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Merci, monsieur le président et honorables membres du comité. Je tiens à vous remercier de l'occasion qui m'est donnée de vous adresser la parole aujourd'hui.
Bon nombre d'entre vous savez déjà que l'ACCP profite de l'occasion pour comparaître devant votre comité et le comité sénatorial pour discuter d'une vaste gamme de projets de loi. En fait, des membres de notre association ont comparu devant le comité pour discuter de plusieurs projets de loi que vous avez récemment examinés, de même que moi-même et mon collègue, comme vous vous en souviendrez certainement.
Par contre, il s'agit de la première fois, à notre souvenance, que nous comparaissons devant le comité pour discuter d'un projet de loi d'initiative parlementaire. Nous vous demandons de prendre acte de la présence de l'ACCP, car nous souhaitons vous faire part de nos graves préoccupations au sujet du libellé de certains articles du projet de loi.
Avant d'aller plus loin, je voudrais préciser, tout d'abord, que l'ACCP comprend très bien ce qui a pu motiver l'élaboration de ce projet de loi . La presse et les journalistes qui exercent cette profession qualifiée de quatrième pouvoir font partie intégrante d'une société libre et démocratique, leur rôle étant d'obliger le gouvernement et ses institutions à rendre des comptes à la population et à se soumettre à l'examen du public.
Au sein du milieu policier, nous sommes tout à fait conscients de l'importance des responsabilités des institutions à l'égard du public et des services assurés à nos citoyens par les médias. Il est évident que, pour bien faire leur travail, les journalistes ne doivent être sujets à aucune ingérence d'ordre politique ou autre. Il convient de préciser, d'entrée de jeu, que la communauté policière ne s'oppose pas au principe du privilège journalistique. D'ailleurs, il s'agit déjà d'un principe bien établi de la common law.
Par contre, il convient également de noter que la codification d'un tel privilège doit être encadrée de façon à décrire avec précision les limites de ce privilège, et non pas à soustraire potentiellement à l'examen des autorités policières les communications ou documents illégaux dont ces dernières ont besoin pour mener à bien des enquêtes et des poursuites, si bien que les valeurs mêmes qu'on cherche à protéger se trouvent discréditées.
Comme les membres du comité le savent fort bien, dans toutes les sphères d'activité et dans le contexte du cadre juridique que nous acceptons de respecter, il convient de trouver l'équilibre appropriée entre les droits et les pouvoirs d'une institution et ceux de l'autre. Les rédacteurs législatifs et vous, honorables membres du comité, devez songer à l'équilibre qu'il convient de prévoir chaque fois que vous proposez ou adoptez des projets de loi.
Dans le cas du projet de loi C-426, un certain nombre d'amendements très importants s'imposent avant que la mesure proposée ne puisse remplir cette condition. Permettez-moi, toutefois, de faire deux observations générales avant de vous en donner les détails.
Notre association vous fait remarquer que, jusqu'ici, les tribunaux et le législateur ont évité d'élargir les protections génériques accordées, par exemple, relativement au secret professionnel de l'avocat et au privilège de l'indicateur. Selon nous, cette décision doit s'appuyer sur le niveau approprié de consultation et de débat public au sujet des éléments de cette politique d'intérêt public. Or cela ne s'est pas produit dans ce cas-ci, et à notre avis, cela s'impose. Il n'y a pas eu suffisamment de débat sur la question, et nous vous exhortons à envisager de combler cette lacune.
Deuxièmement, nous estimons que le projet de loi, tel qu'il est actuellement rédigé, aura toute une série de conséquences involontaires. Dans certains cas, la formulation est trop générale, imprécise et ambiguë et peut donc constituer un obstacle à la bonne administration de la justice. À notre humble avis, un tel résultat serait en contradiction avec votre devoir, en tant que députés, d'établir un juste équilibre entre les intérêts des uns et des autres. Il s'agit du juste équilibre entre l'existence d'une presse libre et vigoureuse, comme bien public, et l'efficacité du système de justice pénale, qui est un bien public tout aussi important.
Comme nous l'avons dit il y a quelques instants, nous sommes fermement convaincus que ce projet de loi vise à faciliter le véritable journalisme et le bien public qui découle d'une presse libre. Mais, pour atteindre cet objectif, il faut, tout d'abord, que le projet de loi vise le véritable journalisme. Aujourd'hui, beaucoup de gens, surtout à l'aide d'Internet, se qualifient de journalistes ou de membres de « la presse » parce qu'ils diffusent de l'information au public, sans nécessairement mériter d'être visés par le privilège du journaliste en ce qui concerne la protection des sources confidentielles. Bon nombre de sites Web qui font la promotion du racisme, de la haine ou de la culture de la drogue, par exemple, pourraient éventuellement être qualifiés de journalistes, sous prétexte qu'ils participent à la diffusion d'information au public, mais le Canadien moyen les considéreraient-ils comme des journalistes?
Comme ce projet de loi prévoit une règle générale, alors que les tribunaux prennent actuellement de telles décisions au cas par cas, la formulation des dispositions et les définitions revêtent une importance critique. D'autres administrations qui ont adopté des lois semblables ont opté pour une définition, alors que d'autres préfèrent parler de profession, de gain ou d'emploi afin de délimiter correctement la catégorie de journaliste et donc l'accès au privilège. À ce chapitre, nous estimons que l'amendement proposé hier par les défenseurs de ce projet de loi constitue un progrès.
De plus, nous sommes d'avis qu'il convient d'expliciter que les communications et documents illégaux sont exclus de l'application de cette loi. Comme l'a déclaré récemment la Cour d'appel de l'Ontario, dans l'affaire National Post :
Même si, dans l'exercice du droit que leur garantit la Constitution de recueillir et de diffuser les nouvelles, les journalistes ont le droit de protéger leurs sources, ce droit perd beaucoup de sa force lorsque des journalistes s'en servent en vue de protéger l'identité d'un criminel en puissance ou de dissimuler des éléments de preuve possible relatifs à un acte criminel.
Donc, la Cour est d'avis que la presse, comme tous les autres, a intérêt à ce que l'on fasse enquête sur les crimes et que les auteurs de ces crimes soient traduits en justice. C'est ce à quoi s'attendent les membres de la société. Mais, au lieu de défendre cet intérêt, dans cette affaire, les intimés protégeaient un transgresseur potentiel contre la possibilité d'être poursuivi pour son crime grave en refusant de fournir aux autorités les éléments ou objets correspondant à l'actus reus lié à l'infraction. Mais, encore une fois, nous constatons que le parrain du projet de loi voudrait introduire ce qui nous semble être une exception dès lors qu'il s'agit d'un crime et, à notre humble avis, un tel amendement est tout à fait essentiel.
En outre, nous sommes d'avis que la récente décision de la Cour d'appel dans l'affaire National Post indique bien que l'approche voulant qu'on procède au cas par cas donne de très bons résultats au Canada. Par contre, si la volonté du législateur est de codifier la reconnaissance du privilège journalistique, nous ne voyons pas pourquoi il serait nécessaire de créer une protection générique en bonne et due forme, ou une protection générique de fait, en inversant la charge de la preuve, comme le propose le paragraphe 39.1 du projet de loi.
Si vous me permettez, je voudrais rapidement résumer notre réflexion sur divers éléments. Premièrement, l'ACCP estime que le droit actuel, appliqué tout dernièrement dans l'affaire National Post, prévoit le bon équilibre entre le besoin légitime de l'État d'assurer la sécurité du public et les droits d'une presse libre. Cela veut donc dire que le privilège journalistique relatif à la protection des sources est appliqué au cas par cas de manière parfaitement appropriée. Selon nous, la Loi actuelle fonctionne très bien.
Deuxièmement, si vous souhaitez codifier le droit actuel sans élargir les privilèges et protections génériques, il est essentiel d'améliorer le libellé actuel du projet de loi afin d'atteindre cet objectif. Tout projet de création d'un nouveau privilège générique doit, selon nous, suivre une plus longue période de consultation et de débat public.
Troisièmement, afin d'éviter certaines conséquences involontaires et négatives, il convient de modifier le libellé de certains articles. Comme nous l'avons déjà mentionné, il convient de nuancer la définition de « journaliste »; de même, il faut modifier certains passages afin de prévoir que les communications qui sont illégales ou qui constituent l'actus reus lié à l'infraction — par exemple, la pornographie infantile ou des communications haineuses — ne seront pas visées par ce privilège, ou encore si le journaliste s'adonne à des activités illégales — par exemple, à titre de cocomploteur, et reçoit des renseignements d'une source en vue de mener des activités illégales. Nous vous faisons remarquer également que, même si c'est peut-être sous-entendu dans la common law, comme c'est le cas pour le privilège professionnel de l'avocat, il convient de se rappeler que le secret professionnel de l'avocat, dans le contexte du droit criminel, découle justement de la common law, si bien que les exclusions de la common law s'appliquent. Par contre, il est beaucoup moins clair que les exclusions qu'on retrouve dans la common law s'appliqueraient automatiquement au privilège journalistique prévu dans une loi, à moins que ce ne soit précisé dans la loi.
Il va sans dire que l'objectif sous-jacent au projet de loi est louable. Par contre, les conséquences et l'imprécision des dispositions de ce dernier, tel qu'il est actuellement rédigé, sont de nature à compromettre la réalisation de cet objectif. Nous pensons que les journalistes partageront peut-être nos préoccupations à ce sujet. Ces derniers ont tout autant intérêt à protéger l'intégrité de leur profession contre la déconsidération qui accompagne les semeurs de haine et les producteurs de pornographie infantile en se cachant derrière un privilège que les tribunaux, vous, les honorables députés, et nos concitoyens canadiens ne souhaitaient pas leur accorder.
Voilà qui termine mon exposé. Je vous remercie.
M. Pichette a quelques dernières observations à vous faire.
Je vous remercie de nous donner l'occasion de nous exprimer devant vous aujourd'hui, particulièrement sur le sujet de la protection des sources, qui soulève beaucoup de passions à la Chambre des communes. J'espère que vos débats de cet après-midi seront plus sereins et plus harmonieux.
Je vous parle aujourd'hui au nom de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, qui représente 2 100 journalistes de toutes sortes de médias à travers le Québec, c'est-à-dire des journaux, des stations de radio, des stations de télévision et des médias de l'Internet. La FPJQ représente à la fois des patrons de presse, des journalistes syndiqués, des journalistes non syndiqués, des pigistes et des journalistes indépendants. La représentativité est donc très large.
Plusieurs de mes collègues réunis autour de cette table sont des spécialistes du droit, ce qui n'est pas mon cas. Je ne suis donc pas en mesure d'intervenir de façon très pointue sur les questions juridiques. Cependant, je pratique le métier de journaliste depuis assez longtemps pour savoir que le projet de loi qui est devant vous est important.
Il est important pour les journalistes, mais je dirais qu'il est important surtout pour les citoyens et pour la vitalité de la démocratie. C'est un moyen de consolider un droit fondamental reconnu dans la Charte: la liberté de presse. C'est pour cela que la FPJQ appuie avec enthousiasme le projet de loi C-426, qui est à nos yeux une occasion précieuse de faire progresser la qualité de notre vie démocratique.
Une valeur est importante dans le métier de journaliste: on doit normalement identifier publiquement nos sources. On reconnaît cette valeur, et elle est clairement énoncée dans notre guide de déontologie. Révéler ses sources est une pratique usuelle pour les journalistes. Cela permet à nos auditeurs et à nos lecteurs d'apprécier la crédibilité et la compétence des gens qui leur parlent et de pouvoir ensuite juger le mérite des points de vue que les journalistes contribuent à faire circuler.
Notre guide de déontologie reconnaît cependant que des informations importantes risquent de ne pas pouvoir être publiées si le journaliste ne garantit pas l'anonymat à certaines sources qui acceptent de lui parler ou de lui confier des documents. Des histoires importantes, parfois même essentielles, ont été publiées uniquement parce que des sources ont accepté de parler, en sachant que les journalistes allaient les protéger. L'histoire la plus célèbre est celle du Watergate. Plus près de nous, le journaliste du Globe and Mail Daniel Leblanc a été mis sur la piste du scandale des commandites par une source qu'il a protégée. Nous pouvons tous convenir de l'immense intérêt public qu'il y a et qu'il y avait à publier cette recherche qui a, par la suite, eu les conséquences que l'on sait.
Les journalistes qui entreprennent des recherches sur des sujets délicats et potentiellement controversés ont cependant une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Ils courent à tout moment le risque d'être appelés à témoigner devant un tribunal au sujet de leurs recherches, de subir des pressions pour dévoiler l'identité de leurs sources ou de voir saisis par la police des documents ou des images rassemblés pendant leurs recherches.
Cette épée de Damoclès n'est pas seulement au-dessus de la tête des journalistes, mais elle est aussi au-dessus de la tête des sources qui leur font confiance et les aident à mieux informer le public. Ces sources prennent souvent des risques en acceptant de parler à des journalistes, et elles pourraient encourir des représailles si leur identité venait à être connue.
Je vais vous raconter brièvement l'histoire d'une collègue journaliste de Québec qui a publié, à l'automne 2006, des reportages sur des problèmes de contamination à l'amiante dans des édifices gouvernementaux du Québec. Des employés ont accepté de lui parler sous le couvert de l'anonymat et de lui décrire ce qu'ils vivaient. Un représentant du comité de santé et sécurité au travail du syndicat a aussi accepté de parler et a accepté d'être identifié. Ce représentant syndical a par la suite été congédié parce qu'il avait parlé à un journaliste, congédiement qu'il a contesté devant la Commission des relations de travail.
Ma collègue journaliste a été appelée à témoigner devant ce tribunal, et les avocats de l'employeur — la Société immobilière du Québec (SIQ), dans ce cas-ci — ont voulu la contraindre à déposer toutes ses notes, tous ses enregistrements et à révéler l'identité des autres sources. L'une d'entre elles était connue, mais on voulait la forcer à révéler l'identité des autres sources. Elle s'y est opposée, et la FPJQ l'a alors soutenue.
La commissaire aux relations de travail a finalement reconnu les arguments des avocats de la journaliste, qui n'a pas été obligée de dévoiler ses sources. Est-ce une victoire? Je ne le crois pas vraiment parce que dans mon esprit, le mal est déjà fait lorsqu'on se rend à ce point-là. Les employés de la SIQ ont très bien compris ce qu'ils risquent maintenant s'ils parlent à des journalistes. Leur employeur a pu congédier un représentant syndical qui avait trop parlé. Ils savent très bien ce qui va leur arriver s'ils parlent à leur tour, même si c'est sous le couvert de l'anonymat, et que leur identité finit par être connue.
Dans cette affaire, la commissaire aux relations de travail a protégé des sources anonymes, mais qui dit qu'un prochaine commissaire ou qu'un prochain juge verra les choses de la même façon? Cela a pour conséquence que des employés vont cesser de contribuer à la diffusion d'informations d'intérêt public. On voit que l'épée de Damoclès n'est pas seulement au-dessus de la tête des journalistes et des sources, elle est donc aussi au-dessus de la tête du public, qui risque d'être privé d'informations importantes pour la vie démocratique. Les journalistes ont la responsabilité morale de protéger l'identité des sources à qui ils ont promis l'anonymat. Cette valeur est aussi clairement énoncée dans notre guide de déontologie.
Les journalistes professionnels honorent cette responsabilité, mais l'absence de protection légale leur fait porter, ainsi qu'à leurs sources, une pression et un risque qu'on juge inutiles. Le projet de loi C-426 permettrait de retirer cette épée de Damoclès qui pend au-dessus de leur tête et permettrait à tout le monde de travailler plus sereinement.
Il n'est pas toujours facile pour des journalistes de convaincre les sources de leur parler. Celles-ci craignent peut-être les journalistes. Je ne vois pas pourquoi, mais il peut arriver que des gens craignent les journalistes. Elles peuvent aussi craindre les représailles de leurs collègues ou de leur employeur, comme je le décrivais il y a un instant. Il arrive aussi que des journalistes doivent travailler dans des situations sociales tendues, par exemple lors de conflits de travail ou de manifestations.
Je me souviens avoir couvert, au milieu des années 1980, un conflit au Manoir Richelieu, un hôtel chic situé dans Charlevoix, près de Québec Des employés se battaient pour conserver leur emploi. Il y a eu des manifestations, du vandalisme. Un complot en vue de faire exploser une bombe a même été démasqué. Un soir de manifestation, un des manifestants est décédé entre les mains de la police qui venait de l'arrêter. Bref, vous pouvez imaginer le climat tendu qu'il y avait dans ce village, à l'époque. Une collègue de Radio-Canada a filmé une manifestation dans le cadre de ce conflit. Au cours de cette manifestation, des vitres ont été brisées. Elle a diffusé certaines images, mais pas toutes. La police a fait saisir des bobines de film avec l'intention de les utiliser comme preuve contre les manifestants. On pourrait multiplier les exemples comme celui-là.
Le danger, c'est que le jour où des manifestants, des employés ou des citoyens commenceront à percevoir les journalistes comme une menace ou, pire, comme des collaborateurs potentiels de la police ou de la justice, il se mettront à se méfier des journalistes et cesseront de leur parler et de collaborer. Encore une fois, je pense que c'est le public qui, au bout du compte, risque d'être pénalisé. Le projet de loi C-426 permettrait d'atténuer ce risque.
Les journalistes ne sont pas au-dessus des lois. Nous sommes conscients qu'il peut se produire des circonstances où le témoignage d'un journaliste serait la seule façon d'obtenir une preuve déterminante et, donc, de servir l'intérêt public. Il faut être ouvert à cette possibilité théorique. Nous acceptons l'idée qu'un tribunal puisse éventuellement faire l'arbitrage entre le droit de la presse et les autres droits. Il nous apparaît cependant important de mettre fin aux parties de pêche de policiers et d'avocats qui négligent parfois de faire leur travail d'enquête jusqu'au bout et correctement. Ils choisissent la voie de la facilité, qui est de mettre un journaliste dans la boîte des témoins. Le recours à du matériel et au témoignage de journalistes doit devenir une solution exceptionnelle et de dernier recours.
Pour toutes ces raisons, nous appuyons le projet de loi C-426. Il n'a rien d'exceptionnel. Il y a actuellement, dans le monde occidental, un courant qui vise à protéger les sources. Il existe des législations dans plusieurs États, entre autres aux États-Unis et en Europe, notamment en France et en Belgique. Ce mouvement est assez important, et on pense qu'il est temps que le Canada emboîte le pas et se place dans le groupe des pays qui sont des leaders en cette matière.
Je vous remercie. Je suis évidemment disposé et intéressé à répondre aux questions et à participer aux échanges.
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Merci beaucoup, monsieur le président, membres du comité et autres invités. Je tiens, tout d'abord, à vous remercier de l'occasion qui m'est donnée de m'exprimer devant vous aujourd'hui. Je m'appelle Jennifer Strachan, comme on vous l'a déjà dit. Je suis surintendante de la GRC responsable de la politique et des programmes opérationnels au quartier général de la GRC ici à Ottawa.
Je me présente devant vous aujourd'hui pour vous présenter le point de vue de la GRC sur le projet de loi sur la protection des sources journalistiques.
La GRC respecte le travail que réalisent les journalistes professionnels et comprend que ces derniers doivent protéger leurs sources dans certaines circonstances. Nous sommes d'avis que les principes de la common law que peut actuellement invoquer un journaliste afin de protéger ses sources revêtent une importance critique dans cette profession.
Les normes et les pratiques journalistiques n'ont pas force obligatoire en droit, comme c'est le cas des normes qui visent les médecins et les avocats; toutefois, au moins une organisation journalistique nationale reconnue encourage ces praticiens à opter toujours pour la transparence dans leurs reportages et à éviter de divulguer le nom de leurs sources que dans des circonstances exceptionnelles. Il arrive très rarement que des membres de la GRC soient obligés de contester la protection des sources journalistiques, et comme les journalistes devraient recourir à la confidentialité le moins souvent possible, on peut supposer que des problèmes ne vont pas se présenter très souvent. Ceci étant, il ne devrait pas être difficile d'éviter d'agir chacun dans des sens différents.
Nous sommes d'avis que plusieurs amendements s'imposent pour que le projet de loi soit plus clair et plus facile à appliquer. Je crois savoir que l'auteur du projet de loi a déjà proposé certains amendements sous la forme du projet de loi C-426, et nous y voyons une mesure positive qui permettra de trouver une solution acceptable par rapport à certains éléments que nous jugeons critiques.
Une définition rigoureuse et précise de termes tels que « journaliste » et « source » est essentielle car, sinon, leur interprétation pourrait être à ce point large que les enquêtes policières normales seraient compromises. À l'heure actuelle, la définition est ambiguë; par exemple, les bloggeurs qui encouragent la perpétration de crimes haineux ou des sites Web clandestins qui propagent des croyances jugées inacceptables au sein de la société canadienne pourraient éventuellement être compris dans ces catégories si la définition actuelle est retenue.
De plus, quiconque aide un journaliste pourrait également bénéficier de la protection que propose ce projet de loi. Il s'agirait à ce moment-là d'accorder une protection à des personnes qui, pour diverses raisons, ne devraient pas bénéficier d'un tel privilège.
La GRC n'est pas favorable à l'idée de conférer des privilèges aux journalistes qui sont semblables à ceux qui existent pour les avocats, qui sont visés par le secret professionnel. Aucune autre profession, ni les médecins ni les prêtres, ne bénéficie d'une protection législative de cette nature, même si ces deux groupes appliquent des critères complexes et exigent des qualifications précises en matière d'accréditation. Donc, ce genre de norme professionnelle n'existe pas pour les journalistes, et le projet de loi vise implicitement à leur conférer un privilège qui n'est pas reconnu dans un texte législatif.
De plus, il convient de se rappeler qu'une loi de ce genre, prévoyant la protection des sources journalistiques, pourrait inciter d'autres groupes professionnels à demander ce même privilège.
Aux termes du projet de loi, la police serait tenue de recourir à toutes les autres sources de renseignements potentiels dans le cadre d'une enquête avant d'envisager de demander un mandat de perquisition à l'égard de la propriété d'un journaliste. Cette exigence générale pourrait compromettre la sécurité du public et causer des retards injustifiés alors que la police prend ces dispositions pour respecter les critères du projet de loi.
Tout obstacle à l'obtention de renseignements pertinents au sujet de l'identité d'un transgresseur, tels qu'une demande de protection des sources d'un journaliste, pourrait finir par compromettre ou détruire des éléments de preuve — par exemple, le refus d'indiquer où se trouvent des victimes potentielles ou la possibilité que des victimes subissent d'autres préjudices.
Les défenseurs des droits des victimes devraient être informés du contenu de ce projet de loi et de son impact sur les personnes qu'ils cherchent à défendre. Il faudrait également leur donner l'occasion de présenter leurs vues sur ces conséquences potentielles.
Un autre obstacle serait le temps qu'il faudrait à la police pour respecter la charge de la preuve que propose le projet de loi par rapport à l'obtention de ce type de renseignements, notamment dans des cas où le temps presse. Voilà un exemple précis de l'impact qu'il pourrait avoir sur les opérations policières.
À l'heure actuelle, le Code criminel du Canada et la common law prévoient qu'il existe un juste équilibre entre les intérêts du public, de la police et des journalistes. Les juges peuvent ordonner la divulgation des renseignements là où l'une des parties est en mesure de prouver que c'est la divulgation, plutôt que la non-divulgation, qui est dans l'intérêt du public. Pour ces motifs, nous proposons que les articles relatifs aux mandats de perquisition soient supprimés ou considérablement modifiés.
Il existe déjà une loi portant sur la saisie et l'obtention de la preuve. Cela comprend les mandats de perquisition, une dénonciation en vue d'obtenir un mandat de perquisition et la capacité de sceller les mandats de perquisition, de même que les documents présentés aux juges concernant des éléments de preuve énumérés sur le formulaire 5.2. Toutes ces procédures sont très complexes et reposent sur une série de règles, et jusqu'ici, elles ont permis de bien répondre aux attentes de part et d'autre par rapport au système de justice pénale.
La démarche consistant à déposer une déclaration — c'est-à-dire le formulaire 5.2 — assure la bonne gestion des activités des forces policières pour ce qui est de l'exécution des mandats de perquisition, tout en permettant au répondant de contester la conservation des éléments saisis. Les répondants peuvent également déposer une motion en annulation du mandat de perquisition.
De plus, s'agissant de la protection des intérêts d'une source potentielle, les forces policières évitent de communiquer des éléments de preuve au public, pendant que leur enquête est en cours, à moins que des circonstances particulières, comme un danger imminent de mort ou de graves préjudices corporels, ne la rendent nécessaire. Si des policiers devaient obtenir certains renseignements d'un journaliste et craignaient que la divulgation de ces renseignements porte éventuellement préjudice à leur source, ces derniers seraient traités avec le même degré de confidentialité que tous les autres éléments de preuve.
Dans une société démocratique, le travail accompli par la police bénéficie à l'ensemble de la population. Notre objectif final, qui consiste à assurer la sécurité des collectivités, est partagé par tous les citoyens respectueux des lois. De plus, un journaliste vise à servir les citoyens en leur fournissant des renseignements, des avertissements, des bulletins d'information et des émissions de divertissement qui améliorent la qualité de vie de la société dans son ensemble. De fait, il nous arrive souvent de travailler ensemble pour atteindre cet objectif.
D'ailleurs, ces deux objectifs ne sont pas incompatibles. Une mesure législative qui décrit avec précision la marche à suivre dans une situation où un conflit est possible et qui fournit des consignes aux deux parties à ce chapitre nous donnera l'occasion de voir comment la relation entre la police et les journalistes peut être efficace mais non indûment conflictuelle.
Merci beaucoup.
Monsieur le président, membres du Comité permanent de la justice et des droits de la personne, je suis heureux de comparaître aujourd'hui devant vous au nom du Barreau du Québec relativement au projet de loi . Je remercie les membres du comité de nous avoir invités à participer à cette importante discussion.
Le Barreau du Québec s'intéresse à la question de la protection des sources journalistiques et du témoignage des journalistes depuis plusieurs décennies. En 1988, dans un mémoire qu'il produisait en réponse à une proposition d'orientation visant à modifier la Loi sur la presse du Québec, le Barreau du Québec suggérait des dispositions de nature à encadrer le témoignage du journaliste, les saisies et perquisitions du matériel journalistique et, finalement, à protéger les sources journalistiques. Il se prononçait en faveur de certains principes: la libre circulation d'information doit être assurée en protégeant l'activité journalistique; l'intérêt public justifie la protection des sources d'information confidentielles des journalistes; il est d'intérêt public que justice soit rendue et que les preuves déterminantes pour la solution d'un litige ou la conclusion d'une enquête soient disponibles.
En conséquence, il y a lieu de rechercher l'équilibre entre ces deux facettes de l'intérêt public: la libre circulation de l'information, d'une part, et la juste solution d'un litige ou la conclusion d'une enquête, d'autre part. Pour assurer cet équilibre, le tribunal apparaît être le seul forum adéquat.
Parmi les recommandations proposées par le Barreau du Québec, on retrouvait le maintien de la règle de la contraignabilité des journalistes en limitant cependant leur témoignage au seul cas où ils auraient une importance déterminante et où il aurait été démontré que la preuve des faits ne peut être obtenue par d'autres moyens raisonnables.
Une autre recommandation demandait d'interdire la divulgation du contenu de matériel journalistique saisi susceptible de révéler l'identité d'une source confidentielle d'information même si le contenu avait une importance déterminante, à moins qu'il ne soit établi que l'intérêt public exige que l'identité de la source soit divulguée.
Enfin, il était suggéré de créer une présomption des publications des diffusions par le simple dépôt d'un journal ou d'une bande vidéo-audio, afin d'éviter les nombreux témoignages de journalistes aux seules fins d'établir le fait de la publication ou de la diffusion. Nous constatons que l'esprit de ces recommandations trouve écho dans le projet de loi du député de Marc-Aurèle-Fortin, .
Par ailleurs, en mai 1990, le Barreau du Québec participait à l'élaboration et à la signature d'un protocole d'entente avec la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, la Fédération nationale des communications et le Conseil de presse du Québec. Ce protocole identifiait le cadre d'un processus et certains principes que les signataires définissent de la façon suivante :
1. la nécessité d'une intervention législative en matière de témoignage des journalistes et de saisie du matériel journalistique se fonde sur l'intérêt public à ce que les journalistes puissent conserver l'accès à toutes les sources d'information;
2. il est également d'intérêt public que justice soit rendue, que les preuves déterminantes pour la solution d'un litige ou la conclusion d'une enquête soient disponibles;
3. c'est l'activité journalistique, dont l'exercice se fonde sur la liberté de presse, plutôt que les individus qui exercent cette activité, qu'il est nécessaire de protéger afin de garantir au public une information complète sur toutes les questions sur lesquelles les citoyens sont appelés à se prononcer;
4. il est possible, sans accorder de privilèges aux journalistes qui doivent, comme tous les citoyens, demeurer des témoins contraignables, de légiférer de façon à préserver les conditions de l'exercice du métier de journaliste, en respectant en même temps les impératifs liés à l'administration de la justice.
Ce protocole contient une proposition au législateur quant à la façon d'encadrer le témoignage du journaliste. On y mentionne notamment que :
1. Dans le cas de témoignages sur des faits dont le journaliste a eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions, mais qui n'ont été ni publiés, ni diffusés, que ces témoignages soient limités aux seuls cas où ils ont une importance déterminante pour la solution d'un litige et où il aura été démontré que la preuve des faits ne peut être obtenue par aucun autre moyen;
3. dans le cas de témoignages impliquant la divulgation d'une source confidentielle d'information, que les journalistes taisent l'identité de la source, même si sa divulgation revêt une importance déterminante pour la solution du litige, à moins que le tribunal estime que l'intérêt public exige que l'identité de la source soit révélée: le juge doit ici décider en tenant compte des deux facettes de l'intérêt public que sont la solution du litige et la liberté de l'information; dans cet arbitrage, le tribunal devrait aussi tenir compte de toutes les conséquences qui résulteraient du témoignage du journaliste, particulièrement pour la source elle-même, et intervenir d'office pour enclencher l'arbitrage entre les deux dimensions de l'intérêt public, lorsqu'une partie ou le journaliste dont on requiert le témoignage sur ses sources confidentielles néglige de s'opposer.
5. dans le cas du matériel journalistique déjà publié ou diffusé, qu'une présomption de publication ou de diffusion soit créée, par le simple dépôt du journal ou de la bande vidéo ou audio [...]
Encore une fois, nous constatons que ces propositions trouvent écho dans le projet de loi C-426.
Le Barreau du Québec croit que ce projet de loi favorise la libre circulation de l'information, tout en préservant le droit à un procès juste et équitable, deux droits fondamentaux. En effet, les journalistes doivent pouvoir recueillir librement tous les renseignements pertinents à l'information pour le public. Pour leur part, les personnes qui comparaissent devant les tribunaux ont droit à tous les éléments de preuve pour défendre leur cause.
Le texte du projet de loi établit le principe voulant que les journalistes ne puissent être contraints de divulguer en cour leurs documents non publiés, à moins qu'ils ne soient d'une importance déterminante pour la solution du litige et qu'ils ne puissent être mis en preuve par aucun autre moyen. Dans le cas où l'identité d'une source confidentielle est en jeu, le juge devra s'assurer que cette divulgation est dans l'intérêt public en tenant compte de la conclusion du litige, de la liberté d'information, mais aussi des conséquences sur la source de la divulgation de son identité.
Le juge La Forest de la Cour suprême du Canada, dans la décision Radio-Canada c. Lessard, disait au sujet de la liberté de presse qu'elle était primordiale dans une société libre et qu'elle comprenait le droit de diffuser des nouvelles, des renseignements et des opinions. La collecte de l'information pourrait être gravement entravée dans beaucoup de cas si le gouvernement avait trop facilement accès aux renseignements qui sont en la possession des médias. La presse ne devrait pas être transformée en service d'enquête de la police. La crainte que la police puisse avoir facilement accès aux notes d'un journaliste pourrait bien gêner la presse dans la collecte de l'information.
Ainsi, le Barreau du Québec croit que ce projet de loi répond adéquatement aux demandes répétées des signataires du protocole de 1990 de trouver une solution législative visant notamment à encadrer le témoignage du journaliste et à protéger les sources journalistiques.
Je vous remercie. Nous demeurons disponibles pour répondre à vos questions.
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Merci, monsieur le président, et merci à vous tous de votre présence.
Plusieurs témoins, à la fois aujourd'hui et hier, ont parlé de la nécessité de tenir d'autres consultations et de tenir un débat public sur ce projet de loi très important. C'est vrai, mais le plus souvent, cela fait partie du processus d'élaboration des politiques d'intérêt public. Normalement, les projets de loi d'initiative parlementaire ne font pas l'objet d'une analyse exhaustive par le ministère ou le public, et il convient par conséquent de changer cette formule. Pour moi, cette formule ne marche plus du tout. Mais, nous n'y pouvons rien en ce qui concerne le projet de loi à l'étude.
Ma question s'adresse aux représentants de la police et à tous ceux qui étaient là hier, s'ils nous écoutent aujourd'hui. Vous avez parlé de votre philosophie, que nous acceptons tous, me semble-t-il, et de l'importance d'un bon équilibre. D'ailleurs, nous avons l'intention de proposer des amendements précis, et si vous avez des textes à nous proposer par la suite — par exemple— et cela s'adresse à Jennifer— sur la façon de modifier les dispositions qui visent les personnes qui aident un journaliste pour qu'elles soient plus efficaces… Si vous pouviez nous faire parvenir des projets d'amendement qui règlent les problèmes que vous avez soulevés avant que nous ne procédions à l'étude article par article du projet de loi, ce serait formidable.
Monsieur Bourque, j'ai déjà déposé six amendements, et je sais que M. Ménard en a également, et il est donc évident que certaines parties du projet de loi vont être changées. Quels sont les éléments les plus importants en ce qui vous concerne? Y a-t-il des dispositions que vous ne voulez pas qu'on change? Quelle est la différence entre ce projet de loi et le régime actuel, pour que nous soyons sûrs de faire attention en proposant des amendements?
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À mon avis, le projet de loi permet de mettre à l'abri les journalistes, les sources et le public, et de remédier à l'incertitude venant du fait que ce sont des tribunaux qui, ici et là et à tout moment, ont à décider quand les journalistes vont être contraints ou non de révéler leurs sources. Il nous semble que le fait de définir et de figer dans un texte de loi beaucoup plus clair les balises dont tout le monde convient est une protection, une sécurité. Je pense que ce projet de loi va faire en sorte qu'on demande un peu moins souvent à des journalistes de dévoiler leurs sources devant les tribunaux. Donc, pour le public et les sources, il y aurait là quelque chose de plus rassurant.
Comme je le disais plus tôt, même si un journaliste comparaît devant un tribunal, mais qu'en fin de compte, on ne le contraint pas de dévoiler ses sources, il me semble que chaque fois, ça comporte un facteur de risque et d'inquiétude qui, à la longue, peut miner la confiance du public envers les journalistes. Donc, les gens peuvent devenir de plus en plus réticents à confier de l'information d'intérêt public à des journalistes, ce qui, en définitive, pénalise toute la société.
Selon nous, ce projet de loi a comme principal mérite d'éviter des risques inutiles et de rendre les règles du jeu un peu plus claires. Évidemment, l'arbitrage d'un juge va demeurer nécessaire, mais je pense qu'on va réussir à éviter dans bien des cas la tentation de recourir à des journalistes, à des saisies de matériel, etc. À ce sujet, je n'ai pas donné tous les exemples que j'avais en tête plus tôt.
En avril 2000, les locaux de Radio-Canada et de TVA ont été perquisitionnés parce que ces télédiffuseurs avaient filmé une manifestation où des vitres avaient été cassées. L'agent de police Roger Roy, technicien au service de l'identité du SPCUM, était présent sur les lieux de la manifestation et a enregistré les événements à l'aide d'une caméra vidéo. Pour des raisons de sécurité évidentes, il n'a pas été en mesure de se rapprocher des manifestants. Donc, comme le policier n'avait pas été capable de faire son travail étant donné que la situation était trop dangereuse pour lui, on demandait à des journalistes de le faire à sa place. C'est ce genre de situation qu'on souhaite pouvoir éviter.
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Merci, monsieur le président.
Je note que, en réponse à une question, les représentants du Barreau du Québec ont dit qu'ils n'ont pas eu l'occasion d'étudier le projet de loi article par article, mais souhaitaient faire quelques observations générales sur le thème du projet de loi.
Je suppose que c'est justement ça le problème; et c'est pour cette raison que nous ne pouvons pas précipiter les choses. Les termes que renferme ce projet de loi sont forts. D'après certains témoignages, le droit actuel est muet sur la question, si bien qu'il convient d'adopter de nouvelles mesures législatives, alors qu'en réalité, il existe depuis longtemps un bon équilibre entre les différents intérêts au Canada.
Je pense que tous ceux qui sont autour de cette table seraient d'accord avec moi — les témoins en ont parlé, mais je pense aussi que les membres du comité seraient du même avis — pour dire que l'une des grandes valeurs de notre pays est la liberté de la presse. Nous souhaitons célébrer et promouvoir cette liberté. Mais certains peuvent croire que c'est un peu le Far West au Canada pour ce qui est d'obtenir des renseignements, alors que nous avons réussi à établir un équilibre au Canada — maintenu par les tribunaux aussi récemment que la semaine dernière — qui tient compte de ces intérêts différents, c'est-à-dire la répression de la criminalité et, évidemment, la liberté de la presse.
Un récent jugement de la Cour d'appel de l'Ontario qui traitait justement de la question maintenait la loi telle qu'elle existe actuellement. Je devrais également vous faire remarquer qu'un membre de l'Association canadienne des journalistes et un professeur de journalisme, le professeur John Miller, écrivait dans le Globe and Mail hier, je pense, que: « Lorsqu'on examine de plus près les faits de cette affaire, on constate que les juges ont rendu la bonne décision en ce qui concerne l'équilibre à établir entre la liberté de la presse et la détection des crimes. »
Voilà donc ce qu'a dit un membre de l'Association qui est journaliste. Il répond à la proposition selon laquelle les journalistes devraient avoir le droit sans entraves de protéger l'identité de leurs sources confidentielles. Or telle n'a pas été la pratique en common law, et je ne pense pas que nous devrions envisager de prendre une telle orientation.
Les témoignages d'un des témoins aujourd'hui, et ceux d'hier, concernant le fait qu'il s'agirait d'accorder un privilège spécial aux journalistes, si le projet de loi devait être adopté dans sa forme actuelle — ce qui dépasse même le privilège des prêtres et des médecins, en accordant aux journalistes un statut spécial — est le fait que la formulation actuelle est trop générale en ce qui concerne la définition de « journaliste » et de « source »…
J'aimerais inviter M. Pecknold ou Mme Strachan à nous parler d'exemples concrets des conséquences que cela pourrait avoir pour leurs enquêtes. J'ai posé la question hier en évoquant des cas liés à la sécurité nationale. Le fait est que le seuil proposé dans ce projet de loi est complètement différent de celui qui existe actuellement dans la common law et ne correspond pas à l'équilibre que nous avons réussi à établir.
Je vous invite donc à répondre en évoquant un scénario réel, afin d'expliquer les éventuelles répercussions du projet de loi.
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Je vais faire quelques brèves observations avant de céder la parole à mes collègues.
Dès lors qu'il est question de ce genre d'information, on songe tout de suite à la question de la sécurité nationale, qui devrait justement être une importante préoccupation pour tous les Canadiens. Mais mon regard va encore plus loin. Je tiens compte aussi du point de vue des agents de police qui sont en première ligne, et qui protègent les droits des victimes.
Encore une fois, mon expérience se situe surtout dans le domaine des enquêtes menées sur l'exploitation sexuelle des enfants sur Internet, par l'entremise de sites comme celui de la NAMBLA, un organisme qui vise à encourager certaines activités entre les adultes et les enfants. Il existe différents sites Web de ce genre. Si une source fournit des renseignements sur une question comme celle-là et l'enquête doit être menée rapidement — peut-être pour être en mesure de retrouver un enfant — il importe qu'on puisse avoir accès aux renseignements dans les plus brefs délais. Comme vous l'avez déjà dit, cette possibilité existe déjà dans la common law.
À ce chapitre, on a entendu parler d'un présentateur de nouvelles au Nouveau-Brunswick — cela ne concernait pas précisément la question de l'utilisation des sources, mais cela pourrait être lié — qui préparait une interview avec un expert sur la criminalité technologique au sujet de l'exploitation des enfants sur Internet et qui, après avoir fait des recherches et mené son interview, a continué à avoir accès à des images illégales sur Internet.
Ce cas-là concerne un journaliste — ou, plus précisément, un présentateur de nouvelles — et je m'excuse de confondre les deux — mais disons que, avec ce qu'on a maintenant, la définition de « journaliste » n'est pas adéquate. Est-ce que cela ne pourrait pas poser problème dans ce contexte?
Vous ayant donné ces deux exemple, je cède la parole à mon collègue.