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FAIT Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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37e LÉGISLATURE, 2e SESSION

Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international


TÉMOIGNAGES

TABLE DES MATIÈRES

Le mardi 29 octobre 2002




¹ 1535
V         Le président (M. Bernard Patry (Pierrefonds—Dollard, Lib.))
V         Mme Aileen Carroll (Barrie—Simcoe—Bradford, Lib.)
V         Le président
V         Mme Aileen Carroll
V         Le président
V         Le sénateur Douglas Roche (président, Initiative des puissances moyennes)

¹ 1540
V         La très hon. Kim Campbell (chef de la délégation, présidente du Council of Women World Leaders, Initiative des puissances moyennes)

¹ 1545
V         Le président
V         M. Bruce Blair (président du Center for Defense Information (CDI) à Washington, Initiative des puissances moyennes)

º 1600

º 1605

º 1610
V         Le président
V         M. Deepak Obhrai (Calgary-Est, Alliance canadienne)

º 1615
V         M. Bruce Blair
V         Le président
V         Mme Francine Lalonde (Mercier, BQ)

º 1620
V         Le président
V         Mme Alice Slater (présidente du Global Resource Action Center for the Environment, Initiative des puissances moyennes)
V         Mme Kim Campbell

º 1625
V         Le président
V         M. Mark Eyking (Sydney—Victoria, Lib.)
V         Le président
V         M. Bruce Blair

º 1630
V         M. Mark Eyking
V         M. Bruce Blair
V         Le président
V         M. Jonathan Granoff (président du Global Security Institute, San Francisco, Initiative des puissances moyennes)
V         Le président
V         M. Svend Robinson (Burnaby—Douglas, NPD)

º 1635
V         Le président
V         Mme Alice Slater

º 1640
V         Le président
V         M. Jonathan Granoff
V         Le président
V         M. Bruce Blair
V         Le président

º 1645
V         M. Art Eggleton (York-Centre, Lib.)
V         Le président
V         M. Bruce Blair
V         Le président
V         Mme Alice Slater

º 1650
V         M. Jonathan Granoff
V         Le président
V         Sénateur Consiglio Di Nino (Ontario, P.C.)
V         M. Bruce Blair

º 1655
V         Le président
V         Mme Kim Campbell
V         Le président
V         M. Pat O'Brien (London—Fanshawe, Lib.)
V         Le président
V         M. Stéphane Bergeron (Verchères—Les-Patriotes, BQ)
V         Le président
V         M. Stéphane Bergeron
V         Le président
V         M. Stockwell Day (Okanagan—Coquihalla, Alliance canadienne)
V         Le président
V         M. Stockwell Day

» 1700
V         Le président
V         Le sénateur Douglas Roche
V         Le président










CANADA

Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international


NUMÉRO 003 
l
2e SESSION 
l
37e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 29 octobre 2002

[Enregistrement électronique]

¹  +(1535)  

[Traduction]

+

    Le président (M. Bernard Patry (Pierrefonds—Dollard, Lib.)): Si vous permettez, nous allons commencer.

    Il s'agit de la séance du 29 octobre 2002 du Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international.

[Français]

    Avant de débuter la réunion, j'ai une information à transmettre aux députés concernant le projet de loi C-14.

[Traduction]

    Nous allons commencer demain les audiences des fonctionnaires et des témoins à propos du projet de loi C-14. Nous avions l'intention d'en terminer l'étude demain après-midi, mais d'après le greffier, nous allons recevoir de nombreux amendements du gouvernement et aussi, de l'opposition. Cela veut dire que demain, nous allons simplement entendre les témoins et, mardi matin, de 9 h à 11 h, nous mettrons la dernière main au projet de loi.

    Point très important, les projets d'amendement doivent être présentés au greffier d'ici vendredi, pour mardi prochain.

+-

    Mme Aileen Carroll (Barrie—Simcoe—Bradford, Lib.): Pour le projet de loi C-14.

    Le président: Oui.

    Mme Aileen Carroll: Nous n'allons donc pas le faire demain.

+-

    Le président: Non; c'est impossible, car nous avons d'autres témoins mardi matin, comme par exemple les représentants de l'Association canadienne des prospecteurs et entrepreneurs. Après cela, nous procéderons à l'étude article par article, mardi matin, de neuf à onze.

    Madame Carroll, je tiens à préciser que nous nous réunissons demain après-midi pour recevoir les fonctionnaires et les témoins, de 15 h 30 à 17 h 30.

[Français]

+-

    Mme Aileen Carroll: Merci, monsieur le président. C'était simplement au sujet du projet de loi.

+-

    Le président: Conformément à l'article 108(2) du Règlement, le Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd'hui pour rencontrer et échanger avec des membres du groupe Initiative des puissances moyennes.

    C'est la troisième fois que nous avons le plaisir d'accueillir à notre comité les porte-parole de cette organisation dont un des personnages principaux est notre collègue le sénateur Douglas Roche. Il nous fait grand plaisir en plus de revoir une ancienne collègue de certains d'entre nous, la très honorable Kim Campbell qui, nous sommes contents de le savoir, se passionne toujours pour les grandes questions de l'actualité.

[Traduction]

    Il n'y a pas que la politique dans la vie.

    Comme vous vous le rappelez sans doute, la première rencontre que nous avons eue avec les représentants de l'Initiative des puissances moyennes a eu lieu au cours du printemps 1999. Peu de temps après, nous avons déposé notre rapport intitulé Le Canada et le défi nucléaire. En mai 2001, nous avons reçu un groupe de spécialistes très réputés dans ce domaine.

    J'aimerais indiquer aux membres de l'Initiative des puissances moyennes qu'au cours des six derniers mois, le comité a abordé plusieurs questions relatives aux points que vous soulevez. En avril, nous avons eu notre rencontre annuelle avec l'ambassadeur du Canada au désarmement, M. Chris Westdal. Au printemps et à l'été, nous avons discuté du terrorisme et des armes de destruction massive dans le contexte de nos audiences et de notre rapport sur le sommet du G8 de Kananaskis. Enfin, au cours de l'année écoulée, nous avons entendu plusieurs témoins sur la défense antimissile et sur d'autres questions connexes que nous examinons dans le contexte de notre travail sur les relations nord-américaines. Ces questions vont être traitées dans un rapport que nous allons publier sur le sujet. Votre comparution devant nous aujourd'hui tombe donc à point nommé.

[Français]

    J'invite maintenant le sénateur Roche à présenter les autres délégués. S'il vous plaît, sénateur Roche, la parole est à vous.

[Traduction]

+-

    Le sénateur Douglas Roche (président, Initiative des puissances moyennes): Merci, monsieur le président. Je tiens à vous remercier ainsi que le sénateur Di Nino, au nom du Comité sénatorial des affaires étrangères.

    L'Initiative des puissances moyennes tient à exprimer ses remerciements aux deux comités. C'est en fait la troisième fois que nous avons l'honneur de comparaître à l'occasion d'une telle séance conjointe.

    Notre exposé liminaire va être assez bref, car je sais que tous les membres du comité veulent passer aux questions. Permettez-moi donc, monsieur, de vous présenter mes collègues, membres de notre délégation. La très honorable Kim Campbell, bien sûr, a été première ministre du Canada et aussi ministre de la Défense nationale. M. Bruce Blair est président du «Center for Defense Information» à Washington, D.C., Jonathan Granoff est président du «Global Security Institute» à San Francisco, en Californie. L'Initiative des puissances moyennes est un programme du «Global Security Institute». À ma gauche, se trouve Alice Slater, présidente du «Global Resource Action Centre for the Environment», à New York.

    Sénateurs et membres du comité, nous vous avons remis un sommaire, dans les deux langues officielles, dont je vais simplement souligner les points saillants, avant de répondre à vos questions.

    Notre délégation, qui doit rencontrer le ministre des Affaires étrangères, M. Graham, et le ministre de la Défense, M. McCallum, met l'accent sur son document d'information intitulé «Priorités pour le maintien du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires dans le nouveau contexte stratégique» qui renferme six recommandations dont: les réductions des armes stratégiques; le contrôle des défenses antimissiles et la non-prolifération des missiles; les réductions des armes tactiques; la non-utilisation des armes nucléaires; l'interdiction des essais nucléaires et le contrôle des matières fissiles.

    Nous tenons, monsieur le président, à féliciter le Canada qui a voté en faveur de la résolution de la «New Agenda Coalition» à la première séance de l'Assemblée générale des Nations Unies, vendredi dernier. Il s'agit d'un vote raisonné de la part du Canada, et nous l'en félicitons.

    Nous voulons également exprimer notre appréciation face au leadership du Canada qui a demandé à l'OTAN d'entamer un processus d'examen de ses politiques en matière d'armes nucléaires. Toutefois, il serait négligent de notre part de ne pas dire que cet examen est loin d'être terminé. Nous espérons que le Canada fera usage de ses bons officies, en tant que membre de l'OTAN, pour que l'alliance continue d'examiner, comme il le faut, ses politiques en matière d'armes nucléaires, surtout en cette période de nouvel élargissement de l'OTAN.

    Nous appuyons la déclaration faite il y a une semaine par les lauréats du Prix Nobel de la paix lors du sommet qui s'est déroulé à Rome. Cette rencontre très particulière a attiré l'attention du monde entier sur la menace et le problème constant des armes nucléaires et sur les nouvelles doctrines militaires qui envisagent le recours, voire même le recours préventif, aux armes nucléaires. Cette déclaration a indiqué très clairement que les armes nucléaires sont immorales, que leur utilisation est illégale et qu'il est impératif d'arriver à l'abolition complète des armes nucléaires et d'autres armes de destruction massive.

    Par conséquent, monsieur, nous demandons au Canada, en sa qualité de puissance moyenne hautement respectée, d'inciter les États-Unis, ainsi que les autres États possédant des armes nucléaires, de se conformer aux 13 mesures pratiques auxquelles ont souscrit les États parties au Traité sur la non-prolifération lors de l'examen de l'an 2000. Nous pensons que c'est extrêmement important et c'est ce que souligne notre mémoire.

¹  +-(1540)  

    Enfin, je crois que les membres seront intéressés de savoir que l'étude des NU sur l'éducation en matière de désarmement et de non-prolifération a été déposée aux Nations Unies le 9 octobre. Elle représente le résultat des recherches faites par un groupe d'experts pendant une année. Nous vous recommandons cette étude que vous trouverez dans la trousse d'information, dans les deux langues officielles.

    Nous pensons qu'il faudrait établir une liaison renouvelée entre le gouvernement du Canada et les leaders de la société civile pour que soit prévu un dispositif, ou une conférence, susceptible de porter les questions dont nous débattons aujourd'hui à l'attention du public canadien.

    Je vous remercie, de nouveau, monsieur, de recevoir notre délégation.

    Je cède maintenant la parole à ma collègue, la très honorable Kim Campbell.

[Français]

+-

    La très hon. Kim Campbell (chef de la délégation, présidente du Council of Women World Leaders, Initiative des puissances moyennes): Monsieur le président, honorables députés et sénateurs, c'est un grand plaisir pour moi d'être ici parmi vous, surtout que je ne suis pas candidate à quelque poste que ce soit. C'est un grand honneur pour moi d'accompagner cette délégation. C'est un sujet très important pour notre avenir comme pays et comme société.

[Traduction]

    Je ne suis pas la spécialiste de notre délégation, mais je me suis toujours intéressée à la question des armes nucléaires depuis la fin des années 70, alors que j'enseignais les études stratégiques à l'université de Colombie-Britannique, ainsi qu' à l'époque où j'ai été assermentée ministre de la Défense nationale; je salue ici mon collègue, l'honorable Art Eggleton. Soit dit en passant, j'arrive du ministère et je me suis demandée alors que je regardais les photographies, pourquoi la mienne était différente, jusqu'au moment où je me suis rendue compte que c'était parce que je ne portais pas de cravate.

    Des voix: Oh, oh!

    Mme Kim Campbell: Tant de choses ont changé dans le contexte stratégique de la politique des armements et pourtant, il est déconcertant de voir que certaines choses sont restées immuables, en ce qui a trait aux mentalités, notamment.

    Nous nous proposons aujourd'hui d'échanger de l'information avec vous—la somme de l'expérience spécialisée est considérable autour de la table—et de faire en sorte que la question de la non-prolifération des armes nucléaires continue de faire partie des préoccupations du public, étant donné que tant d'autres questions détournent l'attention de celle-ci, si importante. Les armes nucléaires ont été versées dans cette vaste catégorie d'armes de destruction massive, mais il ne fait aucun doute, quant à moi, qu'elles sont qualitativement très différentes des armes biologiques et chimiques si effrayantes, qui nous préoccupent tant dans le cadre de notre politique de défense. Par conséquent, ce que nous essayons de faire aujourd'hui—et nous avons eu d'excellentes discussions au cours de la journée avec d'autres membres du gouvernement —c'est de parler des façons dont nous pouvons nous faire les champions de cette question, trouver un vocabulaire et définir les concepts qui nous permettront de retenir l'attention des Canadiens. Ils pourront ainsi se pencher sur une des questions véritablement les plus importantes de politique étrangère pour quel que pays que ce soit.

    Je me réjouis d'avoir un tel échange et je vous remercie de prendre le temps de nous rencontrer, vu que, nous le savons bien, votre programme est très chargé.

    Je suis vraiment très heureuse de vous voir.

    C'est ainsi que se termine mon intervention.

¹  +-(1545)  

+-

    Le président: Monsieur Blair.

+-

    M. Bruce Blair (président du Center for Defense Information (CDI) à Washington, Initiative des puissances moyennes): Merci beaucoup de me donner l'occasion de comparaître devant votre comité, devant lequel j'ai déjà comparu il y a plusieurs années, à Washington. C'est un grand honneur pour moi que d'avoir la possibilité d'aborder de nouveau la même question.

    Il est quelque peu ironique qu'au cours de la décennie qui a fait suite à la guerre froide, la Russie et les États-Unis aient adopté des doctrines, aient pris, ou non, des mesures qui se sont traduites par un certain relâchement favorisant l'utilisation délibérée ou accidentelle des armes nucléaires. Ces tendances révèlent un non-respect assez cynique de la lettre et de l'esprit du Traité sur la non-prolifération et, en même temps, soulignent que ce traité s'impose et qu'il faut de nouveau envisager l'abolition des armes nucléaires.

    Permettez-moi également de féliciter le Canada pour son leadership dans ce domaine et de féliciter aussi les membres de l'Initiative des puissances moyennes qui ouvrent la voie à l'abolition.

    J'aimerais examiner certaines des tendances qui justifient ce bilan assez sombre avant d'aborder certaines des solutions dont nous aimerions débattre aujourd'hui. Pour commencer, prenons le cas de la Russie qui, dans les années 90, s'est appuyée davantage sur le recours en premier à l'arme nucléaire en cas de crise, afin de compenser l'affaiblissement de ses forces conventionnelles, ce qui s'est traduit par un certain relâchement favorisant le recours délibéré à ses armes nucléaires. La Russie a connu également une détérioration de son système de commandement et de détection lointaine, ce qui s'est traduit par un certain relâchement favorisant le recours par mégarde ou non autorisé aux armes nucléaires.

    Je continue d'aller plusieurs fois par an en Russie et chaque fois, je reviens tout aussi consterné par l'état des forces armées russes, y compris les forces stratégiques dont la moitié des membres vivent sous le seuil de la pauvreté; je dois aussi parler des unités nucléaires dont beaucoup de membres souffrent d'alcoolisme et dont la plupart reçoivent un entraînement très insuffisant. Aujourd'hui en Russie, un pilote de bombardier nucléaire stratégique suit un entraînement pratique de 10 à 20 heures de vol par an, ce qui n'est rien par rapport aux 250 heures de vol de son homologue américain. Il n'est pas rare que je rencontre à Moscou un officier des forces de fusées stratégiques qui ne travaille pas au noir pour couvrir ses dépenses; il se fait chauffeur de taxi pour finalement se retrouver devant un écran radar, à moitié endormi, alors qu'il a la responsabilité d'évaluer si les renseignements des détecteurs susceptibles de signaler une attaque nucléaire contre la Russie sont valides.

    Les États-Unis sont également coupables d'un certain relâchement favorisant le recours aux armes nucléaires au cours de cette période. À la fin des années 90, par suite d'une décision du président Clinton, les États-Unis ont remis la Chine dans leur plan de guerre stratégique, pour la première fois en 20 ans, et se sont mis à qualifier ce pays d'ennemi des États-Unis, à la place de la Russie, dans le contexte de la planification nucléaire américaine et ce, jusqu'à la tragédie du 11 septembre, à tout le moins.

    Les États-Unis ont également élargi les rôles et les missions des armes nucléaires pour contrer des menaces non nucléaires, notamment les menaces chimiques et biologiques des soi-disant États voyous. Notre façon de voir les menaces nucléaires a régressé, nous replongeant dans les années 50 où l'Union soviétique était alors l'État voyou. Cette façon de voir les choses nous rappelle la frustration vécue dans les années 50, ainsi que le recours par les États-Unis, à ce moment-là, à tout instrument de pouvoir imaginable pour traiter avec cet État, y compris la guerre préventive réelle ou envisagée, les attaques préemptives, la défense assurée par les forces aériennes de bombardement, la défense assurée par les missiles, la défense civile—aujourd'hui appelée «défense du territoire national»—etc. La façon dont nous pensons aux soi-disant États voyous actuels et à leurs leaders—la Corée du Nord, l'Iran et l'Irak, entre autes—nous le rappelle sans contredit. C'est aujourd'hui par frustration face à l'insuffisance des moyens de dissuasion qui, à eux seuls, ne peuvent pas nous protéger de ces dictateurs, que nous envisageons une fois de plus le recours aux armes nucléaires américaines qui nous semble être le seul moyen de combattre l'ennemi.

º  +-(1600)  

+-

     Reprenons une tendance amorcée pendant les années Clinton, la révision de la politique nucléaire de Bush, terminée plus tôt cette année. Elle avance plusieurs idées tout à fait hostiles envers les dispositions du Traité sur la non-prolifération et sur l'élimination, comme la nouvelle arme nucléaire perce-bunker dont, soit dit en passant, le Congrès est en train d'autoriser le financement en ce moment même; la politique nucléaire de Bush exige, entre autres choses, un meilleur état de préparation et donc la reprise des essais nucléaires, ainsi que la construction d'une nouvelle usine de plutonium capable de produire chaque année 500 coeurs de pile atomique. En bref donc, la politique de Bush poursuit la tendance vers l'élargissement du rôle des armes nucléaires dans le cadre de la politique américaine de sécurité ce qui, à mon avis, donne un très mauvais exemple au reste du monde.

    D'autres pays sont également coupables d'un certain relâchement favorisant le recours aux armes nucléaires comme par exemple, en Asie, la Chine, le Pakistan et l'Inde. Je ne vais pas m'attarder là-dessus, mais plutôt passer à la dernière grande source de préoccupation qui nous occupe, je veux parler bien sûr des terroristes dont il faut s'inquiéter à l'avenir, non seulement parce qu'ils ont le potentiel d'exploiter les défaillances de l'entreposage des matières et des armes nucléaires en Russie, défaillances qui pourraient leur permettre de voler une arme, mais aussi de provoquer de fausses alertes dans les systèmes de détection lointaine, voire même de mettre en péril le système de contrôle de lancement des forces nucléaires stratégiques.

    J'aimerais simplement souligner ici que les Russes considèrent le terrorisme, y compris le terrorisme nucléaire, comme une priorité en matière de sécurité. Ils comprendraient, par exemple, parfaitement la question que je pose ici: est-ce que des guérilleros armés, comme la soixantaine de Tchétchènes qui ont envahi le théâtre de Moscou, avec ou sans aide interne, pourraient prendre le contrôle d'un missile russe et trouver les moyens de contourner les sauvegardes pour larguer ce missile? Je sais que cela semble tiré par les cheveux et qu'il existe beaucoup de scénarios qui le sont jusqu'à ce qu'ils se produisent véritablement, comme nous nous en sommes aperçus le 11 septembre. Pour vous donner un exemple, le Pentagone s'est aperçu il n'y a pas si longtemps qu'une porte d'entrée électronique pourrait permettre à des pirates informatiques ou à des terroristes d'avoir accès au réseau américain des missiles Trident et ainsi, transmettre un ordre de lancement aux sous-marins américains.

    Je pourrais bien sûr parler de nombreux aspects positifs de l'histoire des dix dernières années, mais à mon avis, le tableau général est loin d'être reluisant. Ce qui s'est passé ces dernières années au chapitre des armes nucléaires assombrit les perspectives d'une abolition des armes nucléaire ou de la non-prolifération de ces armes et met en doute la sincérité des États à respecter leurs engagements en matière de non-prolifération des armes nucléaires. Je crois que les États-Unis, en particulier, n'ont pas réussi à comprendre ce que disait si bien il y a dix ans le ministre de la défense, Les Aspen, à savoir que les États-Unis et leurs alliés s'en sortiraient beaucoup mieux dans un monde sans armes nucléaires. Il me semble qu'il aurait fallu le faire comprendre très clairement le 11 septembre, puisque les armes nucléaires américaines n'ont de toute évidence joué aucun rôle pour dissuader une attaque terroriste et qu'elles n'auraient joué aucun rôle si les terroristes avaient eu des armes nucléaires en leur possession. Par ailleurs, les armes nucléaires américaines n'ont de toute évidence joué aucun rôle dans la campagne militaire en Afghanistan. En bref, leur effet de dissuasion et leur utilité militaire ont été nuls. Toutes les matières nucléaires du monde entier ont représenté pour presque tout le monde, au mtain du 12 septembre, un grave danger pour la civilisation.

    La tragédie du 11 septembre devrait donc faire comprendre en matière de politique nucléaire que les États-Unis ou d'autres pays ne devraient pas rechercher de nouvelles façons d'utiliser les armes nucléaires en cas de conflits avec des États voyous ou des terroristes, mais plutôt, les éliminer. Un monde sans armes nucléaires, telle est la solution. Il y va de notre intérêt national suprême de chercher collectivement à bâtir un tel monde. Soi dit en passant, comme je dois le rappeler à l'occasion aux personnalités américaines, il s'agit également d'une obligation en vertu d'un traité. Il faut constamment le répéter, notamment aux Américains, qui doivent se rendre compte de la bonne affaire qu'ils ont faite en signant ce traité, puisqu'ils s'étaient engagés en faveur du désarmement contre la non-prolifération.

º  +-(1605)  

    L'Initiative des puissances moyennes, et les groupes qui ont collaboré avec elle, ont formulé d'excellentes recommandations auxquelles je souscris. Si les États-Unis acceptaient le fait que l'élimination des armes nucléaires, par exemple, ne pouvait que servir leurs intérêts, ils se rapprocheraient de la position éclairée qu'a adoptée le Canada dans ce dossier et favoriseraient l'adoption, à l'échelle internationale, de bon nombre des recommandations mises de l'avant par le sénateur Roche.

    J'insiste sur le fait qu'il est important de mettre hors d'état d'alerte avancée les forces nucléaires américaines et russes, et de prolonger le délai actuellement requis pour assurer le lancement d'armes nucléaires stratégiques.

    À l'heure actuelle, si le Pentagone donnait aux forces stratégiques américaines l'ordre de lancer une attaque, les missiles seraient largués des silos, des tubes de lancement et des sous-marins en moins de deux minutes. Les mesures de reciblage et les dispositions prévues dans l'accord de déciblage conclu entre la Russie et les États-Unis seraient annulées, et les missiles quitteraient les silos en masse, en moins de deux minutes. Aujourd'hui, les États-Unis et la Russie pourraient, en dix minutes et sans préparation antérieure aucune, lancer l'équivalent de 80 000 bombes comparables à celle qui ont frappé Hiroshima, bombes qui couvriraient la planète et atteindraient le territoire de chacun des deux pays en une trentaine de minutes.

    Les États-Unis, dans leur révision du dispositif nucléaire, soutiennent que leurs forces nucléaires ne sont pas en état d'alerte élevée. Pour moi, c'est la pire description qui a été faite de notre dispositif nucléaire depuis la signature, en 1994, de l'accord de déciblage entre Eltsine et Clinton.

    Je voudrais, pour conclure, mentionner deux ou trois autres recommandations importantes qu'ont formulées les représentants de l'Initiative des puissances moyennes, recommandations qui reflètent bien la position du Canada.

    D'abord, les armes nucléaires devraient uniquement servir à repousser une attaque nucléaire. Les États-Unis et la Russie devraient adopter une politique de non-recours en premier à l'arme nucléaire, et devraient rejeter tout appel en faveur de la mise au point d'armes nouvelles et de la tenue d'essais sur les abris souterrains.

    Les États-Unis et les États dotés d'armes nucléaires devraient faire preuve d'une plus grande transparence pour ce qui est de leurs arsenaux nucléaires. La transparence et la responsabilisation sont indispensables pour éliminer les armes nucléaires. Le Canada peut et doit proposer que les États nucléarisés prennent des mesures sur ce plan très bientôt.

    Ensuite, l'OTAN devrait revoir sa politique nucléaire en vue de retirer les armes nucléaires tactiques américaines stockées à l'étranger qui peuvent être larguées par des aéronefs à double capacité.

    Enfin, le contrôle et la sécurité des armes nucléaires et des matières fissiles produites par l'ex-Union soviétique devraient être considérés comme une question prioritaire par les États-Unis et les autres pays membres du G8. À mon avis, ce qui compte le plus pour notre sécurité collective, c'est le succès du programme Lunn-Lugar sur le contrôle des matières fissiles produites par la Russie, la seule exception possible étant la conclusion de la mise en oeuvre définitive du traité sur la prolifération des armes nucléaires.

    Enfin, je tiens encore une fois à féliciter le Canada, qui a réussi à convaincre le G8 à jouer un rôle plus actif dans le domaine du contrôle des matières fissiles produites par les Russes.

    Merci de m'avoir donné l'occasion de vous rencontrer.

º  +-(1610)  

+-

    Le président: Merci beaucoup, monsieur Blair.

    Est-ce que M. Granoff souhaite dire quelque chose? Allons-nous passer aux questions? D'accord, passons aux questions.

    Je tiens à rappeler aux membres du comité que nos invités doivent partir à 17 heures. Ils doivent rencontrer le ministre des Affaires étrangères à 17 h 10.

    Monsieur Obhrai, vous avez cinq minutes.

+-

    M. Deepak Obhrai (Calgary-Est, Alliance canadienne): Merci beaucoup pour votre exposé.

    Personne ici ne conteste le bien-fondé de l'initiative que vous avez entreprise en faveur d'un monde exempt d'armes nucléaires. Nous sommes tous conscients de son importance. Toutefois, nous devons surmonter certains obstacles avant d'atteindre l'objectif visé.

    Nous constatons, depuis la guerre froide, qu'il est primordial d'avoir un monde exempt d'armes nucléaires. Toutefois, en ce qui concerne l'Irak et l'inspection des armements, il est essentiel que tout traité repose sur des bases solides. Autrement dit, le traité doit permettre la vérification des armements. L'inspection des armements est considérée, à l'heure actuelle, comme un des éléments qui contribue à favoriser la sécurité dans le monde, la force nucléaire étant perçue comme un moyen de dissuasion. On tient, en fait, à ce qu'elle soit considérée comme un moyen de dissuasion.

    Aujourd'hui, malheureusement ou heureusement, c'est selon, l'Organisation des Nations Unies, à qui nous avons tendance à nous adresser, se trouve aux prises avec ses propres problèmes de politique interne et n'est pas en mesure de bien remplir son rôle en matière d'inspection des armements. Il suffit de voir ce qui se passe en Irak. À votre avis, est-ce qu'il serait beaucoup plus avantageux de confier l'inspection des armements non pas aux Nations Unies, mais à d'autres pays, ce qui nous éviterait tous ces tiraillements politiques? Est-ce que cette mesure, à votre avis, donnerait aux pays la sécurité qu'ils recherchent et mettrait fin au développement d'armes nucléaires? Est-ce une des solutions que votre groupe pourrait préconiser?

º  +-(1615)  

+-

    M. Bruce Blair: Oui. Il existe de nombreux mécanismes qui permettent de surveiller les arsenaux nucléaires des États nucléarisés, certains mécanismes étant prévus dans les accords bilatéraux entre la Russie et les États-Unis, et d'autres, dans les traités multilatéraux—par exemple, le Traité d'interdiction complète des essais nucléaires. Il existe des programmes de surveillance et de vérification qui ne relèvent pas des Nations Unies et qui sont très importants.

    En fait, il existe fes mécanismes de surveillance qui ne sont pas du ressort des gouvernements, qu'il s'agisse d'unions ou de gouvernements particuliers. Je fais allusion ici à la société civile, à la presse libre, au journalisme d'enquête, à la démocratie. Il existe des institutions qui mettent à la disposition des pays des mécanismes d'autosurveillance. En fait, si nous voulons un jour avoir un monde exempt d'armes nucléaires, il faudra faire confiance à la société civile des pays qui ont toujours été pour nous une source d'inquiétude. La société civile devra pratiquer l'autosurveillance et exposer toute infraction systématique qui se produit. Si les États-Unis violaient systématiquement un accord important sur le contrôle des armements, ce ne seraient pas les pays satellites russes qui divulgueraient ces violations, mais les fonctionnaires de l'État ou la presse libre.

    Il existe donc de nombreux mécanismes, et l'ONU fait partie de ceux-ci. L'AIEA, bien entendu, relève des Nations Unies. Or, le problème, c'est que l'agence dispose d'un budget annuel de 100 millions de dollars—100 millions de dollars par année, c'est ce qu'il en coûte pour procéder à un essai en vol d'un missile balistique américain. Tester le système national de défense antimissile pendant une demi-heure coûte 100 millions de dollars. C'est la demi-heure la plus coûteuse de tout le programme d'essais militaires. Nous dépensons en trente minutes la totalité du budget de l'AIEA. Je m'excuse, mais il s'agit là d'une très mauvaise utilisation des ressources. Les Nations Unies et les autres organismes de surveillance peuvent faire beaucoup mieux.

    Je tiens à dire, pour terminer, que l'Initiative recommande, entre autres, que les États dotés d'armes nucléaires fassent tous l'objet d'une surveillance très, très étroite. Comme je l'ai mentionné, la transparence et la responsabilisation de l'ensemble des Etats nucléarisés sont essentielles à l'avenir du désarmement nucléaire.

+-

    Le président: Madame Lalonde.

[Français]

+-

    Mme Francine Lalonde (Mercier, BQ): Merci, monsieur le président.

    D'abord, je veux vous remercier d'être là et de nous tenir ces propos. Franchement, ça fait du bien, parce que les députés qui sont aux Affaires étrangères et qui suivent attentivement la situation internationale depuis un bon moment pensent--c'est du moins mon cas--que nous venons de vivre un virage avec la nouvelle administration américaine, les événements du 11 septembre et la réponse aux événements du 11 septembre. Je suis certaine qu'on a recommencé à démontrer que la guerre pouvait être une solution, que la guerre préventive pouvait être encore une meilleure solution. J'ai lu le document publié par le Conseil de sécurité nationale sur la nouvelle doctrine stratégique américaine et, franchement, ça m'a donné froid dans le dos.

    Je pourrais dire aussi que, lorsqu'on a rencontré des représentants du Conseil de sécurité nationale à Washington, on s'est fait dire très clairement que le bouclier antimissiles allait voir le jour, qu'il y aurait des armes nucléaires davantage ciblées pour d'autres usages, que le Canada devait choisir oui ou non. Ils souhaitaient convaincre le Canada de faire partie du bouclier antimissiles parce qu'autrement, ça demanderait un dédoublement des ressources pour conserver NORAD.

    Alors, j'arrête là la description et je pose ma question. Comment, politiquement...? Politiquement, nous sommes dans un domaine où, en ce moment, la plus grande puissance du monde et même d'autres acceptent que le nucléaire fasse partie de leur arsenal stratégique. Alors, bien avant qu'on puisse dire qu'il faut contrôler la prolifération, nous sommes désormais devant une politique qui implique l'utilisation du nucléaire. 

º  +-(1620)  

[Traduction]

+-

    Le président: Qui veut répondre? Madame Slater.

+-

    Mme Alice Slater (présidente du Global Resource Action Center for the Environment, Initiative des puissances moyennes): Allez-y.

+-

    Mme Kim Campbell: Vous avez raison. Nous devons, entre autres, recentrer nos efforts, puisque c'est le principe du «pour ou contre» qui semble actuellement dominer le débat public. Vous êtes contre le despotisme ou vous ne l'êtes pas, ou vous êtes faible. Le président Bush, dans son discours, a parlé «des Nations Unies, et non pas de la Ligue des nations», comme s'il essayait de discréditer ce processus multilatéral.

    Or, je prense qu'il est très important, dans ce débat, de préciser que ceux qui s'inquiètent de la prolifération nucléaire, de la re-légitimation des armes nucléaires, n'envisagent pas la sécurité avec naïveté. Quand j'ai été nommée ministre de la Défense — et c'est quelque chose qu'Art Eggleton comprendra très bien—une des premières choses que j'ai dites, c'est qu'il était hautement prématuré de forger des socs de ses épées. Nous savons qu'il y a des personnes peu recommandables qui posent des gestes méprisables, et les menaces qu'elles présentent pour notre sécurité sont très complexes et sérieuses. Nous devons absolument tenir compte de ce fait quand nous discutons de la question, et éviter d'adopter une position qui laisse supposer le contraire. Nous sommes très conscients de la situation.

    Ce que nous essayons de dire, c'est que les armes nucléaires ne font pas partie de la solution. Ces armes, en fait, nous rendent encore plus vulnérables, surtout en cette ère cyberspatiale. Bruce Blair vous a parlé du potentiel qui existe dans ce domaine. Il pourrait également vous parler des officiers pakistanais et indiens qui le consultent parce qu'il est un spécialiste des missiles. Ils lui posent des questions au sujet des systèmes de commandement et de contrôle qui conviendraient à leurs arsenaux nucléaires existants.

    Le fait est que nous devons absolument recentrer nos efforts et préciser qu'il est question ici de sécurité dans un monde complexe et très difficile qui est dominé par la haute technologie. Si les armes nucléaires ont pu nous servir d'écran durant la guerre froide, c'est à cause de la doctrine de destruction mutuelle assurée qui avait cours à l'époque, de l'hostilité qui existait entre les deux superpuissances, une situation où, de façon assez étrange, les parties concernées comprenaient les règles du jeu. Il y avait là des dangers énormes.

    Nous avons parlé plus tôt du film Thirteen Days. Si vous parlez aux personnes qui étaient au courant de la crise des missiles cubains, des conséquences catastrophiques qui auraient pu survenir, de la mésinformation et de la désinformation qui... Dans ce cas particulier, il était difficile pour les personnes concernées de prendre des décisions. Des missiles pouvaient être largués très rapidement.

    Donc, il est très important d'insister sur le fait que nous n'envisageons pas la question de la sécurité avec naïveté, mais avec beaucoup de détermination, de réalisme. Nous devons repenser notre démarche, voir comment les technologies que nous avons mises au point peuvent servir à mieux protéger les gens, voir comment nous pouvons reconnaître la nécessité d'apporter des changements.

    Ceux qui soutiennent que certains instruments internationaux ne sont plus utiles ont très souvent raison de dire une telle chose. Il ne faut pas avoir peur de dire, oui, nous devons repenser certains des engagements que nous avons pris dans le passé, mais en gardant un esprit ouvert.

    Vous dites qu'il y a des personnes qui essaient de re-légitimer les armes nucléaires. Elles font allusion à des armes qui sont nettement plus puissantes que celles qui ont été utilisées à Hiroshima et Nagasaki. Or, il ne faut pas oublier qu'il est question ici d'armes nucléaires, d'armes qui sont très différentes des armes de destruction massive. Ce réalisme très profond constitue le seul espoir que nous avons de générer auprès du public le genre de soutien et d'appui dont nous avons besoin pour instituer les changements qui s'imposent, comme vous l'avez si clairement indiqué. Les expériences que vous avez vécues à Washington sont, à cet égard, très intéressantes.

º  +-(1625)  

+-

    Le président: Merci, madame Campbell.

    Monsieur Eyking.

+-

    M. Mark Eyking (Sydney—Victoria, Lib.): Merci.

    Monsieur Blair, je voudrais vous poser quelques questions.

    Vous avez dit que si tout le monde se mettait de la partie, presque 80 000 bombes comparables à celle utilisée à Hiroshima seraient larguées. J'avais l'impression que, à la suite des pourparlers SALT, en Islande, entre Mikhail Gorbachev et Ronald Reagan, on allait assister à une réduction de ces armes sur une période de 10 à 15 ans. Je me demande combien il y avait d'armes il y a 15 ans.

    J'aimerais par ailleurs vous poser une question au sujet de l'élargissement de l'OTAN. Il y a beaucoup de pays satellites russes qui sont en train d'adhérer à l'OTAN. Est-ce que cela complique les choses pour la Russie? Est-ce que cela crée, chez elle, une certaine tension? Comment décririez-vous la situation? Ces pays devaient sûrement posséder des armes nucléaires, et ils ont dû les récupérer. Est-ce que cela a pour effet de compliquer les choses?

+-

    Le président: Monsieur Blair.

+-

    M. Bruce Blair: Les États-Unis ont fabriqué, au fil des ans, 70 000 armes nucléaires. L'Union soviétique en a fabriqué 55 000. Cela fait 125 000 armes. La plupart de celles-ci ont été déclassées. Il y a 20 ans, entre 30 000 et 40 000 de ces armes étaient toujours utilisables. Aujourd'hui, 10 000 armes américaines et 15 000 armes russes sont toujours utilisables. Elles sont stockées, mais toujours utilisables. Les États-Unis gardent en stock les composantes nucléaires pouvant servir à la fabrication d'au moins 10 000 armes supplémentaires. Qui sait ce qu'ont les Russes?

    Le problème, en ce qui concerne le contrôle des armements nucléaires, c'est que nous ne nous sommes jamais penchés sur la question des armes nucléaires en tant que telles. Tout ce qui nous intéressait, c'étaient les dispositifs de lancement ou les missiles, ou le nombre d'ogives nucléaires que comptaient les missiles. Nous n'avons jamais exigé un décompte de l'arsenal total. Malheureusement, nous ne serons jamais en mesure de savoir avec précision combien d'armes ont été mises au point et combien d'armes existent encore. Des centaines et des centaines de matières destinées aux armes nucléaires sont disparues à tout jamais dans les systèmes de ventilation et la plomberie des installations de production d'armes nucléaires. Nous ne saurons jamais combien d'armes ont été produites.

    Quand j'ai dit qu'on pouvait larguer 80 000 armes comparables en quelques minutes, je vous ai induit en erreur. En fait, on peut larguer environ 2 000 armes de chaque côté—2 000 du côté américain, et 2 000 du côté russe—en quelques minutes seulement. Cela fait 4 000 armes, ce qui suffit pour faire sauter la terre plusieurs fois. Mais ce sont des armes tellement puissantes que si vous les divisez et les transformez en armes comparables à celles qui ont été utilisées à Hiroshima, qui étaient d'environ 15 kilotonnes, ce qui est beaucoup moins que les arsenaux existants, vous pouvez produire, au moyen des 4 000 armes largables des deux côtés, 80 000 bombes comparables à celles utilisées à Hiroshima.

    Maintenant, la Russie a retiré toutes ses bombes nucléaires des pays satellites de l'Europe de l'Est en vue de les regrouper dans une centaine de sites à l'intérieur de ses frontières. Les États-Unis et le Canada, entre autres, veulent s'assurer que ces armes sont entreposées de façon sécuritaire à l'intérieur de la Russie, et qu'elles ne peuvent faire l'objet de vol et se retrouver entre les mains de terroristes.

    Je ne sais pas si j'ai bien répondu à votre dernière question, puisque je ne sais pas ce que...

º  +-(1630)  

+-

    M. Mark Eyking: Je me demande tout simplement quel genre de relation entretiennent la Russie et l'OTAN, étant donné l'adhésion de ces pays satellites à l'OTAN. Est-ce que cela pose problème pour la Russie?

+-

    M. Bruce Blair: D'accord.

    En deux mots, cette situation agace définitivement la Russie, mais jusqu'ici, les Russes semblent comprendre le fait que l'adhésion à l'OTAN implique certaines obligations et droits pour ce qui est du déploiement d'armes conventionnelles et nucléaires sur le territoire de ces pays.

    Je pense que les Russes savent que l'OTAN n'a aucunement l'intention de déployer des armes nucléaires dans ces pays, ce qui les rassure. En fait, nous allons plutôt continuer d'assister à une réduction des armes nucléaires dans les pays membres existants, soit la Grèce, la Turquie, l'Allemagne, l'Italie, la Belgique et la Hollande. Ces pays ont considérablement réduit leurs stocks d'armes au cours des 10 dernières années. On en comptait des milliers dans le passé, et il n'en reste plus que 150. Elles vont un jour finir par disparaître.

+-

    Le président: Merci.

    Vous avez trente secondes pour une question supplémentaire, monsieur Granoff.

+-

    M. Jonathan Granoff (président du Global Security Institute, San Francisco, Initiative des puissances moyennes): Premièrement, la Russie possède probablement entre 6 000 et 10 000 armes tactiques, qui ne font même pas l'objet de discussions. Deuxièmement, ce pays adhère à une politique de « non recours en premier lieu »; autrement dit, les Russes se sont engagés à ne pas employer l'arme nucléaire en premier. Après la guerre froide, ils ont modifié cette politique, en grande partie à cause des questions que vous avez mentionnées. Par conséquent, je pense que c'est plutôt dangereux. C'est de la poudre aux yeux que de parler de changement radical.

    Lorsque l'on examine de près ce nouveau traité entre les États-Unis et la Russie, en bout de ligne, aucune arme nucléaire n'est détruite, il n'y a aucune vérification selon le principe cher à Ronald Reagan « Faites confiance, mais vérifiez », et il n'y a aucune transparence. Par conséquent, à bien des égards, il y a eu un recul. À mon avis, il est irresponsable de la part de la communauté internationale de laisser la Russie et les États-Unis s'en tirer à si bon compte. La Russie affirme qu'elle prend des mesures pour réduire le risque, tout comme les États-Unis d'ailleurs, mais lorsqu'on décortique un peu l'accord, on constate que ce sur quoi ils se sont entendus, c'est qu'en 2012, à un moment donné, ils auront respectivement 1 700 et 2 000 ogives nucléaires pointées l'un vers l'autre. Or, il faut savoir que certaines de ces armes nucléaires ont une puissance de 20 mégatonnes. C'est plus que toutes les armes utilisées dans toutes les guerres au cours de toute l'histoire de l'humanité, et il y en a des milliers. Les deux pays prétendent que c'est le mieux qu'ils peuvent faire pour les autres habitants de la planète, pour le Canada, pour nos enfants.

    J'estime qu'il est très dangereux d'affirmer que tout est normal étant donné que nous ne sommes même plus des ennemis. Pourtant, la technologie et l'échec de la diplomatie, sans compter l'inertie des bureaucraties, font en sorte que ces armes sont toujours présentes.

+-

    Le président: Merci.

    Monsieur Robinson.

+-

    M. Svend Robinson (Burnaby—Douglas, NPD): Merci, monsieur le président.

    Je suis vraiment très heureux de souhaiter de nouveau la bienvenue à la délégation de l'IPM. J'ai eu le privilège de prendre part à un certain nombre de délégations précédentes, et je tiens à saluer en particulier Doug Roche pour les efforts inlassables qu'il consacre à cette initiative. En tant que Canadien, je suis très fier, Doug, de votre leadership dans ces dossiers. Je suis également heureux de revoir mon ex-collègue et amie, Mme Kim Campbell. Je me souviens de l'avoir interrogée dans cette même salle alors qu'elle assumait le poste de ministre de la Justice, il y a quelques années de cela. C'est bon de vous revoir ici.

    Je me bornerai à quelques commentaires rapides, puisque le temps nous est compté, et à une ou deux questions seulement. Je suis ravi, moi aussi, que le Canada ait voté en faveur de la résolution sur la New Agenda Coalition vendredi dernier. Je pense que c'est un signal très encourageant. À vrai dire, Bill Graham a pesé lourd dans cette décision et je suis heureux de cette ouverture. J'espère que c'est un indice de progrès futurs dans ce domaine.

    Il y a également eu d'autres faits nouveaux encourageants. J'ignore si quelqu'un en a parlé, mais Cuba vient tout juste de signer le traité de non-prolifération, ce qui m'apparaît très important. Nous tentons toujours d'amener Israël à le signer, de même que l'Inde et le Pakistan, mais cela risque de prendre plus de temps.

    Je me suis également réjoui de l'issue de la rencontre des lauréats du prix Nobel, et je tiens à dire, au nom de mon parti, que nous partageons sans réserve la conclusion à laquelle ils sont arrivés, soit que les armes nucléaires sont immorales, que leur utilisation est illégale et que nous devons déployer tous les efforts possibles pour les abolir totalement. Chose certaine, c'est ce que j'espère.

    On a parlé tout à l'heure des Etats hors- la-loi. Lorsque l'on constate le mépris que les États-Unis ont manifesté à l'égard d'une vaste gamme de traités internationaux... Dans le document final d'examen du TNP 2000, l'étape 7 réaffirme la profonde importance du traité ABM. Les États-Unis sont signataires de ce traité, qui a été déchiré. La vérification des armes biologiques ne se fait plus; les États-Unis ne sont pas prêts à y adhérer. Pour ce qui est du CTPT... et je pourrais poursuivre sur ma lancée. La liste est longue. S'il y a un Etat renégat dans ce domaine, il me semble bien que ce sont les États-Unis. À mon avis, le Canada se doit d'être honnête envers son voisin et ami et livrer à cet égard un message clair et ferme. Il me faut aussi évoquer la menace que représente la défense antimissile ainsi que de la militarisation de l'espace. En conséquence j'aimerais bien que l'un d'entre vous nous dise à quel point il est important que le Canada parle franchement aux puissances de ce monde—puisqu'il s'agit là de super-puissances—en ce qui concerne ces questions cruciales.

    Il ne faut pas oublier aussi une autre question, soit celle du Moyen-Orient. Partout dans le monde, les yeux sont fixés sur le Moyen-Orient et sur l'évolution de la situation entourant l'Iraq. Ma collègue, Mme Lalonde, a évoqué la doctrine du 20 septembre embrassée par le président Bush, une doctrine terrifiante. Des frappes préventives pourraient fort bien être de nature nucléaire;cette possibilité n'est pas écartée. À la lecture de ce document, c'est assez clair. À ce stade-ci, envisagez-vous un scénario où le recours à l'arme nucléaire au Moyen-Orient ainsi qu'en Iraq serait possible?

º  +-(1635)  

+-

    Le président: Merci, monsieur Robinson.

    Madame Slater.

+-

    Mme Alice Slater: Je tiens à remercier le Canada pour le leadership dont il a fait preuve. En tant que citoyenne américaine, j'estime que nous vivons en des temps très précaires et que nous avons vraiment besoin de l'aide du Canada.

    Vous l'ignorez peut-être, mais samedi dernier, 400 000 personnes ont défilé dans les rues de Washington contre la guerre en Irak. En effet, une partie du problème tient au fait que vous n'êtes pas au courant, puisque cela n'est même pas rapporté dans les médias. Nous avons donc énormément de chemin à faire. À mon avis, le vote tenu au Congrès, où 133 démocrates, soit plus de la moitié d'entre eux, et 23 sénateurs ont voté contre la guerre, a causé toute une surprise. Personne ne s'y attendait. De façon générale, on croyait que ce vote paverait la voie pour le président Bush et pout la guerre. J'ai l'impression que nous allons être surpris, et nous avons besoin de votre aide. On sent l'émergence d'une nouvelle attitude. Il existe tout un réseau courriel. Après que Paul Wellstone, qui est malheureusement décédé depuis, ait voté contre la guerre en Irak, nous avons reçu un message courriel de la part d'un mouvement d'appui car il était dans l'eau chaude en raison de sa prise de position. En trois jours, ce mouvement a recueilli 1,25 million de dollars pour Paul Wellstone par Internet. Cela non plus n'est pas rapporté dans les médias.

    Il y a de l'espoir. Grâce au Canada, qui suit la situation de près et au Mexique, qui n'est pas d'accord avec nous au Conseil de sécurité, les Américains peuvent apprendre que leurs voisins avec qui ils vivent en harmonie et en paix depuis de nombreuses années, ne partagent pas la position de l'administration; cela pourrait nous aider à nous organiser pour le chasser du pouvoir à la prochaine occasion.

    En outre, il est très important d'appuyer les Nations Unies. J'ai assisté pendant deux jours aux réunions du Conseil de sécurité. Grâce à l'Afrique du Sud, ces rencontres sont maintenant ouvertes au public. J'ai eu l'impression de voir la Ligue des nations agoniser lorsque j'ai entendu l'ambassadeur américain lancer un ultimatum, du genre: donnez-nous ce que nous voulons ou nous allons nous retirer et mettre sur pied notre propre coalition. Si les choses en viennent là, j'espère que le Canada ne fera jamais partie de cette coalition.

    Pour ce qui est du Moyen-Orient, je vais laisser à plus sage que moi le soin de répondre à la question.

º  +-(1640)  

+-

    Le président: Merci.

    Monsieur Granoff.

+-

    M. Jonathan Granoff: Je n'aime pas tellement qu'on me qualifie de sage. Quoi qu'il en soit, je me bornerai à faire quelques suggestions simples.

    La New Agenda Coalition, comme vous le savez, a donné le ton avec cette résolution. Cette coalition se compose de puissances moyennes, de pays qui disposent d'une capacité nucléaire mais qui se sont abstenus de mettre au point des armes nucléaires en raison de leurs engagements. Un de leurs principes se lit comme suit:

Toute présomption de possession illimitée d'armes nucléaires par un État nucléarisé est incompatible avec l'intégrité et la pérennité du régime de non-prolifération des armes nucléaires.

    La possession illimitée est envisagée dans l'examen du dispositif nucléaire et la nouvelle doctrine stratégique.

    L'application du régime de désarmement est au coeur du dossier de l'Irak et du processus de désarmement. Le problème, c'est que le pays qui clame le plus haut qu'il faut empêcher la prolifération horizontale envisage ouvertement la prolifération verticale. Par conséquent, le lien entre la moralité, le droit et l'exercice du pouvoir a été rompu. Il faut en premier lieu que les États-Unis comprennent que pour assurer la stabilité, que ce soit à l'égard de l'Irak ou pour empêcher qu'un nouveau tyran nous menace, il faut qu'il y ait cohérence entre la moralité, le droit et l'exercice de la force.

    Or, cet argument n'a pas été mis de l'avant publiquement. En fait, le Canada a les antécédents historiques et la cohérence voulus pour faire valoir cet argument puisqu'il a consenti des sacrifices en envoyant des forces de maintien de la paix dans des régions où la stabilité avait disparu. Étant donné qu'il a fait ce sacrifice sans espérer en tirer en retour un avantage économique quelconque, le Canada jouit d'une grande autorité morale. C'est d'ailleurs cette intégrité morale qui est nécessaire pour surveiller la situation de près. À mon avis, c'est la première étape.

    La deuxième étape s'articule autour de cette nouvelle doctrine du recours préventif à la force. Je me suis entretenu récemment avec certains ambassadeurs de l'Asie du Sud. Si l'Inde ou le Pakistan, ou encore les deux, devaient adopter cette doctrine, cela serait absolument catastrophique. Il faudrait expliquer l'effet d'entraînement qui veut que «ce que vous faites, d'autres le feront». Il s'agit là de principes fort simples auxquels il faut faire place dans le débat public. Dans le domaine de la sécurité humaine, le Canada a des antécédents qui lui confèrent le droit de les promouvoir.

+-

    Le président: Je vais vous accorder 20 secondes, monsieur Blair. Nous avons des constraintes de temps, mais allez-y.

+-

    M. Bruce Blair: Pour continuer dans la même veine, si les pays du Moyen-Orient devaient aussi adopter des doctrines similaires, non seulement celles de l'attaque préventive, mais aussi du recours aux armes nucléaires pour contrer les menaces d' armes chimiques ou biologiques—, il s'ensuit que si l'Irak ou l'Iran avaient été en possession d'armes nucléaires au cours de la guerre Iran-Irak, ils auraient pu y avoir recours en toute légitimité, du moins si l'on s'en tient à la doctrine nucléaire américaine. Ou encore Israël, par crainte du lancement imminent d'un missile irakien transportant des germes ou un gaz nocif, pourrait simplement citer textuellement la doctrine américaine pour justifier son recours en premier lieu à l'arme nucléaire. Je ne pense pas qu'un scénario comme celui-là se concrétise, mais nous sommes en train de créer les conditions propices à sa réalisation.

+-

    Le président: Merci, monsieur Blair.

    Il nous reste 15 minutes. Je vais donner la parole à M. Eggleton et au sénateur Di Nino, et je permettrai à trois autres personnes de poser des questions avant de conclure.

º  +-(1645)  

+-

    M. Art Eggleton (York-Centre, Lib.): Merci beaucoup, monsieur le président. C'est la première fois que je peux poser une question en tant que membre d'un comité. Ayant fait partie du cabinet pendant huit ans et demi, dont cinq à titre de ministre de la Défense, je suis habituellement assis de l'autre côté de la table.

    Quoi qu'il en soit, je suis heureux d'accueillir votre délégation ici aujourd'hui, et je remercie l'Initiative des puissances moyennes de s'être penchée sur ces questions. Que les participants autour de la table soient d'accord ou non en tous points avec vos positions, je trouve formidable votre action en ce sens que vous maintenez l'attention sur ces enjeux vitaux. À l'heure actuelle, il n'est certes pas facile d'attirer sur ces sujets de l'attention qu'ils méritent, compte tenu du fait que l'on met beaucoup l'accent sur le terrorisme et les autres armes de destruction massive, mais votre contribution est des plus précieuse.

    J'aimerais poser une question au sujet de la défense antimissile car c'est un dossier que j'ai suivi de près lorsque j'étais ministre de la Défense. Or, je n'en ai guère entendu parler dernièrement. Je connais en détail les arguments pour et contre, mais je me demande de quel côté on penche maintenant aux États-Unis. Pendant un certain temps, il a semblé que les Démocrates et les Républicains étaient sur la même longueur d'onde à ce sujet, et je me demande si quelque chose a changé à cet égard.

    En outre, que devrait faire le Canada à votre avis si les Américains décidaient d'aller de l'avant? Indépendamment des difficultés liés aux essais, peu importe le système ou la combinaison de systèmes que l'on mettra en vigueur à un moment donné, que devrait faire le Canada étant donné que les États-Unis iront de l'avant que cela nous plaise ou non? Si le Canada reste à l'écart, il est évident que les États-Unis prendront en matière de défense antimissile toutes les décisions et celles-ci auront nécessairement une incidence sur notre pays. Si nous décidons de nous rallier au projet, nous serons partie prenante du processus. En l'occurrence, quelle devrait être la position du Canada?

+-

    Le président: Monsieur Blair.

+-

    M. Bruce Blair: Il est difficile pour moi de savoir comment la défense antimissile s'inscrit dans votre plan et dans votre architecture stratégique de sécurité. Par conséquent, je préférerais réfléchir à cette question et y répondre ultérieurement.

    À mon avis, le programme de défense antimissile des États-Unis a perdu sa «signification cosmique». C'est devenu plus ou moins un programme de défense comme les autres qui sera assujetti aux évaluations habituelles, selon divers critères dont le rendement de la technologie et les coûts. Le programme va sans doute se poursuivre cahin-caha pendant assez longtemps avant que quiconque en vienne à déterminer si ce système peut effectivement se concrétiser ou non.

    Je dirais que c'est un programme de R-D intéressant et valable qu'il vaut la peine de surveiller, mais tant et aussi longtemps que cela ne débouchera pas sur un système viable au plan technique, il me semble extrêmement hypothétique de l'intégrer dans les calculs stratégiques d'un pays, que ce soit les États-Unis, le Canada, la Chine ou la Russie. Ce n'est pas demain la veille que l'on verra cela. Il faudra au moins une décennie d'essais opérationnels avant qu'un système concret puisse être déployé. Par conséquent, il convient d'être patient et de bien peser le rôle qu'un tel système pourrait jouer dans votre propre plan stratégique à long terme.

+-

    Le président: Monsieur Granoff et madame Slater, vous avez 30 secondes chacun et, à partir de maintenant, je serai très strict.

+-

    Mme Alice Slater: Très brièvement, je peux vous dire qu'au niveau de la base, il existe divers réseaux d'abolitionnistes et d'opposants à la guerre des étoiles qui réclament un moratoire sur les tests de missile. Ce serait d'ailleurs une chose utile que le Canada pourrait faire. À l'heure actuelle, le dossier va bon train, porté par un lobbying intense et un financement considérable de la part des grandes sociétés. Au cours des deux dernières années, quelque 30 millions de dollars ont été investis sous forme de lobbying et 8 millions sous forme de contributions à diverses campagnes. C'est un scandale.

    Peut-être que Bruce a raison et que cela ne fonctionnera jamais. Dans l'intervalle, ce dossier devrait soulever un tôlé dans la population et j'aimerais beaucoup que le Canada se joigne à nous pour réclamer un moratoire sur les tests antimissile à l'heure actuelle. Je vous en prie.

º  +-(1650)  

+-

    M. Jonathan Granoff: Dans le contexte de son appui à la résolution de la New Agenda Coalition, le Canada a récemment insisté sur le fait qu'il ne faudrait prendre aucune mesure susceptible de déboucher sur la militarisation de l'espace. Étant donné que la défense antimissile est un cheval de Troie pour ce qui est de l'armement de l'espace, j'espère que le Canada continuera d'user de son influence pour empêcher sa militarisation. Il s'agit là d'une valeur absolument indispensable pour le reste du monde.

    Si vous lisez le document Vision 2020 du Commandement spatial américain—lecture que je recommande à tous—,vous verrez qu'on y préconise d'utiliser le système de défense antimissile comme partie intégrante d'une force spatiale combinant «la surveillance mondiale et la capacité potentielle d'une frappe à partir de l'espace». Comme il s'agit de l'agence qui serait chargée d'administrer le programme national antimissile, on court le risque que ce système prétendument axé sur la défense se transforme en un système offensif et contribue à la militarisation de l'espace.

    C'est donc un domaine où nous devons être très clairs: aucune militarisation de l'espace n'est acceptable.

+-

    Le président: Merci.

    Nous allons maintenant passer au sénateur Di Nino.

+-

    Sénateur Consiglio Di Nino (Ontario, P.C.): Merci, monsieur le président.

    D'abord, je vous souhaite la bienvenue. J'avoue que chaque fois que j'entends des déclarations de ce genre, cela me donne la froid dans le dos. J'espère que c'est la même chose pour tout le monde.

    Cela dit, je tiens à vous féliciter tous pour votre objectif admirable, et mes meilleurs souhaits vous accompagnent. J'espère que vous ne ferez pas cavalier seul et que notre aide vous sera utile pour le réaliser.

    Ma question porte sur le thème de votre exposé, tant oral qu'écrit. Vous semblez mettre particulièrement l'accent sur les États-Unis, ainsi que sur la Russie. Dans ses commentaires, M. Blair a invoqué le rôle que la société civile et les médias sont appelés à jouer pour s'assurer que nous sommes bien informés de l'évolution de ces questions. On n'a guère parlé—voire pas du tout—des autres pays qui se sont constitués un arsenal nucléaire. Je parle de pays comme la Chine, l'Inde et le Pakistan. Évidemment, nous avons aussi entendu parler récemment de la Corée. Je rappelle à M. Blair que la société civile et les médias n'ont pas autant d'influence dans ces pays qu'ils en ont dans le monde occidental. Par conséquent, j'apprécierais que vous commentiez le rôle que joue ce facteur dans la discussion actuelle.

+-

    M. Bruce Blair: Merci.

    Comme vous le savez déjà, l'Inde et le Pakistan n'ont pas signé le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires et agissent par conséquent à leur guise. Cette région est bien évidemment le point chaud nucléaire du monde, et, à mon avis, celle où seront probablement déclenchées des armes nucléaires dans les cinq prochaines années.

    Honnêtement, je ne sais vraiment pas quoi faire. Ces pays sont reniés par le reste du monde, et aucune coopération n'est entreprise, au titre de la sécurité, afin de dissiper la menace nucléaire qui sévit en Asie du Sud. Les États-Unis et d'autres pays n'ont fait que se tenir à distance et refusent de reconnaître ces États comme des puissance nucléaires.

    Je suis confus et décontenancé par le fait que des militaires pakistanais et indiens défilent dans mon bureau tous les mois pour discuter de la conception d'un système de commandement et de contrôle nucléaires sécuritaire, d'un système efficace de fiabilité des employés qui manient des armes nucléaires. Ces pays passent par les mêmes premières étapes d'un processus par lequel sont passés les États-Unis et la Russie. Nous y sommes passés et avons commis de nombreuses erreurs, et l'Inde et le Pakistan les répéteront sans profiter de la sagesse du reste du monde.

    La situation est donc complexe. Tous ces pays réfractaires, Corée du Nord, Chine, en Asie, pays du Moyen-Orient, sans parler de l'Inde et du Pakistan, ne sont aucunement intéressés à ce que nous avons à dire sur les armes nucléaires.

    C'est un problème très difficile auquel je n'ai aucune solution, mais je sais que les États-Unis et la Russie y jouent un rôle important. Je suis avant tout préoccupé par les armes dispersées et incontrôlables en Russie. Je pense que notre priorité est de garantir la sûreté des substances et armes nucléaires russes afin qu'elles ne se retrouvent pas dans des mains terroristes.

    Peut-être que Mme Campbell voudrait ajouter le dernier mot.

º  +-(1655)  

+-

    Le président: Oui. Il nous restera quatre ou cinq minutes après les commentaires de Mme Campbell. Je demanderai à nos trois collègues de poser chacun une question de dix secondes, sans préambule, afin de pouvoir en avoir les réponses.

    Voulez-vous prendre la parole tout de suite?

+-

    Mme Kim Campbell: Oui, rapidement.

    En ce qui concerne l'Inde et le Pakistan, ce qui, en outre, décourage l'Inde de lancer une frappe nucléaire, c'est sa forte économie de la haute-technologie et l'ampleur des pressions que les sociétés américaines et autres exercent sur le gouvernement indien pour le convaincre d'apaiser ses relations extrêmement tendues avec le Pakistan; en effet, une grande partie du travail de ces sociétés se fait en Inde.

    L'idéal serait de créer le même genre d'incitatif au Pakistan. Puisque nous ne pouvons pas faire grand chose à propos de ce que disait Bruce Blair, dans le cas de pays comme l'Inde et le Pakistan, nous devons faire preuve de créativité et trouver d'autres incitatifs, dans les domaines de l'économie ou des intérêts directs, afin de dissuader les leaders visés de se lancer dans des actions qui comportent de trop gros risques. Je suis moins confiante en ce qui concerne le Pakistan, mais la dynamique récemment créée avec l'Inde est fort intéressante.

+-

    Le président: Merci.

    Nous avons le temps pour trois questions, en commençant par M. O'Brien.

+-

    M. Pat O'Brien (London—Fanshawe, Lib.): Merci, monsieur le président.

    Je regrette de n'avoir pu assister à l'exposé, mais j'ai jeté un coup d'oeil sur les documents.

    Dans la foulée des propos de M. Eggleton, je dois dire que j'ai présidé le comité de la Défense à l'époque où il était ministre de la Défense, et nous avons tenu les seules audiences sur l'initiative de défense antimissiles balistiques. Sans vouloir manquer de respect, cela ne semblait pas si hypothétique. La majorité des preuves indiquent que la technologie fonctionnera. Ils ont tout fait sauf en faire un projet du NORAD à Cheyenne Mountain, que nous avons visité.

    Ma question—et je la pose peut-être aux mauvaises personnes, peu importe—est la suivante : Les États-Unis poursuivent-ils l'initiative de défense antimissiles balistiques? C'est une question de grand intérêt stratégique pour le Canada, qui est un partenaire du NORAD.

+-

    Le président: Merci.

    Monsieur Bergeron.

[Français]

+-

    M. Stéphane Bergeron (Verchères—Les-Patriotes, BQ): Merci, monsieur le président.

    J'aimerais revenir sur la question qui a été posée par le sénateur Di Nino concernant les États qui se distinguent peut-être moins par l'importance de leur arsenal, mais qui disposent néanmoins de l'arme nucléaire ou dont on présume qu'ils disposent de l'arme nucléaire. Certains d'entre eux sont qualifiés de pays délinquants; on les qualifie, dans certains cas, d'« axe du mal ».

    La question que j'aimerais poser est celle-ci: comment est-il possible d'évaluer réellement si oui ou non il y a développement d'une capacité nucléaire dans ces États? Comment, le cas échéant, peut-on évaluer l'ampleur de l'arsenal?

+-

    Le président: Est-ce toujours la même question?

+-

    M. Stéphane Bergeron: Oui, toujours.

    Dans des cas comme ceux de l'Irak, de l'Iran et de la Corée du Nord, qui ont été identifiés comme étant l'«axe du mal», monsieur le président, est-ce qu'on peut parler d'une évaluation positive? Y a-t-il, oui ou non, dans ces cas-là, développement et présence d'arsenaux nucléaires? Sinon, s'agit-il simplement de rhétorique guerrière de la part du président des États-Unis?

+-

    Le président: Merci, monsieur Bergeron.

[Traduction]

    La dernière question, sans préambule, est accordée à M. Day.

+-

    M. Stockwell Day (Okanagan—Coquihalla, Alliance canadienne): Petit rappel au Règlement, j'apprécie le respect dont vous faites preuve envers le sénateur en lui accordant presque deux minutes. J'espère seulement qu'on accorde la moitié, ou même le quart, de cette durée aux élus. Mais vous aviez bien sûr tout à fait raison de l'écouter avec respect.

+-

    Le président: Vous n'avez même pas besoin de le mentionner, puisque vous aurez toujours le respect du président et le temps de vous exprimer. Allez-y.

+-

    M. Stockwell Day: Merci, monsieur, je m'en réjouis.

    Premièrement, le caractère pacifique de la discussion est quelque peu ébranlé par le fait que les États-Unis ont été qualifié d'État voyou. J'aimerais qu'un des témoins dise s'il est d'accord avec cette caractérisation intellectuellement et historiquement déficiente de M. Robinson. Tout au long de l'histoire, qu'il s'agisse d'Alexandre le Grand, de Genghis Khan, des Empires romain et britannique, du Troisième Reich ou de Saddam Hussein, toutes les puissances dotées d'une force militaire illimitée ont envahi d'autres pays, sauf les États-Unis. C'est la première fois que nous connaissons une situation pareille. Par conséquent, sont-ils d'accord avec M. Robinson?

»  -(1700)  

[Français]

    J'ai aussi une petite question sur la deuxième recommandation:

    ...empêcher la prolifération des missiles en concluant des arrangements spéciaux comme avec la Corée du Nord...

    Pensez-vous que le cas de la Corée du Nord est une histoire à succès en ce qui a trait à la prolifération? C'est votre deuxième recommandation.

[Traduction]

+-

    Le président: Merci. Voilà donc les trois questions. Qui va répondre à la première? Monsieur Roche.

+-

    Le sénateur Douglas Roche: Avec votre permission, monsieur le président, je vais répondre aux trois questions.

    Le président: Très bien. Merci.

    Le sénateur Douglas Roche: Avec tout le respect que je lui dois, je tiens à indiquer à M. Day que nous sommes très pressés, parce que nous devons être dans le bureau du ministre dans cinq minutes.

    En réponse à la première question, monsieur O'Brien, le système national de défense antimissiles balistiques est en pleine progression. Comme l'a dit mon collègue M. Blair, ce système est à si long terme qu'on ne sait toujours pas s'il sera réalisable ou pas. Le fait même que les États-Unis dépensent 8 milliards de dollars par année en recherche est preuve de l'engagement à cet égard. Mais dans l'optique politique, ce projet a sûrement été relégué au deuxième rang par la question de l'Irak.

    Deuxièmement, monsieur Bergeron, l'évaluation des capacités nucléaires des États est, bien sûr, la responsabilité première de l'AIEA, l'Agence internationale de l'énergie atomique, qui, comme nous l'avons mentionné plus tôt, manque à tel point de financement qu'elle dépend des contributions volontaires des États pour ne garantir que la bonne gestion de son programme en huit points, qui a été mis sur pied après le 11 septembre.

    Il demeure que la seule façon d'être sûr que les États ont effectivement accès aux armes nucléaires ou ont la capacité d'en construire serait de voter une loi exigeant la mise sur pied d'un système de vérification rigoureux. Le Conseil de sécurité est le seul organe au monde qui a l'autorité d'entreprendre de telles inspections. C'est le problème que nous avons en Irak actuellement. Nous estimons que l'Irak devrait donner libre accès aux équipes d'inspection des Nations Unies, et que celles-ci devraient être appuyée par l'AIEA dont le budget serait renforcé. Le Canada peut jouer un rôle important et rendre un énorme service en convainquant ses alliés d'investir davantage dans la vérification.

    Troisièmement, nous n'avons jamais qualifié les États-Unis d'État voyou. Nous sommes d'avis que les États-Unis—je parle en tant que Canadien, mais je suis entouré d'Américains—sont un grand pays qui a beaucoup fait pour le monde au fil des ans. En revanche, nous estimons que ses politiques présentent certaines lacunes en ce moment qui sapent, en quelque sorte, les lois internationales que les Nations Unies ont élaborées depuis environ 57 ans.

    Le rôle de l'Initiative des puissances moyennes est d'aider les États-Unis et d'autres États dotés de l'arme nucléaire à assumer leur responsabilité en vertu du Traité sur la non-prolifération et au titre de leurs obligations en matière de droit international. Son rôle consiste à aider les puissances moyennes—et nous parcourons le globe à cette fin—à exploiter leur accès aux États dotés de l'arme nucléaire, en particulier, bien franchement, les États-Unis, qui sont la super-puissance d'aujourd'hui. Les États-Unis ont une immense responsabilité envers le reste du monde, et nous voulons les aider à l'assumer.

    Monsieur le président, je vous remercie beaucoup, ainsi que vos collègues, de la courtoisie dont vous avez fait preuve en nous permettant de vous présenter notre exposé. Nous sommes désolés de devoir partir si vite, mais l'important a été dit. Merci encore.

-

    Le président: Merci beaucoup à nos témoins. Merci beaucoup, monsieur Roche.