LANG Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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38e LÉGISLATURE, 1re SESSION
Comité permanent des langues officielles
TÉMOIGNAGES
TABLE DES MATIÈRES
Le jeudi 9 juin 2005
¿ | 0910 |
Le président (M. Pablo Rodriguez (Honoré-Mercier, Lib.)) |
M. André Braën (professeur, Faculté du droit civil, Université d'Ottawa) |
¿ | 0915 |
Le président |
M. André Braën |
Le président |
M. André Braën |
Le président |
¿ | 0920 |
M. Guy Lauzon (Stormont—Dundas—South Glengarry, PCC) |
M. André Braën |
M. Guy Lauzon |
M. André Braën |
¿ | 0925 |
M. Guy Lauzon |
Le président |
M. André Braën |
Le président |
M. Guy André (Berthier—Maskinongé, BQ) |
¿ | 0930 |
M. André Braën |
M. Guy André |
Le président |
M. Yvon Godin (Acadie—Bathurst, NPD) |
¿ | 0935 |
M. André Braën |
M. Yvon Godin |
M. André Braën |
M. Yvon Godin |
M. André Braën |
M. Yvon Godin |
M. André Braën |
¿ | 0940 |
M. Yvon Godin |
Le président |
M. André Braën |
Le président |
M. André Braën |
Le président |
M. André Braën |
Le président |
M. Marc Godbout (Ottawa—Orléans, Lib.) |
M. André Braën |
¿ | 0945 |
M. Marc Godbout |
M. André Braën |
M. Marc Godbout |
M. André Braën |
Le président |
M. Marc Godbout |
Le président |
M. Guy Lauzon |
Le président |
M. Jean-Claude D'Amours (Madawaska—Restigouche, Lib.) |
¿ | 0950 |
M. André Braën |
M. Jean-Claude D'Amours |
M. André Braën |
M. Jean-Claude D'Amours |
M. André Braën |
M. Jean-Claude D'Amours |
Le président |
M. Jean-Claude D'Amours |
M. André Braën |
¿ | 0955 |
Le président |
M. Guy André |
M. André Braën |
M. Guy André |
M. André Braën |
M. Guy André |
M. André Braën |
M. Guy André |
M. André Braën |
À | 1000 |
M. Guy André |
M. André Braën |
Le président |
M. Yvon Godin |
M. André Braën |
M. Stéphane Bergeron (Verchères—Les Patriotes, BQ) |
M. André Braën |
À | 1005 |
M. Yvon Godin |
M. André Braën |
M. Yvon Godin |
M. André Braën |
M. Yvon Godin |
M. André Braën |
M. Yvon Godin |
M. André Braën |
M. Yvon Godin |
M. André Braën |
M. Yvon Godin |
M. André Braën |
M. Yvon Godin |
M. André Braën |
M. Yvon Godin |
M. André Braën |
M. Yvon Godin |
Le président |
M. Stéphane Bergeron |
À | 1010 |
M. André Braën |
M. Stéphane Bergeron |
M. André Braën |
M. Stéphane Bergeron |
M. André Braën |
M. Stéphane Bergeron |
À | 1015 |
M. André Braën |
M. Stéphane Bergeron |
M. André Braën |
Le président |
L'hon. Raymond Simard (Saint Boniface, Lib.) |
M. André Braën |
L'hon. Raymond Simard |
M. André Braën |
À | 1020 |
L'hon. Raymond Simard |
M. André Braën |
L'hon. Raymond Simard |
Le président |
M. Yvon Godin |
M. André Braën |
M. Yvon Godin |
M. André Braën |
À | 1025 |
Le président |
M. André Braën |
Le président |
CANADA
Comité permanent des langues officielles |
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TÉMOIGNAGES
Le jeudi 9 juin 2005
[Enregistrement électronique]
* * *
¿ (0910)
[Français]
Le président (M. Pablo Rodriguez (Honoré-Mercier, Lib.)): Bonjour à tous. Bienvenue à cette réunion sur le projet de loi S-3.
Nous avons le plaisir d'accueillir ce matin M. André Braën. Bienvenue.
Puisque nous avons le quorum, nous allons commencer. Les autres membres du comité se joindront à nous peu à peu. Je présume que M. Braën va vouloir partager quelques commentaires avec nous au départ. Par la suite, nous pourrons poursuivre avec une série de questions, de commentaires et d'échanges avec notre invité.
La réunion devra se terminer au plus tard à 10 h 45, heure à laquelle nous traiterons de la motion de M. Lauzon.
Alors, je m'arrête là-dessus et je vous cède la parole.
M. André Braën (professeur, Faculté du droit civil, Université d'Ottawa): Merci beaucoup, monsieur le président.
Dans un premier temps, je tiens à remercier les membres de ce comité de leur invitation. C'est véritablement un privilège pour moi et un plaisir que de pouvoir vous rencontrer ce matin.
Je comprends que mon rôle se résume à vous faire une très brève présentation de quelques minutes sur le projet de loi S-3 et d'être ensuite disponible pour des échanges, s'il y a lieu.
Très brièvement, vous savez tous qu'à l'époque de l'adoption de la Loi sur les langues officielles, en 1969, on visait d'abord et avant tout à promouvoir l'utilisation de la langue française au sein des institutions fédérales, y inclut dans la province de Québec. On voulait aussi, à l'époque, éviter que le territoire du Canada ne soit divisé sur le plan linguistique. On voulait faire en sorte que les membres des communautés de langue officielle puissent, qu'importe leur endroit d'établissement au Canada, vivre la majeure partie de leur vie dans leur langue. C'est ce que l'on visait. Évidemment, on sait tous qu'il y a des difficultés à ce niveau.
Évidemment, des critiques ont accompagné l'adoption de la mesure législative en 1969. On s'est plaint du fait qu'on n'y retrouvait pas un engagement clair de la part des autorités fédérales de promouvoir la progression vers l'égalité des deux langues officielles du Canada, ainsi que le développement des minorités de langue officielle. On se plaignait également de l'absence d'un recours judiciaire. En cas de violation, pouvait-on s'adresser aux tribunaux?
Après l'adoption de la Charte en 1982, on a modifié la Loi sur les langues officielles en 1988, sinon adopté une nouvelle loi, et l'article 41, de même que la partie VII en général, se trouvent à être une réponse à la critique quant à l'absence d'un engagement de la part des autorités fédérales.
L'article 41 se voulait une réponse, mais il a offert une difficulté d'interprétation qui ne s'est jamais démentie depuis. Est-ce que l'engagement que l'on retrouve à l'article 41 de Loi sur les langues officielles énonce un principe politique, donc est-ce qu'il invite le gouvernement à songer aux langues officielles et à faire de son mieux dans le domaine des langues officielles et du développement des minorités de langue officielle, ou bien est-ce que cet article 41 énonce une obligation d'agir? Est-ce que le Parlement a fait en sorte qu'on s'attende à ce que le gouvernement fédéral prenne des mesures concrètes pour donner suite à cet engagement?
Évidemment, du point de vue des minorités de langue officielle, il est certain que cet article 41 est perçu comme énonçant une obligation. Alors, c'est plus qu'un simple principe politique, c'est un devoir d'agir. Bien sûr, il y a une discrétion quant au choix des moyens. On n'impose pas de résultats précis, mais on s'attend à ce que le gouvernement agisse dans le domaine des langues officielles.
Du point de vue de l'administration fédérale, les avis étaient plutôt partagés, comme vous le savez. Une enquête menée par le Commissariat aux langues officielles en 1996, si je ne m'abuse, a démontré que chez les cadres de l'administration fédérale, il y avait une double perception à l'égard de cet engagement. Pour plusieurs, c'était un voeu, c'était un principe. Pour d'autres, oui, ça pouvait signifier un engagement.
Bref, il est quand même assez surprenant de constater qu'au sein de l'appareil gouvernemental fédéral, il y avait un peu d'incohérence quant à l'interprétation et à l'application de cet article 41. Disons qu'aujourd'hui, avec l'affaire du Forum des maires de la Péninsule acadienne, la position gouvernementale est plus claire à ce niveau. Le ministre de la Justice plaide plutôt que cet article 41, finalement, énonce un principe plutôt qu'une obligation d'agir.
Quoi qu'il en soit, compte tenu de la jurisprudence récente de la Cour suprême du Canada relativement à l'interprétation d'un droit linguistique — une interprétation libérale, généreuse qui tient compte de l'objet poursuivi par un texte législatif —, il est possible, sur le plan juridique, de bâtir une argumentation solide pour soutenir que l'article 41 tel quel signifie en effet une obligation d'agir. C'est possible, comme il est possible, évidemment, de mettre de l'avant une interprétation contraire.
On sait que la Cour d'appel fédérale, dans l'affaire du Forum des maires de la Péninsule acadienne, a plutôt opté pour une interprétation restrictive de cet article 41. Le jugement établissait qu'il s'agissait finalement d'un principe politique et que le Parlement n'avait pas voulu que le pouvoir judiciaire s'immisce, si vous voulez, dans cette question de la promotion et du développement des deux minorités de langue officielle.
Le projet de loi S-3, tel que présenté par le sénateur Gauthier et tel qu'adopté par le Sénat du Canada, a un mérite évident. Il clarifie de façon très simple la nature exacte de cet engagement à l'article 41. En quelque sorte, il rend imputable l'action des autorités fédérales dans le domaine linguistique. C'est pour cela que je trouve que ce projet de loi a un mérite évident, qui est de faire progresser l'égalité des deux langues officielles et le développement des minorités de langue officielle.
À mon avis, ce projet de loi entraînera dorénavant une préoccupation linguistique dans l'action gouvernementale relative à l'élaboration des politiques.
On ne parle pas ici d'une obligation de résultat. On dit tout simplement à l'appareil fédéral que lorsqu'il met de l'avant des politiques, qu'il établit des programmes, il doit se préoccuper de la question linguistique et du développement des minorités de langue officielle. Bref, cela rendra systématique cette préoccupation, comme l'est la préoccupation du respect de la Charte canadienne des droits et libertés dans l'action administrative.
Deuxièmement, le mérite de ce projet de loi sera de rendre cohérente, une fois pour toutes, l'action fédérale dans ce domaine, dans la mesure où on établit un but et un objet bien précis auxquels devront souscrire toutes les autorités, toutes les institutions fédérales.
La partie VII de la Loi sur les langues officielles présente certainement des difficultés inhérentes à tout régime fédéral, dans la mesure où on parle de promotion, d'apprentissage des deux langues officielles, de développement des communautés de langue officielle, de la prestation de services provinciaux et de services municipaux dans les deux langues, de l'implication du secteur privé. C'est certain qu'on fait appel ici aux relations fédérales-provinciales. Encore une fois, cela fait partie du processus de consultation du régime fédéral. Néanmoins, je ne vois pas en quoi ces qualités sont amplifiées ou modifiées par le projet de loi. Cela reste intact.
Aux articles 43 et 44, il y a une expression du pouvoir de dépenser du fédéral dans la mesure où ce pouvoir s'exerce conformément à des négociations entre les divers ordres de gouvernement. Dans la mesure où les communautés de langue officielle peuvent en profiter, pourquoi pas? J'applaudis à cette proposition.
Finalement, sur le plan du leadership, vous savez que très récemment, la commissaire aux langues officielles s'est plainte, à juste titre selon moi, de l'absence de leadership gouvernemental dans le domaine de la promotion des langues officielles. Quant à moi, le leadership dans le domaine de la promotion des droits linguistiques, dans le domaine du développement des communautés linguistiques de langue officielle, a été, jusqu'à présent, le fait des tribunaux.
¿ (0915)
Ce sont les tribunaux qui, en donnant un sens, en examinant la portée des dispositions, en s'aidant de principes juridiques, ont contribué le plus à faire avancer le régime des droits linguistiques au Canada. Avec le projet de loi S-3, je pense que le Parlement du Canada a l'occasion de reprendre un peu de ce leadership.
Voilà, c'est ce que j'avais à dire.
Le président: Merci beaucoup, monsieur Braën.
Avant de passer la parole à M. Lauzon, je veux savoir si vous avez eu l'occasion de prendre connaissance des amendements proposés par les différents partis.
M. André Braën: Oui, tout à fait. Je les ai lus, rapidement il est vrai. J'ai jeté un coup d'oeil aux amendements.
Le président: Vous les avez donc avec vous.
M. André Braën: Il y en a plusieurs.
Le président: Oui, en effet. Merci.
Monsieur Lauzon.
¿ (0920)
M. Guy Lauzon (Stormont—Dundas—South Glengarry, PCC): Merci, monsieur le président.
Bienvenue, monsieur M. Braën. J'ai une ou deux petites questions à vous poser.
Premièrement, vous venez de parler de leadership. La commissaire, Mme Adam, a noté qu'il y avait un manque de leadership en ce qui concerne les langues officielles. Vous dites que ce sont les tribunaux qui, jusqu'ici, ont assumé le leadership en matière de langues officielles.
Pensez-vous que c'est la façon dont on doit procéder pour améliorer la situation des langues officielles?
M. André Braën: L'intervention des tribunaux dans un système comme le nôtre est une chose inévitable. Ils sont à la fois les gardiens de la légalité et les gardiens de la constitutionnalité. C'est certain que lorsque l'on invoque des droits linguistiques, constitutionnels et ainsi de suite, les tribunaux doivent jouer un rôle.
Toutefois, dans une démocratie comme la nôtre, il est également sain que les gouvernements puissent intervenir. Ce sont eux qui, en bout de ligne, proposent des politiques à la société et qui sont chargés d'appliquer les politiques qui sont adoptées. La difficulté est dû au fait qu'au Canada, la question linguistique est perçue comme étant une question qui divise. Alors, puisque c'est une question qui divise, puisqu'il n'y a pas de consensus au sein de la population canadienne, puisque c'est une question sensible, il vaut peut-être mieux ne pas trop en parler. Il vaut peut-être mieux laisser agir les tribunaux, dont les décisions semblent plus acceptées par la population canadienne.
Il se pose un problème, à ce moment-là, dans l'exercice démocratique. Même si les juges ont un rôle important à jouer, ils ne sont pas quand même des personnes élues. Or, à mon avis, il revient aux élus de mettre de l'avant, de proposer des choses. Évidemment, il ne faut pas s'attendre à ce qu'un gouvernement fasse une campagne électorale en brandissant les droits des minorités: il est élu par une majorité et cela n'est nécessairement très vendeur. Toutefois, au sens politique, un individu qui a de la vision — il y en a eu dans l'histoire du Canada et il y en a encore — n'aura justement pas peur de mettre de l'avant cette vision. Et c'est en mettant de l'avant cette vision qu'on assume un leadership. Dans la mesure où on ne le fait pas, il n'y a pas de leadership. Dans la mesure où on va de l'avant avec un projet de loi comme le projet de loi S-3, on assume un leadership politique. On dit tout simplement à la société canadienne que c'est une chose que l'on considère fondamentale pour l'avenir du pays, qu'on y tient et que c'est ce que l'on met de l'avant. C'est cela, assumer un leadership.
M. Guy Lauzon: Selon moi, le mandat des tribunaux ne consiste pas à assumer le leadership au pays.
J'ai une autre question. Si le projet de loi S-3 entre en vigueur, comment cela va-t-il affecter les relations entre les provinces, le fédéral et les municipalités?
M. André Braën: Cela aura l'effet suivant. Je pense que, de toute façon, la partie VII de la Loi sur les langues officielles, à l'heure actuelle, contient une invitation pour les autorités fédérales, dans cet engagement, à promouvoir l'égalité et le développement des minorités de langue officielle. C'est une invitation à consulter, à s'associer avec les autres ordres de gouvernement qui sont responsables également de la prestation de services au public, comme les gouvernements provinciaux et municipaux, afin de voir s'il y aurait lieu de s'entendre sur des mesures pour permettre, par exemple, la délivrance des services publics dans les deux langues officielles. Déjà, à l'heure actuelle, la Loi sur les langues officielles contient des dispositions à cet effet. Déjà, comme on le sait, le ministère du Patrimoine canadien — et avant lui le Secrétariat d'État — négociait avec les provinces pour dépenser des fonds dans le domaine de l'apprentissage de l'autre langue officielle.
Ce n'est pas quelque chose de nouveau en tant que tel, et je ne vois pas comment le projet de loi S-3 pourrait être perçu comme venant bouleverser la situation. Rien n'oblige une province à dire oui à une proposition si elle n'est pas d'accord sur ladite proposition. Je vois davantage le rôle des autorités fédérales dans des domaines de compétence provinciale comme étant un rôle d'incitateur. On incite les provinces, on leur fait des propositions, et ainsi de suite.
¿ (0925)
M. Guy Lauzon: D'accord. Merci.
Le président: Merci, monsieur Lauzon.
Dans l'amendement du gouvernement, on fait plutôt allusion à une obligation de processus qu'à une obligation de résultat. L'avez-vous lu rapidement?
M. André Braën: M. le greffier a eu la gentillesse de me faire parvenir le compte rendu des témoignages de la semaine dernière, et je crois qu'on a fait état ici de la distinction qui existe entre un processus et une obligation de résultat. Pour les juristes qui ont été formés dans la tradition civiliste, c'est quelque chose de connu: on fait la distinction entre une obligation de moyen et une obligation de résultat. Si vous allez chez votre médecin, il a l'obligation de vous soigner, mais pas nécessairement d'en arriver à un état de santé précis. En common law, c'est une chose qui est moins connue. J'ai trouvé un peu bizarre toute cette discussion sur l'obligation de résultat.
Lorsqu'on s'engage à promouvoir, on s'engage tout simplement à fixer, à avoir en tête et à travailler en vue de la réalisation d'un objectif, mais cela ne veut pas dire que l'objectif final, c'est-à-dire l'égalité absolue des deux langues officielles, l'égalité des deux communautés de langue officielle, sera atteinte. Évidemment, cela reste un idéal en tant que tel. J'ai mal compris toute cette discussion sur l'obligation de résultat. Le gouvernement dit que si on adopte ce projet de loi maintenant, tout le monde va le traîner devant les tribunaux parce que, par exemple, l'égalité ne sera pas achevée dans tel domaine à tel endroit, etc.
Je pense que c'est un faux problème. Les tribunaux interviendront toujours dans notre système, encore une fois parce qu'ils sont ceux qui sont appelés à interpréter les dispositions législatives. On ne peut pas les écarter. En ce sens, ils assument un leadership. Je ne crois pas à cette distinction entre le processus et le résultat.
Le président: Monsieur André.
M. Guy André (Berthier—Maskinongé, BQ): Monsieur Braën, merci d'avoir bien voulu accepter notre invitation à venir témoigner au comité. C'est un plaisir pour nous de vous rencontrer.
Je vais réagir à certains propos que vous avez tenus. Vous avez souligné le fait que la Cour suprême du Canada et diverses mesures législatives, depuis quelques années, ont davantage mis en place des mécanismes de respect des langues officielles que la Loi sur les langues officielles elle-même. La portée juridique des mesures législatives qui ont été adoptées ont eu une grande influence sur les tribunaux quant au respect des langues officielles.
Cette semaine, M. Doucet a parlé des amendements actuels des libéraux au projet de loi S-3 et du fait qu'il y aura, le 8 décembre, une décision de la Cour suprême du Canada sur l'application de la partie VII de la Loi sur les langues officielles. M. Doucet nous demandait, compte tenu des amendements proposés par les libéraux, s'il n'était pas préférable d'attendre le jugement de la Cour suprême du Canada sur l'application de la partie VII de la loi. Il manifestait des inquiétudes face à ces amendements à l'effet que ce projet de loi, avec les amendements proposés, pourrait affaiblir la Loi sur les langues officielles.
J'aimerais donc vous entendre à ce sujet.
¿ (0930)
M. André Braën: Les tribunaux sont intervenus pour préciser le sens de certaines dispositions de la loi. Par exemple, ce sont les tribunaux qui ont dit que l'article 23 de la Charte inclut, pour la minorité, un droit de gestion de son réseau scolaire. Ce sont les tribunaux qui ont dit que la publication des lois en français et en anglais au Québec, au Manitoba, au fédéral et ailleurs vise aussi la question réglementaire. Ce sont donc les tribunaux qui sont intervenus pour préciser le sens de certaines dispositions de la loi, parce que le législateur ne peut pas être parfait lorsqu'il utilise des mots. C'est normal, c'est pourquoi il existe des tribunaux.
Il est vrai que la Cour suprême du Canada sera appelée à se prononcer sur la portée de l'article 41. Le Parlement canadien doit-il attendre nécessairement sa décision? À moins de me tromper, il n'y a pas encore eu d'auditions dans cette cause. Normalement, dans le domaine linguistique, une fois que les auditions sont terminées, il faut compter une bonne année avant que la Cour suprême du Canada rende sa décision.
Sa décision pourrait être de dire que oui, c'est un principe politique ou de dire que oui, c'est une obligation d'agir. Je serais très surpris que la Cour suprême du Canada détermine dans sa décision le détail de cette obligation d'agir. Il faut comprendre que les tribunaux respectent le pouvoir exécutif ainsi que le pouvoir législatif. Il revient évidemment à l'autorité exécutive de ce pays de déterminer quelles sont les modalités de cet engagement, et ainsi de suite.
Par ailleurs, dans notre système, il existe un principe fondamental: celui de la souveraineté du Parlement, qui n'est limité que par les mesures d'ordre constitutionnel. Dans la mesure où le Parlement met de l'avant de nouveaux objectifs, je ne vois pas, premièrement, en quoi cela porterait atteinte à l'honneur de la Cour suprême du Canada. Je pense qu'elle sera très heureuse — si vous voulez mon avis — que le Parlement du Canada définisse lui-même le sens et la portée de cette partie VII.
Deuxièmement, en ce qui concerne les modifications qui ont été proposées, on ne sait pas, finalement, ce que la Chambre des communes va retenir en termes d'amendements. Si jamais ces amendements sont adoptés, ne risque-t-il pas d'y avoir un conflit avec l'interprétation de la Cour suprême du Canada? Je pense qu'on tombe dans des hypothèses.
Le pouvoir législatif a un rôle à jouer; c'est un leader dans son domaine. Alors, qu'il l'assume. La Cour suprême du Canada assumera son pouvoir de son côté, et le gouvernement en fera autant du sien.
M. Guy André: C'est bien. Merci.
Le président: Merci, monsieur André.
On poursuit avec vous, monsieur Godin.
M. Yvon Godin (Acadie—Bathurst, NPD): Merci, monsieur le président.
Je vous souhaite la bienvenue.
Pour continuer dans la même veine, je dirai qu'il est vrai que le Parlement et la cour doivent assumer leurs responsabilités respectives. Dans le cas de cette dernière, il s'agit de faire de l'interprétation. Nous écrivons la loi, et la cour l'interprète. M. Doucet disait que si on adoptait les amendements du gouvernement, le projet de loi S-3 ne serait pas plus fort que ce que nous avons maintenant. La Cour suprême devrait alors interpréter la nouvelle loi. Elle pourrait interpréter l'ancienne loi, mais celle-ci ne vaudrait plus rien. Cela ne vaudrait pas la peine d'aller en Cour suprême pour savoir ce que disait l'ancienne loi, une nouvelle serait entrée en vigueur. Arrêtons de jouer avec l'argent des contribuables.
Si j'ai bien compris ce que disait M. Doucet, lorsqu'il a comparu mardi dernier, il faut que le projet de loi S-3 reste tel qu'il est actuellement, c'est-à-dire déclaratoire, parce que c'est ce qu'on va demander à la cour: que ce soit exécutoire plutôt que déclaratoire.
Le projet de loi S-3 le définit et règle le problème. Avec les amendements, je n'y crois pas, j'ai peur. C'est ce que M. Doucet a dit. J'aimerais avoir votre avis sur cela.
¿ (0935)
M. André Braën: Vous me demandez de me prononcer sur l'amendement mis de l'avant par le gouvernement.
M. Yvon Godin: Exactement.
M. André Braën: On peut lire ce qui suit:
1.(1) L'article 41 [...] est modifié [...] |
(2) En vue de la mise en oeuvre de cet engagement, chaque institution fédérale dont le nom figure [...] |
a) vérifier l'incidence de chaque politique [...] |
Le Parlement exerce la souveraineté législative. Les tribunaux sont là pour appliquer une charte et pour protéger les droits constitutionnels. Il y a évidemment complémentarité, un lien évident entre les deux. Pour ma part, rédiger les modalités d'une obligation, d'un engagement en fonction d'hypothèses, « La Cour suprême dit, » etc., me semble un peu hasardeux. Si la Cour suprême du Canada dit que l'article 41 — vous l'avez dit vous-même — est déclaratoire, la question ne se pose pas. Il faut aller de l'avant avec le projet de loi S-3. Si elle dit que c'est exécutoire, encore une fois, tout ce qu'elle va affirmer c'est le caractère exécutoire. Par ailleurs, elle dira qu'il revient évidemment au gouvernement de mettre en place les modalités d'application de cette obligation. Ce n'est pas la Cour suprême qui va déterminer ces modalités.
L'amendement proposé ici est-il sujet à interprétation? Je dis que oui. On peut y lire: « veille à ce que les mesures... ». Que signifie le mot « veille » dans ce contexte? On peut reprendre exactement le même débat qu'en ce qui concerne l'article 41 et dire que le mot « veille », finalement, est déclaratoire, que c'est plutôt une invitation qu'une obligation, etc. On ne sort pas de ce débat. Je pense que le projet de loi S-3 énonce un principe à l'article 41 et dit tout simplement que l'administration fédérale et le gouvernement doivent maintenant mettre en oeuvre cet engagement. On fait des propositions ici pour identifier les modalités d'application. On peut évidemment commencer à interpréter le sens de ces modalités. Il y aurait fort probablement des opinions divergentes. Le mot « veille », est-il fort ou non? La semaine dernière, j'ai vu qu'il y avait eu tout un débat. Patrimoine canadien « peut prendre » ou « doit prendre » et ainsi de suite. Je pense que si le Parlement vise un objectif bien précis, les mots pour le dire vont arriver aisément.
M. Yvon Godin: Encore une fois, en ce qui a trait au projet de loi S-3 et à la Loi sur les langues officielles, le Bloc québécois dépose l'amendement suivant:
(4) La province de Québec est soustraite à l'application du présent article. |
Au cours des discussions, certains disaient que cet article excluait les provinces. Certains témoins, dont des fonctionnaires et M. Doucet, ont dit que ce n'était pas ce que cela voulait dire. On est encore protégé par la Charte et par la loi. Ce n'est pas là pour dicter aux provinces quoi faire, mais plutôt pour que, si elles font quelque chose ensemble, il y ait un dialogue et une entente. Puisque vous avez lu les propos de la semaine dernière, vous semblez assez au courant de cela. J'aimerais avoir votre opinion à ce sujet.
M. André Braën: Oui.
M. Yvon Godin: Si on exclut les provinces, cela nuira-t-il à la volonté d'aider les minorités dans les régions? Ce serait l'effet contraire de celui qu'on recherche.
M. André Braën: Dans ce pays, comme vous le savez, il y a des gouvernements qui sont peut-être moins empressés que d'autres à donner suite aux demandes légitimes de leurs minorités de langue officielle. Le Parlement canadien aimerait que le gouvernement fédéral joue un rôle plus actif dans ce domaine. Il l'a déjà fait dans le passé par la création de nombreux programmes.
À mon avis, lorsqu'on parle de développement des minorités de langue officielle, on dépasse le simple cadre des services assurés par les institutions fédérales. On vise tout le milieu de vie de la minorité, ce qui inclut les gouvernements provinciaux, les gouvernements municipaux et également des organismes publics ou...
¿ (0940)
M. Yvon Godin: Je ne pense pas, monsieur le président...
Le président: Votre temps est écoulé, monsieur Godin.
J'aimerais vous demander si vous préférez le projet de loi S-3 tel quel ou le projet de loi S-3 avec l'amendement du gouvernement.
M. André Braën: Personnellement, je préfère de loin le projet de loi original.
Le président: D'accord.
D'autre part, ne serait-il pas plus simple de changer le paragraphe 77(1) de la Loi sur les langues officielles et d'ajouter la partie VII?
M. André Braën: L'article 77 vise le recours judiciaire. En cas de plainte relativement au non-respect de la partie VII, par exemple, il y aurait la possibilité d'intervenir devant les tribunaux.
Le président: Actuellement, ça exclut la partie VII, mais en l'incluant....
M. André Braën: Attendez. Même si, à l'heure actuelle, l'article 77 exclut effectivement l'application de la partie VII, il faut bien comprendre que la Cour fédérale du Canada exerce ce qu'on appelle un pouvoir de contrôle et de surveillance sur l'administration fédérale. Elle peut intervenir lorsqu'on prétend qu'il y a une illégalité. Alors, si on ne peut pas intervenir en vertu de l'article 77, on peut très certainement aller frapper à la porte de la Cour fédérale du Canada et dire que le gouvernement fédéral commet des illégalités dans la mesure où il ne respecte pas les termes de sa législation. Il est tout à fait constitutionnel de faire cela. La possibilité d'un contrôle est donc déjà prévue.
Cependant, si on le précisait de façon plus claire dans l'article 77, je crois que cela rendrait l'engagement des autorités fédérales encore plus crédible et plus sûr.
Le président: Merci.
On poursuit avec vous, monsieur Godbout.
M. Marc Godbout (Ottawa—Orléans, Lib.): C'est à mon tour de vous souhaiter la bienvenue. Merci de prendre le temps de venir nous éclairer un peu sur le projet de loi S-3 et les amendements proposés.
On nous a fait remarquer assez souvent que, si on accepte le projet de loi S-3 tel quel, donc si la partie VII est justiciable de façon non équivoque, on se retrouvera souvent en cour. Vous en avez touché un mot, mais je vous demanderais d'approfondir le sujet. Évidemment, selon moi, l'article 23 de la Charte était clair et on s'est tout de même retrouvés en cour souvent.
Risque-t-on de se retrouver en cour plus souvent si on accepte le projet de loi S-3 tel quel, ou si on accepte les amendements proposés par le gouvernement? Vaut-il mieux avoir un énoncé qui est peut-être moins clair, ou un autre qui semble beaucoup plus précis et qui est le texte original du projet de loi S-3? J'aimerais que vous fassiez un commentaire à ce sujet, car c'est un argument qui nous a été servi souvent. Pour ma part, j'ai toujours cru que si on se retrouve en cour, c'est peut-être parce qu'on ne fait pas ce qui était prévu par la loi.
M. André Braën: Je comprends que dans une démocratie, le Parlement composé d'élus est souverain, mais il faut comprendre aussi que dans une démocratie, le rôle des tribunaux est une chose essentielle, inévitable. Sinon, on ne parle plus de démocratie. On doit parler ici d'un pouvoir judiciaire qui est indépendant en tant que tel. On ne peut pas, dans notre système, écarter l'intervention éventuelle d'une cour de justice, ce serait inconstitutionnelle. Dans notre système, les rôles sont tels que le législateur légifère, le pouvoir exécutif applique et le pouvoir judiciaire interprète. Depuis la Chartre, le pouvoir judiciaire va encore plus loin, puisque maintenant on lui confie la mission non seulement de protéger mais aussi de définir le contenu des droits fondamentaux en tant que tels.
Il y a des interventions dans le domaine linguistique qui sont inévitables, et ce, pour plusieurs raisons. D'abord, parce que c'est le rôle des tribunaux que d'interpréter des textes législatifs ou constitutionnels. On ne pourra jamais éviter cela. Par ailleurs, il faut bien comprendre que face à l'inaction gouvernementale, bien souvent les minorités de langue officielle n'ont pas d'autre choix que de s'adresser aux tribunaux. Encore une fois, ce n'est pas très vendeur que de faire des campagnes électorales en mettant de l'avant les droits des minorités. Voyez-vous l'importance des tribunaux à ce niveau?
Il y a aussi le fait que même si on met de l'avant des obligations de nature linguistique à la charge des gouvernements, malheureusement, pour toutes sortes de raisons, il y en a beaucoup qui agissent peu ou pas du tout. C'est quand même curieux qu'il y ait encore devant les tribunaux des litiges scolaires basés sur l'article 23 de la Chartre adoptée en 1982. Comme vous pouvez le constater, on n'a pas le choix. Par ailleurs, les autorités fédérales subventionnent un programme de contestation judiciaire dont l'une des composantes vise justement à financer des causes qui impliquent des droits linguistiques constitutionnels.
¿ (0945)
M. Marc Godbout: D'après votre expertise, quelle formule vous semble le moins équivoque: le projet de loi S-3 tel qu'il a été déposé à l'origine ou le projet de loi S-3 amendé? Quelle version est la plus claire et pourrait éviter que l'on se retrouve peut-être plus souvent devant les tribunaux?
M. André Braën: Le grand mérite...
M. Marc Godbout: Je vous demande une réponse un peu prospective.
M. André Braën: Oui. Le grand mérite du projet de loi S-3 original, si on le compare avec les amendements qui ont été mis de l'avant et qui sont beaucoup plus détaillés, est qu'il met de l'avant une obligation, et une obligation qui doit se traduire de la façon suivante: les institutions fédérales doivent veiller à ce que soient prises des mesures positives. On ne peut pas contester devant les tribunaux, par exemple, le fait qu'une mesure qui a été prise par l'autorité fédérale n'a pas donné les résultats escomptés; ce n'est pas l'affaire des tribunaux. Les tribunaux doivent simplement vérifier si oui ou non, dans son action, l'autorité fédérale a tenu compte de la préoccupation linguistique en tant que telle. On reconnaît qu'en vertu de ce projet de loi, il incombe et il revient aux autorités gouvernementales de déterminer les moyens, de choisir les modalités d'application. Encore une fois, dire qu'on veut éviter l'intervention des tribunaux est, à mon avis, un faux débat.
Le président: Merci.
M. Marc Godbout: Je pense que cela apporte une précision.
Le président: Merci, monsieur Godbout.
Nous passons au deuxième tour; nous n'en aurons pas plus de trois. Ça va, du côté des conservateurs?
M. Guy Lauzon: Ça va.
Le président: C'est beau. On revient donc de l'autre côté.
Monsieur D'Amours.
M. Jean-Claude D'Amours (Madawaska—Restigouche, Lib.): Merci beaucoup, monsieur le président.
Compte tenu de ce que vous avez mentionné plus tôt à savoir si la question en est une relative au processus ou au résultat, d'une manière ou d'une autre, je pense que c'est clair, comme vous l'avez mentionné, que les tribunaux auront l'occasion de se prononcer si quelqu'un juge que les processus ne sont pas complets ou que les résultats ne sont pas atteints, selon l'interprétation qu'il en fera. Donc, d'une façon ou d'une autre, les gens auront la possibilité d'aller devant les tribunaux pour débattre, justement, des modifications apportées en vertu des amendements au projet de loi S-3 que l'on examine. Qu'il s'agisse de la version actuelle ou d'une version modifiée, cela veut dire qu'il n'y aura aucun avantage à dire qu'il pourrait y avoir plus ou moins d'actions judiciaires. Est-ce bien là ce que vous dites?
¿ (0950)
M. André Braën: Si le Parlement dit que l'engagement du gouvernement doit être compris comme étant une obligation, cela signifie qu'au niveau juridique, le public, les individus, les membres des communautés de langue officielle ont, en contrepartie, un droit de s'attendre à ce que l'administration fédérale, lorsqu'elle établit des programmes, ait le souci de cette préoccupation de la question linguistique.
Par ailleurs, en ce qui concerne le choix des moyens, tout ce que dit la loi, c'est qu'il appartient à l'administration de le déterminer à sa discrétion. Si dans un projet de loi vous déterminez avec plus de précision les modalités d'application ou les moyens à choisir, vous ouvrirez beaucoup plus grande la porte aux recours judiciaires. Il vaut beaucoup mieux opter pour des engagements généraux en vertu desquels on reconnaît qu'il revient à l'autorité gouvernementale, dans sa discrétion, de décider des moyens.
M. Jean-Claude D'Amours: Donc, si le législateur se donne comme obligation d'assurer le processus, il peut y avoir un affaiblissement de l'obligation de résultat, mais qui ne générerait pas nécessairement plus de risques qu'il y ait des causes judiciaires. Il n'y a aucune possibilité, en fin de compte, de savoir à l'avance si un groupe va considérer que l'obligation du processus n'est pas complète. Par ailleurs, l'obligation de résultat permettrait aux minorités francophones hors Québec et à la minorité anglophone du Québec d'avoir au moins le sentiment que des gestes concrets seront posés, non seulement pour discuter ou pour consulter, mais pour arriver à des actions concrètes.
M. André Braën: Je vais procéder par analogie. Je vois l'énoncé de l'article 41 tel que proposé dans le projet de loi S-3 un peu comme une relation entre un patient et son médecin. Ici, il y a un engagement de la part du gouvernement fédéral de soigner la question linguistique. Cela ne veut pas dire que le patient sera vivant en bout de ligne; on le souhaite. C'est exactement la même chose que lorsque je vais chez le médecin: je veux qu'il me soigne, mais je ne suis pas sûr que je resterai en vie.
Alors, lorsque l'on parle de l'épanouissement des minorités francophones et anglophones, de promouvoir la pleine reconnaissance de l'usage du français et de l'anglais dans la société canadienne, qu'est-ce que cela signifie en termes de résultat? On pourrait, dans chacun des cas qui peut se présenter, dire c'est une obligation de résultat. À mon avis, sur le plan juridique, cela n'a pas beaucoup de sens.
M. Jean-Claude D'Amours: Ça veut dire ce que ça veut dire.
M. André Braën: C'est ça.
M. Jean-Claude D'Amours: Me reste t-il encore un peu de temps?
Le président: Il vous reste 30 secondes.
M. Jean-Claude D'Amours: Dans le temps qu'il me reste, pourriez-vous nous faire part d'un élément qui serait un peu plus négatif dans le projet de loi S-3 dans sa forme actuelle, que vous privilégiez, par rapport au projet de loi S-3 modifié en vertu de l'amendement qui vise à éliminer cela? Est-ce que vous pourriez identifier quelques éléments qui feraient en sorte que les minorités auraient moins de protection, moins d'avantages?
M. André Braën: Lorsque l'amendement stipule qu'il faut que les mesures suivantes soient prises: vérifier l'incidence, consulter les organismes, il y a déjà une obligation de consultation implicite dans l'engagement comme tel. On parle de tenir compte de la conclusion, etc. Cela veut dire que sur le plan strictement juridique, on peut commencer, face à une situation déterminée, à s'interroger sur l'application ou la non-application, sur le respect ou le non-respect de toutes ces modalités. Je pense que ce qu'on propose ici risque de devenir une espèce de carcan pour les autorités fédérales.
Pourquoi ne pas fonctionner avec un objectif et dire que maintenant, c'est systématique — ce n'était pas le cas depuis 1969 et même depuis 1988 —, vous allez avoir une obligation de vous préoccuper de la question des langues officielles? Encore une fois, cela ne veut pas dire qu'on sauvera le patient, mais si on agit, il sera très certainement en meilleure santé; je vous le garantis.
¿ (0955)
Le président: Merci.
Monsieur André, vous disposez de cinq minutes.
M. Guy André: Bonjour.
Dans le dossier Casimir-Solski et dans la décision Gosselin, la Cour suprême reconnaît quand même que le Québec est, en Amérique du Nord, une société francophone minoritaire vivant dans une société anglophone — on se comprend — et qu'Il faut tenir compte de ce contexte linguistique particulier.
En même temps, nous avons notre propre minorité anglophone à l'intérieur du Québec, mais nous sommes quand même une minorité francophone. Notre langue peut être menacée, il faut la protéger. Nous avons donc la Charte de la langue française et la loi 101 pour protéger la langue française. La Cour suprême le reconnaît.
Comment expliquez-vous qu'on ne reconnaisse pas nécessairement cet aspect, cette spécificité du Québec, à l'intérieur du projet de loi S-3? Il ne semble pas y avoir une volonté du gouvernement, à l'intérieur de ce projet de loi, de protéger davantage la langue française. Comment percevez-vous cette situation?
M. André Braën: Les tribunaux, dont la Cour suprême du Canada, reconnaissent évidemment l'asymétrie linguistique. Ils devront d'ailleurs composer avec elle, ce qui ne sera pas nécessairement très facile, surtout dans le cas de l'accès à l'école anglaise au Québec. C'est aussi une caractéristique qui découle de la législation et de la Constitution. L'article 133 s'applique au Québec et au Parlement canadien. L'article 23, le critère de la langue maternelle pour l'accès de la minorité à l'école, ne s'applique pas dans le cas du Québec. Il y a donc une asymétrie qui est reconnue sur les plans constitutionnel et juridique.
Dans le cadre de la Loi sur les langues officielles et d'un engagement qui lie non pas la province de Québec mais les autorités fédérales, je vois mal comment on pourrait exclure le Québec de l'application. On peut le faire. Le gouvernement canadien n'est pas obligé de légiférer d'un océan à l'autre. Il peut légiférer pour des territoires bien précis, mais je vois très mal comment il pourrait écarter le Québec du champ d'application de cette mesure législative.
On parle du développement des minorités de langue officielle. Or, une minorité de langue officielle existe également au Québec. Par ailleurs, il s'agira de concilier, à mon avis, les droits et les besoins de développement de cette minorité avec les besoins de promotion de la langue française au Québec. Je pense que ce n'est pas impossible, même si c'est délicat.
M. Guy André: La Cour suprême le reconnaît, mais sur le plan législatif parlementaire, on ne le reconnaît pas.
Comment percevez-vous également les alinéas 43(1)d) et f)? À l'alinéa 43(1)f) on peut lire:
f) pour encourager les entreprises, les organisations patronales et syndicales, les organismes bénévoles et autres à fournir leurs services en français et en anglais [...] |
C'est une ingérence directe dans un champ de compétence du Québec.
M. André Braën: C'est l'expression de ce qu'on appelle le pouvoir de dépenser. Le pouvoir de dépenser, en effet, est un facteur conflictuel dans un régime fédéral, mais dans la mesure où il s'exerce, dans la mesure où le gouvernement fédéral a des sous et dans la mesure où il peut les dépenser.
Lorsqu'il s'agit de dépenser ces sous dans des secteurs qui relèvent du gouvernement provincial, évidemment, cela signifie qu'il y aura des négociations. Alors, c'est une intrusion, mais une intrusion qui se fait avec...
M. Guy André: Une intrusion qui pourrait affaiblir la langue française au Québec.
M. André Braën: Non, pas du tout.
M. Guy André: L'application de cette clause pourrait avoir cette conséquence.
M. André Braën: Avec respect, monsieur le député, prenons la Loi sur les langues officielles qui a été adoptée en 1969. D'abord et avant tout, cela était une mesure de promotion du français, car l'usage du français dans l'administration fédérale avant cette époque, y inclus au Québec, était plutôt couci-couça.
Alors, même si on parle de promotion des deux langues officielles, disons qu'on avait en tête la promotion d'une langue plus que l'autre.
À (1000)
M. Guy André: Le français hors Québec...
M. André Braën: Oui. Je ne vois pas pourquoi cela signifierait que, dans le cas du Québec, cela entraînerait automatiquement un affaiblissement de la langue française. Je pense que le développement des minorités...
Il y a une asymétrie sur le plan de la jurisprudence, sur les plans juridique et constitutionnel, mais il y a aussi une asymétrie factuelle. Je pense qu'on ne peut pas du tout comparer la situation de la minorité anglophone de Montréal, par exemple, ses institutions, la force d'attraction de l'anglais et ainsi de suite, avec ce qui se passe ailleurs.
Dans mon esprit, il est évident qu'un gouvernement qui s'engage à promouvoir les deux langues officielles est aussi lié par cette asymétrie factuelle. Me suivez-vous?
S'il est question de protéger l'anglais au Québec, j'ai l'impression que ce n'est pas nécessairement à Montréal qu'il faille le faire, mais plutôt en Gaspésie ou à d'autres endroits où la langue est en train de disparaître. Montréal est un cas particulier. J'ose espérer que les autorités gouvernementales sont conscientes de toute cette situation.
Le président: Merci.
Monsieur Godin.
M. Yvon Godin: Je vais reprendre l'exemple du médecin. Si celui-ci ne prescrit que de l'aspirine, il est peut-être temps de changer de médecin! C'est ce qu'on tente de faire présentement, à mon avis. Le médecin est peut-être compétent pour ce qui est du coeur et de l'éclaircissement du sang, mais l'ensemble des résultats laisse à désirer. Comme on dit chez nous, « à tout le body ».
M. André parlait des associations patronales et syndicales. Or, si on adoptait le projet de loi S-3 tel quel, je ne pense pas qu'une dictature s'installerait dans les provinces et que cela désorganiserait tous les organismes plutôt que de les aider. En réalité, S-3 ne fait pas que déclarer qu'on va les aider, il stipule qu'on a l'obligation de le faire.
Chez nous, au Nouveau-Brunswick, par exemple, les municipalités sont maintenant obligées de servir le public dans les deux langues. Le gouvernement fédéral a alloué des fonds à la province pour que chacune des municipalités soit en mesure de traduire tous les documents. Dans ce cas également, il s'agissait d'aider et non d'handicaper une province.
Par contre, le fait que le gouvernement fédéral ne fasse pas son travail et que nous soyons par le fait même obligés de passer en cour est un vrai problème. C'est ce qui s'est produit dans le cas des inspecteurs des aliments et c'est ce qui se passe présentement dans le cas du centre de recrutement de Bathurst, que le fédéral a décidé de transférer à Miramichi, une région anglophone qui se définit comme telle. Pourtant, depuis 50 ans, la région de Bathurst offre des services bilingues.
Pour conclure, je dirai qu'à mon avis, exclure les provinces, et pas uniquement le Québec, aurait comme effet d'affaiblir la portée du projet de loi. Ce serait plus que jamais un recul.
M. André Braën: Je vous ferai respectueusement remarquer, monsieur le député, qu'on ne peut quand même pas modifier la Constitution canadienne, notamment les articles 91 et 92.
M. Stéphane Bergeron (Verchères—Les Patriotes, BQ): Et voilà!
M. André Braën: Vous avez donné deux exemples, dont celui de l'Agence canadienne d'inspection des aliments, mais ceux-ci se rapportent à l'administration fédérale. Or, il est évident qu'à cet égard, le projet de loi S-3 va ajouter du mordant.
Toutefois, en ce qui concerne l'intervention des services municipaux, les autorités provinciales et le secteur privé, c'est beaucoup plus délicat. Comme on le sait, l'article 43 est l'expression du pouvoir de dépenser. Le fédéral ne peut donc pas s'immiscer de cette façon dans un champ de compétence provincial. On ne pourrait pas prétendre que le projet de loi S-3 permet une telle chose.
À (1005)
M. Yvon Godin: Monsieur le président, j'aimerais aussi faire respectueusement remarquer qu'il ne s'agissait pas du niveau municipal: je parlais de la province qui invitait le fédéral à venir dépenser de l'argent chez elle pour lui venir en aide.
M. André Braën: Oui.
M. Yvon Godin: Il n'était pas question de s'immiscer sans raison dans des champs de compétence provinciaux.
M. André Braën: C'est justement ce que je disais. Pour que cet argent soit dépensé dans des secteurs qui sont de compétence provinciale, il doit automatiquement y avoir des négociations avec les provinces intéressées. Dans cette optique, les choses ne peuvent se faire de façon unilatérale.
M. Yvon Godin: Revenons à ce que disait M. Doucet et imaginons qu'on exclue les provinces. Le gouvernement fédéral pourrait alors dire qu'en raison de cette exclusion prescrite par la loi, il ne peut plus intervenir à l'échelle provinciale. Ce n'est pas le cas présentement, mais si on adopte cela...
M. André Braën: Selon moi, la Loi constitutionnelle est la loi fondamentale du pays.
M. Yvon Godin: Cela signifie qu'on n'a pas besoin d'exclure les provinces.
M. André Braën: Non, dans la mesure où il y a un partage des compétences qui est prévu. La seule façon de modifier ce partage est de suivre le processus d'amendement prévu dans la Loi constitutionnelle de 1982. Je vois mal comment on pourrait utiliser une loi fédérale pour dire que le gouvernement fédéral peut s'immiscer dans des secteurs de compétence provinciaux et faire ce qu'il veut. Sinon, c'est tout mon cours de droit constitutionnel qui doit être revu.
M. Yvon Godin: Il faudra consulter un bon médecin.
M. André Braën: Parfois, il peut être difficile de le trouver. Mais il y en a quand même de bons.
Des députés: Ah, ah!
M. Yvon Godin: Il serait donc inutile d'ajouter qu'on exclut le Québec ou les provinces, puisqu'on est déjà protégés par la Constitution.
M. André Braën: Je ne crois pas que ce soit inutile, parce que...
M. Yvon Godin: Dites-vous qu'on devrait le faire?
M. André Braën: Je crois que c'est bien tel quel. Je vais vous dire pourquoi.
M. Yvon Godin: Il y a un amendement du Bloc québécois voulant exclure le Québec.
M. André Braën: À mon avis, c'est impensable. Comment pourrait-on vendre le fait que la minorité anglophone du Québec ne puisse pas compter sur l'engagement du gouvernement fédéral? Je conçois mal cela, puisque c'est un engagement fédéral, et non provincial. À partir de là, je ne crois pas qu'on puisse exclure une province en tant que telle. Dans ma tête, c'est clair.
M. Yvon Godin: Merci.
Le président: Nous commençons maintenant le troisième et dernier tour de table.
Monsieur Bergeron.
M. Stéphane Bergeron: Merci, monsieur le président.
Je vais revenir sur l'analogie du médecin. Je pense qu'il y a un danger que le projet de loi S-3 devienne une espèce de placebo pour les communautés francophones et acadienne. Je vais reprendre l'exemple de M. Godin. J'ai été instructeur pour les cadets de la marine à Sainte-Angèle-de-Laval pendant quelques années. Lorsqu'un jeune avait un problème, que ce soit un mal de tête ou une écorchure à un genou, on l'envoyait à l'infirmerie et on lui donnait du Cepacol. J'imagine qu'il y avait là une volonté d'administrer une espèce de placebo. Il faudrait éviter, pour reprendre l'analogie du médecin, que le projet de loi S-3 devienne une espèce de placebo.
Vous évoquiez tout à l'heure la capacité des autorités gouvernementales de prendre en considération la situation linguistique. Je ne doute pas de la capacité des autorités gouvernementales de prendre en considération la situation linguistique dans chacune des provinces. Par contre, je doute de la capacité des tribunaux de prendre en considération la situation linguistique, si le cadre législatif est très précis et ne permet pas une telle interprétation. C'est pour cette raison que je suis inquiet par rapport au projet de loi S-3 tel que nous l'avons sous nos yeux.
Je reviens à l'exemple que donnait M. Godin il y a quelques instants. Dans l'alinéa 43(1) f) de la Loi sur les langues officielles, on parle d'encourager les entreprises, les organisations patronales et syndicales, les organismes bénévoles, etc. Je veux bien que le gouvernement fédéral encourage les entreprises à fonctionner dans l'autre langue officielle du Canada, sauf que, dans le cas du Québec, cela va carrément à l'encontre de la Charte de la langue française.
Vous avez évoqué à juste titre le fait que la partie VII de la Loi sur les langues officielles va bien au-delà des champs de compétence du fédéral et des institutions fédérales. C'est le problème que nous y voyons. Il y a une espèce de reconnaissance implicite de la capacité du gouvernement fédéral de dépenser dans les champs de juridiction des provinces, ce qui pourrait aller à l'encontre de certaines législations provinciales. Au Québec, comme M. André le mentionnait il y a quelques instants, il y a, bien sûr, une majorité francophone, mais une majorité francophone qui constitue une minorité en Amérique du Nord.
Il est donc nécessaire de protéger cette minorité qui est à la fois une majorité, et il y a une Charte de la langue française pour protéger cette majorité, qui constitue une minorité dans l'ensemble nord-américain. Or, ne verra-t-on pas le gouvernement fédéral, en vertu de l'alinéa 43(1)f) par exemple, intervenir en contravention flagrante aux dispositions de la Charte de la langue française? C'est ce qui nous préoccupe. Nous souhaitons voir le gouvernement fédéral encadrer sa capacité d'intervention dans les juridictions des provinces.
Il a été question de l'amendement de M. André pour permettre au Québec de se retirer. Il y a eu l'amendement de M. Lauzon pour faire en sorte de respecter les juridictions provinciales. Mardi, M. Doucet nous parlait d'un amendement selon lequel on prendrait en considération la situation linguistique des différentes provinces. Comment voyez-vous cela?
À (1010)
M. André Braën: Je pense que le projet de loi S-3 sera — et doit — être perçu comme encourageant en particulier le développement de la minorité francophone hors Québec. Il y a une asymétrie sur le plan linguistique. La réalité est telle que l'anglais a peut-être moins besoin de promotion au Québec que le français n'en a besoin ailleurs au Canada. Le gouvernement fédéral l'a déjà reconnu, je pense. Le Commissariat aux langues officielles et les tribunaux le reconnaissent. On a tous reconnu la légitimité, pour le gouvernement du Québec — compte tenu de la situation de la province du Québec —, de promouvoir le français.
Pour moi, le projet de loi S-3 ne constitue pas une attaque contre la promotion du français. Au contraire, il vise à faire la promotion du français ailleurs. Je n'ai pas la même perspective que vous à ce sujet.
La réalité est telle que dans notre pays, une des deux langues officielles est bien souvent ignorée ou laisse tout à fait indifférent, et ce n'est pas l'anglais. Le projet de loi S-3 devrait permettre aux autorités fédérales d'assurer un développement un peu plus harmonieux à cet égard.
Je vois mal comment le projet de loi S-3 pourrait être perçu comme étant une tentative — imaginez de quoi cela aurait l'air sur le plan politique —, de la part des autorités fédérales, de promouvoir la langue anglaise au Québec. Des études récentes mises de l'avant par le Conseil supérieur de la langue française du Québec ont démontré que, presque 30 ans après la Loi 101, la majorité des immigrants, soit 57 p. 100 d'entre eux, adoptent l'anglais au Québec, et ainsi de suite. Dans une telle situation, je vois mal comment on pourrait se servir du projet de loi S-3 pour promouvoir davantage l'anglais, alors que c'est la langue française qui doit être promue, y inclus au Québec.
À mon avis, le projet de loi S-3 vise d'abord et avant tout le développement des minorités francophones.
M. Stéphane Bergeron: Ce n'est pourtant pas ce que dit le libellé de la loi, où il est plutôt question de faire la promotion des minorités francophones et anglophone au Canada.
M. André Braën: En effet.
M. Stéphane Bergeron: Je comprends l'interprétation que vous en faites, et je vous en sais gré. Le problème, c'est que ce n'est pas ce que dit le texte du projet de loi.
Je me dis — et c'est un peu ce que disait M. Doucet mardi — qu'il y a peut-être lieu, effectivement, d'inclure une disposition dans le projet de loi en vertu de laquelle on enjoindrait les tribunaux de tenir compte de la situation linguistique, ne serait-ce que pour rassurer celles et ceux qui, comme moi, ne sont pas nécessairement rassurés.
Je comprends votre argument et je dois dire que je le partage. Je suis tout à fait d'accord avec vous que la Loi sur les langues officielles doit d'abord et avant tout servir à la défense et à la promotion des communautés francophones et acadienne du Canada. Cela dit, ce n'est pas nécessairement ce que dit le texte. Le titre de la partie VII de la Loi sur les langues officielles est: « PROMOTION DU FRANÇAIS ET DE L'ANGLAIS ». Indépendamment de l'interprétation que vous en faites, le texte de la loi est assez clair.
M. André Braën: Cela se comprend, aussi. Dans la mesure où il y a une dualité et deux langues officielles, il est difficile de n'en promouvoir qu'une seule.
M. Stéphane Bergeron: Je comprends tout cela.
Cependant, il faudrait peut-être s'assurer d'inclure, dans le projet de loi, une disposition enjoignant les tribunaux de tenir compte de la situation linguistique, afin d'éviter qu'il puisse y avoir une interprétation beaucoup moins généreuse — disons cela comme ça — que la vôtre.
À (1015)
M. André Braën: Avec votre permission, monsieur le député, je dirais que les tribunaux sont habitués à faire du cas par cas. Si on prend la question scolaire, par exemple, on fait du cas par cas. On n'essaie pas d'insuffler une vision a mari usque ad mare, on fait du cas par cas. On vérifie si des droits existent et on détermine comment mettre en oeuvre, compte tenu du contexte, ces droits en tant que tels. Le pouvoir judiciaire, c'est-à-dire les tribunaux, a déjà pour habitude de tenir compte des disparités et de l'asymétrie.
Par ailleurs, comme je le disais tout à l'heure, il y a déjà des interventions du Parlement et du gouvernement qui reconnaissent de façon officielle le cas particulier du Québec. Encore une fois, compte tenu du fait qu'il s'agit d'institutions fédérales, je vois mal comment on pourrait exclure une province en particulier ou une minorité.
M. Stéphane Bergeron: Je ne parle pas d'exclure une minorité, je parle de tenir compte de la situation linguistique.
M. André Braën: Oui.
Le président: Merci.
On poursuit avec M. Simard et on terminera avec M. Godin.
Monsieur Simard.
L'hon. Raymond Simard (Saint Boniface, Lib.): Merci beaucoup, monsieur le président.
Bienvenue, monsieur Braën.
M. Doucet nous mentionnait la possibilité que la Cour suprême rende une décision sur la question au mois de décembre. Vous avez mis au clair que ce pourrait être d'ici un an et demi ou deux ans. Vous avez aussi précisé que les cours ont un rôle à jouer, tout comme le corps législatif. On a donc deux rôles différents. En effet, c'est le rôle de la législature d'établir les modalités ou les moyens. Il faudra donc le faire aujourd'hui ou dans deux ans, peut-être après la décision de la Cour suprême.
Nous avons ici, à ce comité, en tant que députés, la chance d'établir ces modalités, ces moyens, et de le faire immédiatement. Ma première question est la suivante. Le projet de loi S-3 ou des projets similaires ayant été défaits trois ou quatre fois au Parlement, considérez-vous que c'est maintenant l'occasion pour les députés de trancher cette question?
Voici maintenant ma deuxième question. Ces modalités et ces moyens étant aussi justiciables, comment cela peut-il affaiblir le projet de loi sur les langues officielles dans sa forme actuelle, si on est prêts à établir et clarifier ces modalités?
M. André Braën: Par exemple, il pourrait se produire des situations où il serait clair que le gouvernement veut immédiatement suivre tout un processus qui serait prévu dans un texte législatif, sans tenir compte de la vérification et ainsi de suite. Si vous ne le faites pas, vous devenez justiciables et vous pouvez faire l'objet de recours devant les tribunaux. Dans la mesure où une disposition générale insiste sur le caractère obligatoire d'un engagement et où vous permettez au gouvernement de choisir les moyens pour les remplir — selon les cas et en tenant compte des disparités —, vous devenez moins justiciables devant les tribunaux, parce qu'on reconnaît qu'il s'agit d'une « prérogative » du gouvernement. Tout ce qu'on veut, c'est que vous agissiez.
Si vous commencez à détailler la façon de faire les choses, vous créez un cadre plus rigoureux. Ce serait peut-être mieux! Mais il est certain que si vous ne le respectez pas — et encore une fois, il peut se présenter des situations où il est peut-être préférable d'agir d'une certaine façon —, dans tous les cas, vous deviendrez justiciables devant les tribunaux.
L'hon. Raymond Simard: Vous venez de dire quelque chose d'intéressant. Il serait peut-être préférable d'établir un processus rigoureux.
C'est ce que nous sommes en train de faire ce matin: établir un processus en consultant les gens et tenir compte des résultats des consultations. Je trouve en effet que cela établit un processus qu'on doit suivre et que cela crée une certaine obligation. Êtes-vous d'accord?
M. André Braën: Oui, mais il faut faire attention parce qu'il n'y a pas de symétrie, et les obligations de l'administration fédérale peuvent varier selon qu'on soit à Goose Bay, à Surrey ou à Magog. Je crois qu'il faut laisser un peu de latitude aux autorités.
Il faut aussi que le Parlement fasse confiance au gouvernement. Le Parlement doit indiquer la direction à suivre et ensuite dire au gouvernement de faire son travail.
À (1020)
L'hon. Raymond Simard: Je reviens à ma deuxième question. Si on réussit à définir ici, au comité, des moyens et des modalités, comment cela peut-il affaiblir le projet de loi dans son état actuel? Le commentaire de M. Doucet m'a vraiment frappé. Le but de ce comité n'est certainement pas d'affaiblir la Loi sur les langues officielles. Je voudrais donc m'assurer qu'en établissant notre processus ici, on renforce le projet de loi pour les communautés en milieu minoritaire.
M. André Braën: Le projet de loi original dit tout simplement que l'engagement est exécutoire. Sur le plan juridique, on reconnaît que le choix des moyens est laissé aux autorités gouvernementales. Il y a donc là une souplesse qui est dévolue à l'administration.
Par ailleurs, dans l'amendement que j'ai devant moi, on dit:
(2) En vue de la mise en oeuvre de cet engagement, chaque institution fédérale dont le nom figure à l'annexe veille à ce que les mesures ci-après soient prises dans le cadre [...]: |
Ensuite, on détaille les mesures:
a) vérifier l'incidence de chaque politique [...]; |
b) consulter les organismes intéressés, notamment ceux qui représentent les minorités francophones et anglophones du Canada, si elle le juge indiqué; |
c) tenir compte de la conclusion [...] |
Cela veut dire que chacun de ces mots devient justiciable. Par exemple, il pourrait arriver que l'administration fédérale ait consulté des organismes intéressés, mais qu'elle ait jugé que tel organisme n'était pas un organisme intéressé. Alors, cela deviendrait justiciable devant les tribunaux dans la mesure où l'organisme qui n'aurait pas été consulté et qui serait mécontent irait en cour pour dire qu'on n'a pas respecté la loi, puisque la loi dit que le gouvernement doit consulter les organismes intéressés.
Avec ce genre de modalité, vous mettez de l'avant une sorte de carcan qui risque de compliquer davantage les choses.
Depuis le temps qu'on s'obstine et qu'on s'interroge sur le sens à donner à la partie VII et à l'article 41, disons tout simplement aujourd'hui quelle est la nature réelle de cet engagement et disons au gouvernement d'y aller et de rendre compte de ses faits et gestes dans ce domaine.
Comprenez-vous ma réticence quant aux détails des modalités instituées? Plus vous en mettez, plus vous risquez de faire l'objet de recours judiciaires.
L'hon. Raymond Simard: Merci beaucoup, monsieur le président.
Le président: Merci, monsieur Simard.
On termine avec vous, monsieur Godin.
M. Yvon Godin: Le projet de loi S-3 devient précis. La cour va entendre la cause des inspecteurs de l'alimentation le 8 décembre seulement. La décision sera peut-être rendue 12 mois plus tard. Mais c'est exactement cela. Au lieu d'avoir une loi déclaratoire, on veut qu'elle soit exécutoire. Comme le sénateur Gauthier le dit, il faut une loi avec du mordant, et celle-ci n'en a pas.
M. André Braën: C'est ça.
M. Yvon Godin: Je ne veux pas faire une autre blague, mais elle a perdu son dentier.
En ce qui concerne les amendements du gouvernement, à partir du moment où on commence à parler de différentes choses, on ne peut pas toutes les énumérer et on risque d'en perdre. La Loi sur les langues officielles touche à des choses que l'on vit chaque jour. On continue et on évolue aussi. Avec les générations qui viennent, d'autres choses qui se passent. Je vois d'un mauvais oeil qu'on commence à inclure des amendements qui vont mettre des menottes plutôt que de faire avancer le dossier. C'est un dossier assez long. Cela prend du temps. Nous sommes en 2005. Nous, les Acadiens, sommes venus ici en 1600.
M. André Braën: Je suis tout à fait d'accord avec vous. Il faut bien se souvenir d'une chose: l'objectif de la partie VII est l'égalité des deux langues officielles et l'égalité des deux communautés de langue officielle ou le développement des minorités de langue officielle.
De façon concrète et pratique, qu'est-ce que cela signifie? On ne peut pas donner une réponse définitive et absolue à cela. La réponse va dépendre des circonstances, des contextes et ainsi de suite. Si on met un cadre trop détaillé, on risque de s'emprisonner et de ne pas être en mesure de répondre à chacune des situations qui pourraient se présenter.
On parle beaucoup de recours devant les tribunaux, mais il ne faut pas oublier que le Commissariat aux langues officielles peut, lui aussi, intervenir dans ce domaine. Je pense que le commissariat a toujours joué un rôle extrêmement important à cet égard. Il faut effectivement avoir en tête la réaction possible des tribunaux, mais il y a aussi le Commissariat aux langues officielles. Mettons de l'avant un objectif clair, et que le gouvernement agisse.
À (1025)
Le président: Merci beaucoup, monsieur Godin.
Monsieur Braën, merci beaucoup de votre présence.
M. André Braën: C'est moi qui vous remercie.
Le président: Merci d'avoir répondu à nos questions et d'avoir discuté avec nous de ce thème important.
Je vous accorde deux minutes de repos. Je demande aux gens qui ne participeront pas à la séance à huis clos de quitter la salle. On procédera ensuite à une période de huis clos pour discuter de nos travaux futurs.
Merci.
[La séance se poursuit à huis clos.]