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FAIT Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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37e LÉGISLATURE, 2e SESSION

Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international


TÉMOIGNAGES

TABLE DES MATIÈRES

Le jeudi 2 octobre 2003




Á 1105
V         Le président (M. Bernard Patry (Pierrefonds—Dollard, Lib.))
V         M. Karim Karim (professeur associé, École de journalisme et de communication, Université Carleton)

Á 1110

Á 1115
V         Le président
V         Mme Ann Thomson (présidente du conseil d'administration, Société asiatique des partenaires Canada)

Á 1120

Á 1125

Á 1130
V         Le président
V         M. Michael Bell (chercheur principal (Diplomatie), Université de Toronto, Munk Centre for International Studies)

Á 1135

Á 1140
V         Le président
V         M. Sami Aoun (professeur de sciences politiques, Université de Sherbrooke)

Á 1145

Á 1150

Á 1155
V         Le président
V         Mme Alexa McDonough (Halifax, NPD)
V         Le président
V         Mme Aileen Carroll (Barrie—Simcoe—Bradford, Lib.)
V         Le président
V         M. Keith Martin (Esquimalt—Juan de Fuca, Alliance canadienne)
V         Le président
V         M. John Harvard (Charleswood—St. James—Assiniboia, Lib.)

 1200
V         Le président
V         Mme Karen Redman (Kitchener-Centre, Lib.)
V         Le président
V         Mme Aileen Carroll
V         M. Deepak Obhrai
V         Le président
V         Mme Francine Lalonde (Mercier, BQ)
V         Le président
V         Mme Aileen Carroll
V         Le président
V         Mme Aileen Carroll
V         Le président
V         Le président
V         M. Deepak Obhrai

 1205
V         M. Michael Bell
V         Le président
V         M. Karim Karim
V         M. Deepak Obhrai
V         M. Karim Karim

 1210
V         Le président
V         Mme Francine Lalonde
V         M. Michael Bell

 1215
V         M. Karim Karim

 1220
V         Le président
V         M. Sami Aoun
V         Le président
V         M. Sami Aoun
V         Le président
V         M. Murray Calder (Dufferin—Peel—Wellington—Grey, Lib.)
V         Le président
V         M. Michael Bell
V         Le président
V         M. Michael Bell

 1225
V         Le président
V         M. Karim Karim
V         Le président
V         Mme Ann Thomson
V         Le président
V         M. Sami Aoun

 1230
V         Le président
V         Mme Alexa McDonough
V         Le président
V         M. Michael Bell

 1235
V         Le président
V         M. Irwin Cotler (Mont-Royal, Lib.)

 1240
V         M. Michael Bell

 1245
V         Le président
V         M. Keith Martin
V         M. Michael Bell
V         Le président
V         M. Michael Bell
V         M. Keith Martin
V         M. Michael Bell

 1250
V         Le président
V         Mme Ann Thomson
V         Le président
V         M. Karim Karim

 1255
V         Le président
V         Mme Aileen Carroll
V         Mme Ann Thomson
V         Le président

· 1300
V         Mme Francine Lalonde
V         Le président
V         Mme Alexa McDonough
V         Le président
V         Mme Aileen Carroll
V         Le président
V         Mme Francine Lalonde
V         Le président
V         Mme Francine Lalonde
V         Le président










CANADA

Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international


NUMÉRO 049 
l
2e SESSION 
l
37e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le jeudi 2 octobre 2003

[Enregistrement électronique]

Á  +(1105)  

[Traduction]

+

    Le président (M. Bernard Patry (Pierrefonds—Dollard, Lib.)): Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, la séance d'aujourd'hui porte sur l'étude des relations avec des pays musulmans. Nous avons le plaisir d'accueillir ce matin, de l'Université Carleton, M. Karim Karim, professeur associé, École de journalisme et de communication; de l'Université de Sherbrooke, M. Sami Aoun, professeur de sciences politiques; de la Société asiatique des partenaires Canada, Mme Ann Thomson, présidente du conseil d'administration et de l'Université de Toronto, Munk Centre for International Studies, M. Michael Bell, chercheur principal (diplomatie) et ex-ambassadeur en Israël, en Jordanie et en Égypte.

    Nous écouterons d'abord l'exposé de M. Karim. Nous aimerions que votre présentation ne dure pas plus de dix minutes parce que nous avons quatre témoins à écouter et qu'il faudrait qu'il reste assez de temps pour la période des questions.

    Allez-y, monsieur Karim.

+-

    M. Karim Karim (professeur associé, École de journalisme et de communication, Université Carleton): Je remercie les membres du Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international de la Chambre des communes de m'avoir invité à présenter cet exposé.

[Français]

    Il me fait grandement plaisir de m'adresser aux membres de ce comité.

[Traduction]

    J'ai tenté dans ce mémoire d'examiner plusieurs des questions et thèmes principaux examinés dans le document de recherche préparé pour le comité. J'y examine principalement la diversité des collectivités musulmanes et je me pose la question suivante : est-il approprié de parler d'un monde musulman monolithique. Je fais ressortir le pluralisme qui se manifeste au niveau de la contre-ethnicité, des attaches nationales, des traditions linguistiques et même des croyances religieuses chez les milliards d'adeptes de l'Islam.

    Les musulmans poursuivent un idéal qui est axé sur une oummah unie, mais on pourrait en réalité comparer grosso modo cette collectivité mondiale à la chrétienté mondiale en ce qui concerne la diversité des vues. On relève toutefois dans certains milieux musulmans une tendance à prôner l'existence d'un seul type authentique de pratique de l'Islam. Je suis certain que vous avez pris conscience du fait que les manifestations de la religion sont nombreuses et que les adeptes respectifs se considèrent comme des musulmans à part entière, à l'instar de toute autre personne qui reconnaît le monothéisme et considère Mohammed comme le Prophète.

    Même au sein des diverses écoles sunnites et des sectes chiites, on constate une multitude de vues et de pratiques. Le soufisme recoupe ces deux branches principales de l'Islam et a même influencé les croyances religieuses de certains occidentaux qui ne se sont pas convertis officiellement à l'Islam, tout comme certaines formes de méditation et le yoga, issus des traditions bouddhiste et hindoue, ont été adoptés.

    Les termes peuvent être un piège et figer nos perceptions des gens dans des moules statiques et stéréotypés. Des termes tels que « fondamentaliste », « conservateur », « orthodoxe », « libéral » ou « progressiste » ont tendance, lorsqu'ils sont employés à propos de musulmans, à évoquer des types de personnes très particuliers.

    Nous savons qu'en réalité les êtres humains sont multidimensionnels et qu'ils n'agissent pas toujours conformément à nos attentes. Les ouvrages les plus trompeurs sont peut-être ceux qui cherchent à expliquer « la mentalité musulmane », « la mentalité arabe » ou « la mentalité juive ».

    L'échec des politiques américaines, qu'il s'agisse de l'incapacité de prévoir les événements du 11 septembre 2001 ou les mauvais traitements infligés par les États-Unis après ces événements, peut être attribué en grande partie aux perceptions rigides qu'ont divers organismes au sujet des types de musulmans. La tendance à les considérer comme des créatures exotiques dont les agissements sont invariablement vus à travers la lentille de leurs croyances religieuses engendre de mauvaises stratégies qui vont à l'encontre des objectifs recherchés.

    J'ai signalé dans mes écrits la ténacité des principaux stéréotypes comme le barbarisme, la cupidité, la luxure et la violence qui caractérisent les perceptions occidentales des musulmans depuis un millier d'années.

    Les observateurs sont restés souvent obnubilés par les différences entre les musulmans et les occidentaux et ont par conséquent eu tendance à oublier nos impulsions humaines communes. J'ai signalé dans mon mémoire le nombre de similitudes fondamentales entre la société musulmane et la société occidentale et j'ai abordé également dans d'autres écrits la question des influences occidentales sur les terroristes qui prétendent agir au nom de l'Islam.

    Je voudrais maintenant aborder la question de la présence des musulmans dans les pays occidentaux. Le nombre de diasporas a considérablement augmenté en Occident, avec l'établissement de familles élargies et de collectivités dans divers pays d'Amérique du Nord, d'Europe et d'Australasie. L'accessibilité des voyages aériens et de modes de communication comme Internet, la télévision par satellite et le téléphone, leur permettent de rester en contact régulier avec leurs groupes à l'échelle planétaire. L'incidence que cette accessibilité et que d'autres aspects de la mondialisation ont eue sur le rôle des frontières nationales renforce la place qu'occupent les diasporas à l'échelle mondiale.

    Si les gouvernements considèrent les personnes comme des sujets d'un pays ou d'un État précis, les membres des diasporas—et j'y ajouterais également ceux qui font partie de l'élite des sociétés transnationales et qui sont établis depuis longtemps dans divers pays—se considèrent de plus en plus comme des citoyens cosmopolites. Ils ne résistent pas nécessairement pour autant à l'attachement au pays où ils sont établis, mais se considèrent comme des citoyens du monde.

    La diaspora est particulièrement importante dans les contextes musulmans à cause du concept de l'oummah, terme qui a souvent été traduit par « le monde musulman », mais c'est une traduction que j'ai critiquée dans mon mémoire.

    Des liens transnationaux forment des réseaux complexes qui permettent aux individus de donner et de recevoir un soutien spirituel, social, économique et culturel. Par malheur, les militants et les terroristes exploitent également ces réseaux à des fins destructrices. Il incombe aux pouvoirs publics d'être en mesure de faire la distinction entre les liens légitimes et très constructifs qui caractérisent toutes les diasporas et les activités criminelles d'une minorité.

    Par exemple, la participation des Afghans de partout dans le monde, y compris ceux du Canada, à l'assemblée importante de la Loya Jirga à Kaboul il y a quelques mois, de même qu'aux différentes activités de développement en Afghanistan, est l'un des nombreux aspects positifs des réseaux diasporiques.

    L'une des plus importantes organisations non gouvernementales au monde, le Réseau Aga Khan de développement, obtient un soutien financier, professionnel et bénévole de la diaspora ismaïlienne mondiale.

Á  +-(1110)  

    Un certain nombre d'autres organisations diasporiques musulmanes autorisent un type de coopération entre les gouvernements des pays occidentaux, et ceux à majorité musulmane, qu'il serait difficile de réaliser autrement.

    Les membres des diasporas voyagent souvent entre leur pays d'établissement et leur pays d'origine, de même qu'à d'autres endroits où leurs communautés globales se sont établies. Leurs itinéraires incluent également des lieux de pèlerinage.

    Vous êtes au courant de l'affaire Maher Arar. Maher Arar est un ingénieur canadien d'origine syrienne qui a été déporté à Damas en septembre 2002 de l'aéroport John F. Kennedy de New York, où il était en transit lors d'un voyage de retour entre Zurich et Montréal.

    La photojournaliste Zahra Kazemi, une citoyenne canadienne d'origine iranienne, a été tuée un peu plus tôt cette année en Iran après avoir été surprise à prendre des photos d'une prison notoire. Le gouvernement de Téhéran, qui la considérait comme une citoyenne iranienne, a refusé de faire rapatrier son corps malgré les requêtes du fils de celle-ci, qui vit à Montréal.

    On considère que la communication d'informations concernant les cas de Maher Arar et Zahra Kazemi, de la part des gouvernements syrien et iranien, aux officiels canadiens, n'a pas été satisfaisant. Ceci reflète en partie la perception que ces gouvernements du Moyen-Orient ont de leurs diasporas. Leurs concepts de citoyenneté sont basés sur les liens immuables du sang et non sur ceux de la terre, ce qui est le cas au Canada.

    Une connaissance du rôle des diasporas dans le monde contemporain est essentielle pour une meilleure compréhension des relations internationales. Plusieurs gouvernements, comme ceux de l'Inde et d'Israël, ont mis en place des politiques élaborées pour avoir des contacts avec leurs diasporas mondiales respectives et ont désigné des ministres pour superviser leur mise en oeuvre. Les lobbies formés par diverses collectivités diasporiques tentent depuis longtemps d'influencer la politique étrangère de leur pays d'origine.

    Un nombre considérable d'individus appartenant à une diaspora possèdent des citoyennetés doubles, voire multiples. Selon les écrits d'Aiwha Ong, les gouvernements de l'Asie de l'Est et de l'Asie du Sud-Est facilitent apparemment la tâche des entrepreneurs qui opèrent dans la diaspora chinoise de ces régions. C'est au sein de l'Union européenne qu'on peut également remarquer l'émergence de niveaux de citoyenneté multiples.

    Il est évident que le Canada devra s'engager tôt ou tard, la première option étant préférable, dans une discussion internationale sur les implications que la nature des diasporas transnationales et du cosmopolitisme contemporain a sur les politiques étrangères, l'immigration, la citoyenneté et la sécurité.

    Les cas de Maher Arar et de Zahra Kazemi ont souligné la nécessité qu'il y a de bénéficier de protocoles internationaux bien définis pour le traitement des membres de diasporas. Cette discussion devra être menée non seulement par les pays producteurs de diasporas, mais également par d'autres gouvernements occidentaux, particulièrement celui des États-Unis, compte tenu du traitement que certains employés des services d'immigration américains ont réservé aux visiteurs musulmans/canadiens.

    Plusieurs initiatives du gouvernement ont indiqué l'intention évidente de mieux comprendre les sociétés musulmanes. L'oummah est devenue l'une des caractéristiques inévitables des politiques étrangères à l'échelle mondiale. Il est bon de noter qu'un certain nombre de pays à majorité musulmane ont rejeté le modèle du choc des civilisations de Huntington, et ont plutôt proposé un dialogue des civilisations.

    La société pluraliste du Canada a l'occasion de jouer un rôle de chef de file dans ce dialogue transnational. Le pilier culturel de la politique étrangère canadienne doit être élargi à ce sujet, de sorte à explorer des stratégies qui permettront l'utilisation d'outils culturels pour faciliter l'engagement des sociétés à majorité musulmane et d'autres sociétés.

    Depuis la fin de la guerre froide, le monde se trouve à un carrefour. Les événements tragiques du 11 septembre 2001 ne font que souligner la nécessité d'une vision nouvelle, moins conflictuelle, des relations mondiales. La priorité qu'accorde le Canada au maintien de la paix dans le monde peut encore être accentuée grâce à ses valeurs nationales fondées sur le pluralisme culturel. Nous avons le choix de considérer les relations humaines comme une série de chocs ou bien un effort concerté peut être fait en vue d'un dialogue multilatéral dont le but serait d'éviter une catastrophe à l'échelle planétaire.

    Dans un monde qui semble être de plus en plus entraîné dans un cycle de guerre et de terrorisme, le Canada a l'occasion—et même le devoir—d'aider à trouver la voie qui mène à une compréhension et à un respect mutuels entre les habitants du monde.

    Je vous remercie pour votre attention.

Á  +-(1115)  

+-

    Le président: Je vous remercie, monsieur Karim.

    Madame Thomson.

+-

    Mme Ann Thomson (présidente du conseil d'administration, Société asiatique des partenaires Canada): Je vous remercie d'avoir invité la Société asiatique des partenaires Canada—SAP Canada—à faire aujourd'hui un exposé sur le partage des valeurs universelles et la création de liens entre le Canada et l'Asie du Sud.

    Fondée en 1983, la SAP Canada est une coalition de 24 organisations canadiennes—laïques, musulmanes et chrétiennes—qui fait la promotion du développement humain en Asie du Sud. Nous fournissons aux communautés sud-asiatiques les moyens de concevoir et d'appliquer des solutions durables adaptées aux problèmes qu'elles affrontent quotidiennement.

    Notre travail est axé sur la gouvernance et la démocratie, la paix et la sécurité ainsi que la subsistance durable. L'égalité des sexes est également un objectif important de nos projets. Nous fournissons un soutien à nos partenaires sud-asiatiques pour leur permettre de mettre en oeuvre des projets locaux de développement et de s'attaquer aux problèmes de concert avec d'autres organisations et réseaux de la région. Au Canada, nous offrons à nos membres des possibilités d'apprentissage et d'engagement public ainsi qu'une structure diversifiée d'organisations.

    SAP Canada, un membre de SAP International, facilite la mise en oeuvre de nos projets de développement en collaboration avec d'autres organisations nationales membres de la SAP et des partenaires de cinq pays, à savoir le Bangladesh, l'Inde, le Népal, le Pakistan et le Sri Lanka. Des membres de SAP Canada travaillent déjà sur le terrain en Afghanistan et nous avons organisé des activités au Canada pour la communauté afghane nord-américaine. Depuis des années, l'ACDI soutient généreusement nos projets dans la région. Nous avons également collaboré avec le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international dans le cadre de certains projets.

    Trois des quatre plus grandes communautés musulmanes du monde se trouvent au Bangladesh et au Pakistan, des pays majoritairement musulmans, ainsi qu'en Inde, où les musulmans représentent 20 p. 100 de la population. Nous constatons qu'en Asie du Sud, les attitudes et les pratiques des musulmans appartenant aux communautés tant majoritaires que minoritaires sont les mêmes que celles des musulmans du Canada et du reste du monde. Notre expérience nous a appris que la vaste majorité des gens souhaitent mener une vie paisible et productive, en harmonie avec les autres membres de leur communauté, peu importent leur religion ou leurs autres différences.

    Nos partenaires et nos collègues nous disent et nous démontrent que la grande majorité des musulmans souhaitent être capables de pratiquer leur religion; ils veulent que celle-ci soit respectée par les autres et sont tout à fait disposés à respecter les autres. Les différences religieuses ne sont pas une source de problèmes. Les causes des conflits sont la pauvreté, l'inégalité des niveaux de vie, le traitement injuste devant la loi, le manque d'accès aux services et aux possibilités.

    L'expérience nous a démontré que les incidents et les conflits présumément engendrés par les différences religieuses ne sont pas spontanés mais qu'ils sont suscités par un intérêt ou un autre à des fins politiques. Nous avons constaté en outre que certains problèmes clés non résolus perpétuent un sentiment généralisé d'injustice et de conflit au sein des communautés musulmanes. Le problème israélo-palestinien en est un exemple évident aux yeux des musulmans du monde entier. Le conflit entre l'Inde et le Pakistan au Cachemire est un autre exemple.

    Au sein des communautés musulmanes sud-asiatiques, certaines personnes ou organisations exercent un leadership dynamique pour défendre ce qu'elles considèrent comme des valeurs universelles. Les libertés et les responsabilités qui y sont inhérentes conduisent directement à la tolérance, au pluralisme, à l'égalité des sexes, au règlement des conflits par le dialogue public et la non-violence, au respect de tous sans égards aux différences—autant d'éléments de ce que nous appelons les valeurs canadiennes. De nombreuses organisations locales oeuvrant dans les communautés et les pays musulmans d'Asie du Sud croient en ces valeurs et en font la promotion.

    J'aimerais maintenant vous expliquer comment le réseau des Partenaires de l'Asie du Sud contribue à améliorer les conditions de vie des gens de toutes les croyances. En vous donnant un aperçu de la vie des habitants de l'Asie du Sud, j'aimerais vous faire part de l'expérience et des commentaires de nos partenaires d'Asie du Sud et de nos membres au Canada qui collaborent avec des milliers d'organisations communautaires.

    L'une des principales organisations féminines du nord du Bangladesh a été mise sur pied par cinq femmes démunies, c'est-à-dire sans aucun moyen de subsistance, des veuves pour la plupart, ou des femmes qui ont perdu leur maison ou leur terre dans une inondation ou à la suite d'une expropriation.

Á  +-(1120)  

    Pour joindre les deux bouts, ces femmes ont mendié de porte en porte. Elles ont constaté que les gens ne leur donnaient qu'une poignée de riz, jamais d'argent. Elles avaient donc du riz, mais pas d'argent pour se procurer un logement, des médicaments ou des vêtements, ni pour envoyer leurs enfants à l'école ou pour y aller elles-mêmes. Ces cinq femmes ont donc décidé de mettre leur riz en commun et de le vendre sur le marché. SAP Bangladesh les a rencontrées et leur a offert une formation et des ressources pour leur permettre de faire prospérer leur petite entreprise. Elles ont accepté l'aide et créé ce qui est devenu la plus grande entreprise non gouvernementale du nord du Bangladesh à être dirigée par des femmes. Elles mettent l'accent sur des activités génératrices de revenus à l'intention des femmes dans la même situation qu'elles, leur fournissant non seulement un revenu, mais donnant à leurs membres le droit de parole et la légitimité qui manquent aux plus démunis.

    Un des organismes membres de SAP Canada, l'International Development and Relief Foundation (IDRF), s'efforce d'améliorer le niveau de vie des habitants des bidonvilles de l'État indien du Jharkand. Dans ces quartiers, les communautés musulmanes et hindoues vivent côte à côte et connaissent des problèmes similaires. Comme la pauvreté et les problèmes qui y sont liés sont les mêmes pour tous les pauvres de la région, les projets doivent s'adresser à l'ensemble des habitants.

    En collaboration avec ses partenaires, l'IDRF prodigue aux enfants de trois bidonvilles un enseignement informel afin qu'ils puissent intégrer les réseaux scolaires officiels. Les femmes forment des groupes d'autoassistance afin de faire des économies pour établir un fonds de microcrédit renouvelable. Les jeunes filles ont accès à une formation professionnelle et vendent leurs produits. Des infirmières visiteuses se rendent également dans la communauté dans le cadre du projet. Au bout de trois ans, ce projet a donné les résultats suivants : meilleur accès à l'éducation pour les filles, mobilisation des communautés, production de revenus et meilleurs soins de santé. Les responsables du projet veulent maintenant sensibiliser les résidents à un sujet tabou en Inde : le VIH et le sida. En conjuguant ses efforts, cette communauté a non seulement amélioré le niveau de vie des habitants, mais elle a en outre acquis une certaine notoriété et un certain respect dans la société.

    Un autre de nos membres, Human Concern International, avec l'aide de nombreux musulmans canadiens, a fourni de l'aide en Inde à la suite de deux urgences. Dans l'un des cas, il s'agissait d'aider les victimes du tremblement de terre de Gujerat et dans l'autre, d'aider les victimes d'émeutes civiles, également à Gujerat. Les bénéficiaires étaient des défavorisés de religions différentes.

    Les partenaires du Pakistan ont fourni une formation à plus de 1 000 groupes communautaires et à de nombreuses autres organisations importantes afin de leur permettre d'améliorer les conditions de vie dans un contexte de tolérance et d'inclusion. Les responsables de ces groupes font maintenant la promotion de la paix, des droits de la personne, de l'égalité des sexes et, tout en respectant les religions, adoptent des comportements laïcs. SAP Pakistan se porte notamment à la défense des droits des minorités chrétiennes et hindoues.

    L'histoire de Najma illustre bien ce travail. Quand Najma est revenue vivre dans son village à la frontière nord-ouest du Pakistan, une région très conservatrice, elle s'est mise à encourager les femmes à se faire entendre au sein de la communauté. Les aînés du village n'ont pas tardé à l'expulser de la communauté, elle et sa famille. La SAP s'est portée à son secours en amorçant un dialogue avec les femmes du village. Celles-ci ont alors décidé de prendre la défense de Najma et de sa famille et elles ont convaincu les aînés de revenir sur leur décision. Les femmes ont maintenant une voix collective au sein de cette communauté et elles aident les femmes des communautés voisines à s'organiser.

    Au cours des huit années que j'ai passées au Bangladesh et en Indonésie et des nombreuses autres années que j'ai passées à voyager en Asie du Sud, j'ai été témoin à de multiples occasions de réussites semblables, même en plein conflit. L'aide canadienne est sous-jacente à chacune de ces histoires et le Canada compte 650 000 citoyens musulmans. Cette population connaîtra une forte croissance dans le futur. À l'instar de la plupart des Canadiens, les musulmans vivent dans des villes et ils sont de plus en plus présents dans la vie économique, sociale, culturelle et politique du pays.

    Les attentats terroristes du 11 septembre leur ont causé des difficultés, tant sur le plan individuel que sur le plan communautaire. Ils ont réagi à ce contrecoup avec calme et pragmatisme. Pourtant, de nombreux musulmans se sentent moins en sécurité que leurs concitoyens non musulmans. Le recours arbitraire à la déportation et à la détention pratiqué par les autorités américaines dissuade un grand nombre d'entre eux d'aller aux États-Unis. Ils sont outrés de la décision des autorités américaines concernant l'enregistrement des immigrants.

Á  +-(1125)  

    En outre, comme nous l'avons récemment constaté à Toronto, l'utilisation des lois canadiennes en matière d'immigration comme arme dans la guerre au terrorisme n'a fait que miner davantage la confiance des musulmans à l'égard du gouvernement canadien. Le gouvernement et les citoyens du Canada doivent maintenant démontrer que tous les citoyens de notre pays reçoivent un traitement équitable—tant ici qu'à l'étranger. Les Canadiens sont fiers de vivre dans une société ouverte et multiculturelle, des valeurs qui nous ont bien servis dans nos politiques d'aide, tant au pays qu'à l'étranger.

    J'aimerais maintenant formuler quelques recommandations.

    Puisque la majorité des musulmans vivent dans des pays en développement et dans la pauvreté, il s'impose d'améliorer leur niveau de vie si l'on veut bâtir des sociétés justes et équitables. Un bon moyen de promouvoir les relations et d'éliminer les facteurs qui conduisent à un extrémisme désespéré comme le terrorisme international consiste à réduire les inégalités entre ces pays et les riches pays occidentaux.

    Les musulmans sont actifs dans toutes les luttes d'ordre social, économique, politique et culturel, tant dans les pays de l'Asie du Sud qu'au Canada. Nous devons saisir toutes les occasions de renforcer les liens entre les peuples. Le Canada peut contribuer à renforcer le précieux tissu de la société civile, tant ici que dans les pays comptant des majorités et des minorités musulmanes, dans le but de résoudre les problèmes et d'établir des liens constructifs et durables.

    Dans le cadre de nos projets de développement à l'étranger, nous ne devons ménager aucun effort pour éliminer la pauvreté, améliorer le niveau de vie et les conditions sociales, promouvoir l'égalité des sexes et les pratiques démocratiques. Pour cela, il est important de renforcer la société civile dans les autres pays et de procurer des moyens d'action aux organisations, institutions, groupes communautaires, associations et réseaux afin de favoriser le changement de l'intérieur. Les sociétés civiles actives et démocratiques favorisent le pluralisme, la tolérance et la coopération. Le Canada doit soutenir la structure humaine davantage que l'infrastructure.

    Dans nos relations avec les communautés et les pays musulmans, nous devons nous appuyer sur les connaissances et l'expertise des organisations musulmanes du Canada. Le gouvernement canadien peut collaborer étroitement avec les organisations musulmanes progressistes oeuvrant pour la justice sociale et faciliter la création de partenariats solides et efficaces entre ces organisations dans les pays comptant une majorité ou des minorités musulmanes.

    Je crois savoir que vous vous rendrez bientôt en Asie du Sud. Nous vous recommandons de rencontrer le président du conseil de SAP International au Pakistan ainsi que nos autres partenaires oeuvrant dans les pays que vous visiterez. Ils se feront un plaisir de vous faire connaître les organisations locales et les personnes qui s'efforcent sans relâche d'aider les communautés et d'améliorer leurs conditions de vie.

    Pour renforcer ses relations avec les musulmans du monde entier, le Canada doit soutenir leurs efforts visant à régler les problèmes qui sont leur lot quotidien : la salubrité de l'eau, les services de santé, une bonne éducation, l'égalité des femmes, des emplois sûrs, la paix et la sécurité et bien d'autres encore. En travaillant en solide partenariat avec les musulmans du monde entier, en donnant l'occasion de s'exprimer à ceux qui sans cela ne seraient pas écoutés et en édifiant des relations fondées sur le respect plutôt que sur la méfiance, le Canada favorisera le dialogue, instaurera une confiance mutuelle et réduira la pauvreté qui constitue un obstacle de taille à la création de sociétés durables et tolérantes.

    Je vous remercie.

Á  +-(1130)  

+-

    Le président: Je vous remercie, madame Thomson.

    Monsieur Bell.

+-

    M. Michael Bell (chercheur principal (Diplomatie), Université de Toronto, Munk Centre for International Studies): Le sujet dont je voudrais vous entretenir aujourd'hui est la démocratisation du Moyen-Orient. En guise d'entrée en matière, je ferai des commentaires sur la doctrine du président Bush, sur les politiques qui reflètent la conception du monde du gouvernement actuel des États-Unis et, surtout, sa conception qu'il a le devoir de convertir en quelque sorte le monde entier à ses valeurs.

    J'estime que c'est une démocratisation coercitive ou, du moins, forcée, et que c'est très dangereux. D'après mon expérience, cette attitude va à l'encontre de la culture, des traditions et de l'histoire de l'Islam, telle que l'interprètent la plupart des gens à l'heure actuelle. Si cette démocratisation forcée se concrétisait, nous serions confrontés à l'imposition de valeurs qui pourraient être très différentes de celles auxquelles adhèrent les habitants de la région, ce qui irait à l'encontre du principe selon lequel les habitants d'un pays devraient développer eux-mêmes leur société.

    Je pense que la menace de la démocratisée forcée s'est considérablement estompée dans la foulée des événements en Irak, parce que ce qui s'est passé dans ce pays peut être interprété comme un défi, que l'on n'aurait jamais cru possible, lancé aux Américains. Par conséquent, le programme a changé au Moyen-Orient. L'Irak ne peut pas être un échec et, par conséquent, le temps et les efforts investis pour tenter de forcer les Syriens, les Saoudiens et les Égyptiens à un processus de démocratisation, vu à travers les yeux du gouvernement des États-Unis, sont moins productifs qu'avant l'invasion de l'Irak.

    On déploiera néanmoins des efforts considérables pour instaurer un régime démocratique en Irak. Il suffit que ceux qui en doutent examinent la page Web de la coalition ou, en fait, celle de l'administration américaine en Irak pour en être convaincus; elle contient en effet des renseignements précis sur la nature des institutions qui devraient être établies et sur leur administration. Étant donné les différences avec les valeurs américaines, voire surtout avec la méthodologie américaine—autrement dit, la façon dont les États-Unis imposeront ces valeurs—, je pense que les risques seraient très élevés si ces projets se concrétisaient : guerre civile, déstabilisation, radicalisme—phénomène extrêmement dangereux—et renforcement de l'opinion que les États-Unis sont une puissance impériale hégémonique, déterminée à imposer ses valeurs.

    En ce qui concerne les sociétés qui ont des traditions autoritaires bien ancrées, elles sont, comme je l'ai signalé, de types différents. L'Égypte ou la Jordanie sont à nos yeux des pays relativement libéraux ou progressistes. L'Irak et la Syrie sont apparemment beaucoup plus répressifs. Je pense que ces différences ne sont pas insignifiantes, étant donné qu'elles ont une influence sur la vie des habitants de ces pays, mais elles sont nuancées.

    Je voudrais citer le cas de Saad Eddin Ibrahim, un intellectuel égyptien qui a été emprisonné par les autorités légales du régime Mubarak parce qu'il a accepté des fonds américains pour administrer son ONG. La différence entre le régime irakien de Saddam Hussein et le régime égyptien de Mubarak est que, sous le régime de Saddam Hussein, Saad Eddin aurait été tué. En Égypte, il a été jugé et déclaré coupable. Il a été emprisonné. Après plusieurs appels, il a été finalement libéré et déclaré innocent. L'effet a toutefois été semblable. Que voulait Mubarak? Il voulait tracer une ligne rouge et signaler que les réformateurs de la société civile ne peuvent pas dépasser certaines limites et que, s'ils vont trop loin dans leur promotion du pluralisme, ils s'exposent à des sanctions. Le cas de Saad Eddin Ibrahim n'est qu'un exemple. Je ne tiens pas à limiter mes commentaires à l'Égypte. J'ai cité cet exemple parce qu'il est caractéristique de l'attitude de bien des sociétés de la région.

Á  +-(1135)  

    En ce qui concerne les initiatives prises pour encourager la démocratisation et la pluralisme—qui sont louables en soi—, il convient d'être beaucoup plus nuancé. En fait, je ne pense pas qu'il faille utiliser le terme « démocratisation » parce qu'alors, on joue le jeu des groupes radicaux islamiques qui affirment être en faveur de la démocratie et des gouvernements qui l'affirment également mais qui déclarent ne pas pouvoir tolérer ces groupes parce qu'ils constituent une menace pour le régime et pour ses valeurs.

    En toute sincérité, je doute que la plupart de ceux qui cherchent à remplacer des régimes en place par la force révolutionnaire instaurent de nouveaux régimes très différents. Ils manifesteraient, bien entendu, beaucoup d'enthousiasme et apporteraient de l'espoir à certaines personnes, comme l'a démontré la révolution en Iran, mais je pense que, finalement, dans la perspective d'un programme axé sur les droits de la personne, ces nouveaux régimes représentent une amélioration. Je suis peut-être trop cynique, mais c'est ainsi que je conçois la situation.

    Le modèle égyptien est en quelque sorte fondé sur le principe qu'il ne faut pas établir d'institution indépendante et que le pluralisme doit être très restreint. Le pays est doté d'un parlement et l'on y tient des élections, mais ces élections sont largement contrôlée. Un petit nombre de représentants de l'opposition sont élus et la presse a un semblant de liberté, et elle critique parfois une politique gouvernementale ou l'autre, mais cette liberté est très restreinte.

    Quelles sont donc les initiatives concrètes que l'on prend pour apporter des changements susceptibles d'améliorer les conditions de vie? Les mouvements islamistes—les Frères musulmans en Égypte, par exemple—offrent des services sociaux, des services éducatifs et des services de santé ainsi que d'autres services avec beaucoup plus de rapidité et de pertinence que le gouvernement. Ils font donc des adeptes à cause de leur efficacité. Ils ne souffrent pas de sclérose. Cette efficacité est un facteur très important pour s'assurer la loyauté du peuple.

    Les régimes du Moyen-Orient seraient heureux de se débarrasser des Frères musulmans s'ils le pouvaient, même si ce groupe est actuellement toléré. Pourquoi seraient-ils heureux de s'en débarrasser? Parce qu'ils sont tout aussi opposés à ces organisations qu'ils le sont à un Saad Eddin Ibrahim ou aux gauchistes ou réformistes laïcs. Cette organisation a toutefois l'appui de la religion. Aucun gouvernement du Moyen-Orient ne peut prendre de mesures radicales contre un mouvement qui s'identifie avec l'Islam. L'ironie veut que, dès lors, des mouvements radicaux veuillent remplacer le régime—ils modifient, bien entendu, leur discours et se présentent comme de fervents partisans de la démocratie, par exemple—et un gouvernement qui a peur de les écraser à cause de leur affiliation religieuse.

    Par conséquent, la seule opposition légitime possible passe par ces mouvements. Si vous voulez faire partie d'un mouvement laïc et si vous voulez par exemple créer une organisation dans le but de protéger les arts dans votre quartier, on vous empêchera de le faire. On ne peut toutefois pas se débarrasser aussi facilement des organisations islamiques en raison de leurs liens avec les musulmans.

    Que faire dès lors? Je pense que, d'une façon générale, le gouvernement du Canada a fait du très bon travail. La façon dont nous nous y sommes pris, d'après mon expérience personnelle du moins, est que nous avons tenté de créer un sentiment de pluralisme des institutions indépendantes du pouvoir exécutif. Tous ces régimes sont actuellement sous le contrôle de l'exécutif. D'autres institutions sont, pour ainsi dire, accessoires. Si l'on est cynique, on peut dire qu'elles sont là pour les apparences. Nous devons donner du soutien à ces institutions et les aider à acquérir des pouvoirs concrets. Nous devons autonomiser la population.

Á  +-(1140)  

Nous avions mis en place quelques projets en Égypte et je peux vous citer plusieurs exemples. L'un s'appelait le Fonds d'initiative pour les femmes. C'est un programme qui avait été établi en Haute-Égypte et qui consistait à accorder de petits prêts aux femmes pour créer une entreprise. Pourquoi était-ce extrêmement important? Ce fonds permettait aux femmes concernées d'avoir un certain contrôle sur leur vie. Il est intéressant de signaler que plusieurs des femmes qui ont participé à ce projet sont devenues pour la première fois des entités juridiques pour pouvoir s'inscrire. Autrement dit, leur existence ou leur citoyenneté n'était reconnue dans aucun document avant qu'elles ne s'inscrivent.

Nous avions également mis en place un autre projet appelé projet d'éducation pour petites filles qui s'adressait aux petites villageoises qui ne recevaient pas d'éducation. Dans le programme des cours, on avait prévu de tenter d'inculquer à ces élèves le principe qu'elles étaient des personnes et qu'à ce titre, elles avaient des droits. Autrement dit, il s'agissait de créer dans l'esprit de ces personnes ou des ONG—et le gouvernement en a aidé beaucoup—un espace les poussant à évoluer, à se réaliser ou à réaliser les objectifs de l'organisation.

Ce qui est étonnant, c'est que la plupart de ces projets ont été négociés avec le gouvernement de l'Égypte, le gouvernement de Jordanie ou le gouvernement de tout autre pays où nous avions établi des programmes d'aide. Je pense qu'il y avait deux programmes différents, mais notre proposition était assez subtile pour ne pas réveiller tous les démons aux yeux des autorités. Nous avons eu des difficultés dans les cas où nous avons un peu trop joué avec le feu mais, d'une façon générale, nous avons réussi à aller jusqu'aux limites du possible. Je voudrais que ce soit plus souvent le cas.

Je pense que si l'aide canadienne ne transforme pas la vie des habitants dans de brefs délais, elle est probablement inutile. En d'autres termes, si nous devons faire un choix entre modifier la perception que les personnes ont d'elles-mêmes et de leur gouvernement, et la construction d'un laboratoire ou d'un système d'irrigation dans un pays comme l'Égypte ou la Jordanie, qui sont subventionnés depuis des années pour soutenir ces objectifs, la question ne se pose même pas. Quand on modifie la perception des gens et qu'on leur laisse de l'espace, on ouvre la porte aux initiatives et on leur permet de se réaliser.

[Français]

+-

    Le président: Merci beaucoup.

    Nous allons maintenant passer à M. Sami Aoun, qui est professeur de sciences politiques à l'Université de Sherbrooke.

    Je vais lui faire un peu de publicité en précisant qu'il a publié cette année aux éditions Boréal, à Montréal, un livre qui s'intitule La civilisation de l'islam.

    Professeur Aoun, s'il vous plaît.

+-

    M. Sami Aoun (professeur de sciences politiques, Université de Sherbrooke): Bonjour, monsieur le président. Je suis vraiment honoré d'être appelé à venir témoigner une deuxième fois.

    Je tiens d'abord à m'excuser; moi qui suis habitué aux galeries des universités québécoises, je me suis perdu dans celles du Parlement. J'avais reçu des indications contradictoires.

    Le fait que je sois le quatrième à parler donnera lieu à quelques redondances, du moins en ce qui concerne certains points déjà abordés ici, de façon très pertinente et très sage, soit dit en passant.

    Je ferai une analyse plutôt critique, voire autocritique des approches du monde musulman. Cependant, je ne ferai pas la critique des fondements de la politique étrangère canadienne; je laisserai de côté la critique de cette politique telle qu'on l'envisage ou qu'on l'applique, cela pour insister sur le fait qu'il existe des acquis dans ce domaine. Ma réflexion comprendra trois parties: des remarques préliminaires sur le monde musulman actuel; les enjeux du monde musulman face à la politique étrangère canadienne; enfin, d'éventuelles pistes pour des recommandations, somme toute assez brèves.

    De façon générale, nous pouvons affirmer être à l'heure de la vérité dans ce qu'on appelle  l'espace musulman. Ce dernier est très divers, pluraliste, pluriel, pluriethnique et plurilinguistique. En effet, l'islam est une civilisation qui se superpose sur des ordres différents, qu'il s'agisse de sociétés, de tribus, de clans, de langues ou d'autre chose.

    Pour ce qui est de mes réflexions, je dirai d'abord que dans l'imaginaire musulman, ce qu'on appelle l'espace musulman géoculturel a duré longtemps. Or, même si cet âge d'or a connu quelques moments d'unification, il reste que l'idée d'une nation unifiée relevant d'un seul pouvoir relève plutôt de l'imaginaire que de la réalité historique.

    Ensuite, si la diplomatie canadienne devait se réorganiser ou se remettre en cause, il y a quatre moments avec lesquels elle devrait composer.

    Le premier est sans contredit le terrorisme du 11 septembre et sa couleur culturelle ou sociologique nettement islamique. Même avec une manipulation de cette couleur de l'islam, on peut se demander si le 11 septembre est soit partiellement, soit intégralement un produit de cet espace géoculturel.

    Le deuxième point que la diplomatie canadienne ne peut que prendre en considération est cette rupture consommée entre la stratégie américaine et un islam conservateur et radical qu'elle a toujours manipulé soit aux fins de son empire, soit pour faire progresser des intérêts, occidentaux en général ou américains en particulier, au détriment de l'empire soviétique, en d'autres mots du communisme. En tant que Canadiens, nous vivons aujourd'hui un genre de deuil; il s'agit d'une transition qui a la couleur d'une rupture avec l'islam radical et conservateur.

    Troisièmement, il y a la guerre contre le terrorisme. La diplomatie canadienne ne peut plus retourner à la case départ. La guerre contre le terrorisme est en cours, et elle a déjà remporté certains succès, entre autres le renversement du régime taliban, puritain et obscurantiste, qui ne faisait pas honneur aux musulmans, et le renversement d'une dictature nationaliste arabe vide et creuse qui, tout en étant farcie de rhétorique fasciste, a mal dirigé son propre peuple, qu'il s'agisse de la minorité kurde ou de la majorité chiite. On parle donc de deux renversements qui sont bénéfiques, d'abord dans le monde musulman et ensuite sur la scène internationale. Il faut maintenant chercher à comprendre pourquoi ces régimes ont créé autant de charniers plutôt que d'essayer de débusquer les mensonges et les prétextes de la guerre. Il s'agit là d'un problème de la sphère démocratique occidentale plutôt que du peuple irakien en tant que tel.

    Sauf pour le quatrième point, il s'agit d'effets positifs de la guerre.

Á  +-(1145)  

    Cependant, la diplomatie canadienne ne devrait pas considérer ces succès comme étant inébranlables ou acquis pour toujours. À vrai dire, les succès sont presque toujours temporels et passagers. Il est vrai que la machine guerrière américaine a eu une victoire éclair, mais elle est toujours inapte à établir un ordre pacifique stable qui soit dans l'intérêt des populations musulmanes, en particulier arabes, et qui soit un pas vers un système international plus équitable et plus humain. À l'heure actuelle, la pax americana est peut-être embryonnaire. La force de frappe militaire américaine n'est pas contrebalancée ou accompagnée par une vision du monde moins unilatérale, plus multilatérale et, surtout, capable d'aider les entités musulmanes, non pas nécessairement à retrouver leur âge d'or, mais à être un partenaire incontournable dans la mondialisation et dans la configuration d'un système international. Comme vous le savez, ce monde musulman en général--si je peux employer cette coquille parfois vide--vit une blessure narcissique très profonde puisqu'il y a eu démantèlement du califat musulman en 1924. Depuis le début du XXe siècle, les musulmans sont orphelins politiquement et leurs institutions traditionnelles ont été déstabilisées par le colonialisme ou autre chose.

    Maintenant, quelles sont les pistes de lecture pour la diplomatie canadienne? Je crois que la diplomatie canadienne va avoir affaire à des dialectiques de civilisation qui laissent leur emprise sur l'ensemble de ces espaces géopolitiques que, par généralisation, on appelle le monde musulman aujourd'hui.

    La première dialectique est que ce monde musulman est dans une impasse culturelle, politique et civilisationnelle, vu son incapacité à récupérer la tradition, la Charia, la loi et l'histoire glorieuse de son passé. Cette tradition musulmane n'a plus l'ingéniosité et l'énergie nécessaires pour chercher des procédés techniques pour résoudre des problèmes sociaux, politiques, économiques et militaires. La tradition est essoufflée, mais en même temps, ce modèle occidental qu'on appelle la modernité est lui-même essoufflé. Il est essoufflé dans l'espace occidental, en tout cas. Donc, on parle d'un monde musulman en mal de modernité, qui cherche à appliquer cette modernité et qui n'arrive pas à reprendre sa tradition, alors que la modernité occidentale est elle-même aussi malade, comme vous le savez si vous regardez d'un oeil un peu critique nos sociétés et nos modèles de vie. Donc, le prosélytisme occidental devrait être assez limité.

    Le deuxième élément qui a une emprise sur le monde musulman en général et que la diplomatie canadienne devrait prendre en considération est cette opposition entre libération et libéralisme. Malheureusement ou heureusement--tout dépend de l'approche qu'on a--, le monde musulman est plutôt engagé dans des guerres de libération, que ce soit en Tchétchénie, au Cachemire, en Palestine, à Chypre, en Grèce ou ailleurs. Même dernièrement, l'îlot du Persil , que personne ne connaît, a été un enjeu entre le Maroc et l'Espagne. Une îlot où il y a deux chèvres fait un casus belli entre deux grandes nations. Sur le plan pratique, cette libération qui draine l'énergie du monde musulman ici et ailleurs lui fait perdre de vue sa situation interne. Je ne dirais pas qu'il n'y a pas quelques droits historiques en jeu, mais cette libération engage le monde musulman sur la piste de la confrontation et de la guerre.

Á  +-(1150)  

    Pendant ce temps, la cause première qui est la cause libérale, la cause de la démocratie interne, de la responsabilité interne ou celle de créer des pouvoirs qui sont à l'écoute des sociétés civiles, est reléguée au second plan. Le malheur--je crois que cela a aussi été souligné--, c'est que ces libérateurs, ces libéraux de l'Islam sont perçus comme des occidentalisés et rejetés comme des marionnettes de l'Occident. On dit qu'ils sont porteurs d'un projet étranger. Ce qui fait beaucoup de mal à la démocratie, c'est que les forces du changement sont plus faibles que la demande de changement dans le monde musulman. Je crois que la diplomatie canadienne devrait venir à leur rescousse.

    Jetons un regard rapide sur les réalités du monde musulman. Pour ce qui est de l'alternance politique, les choix ne sont pas particulièrement intéressants. Au Pakistan, on a recours au putsch militaire pour faire un changement politique. En Palestine, pour torpiller le processus de paix, on a l'autoritarisme de M. Arafat. En Tunisie, pour faire avancer la laïcité, il y a l'emprise de l'armée et des services de sécurité. C'est la même chose en Turquie. En Syrie, on n'a qu'une dynastie dans la république, ce qui est une aberration pour l'esprit: le fils prend la relève du père. Le problème ne se voit pas uniquement en Syrie. On nous dit que c'est aussi le cas en Égypte, au Yémen et en Libye. Tous ces présidents vont transmettre le pouvoir d'office à leur fils, ce qui est un malheur pour l'alternance politique.

    Le troisième élément important dans le monde musulman et que la diplomatie canadienne devrait bien observer--je vais être bref, parce que cela a été cité par mes collègues--, est celui de l'État monstrueux qu'est l'État bureaucratique arabe et musulman en général, un État qui est en érosion mais qui a toujours ses griffes sur la société civile et qui l'étouffe. C'est un État qui est trop grand pour les petits problèmes et trop petit pour les grands problèmes. L'État musulman actuel est incapable de confronter l'ennemi, que ce soit dans le cas du projet d'hégémonie américain ou dans un autre cas, et est incapable de solutionner des problèmes d'ordre caritatif ou social.

    Voici brièvement deux ou trois recommandations pour la diplomatie canadienne. Premièrement, il ne faut pas souhaiter facilement l'échec des Américains en Irak, parce que ce serait souhaiter l'échec des Irakiens et ipso facto souhaiter l'échec des Musulmans et des Arabes dans une gestion démocratique de la mosaïque culturelle qui est propre à toutes leurs sociétés.

    Aujourd'hui, heureusement, il y a des tendances à la réforme. Aujourd'hui, 403 personnalités saoudiennes ont signé une pétition demandant la réforme. À Bahreïn, il y a eu des élections. En Syrie, un opposant syrien qui est de retour a dit pour la première fois que ce n'était pas le peuple qui avait peur, mais les gouvernements. Si la diplomatie canadienne voulait aider le monde musulman, peut-être devrait-elle s'inspirer de ce penseur musulman, Malek Bennabi, qui disait que le problème ne réside pas dans l'agressivité de l'hégémonie extérieure, mais dans la question de savoir pourquoi le monde musulman est si vulnérable à ces projets d'hégémonie.

    Merci.

Á  +-(1155)  

+-

    Le président: Merci beaucoup, professeur Aoun.

[Traduction]

+-

    Mme Alexa McDonough (Halifax, NPD): J'invoque le Règlement, monsieur le président. Je suis certaine que la plupart de mes collègues ont entendu la nouvelle concernant les deux soldats canadiens qui ont été tués et les trois qui ont été très gravement blessés en Afghanistan. Je me demande si l'on ne pourrait pas suspendre la séance pour aller écouter la déclaration à la Chambre, par respect pour nos militaires tombés au champ d'honneur.

    J'hésite, parce que le message est si étroitement lié à la question même du soutien d'un authentique développement démocratique et à notre rôle que j'espère que nous pourrons revenir pour poursuivre la discussion. J'aimerais toutefois suggérer que l'on suspende la séance pour nous permettre d'aller écouter la déclaration du ministre à la Chambre, par respect, et revenir après, si possible.

+-

    Le président: Je pose la question à Mme Carroll et à M. Martin.

+-

    Mme Aileen Carroll (Barrie—Simcoe—Bradford, Lib.): C'est une suggestion que j'approuve. J'en ai parlé au président. C'est très difficile quand des témoins de haut calibre viennent d'aussi loin, mais je suis entièrement d'accord avec Mme McDonough. Je pense que notre place est à la Chambre.

+-

    Le président: Monsieur Martin.

+-

    M. Keith Martin (Esquimalt—Juan de Fuca, Alliance canadienne): Même si j'ai beaucoup de respect pour la suggestion de Mme McDonough, je pense que l'on ferait honneur aux militaires qui ont sacrifié leur vie pour édifier un monde plus sûr en poursuivant nos discussions et en écoutant les personnes qui ont fait de grands déplacements pour proposer des solutions, dans le but d'édifier un avenir meilleur et de mettre un terme à la violence dont ces militaires sont devenus les victimes.

+-

    Le président: C'est très difficile, madame McDonough, car si nous ajournons, le problème qui se posera est... Le ministre de la Défense, M. McCallum, a fait une déclaration et les cinq chefs de parti prendront la parole. Si nous revenons, ce sera pour une quinzaine de minutes au maximum.

    La décision vous appartient. Certains membres, comme M. Day, qui m'a fait parvenir une note, ont quitté la salle pour cette raison. Je tiens toutefois à respecter les témoins venus de loin. Je pense que c'est très important.

    Monsieur Harvard.

+-

    M. John Harvard (Charleswood—St. James—Assiniboia, Lib.): Je pense que je serais prêt à appuyer la motion de Mme McDonough.

    À l'instar de M. Martin, je suis convaincu que les militaires qui ont perdu la vie souhaiteraient que nous poursuivions la discussion, mais je pense toutefois qu'il est de notre devoir de réserver quelques minutes pour honorer leur mémoire. Nous observons chaque année deux minutes de silence le 11 novembre, et je pense qu'il serait en l'occurrence opportun de consacrer quelques minutes à la mémoire de ces militaires.

  +-(1200)  

+-

    Le président: Madame Redman.

+-

    Mme Karen Redman (Kitchener-Centre, Lib.): Je vous remercie, monsieur le président.

    Est-ce que les témoins seront encore là si nous revenons pour continuer?

+-

    Le président: Le problème est d'ordre technique : la séance se termine à 13 heures.

    Monsieur Obhrai.

+-

    Mme Aileen Carroll: Ne pouvons-nous pas prolonger la séance? Pourrions-nous rester jusqu'à 13 h 30?

+-

    M. Deepak Obhrai: Je conviens qu'il est important d'honorer la mémoire des militaires qui ont perdu la vie. C'est indiscutable. Je pense toutefois que nous le ferons à la Chambre; nous le ferons certainement au cours de la période des questions et nous leur rendrons hommage comme ils le méritent.

    À l'instar de M. Martin, je pense toutefois que puisque les témoins ont exposé leurs opinions et qu'ils viennent de loin, nous devrions poursuivre la discussion avec eux.

[Français]

+-

    Le président: Madame Lalonde.

+-

    Mme Francine Lalonde (Mercier, BQ): Merci, monsieur le président.

    Je partage, bien sûr, la peine et les regrets des familles, mais je pense qu'il faudrait que le comité continue. Il y a des membres du comité qui peuvent aller à la Chambre. Si mon collègue y va, ce n'est pas parce qu'il est en désaccord sur le fait qu'on siège, mais parce que nous nous sommes partagé les responsabilités.

    Je voudrais ajouter que quand le Canada a décidé d'envoyer 1 900 soldats en Afghanistan dans une situation dont nous savons à quel point elle est difficile, tout le monde savait que c'était dangereux. Je crois que nous, tous les députés réunis, allons rendre tous les honneurs en Chambre.

    Donc, je préfère que nous restions.

[Traduction]

+-

    Le président: Nous observerons donc une minute de silence à la mémoire de nos deux soldats qui ont perdu la vie. Les membres qui veulent aller à la Chambre seront excusés. Je les comprends. Les délibérations se poursuivront après une minute de silence.

    Madame Carroll.

+-

    Mme Aileen Carroll: Je présume que la décision du comité est de faire comme vous l'avez suggéré et que ceux et celles d'entre nous qui désirent se rendre à la Chambre peuvent le faire. Je demande toutefois que s'il y a des questions de régie interne à régler, on attende pour le faire que nous en ayons fini avec nos témoins et que ceux et celles d'entre nous qui ont décidé d'aller à la Chambre soient de retour.

+-

    Le président: Nous ferons tout notre possible.

+-

    Mme Aileen Carroll: Est-ce acceptable?

+-

    Le président: Oui, certainement.

    Nous observerons donc une minute de silence.

  +-(1203)  


  +-(1204)  

+-

    Le président: C'est M. Obhrai qui ouvrira la période des questions.

+-

    M. Deepak Obhrai: Je vous remercie, monsieur le président.

    Nos soldats ont effectivement perdu la vie en Afghanistan pour la cause sur laquelle portent précisément nos discussions, à savoir l'implantation de la démocratie et de la suprématie du droit dans cette région du monde. Vous avez fait des commentaires élaborés à ce sujet, monsieur Bell et monsieur Aoun.

    Je poserai une question, mais je voudrais également passer à une autre question plus importante. Je m'adresse à M. Karim et à Ann Thomson. Pendant notre visite à New York, nous avons rencontré l'ex-premier ministre de Jordanie qui était responsable du premier rapport rédigé par les Nations Unies au sujet de la démocratie et de la situation critique au Moyen-Orient, qui contient de nombreux indicateurs sociaux et démocratiques. Elle nous a signalé que le deuxième rapport devait paraître en septembre. Je me demande si ce rapport a été publié. Savez-vous s'il l'a été?

    Je voudrais maintenant m'adresser à M. Karim et à Mme Ann Thomson. Vous avez fait une observation très intéressante au sujet de l'impact de la diaspora qui s'est développée dans le monde occidental, sur lequel vous avez fait des commentaires. Je pense effectivement qu'au cours des cinq à dix prochaines années, lorsque cette diaspora prendra de l'ampleur, son impact sera spectaculaire. Vous n'avez jusqu'à présent mentionné que deux pays...mais je pense qu'à la longue, un nombre croissant de pays seront touchés.

    Ce qui me préoccupe, étant donné que je suis moi-même membre d'une diaspora, et pour faire allusion au cas de Maher Arar et de Mme Kazemi, tous deux citoyens canadiens à l'étranger, c'est qu'après le 11 septembre, la perception d'être des citoyens de deuxième catégorie au Canada, s'est de plus en plus répandue dans les collectivités musulmanes. Je ne tiens pas à discuter de la situation aux États-Unis, car c'est un pays différent. Ce qui m'intéresse, c'est la situation au Canada.

    On entend de plus en plus parler de cette perception. Un rapport multiculturel tout récent aborde ce sujet également. En fin de compte, on pense que le ministère des Affaires étrangères et que le gouvernement du Canada ne sont pas toujours très proactifs dans ce domaine et ne font pas d'effort pour que les membres de cette diaspora aient la perception de faire partie des citoyens de ce pays ou, comme vous l'avez mentionné, d'être sur un pied d'égalité avec les autres citoyens. Cette perception est encore très répandue.

    Je voudrais par conséquent que vous suggériez quelles mesures le gouvernement du Canada pourrait prendre pour que les membres de la collectivité musulmane et d'autres collectivités aient la perception d'être dûment représentés par certains fonctionnaires. Qu'en pensez-vous?

  +-(1205)  

+-

    M. Michael Bell: En ce qui concerne le rapport, je n'ai aucune information à ce sujet.

+-

    Le président: À propos du rapport du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), on nous a signalé que sa parution était prévue pour le 14 octobre.

    Monsieur Karim.

+-

    M. Karim Karim: C'est une question très importante parce qu'elle concerne des perceptions...

    Souhaiteriez-vous que je parle du gouvernement ou uniquement du ministère des Affaires étrangères?

+-

    M. Deepak Obhrai: Du gouvernement.

+-

    M. Karim Karim: On craignait... En fait, le ministère de la Justice m'a demandé de faire une analyse quantitative des médias musulmans et d'examiner leurs commentaires sur la Loi antiterroriste. On était très préoccupé au sujet d'une victimisation, d'un ciblage injuste des musulmans et d'autres considérations analogues. Ce sujet a pratiquement disparu du champ d'intérêt et on ne le mentionne plus souvent.

    Je pense que les préoccupations portent surtout sur une meilleure connaissance des musulmans du Canada, de leur diversité et de l'horreur qu'ont la plupart d'entre eux... Je généralise, mais je pense que la majorité des musulmans ont horreur des événements terroristes comme ceux qui sont survenus. Par conséquent, c'est ce type de connaissance...

    Il est très important que les fonctionnaires, surtout ceux de première ligne, comme les fonctionnaires de l'immigration, reçoivent une formation sur la diversité qui caractérise généralement les musulmans établis au Canada, ainsi que sur les religions, sur leur mentalité et qu'on leur donne d'autres informations analogues. On pense que c'est ce type de formation qui manque aux agents de première ligne qui ont des contacts avec des musulmans. Quand surviennent des incidents ou des crises terroristes, on a tendance à généraliser et à penser que tous les musulmans sont des terroristes. On pense surtout que le gouvernement devrait redoubler ses efforts pour aider les gens à saisir les nuances et à être conscients des mentalités différentes qui caractérisent les musulmans.

    Certaines personnes ont été interceptées alors qu'elles tentaient de franchir la frontière. J'ai oublié son nom mais, à la veille du millénaire, on a intercepté une personne originaire de Montréal. Il y a donc des terroristes parmi les musulmans, comme nous avons pu le constater, mais ils ne représentent qu'une minorité infime de cette collectivité. Les autres membres de la collectivité sont frappés d'horreur devant de tels événements et tiennent à ce que ce soit reconnu.

    Mon dernier commentaire porte sur la réaction à l'égard de la tenue vestimentaire traditionnelle musulmane qui est également un sujet de préoccupation, surtout la réaction au port du hijab par les femmes et parfois au port de vêtements traditionnels par quelques hommes. Par conséquent, les musulmans voudraient que les fonctionnaires et les Canadiens soient davantage sensibilisés à ces questions.

  +-(1210)  

[Français]

+-

    Le président: Thank you very much.

    Madame Lalonde, allez-y.

+-

    Mme Francine Lalonde: Merci beaucoup.

    Merci à vous tous. Nous voudrions avoir davantage de temps pour vous torturer un peu.

    Nous avons déjà entendu beaucoup d'experts, beaucoup d'avis, et je veux vous dire qu'en ce moment, je cherche à comprendre où vont ces sociétés, ces pays musulmans. J'ai été professeur d'histoire et j'ai enseigné l'histoire des révolutions. La démocratie, cette démocratie qu'on chérit, n'est pas venue comme une fleur qui a poussé doucement avec un peu d'eau.

    Où vont les sociétés des pays musulmans? C'est intéressant, mais en même temps, nous vivons dans un temps de modernité peut-être un peu caduque. Nous vivons ce temps pendant qu'une autre partie du monde semble en vivre un autre. Comment pouvons-nous aider? D'après moi, ce serait en développant les droits humains. Il faudrait s'ouvrir et aider les gens à devenir libres dans leur tête.

    Je laisse la question ouverte.

[Traduction]

+-

    M. Michael Bell: C'est une bonne question qui pose un défi. J'ignore ce que l'avenir nous réserve et je limite mes commentaires aux pays arabes parce que ce sont les pays que je connais. Comme le précise le rapport des Nations Unies, des questions très graves se posent en termes de croissance, de capacité de réussir, de liberté de choix, etc.

    Je pense qu'en fin de compte, notre meilleure chance est de continuer à agir comme nous l'avons toujours fait, en d'autres termes, de nous appliquer à créer des sociétés pluralistes par le biais de la coopération avec les gouvernements quand c'est possible, les ONG et les citoyens. Je pense que la libération intérieure encourage l'initiative.

    Très peu d'initiatives sont prises au niveau des entreprises en raison de leur structure très paternaliste. On a par exemple mis en place un projet pétrolier et gazier de près de 50 millions de dollars en Jordanie lorsque j'y étais. Le gestionnaire et son collègue jordanien n'arrivaient pas à se mettre d'accord. J'ai demandé de l'aide au ministre. Dans les 24 heures, ce problème était réglé. Si c'était ici, nous refuserions d'aller trouver le ministre parce que cela démontrerait que nous n'arrivons pas à résoudre le problème nous-mêmes.

    Cette tradition paternaliste est fermement ancrée et on a automatiquement tendance à s'adresser aux paliers supérieurs, à ne pas chercher de solutions ni tenter de régler les différends mais à avoir recours au code culturel et si cela ne donne pas de résultats, à renvoyer la balle à d'autres paliers. Je pense que plus l'on peut donner aux citoyens l'espace nécessaire pour décider de leur avenir et pour s'organiser, et plus on crée les conditions propices au type de dynamisme qui sera nécessaire pour assurer non seulement la croissance politique, mais aussi la croissance économique.

  +-(1215)  

+-

    M. Karim Karim: Merci, madame Lalonde.

    Je pense qu'il est nécessaire d'étudier la diversité de plusieurs pays. Il semblerait malheureusement que les pays arabes soient au bas de l'échelle, en ce qui concerne certains types de progrès. Quand on voit les progrès réalisés en Indonésie et en Malaisie, on peut avoir plus d'espoir, mais ces pays ne sont pas encore complètement sortis du bois.

    Il est nécessaire de déterminer ce que l'on entend par la démocratie. Notre modèle ou les modèles occidentaux de démocratie—et il y en a, bien entendu, plusieurs—sont-ils les seuls types de modèles applicables à l'étranger? Nous savons que ce n'est pas le cas. Il est nécessaire de tenir compte des valeurs, des cultures, des antécédents historiques, etc. des populations locales.

    Au cours de la fin de semaine, j'ai assisté à une conférence de l'Association of Muslim Social Scientists aux États-Unis où l'on a discuté de la question de la démocratie dans les pays musulmans. Plusieurs exposés ont été faits sur l'importance de la société civile et sur le rôle historique qu'elle a joué, même dans l'élaboration des lois. Dans les sociétés musulmanes, on a pour principe—et ce principe est accepté dans la société canadienne et la société occidentale—que même le dirigeant du pays est soumis à la loi nationale. À l'ère contemporaine, il est toutefois très malaisé de trouver un dirigeant qui se soumette constamment à la loi. On a régressé à cet égard.

    On a examiné également diverses questions, notamment ce que l'on a appelé à la conférence « l'Islam critique ». Des spécialistes en sciences sociales critiques, des spécialistes en sciences sociales musulmans, tentent d'examiner les traditions dans les sociétés et dans la civilisation musulmanes qui ont permis à la société civile—les associations, les corporations, etc.—en dehors du pouvoir de l'État, de jouer un rôle essentiel dans l'édification de la société et le maintien d'un équilibre. L'indépendance des érudits qui critiquent la société ou de ceux qui la maintiennent est inexistante de nos jours dans la plupart des États à majorité musulmane.

    Par exemple, on a envisagé dernièrement en Égypte l'adoption d'une loi ayant pour but d'accorder davantage de droits aux femmes en matière de divorce. Cette initiative a fait l'objet d'une vigoureuse opposition de la part des institutions religieuses traditionnelles; cependant, une coalition, composée d'avocats laïcs, d'autres membres de la société civile et des institutions religieuses traditionnelles et de particuliers non associés à des opinions dogmatiques, a été formée. Cet exemple démontre que même à l'époque contemporaine, les citoyens peuvent collaborer avec le ministère de la Justice pour produire des instruments favorisant le progrès.

    La tâche de gouvernements comme le nôtre consiste à détecter dans ces sociétés les personnes et les organisations prêtes à réaliser certains programmes fondés sur des échéanciers locaux et culturels. Diverses initiatives—et j'en ai mentionné deux ou trois—ont été prises dans notre pays et dans d'autres pays, comme les musulmans progressistes du Canada qui ont pris des initiatives en Afghanistan par exemple. On crée des initiatives multiconfessionnelles chez les chrétiens, les juifs, les hindous et dans d'autres organisations.

    D'une façon générale, il est donc nécessaire de détecter avant tout dans notre société, dans les sociétés musulmanes, les personnes ou les organisations qui peuvent être nos partenaires. Ensuite, il est nécessaire de déterminer quels types de projets peuvent être réalisés. Par ailleurs, comme l'a mentionné M. Aoun, si je ne m'abuse, il est important de ne pas donner la perception aux musulmans que nous leur imposons nos valeurs—les valeurs occidentales ou canadiennes.

  +-(1220)  

    Je pense que M. Bell a mentionné quelques projets dans lesquels on percevait une ingérence trop grande. Il est nécessaire de trouver le bon dosage de partenaires qui peuvent mener le projet à bien. Il est nécessaire que ceux-ci identifient et déterminent la nature de ces programmes et projets. Il est nécessaire de voir s'ils sont réalisables.

+-

    Le président: Je vous remercie.

    Je donne maintenant la parole à M. Calder.

[Français]

+-

    M. Sami Aoun: Monsieur le président, j'aimerais répondre.

+-

    Le président: Vous avez 30 secondes, parce qu'on a déjà dépassé la limite de temps.

+-

    M. Sami Aoun: Où va l'histoire du monde musulman? Il y a trois scénarios: soit le clash de civilisations, soit the coming anarchy, l'anarchie qui va revenir, soit l'acceptation du fait que la démocratie est une valeur transculturelle. La diplomatie canadienne n'a d'autre choix que la troisième option. La démocratie n'est pas le propre de l'Occident, non plus que de l'Orient. C'est un patrimoine humain aux niveaux individuel et collectif. Il faut encourager les musulmans à s'engager dans un débat qui rejette à la fois le terrorisme comme un raccourci, la preuve de son échec étant que la cause palestinienne est en régression, et la dictature comme moyen de résistance contre l'hégémonie américaine, la preuve de son échec étant que l'Irak est sous occupation.

    Il faut les encourager à voir que par une démocratie libérale, ils seront capables de bien se gérer à l'intérieur et de faire face aux projets hégémoniques à l'extérieur.

+-

    Le président: Merci.

    Monsieur Calder.

[Traduction]

+-

    M. Murray Calder (Dufferin—Peel—Wellington—Grey, Lib.): Merci beaucoup, monsieur le président.

    Mes questions portent principalement sur les commentaires que vous avez faits au sujet de l'imposition de nos valeurs, parce que je pense que c'est crucial. Si vous avez lu le document de principe américain intitulé « Project for the New American Century », il vous donne une notion générale de la direction qu'avaient empruntée initialement les États-Unis, mais je pense qu'ils ne sont pas passé au plan B.

    Pour eux, le facteur temps est capital en Irak, parce que les Américains passent très rapidement de la position de libérateurs à celle d'occupants. Ma première question est donc la suivante : quel type de gouvernement conviendrait-il d'établir en Irak pour que l'opération soit couronnée de succès, compte tenu de l'anomalie que constituent notamment les pourcentages de la population irakienne que représentent les Chiites, les Kurdes et les Sunnites?

    Par ailleurs, le problème des relations entre Israël et la Palestine est indéniablement l'irritant au Moyen-Orient qui a un effet en cascade dans tous les pays arabes. Quelle serait la meilleure solution dans ce cas-là?

    Ce sont les deux questions que je voulais poser.

+-

    Le président: Monsieur Bell.

+-

    M. Michael Bell: Est-ce que vous ne me donnez que deux minutes, pas deux heures?

+-

    Le président: Vous avez tout juste le temps nécessaire pour faire un très bref préambule.

+-

    M. Michael Bell: En ce qui concerne la démocratisation en Irak, je ne suis pas sûr que ces efforts porteront leurs fruits. Je pense que les divers groupes religieux et ethniques provoquent un clivage dans cette société, surtout lorsque traditionnellement, le groupe dominant est un groupe comme celui des Sunnites qui ne représentent qu'une minorité au sein de la population. J'ai des doutes sur le dénouement de la situation. Je ne ferai pas d'autre commentaire à ce sujet.

    En ce qui concerne nos valeurs et leur imposition, c'est précisément l'approche du gouvernement Bush. Nous avons adopté ces valeurs et elles sont universelles. En fait, c'est ce qu'un des porte-parole du gouvernement Bush a déclaré. Je préfère notre approche. En d'autres termes, nous accordons aux personnes concernées la liberté de prendre des décisions personnelles. Nous le ferons de façon très progressive pour influencer les groupes et les individus à acquérir leur liberté par leurs propres moyens plutôt que d'adopter une attitude paternaliste qui sera inefficace.

    Quant au problème israélo-palestinien, je ne doute nullement que sa persistance crée une aliénation dans le monde arabe. On le considère comme une humiliation, pas tellement parce qu'il s'agit d'Israël, mais parce qu'Israël représente une présence occidentale, une présence étrangère qui s'approprie un territoire qui, aux yeux des Palestiniens, leur appartient de plein droit.

    Je pense que le processus d'Oslo et que les négociations de Barak qui ont finalement échoué à Camp David s'orientaient dans la bonne direction. Autrement dit, on finira par trouver une solution si c'est possible. Il est nécessaire de tenter de trouver une solution qui garantisse la dignité et la sécurité aux Palestiniens et aux Israéliens. Lorsqu'on aura trouvé une solution qui réunisse ces conditions et que les Palestiniens considéreront qu'ils ont retrouvé leur dignité, le problème ne disparaîtra jamais, mais ses impacts seront beaucoup moins forts.

  +-(1225)  

+-

    Le président: Monsieur Karim.

+-

    M. Karim Karim: Je suis un peu plus optimiste en ce qui concerne l'Irak. C'est effectivement un pays où règne une grande diversité et où vivent non seulement les Chiites, les Kurdes et les Sunnites, mais aussi d'autres peuples. Ils ont cohabité avant Saddam Hussein et la notion d'un État-nation irakien qui a été imposée en quelque sorte par les Britanniques à l'époque coloniale, a été généralement acceptée. Je pense que ces peuples veulent continuer de cohabiter.

    Le tout est de savoir comment procéder au partage des pouvoirs, et ce sera très important. Compte tenu du fait que le temps presse, si nous voulons tendre une main secourable, notre exemple du pluralisme est très louable. Nous avons tiré les leçons qui s'imposent de nos erreurs et nous continuons d'apprendre. Nous pouvons partager nos connaissances sur la création d'institutions dans des États-nations que représentent nos divers peuples en espérant qu'elles seront bien accueillies.

    En ce qui concerne le problème israélo-palestinien, j'approuve vos commentaires et j'ajouterais brièvement que la notion que l'Occident traite les deux parties de façon vraiment équitable est très importante. Je pense qu'il est très important que la justice que l'on chérit tant dans nos sociétés soit perçue à l'échelle internationale.

+-

    Le président: Madame Thomson, étant donné que vous êtes une spécialiste de l'Asie du Sud, est-ce que vous pourriez faire d'autres commentaires?

+-

    Mme Ann Thomson: Je ne suis pas certaine de pouvoir faire des commentaires sur la situation en Irak ou en Palestine. On peut tirer certaines leçons de la situation en Asie du Sud où l'on a affaire à des sociétés pluralistes et où divers groupes religieux cohabitent depuis des siècles sans que cela engendre un conflit permanent, mais la plupart des pays concernés ont réussi à faire la transition à des sociétés démocratiques.

    Ce qu'il est peut-être nécessaire d'examiner, c'est la dynamique dans des pays comme l'Inde, comme le Bangladesh, où la population musulmane est majoritaire, ou comme l'Indonésie, où les conflits subsistent entre les divers groupes religieux mais qui évoluent vers la démocratie et adoptent certaines mesures pour promouvoir la tolérance et le pluralisme.

+-

    Le président: Je vous remercie.

    Avez-vous des commentaires à faire, monsieur Aoun?

+-

    M. Sami Aoun: Oui, je voudrais vous faire part de quelques idées.

    Je suis également optimiste au sujet de l'Irak. Je prends peut-être mes désirs pour la réalité parce que je pense que si l'on se précipite vers une catastrophe en Irak, les perspectives seront très sombres pour l'ensemble du monde arabe et du monde musulman. J'attire votre attention sur l'agressivité dont font preuve les États voisins pour tenter de faire échouer toute expérience d'implantation d'un régime démocratique en Irak. Cette agressivité vient d'Iran qui ne veut pas de pluralisme avec les Sunnites et ou les Kurdes. Pensez aussi aux Syriens, qui ne sont pas très emballés par la perspective du démantèlement d'un régime baathiste. Ils ont les mêmes valeurs. C'est aussi le cas des Saoudiens qui, en tant que Wahhabites, pensent peut-être que leur idéologie est en danger.

    Hier, Turki al-Hamad, qui est un de leurs meilleurs penseurs, je présume, les a exhortés à dissocier le wahhabisme de l'État saoudien comme fondement de l'idéologie. Je présume qu'en Irak nous dessinons actuellement l'avenir de cette région en particulier et que ses habitants souhaitent vivement démontrer qu'une mosaïque culturelle peut être administrée par un régime démocratique plutôt que par des régimes très autoritaires.

  +-(1230)  

+-

    Le président: Madame McDonough.

+-

    Mme Alexa McDonough: Merci beaucoup, monsieur le président.

    Je ne voudrais pas que l'on interprète cela comme un manque d'égard pour nos invités, mais je me suis sentie obligée de retourner brièvement à la Chambre pour rendre hommage à nos militaires qui ont perdu la vie.

    Je voudrais examiner un principe général qui représente, à mon avis, un fil conducteur dans l'exposé, à savoir qu'il est très important que le Canada s'applique à aider à édifier une démocratie authentique en renforçant la société civile et en aidant les populations concernées à prendre conscience de leur capacité de préparer leur avenir. Après quoi, j'aimerais faire des commentaires portant principalement sur le conflit israélo-palestinien.

    Il semblerait à certains égards évident que le principe général que vous mentionnez soit celui qui soit le plus conforme aux valeurs canadiennes et qui ait le plus de chances de réussite, contrairement à la démocratie imposée par la force et la coercition. Fait intéressant, c'est un message très semblable à celui qu'a communiqué hier soir le secrétaire général de la Fédération arabe dans le discours qu'il a prononcé devant le Conseil national des relations Canada-arabes. Je présume que c'était un message très audacieux bien qu'il n'ait peut-être pas suffisamment mis l'accent sur le renforcement de la lutte pour l'égalité et pour la participation plus active des femmes, ni sur la nécessité de s'assurer qu'on mette en place une démocratie authentique.

    En ce qui concerne le conflit israélo-palestinien—et voici ma question qui s'adresse à tous les témoins, mais plus particulièrement à M. Bell, parce qu'il a eu une brillante carrière diplomatique au Moyen-Orient—, je pense que nous visons dans une large mesure la formule qui appuie l'approche utilisée en Palestine, consistant à régler les problèmes de l'extrême pauvreté de la population, du besoin désespéré de services de santé et de services d'urgence, etc. Il semblerait que nous soyons dans un dilemme, étant donné qu'Israël n'a pas les mêmes problèmes de sous-développement graves de l'infrastructure économique, de l'infrastructure éducative, de l'infrastructure de santé, etc., mais que son degré de développement est plutôt très élevé à cet égard. Il est très difficile de trouver un une possibilité pour le Canada de contribuer au renforcement du dialogue entre Israël et la Palestine et d'y participer de façon constructive tout en évitant que l'on considère que le Canada prend la défense des Palestiniens.

    Ma question est plus précisément : comment le Canada peut-il réaliser ce tour de force dans le cas d'Israël alors que notre capacité d'affecter des fonds semble être étroitement liée à l'aide internationale destinée uniquement aux pays en développement, et non à un pays comme Israël jouissant d'une plus grande sécurité économique?

+-

    Le président: Monsieur Bell.

+-

    M. Michael Bell: Il sera très difficile et cela prendra du temps d'accroître la confiance des Israéliens et des Palestiniens dans des proportions suffisantes pour qu'ils soient en mesure de se réengager dans des négociations diplomatiques constructives afin de trouver une solution satisfaisante à cette guerre séculaire.

    L'échec du processus d'Oslo est dû, je présume, aux tentatives d'aller trop loin et de forcer les personnes concernées—Arafat en particulier—à prendre des décisions qu'ils n'étaient pas prêts à prendre. Par conséquent, la situation s'est considérablement détériorée en matière d'ordre public et nous vivons une crise majeure qui a miné la plupart des aspects positifs du processus d'Oslo et sapé les efforts d'accroissement de la confiance déployés depuis sept ans.

    Que peut-on faire pour que cela change? Il semblerait que toutes les tentatives américaines—le plan Mitchell, le plan Tenet et le plan d'action—aboutissent à une impasse. C'est très compliqué. C'est compliqué en ce qui concerne la Palestine parce que le Hamas et le Jihad islamique bénéficient d'un appui populaire vigoureux. C'est compliqué parce qu'en Palestine, aucune autorité supérieure qui soit à même de prendre des engagements et de les respecter n'est en place. Il est toutefois possible qu'Arafat ne tienne pas non plus à respecter les engagements. Je ne le nie pas, mais je signale qu'il n'a généralement pas la possibilité de le faire—à supposer qu'il le veuille—parce que certaines personnes lui mettent les bâtons dans les roues, des personnes comme Mahmoud Abbas ou d'Ahmed Qureia peut-être; dans ces pays, certaines personnes s'appliquent à saboter tous les efforts qui sont déployés et à radicaliser davantage le processus.

    Du côté israélien, certaines personnes sont très déçues. En fait, elles estiment qu'elles ont été trahies par le processus d'Oslo et par le premier ministre Barak, à cause de son échec. Je pense personnellement que c'était un noble échec, mais d'autres personnes ont un jugement moins favorable.

    Il sera nécessaire d'être patients et de faire preuve de persévérance pour que les personnes concernées en arrivent à considérer qu'il doit y avoir un moyen plus efficace. Tout vient par cycles. Dans le monde arabe, il y a eu du nationalisme laïc, puis l'ouverture à l'Occident et au capitalisme. Maintenant, c'est l'Islam qui est la principale force motrice pour ce qui est de trouver des solutions.

    À l'heure actuelle, en Israël, on pense qu'on pourra régler les problèmes par la force. Je ne le pense pas personnellement et je pense qu'on se réveillera peut-être un jour avec deux protagonistes épuisés qui seront convaincus de la nécessité de se réengager. Je pense que notre tâche consiste à les aider à atteindre ce stade, même si notre contribution ne peut être que très modeste.

    Nous avons mis en oeuvre des programmes de dialogue et de réseautage, dont certains sont très efficaces et très perfectionnés, surtout celui qui concerne la présence d'une tierce partie ou l'appel en faveur de la consolidation de la paix ou l'établissement d'une force d'imposition de la paix en Cisjordanie et à Gaza pour en arriver à un règlement, comme garant de ce règlement, en quelque sorte.

    Je pense par ailleurs que si le Fonds pour la sécurité humaine du ministère des Affaires étrangères a été très efficace, à l'ACDI, on a beaucoup trop mis l'accent—comme vous l'avez d'ailleurs mentionné—sur l'aide aux plus démunis, aux plus misérables sur cette terre. En ce qui concerne toutefois la facilitation du dialogue entre les Palestiniens et les Israéliens, cela a posé un problème conceptuel et, par conséquent, le Fonds pour le dialogue a été inactif pendant toute la durée de mon mandat, à Tel Aviv (quatre ans).

    Par l'intermédiaire du ministère des Affaires étrangères et du Fonds pour la sécurité humaine, nous avons pu inciter certaines personnes à discuter de différentes questions. Nous avons par exemple mis en place un projet dans le cadre duquel le réalisateur de la série d'émissions sur la guerre froide produit une série télévisée sur les dernières questions liées au statut—Jérusalem, les frontières, les réfugiés—, pour que les représentants des deux parties aient la possibilité de relater leur version des faits. Nous espérons que cela donnera lieu à un échange, à la conviction que la partie adverse a des revendications légitimes et à une meilleure compréhension.

  +-(1235)  

    Le gouvernement canadien finance en outre partiellement une série d'émissions Sesame Street—78 émissions avec des marionnettes dont les thèmes sont la conciliation, la capacité de résoudre des problèmes et la capacité de collaborer. On pourrait multiplier ces initiatives des centaines de fois.

    Je pense en outre que l'intervention de l'ACDI en Cisjordanie et à Gaza est d'une importance capitale. Elle sera de plus en plus ciblée, si j'ai bien compris, sur l'édification d'institutions, sur la mise en place des institutions de base qui sont nécessaires pour former une société pluraliste.

    Je pense que certaines initiatives très constructives sont prises. Je pense qu'on pourrait en prendre d'autres. Il est à mon sens nécessaire de déployer davantage d'efforts dans ce domaine et de communiquer davantage d'informations sur nos initiatives.

+-

    Le président: Je passe la parole à M. Cotler.

+-

    M. Irwin Cotler (Mont-Royal, Lib.): Je tiens tout d'abord à féliciter le professeur Sami Aoun pour ses observations sur l'importance de l'expérience démocratique dans les chances de réussite de l'Irak, ou les risques d'échec, puisque divers pays voisins ont intérêt à ce que l'entreprise échoue. Je pense que c'était un commentaire très important, et je tenais à le rappeler.

    Ma question s'adresse à M. Bell. Je pense que vous représentez une ressource unique du fait que vous avez été ambassadeur en Égypte, en Jordanie et en Israël et que vous avez également eu des contacts avec l'Autorité palestinienne. J'ai deux questions à poser à ce sujet.

    Nous avons fait des commentaires sur la démocratie mais, comme certains témoins l'ont signalé—et comme ma collègue Per Ahlnark, dans son récent ouvrage—, en raison d'un principe qui peut être presque considéré comme une loi empirique en matière de relations internationales, les régimes démocratiques ne se font pas la guerre. Par conséquent, la meilleure garantie d'une paix israélo-palestinienne serait la mise en place de régimes démocratiques des deux côtés ou, comme l'a mentionné mon collègue palestinien Bassem Eid, ce serait non seulement une garantie de paix, mais la meilleure garantie d'autodétermination authentique pour le peuple palestinien.

    Comment réaliser cette démocratisation dans un contexte où l'Autorité palestinienne est elle-même autoritaire, où la plupart des ONG sont en fait des ONGOG, c'est-à-dire des ONG organisées par le gouvernement et où, par malheur, le Hamas et le Jihad islamique, ainsi que d'autres groupes, bénéficient d'un certain appui populaire même si leur charte prône publiquement la destruction d'Israël et des Juifs? Comment contribuer à un processus de démocratisation dans le contexte d'un tel bourbier?

    J'ai une deuxième question très brève à poser. Compte tenu de vos antécédents, quels conseils auriez-vous à donner à ceux et celles d'entre nous qui participeront à ce voyage en Jordanie, en Égypte, en Israël et en Palestine, au cours duquel nous ne séjournerons qu'un jour et demi dans chaque pays, pour en tirer le plus d'enseignements possible et maximiser notre contribution?

  +-(1240)  

+-

    M. Michael Bell: Je suis d'accord avec vous en ce qui concerne la démocratie comme garantie de paix. Je pense que le processus d'édification de la paix serait grandement facilité si des régimes démocratiques authentiques étaient en place dans la région. Nous nous trouvons toutefois dans des circonstances précises et celles-ci ne laissent entrevoir aucune possibilité de démocratisation dans l'immédiat. C'est pourquoi j'hésite même à employer le terme. Je pense que le modèle américain, ou plutôt le modèle Bush, est voué à l'échec. Je pense qu'il est nécessaire d'y mettre le temps, d'y investir beaucoup d'efforts et de prendre des engagements; cet engagement est toutefois toujours absent.

    En ce qui concerne les activités de notre gouvernement, je pense également qu'il faudrait se préoccuper de nombreuses questions humanitaires—notamment en ce qui concerne l'eau, la santé, etc.—, mais une pléthore de gouvernements européens, les États-Unis et l'Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) sont déjà actifs dans ces domaines. Nous pouvons notamment nous appliquer à exercer une influence sur la mentalité des gens, sur leur façon de penser, à faire la promotion du pluralisme et à encourager l'édification d'institutions. Je vous garantis que d'autres pays se chargeront d'autres questions. Nous pouvons donc encourager le dialogue, promouvoir le pluralisme et stimuler le débat.

    En ce qui concerne la possibilité de paix avec des régimes non démocratiques, je pense que la tâche peut être plus ardue, mais l'Égypte et la Jordanie ont déjà conclu des traités de paix avec Israël. Ainsi, en ce qui concerne l'Égypte, nous faisons face à quelques dures réalités. Le gouvernement a investi massivement dans le Sinaï pour que la région devienne une source importante de revenus touristiques. Le gouvernement a fait de gros investissements pour attirer des fonds et des investisseurs étrangers dans le pays et pour qu'ils s'y sentent à l'aise. Or, si ce traité de paix est violé et que la menace d'une guerre ou quelque autre menace surgit, l'économie égyptienne ne sera pas en mesure de tenir le coup. Par conséquent, des considérations internes très importantes entrent en ligne de compte. Peu importe le rôle que l'Égypte joue sur le plan diplomatique et que ce rôle soit positif ou non—je pense toutefois qu'il a généralement été positif—, on y respectera le traité de paix en raison de divers facteurs essentiels, sauf si le pire se produit et que le pays est la cible d'une attaque radicale.

    En ce qui concerne l'appui dont bénéficie le Hamas et le Jihad islamique, j'ai trouvé intéressant que pendant la période de la Hudna ou du cessez-le-feu de six jours, la vie soit revenue à la normale en Cisjordanie et à Gaza. Des mariages et autres festivités y ont eu lieu. J'ai pensé alors que si l'on pouvait trouver une possibilité d'amorcer de façon très progressive un certain désengagement et d'éliminer le terrorisme—ce qui est, je le reconnais, une tâche très difficile—, et que si le peuple palestinien pouvait mener une vie plus normale, l'appui dont bénéficient les solutions proposées par le Hamas et le Jihad diminuerait peut-être. Il ne disparaîtra jamais; il sera toujours là.

    Ce qui est toutefois important, c'est que l'Autorité palestinienne et ses dirigeants, quels qu'ils soient, bénéficient de la confiance, de l'appui et de la loyauté de la population. C'est ce qui devrait nous préoccuper.

    Pour ce qui est du voyage, je vous conseillerais de ne pas vous contenter d'enregistrer les propos des personnes avec lesquelles vous aurez des contacts mais de tenter d'en saisir la signification véritable. Je tenterais d'identifier les domaines où le Canada peut être actif et jouer un rôle utile. Finalement, ce sont les actes qui comptent; c'est bien de parler, mais ce sont les actes qui comptent.

    Si vous reveniez avec un plan d'action à la mise en oeuvre duquel le gouvernement pourrait participer, et vous aussi, ce serait la seule possibilité de régler les problèmes, même si cela prenait des années. Je pense qu'il est nécessaire de faire preuve de persévérance et de ne pas se laisser décourager.

  +-(1245)  

+-

    Le président: Monsieur Martin.

+-

    M. Keith Martin: Je remercie les témoins pour leur participation. Je pense que nous tentons d'accomplir une tâche impossible et que vous pourriez peut-être nous aider.

    Madame Thomson, je ne pense pas que l'on puisse être en désaccord avec les commentaires que vous avez faits au sujet des initiatives à prendre en matière d'éducation, d'émancipation politique, d'émancipation économique des citoyens et, comme l'a signalé M. Cotler, de démocratisation et de liberté, mais comment pourrait-on procéder dans le contexte de...?

    Monsieur Bell, vous avez signalé que les « réformateurs de la société civile [...] qui font la promotion du pluralisme [...] seront l'objet de sanctions ». Comment faire par conséquent ce que suggère Mme Thomson et ce que vous approuvez tous essentiellement, dans le contexte du mur auquel nous allons être confrontés?

+-

     Ma deuxième question est rattachée à ma question initiale. Les érudits pensent généralement que l'échec principal des États islamiques est dû au fait qu'ils n'embrassent pas la modernisation, la mondialisation et le sécularisme. Dès lors, comment peut-on persuader les États à majorité islamique d'emprunter cette voie, surtout en ce qui concerne un pays comme l'Arabie saoudite qui est dirigé, comme vous le savez, par un petit groupe de personnes qui servent leurs intérêts personnels au détriment de ceux de la plupart des citoyens?

    Je vous remercie.

+-

    M. Michael Bell: Je pense que vous avez cité mes propos hors contexte.

+-

    Le président: Nous vérifierons dans les bleus.

+-

    M. Michael Bell: Saad Eddin Ibrahim, par exemple, a payé pour ses tendances réformistes. Il a dépassé une limite, ce que le régime n'était pas prêt à tolérer. Ce sont des personnes très courageuses qui s'adonnent à des activités qui, dans notre société, paraissent normales et ne sont même pas dignes de mention.

    Je pense qu'il est nécessaire de trouver des possibilités d'intervenir—et je pense que nous l'avons fait—par l'intermédiaire de notre programme et de notre coopération avec des ONG canadiennes. Ce n'est donc généralement pas le gouvernement du Canada, mais une ONG canadienne qui collabore sur place avec la population. C'est très important.

    Il est essentiel de déterminer jusqu'où nous pouvons aller, mais pas par la confrontation car nous ne remporterons jamais la victoire; il est toutefois essentiel également que nous nous appliquions à faire acquérir une certaine autonomie aux citoyens de ces pays. Les représentants de l'ACDI et ceux du ministère des Affaires étrangères ont des millions de possibilités de mettre en oeuvre des projets qui permettront aux citoyens d'avoir un certain contrôle sur leur vie et c'est ainsi qu'un changement se produira. C'est un processus très graduel et il sera long.

+-

    M. Keith Martin: Je m'excuse de vous interrompre, mais je me demande comment on pourrait y arriver, compte tenu du mur en place dans certains pays où un gouvernement autoritaire perçoit ce type d'intervention comme une menace personnelle, ce qui est d'ailleurs le cas?

+-

    M. Michael Bell: C'est une entreprise ardue. En Égypte par exemple, nous avons collaboré avec le PNUD dans le cadre d'un programme éducatif pour lequel il avait publié un manuel. L'ONG avec laquelle le PNUD coopérait voulait publier ce livre et tenir une réunion pour le rendre public, mais elle ne parvenait pas à louer une salle. Elle ne pouvait pas louer une salle dans un hôtel et on a par conséquent demandé à l'ambassade du Canada de louer la salle parce que personne n'oserait annuler notre réservation. Tout cela se fait de façon très subtile.

    Par ailleurs, nous avions mis sur pied un projet visant à aider les familles de victimes de la torture et personne ne s'y est opposé ou ne nous a critiqués. Il s'agit de former une équipe sensible, non seulement aux besoins des personnes auxquelles on voudrait s'identifier le plus, mais au gouvernement et à ses préoccupations. Ces gouvernements ont des préoccupations légitimes et leurs activités s'inscrivent dans un cadre culturel précis.

    Ce qui est certain, c'est que c'est un très long processus. Le degré de réussite sera modéré, mais je pense que vous conviendrez tous que c'est la seule possibilité.

  +-(1250)  

+-

    Le président: Madame Thomson.

+-

    Mme Ann Thomson: Je vous remercie.

    Je pense que deux ou trois facteurs interviennent et que nous avons tenté d'utiliser l'aide comme un remède universel à de nombreux problèmes. Mon opinion est différente de celle de mon collègue. Je pense que l'aide a en fait pour but de réduire la pauvreté et de régler les questions qu'il est essentiel de régler pour y parvenir, à savoir notamment une bonne gouvernance et une société civile vigoureuse.

    Vous vous demandez comment on peut y arriver compte tenu des obstacles, mais on peut y arriver. Il est toutefois nécessaire d'élaborer de nouveaux instruments pour régler les problèmes qui se posent au Moyen-Orient dans des pays comme l'Afghanistan et l'Irak. On ne peut pas tout régler par le biais de l'aide, mais une société civile vigoureuse et capable de s'exprimer est probablement leur meilleur moyen de défense et le nôtre aussi. C'est possible en autonomisant les femmes et en étant actifs à l'échelle locale tout en coopérant avec les gouvernements centraux.

    Je pense que les modèles les plus efficaces et probablement les plus durables de démocratisation, voire les plus appropriés venant des pays en développement sont ceux qui partent de la base. Le Canada les a appuyés avec une vigueur particulière; je pense que c'est possible, mais pas uniquement par le biais de l'aide.

+-

    Le président: Monsieur Karim.

+-

    M. Karim Karim: Je voudrais répondre à la deuxième question, celle qui porte sur les commentaires à l'effet que les États musulmans ont soi-disant refusé de se moderniser, de se séculariser et de se mondialiser. Je pense que les terroristes du 11 septembre étaient des ingénieurs et qu'ils n'étaient pas très au courant des normes musulmanes. Je pense que deux d'entre eux avaient été aperçus la veille dans des bars et qu'ils étaient relativement mondialisés; ils avaient voyagé à travers le monde. Par conséquent, il y a divers indicateurs. Je pense que ce serait une erreur de notre part de fonder notre argumentation sur des conceptions figées de la modernisation, de la sécularisation, de la mondialisation et de la démocratie.

    Je ferai des commentaires sur un des arguments que ma collègue, Mme Thomson, a utilisés à propos de la démocratie en Asie du Sud. Par exemple, à Gujerat, les différences que font les partis politiques entre les hindous, les musulmans et les chrétiens sont révoltantes. C'est malheureusement ce à quoi aboutissent parfois les régimes démocratiques. Ce qui se passe à l'échelle nationale avec le BJP n'est pas particulièrement admirable non plus.

    Si l'on tente de tout ramener à la démocratie et si l'on pense que la démocratie est la panacée ou la solution, nous aurons probablement de très grosses surprises. Il est essentiel de comprendre le pluralisme de la société et de s'appuyer là-dessus. Il est essentiel de coopérer avec les enfants et les adolescents; vous avez d'ailleurs parfaitement raison de prôner le dialogue.

    Il est essentiel de créer des espaces où règne la sécurité parmi les Palestiniens, les Israéliens, les Juifs, dans leurs diasporas, dans les diasporas arabes; il est essentiel de les réunir et de les comprendre. Ils ont actuellement une tendance manifeste à avoir des conceptions racistes à l'égard les uns des autres et il est essentiel d'enrayer cette tendance. J'y ai fait allusion dans mon exposé, quand j'ai mentionné le problème que posait la terminologie et qu'on avait tendance à figer ces notions, ce qui est un piège à mon sens.

  +-(1255)  

+-

    Le président: Je vous remercie.

    Madame Carroll.

+-

    Mme Aileen Carroll: Je vous remercie, monsieur le président.

    On voudrait poser des millions de questions, mais le temps passe.

    Monsieur Bell, j'ai écouté très attentivement vos commentaires sur la démocratisation forcée. C'est un excellent thème. Si j'ai une certaine empathie pour vos idées, je pense à Woodrow Wilson qui préconisait d'assurer la sécurité dans le monde pour que la démocratie s'y implante. À l'époque où j'ai fait mes études, nous pensions que c'était relativement naïf parce que nous adoptions une approche traditionnelle révisionniste consistant à se tourner vers le passé. Woodrow Wilson était probablement à maints égards plus intelligent que nous ne le pensions et il comprenait qu'il fallait avant tout instaurer la sécurité, après quoi le processus évolutif vers l'objectif visé s'enclenche. Par ailleurs, la démocratisation forcée imposée au Japon par le général MacArthur semble avoir pris racine. C'est peut-être une exception, mais j'aimerais que vous fassiez des commentaires à ce sujet.

    Je voudrais également m'adresser brièvement à Mme Thomson parce qu'il est important qu'on envoie un contingent important—aussi important que les autres contingents—en Asie du Sud et en Indonésie et qu'on s'adresse à des spécialistes de cette région. J'aimerais que vous nous empêchiez de concentrer uniquement notre attention sur le Moyen-Orient et que vous fassiez quelques commentaires sur ces thèmes généraux, à la lumière de votre expérience.

    Je vois que vous avez fait partie pendant 12 ans d'Entraide universitaire mondiale du Canada (EUMC). Parmi les membres de ce comité, il y a deux anciens d'EUMC, à savoir M. Cotler, qui a assisté au colloque qui s'est tenu en Pologne il y a quelques années—il ne veut pas dire combien—et moi, qui ai assisté au colloque en Algérie... et je ne dirai pas non plus il y a combien d'années. Je ne veux pas faire de digression, mais j'aimerais savoir ce que vous avez fait dans les années 60, à la belle époque. Pourriez-vous faire des commentaires à ce sujet?

+-

    Mme Ann Thomson: La violence réciproque qui régnait en Indonésie par exemple et qui a éclaté pendant mon séjour là-bas, après la destitution du président Suharto, est probablement de notoriété publique. En fait, l'Indonésie a fait une tentative maladroite et non dirigée pour faire la transition vers un régime gouvernemental plus représentatif.

    Les personnes qui se rendront en Asie du Sud seront plongées directement dans ce qui est un des conflits les plus difficiles de l'Asie du Sud, à savoir le conflit du Cachemire. Je pense qu'à titre de parlementaires canadiens, on s'attendra à ce que vous fassiez des commentaires et vous serez peut-être obligés de prendre parti dans certains cas. Il est certainement nécessaire que vous réfléchissiez par exemple au rôle que le Canada peut et pourrait jouer au Cachemire, compte tenu des relations historiques étroites que nous entretenons avec l'Inde et, dans une certaine mesure, avec le Pakistan.

    Je pense que le Cachemire est une région où le Canada pourrait jouer un rôle réellement utile. On souhaite la participation du Canada dans son rôle de courtier honnête. Je pense que les deux parties seraient disposées à ce que le Canada fasse la promotion du dialogue. Il faudra que les parlementaires qui se rendent dans la région se demandent si l'autodétermination est réaliste en ce qui concerne le Cachemire et quel rôle le Canada pourrait éventuellement y jouer.

    Alors que ces pays n'ont pas encore été l'objet d'autant d'attention que les pays du Moyen-Orient, ce sont en l'occurrence deux puissances nucléaires et des peuples dont la fierté nationale est très grande. Je pense que c'est une région que votre groupe aurait peut-être intérêt à étudier très minutieusement et il y a à Ottawa beaucoup de personnes bien informées et très instruites qui peuvent vous donner des informations.

[Français]

+-

    Le président: Merci beaucoup.

    Voilà qui met fin à nos discussions de ce matin.

[Traduction]

    Je remercie tous les témoins. C'était très intéressant. Monsieur Bell, madame Thomson, monsieur Karim et monsieur Aoun, on ne regrette jamais de vous avoir invités.

[Français]

    Merci beaucoup encore une fois.

[Traduction]

    Je signale à mes collègues que mardi prochain, nous nous réunirons à nouveau de 11 heures à 13 heures, mais je tenterai de trouver une salle pour commencer à 10 h 30—j'en ai parlé au greffier—afin de pouvoir débattre d'abord toutes les motions, parce que nous n'aurons jamais le quorum. La réunion se terminera à 13 heures. Je tenterai de la faire débuter environ une demi-heure plus tôt.

[Français]

    Madame Lalonde, allez-y rapidement parce que je termine.

·  -(1300)  

+-

    Mme Francine Lalonde: Est-ce qu'on reçoit le solliciteur général mardi?

+-

    Le président: Oui, on reçoit le solliciteur général et les gens de l'ACDI.

    Ms. McDonough.

[Traduction]

+-

    Mme Alexa McDonough: Je voudrais savoir s'il y a des progrès à signaler au ministre des Affaires étrangères...

+-

    Le président: Le solliciteur général viendra mardi prochain, mais M. Graham sera parti toute la semaine prochaine. Il ne pourra pas venir du tout la semaine prochaine; c'est impossible.

+-

    Mme Aileen Carroll: Il peut voler de nuit, se présenter brièvement puis repartir. Je lui ai parlé, comme l'a mentionné le président, et M. Graham, le ministre des Affaires étrangères, nous rencontrera après notre retour.

[Français]

+-

    Le président: Oui.

+-

    Mme Francine Lalonde: Alors, si on veut le voir, il faudra que ce soit pendant la semaine de congé.

+-

    Le président: Voir qui?

+-

    Mme Francine Lalonde: M. Graham.

-

    Le président: Pendant la semaine de congé, vous serez à Montréal. Vous pouvez prendre rendez-vous avec lui seulement.

    Merci.

    La séance est levée.