LANG Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
Pour faire une recherche avancée, utilisez l’outil Rechercher dans les publications.
Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.
38e LÉGISLATURE, 1re SESSION
Comité permanent des langues officielles
TÉMOIGNAGES
TABLE DES MATIÈRES
Le mardi 7 juin 2005
¿ | 0910 |
Le président (M. Pablo Rodriguez (Honoré-Mercier, Lib.)) |
M. Michel Doucet (professeur, Faculté de droit, Université de Moncton) |
¿ | 0915 |
¿ | 0920 |
¿ | 0925 |
Le président |
M. Guy Lauzon (Stormont—Dundas—South Glengarry, PCC) |
M. Michel Doucet |
M. Guy Lauzon |
M. Michel Doucet |
M. Guy Lauzon |
M. Michel Doucet |
¿ | 0930 |
Le président |
M. Stéphane Bergeron (Verchères—Les Patriotes, BQ) |
¿ | 0935 |
M. Michel Doucet |
M. Stéphane Bergeron |
M. Michel Doucet |
¿ | 0940 |
Le président |
M. Michel Doucet |
Le président |
M. Yvon Godin (Acadie—Bathurst, NPD) |
¿ | 0945 |
M. Michel Doucet |
¿ | 0950 |
M. Yvon Godin |
M. Michel Doucet |
M. Yvon Godin |
M. Michel Doucet |
Le président |
M. Yvon Godin |
Le président |
M. Marc Godbout (Ottawa—Orléans, Lib.) |
M. Michel Doucet |
¿ | 0955 |
M. Marc Godbout |
M. Michel Doucet |
M. Marc Godbout |
M. Michel Doucet |
Le président |
M. Michel Doucet |
Le président |
À | 1000 |
M. Andrew Scheer (Regina—Qu'Appelle, PCC) |
M. Michel Doucet |
M. Andrew Scheer |
M. Michel Doucet |
M. Andrew Scheer |
M. Michel Doucet |
M. Andrew Scheer |
M. Michel Doucet |
À | 1005 |
Le président |
L'hon. Raymond Simard (Saint Boniface, Lib.) |
M. Michel Doucet |
L'hon. Raymond Simard |
M. Michel Doucet |
À | 1010 |
L'hon. Raymond Simard |
M. Michel Doucet |
L'hon. Raymond Simard |
M. Michel Doucet |
L'hon. Raymond Simard |
Le président |
M. Michel Doucet |
Le président |
M. Michel Doucet |
Le président |
M. Michel Doucet |
Le président |
M. Guy André (Berthier—Maskinongé, BQ) |
M. Michel Doucet |
M. Guy André |
À | 1015 |
M. Michel Doucet |
M. Guy André |
M. Michel Doucet |
M. Guy André |
M. Michel Doucet |
Le président |
M. Yvon Godin |
M. Michel Doucet |
M. Yvon Godin |
M. Michel Doucet |
M. Yvon Godin |
M. Michel Doucet |
À | 1020 |
M. Yvon Godin |
M. Michel Doucet |
M. Yvon Godin |
Le président |
M. Stéphane Bergeron |
M. Michel Doucet |
À | 1025 |
Le président |
M. Jean-Claude D'Amours (Madawaska—Restigouche, Lib.) |
M. Michel Doucet |
Le président |
CANADA
Comité permanent des langues officielles |
|
l |
|
l |
|
TÉMOIGNAGES
Le mardi 7 juin 2005
[Enregistrement électronique]
* * *
¿ (0910)
[Français]
Le président (M. Pablo Rodriguez (Honoré-Mercier, Lib.)): Bonjour à tous. Bienvenue en ce très beau mardi matin.
Nous sommes ici pour poursuivre nos travaux sur le projet de loi S-3. Nous avons le plaisir d'accueillir ce matin M. Michel Doucet. Il nous fera une courte présentation, et nous passerons ensuite à une période de discussion et de questions qui durera jusqu'à environ 10 h 30, alors que nous devrons nous pencher sur les travaux futurs du comité et discuter des dates de nos déplacements — si déplacements il y a un jour — ainsi que de la lettre qui nous a été acheminée par M. Simard.
Monsieur Doucet, je vous cède la parole.
M. Michel Doucet (professeur, Faculté de droit, Université de Moncton): Merci, monsieur le président.
Messieurs les députés, premièrement, je tiens à remercier le comité de m'avoir invité aujourd'hui à faire une présentation sur le projet de loi S-3, Loi modifiant la Loi sur les langues officielles (promotion du français et de l'anglais). Comme le président l'a indiqué, je veux d'abord faire quelques commentaires qui pourront peut-être alimenter la discussion et les questions. Évidemment, mes commentaires porteront essentiellement sur la disposition qui se trouve actuellement dans la Loi sur les langues officielles et sur les modifications qui sont proposées dans le projet de loi S-3.
La Loi sur les langues officielles constitue la pierre angulaire du bilinguisme au palier fédéral. Tel que l'indique son préambule, elle codifie plusieurs droits constitutionnels et, par ailleurs, met en oeuvre l'engagement pris par le gouvernement fédéral de favoriser l'épanouissement des minorités francophones et anglophones au titre de leur appartenance aux deux collectivités de langue officielle, d'appuyer leur développement et de promouvoir la pleine reconnaissance de l'usage du français et de l'anglais dans la société canadienne.
Ces objectifs sont d'ailleurs codifiés dans la loi, à l'article 2, où l'on retrouve l'objet de la Loi sur les langues officielles, comme vous le savez, et surtout à l'alinéa 2b), où l'on retrouve un objectif qui est en tous points similaire à celui que l'on retrouve à l'article 41 de la loi.
Comme vous le savez, la Loi sur les langues officielles n'est pas une loi ordinaire. Les tribunaux ont reconnu son statut quasi constitutionnel et l'ont généralement interprétée de façon large et libérale, conformément à son objet et à son statut. Par le truchement de la loi, le Parlement favorise la progression vers l'égalité de statut et d'usage du français et de l'anglais, conformément au paragraphe 16(3) de la Charte canadienne des droits et libertés et au principe constitutionnel non écrit de la protection des minorités.
Maintenant, si nous nous attardons plus particulièrement à la partie VII de la loi, nous constaterons qu'en vertu de l'actuel article 41 de la loi, le gouvernement fédéral a l'obligation de favoriser l'épanouissement des minorités anglophones et francophones du Canada et d'appuyer leur développement, ainsi que de promouvoir la pleine reconnaissance de l'usage du français et de l'anglais dans la société canadienne.
L'article 42 et l'alinéa 43(1)a) de la loi imposent au ministre du Patrimoine canadien la responsabilité de susciter et d'encourager la coordination de la mise en oeuvre par les institutions fédérales de l'engagement, qui, lui, est codifié à l'article 41 de la loi.
La partie VII représente ce qu'il y a de plus nouveau dans la nouvelle loi. Trois des dix dispositions du préambule de la loi lui sont consacrées en exclusivité. Comme nous avons pu le constater tout à l'heure, l'article 2 de la loi consacre à la partie VII l'un de ses deux paragraphes de fond.
Comme je l'ai souligné plus tôt, la partie VII est un prolongement du paragraphe 16(1) de la Charte canadienne des droits et libertés. L'adoption de cette partie visait donc à donner un effet au principe de la progression vers l'égalité de statut ou d'usage du français et de l'anglais énoncé au paragraphe 16(3) de la Charte.
Malgré sa place de choix, la partie VII demeure encore peu connue et mal comprise. La Cour suprême du Canada, comme vous le savez, sera appelée à se prononcer pour la première fois sur sa portée le 8 décembre 2005, décision qui sera certainement attendue avec grand intérêt par plusieurs. Mon analyse de cette disposition et du projet de modifications proposé se fera donc avec une certaine réserve en attendant la décision de la Cour suprême du Canada.
Si nous passons à l'historique législatif de la partie VII et cherchons à en dégager l'intention du législateur en 1988, nous constaterons que l'adoption des articles 16 à 20 de la Charte en 1982 avait eu pour effet de constitutionnaliser l'égalité du français et de l'anglais au sein des institutions du Parlement et du gouvernement du Canada.
Pour que cet objectif d'égalité réelle des deux langues officielles ne reste pas lettre morte, le gouvernement fédéral a voulu harmoniser les dispositions de la Loi sur les langues officielles de 1969 et celles de la Charte. Les objectifs du gouvernement en agissant ainsi étaient, selon la déclaration faite à l'époque par le très honorable Ray Hnatyshyn, qui était alors ministre de la Justice et procureur général du Canada, d'assurer le respect et l'égalité de statut des deux langues officielles dans les institutions fédérales, d'appuyer le développement des minorités francophones et anglophones, de favoriser la progression des deux langues au sein de la société canadienne et de préciser les pouvoirs et les obligations des institutions fédérales en matière de langues officielles.
Dans une lettre adressée à ses collègues du Cabinet en juillet 1987, au lendemain du dépôt du projet de loi qui allait devenir la loi, le premier ministre du Canada d'alors, le très honorable Brian Mulroney, déclarait:
Je tiens à souligner en particulier que le gouvernement s'est engagé à favoriser l'épanouissement et à appuyer le développement des minorités francophones et anglophones du Canada. Il est donc primordial que tous les ministères et organismes fédéraux contribuent au développement et à l'épanouissement des communautés minoritaires et qu'ils tiennent compte de leurs besoins et intérêts dans l'élaboration de leurs politiques et la mise en oeuvre de leurs programmes. |
En adoptant la partie VII, le Parlement souhaitait que dorénavant les politiques et les programmes gouvernementaux aient, pour les communautés minoritaires de langue officielle, des résultats comparables à ceux dont bénéficiait le groupe linguistique majoritaire. Le législateur reconnaissait ainsi la nécessité de veiller à ce que les besoins et les intérêts particuliers des communautés minoritaires de langue officielle bénéficient d'une pleine considération plutôt que d'être noyés dans un océan de considérations d'ordre général.
La partie VII de la loi a pour fondement les paragraphes 16(1) et 16(3) de la Charte et elle a pour effet de codifier l'obligation du gouvernement fédéral de voir au développement des communautés de langue officielle; elle a été adoptée en toute connaissance de cause.
Lors des délibérations du comité sénatorial sur ledit projet de loi, c'est-à-dire sur l'adoption de la loi de 1988, le secrétaire d'État d'alors, l'honorable Lucien Bouchard, s'était exprimé de la façon suivante devant le comité:
L'article 41 énonce toute la portée des intentions gouvernementales. Il assigne au gouvernement fédéral l'obligation de favoriser l'épanouissement des minorités linguistiques, d'appuyer leur développement et de promouvoir la pleine reconnaissance de l'usage du français et de l'anglais. |
C'est la première fois que l'on retrouve cette notion d'épanouissement dans un texte de loi. Cet article, et tous ceux qui le soutiennent dans le projet de loi, confèrent une base législative à l'objectif d'une pleine participation des groupes linguistiques minoritaires à la vie de notre pays que nous nous sommes fixé.
Comme plusieurs dispositions garantissant des droits linguistiques, la partie VII de la loi, à notre avis, a un caractère réparateur. La partie VII ne vise pas à consacrer le statu quo, mais bien à remédier à l'érosion historique et progressive des minorités de langue officielle en imposant au gouvernement fédéral l'obligation de tenir compte de leurs intérêts et de promouvoir leur développement afin d'encourager l'égalité réelle entre les communautés de langue officielle du pays.
¿ (0915)
S'il existe un débat quant à la portée de la partie VII de la loi, nous estimons que l'intention du législateur en 1988, esquissée ci-dessus, n'en était pas pour autant moins claire.
Il est vrai — et on vous l'a souligné, si je me fie aux comptes rendus des délibérations du comité — que dans sa décision sur l'affaire du Forum des maires de la péninsule acadienne c. l'Agence canadienne d'inspection des aliments, la Cour d'appel fédérale tire la conclusion que l'article 41 est déclaratoire et constitue un engagement qui ne crée pas de droits ou d'obligations susceptibles en ce moment d'être sanctionnés par les tribunaux, par quelque procédure que ce soit.
Évidemment, puisque je suis un des avocats qui portent cette décision en appel devant la Cour suprême du Canada, je ne suis pas d'accord sur cette conclusion. À mon avis, si on regarde la méthode moderne d'interprétation des lois telle qu'énoncée dans la décision Beaulac, également de la Cour suprême, on peut arriver à une conclusion différente.
L'analyse de la Cour d'appel fédérale ayant trait au sens ordinaire et grammatical de la partie VII est fautive, à mon avis, de deux façons.
Au paragraphe [35] des motifs de la Cour d'appel fédérale, celle-ci écrit:
[35] Les obligations--on le voit par l'emploi du mot «shall» dans le texte anglais--se retrouvent donc aux articles 42 et 43; elles ne se retrouvent pas à l'article 41. Elles sont par ailleurs des plus générales et vagues et se prêtent mal à l'exercice du pouvoir judiciaire. |
La Cour d'appel fédérale admet donc l'existence d'obligations dans la partie VII de la loi, des obligations qui relèvent des articles 42 et 43, même si elle prend soin de préciser que ces obligations sont des plus vagues et générales.
J'estime que cette admission est révélatrice, puisque les articles 42 et 43 de la loi ne sont que des dispositions visant la mise en oeuvre de l'engagement qui est prévu à l'article 41.
Or, comment peut-on rendre obligatoire la mise en oeuvre d'un engagement qui ne serait pas, lui, obligatoire? Pour que la mise en oeuvre d'un engagement soit obligatoire, ne faut-il pas nécessairement que l'engagement à la base de cette obligation soit, lui, également obligatoire?
De plus, la terminologie utilisée dans le libellé de certaines autres dispositions de la Loi sur les langues officielles pour imposer des obligations — je prends, par exemple, les expressions « shall », « duty to ensure », « veiller » — n'est pas déterminante du caractère déclaratoire ou exécutoire de la partie VII de la loi, à mon avis. L'usage de cette terminologie n'interdit d'aucune façon la conclusion que d'autres libellés, moins forts, pourraient néanmoins également imposer des obligations dont le degré serait différent.
Ainsi, par exemple, je suis d'avis que l'obligation codifiée à l'article 41 de la loi de favoriser l'épanouissement des minorités francophones et anglophones du Canada et d'appuyer leur développement ainsi que de promouvoir la pleine reconnaissance et l'usage du français et de l'anglais dans la société canadienne impose des obligations certes moins contraignantes, mais impose néanmoins des obligations.
Conséquemment, nous pouvons soutenir que le non-respect des obligations contenues dans la partie VII de la loi, comme le non-respect des obligations qui étaient contenues dans la Loi sur les services en français dans l'affaire Montfort ou encore des principes constitutionnels non écrits de la protection des minorités dans le Renvoi sur la sécession du Québec, rend à tout le moins une décision discrétionnaire sujette à une révision judiciaire dans le cas où l'administration n'aurait pas tenu compte de ses obligations en vertu de cette partie.
Je suis d'avis que la partie VII de la loi impose et doit imposer au gouvernement fédéral l'obligation de favoriser l'épanouissement des communautés linguistiques et qu'elle doit imposer également une obligation d'action positive au gouvernement fédéral.
Étant donné la nature particulière de cette obligation, il est peut-être normal que le législateur ait voulu au départ soustraire la partie VII du champ d'application de la disposition réparatrice de la loi à l'article 77.
Toutefois, je suis d'avis que le législateur n'a d'aucune façon voulu soustraire complètement la partie VII de la loi du contrôle judiciaire. Il n'a certainement pas soustrait la partie VII de la loi du contrôle judiciaire qui est prévu à l'article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales. Le législateur a choisi d'adopter la partie VII de la loi.
¿ (0920)
S'il avait voulu faire une simple déclaration d'intention, le gouvernement aurait pu choisir d'émettre un simple document faisant état d'une politique d'engagement à l'endroit de l'épanouissement des communautés et des langues officielles. Il n'aurait pas eu besoin, dans ce contexte, de l'inclure dans la Loi sur les langues officielles, qui est quasi constitutionnelle.
Évidemment, c'est au Parlement que le débat relatif à la modification de l'article 41 doit se dérouler. En effet, par le projet de loi S-3, on tente depuis un certain temps de modifier le libellé de la partie VII de la loi de façon à le rendre plus contraignant. Cependant, il ne découle aucunement de ce constat que la partie VII de la loi n'est que déclaratoire et n'impose pas au gouvernement fédéral et à ses institutions l'obligation de favoriser l'épanouissement des minorités francophones et anglophones du Canada et celle d'appuyer leur développement.
Le projet de loi S-3 viendrait préciser ces obligations qu'a le gouvernement fédéral et peut-être préciser la nature obligatoire de ce qui se trouve à la partie VII, mais la partie VII telle qu'elle existe actuellement ne peut absolument pas être vue comme étant purement déclaratoire.
Évidemment, les modifications proposées dans le projet de loi S-3 auraient pour avantage et pour effet de préciser davantage l'intention du législateur. Le paragraphe 41(1) prévoirait maintenant que les institutions fédérales doivent veiller à ce que des mesures positives soient prises pour mettre en oeuvre l'obligation prise dans cette partie de la loi, venant ainsi préciser ce que les tribunaux ont déjà affirmé.
À mon avis, la modification la plus significative est celle qui est proposée à l'article 77, qui prévoirait dorénavant un recours clair pour une violation à la partie VII de la loi. Actuellement, il existe des recours, mais ceux-ci se retrouvent plutôt, à mon avis, à l'article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales. J'aurai probablement l'occasion de répondre aux questions des membres du comité au sujet des modifications proposées par le procureur général du Canada à l'égard du processus. Pour l'instant, je voudrais simplement émettre une observation. Il faut s'assurer que la modification qui sera apportée à la partie VII de la loi constitue une progression et qu'on ne se retrouve pas dans une situation où il pourrait y avoir régression des droits reconnus aux communautés minoritaires de langue officielle. Entre autres, j'ai énormément de difficulté — et j'aurai l'occasion de préciser ma pensée tout à l'heure — quant aux modifications qui ont été proposées par le procureur général à ce qu'on appelle le contrôle du processus. J'ai un peu l'impression qu'on est en train d'établir un processus qui encadrerait l'exercice de ce droit reconnu aux communautés minoritaires. J'aurai l'occasion de donner plus de détails sur cet aspect si les membres du comité me posent des questions.
Voilà les remarques que je voulais faire. Je voudrais souligner aux membres du comité que l'article tel qu'il existe actuellement mérite d'être précisé, mais qu'il n'est pas pour autant vide de sens.
¿ (0925)
Le président: Merci, monsieur Doucet.
Monsieur Lauzon.
M. Guy Lauzon (Stormont—Dundas—South Glengarry, PCC): Merci, monsieur le président. Bienvenue, monsieur Doucet.
Comment le projet de loi S-3 va-t-il affecter les provinces? À votre avis, comment va-t-il affecter la relation du fédéral avec les provinces?
M. Michel Doucet: À la lecture des procès-verbaux des séances de ce comité, j'ai pu constater que cette question préoccupait énormément le comité et qu'elle avait été soulevée à plusieurs reprises par les différentes personnes ayant comparu devant le comité.
L'objectif premier de la partie VII n'est pas de toucher aux relations fédérales-provinciales. L'objectif premier de la partie VII est de favoriser, dans le cadre des compétences du gouvernement fédéral, l'épanouissement et le développement des communautés de langue officielle dans la société canadienne.
Quand on parle des compétences du fédéral dans ce domaine et des institutions fédérales qui ont à oeuvrer sur le territoire, on en dit déjà beaucoup.
M. Guy Lauzon: On fait affaire avec les provinces. Il faut fonctionner ensemble.
M. Michel Doucet: Absolument. Lorsqu'on met en oeuvre un programme fédéral, dans certains cas, on doit s'assurer que les provinces donnent leur accord. Mais on a déjà, pour certains programmes que le fédéral met en oeuvre avec les provinces, des dispositions qui garantissent la promotion et le développement des communautés minoritaires de langue officielle.
Il pourrait y avoir une confrontation lorsque le fédéral veut intervenir dans des domaines qui sont importants pour les communautés minoritaires mais qui sont de compétence exclusivement provinciale. Je pense à l'éducation, par exemple. Par contre, encore aujourd'hui, le gouvernement fédéral a des ententes avec les provinces qui se sont toujours faites dans le respect des compétences des provinces en matière d'éducation, mais qui ont permis au gouvernement fédéral d'appuyer financièrement le développement des communautés minoritaires de langue officielle.
Je sais qu'une des modifications proposées — et je crois que c'est la vôtre, monsieur Lauzon — demandait que l'on ajoute « dans le respect des compétences des provinces » au projet de loi S-3. Je comprends très bien l'objectif qu'on cherche à atteindre par cette modification. Toutefois, j'ai également lu l'intervention de Me Francoeur, l'avocat de Patrimoine canadien, avec qui je ne suis pas toujours d'accord. Cette fois-ci, pourtant, je crois que je dois être d'accord avec lui et admettre que le respect des compétences provinciales est déjà là implicitement. On doit respecter les obligations des gouvernements provinciaux.
Je crains que cet ajout ne puisse permettre à un gouvernement fédéral, peut-être pas actuellement, mais à long terme, de refuser d'appuyer le développement des communautés minoritaires en matière d'enseignement sous prétexte que l'enseignement est maintenant un champ de compétence provinciale et qu'il n'a pas à s'ingérer dans ce domaine. Or, les minorités et les provinces ont souvent compté sur l'appui fédéral pour assurer l'éducation scolaire dans la langue des minorités et surtout la présence des infrastructures.
M. Guy Lauzon: Dans ma circonscription, il y a des communautés minoritaires francophones. Comment le projet de loi S-3 va-t-il améliorer leur situation, à votre avis?
M. Michel Doucet: Je crois non seulement que le projet de loi S-3 peut améliorer la situation des communautés minoritaires, mais que la partie VII telle qu'elle existe actuellement doit également aider ces communautés. Ils imposent au gouvernement, aux institutions fédérales, l'obligation de tenir compte de l'épanouissement et du développement des communautés minoritaires.
En d'autres mots, la partie VII, qu'on a adoptée en 1988, et le projet de loi visent à créer un réflexe au sein des institutions fédérales. Je parle des ministères, des différentes commissions fédérales qui existent ou des sociétés fédérales. Ce réflexe est de se poser une question chaque fois qu'ils adoptent un programme, qu'ils mettent en place une politique ou qu'ils prennent une décision: le programme, la politique ou la décision auront-ils un effet négatif sur la communauté linguistique minoritaire? Si oui, il faut ajuster le tir. Leur objectif doit être de favoriser l'épanouissement des communautés minoritaires.
Ce réflexe n'existait pas avant 1988. Du moins, il n'y avait pas de loi à ce sujet. On prenait plusieurs décisions ayant un impact négatif sur les communautés minoritaires sans que celles-ci puissent faire quoi que ce soit. Avec l'adoption de la partie VII en 1988, le législateur fédéral s'est engagé à favoriser ce réflexe. Je ne dirais pas que l'objectif a été atteint. En effet, il y a actuellement encore énormément de lacunes. C'est pour cette raison que des gens demandent qu'on donne un peu plus de mordant à la partie VII pour s'assurer que les institutions fédérales, avant de prendre des décisions, tiennent compte de l'impact de celles-ci sur les communautés minoritaires.
Je vais donner un exemple concret. Au Nouveau-Brunswick, en 1982, le législateur néo-brunswickois a pris la décision d'assurer l'égalité des langues officielles sur l'ensemble de son territoire. En d'autres mots, un francophone peut obtenir les services de son gouvernement en français partout sur le territoire. Or, lorsque la GRC est là pour mettre en oeuvre les lois provinciales, peut-elle dire qu'elle ne s'occupe pas de la loi provinciale, qu'elle ne tient compte que de la loi fédérale et qu'elle ne va offrir les services en français que là où il y a une demande suffisante? C'est ce qu'elle fait actuellement.
On peut se demander si une telle attitude de la part d'une institution fédérale va à l'encontre de la partie VII. Vise-t-elle à favoriser l'épanouissement et le développement des communautés minoritaires? Non. On peut multiplier des exemples comme celui-là partout au pays. Il est important que le législateur et l'institution se demandent s'ils favorisent cet épanouissement et ce développement dans la mise en oeuvre de leurs programmes.
¿ (0930)
Le président: Je vous remercie, monsieur Lauzon.
Nous poursuivons avec M. Bergeron.
M. Stéphane Bergeron (Verchères—Les Patriotes, BQ): Merci, monsieur le président.
Bonjour, monsieur Doucet. Bienvenue au Comité des langues officielles. Cela me fait grand plaisir de vous retrouver.
Dans vos réponses à M. Lauzon, vous avez abordé un certain nombre des préoccupations qui sont les miennes.
Au fond, nous cherchons un peu à en arriver à la quadrature du cercle. D'une part, nous voulons protéger les communautés francophones et acadienne et permettre leur développement et, d'autre part, nous voulons faire en sorte qu'aucune disposition du projet de loi S-3 ou de la Loi sur les langues officielles ne puisse interférer avec les mesures législatives mises en place au Québec et les dispositions de la Charte de la langue française, étant entendu que les communautés qui doivent être protégées sont bien davantage les communautés francophones et acadienne que la communauté anglophone au Québec, puisque la majorité française au Québec constitue une minorité en Amérique du Nord et au Canada, et doit être elle-même protégée en Amérique du Nord.
J'ai bien entendu votre opinion sur l'amendement du Parti conservateur. Je dois vous dire d'emblée que je suis en désaccord avec vous lorsque vous affirmez de façon péremptoire que la partie VII de la loi n'a d'incidences que sur les institutions fédérales. Lorsqu'on regarde l'alinéa 43(1)f), on voit que le gouvernement fédéral pourrait intervenir bien au-delà de ses propres champs de compétence, en contravention flagrante avec la Charte de la langue française au Québec dans le cas qui nous intéresse.
Je sais que les amendements proposés par le gouvernement quant à une obligation de processus, dont on ignore la signification exacte — c'est à tout le moins mon cas —, et à une obligation de résultat, ce qui est beaucoup plus clair dans notre esprit, vous posent des difficultés. Vous parliez tout à l'heure des arguments de M. Francoeur. Il arguait que la Loi canadienne sur la santé avait justement donné des obligations de résultat et que c'est ce qui avait provoqué, et provoque encore, les désaccords avec les provinces quant au financement et à l'obligation des provinces de répondre aux objectifs de la loi pour obtenir le financement fédéral, fût-il mineur. Voulant éviter ce genre de conflit avec les provinces, dit M. Francoeur, on veut imposer une obligation de processus pour protéger les minorités francophones et acadienne tout en évitant les conflits inutiles avec des provinces, notamment le Québec relativement à la Charte de la langue française.
Quelle est votre position par rapport à cette argumentation du gouvernement du Canada quant aux amendements qu'il propose?
¿ (0935)
M. Michel Doucet: Il y a plusieurs aspects à votre question. Je vais tenter d'y répondre par étape.
Premièrement, je n'ai pas dit de façon péremptoire qu'il ne pourrait jamais y avoir de conflit entre la partie VII et les obligations vis-à-vis des provinces. Oui, il y en aura, et je crois qu'il faudra trouver un moyen de régler ces questions.
Quant à l'alinéa 43(1)f), auquel vous avez allusion, je crois qu'il s'agit de celui qui parle des syndicats...
M. Stéphane Bergeron: Des syndicats, des organismes bénévoles, des entreprises et ainsi de suite.
M. Michel Doucet: Il faut voir comment le fédéral cherche à intervenir. Prenons l'exemple du Nouveau-Brunswick. Dans la plupart des cas, il s'agissait de venir en aide à un syndicat ou à un organisme bénévole du Nouveau-Brunswick qui voulait offrir des services à la communauté francophone en devenant bilingue alors qu'il n'offrait auparavant que des services en anglais. Je peux comprendre qu'au Québec, le fédéral devra limiter aux institutions fédérales son intervention en cette matière.
Je comprends très bien la préoccupation du Québec quant à la fragilité de la langue française dans le contexte nord-américain. J'ai eu l'occasion de comparaître devant la Cour suprême dans l'affaire Casimir. On reconnaissait effectivement que le Québec constituait une minorité dans l'ensemble canadien et qu'on devait tenir compte de ce fait.
La Cour suprême, dans la décision Ford mais surtout dans la décision Gosselin, avait dit qu'il fallait tenir compte de la réalité linguistique de chaque province lorsqu'on mettait en oeuvre les droits linguistiques. Maintenant, il faudrait voir comment le fédéral pourrait prendre l'engagement de tenir compte de la réalité linguistique de chaque province dans la mise en oeuvre de ses obligations en vertu de la partie VII. Je préférerais un libellé comme celui-là à un libellé qui dirait que le fédéral va se cantonner uniquement dans des domaines qui sont de sa compétence.
Ma crainte ne porte pas sur la situation actuelle ou sur la situation qui prévaudra dans cinq ans. Je crains que dans 10 ans, peut-être, il y ait un gouvernement moins favorable aux communautés de langue officielle minoritaires. Lorsqu'on parlerait de la contribution fédérale à l'enseignement dans la langue de minorité, le gouvernement pourrait dire que ce n'est pas de sa compétence et qu'en vertu de la partie VII, il n'a pas à intervenir. C'est peut-être loufoque de penser à ce qui pourrait arriver dans 10 ans, mais la loi est là pour durer, et on veut s'assurer qu'elle ne causera pas de problèmes aux communautés plus tard.
Un libellé disant que le fédéral, dans la mise en oeuvre de la partie VII, doit tenir compte des réalités linguistiques des provinces pourrait répondre à cette préoccupation. La réalité linguistique de la province de Québec a été reconnue par la Cour suprême dans deux décisions. C'est ma réponse à votre première question.
Deuxièmement, en ce qui a trait à Me Francoeur et à l'obligation de processus, cette obligation de processus me pose un problème. D'ailleurs, les termes « obligation de processus », « obligation de résultats » et « obligation de moyens » me posent un problème. Quand on a une obligation de processus, on a une procédure à suivre. L'a-t-on suivie? Si on en a tenu compte, si on a consulté, si on a fait tout ce qui est énoncé dans la proposition du fédéral, on a atteint son objectif d'obligation de processus, quoi qu'en disent les gens qui ont comparu devant vous. Pour moi, c'est simple: on suit ce processus. Ce n'est pas énorme, et je crois que c'est moins que ce qu'on avait auparavant.
Je me souviens d'une question que le président, je crois, avait posée à un des participants. Il avait demandé si l'obligation de processus était la même chose que l'obligation de moyens. On lui avait répondu oui. Pour moi, ce n'est pas la même chose. L'obligation de moyens est une étape plus avancée que l'obligation de processus. Quand j'ai une obligation de moyens, j'ai pris une décision et je dois me demander si, en prenant cette décision, j'ai tenu compte de mon obligation de favoriser le développement et l'épanouissement des communautés minoritaires. Si je l'ai fait, je me demande ensuite si ma décision favorise l'épanouissement et le développement de la communauté minoritaire. Je dois motiver. C'est un peu une obligation de moyens. C'est ce qu'on a fait dans le dossier de l'hôpital Montfort. Dans ce cas, c'était loin d'être uniquement une obligation de processus. La cour a dit au gouvernement que s'il voulait fermer une institution comme celle-là, il devait justifier son geste. C'était une obligation de moyens, à mon avis.
En ce qui a trait à l'obligation de résultat, il y a eu beaucoup de choses. J'ai lu attentivement encore hier soir les débats de ce comité. On a dit que si on avait une obligation de résultat, les communautés iraient régulièrement devant les tribunaux pour demander des millions et des millions de dollars. Je fais beaucoup plus confiance aux communautés minoritaires. Je sais qu'elles ne souhaitent pas se retrouver devant les tribunaux étant donné l'énergie, le temps et l'argent que cela exige.
Pour moi, l'obligation de résultat n'est pas celle-là. Le gouvernement fédéral, dans le cadre d'un programme pour les communautés minoritaires, s'est fixé un objectif: c'est cela, son résultat.
¿ (0940)
En fin de compte, on peut se demander ce qu'il a accompli en vue d'atteindre ce résultat. S'il a fait tout ce qu'il était raisonnablement en mesure de faire, il a respecté son obligation de résultat. Par contre, s'il s'est donné une telle obligation pour la mettre sur une tablette dans un bureau et fermer ensuite le bureau, il n'a rien fait pour honorer son obligation de résultat. À mon avis, cette dernière est ce que recherchent les communautés minoritaires.
Pour ma part, je ne connais personne dans les communautés minoritaires, y compris les avocats, qui trouve agréable de faire continuellement des représentations auprès des gouvernements. Je ne crois pas à l'argument administratif, qu'on appelle en anglais le floodgate argument, voulant que des communautés vous poursuivraient à tout propos. Les communautés sont raisonnables; elles vont tout au moins s'assurer que le gouvernement honore le résultat qu'il s'est engagé à atteindre. C'est ce que je réponds à Me Francoeur.
J'ai beaucoup de réserves concernant l'obligation de processus. À mon avis, elle nous offre moins encore que ce que nous avons actuellement, en l'occurrence une obligation de moyens. Le problème, c'est que nous n'avons pas de recours.
Le président: Merci, monsieur Bergeron. C'était là tout le temps dont vous disposiez.
Si je comprends bien, vous considérez que les amendements du gouvernement réduisent de façon significative la portée du projet de loi S-3. Vous dites clairement que si on adoptait ces amendements, S-3 aurait moins de griffes que les recours dont vous disposez présentement. C'est exact?
M. Michel Doucet: Le problème que nous avons présentement — et la Cour suprême déterminera en décembre si j'ai raison ou non — c'est que nous devrions disposer du recours simple et efficace prévu à l'article 77 pour faire respecter la partie VII. Actuellement, il faut avoir recours à l'article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales.
En vertu de ce qui est proposé par le procureur général, par exemple sa modification ayant trait à l'obligation de processus, on vérifie l'incidence de chaque politique et programme. D'ailleurs, j'aimerais que cela aille plus loin encore, qu'on vérifie l'incidence des décisions qui sont prises, qu'on consulte ensuite les organismes, puis qu'on tienne compte des conclusions émises. Or, on consulte les organismes uniquement s'il est jugé indiqué de le faire. Qui va déterminer s'il est indiqué de consulter les organismes? Enfin, lorsqu'on a jugé que c'était indiqué de le faire, on les consulte et on tient compte de cela lorsqu'on applique les conclusions. Mais comment en tient-on compte? Voilà pourquoi je considère que ce processus a moins de pouvoir qu'une obligation de moyens.
Le président: Merci.
Monsieur Godin.
M. Yvon Godin (Acadie—Bathurst, NPD): Merci, monsieur le président.
Je souhaite la bienvenue à Me Doucet, qui est ici ce matin pour nous faire part de son opinion. Il représente des organismes minoritaires de chez nous; il a plaidé plusieurs causes qui ont été très importantes pour la minorité acadienne de nos régions. On peut se rappeler celle des inspecteurs en alimentation qui sera entendue à la Cour suprême. Il y a aussi celle de la délimitation des circonscriptions. Un des buts dans lesquels il a été invité, d'autant plus qu'il y a la cause sur le point d'arriver devant la Cour suprême, était d'entendre son point de vue à ce sujet.
Moi aussi, je suis inquiet. Je siège au Comité des langues officielles depuis plusieurs années. Le sénateur Jean-Robert Gauthier a porté la situation à notre attention. Il a dit que la loi était déclaratoire et non exécutoire. Il tenait beaucoup à ce que ce projet de loi devienne exécutoire et qu'on cesse d'en débattre. Finalement, une cour a statué qu'elle était déclaratoire. Cela demeure en suspens jusqu'à ce que la Cour suprême nous donne sa version.
En même temps, nous essayons de remanier la loi. Nous sommes peut-être allés un peu vite; nous aurions dû attendre que la Cour suprême s'exprime. Ensuite, nous aurions pu adapter la loi, puisque c'est ce que les législateurs veulent. Si la loi ne fonctionne pas, nous devons la remanier ou continuer.
Ma crainte, c'est de l'affaiblir. À cet égard, les amendements du gouvernement m'inquiètent énormément, puisque ce sera nouveau et ce sera à recommencer. J'ai très peur de cela. Je crains également que la Cour suprême, à cause de l'ambiguïté du nouveau projet de loi et des arguments en découlant, ait du mal à trancher là où elle aurait pu le faire sans difficulté en vertu de l'ancienne loi.
J'aimerais aborder la question des compétences provinciales. Je ne veux pas utiliser tout mon temps, c'est vous que je veux entendre. Du côté provincial, lorsqu'on parlait d'encourager les entreprises, les organisations patronales et les syndicats au Nouveau-Brunswick, la communauté francophone a demandé à la Fédération des travailleurs et des travailleuses du Nouveau-Brunswick d'offrir ses services dans les deux langues. Je me rappelle que la fédération a pu demander de l'argent à Patrimoine canadien pour l'aider à offrir ces services. Je suis certain de ne pas me tromper à ce sujet. Le fédéral avait l'obligation d'aider les organismes, pas d'implanter ses règlements. Ce n'est ni de compétence fédérale ni de compétence provinciale: ce sont des organismes. En vertu de l'article 43, le gouvernement doit promouvoir les langues minoritaires. Si un organisme s'adresse au gouvernement, cela permet à ce dernier de donner un coup de pouce.
Inscrire que cela n'affectera pas les compétences provinciales, et donc que cela les exclut, constitue peut-être vraiment un recul. Alors, comment obtenir tout cela? Si on est profondément convaincu que le projet de loi est exécutoire, mais que le gouvernement argue qu'il est déclaratoire, il faut régler cette question. Comment peut-on le rendre exécutoire en respectant les compétences provinciales et, simultanément, obliger le gouvernement fédéral à respecter les articles 41, 42 et 43? Comment peut-on tout faire cela dans le projet de loi S-3 sans rater le coche? Vous nous l'avez dit très clairement: normalement, un projet de loi est là pour rester; quels en seront les effets dans cinq ou dix ans?
Vous nous avez beaucoup éclairés à ce sujet, mais comment pouvez-vous aider notre comité à élaborer un amendement au projet de loi S-3 susceptible de régler notre problème tout en respectant les compétences provinciales et tout en rendant le projet de loi exécutoire?
¿ (0945)
M. Michel Doucet: Pour répondre à la première partie de la question, je dirai que le débat pour déterminer si la partie VII est exécutoire ou déclaratoire existe depuis la naissance de la partie VII. Comme je l'ai souligné, au mois de décembre, pour la première fois depuis la naissance de la partie VII, la Cour suprême va se prononcer sur cette disposition et nous dire si elle est déclaratoire ou simplement exécutoire.
Pour l'instant, évidemment, le gouvernement fédéral a raison de dire qu'elle est déclaratoire. Le dernier prononcé de la Cour fédérale était qu'elle était déclaratoire.
Par contre, je maintiens que, si la partie VII avait été soumise à l'application de l'article 77, la décision de la Cour d'appel aurait été différente. Je maintiens aussi que, malgré cela, on peut défendre l'idée à la Cour suprême du Canada que cette partie est déclaratoire.
Évidemment, si le projet de loi S-3 est adopté tel qu'il est là, tout cela deviendra théorique pour ce qui est de la Cour suprême. Je me demande même si la Cour suprême voudra nous entendre, car elle dira que c'est théorique, que ça n'existe plus et qu'elle ne voit pas pourquoi elle se prononcerait sur une disposition qui n'existe plus. C'est ma première réponse à cette question.
Il se peut très bien aussi que la Cour suprême décide que c'est déclaratoire. Évidemment, dans ce cas, le travail que vous faites ici est très important, parce que vous allez préparer la modification qui devra être apportée si vous trouvez important que ce soit exécutoire. C'est le travail que faisait le sénateur Gauthier.
¿ (0950)
M. Yvon Godin: Monsieur le président, le problème est que la Cour suprême se prononcera ou entendra la cause au mois de décembre. Or, on est en train de parler d'adopter le projet de loi S-3 tout de suite.
M. Michel Doucet: C'est le choix du législateur de le faire. C'est lui qui supprime...
M. Yvon Godin: C'est mon inquiétude.
M. Michel Doucet: La deuxième partie de votre question portait sur la façon de mettre en oeuvre le projet de loi S-3 tout en protégeant les compétences provinciales.
J'ai peut-être mal compris les délibérations de votre comité, mais il m'a semblé que les préoccupations ne concernaient pas forcément les compétences provinciales, mais plutôt ce que je pourrais appeler la réalité linguistique des provinces, entre autres la réalité linguistique dans le contexte québécois. Les provinces sont actuellement ouvertes à ce que le fédéral apporte son soutien aux communautés minoritaires de langue officielle dans les provinces anglophones en matière d'éducation, par exemple. C'est pour cette raison que j'ai suggéré tout à l'heure qu'en cherchant une formulation selon laquelle le fédéral tiendrait compte de ces réalités linguistiques, on répondrait peut-être au problème.
En ce qui concerne les compétences, je sais que tout le monde n'est pas d'accord avec moi, mais j'ai souvent une attitude un peu méfiante, car je ne sais pas ce qui va se produire à long terme; je ne sais pas comment notre pays sera dans 10 ans. Je ne voudrais pas que dans 10 ans mes deux filles me reprochent d'avoir dit devant le comité que j'étais d'accord pour ce qui est des compétences fédérales et que le fédéral ne veuille plus, pour cette raison, financer l'éducation en milieu minoritaire. J'aime être prudent, et je me dis qu'il y a peut-être un autre libellé moins dramatique que celui-là qui pourrait être adopté.
Le président: C'est tout le temps que vous aviez, monsieur Godin. Vous allez pouvoir revenir.
M. Yvon Godin: Ça passe vite.
Le président: Ça passe tellement vite, surtout avec vous.
On continue avec M. Godbout.
M. Marc Godbout (Ottawa—Orléans, Lib.): Bienvenue, maître Doucet. Ça fait toujours plaisir d'entendre vos propos sur les éléments constitutionnels.
On a la Loi sur les langues officielles telle qu'elle existe en ce moment, on a le projet de loi du sénateur Gauthier et on a les amendements constitutionnels. Si on fait un bilan de tout cela, peut-on dire que le projet de loi du sénateur Gauthier améliore la situation par rapport à la loi existante? Vous semblez dire que les amendements proposés jusqu'à présent pourraient être plus nuisibles qu'utiles. Le projet de loi tel qu'il a été constitué à l'origine représenterait-il un pas en avant, selon vous?
M. Michel Doucet: Je crois que c'était un pas en avant. Les modifications proposées par le sénateur Gauthier avaient l'avantage de préciser plus clairement les choses, de mettre fin au débat par lequel on cherche à savoir si c'est déclaratoire ou exécutoire, et si c'est justiciable ou non.
C'était justiciable, puisqu'il apportait une modification à l'article 77 en donnant à quiconque a une plainte au sujet d'un droit ou d'une obligation prévu à la partie VII la possibilité de former un recours. Je considère que c'était un pas en avant, car cela clarifiait les choses.
Vous me permettrez de ne pas être d'accord sur la position du procureur général concernant la loi telle qu'elle existe actuellement. Je maintiens toujours que la loi actuelle a une valeur exécutoire. Le problème porte sur le recours qu'on peut utiliser pour la rendre exécutoire. Évidemment, la Cour suprême du Canada tranchera et dira si j'ai raison ou non.
Les modifications proposées par le procureur général, modifications qui ont été déposées ici, me posent un problème. On parle, dans ce cas, d'une obligation de processus. Tout à l'heure, dans mon esprit, j'ai fait une distinction entre l'obligation de processus et l'obligation de moyens.
Il semble que l'objectif de cette obligation de processus soit d'encadrer tellement bien la mise en application de la partie VII qu'on se retrouvera dans une boîte dont il sera difficile de sortir. Je ne suis pas certain qu'il sera très difficile d'atteindre ces objectifs.
Que fait-on si un organisme considère qu'il n'est pas indiqué de consulter les communautés? Qui décidera si cela est indiqué ou non? Est-ce que la GRC peut décider du jour au lendemain de fermer son détachement du quartier Saint-Vital à Winnipeg, au Manitoba, sans consulter les communautés parce qu'elle estime que ce n'est pas indiqué?
C'est une décision opérationnelle: on décide de ne pas consulter les communautés. En plus, la GRC dira que la fermeture du détachement du quartier Saint-Vital n'est même pas une politique ou un programme, mais une décision administrative.
¿ (0955)
M. Marc Godbout: Les amendements proposent qu'on s'attaque au processus. À l'origine, on parlait plutôt de résultat, mais on parle également de moyens.
Est-ce que les moyens se situeraient entre le processus et le résultat? On nous a dit que, si on avait une obligation de résultat, il serait assez difficile de savoir, surtout quand on parle de francisation, si on a atteint le résultat ou non. Si on s'orientait vers une obligation de moyens plutôt que vers une obligation de processus, est-ce que ce serait plus fort?
M. Michel Doucet: En ce qui concerne l'explication qui vous a été donnée à propos des résultats, je ne suis pas un spécialiste en administration publique même si j'ai fait des études de maîtrise dans ce domaine.
Les fonctionnaires fédéraux ou gouvernementaux évaluent sur une base quotidienne, du moins je l'espère, si les objectifs ont été atteints et si des résultats ont été obtenus. Il y a toujours une possibilité d'évaluer si on a atteint le résultat ou l'objectif fixé, qui était de favoriser le développement des communautés.
En fin de compte, je n'ai pas de crainte quant à une obligation de résultat, parce que je fais confiance aux communautés. Je crois aussi qu'on sait ce que cela veut dire. Je préférerais certainement une obligation de moyens, dans le sens de ce qui a été fait dans le cas de l'hôpital Montfort, parce que l'organisme ou l'institution fédérale doit se poser des questions. Par exemple, est-ce que la décision de fermer le détachement du quartier Saint-Vital à Winnipeg, au Manitoba, ou à Nackawic, au Nouveau-Brunswick, favorise le développement et la progression des communautés minoritaires? Si oui, pourquoi? Dans le cas contraire, pourquoi? Si ce n'est pas le cas, je ne peux pas le faire. Je préfère cela. Il faudra également, dans le cadre de dans l'obligation de moyens, qu'on consulte la communauté.
Cela va un peu plus loin que la boîte dans laquelle on nous met.
M. Marc Godbout: Je dois dire que je partage avec vous l'idée selon laquelle on va toujours se retrouver en cour. Si on a des écoles dans plusieurs de nos provinces, c'est parce que ce sont les cours qui nous les ont données. Si on fait ce qu'on a à faire, en théorie, on ne se retrouvera pas en cour. Si on va en cour pour rien, cela finit par coûter cher et cela ne donne pas un bon résultat final.
Quelle serait la modification la plus importante qu'il faudrait faire, ou ne pas faire, pour améliorer les choses en fonction du caractère justiciable de la partie VII de la loi?
M. Michel Doucet: Je crois que ce serait la modification proposée par le sénateur Gauthier: rendre justiciable la partie VII de la Loi sur les langues officielles, et ajouter, pour tenir compte des préoccupations des membres du comité, que le gouvernement fédéral doit tenir compte des réalités linguistiques des provinces dans la mise en oeuvre de la partie VII.
Le président: Une idée me vient sans cesse à l'esprit. Serait-il possible d'atteindre cet objectif simplement en amendant le paragraphe 77(1)?
M. Michel Doucet: Je suis d'avis qu'il serait possible de le faire. Je soutiens qu'à l'heure actuelle, mon problème en ce qui a trait aux tribunaux ne consiste pas à déterminer si l'article 41 est déclaratoire ou exécutoire. La cour nous dit que le législateur n'a pas inclus cela à l'article 77 parce qu'il ne voulait pas que vous utilisiez ce moyen pour le rendre justiciable.
Si on assujettissait la partie VII à l'article 77, il ne serait peut-être pas nécessaire de modifier aussi substantiellement le libellé.
Le président: Merci.
[Traduction]
Nous allons maintenant passer à un deuxième tour de cinq minutes par intervention.
Nous commencerons par vous, monsieur Sheer.
À (1000)
M. Andrew Scheer (Regina—Qu'Appelle, PCC): Merci beaucoup d'être venus.
Je voudrais simplement revenir sur certaines des questions concernant l'impact des ententes fédérales-provinciales. L'une des choses qui interpellent le plus la ministre Frulla, ce sont précisément les ententes fédérales-provinciales qui ont été signées dans toutes sortes de domaines allant des garderies à l'éducation, voire la santé. Elle craint en effet que si le projet de loi S-3 est adopté et si le gouvernement peut être traduit devant les tribunaux pour ce genre de choses, les gouvernements provinciaux seront également vulnérables à cause de ces ententes.
Voudriez-vous dire un mot à ce sujet?
M. Michel Doucet: Certainement.
Si j'ai bien compris—ce qui s'est fait dans le cas des garderies, par exemple—, il y a dans ces ententes des dispositions concernant les collectivités de langue minoritaire dans les différentes provinces. Cela s'y trouve déjà. Les provinces peuvent donc intervenir auprès du gouvernement fédéral et faire en sorte qu'une partie du financement aille directement aux collectivités de langue minoritaire.
Pour ce qui est de l'impact, les collectivités vont-elles poursuivre les provinces et le fédéral? Pour commencer, comme je viens de le dire, je ne pense pas que les collectivités veuillent vraiment se retrouver sans cesse devant les tribunaux.
Par ailleurs, si le gouvernement fédéral peut prouver qu'il a fait tout son possible, qu'il a vraiment déployé des efforts pour aider les collectivités, mais qu'en raison de problèmes structurels d'ordre constitutionnel il est impuissant parce que cela ne relève pas de lui, il pourrait facilement faire valoir cet argument. Et je ne serais pas du tout étonné que les tribunaux se rangent à cet argument, et les collectivités aussi d'ailleurs, et disent qu'il faut plutôt faire pression sur le gouvernement provincial étant donné que le gouvernement fédéral est prêt à intervenir de son côté et que ce sont que les gouvernements provinciaux qui renâclent. L'argument pourrait toujours être avancé, même si c'est écrit noir sur blanc, comme je le laisse entendre, dans la loi.
M. Andrew Scheer: Mais il faudrait néanmoins le faire valoir devant un tribunal.
Le problème des ententes fédérales-provinciales est que, manifestement, les provinces ont accepté de signer ces ententes qui comportent un volet qui concerne la langue minoritaire. Mais jusqu'à présent, les provinces ne sont pas justiciables en la matière. La question qui se pose est dès lors de savoir, si le projet de loi S-3 est adopté, en raison des ententes signées avec le gouvernement provincial, les provinces seraient-elles à ce moment-là justiciables de la même façon que le gouvernement fédéral?
M. Michel Doucet: Je ne pense pas que les provinces puissent être poursuivies par qui que ce soit qui se réclamerait d'une loi fédérale. Les provinces sont peut-être responsables en vertu des ententes qu'elles ont signées. En ma qualité de professeur en droit des contrats, je peux dire avec certitude que dès que les provinces signent une entente en disant oui, elles vont utiliser une partie de cet argent pour aider les collectivités minoritaires, à ce moment-là elles seraient justiciables, mais elles ne le seraient pas en vertu de la Loi sur les langues officielles. Cette loi ne peut rien imposer aux provinces.
M. Andrew Scheer: Vous réfutez donc les craintes que la ministre Frulla pourrait former, en l'occurrence que les provinces seraient...
M. Michel Doucet: J'ai lu l'exposé que la ministre a fait au comité, et en toute déférence, effectivement il pourrait y avoir des répercussions politiques—ce qui n'est pas du tout ma spécialité—mais je ne suis pas du tout d'accord pour dire que la loi imposerait des obligations aux provinces.
M. Andrew Scheer: Très bien. Pour moi, le problème—c'est ce qui fait que le seuil dépend en quelque sorte des résultats... Comme vous venez vous-même de le dire, tant et aussi longtemps qu'on peut prouver que l'effort a été fait et que l'intention était précisément d'offrir ce genre de choses et qu'il y avait vraiment un mécanisme qui... Mais ce qu'on avait dit craindre lors de notre dernière réunion, c'est que cela ne suffirait peut-être pas et qu'il pourrait y avoir des poursuites alléguant que les résultats n'ont pas été suffisants. Il ne suffirait pas que le ministère ou le ministre affirme avoir essayé et avoir établi un plan et avoir tenté de le mettre en oeuvre. La chose sera jugée, le jugement de la cour sera rendu en fonction des résultats réels qui auraient été produits par ces programmes.
M. Michel Doucet: Vous savez, je n'en suis pas sûr. Je ne saurais préjuger de ce qu'un tribunal dirait ou déciderait en l'occurrence, et je ne suis même pas convaincu que quelqu'un veuille intenter des poursuites entre l'État si celui-ci peut vraiment prouver qu'il a fait de son mieux pour arriver aux résultats exigés. Je ne suis pas convaincu qu'un tribunal veuille aller jusque-là.
Certes, si on parvient à prouver que le gouvernement n'a rien fait pour obtenir ce genre de résultats, à ce moment-là l'institution fédérale en cause serait tenue de fournir des explications. Et à ce moment-là, il appartiendrait au tribunal à en juger et à l'accepter ou non. Mais je ne pense pas qu'un tribunal au Canada puisse dire qu'il fallait atteindre tel ou tel objectif, que l'objectif n'a pas été atteint, malgré tous les efforts déployés dans ce sens, et juger que l'État est responsable. Je serais très étonné qu'un jugement aille dans ce sens.
Mais ici encore, ce que je veux vous faire comprendre, c'est qu'à mon avis, si l'administration a vraiment essayé, si elle a fait un effort véritable, elle ne serait pas poursuivie. Mais je me répète, je ne suis pas devin et je ne peux donc nullement prédire ce qui pourrait se passer.
À (1005)
Le président: Merci, monsieur Scheer.
Monsieur Simard.
[Français]
L'hon. Raymond Simard (Saint Boniface, Lib.): Merci beaucoup, monsieur le président. Bienvenue, monsieur Doucet.
Je fais partie de ceux qui sont préoccupés par l'obligation de résultat. Je pense que c'est très subjectif et difficile à mesurer. J'aimerais entendre vos commentaires à ce sujet. M. Godin a indiqué que la cour rendrait un jugement en décembre et que pour ce motif, il hésitait à prendre une décision maintenant. Je suis sûr que d'une façon ou d'une autre, vous avez participé aux décisions auparavant. On parle ici de décisions qui ont bien failli se rendre au Comité permanent des langues officielles. Nous en sommes au quatrième essai, et il va sans dire qu'il n'est pas facile de faire adopter ce projet de loi par le Parlement.
Est-ce que vous êtes d'accord pour dire que le Comité permanent des langues officielles devrait tout faire pour que le projet de loi S-3 soit adopté? Nous sommes tous ici pour les mêmes raisons et par conséquent, il faudrait s'assurer de ne pas affaiblir la partie VII.
Je ne sais pas ce que vous en pensez. Vous avez certainement été mis à contribution au cours des dernières années dans le cadre des autres projets de loi.
M. Michel Doucet: Monsieur Simard, si j'avais le sentiment que le projet de loi proposé ici faisait avancer les droits linguistiques, je serais de toute évidence le premier à vous dire de l'adopter immédiatement. La Cour suprême nous dira bien ce qu'elle veut concernant l'autre cause. Elle décidera si oui ou non elle est de nature théorique.
En ce qui me concerne, je dois avoir la conviction qu'il s'agit là d'une avancée. Si on me disait aujourd'hui être disposé, moyennant quelques modifications de circonstance, à adopter le projet de loi du sénateur Gauthier, je serais un des premiers à y être favorable, dans la mesure où les communautés en sortiraient gagnantes.
Je demeure néanmoins préoccupé par la modification à propos de l'obligation de processus. Je ne suis pas certain que ce soit une avancée. C'est en quelque sorte ce qui me préoccupe pour le moment.
L'hon. Raymond Simard: Vous avez dit que dans sa forme actuelle, la partie VII imposait une obligation au gouvernement et, par le fait même, à tous les ministères.
Or, je pense au fait que chez nous, il est arrivé qu'Industrie Canada ne tienne pas compte du sort des communautés francophones en prenant des décisions allant tout à fait à l'encontre de leurs intérêts. Si, à l'heure actuelle, un ministère ne respecte pas ses obligations, quels recours les communautés ont-elles?
Si, en vertu d'un processus, le ministère avait eu à consulter les communautés et rendre compte des résultats de ces consultations, cela ne serait pas arrivé.
M. Michel Doucet: Votre question comporte deux parties. Je vais d'abord répondre à la première.
Quels sont les recours actuels des communautés? C'est la question qui est portée devant la Cour suprême. Notre position à nous est de faire en sorte qu'un recours existe actuellement en vertu de l'article 77. C'est ce que la Cour fédérale n'a pas accepté.
L'autre argument est que le recours actuellement en révision judiciaire de la décision de l'administration pourrait être fait en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales. Mais, comme le président le disait tout à l'heure, si on apportait une modification à l'article 77 pour y assujettir la partie VII, cela réglerait ce problème.
En ce qui concerne la deuxième partie de votre question, si on avait eu le processus qui est proposé, cela aurait-il réglé le problème dans la situation dont vous parlez? Il faudrait voir. Cela pourrait être suffisant dans certains cas.
Prenons mon cas, celui du Forum des maires de la Péninsule acadienne. Il n'y a pas eu de consultation. L'Agence canadienne d'inspection des aliments aurait-elle considéré que c'était indiqué? Je crois que sa réponse aurait été qu'elle ne considérait pas qu'il était indiqué de faire une consultation. En effet, ce qu'on était en train de faire à ce moment-là était uniquement une réorganisation administrative. Ce n'était pas une révision d'une politique ou d'un programme. Donc, dans ce contexte, on n'avait pas besoin de faire de consultation ou quoi que ce soit. Aurait-elle dû vérifier l'incidence de la politique ou du programme sur la mise en oeuvre de l'engagement? Elle aurait probablement répondu, encore une fois, que ce n'était pas une politique ou un programme. Aurait-elle dû tenir compte du résultat des consultations? Comme elle n'avait pas fait de consultation, elle n'avait pas à en tenir compte. Donc, dans ce cas, je n'aurais même pas eu la possibilité d'invoquer la partie VII.
À (1010)
L'hon. Raymond Simard: D'après vous, nous devons préciser dans quels cas on devrait consulter.
M. Michel Doucet: On devrait préciser quand on devrait consulter...
L'hon. Raymond Simard: S'il y avait une obligation de processus, il faudrait préciser quand on devrait consulter. Il devrait y avoir une obligation de consulter.
Deuxièmement, des consultations se terminent normalement par des recommandations. S'il y avait des recommandations et que le gouvernement n'en tenait pas compte, ce serait justiciable à ce moment-là, me semble-t-il.
M. Michel Doucet: J'irais encore un peu plus loin. Je dirais de ne pas limiter cela uniquement aux politiques et aux programmes, car c'est souvent lors de décisions prises dans le cadre de ces politiques et de ces programmes que les problèmes surviennent.
Si je devais travailler sur l'amendement que vous proposez, après « consulter les organismes intéressés, notamment ceux qui représentent les minorités francophones et anglophones du Canada » , j'enlèverais « si elle le juge indiqué ». Cela partirait.
Quand vous parlez de tenir compte des résultats des consultations, j'imposerais une obligation de motiver la décision. En d'autres mots, je demanderais d'expliquer en quoi la décision qu'on choisit de prendre à la suite des consultations favorise l'épanouissement ou le développement des communautés minoritaires.
L'hon. Raymond Simard: Merci beaucoup.
Le président: Merci.
Monsieur Doucet, si vous aviez à choisir aujourd'hui d'adopter le projet de loi S-3 tel qu'amendé par le gouvernement ou de le laisser de côté et d'aller à la Cour suprême, que choisiriez-vous?
M. Michel Doucet: Évidemment, puisque je suis l'avocat impliqué dans le dossier du Forum des maires de la Péninsule acadienne, je choisirais d'aller à la Cour suprême.
Le président: Et s'il s'agissait du projet de loi S-3 sans modification?
M. Michel Doucet: Que voulez-vous dire?
Le président: S'il s'agissait de la version proposée par Jean-Robert Gauthier?
M. Michel Doucet: Dans ce cas, je choisirais le projet de loi S-3 sans modification, tel que proposé par M. Gauthier.
Le président: Merci.
Monsieur André.
M. Guy André (Berthier—Maskinongé, BQ): Bonjour, monsieur Doucet. Merci d'être ici. C'est intéressant.
J'ai deux ou trois questions.
Selon vous, le projet de loi S-3 devrait-il s'appliquer de façon égale à toutes les communautés minoritaires de langue officielle du Canada ou bien devrait-il être adapté à la réalité linguistique du Québec et du Canada? Dans ce dernier cas, comment ce projet de loi pourrait-il mieux s'adapter aux différentes réalités linguistiques du Québec et du Canada?
M. Michel Doucet: Il est intéressant de voir aujourd'hui que la Cour suprême elle-même, dans deux décisions, reconnaît ce principe d'asymétrie en matière de droits linguistiques. Elle l'a fait dans la décision Gosselin et la décision Casimir.
J'ai souligné tout à l'heure que je pourrais probablement vivre avec une formulation qui dirait qu'on va tenir compte de la réalité linguistique des provinces dans la mise en oeuvre du projet de loi S-3 ou de la partie VII de la loi. Je crois que si on regardait cette réalité linguistique des différentes provinces, cela répondrait en grande partie aux préoccupations de certains membres du comité. Je dis cela à froid, parce que je dois avouer que ça m'est venu ce matin. Je n'ai pas fait une analyse juridique serrée des implications. Mais, évidemment, la Cour suprême dit déjà que l'article 23, par exemple, doit être interprété en tenant compte de la réalité linguistique des différentes provinces.
Le fédéral pourrait lui-même, dans sa loi, dire qu'il est prêt à aller très loin avec la partie VII, mais qu'il va tenir compte de la réalité linguistique des différentes provinces, toujours dans l'idée de favoriser le développement et l'épanouissement des communautés. On ne pourrait pas décider d'utiliser ces dispositions pour diminuer les droits des communautés au Nouveau-Brunswick, en Alberta ou en Colombie-Britannique sous prétexte que la réalité linguistique est autre. Mais je le dis à froid.
M. Guy André: Vous avez souligné l'importance que le projet de loi demeure dans une perspective de résultats.
Je vais à la pêche avec cette proposition de départ — le projet de loi va d'ailleurs dans ce sens —: si ce projet de loi comprenait une obligation de résultat en ce qui a trait aux langues officielles minoritaires, en consultation et après entente avec les provinces, est-ce que cela ne viendrait pas...
À (1015)
M. Michel Doucet: Encore une fois, cela dépend. On semble croire que la partie VII est uniquement là pour les relations fédérales-provinciales, mais elle traite de bien d'autres choses. Elle touche également le rôle que les institutions fédérales elles-mêmes doivent jouer. L'Agence canadienne d'inspection des aliments n'entretient pas de relations fédérales-provinciales, tout comme la GRC.
Dans ce contexte, il faut éviter de mêler les pommes et les oranges, et de créer une situation où, chaque fois qu'une institution fédérale voudra entreprendre une démarche, elle devra négocier avec la province.
Dans le cas de décisions touchant les provinces, je crois que cela se fait déjà. Par exemple, en éducation, le gouvernement fédéral négocie avec les provinces lorsqu'il s'agit de leur assurer du financement. Cela se fait déjà.
Il faut faire attention. J'ai l'impression, en lisant les délibérations du comité — et c'est le professeur de droit en moi qui parle —, qu'on croit toute la partie VII limitée aux relations fédérales-provinciales, alors qu'elle traite, en grande partie, de l'institution fédérale.
M. Guy André: J'ai une autre question dans la même veine. Que pensez-vous de l'amendement du Bloc québécois?
M. Michel Doucet: Le premier amendement? Je crois que c'est le premier que j'ai lu.
M. Guy André: Je parle de l'amendement voulant que le Québec soit soustrait à l'application du projet de loi, dans la but de mieux protéger la Charte de la langue française au Québec.
M. Michel Doucet: La formulation que je propose est peut-être moins politiquement... Dans ce contexte, « tenir compte » reviendrait au même, c'est-à-dire tenir compte de la réalité linguistique des différentes provinces. La réalité linguistique du Québec, c'est qu'il s'agit de la seule province en Amérique du Nord où il y a une majorité de francophones. Il n'est pas nécessaire d'utiliser une terminologie qui remonte aux années 1980: « une société distincte ».
Le président: Merci beaucoup, monsieur André.
Nous poursuivons avec vous, monsieur Godin.
M. Yvon Godin: C'est la même chose pour le Nouveau-Brunswick. C'est la seule province bilingue au Canada.
M. Michel Doucet: Le Nouveau-Brunswick n'a pas connu de révolution tranquille, mais son évolution est tapageuse.
M. Yvon Godin: Nous appelons ça le « tintamarre » et ça a lieu le 15 août.
Pour faire suite aux propos de M. André, je dirai qu'en incluant seulement le Québec, on exclut d'autres provinces. Quand on inclut toutes les provinces, tout en respectant certaines compétences, personne n'est exclu. On ne peut pas décider de n'inclure qu'une province.
Rappelez-vous le cas de l'Agence canadienne d'inspection des aliments, qui a transféré des inspecteurs de Shippagan dans le sud-est de la province. Un autre cas similaire existe présentement. Je ne sais pas si vous êtes au courant, mais j'ai déposé une plainte devant la commissaire aux langues officielles. C'est paru dans les journaux. Le fédéral a décidé de déménager le Centre de recrutement des Forces canadiennes, qui existe depuis 50 ans, de Bathurst à Miramichi. Vous connaissez la situation concernant la circonscription d'Acadie—Bathurst et celle de Miramichi. Le jour où la Commission de délimitation des circonscriptions électorales a cédé une partie du territoire à Miramichi, la Ville de Miramichi a reconnu, à l'hôtel de ville, que cette partie était plutôt anglophone.
Les mêmes arguments peuvent s'appliquer ici. Dans le journal, même les Forces canadiennes ont déclaré qu'il serait plus difficile pour les gens de recevoir un service bilingue à Miramichi. C'est ainsi qu'on l'a énoncé. C'est le même argument. Je dirais même que c'est encore pire.
Si la Cour suprême statuait que c'est seulement déclaratoire, cela signifierait que le gouvernement fédéral peut se ficher éperdument de la partie VII de la Loi sur les langues officielles, ou même de la loi tout entière. Que vaudrait-elle, alors?
M. Michel Doucet: On ne parle pas de toute la loi.
M. Yvon Godin: Je parle de l'éventualité où la Cour suprême déciderait qu'elle n'est que déclaratoire.
M. Michel Doucet: Dans un tel cas, ce serait uniquement la partie VII qui serait jugée déclaratoire et non pas l'ensemble de loi.
L'exemple que vous mentionnez est intéressant. Pendant très longtemps, en effet, le gouvernement fédéral a considéré la question des postes au Nouveau-Brunswick selon un axe nord-sud. Le nord est francophone, le sud est anglophone. Il y avait donc un établissement dans le nord et un autre dans le sud. Actuellement, une autre tendance est en train de se manifester au sein des institutions. Il pourrait y avoir centralisation à Halifax — qui est, comme on le sait, anglophone — ou il pourrait y avoir un axe est-ouest au Nouveau-Brunswick. La plupart du temps, la majorité est anglophone des deux côtés et on ne se trouve pas dans des régions francophones. C'est l'exemple parfait d'une situation qui pourrait être couverte. Lorsque les Forces armées canadiennes ont pris cette décision, ont-elles tenu compte de la partie VII, de l'épanouissement et du développement des communautés de langue officielle minoritaire? À mon avis, la réponse est non.
À (1020)
M. Yvon Godin: C'est également mon avis. Il n'y a eu aucune consultation. S'ils avaient tenu des consultations, ils se seraient aperçu que le recrutement se fait normalement dans le nord de la province. Prenons, par exemple, la circonscription d'Acadie—Bathurst. Elle est constituée de 80 p. 100 de francophones. Si on considère la région de Campbellton et que l'on veuille s'installer dans le milieu de la route entre Sackville et Campbellton, je suggère aux Forces canadiennes de fermer les bureaux de Fredericton et de les transférer à Woodstock. Dans un tel cas, on me répond qu'on ne fera jamais cela. Toutefois, si leur argument est la route, il faudrait, pour être juste, qu'ils fassent la même chose, de la même façon, dans la partie ouest et dans la partie est. En tout cas, j'ai déposé une plainte auprès du Commissariat aux langues officielles et auprès du ministre de la Défense. Je trouve que cela va à l'encontre de la Loi sur les langues officielles, tout comme dans le cas des inspecteurs.
Pour ma part, je pense que vous avez répondu à mes questions sur les amendements du gouvernement. Ceux-ci me préoccupent. Il va falloir ajuster le tir si on veut adopter le projet de loi S-3. On va recevoir d'autres témoins et cela va nous donner l'occasion de discuter avec eux de ce que vous nous avez dit aujourd'hui. M. Gauthier n'avait sûrement pas l'intention d'amoindrir quoi que ce soit ou d'affaiblir les arguments qui ont été utilisés au cours des 10, 15 ou 20 dernières années pour établir si certains aspects de la loi sont exécutoires ou déclaratoires, d'autant plus qu'il y a déjà une cause devant les tribunaux. Personnellement, j'aimerais vous remercier.
M. Michel Doucet: Évidemment, tout le monde ne partagera pas nécessairement mon opinion .
M. Yvon Godin: Tout le monde n'est pas là pour partager votre opinion. On peut voir où on en est rendu aujourd'hui.
Je vais rapidement donner un exemple. Je parle de ma chère histoire du pêcheur aux prises avec la polio. Au Nouveau-Brunswick, on peut annoncer des postes unilingues anglais — je pourrais peut-être vous entendre à ce sujet — alors que ce n'est pas le cas pour les postes francophones. On demande que l'égalité des deux langues soit reconnue officiellement au Canada, alors que cette distinction existe encore dans la fonction publique. Vous pourriez peut-être faire des commentaires sur ce sujet.
Le président: Monsieur Godin, je commençais à être inquiet de ne pas entendre votre histoire de poisson.
Si vous le voulez, on fait un dernier tour de table de deux minutes. Vous pourrez en profiter si vous le voulez.
Monsieur Bergeron, vous avez la parole.
M. Stéphane Bergeron: Je serai bref. D'une part, je veux simplement préciser que je ne suis pas de ceux qui croient que la partie VII porte uniquement sur les relations fédérales-provinciales. Je sais que la partie VII peut représenter une possibilité de conflit avec certaines provinces. Je cherche une façon d'éviter ce genre de conflit entre le gouvernement fédéral et certaines provinces. Je vous remercie de l'information que vous nous avez donnée.
J'aimerais revenir très brièvement sur la question que j'ai posée un peu plus tôt. Que pensez-vous de l'argumentaire du fédéral selon lequel l'obligation de résultat est source de conflit potentiel avec les provinces?
M. Michel Doucet: Je le répète, je ne crois pas que cela constitue une source de conflit avec les provinces. Évidemment, l'obligation de résultat fait en sorte qu'on a des objectifs à atteindre. Si on les atteint, bravo. Si on a fait tout ce qui était possible pour les atteindre et qu'il existe ce que j'appelle des obstacles structurels ou constitutionnels, qui font que la province refuse, je ne crois pas que quiconque puisse tenir rigueur à l'institution fédérale d'avoir fait tout ce qui était en son pouvoir.
Je pense aux différents secteurs. Jusqu'à maintenant, dans le domaine de l'éducation, cela n'a pas été source de conflit, notamment en ce qui a trait aux ententes. Je crois qu'ils ont réussi. Je ne vois pas pourquoi cela provoquerait des conflits sur le plan des relations. Je crois que le fait qu'on respecte les sphères de compétence de chacun fait partie de notre ordre constitutionnel canadien. Si on cherche à s'entendre, bravo. Si on ne réussit pas, malgré les efforts qui ont été faits, je pense que les communautés peuvent vivre avec cela. Je ne dis pas que c'était votre cas, mais il ne faudrait pas voir uniquement la partie VII comme cela, sur le plan des relations fédérales-provinciales.
À (1025)
Le président: Merci.
Monsieur D'Amours.
M. Jean-Claude D'Amours (Madawaska—Restigouche, Lib.): Merci, monsieur le président.
Monsieur Doucet, vous irez à la Cour suprême en décembre pour défendre votre cause. Si le projet de loi S-3 était modifié, la cour pourrait-elle se fonder sur cette nouvelle loi pour prendre sa décision ou serait-elle tenue de se baser sur la loi qui existait à l'époque où vous avez présenté votre cause?
M. Michel Doucet: L'effet de la nouvelle loi ne sera pas rétroactif. La cour ne pourra donc pas tenir compte des modifications proposées. Elle pourrait décider de se prononcer ou, puisque nous lui demandions uniquement de revoir la décision, elle pourrait nous dire que notre question est maintenant devenue théorique. Peut-être ne serait-il même pas utile qu'elle entende notre plaidoyer. Je ne crois pas que la cour pourrait décider d'appliquer la modification qui est présentement à l'étude, puisque l'administration ne l'avait pas à ce moment-là. Elle doit appliquer la loi qui existait à l'époque.
Le président: Monsieur Doucet, merci d'avoir pris le temps de répondre à nos questions et d'avoir discuté avec nous. Ce fut très intéressant.
Merci à chacun des membres du comité.
Après une pause de deux minutes, nous siégerons à huis clos pour discuter des travaux du comité.
[La séance se poursuit à huis clos.]