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Je déclare ouverte cette séance du Comité permanent de la justice et des droits de la personne.
Nous sommes le mardi 4 mars 2008. Conformément à l’ordre de renvoi du lundi 28 janvier 2008, le comité étudie aujourd’hui le projet de loi C-31, Loi modifiant la Loi sur les juges.
L’honorable Rob Nicholson, ministre de la Justice, comparaît aujourd’hui comme témoin. Je vous remercie, monsieur le ministre, d’être venu au comité aujourd’hui. Nous avons également, du ministère de la Justice, Mme Judith Bellis, avocate générale, Service des affaires judiciaires, des cours et des tribunaux administratifs, ainsi que M. David Near, conseiller à la magistrature.
Je vous souhaite la bienvenue.
Je crois que nous avons aussi un autre témoin, Mme Catherine McKinnon...
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Merci beaucoup, monsieur le président. Je vous remercie de m’avoir invité à vous présenter quelques observations au sujet du .
C’est probablement l’une des mesures législatives les plus courtes que votre comité aura l’occasion de voir. Elle est claire et précise. Elle apporte une seule modification à la Loi sur les juges, mais je crois que cette modification aura des effets positifs dans tout le pays puisque nous augmentons de 20 le nombre de juges prévu dans cette disposition de la loi. La modification permettra de nommer de nouveaux juges à un moment où tout le monde dans le pays s’entend, je crois, pour dire que nous pouvons en utiliser un plus grand nombre.
Le projet de loi permettra au gouvernement d’atteindre deux objectifs très importants. Il augmentera l’appui et l’accès à la justice pour tous les Canadiens. De plus, la nomination de juges supplémentaires favorisera un règlement plus rapide des revendications particulières.
La version proposée de l’alinéa 24(3)b) de la Loi sur les juges, qui traite de ce que nous appelons le bassin, confère au gouvernement le pouvoir de nommer des juges aux tribunaux supérieurs de première instance de toute juridiction du Canada. Comme vous le savez sans doute, le bassin avait été créé dans les années 1970 parce qu’on avait fini par admettre qu’il était difficile de modifier la Loi sur les juges chaque fois qu’on avait besoin d’un magistrat supplémentaire. C’est ainsi que nous en sommes venus à constituer un bassin de juges.
Le bassin avait pour but de permettre au gouvernement de réagir rapidement aux besoins de chaque province ou territoire. Je peux vous dire que l’Ontario, le Nouveau-Brunswick, la Nouvelle-Écosse et Terre-Neuve-et-Labrador ont déjà présenté des demandes de juges supplémentaires, de même que d’autres provinces.
Les demandes arrivent au fil des ans. Certaines juridictions ont profité de moyens perfectionnés de collecte de données pour justifier leurs besoins, tandis que d’autres ont travaillé fort afin de recueillir l’information nécessaire pour appuyer leur demande. Dans tous les cas, les juges en chef, les juges, le personnel judiciaire et les fonctionnaires provinciaux ont déployé des efforts considérables pour démontrer d’une façon probante que nous avons besoin d’un plus grand nombre de juges.
L’appareil judiciaire et le gouvernement du Québec et du Nunavut ont également demandé des juges supplémentaires pour leurs tribunaux supérieurs et ont produit des données claires et complètes à l’appui de leur demande.
Au Québec, l’augmentation du nombre d’affaires relevant du droit civil et du droit de la famille exerce des pressions sur la Cour supérieure depuis plusieurs années. Le projet de loi permettra de lui accorder une aide dont elle a besoin depuis longtemps.
Les pressions qui s’exercent sur la Cour de justice du Nunavut sont particulièrement fortes et urgentes. La Cour a trois juges résidents ainsi que des juges suppléants venant d’autres provinces et territoires. Il s’agit de juges en exercice ou à la retraite de tribunaux supérieurs, qui offrent de siéger au Nunavut, ordinairement pendant une période d’une semaine. Ils aident beaucoup la Cour de justice, mais ne peuvent pas vraiment répondre d’une façon complète aux besoins du territoire.
Comme vous pouvez l’imaginer, la géographie a d’énormes incidences sur le travail de la Cour de justice du Nunavut. Le territoire couvre un cinquième de la superficie du pays, deux millions de kilomètres carrés, et sa population d’environ 29 500 habitants est dispersée entre des collectivités de 150 à 6 000 habitants. Les juges du Nunavut voyagent souvent en circuit en empruntant différents modes de transport: l’avion, la motoneige ou le bateau. Les taux de criminalité sont également une source de préoccupation dans le Nord. Le nombre de procès criminels complexes commence à augmenter, et beaucoup d’entre eux ont été reportés au cours de l’année dernière par manque de juges. La charge de travail civile et familiale augmente également. Avec le développement d’un barreau d’avocats résidents, le nombre d’affaires devant les tribunaux continuera à monter. Bref, la situation à la Cour de justice du Nunavut risque de devenir critique. Nous ne pouvons pas la laisser se détériorer davantage.
Nous nous proposons de répartir 14 des nouvelles nominations parmi les juridictions afin d’affronter les pressions et les arriérés. Le projet de loi fournira en outre les ressources judiciaires nécessaires pour permettre aux tribunaux supérieurs des provinces de mettre des juges à la disposition du nouveau Tribunal des revendications particulières dont la création est proposée.
L’un des premiers objectifs du nouveau tribunal est d’assurer un règlement rapide et impartial de ces revendications. Le tribunal sera habilité à rendre des décisions sur des revendications particulières présentées par des Premières nations, mais pour lesquelles les négociations ont été rejetées ou ont échoué.
Comme le premier ministre l’a dit en juin 2007, il est essentiel que les membres du tribunal aient l’expérience, les capacités et la crédibilité nécessaires pour examiner les faits et les preuves historiques. Ils doivent être en mesure de répondre aux questions complexes entourant les obligations juridiques du Canada et de fixer des niveaux d’indemnisation appropriés. C’est pour cette raison que le projet de loi sur le Tribunal des revendications particulières prévoit la nomination de juges de juridiction supérieure.
On estime que le tribunal aura besoin de l’équivalent de six juges à temps plein pour s’occuper de sa charge de travail évaluée à 40 revendications par an. Ces revendications se situent un peu partout dans le pays, mais c’est en Colombie-Britannique qu’il y aura le plus grand nombre, tandis que les affaires les plus complexes viendront de l’Ontario et du Québec.
Toutes les cours supérieures provinciales travaillent actuellement à plein rendement, et certaines d’entre elles connaissent, comme je viens de le dire, des retards et des arriérés importants. Par conséquent, le gouvernement demande le pouvoir de nommer six juges supplémentaires dans les tribunaux supérieurs de première instance afin de leur permettre d’absorber en priorité la nouvelle charge de travail du Tribunal des revendications particulières.
Grâce aux nouvelles ressources prévues dans le projet de loi, les tribunaux devraient être en mesure de permettre à un certain nombre de leurs juges expérimentés d’être inscrits sur une liste pouvant compter 18 juges. Ces derniers pourront siéger à temps partiel au Tribunal des revendications particulières pendant des périodes qui donneront au tribunal l’équivalent du nombre prévu de juges à temps plein. Les juges figurant sur la liste passeront le reste de leur temps à s’occuper des affaires qui leur seront attribuées, comme d’habitude, par le juge en chef de leur propre cour.
La répartition des 20 nouveaux juges entre les juridictions se fera après des consultations avec les juges en chef des cours supérieures ainsi qu’avec les gouvernements provinciaux et territoriaux. Les fonctionnaires du ministère de la Justice ont déjà commencé à en discuter avec leurs homologues des provinces et des territoires afin d’obtenir des données à jour pouvant servir de base aux décisions finales qui seront prises.
Comme vous pouvez le voir, monsieur le président et membres du comité, ce projet de loi est extrêmement important pour les Canadiens et, en particulier, pour les collectivités autochtones. J’espère que les membres du comité comprendront l’urgence qu’il y a à faciliter l’adoption de cette mesure législative pour que les nouveaux juges puissent être nommés le plus tôt possible et que nous puissions donner accès à la justice à ceux qui en ont besoin.
Avant de conclure, monsieur le président, je voudrais également informer le comité qu'il sera probablement nécessaire d’apporter une modification au . La modification a trait à la création de la Commission de la vérité et de la réconciliation.
Comme les membres du comité le savent, cette commission donnera aux anciens élèves, aux familles et à tous ceux qui ont été touchés par l’affaire des pensionnats indiens la possibilité de parler de leur expérience d’une façon sûre et culturellement adaptée. La commission permettra d’établir un compte rendu historique complet des politiques et du fonctionnement des pensionnats ainsi que de ce qui est arrivé aux enfants indiens, métis et inuits qui y ont été envoyés. La commission doit clairement s’acquitter d’importantes responsabilités au cours de son mandat de cinq ans.
Après un processus rigoureux, le jury de sélection a proposé à l’unanimité le nom d’un juge en exercice comme président de la Commission de la vérité et de la réconciliation. C’est un magistrat qui est respecté aussi bien par la communauté autochtone que par les non-Autochtones et dont les compétences conviennent très particulièrement à ces fonctions.
Toutes les parties à la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens appuient la nomination de ce juge à cet important poste. Toutefois, cette nomination laisserait l’un des tribunaux les plus occupés du pays à court d’un juge pendant une période de cinq ans. Pour éviter cet effet pervers, il faudrait modifier le afin d’apporter un amendement supplémentaire à l’une des dispositions de la Loi sur les juges. Nous continuerons à étudier les questions liées à cet amendement. Si nous décidons de le présenter, nous le ferons à l’étape du rapport.
C’était là mon exposé préliminaire, monsieur le président. Si les membres du comité ont des questions à poser, mes collègues et moi serons heureux d’y répondre.
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Merci, monsieur le président. Je vous remercie, monsieur le ministre, de votre exposé.
Comme vous le savez, monsieur le ministre, le caucus libéral a appuyé ce projet de loi à l’étape de la deuxième lecture. Nous convenons avec vous qu’il s’agit d’une mesure importante destinée à améliorer l’accès au système judiciaire. Le processus de règlement des revendications particulières engendrera évidemment des pressions supplémentaires. Les renseignements et les chiffres que vous avez présentés sont certainement très convaincants.
D’après les renseignements que je tiens d’anciens partenaires et de membres de la profession que je connais dans ma province, le Nouveau-Brunswick – je crois que vous et vos fonctionnaires le savez également –, les retards se situent souvent au niveau des tribunaux de la famille. J’ai entendu à plusieurs reprises le juge en chef parler des pressions qui s’exercent sur le tribunal unifié de la famille. Je sais qu’une partie de la planification et des demandes concernait les tribunaux de la famille de certaines provinces, comme la mienne.
Pour toutes sortes de raisons, les charges de travail ont augmenté. Je suppose que vous avez l’intention de vous occuper de l’arriéré des tribunaux de la famille, en consultation avec les juges en chef. Dans certaines juridictions du Nouveau-Brunswick, les gens doivent attendre huit mois pour obtenir une ordonnance provisoire. De toute évidence, ce n’est pas une situation idéale dans les circonstances difficiles qui entourent les affaires familiales.
J’aimerais bien savoir ce que vous pensez de cela, monsieur le ministre.
Il y a aussi la question de la composition linguistique des tribunaux au Nouveau-Brunswick. Comme vous le savez, ma province est la seule du Canada qui soit officiellement bilingue. Certains districts judiciaires subissent des pressions linguistiques plus fortes que d’autres, même dans ma province. J’espère donc que vous serez sensible à ce problème quand vous procéderez à ces nominations et à d’autres et que vous tiendrez compte dans certains cas de la composition linguistique... Il ne suffit pas toujours d’avoir un anglophone qui dit qu’il parle le français ou un francophone qui affirme qu’il parle l’anglais. Beaucoup de plaideurs ne voudront pas comparaître devant un tribunal s’ils pensent que le juge ne comprendra pas les subtilités de leur langue. Cela explique aussi que le rôle de certains tribunaux soit surchargé.
Je me demande si vous êtes disposé à rechercher un certain équilibre. Comme je l’ai dit, chaque province a une situation différente. Au Nouveau-Brunswick, je sais que le barreau s’inquiète de cette question. Je voudrais donc savoir si vous en êtes conscient.
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Merci beaucoup. Ce projet de loi a pour but de créer un bassin de juges. Il ne vise pas directement le tribunal unifié de la famille. Toutefois, comme vous le savez, les juges des tribunaux supérieurs de toutes les provinces sont de toute façon saisis d’affaires de divorce et de droit de la famille. Par conséquent, le fait d’ajouter des juges dans une province ou un territoire réduira à mon avis les pressions qui s’exercent.
En ce qui concerne le Nouveau-Brunswick et les nominations qui nous y avons faites, nous sommes sensibles aux problèmes que vous avez mentionnés. Je peux vous dire que nous discutons constamment avec le juge en chef pour nous assurer de répondre aux besoins des gens de la province.
Je répète encore une fois que nous sommes conscients du problème. Je crois qu’un examen des nominations faites par le gouvernement, surtout au Nouveau-Brunswick, montrera que nous avons essayé d’en tenir compte.
Nous estimons bien sûr que le bilinguisme constitue un atout. Il ne s’agit pas seulement de francophones qui prétendent connaître l’anglais. En examinant les demandes, nous trouvons des gens qui connaissent couramment les deux langues. Bien entendu, nous sommes sensibles aux subtilités de chaque langue et nous en tenons compte lorsque nous faisons des nominations dans votre province, comme partout ailleurs dans le pays, sur la base des besoins.
De toute façon, nous ne prenons pas les décisions tout seuls. Nous sommes évidemment sensibles au problème, mais nous en discutons avec le juge en chef pour être sûrs de répondre aux besoins.
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Bien sûr, monsieur Petit, l’intervention des Premières nations renforcera la crédibilité de tout processus touchant leurs droits. Les discussions sont principalement dirigées par mon collègue, le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, M. Chuck Strahl, et précédemment par M. Jim Prentice. Les Premières nations sont pleinement au courant du processus que nous avons entrepris et qui bénéficie d’un large appui.
J’ai mentionné, dans la conclusion de mon exposé préliminaire, la Commission de la vérité et de la réconciliation, qui aura évidemment d’énormes incidences pour les Autochtones du Canada. J'ai dit que ceux-ci appuient le choix de la personne que nous envisageons de nommer à la tête de la commission.
Encore une fois, je ne suis pas ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, mais le processus doit certainement bénéficier de l’appui des intervenants. Je suis très heureux du travail accompli par mes collègues dans ce dossier. Je crois que n’importe qui au Canada conviendra que la situation actuelle, dans laquelle le nombre des revendications augmente, la période de règlement de chacune est très longue et le processus n’assure ni aboutissement ni justice aux intéressés, ne sert l’intérêt de personne.
Bref, la nomination de ces nouveaux juges au tribunal des revendications particulières bénéficie d’un vaste appui, de même que la nomination de la personne que nous envisageons comme président de la Commission de la vérité et de la réconciliation. Toutes ces choses sont faites en consultation avec les Autochtones du Canada, et nous en sommes très satisfaits.
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Nous avons régulièrement des vacances à remplir.
Je voudrais encore une fois vous remercier de vos observations, monsieur Murphy, concernant les juges dont nous avons proposé la nomination. Nous tenons compte d’un certain nombre de choses. Un de vos collègues a mentionné la nécessité de tenir compte des personnes qui connaissent les deux langues officielles ou de choisir des gens qui peuvent répondre aux besoins de collectivités particulières.
Depuis que j’ai assumé mes fonctions, nous avons nommé 146 juges. Je m’attends à ce que des vacances se produisent assez régulièrement. Avec les modifications à la Loi sur les juges – vous vous souviendrez qu’avant Noël, nous avons eu une augmentation considérable du nombre de juges qui sont devenus surnuméraires ou ont pris leur retraite –, de nouvelles pressions s’exercent. Nous avons constamment essayé d’éviter de nous limiter à remplir des quotas ou à respecter des calendriers. Nous tenons beaucoup à choisir les personnes qu’il faut, à trouver les personnes les plus qualifiées qui font honneur à leur pays en assumant cette énorme responsabilité. Nous prenons notre rôle très au sérieux.
Je répète que les 20 postes supplémentaires dont nous parlons ici s’ajoutent aux postes qui existent et aux postes vacants. S’il y a des vacances, au Nouveau-Brunswick par exemple, nous nous efforçons de les remplir le plus rapidement possible. Ensuite, aussitôt que ce projet de loi sera adopté, nous aurons des discussions avec les juges en chef de tout le pays pour répartir les nouveaux postes ajoutés au bassin.
J’espère que cela répond à votre question.