque chose d'officiel là-bas, alors les gens pensent autrement. C'est un peu différent.
Alors, je dis qu'évidemment, les relations internationales ne peuvent se faire sans ambassades, sans commerce international, sans diplomatie; ce n'est pas possible. C'est le seul canal. Mais à côté de cela, il pourrait y avoir des projets pour faire du travail pour les gens cultivés, des bibliothèques, des conférences, réunir des érudits du Canada et de pays musulmans, parfois au Canada, parfois dans la région.
Comme je l'ai dit dans mon allocution, je pense qu'au moins à travers l'élite instruite, le monde musulman connaît l'Occident, dans certains endroits, mais du côté des autorités occidentales, seuls les diplomates et les journalistes savent quelque chose du monde musulman—moins sur les domaines scolaires, moins sur les gens. Je ne m'attends pas beaucoup à ce que les gens soient intéressés à aller étudier dans le monde musulman, parce que les établissements sont moins développés, mais je pense qu'on pourrait créer du travail et des études temporaires, à court terme, comme des projets de recherche, pour nous permettre d'établir le contact.
 (1255)
Mme Karen Redman: Merci.
La présidente suppléante (Mme Aileen Carroll): Madame McDonough; sur ma liste j'ai le nom de Mme Lalonde comme la prochaine à prendre la parole.
[Français]
Mme Francine Lalonde: Elle n'est pas venue, alors je la laisse poser ses questions.
La présidente suppléante (Mme Aileen Carroll): D'accord. Alors, continuez.
[Traduction]
Mme Alexa McDonough: Merci, madame la présidente.
J'ai juste quelques brèves questions. Je ne sais si cette question a été soulevée par la délégation ou par d'autres en Turquie. Je suis consciente qu'il s'agit d'une question délicate. Le présent Comité des affaires étrangères, un comité formé de tous les partis et qui représente l'ensemble du Parlement, a adopté une motion il y a plusieurs mois pour inviter notre propre gouvernement à reconnaître officiellement le génocide arménien. Notre gouvernement n'était pas prêt à le faire; il était réticent, et n'était pas prêt à reconnaître qu'un génocide a eu lieu et, pour pouvoir mettre cet événement derrière nous et permettre aux gens de guérir et de continuer leur chemin, c'est un geste symbolique important à poser.
Une des raisons évoquées pour expliquer pourquoi le gouvernement canadien n'était pas prêt à le faire, c'est que cela pouvait nuire aux relations actuelles et futures avec le gouvernement actuel de la Turquie.
Je pense que pour ceux d'entre nous qui voyons cela comme une chose importante à faire, nous sommes convaincus que ce qui est arrivé dans le lointain passé n'était pas une action ou une série d'actions qui touche le gouvernement turque actuel, mais quelque chose qu'il est important de régler une fois pour toutes. Je me demande si je pourrais vous demander de nous dire si vous estimez que cela constituerait effectivement une source de tension ou un facteur négatif dans les relations entre le Canada et la Turquie si nous posions ce geste. Et deuxièmement, êtes-vous en mesure d'éclairer le comité sur la position actuelle du gouvernement turque en ce qui a trait à la reconnaissance de ces atrocités du passé?
M. Osman Tastan: Je pense que c'est une question très délicate et il est très difficile même d'en parler. Si vous me demandez si cela causerait des tensions ou si le gouvernement turque est sur le point, comme vous dites, de « reconnaître », c'est quelque chose qui est encore très loin, et il est indéniable que cela causerait des tensions énormes entre la Turquie et tout pays qui oserait toucher à cette question.
Cette question a été posée il y a deux ans, je crois, à notre président lorsqu'il était aux Nations Unies, et il a dit qu'il s'agissait d'une question qui devrait être laissée à l'analyse des historiens. En fait, cette question n'a pas été étudiée suffisamment, à mon point de vue...
Tout ce que je peux dire, c'est qu'il s'agit d'une question très délicate politiquement, et rien d'autre. Il y a un bureau des archives ottomanes à Istambul—je pense que tout le monde en sait assez sur son existence—et il pourrait s'agir là d'une source d'information pour quiconque voudrait étudier cette question.
Je crois que cette question est également très compliquée personnellement. Lorsque vous creusez la question, il y a une communauté arménienne en Turquie qui n'aime pas voir cette question discutée. Et dans la république d'Arménie, je ne suis pas sûr, mais je ne pense pas qu'ils soient à l'aise non plus avec cette question. Pour des raisons pratiques, ils veulent établir de meilleurs rapports—ce qui n'est pas encore le cas actuellement—avec la Turquie pour le commerce et d'autres éléments de reconnaissance mutuelle.
Comme nous le savons tous, la diaspora arménienne, à l'extérieur de la Turquie et de la république d'Arménie, s'intéresse à cette question, mais en Turquie, il s'agit d'une question très délicate.
C'est tout ce que je peux dire à ce sujet.
· (1300)
La présidente suppléante (Mme Aileen Carroll): Merci, madame McDonough.
Merci, monsieur Tastan. Vous avez certainement été très précis dans votre réponse, de mon point de vue, parce qu'il s'agit d'une question très chargée politiquement au Canada, du fait que nous aussi avons des diasporas. Très souvent, les politiciens s'intéressent à la dimension politique et vous avez été très bons d'accepter toutes nos questions et vous avez certainement beaucoup enrichi l'information que nous avions reçue.
M. Osman Tastan: Merci.
La présidente suppléante (Mme Aileen Carroll): Comme je l'ai dit dès le début, c'est une grande chance que de vous avoir parmi nous, alors que nous sommes tous revenus très impressionnés par ce que nous avons entendu. La possibilité de s'asseoir calmement avec vous et de poser d'autres questions a ajouté beaucoup de valeur à notre voyage et je vous remercie de nous avoir accordé du temps.
M. Osman Tastan: Je veux également vous remercier de cette très belle occasion que vous m'avez donnée en m'invitant à venir ici. Nous avons eu un très bon échange de vues, je pense, et j'ai beaucoup profité également de vos questions et de vos observations.
Alors, je vous remercie beaucoup, et j'espère que nous nous reverrons.
La présidente suppléante (Mme Aileen Carroll): Moi aussi, monsieur.
Je remercie beaucoup Mme Lalonde d'avoir pris l'initiative à cet égard.
La séance est levée.