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Merci, monsieur le président.
J'ai présenté ce projet de loi non pas pour créer un privilège mais, bien au contraire, pour protéger un type d'activité journalistique qui a prouvé partout dans les pays où il a été appliqué — soit dit en passant, ce sont nos alliés, ce sont aussi tous les pays que l'on reconnaît comme des pays démocratiques — qu'il permettait de corriger des situations graves qui nécessitaient des corrections.
Ce projet de loi concerne deux sujets qui ont une grande importance dans toutes les sociétés démocratiques pour qui la liberté de la presse et la liberté de l'information sont des valeurs fondamentales qui contribuent à ce qu'un débat éclairé puisse avoir lieu sur les enjeux qui confrontent les sociétés modernes. Dans la très grande majorité des sociétés démocratiques, ces deux sujets ont fait l'objet de législation. Dans d'autres, comme dans la nôtre, les tribunaux ont eu à se prononcer sur ces questions au hasard de cas particuliers qui leur ont été soumis. Il en est résulté un certain nombre de règles, parfois contradictoires. L'ensemble de ces règles peut donc apparaître incohérent.
Toutefois, les juges ont toujours reconnu l'importance et la pertinence de ce débat dans le cadre d'une société libre et démocratique. Je crois que le temps est venu pour les élus, qui sont les représentants du peuple, d'apporter leur contribution à la solution civilisée des inévitables conflits qui peuvent parfois survenir entre les objectifs légitimes des gouvernants et les nécessités du travail des journalistes.
Rappelons que dans les régimes dictatoriaux ou totalitaires, on ne se pose pas ces questions. Mais dans toutes les démocraties, elles ont été posées. Pour mieux le comprendre, je crois qu'il faut voir que ce projet de loi se divise en cinq parties. Il y aurait d'ailleurs peut-être lieu de le diviser en cinq articles plutôt qu'en onze paragraphes, ou peut-être même en six, comme nous le verrons plus tard.
La première partie comprend les deux premiers paragraphes, qui sont les mesures d'introduction et les définitions. La deuxième regroupe les paragraphes (3), (4), (5) et (6). Le paragraphe (3) énonce d'abord le principe de la protection d'une source confidentielle qui a confié à un journaliste des renseignements sous le sceau de la confidence. Comme le but de la loi n'est pas de donner un privilège aux journalistes mais de protéger un type d'activité journalistique qui est jugé utile et même nécessaire dans une démocratie, le juge peut la soulever d'office. C'est ce qu'énonce le paragraphe (4).
Il n'est pas obligé de le faire, mais il le peut s'il estime que cela est nécessaire. C'est parce que la protection des sources confidentielles est d'intérêt public, et non un privilège corporatif, que ce pouvoir lui serait donné. La source qui a réclamé le secret ne doit pas être victime de la négligence ou de l'incurie du journaliste à qui elle s'est confiée, si ce dernier ne respectait pas son engagement à son égard.
Les paragraphes (5) et (6) traitent des circonstances exceptionnelles dans lesquelles la protection ne sera pas accordée. Ils prévoient les critères sur lesquels le juge devra se baser, en somme les valeurs qui sont en cause, pour maintenir ou refuser la protection. Ils prévoient également la procédure à suivre et quel fardeau de preuve ont chacune des parties au litige.
Le paragraphe (7) ne traite pas du secret de l'identité d'une source journalistique qui a confié des renseignements à un journaliste. Il s'agit du matériel journalistique qui n'a pas été diffusé ou publié même si le journaliste n'a pas obtenu ses informations de manière confidentielle. Cette protection est importante pour que le public ne perçoive pas les journalistes comme des auxiliaires de la police ou comme des auxiliaires de l'État, ce qui nuirait à leur capacité d'obtenir des informations et de bien informer le public.
À cet égard, je pourrais vous citer longuement le juge La Forest de la Cour suprême du Canada, dans la cause de Rex c. Lessard, mais je m'aperçois que le temps s'écoule plus rapidement que prévu. Comme cette cause ne portait pas sur la protection d'une source qui se serait confiée à un journaliste sous le sceau de la confidence mais bien sur la perquisition dans les locaux de Radio-Canada pour trouver et saisir les bandes vidéo d'une manifestation de grévistes, la dernière phrase s'applique à l'activité journalistique en général et non seulement à la protection des sources confidentielles.
Je crois, moi aussi, qu'il y va de l'intérêt public que les journalistes ne soient pas perçus comme des auxiliaires de la police. D'ailleurs, dans les années 1970, où les manifestations étaient plus fréquentes qu'aujourd'hui et souvent même moins pacifiques, les caméramen sont souvent devenus la cible de projectiles lancés par certains manifestants. L'expression « importance déterminante » a été mal traduite, je le regrette. Je l'emploie dans son sens strict en français : le mot « importance » a son sens commun du dictionnaire; l'adjectif « déterminante » a un sens juridique précis. C'est ce qui permet au juge de déterminer quelle partie a raison ou tort sur le fond du litige ou sur un élément essentiel dans une cause.
La meilleure traduction qu'on m'en ait suggéré serait « determinative of the outcome », plutôt que « of vital importance », qui est trop vague. C'est également l'expression qu'utilisait la Cour européenne des Droits de l'Homme dans l'arrêt Goodwin c. Royaume-Uni pour traduire ce qui était déterminant dans le litige.
Ce critère est différent de ceux que le juge doit considérer au paragraphe (5), car il ne s'agit pas du secret qui a été promis à une source, mais de l'indépendance que doit garder le journaliste dans l'exercice de son métier. Il s'agit de valeurs différentes, même si elles ont toutes deux trait à la collecte d'information.
Remarquons que cette indépendance des journalistes est l'une des caractéristiques les plus sûres qui permettent de reconnaître les sociétés démocratiques. Dans tous les autres régimes qui ne sont pas démocratiques, les journalistes ou la majorité d'entre eux sont des auxiliaires de l'État quand ce ne sont pas tout simplement des thuriféraires du régime en place.
Les paragraphes (8), (9) et (10) concernent l'émission de mandats de perquisition dans les locaux des médias, la procédure à suivre, la conduite de ces perquisitions, ainsi que des dispositions qui garantissent que seront efficacement protégées toutes les informations que le juge estimera devoir être protégées.
Je pense qu'elles reprennent essentiellement la jurisprudence qui fait actuellement autorité. Elles ont l'énorme avantage de ne couvrir qu'une page par rapport aux centaines de pages que doivent actuellement consulter les avocats qui plaident ce genre de causes. C'est du moins ce que m'ont affirmé deux d'entre eux qui enseignent et pratiquent le droit de l'information. Elles seront donc un instrument utile pour les juges de paix qui accordent des mandats de perquisition, pour les policiers qui les demandent, pour les journalistes et leurs patrons qui les subissent et pour les avocats qu'ils appellent lorsque les policiers se présentent à la porte de leurs locaux. On conviendra que dans un pays comme le nôtre, la procédure prévue à ce paragraphe constitue une façon civilisée d'agir.
Le paragraphe (10) prévoit que demeureront secrets tous les renseignements que la cour estimera devoir demeurer secrets.
Enfin, le paragraphe (11) constitue la cinquième et dernière partie de cette loi. Nous profitons de l'occasion pour régler un problème qui fatigue beaucoup de rédacteurs en chef: comment prouver une publication? En produisant la publication. Y a-t-il vraiment lieu d'en faire plus? Si on veut prouver que quelque chose a été publié, on n'aura qu'à déposer en preuve la publication ou son support.
Actuellement, plusieurs avocats croient encore qu'ils doivent assigner comme témoins les dirigeants des médias pour prouver que quelque chose a été publié. Ce paragraphe (11), qui deviendra, je l'espère, l'article 39.5, pourra leur être rappelé.
Enfin, le but de cette loi n'est pas d'assurer l'immunité à certains criminels ou à certains individus qui voudraient faire de la diffamation par journaliste interposé. Ce principe du respect de l'anonymat de sources confidentielles, certains journalistes étaient prêts, et le sont encore, à le défendre en allant en prison. Certains, d'ailleurs, y sont allés.
Je pense que ce serait les offenser beaucoup que de voir que les principes qu'ils ont défendus avec autant de courage sont utilisés par des criminels pour échapper au châtiment qu'ils méritent. Je croyais que mon projet de loi était assez clair, particulièrement quand il oblige le juge à mesurer les valeurs en cause, qui sont la liberté de l'information et l'intérêt de l'État à connaître et à punir les crimes qui sont commis. Cependant, après avoir discuté avec plusieurs personnes, j'ai cru qu'il serait bon d'ajouter un article qui dirait clairement que cette loi ne s'applique pas... D'ailleurs, je l'ai ici .
En fait, il serait dit ce qui suit: « Les articles 39.1 à 39.5 n'empêchent pas la saisie ou la divulgation d'une communication faite ou d'un document préparé en vue de la commission d'une fraude ou d'une infraction criminelle. »
Cette règle d'interprétation, j'en suis sûr, rassurerait les policiers, ferait comprendre qu'il ne s'agit pas d'un privilège et que cette protection cesse lorsqu'il s'agit d'actes criminels.
J'ai aussi cru bon d'ajouter quelques mots ici et là pour préciser clairement qu'il ne s'agit pas d'assurer l'indemnité à des criminels. En ce qui concerne les sources, par exemple, je parle de sources confidentielles. Pour ce qui est des renseignements recueillis par les journalistes ou des documents créés, c'est précisément dans le cadre de l'exercice de leurs activités professionnelles. Ces amendements très courts permettraient de rassurer bien des gens.
Je vous remercie, monsieur le président.
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Il existe très peu de définitions du mot « journaliste ». J'avais demandé aux gens de la Bibliothèque du Parlement de faire une recherche à ce sujet, et ils ont obtenu les mêmes résultats que moi. Ils sont arrivés à la même conclusion. Il y a des définitions à l'occasion et à certaines fins spécifiques. Dans ce cas-ci, parce qu'il ne s'agit pas d'offrir une protection à des journalistes mais bien de protéger les sources, nous avons voulu faire correspondre la définition du mot « journaliste » à des personnes susceptibles, dans le cadre de leur pratique, d'être les dépositaires du secret ou de l'anonymat. Notre définition restreint le sens du mot « journaliste ». Par exemple, elle n'inclut pas les gens qui font des éditoriaux. On définit le mot « journaliste » comme suit dans le projet de loi :
Personne qui contribue régulièrement et directement à la collecte, la rédaction, la production ou la diffusion d’informations, par l’entremise d’un média, à l’intention du public, ou tout collaborateur de cette personne.
Ces éléments sont ceux que l'on retrouve dans la jurisprudence. Le mot « régulièrement » est important. Ici, on ne parle pas d'une personne qui veut faire de la diffamation à un moment donné. En outre, c'est dans le cadre de l'exercice d'une activité professionnelle. Ça concerne la collecte de l'information et ce qui s'ensuit et c'est par l'entremise d'un média. On ne parle pas d'un enquêteur privé ou quoi que ce soit du genre. Enfin, il faut que ce soit fait à l'intention du public. Je ne parle pas d'un public spécialisé: j'utilise une expression couramment utilisée par les journalistes. Il s'agit donc du grand public. On ne parle pas de bulletins paroissiaux, de rapports annuels de compagnies ou d'autres choses du genre, mais bien d'information destinée au grand public.
Nous avons aussi laissé suffisamment de marge de manoeuvre pour prévoir l'avenir. Chaque matin, je lis sur Internet un journal qui n'est pas accessible facilement. Je crois qu'il y aura de plus en plus de journaux sur Internet et que certains d'entre eux ne seront disponibles que de cette façon. Cependant, il faudrait qu'ils aient à leur service des gens qui recueillent l'information et la traitent à l'intention du public. En outre, j'ai ajouté les mots « tout collaborateur de cette personne ». L'expérience d'autres juridictions nous a démontré que c'était utile. En effet, dans certains pays, on engageait des femmes de ménage qui devaient fouiller les notes des journalistes en vue de découvrir quelles étaient leurs sources confidentielles. Le mot « collaborateur » couvre ce genre de situation.
J'ai aussi un amendement à proposer qui, je pense, répondrait à certaines objections que des policiers ont soulevées et dont on m'a fait part. Pour ce qui est des mandats de perquisition, je pense avoir réussi à résumer adéquatement deux causes de la Cour suprême qui font partie de la jurisprudence, soit les exigences des causes Rex c. Lessard et Société Radio-Canada c. Nouveau-Brunswick (Procureur général). Je pense que si vous lisez les extraits pertinents, vous verrez que ce résumé est adéquat. Je crois qu'il faudrait plutôt parler de « mandats de perquisition dans un média ». C'est ce que je disais dans ma présentation et c'est aussi ce qu'on dit dans le cadre de ces causes. On ne vise pas le domicile du journaliste.
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Je ne suis pas d'accord, parce que si je crois ce que vous affirmez, c'est-à-dire que le projet de loi serait sans effet sur un dossier — un dossier de sécurité nationale, par exemple — cela laisse entendre que votre projet de loi d'initiative parlementaire n'a aucun effet de plus que ce que prévoit la loi actuelle au Canada. Le fait est que si ce projet de loi était adopté, ces dispositions iraient bien au-delà de ce que prévoit la common law au Canada à l'heure actuelle, d'après la lecture que j'en fais.
En fait, votre projet de loi est conçu de façon à protéger certaines sources et certains renseignements, à mon avis — ou c'est l'effet qu'il aurait s'il était adopté. Par conséquent, on ne peut faire autrement que de conclure qu'une poursuite qui serait couronnée de succès actuellement dans un dossier de sécurité nationale pourrait échouer si votre projet de loi était adopté.
Comme tous les membres de ce comité, probablement, je reconnais que les droits dont vous avez parlés sont des droits fondamentaux, des droits garantis par la Charte. Mais il faut préciser que si ce projet de loi était adopté, ces dispositions iraient bien au-delà de ces droits bien établis.
Je sais que vous suivez ce dossier depuis longtemps, et je vous signale l'affaire récente entendue par la Cour d'appel de l'Ontario, la Reine c. le National Post, dans lequel la Cour d'appel de l'Ontario a discuté de ces mêmes enjeux et de l'équilibre qu'il faut établir au Canada entre la protection et le maintien de nos libertés, mais aussi la protection et le maintien des droits des Canadiens — cela signifie la protection des citoyens contre les actes criminels et contre les problèmes qui pourraient nuire à notre sécurité nationale. En fait, la cour a maintenu avec vigueur l'état actuel du droit.
J'aimerais savoir ce que vous en pensez, puisque vous dites que les résultats d'une poursuite seraient les mêmes aujourd'hui ou après que votre projet de loi ait été adopté... Certains éléments de preuve qui sont disponibles aujourd'hui ne le seraient plus si votre projet de loi était adopté. Nous devons en être bien conscient.
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Cela dépend de la jurisprudence à laquelle on se réfère. Ensuite, il faudrait que j'aie plus de détails sur le cas hypothétique dont vous parlez au sujet de la sécurité nationale.
Personnellement, j'ai lu avec attention le compte-rendu de la cause dont vous parlez et je crois que c'est aux paragraphes [116] et suivants, dont le [118], mais je ne les lirai pas, puisque vous semblez être au courant. Vous verrez qu'en appliquant mon projet de loi, mais particulièrement aussi l'amendement que je vous suggère, la décision serait la même. D'ailleurs, c'est une décision sur laquelle je suis d'accord.
Maintenant, j'ai aussi, en rédigeant mon projet de loi, non seulement été inspiré par la jurisprudence canadienne mais aussi internationale. J'ai lu des causes de la Cour européenne des Droits de l'homme, notamment celle de Goodwin c. Royaume-Uni. Je peux vous dire que ce qui est dans mon projet de loi est à peu près la norme dans les pays civilisés comme le nôtre, qui considèrent que l'indépendance des journalistes est une valeur essentielle dans une démocratie moderne.
Justement, si vous lisez l'alinéa b) du paragraphe (5), le juge est appelé à faire la part des choses. Maintenant, pour encore plus de clarté, je vous suggère de rajouter un sous-alinéa (iv), qui serait semblable à l'alinéa b) du paragraphe (8). Vous auriez quand même tout ça pour vous garantir quelque chose parce que c'est sur ça que porte le jugement de la Cour d'appel de l'Ontario, sur l'objet qui a servi à transporter le document frauduleux. Donc, l'enveloppe elle-même aurait servi à commettre une infraction grave. En vertu de mon projet de loi, je suis convaincu qu'en appliquant le principe à l'alinéa b) du paragraphe (5)...
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Merci, monsieur le président.
Pour revenir à la question de M. Réal Ménard, dire qu'il n'y aurait pas de répercussions laisse entendre, à mon avis, que le projet de loi n'a aucun effet. Nous ne serions pas ici à l'examiner s'il n'avait aucun effet. Je dirais que, même si ce n'était pas votre intention, ce projet de loi pourrait avoir des répercussions sur ce genre d'enquêtes.
Ce projet de loi créé, à l'intention des journalistes, un nouveau privilège collectif qui n'existe pas actuellement. À l'heure actuelle, on suppose que les journalistes sont assujettis au même traitement que tous les autres Canadiens, et cela constitue une présomption légale que les preuves pertinentes doivent être présentées aux tribunaux. C'est la présomption, comme je l'ai mentionnée dans une question précédente. L'affirmation du privilège des journalistes constitue une exception à cette règle.
Que ce soit ou non le but visé, votre projet de loi l'emporterait sur toutes les autres lois fédérales — c'est ce que l'on dit expressément dans le projet de loi — y compris les dispositions du Code criminel, de même que des lois qui pourraient influer sur des questions de terrorisme et de sécurité nationale, comme je l'ai mentionné. Il accorderait aux journalistes un privilège qui n'est pas conféré aux autres Canadiens et, en fait, détruirait l'équilibre que les tribunaux ont maintenu jusqu'à cette semaine en fait , disant qu'il existait un juste milieu, que les journalistes peuvent se prévaloir du privilège journalistique mais que ce privilège doit être traité et établi au cas par cas.
Le problème de votre projet de loi c'est que sa définition de « journaliste » est trop générale et qu'il confère aux journalistes un privilège très supérieur à celui des autres Canadiens, en plus de modifier en profondeur l'équilibre qui a déjà été établi. Je vais vous poser la question à nouveau: est-il exact de dire que si ce projet de loi était adopté, certaines poursuites qui seraient possibles maintenant ne le seraient plus par manque de preuve pertinente?
Je suis heureux de me présenter devant vous. Comme le président l'a mentionné, je suis procureur en Alberta. Je m'occupe de poursuites depuis environ 17 ans. À l'heure actuelle, je suis procureur aux cours d'appel et à la Cour suprême du Canada. Mon service m'a demandé de comparaître devant vous et d'exprimer les préoccupations que nous posent ce projet de loi. Ces préoccupations se divisent en deux grandes catégories.
La première catégorie est liée au processus, et la seconde au fond du projet de loi. Nos préoccupations quant au processus peuvent se résumer brièvement. Fréquemment, sinon dans tous les cas, lorsqu'on décide d'apporter des changements de fond au droit pénal ou à des lois connexes, on tient des consultations étendues. Ces consultations sont essentielles non seulement parce qu'elles mettent en cause un grand nombre d'autres intervenants, mais aussi parce que, dans l'optique des procureurs, ces changements entraîneront des modifications à la pratique d'un bout à l'autre du pays.
L'approche que nous adoptons en Alberta dans les conseils que nous donnons aux services policiers dans le cadre d'enquêtes ou de poursuites est probablement bien différente de celle adoptée par d'autres provinces ou territoires. Ces différences peuvent avoir un effet profond sur les répercussions de la mesure législative. Si on ne tient pas de consultations de ce genre pour entendre tous les points de vue, pour tenir compte de toutes ces différences, on court le risque très grave de provoquer des conséquences inattendues. C'est de ces conséquences que je vais vous parler brièvement.
Dans mon mémoire, je mentionne au moins cinq dispositions du projet de loi qui pourraient provoquer des conséquences inattendues. Le premier problème a déjà été discuté, et c'est le caractère trop vague des définitions. La définition de « journaliste » est particulièrement vague. Elle est plus vague que des dispositions semblables que l'on trouve, par exemple, aux États-Unis, devant le Sénat et la Chambre des représentants. Comme je le dis dans mon mémoire, cette définition est inacceptable pour deux raisons. Premièrement, dans des mesures législatives semblables aux États-Unis, par exemple, on a fait des efforts particuliers pour exclure tous ceux qui ne travaillent pas à la publication ou à la diffusion d'information à des fins lucratives — c'est-à-dire à titre de gagne-pain.
À l'époque de l'Internet, on peut facilement comprendre que ce problème pourrait se poser. L'auteur d'un blogue peut écrire tout ce qu'il veut dans son blogue. Il recueille de l'information, il peut faire des recherches, puis il diffuse cette information. Aux termes de ce projet de loi, il serait considéré comme journaliste et il pourrait se prévaloir des mesures de protection du projet de loi. Cela pourrait s'appliquer à peu près sans limite à toute personne qui consulte l'Internet.
Le second problème que pose la définition, et il est peut-être impossible de le corriger dans une telle structure, c'est que l'on ne saurait exclure de la définition certains types de journalistes ou de personnes qui pourraient être qualifiés de journalistes. Je vais donner l'exemple de deux organisations à cet égard. La première est une organisation appelée NAMBLA. Il s'agit de la North American Man/Boy Love Association. L'objectif de cette organisation est de préconiser les relations sexuelles entre les adultes et les enfants, sous couvert de réclamer des modifications aux lois. Cette organisation publie un bulletin. Tous les auteurs d'articles dans ce bulletin seraient considérés comme des journalistes. Dans leurs articles, il se peut fort bien qu'ils décrivent des activités qui seraient considérées comme des actes criminels aux termes des dispositions du code en matière de pornographie juvénile ou qu'ils décrivent des actes criminels aux termes du code. Il serait impossible de les exclure de la définition de « journaliste ».
Autre exemple, il existe aux États-Unis un site Web dont je ne préconise pas la consultation, mais qui s'appelle whosarat.com. On y recueille et publie des renseignements sur des informateurs secrets de la police: on trouve une photo et une description de l'informateur à ce site. Si vous êtes un agent d'infiltration aux États-Unis, vous pourriez trouver votre photo et votre description dans ce site Web. D'après ce projet de loi, ceux qui exploitent ce site seraient considérés comme des journalistes et pourraient se prévaloir des mécanismes de protection du projet de loi. Je ne dis pas que c'était là l'intention visée, mais cela pourrait malheureusement se produire.
Deuxièmement, la définition du mot « document » du projet de loi est très large. Elle pourrait s'appliquer à toutes sortes d'information, y compris des photos et des bandes vidéos. Selon la jurisprudence, l'arrêt Lessard en particulier, les attentes en matière de confidentialité ne sont pas les mêmes selon le genre de documents dont il s'agit. ainsi, s'entretenir en secret avec une source est bien différent de filmer une manifestation qui se tient en public; or, le projet de loi ne fait pas de distinction entre ces différents types d'information comme le fait la jurisprudence.
En outre, et c'est un problème fondamental, le projet de loi augmente considérablement la portée du privilège. À l'heure actuelle, toutes les dispositions législatives que je connais ainsi que la common law protègent les informations transmises sous le sceau du secret, mais les dispositions clés du projet de loi n'indiquent pas qu'il s'agit de sources confidentielles, mais simplement que ce sont des sources journalistiques. Du coup, pratiquement toutes les sources pourraient être ainsi protégées, ce qui constituerait un élargissement fondamental et, sauf le respect que je dois au parrain du projet de loi — pratiquement sans précédent de la portée de la loi telle qu'on n'en trouve dans aucun autre pays assujetti à la common law, que je sache.
Par ailleurs, le paragraphe 39.1(7) du projet de loi limite la divulgation de renseignements non publiés. Cela constituerait une protection plus grande que celle que constitue le privilège au produit du travail, lequel s'inscrit dans le cadre du secret professionnel qui existe entre l'avocat et son client. Si moi, à titre d'avocat, je prépare des documents en vue d' une procédure judiciaire, ces documents sont protégés mais seulement pendant la durée de l'instance. La Cour suprême a statué que, à la fin de l'instance, la protection prend fin. Ce n'est pas ce que prévoit ce paragraphe. Les documents dont dispose un journaliste dans le cours d'une enquête auraient droit à cette nouvelle protection qui établit une norme particulièrement élevée.
Brièvement, les dispositions du projet de loi sur le fardeau de la preuve sont fondamentales et significatives. Elles entraîneront des difficultés pour les poursuites et elles modifient fondamentalement la loi quant à la divulgation des documents de tierces parties. Si M. Charkaoui voulait obtenir des informations que possèdent actuellement des journalistes qui pourraient l'aider dans sa défense, ce projet de loi imposerait une norme plus élevée ou un fardeau plus lourd que ne le prévoit actuellement la loi. Le projet de loi modifie les dispositions législatives concernant la divulgation et établirait une norme qui violerait probablement la Constitution. C'est une norme encore plus élevée que les critères O'Connor ou Stinchcombe ou de toute autre loi semblable.
Enfin, eu égard aux mandats de perquisition, le projet de loi vise à codifier le droit, mais, j'estime respectueusement qu'il le fait de façon dangereusement simpliste. Des considérations importantes sont omises de la liste. Je suis certain que ce n'était pas intentionnel, mais certains points devraient figurer dans cette liste. Si ce projet de loi est adopté tel quel, on considérera que cette nouvelle codification remplace les pratiques actuelles de la common law. Certains facteurs ne pourront plus être pris en compte. Il en résultera un changement fondamental et, à mon sens radical des lois actuelles.
Je vous remercie de m'avoir invitée à vous adresser la parole aujourd'hui. Permettez-moi d'abord de vous expliquer pourquoi je suis ici. Étant donné que le ministre de la Justice est responsable de la réforme du droit pénal, le ministère s'intéresse à toutes mesures législatives qui entraîneraient des changements importants au droit pénal; je suis donc ici aujourd'hui pour vous donner un bref aperçu des dispositions actuelles et notre évaluation des changements qu'entraînerait le projet de loi, intentionnels ou non.
Je ne répéterai pas ce qui a été dit pour gagner du temps mais je commencerai tout de même par vous dire que, en ce qui concerne la définition de « journaliste », la jurisprudence ne définit pas ce qu'est un journaliste mais qu'elle s'applique aux journalistes professionnels, ceux qui sont à l'emploi d'un journal, par exemple. Les tribunaux se sont surtout penchés sur l'activité de journaliste. Ce sont les informations liées à cette activité de journaliste qui comptent et c'est peut-être ce qu'on vise dans la définition qui figure au projet de loi, mais celui-ci ne définit pas l'information et ne précise pas que l'information visée doit être liée à une activité journalistique. J'ai cru bon de vous le signaler.
J'aimerais aussi soulever un point dont M. Hawkes a fait mention. À l'heure actuelle, en common law, les journalistes jouissent d'un privilège qui leur est accordé au cas par cas. Au départ, il incombe au journaliste de démontrer que l'information en question, y compris l'identité de sa source, est une information confidentielle. La common law prévoit un critère permettant de déterminer si l'information est confidentielle ou non. Puis il incombe encore une fois au journaliste de démontrer que l'intérêt de la non-divulgation est supérieur à l'intérêt de la divulgation. Le fardeau de la preuve incombe toujours au journaliste. Le projet de loi semble établir une présomption de confidentialité pour l'information et fait en sorte que l'information n'est divulguée que si celui qui en veut la divulgation peut satisfaire à certains critères prévus par la loi. Cela modifierait certainement la loi actuelle.
De plus, très brièvement, j'attire votre attention sur ce que nous appelons la disposition de préséance, le paragraphe 39.1(2), qui donne la priorité à cette loi en particulier non seulement sur les autres lois du Parlement mais aussi sur les dispositions de la Loi sur la preuve au Canada. J'attire votre attention sur le fait que, comme on fait mention de mandats de perquisition et de différents critères dans le projet de loi, celui-ci semble s'appliquer aux poursuites criminelles ou pénales. Rappelons que la Loi sur la preuve au Canada régit toutes les instances fédérales, ce qui comprend les poursuites où le juge n'est pas celui qui établit les faits. Cela inclut donc les tribunaux administratifs, les travaux de comité, de commissions d'enquête, etc. Il y a donc lieu de se demander si la portée du projet de loi est conforme à toutes les instances fédérales assujetties à la Loi sur la preuve au Canada.
Par ailleurs, les critères devant servir à déterminer, par exemple, si l'identité d'une source ou des informations non encore publiées que possède un journaliste devraient être divulguées diffèrent, à mon avis, de ce qui existe actuellement. M. Hawkes a évoqué le critère qui s'applique aux renseignements non publiés. Le tribunal ne peut ordonner à un journaliste de divulguer les informations non publiées à moins qu'on ne satisfasse à deux critères bien précis prévus par la loi. C'est bien différent des divers facteurs, par exemple, qui ont été pris en compte dans l'affaire de la Reine contre Hughes où le tribunal devait déterminer si les déclarations de victimes d'agression sexuelle devraient être révélées à la défense. C'est un journaliste qui possédait ces déclarations.
Dans cette affaire, la cour a souligné l'importance de nombreux facteurs différents quand on doit déterminer si les intérêts de la divulgation priment ceux de la non-divulgation. Le tribunal se demande notamment si les preuves sont pertinentes et d'un caractère significatif pour le procès; si l'accusé a besoin de ces preuves pour présenter une défense pleine et entière; si ces informations ont une valeur probante; si on peut obtenir ces preuves par d'autres moyens; si l'on nuira à la capacité des médias de recueillir et de diffuser les nouvelles en obligeant à produire des preuves et, en affirmative, dans quelle mesure; si la nécessité d'obtenir ces preuves est supérieure au préjudice que subiraient les médias, si préjudice il y a; et si on pourrait minimiser le préjudice causé aux médias en exigeant la présentation des seules preuves nécessaires à l'accusé pour plaider sa cause... [Note de la rédaction: Difficulté technique]... certainement un examen attentif de tous les facteurs pertinents.
Enfin, comme je dispose de peu de temps, j'attirerais votre attention sur le fait qu'au sujet des mandats de perquisition, à l'heure actuelle, le tribunal qui doit décider d'émettre un tel mandat doit trouver le juste équilibre entre les intérêts concurrents de l'État dans l'enquête et la poursuite des crimes et le droit à la protection des informations confidentielles qu'ont les médias alors qu'ils recueillent et diffusent les nouvelles.
À noter que le critère proposé au paragraphe 39.1(8) plus précisément à l'alinéa b) pourrait donner lieu à une situation où cet équilibre ne serait plus le facteur déterminant mais bien un parmi d'autres critères auxquels il faudrait satisfaire pour délivrer un mandat. Cela me paraît comme un changement assez important par rapport au droit actuel.
Merci, monsieur le président.
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Merci, monsieur le président.
Je suis une collègue de Karen Markham et je ne répéterai pas ce qu'elle a dit. J'aimerais seulement vous signaler quelques points.
Ce qui me préoccupe le plus dans ce projet de loi, à titre de directrice du Groupe sur la sécurité nationale, c'est la disposition de préséance dont Karen a fait mention et la disposition traitant des autres informations qu'un journaliste peut avoir en sa possession.
La disposition de préséance semble soustraire le projet de loi à l'application des articles 37, 38 et 39 de la Loi sur la preuve au Canada. Ces articles visent à protéger les informations délicates ou sensibles. J'aimerais particulièrement vous expliquer brièvement la protection des informations sensibles conférée par l'article 38 et le conflit possible entre le contenu du projet de loi et ce que prévoit déjà la Loi sur la preuve au Canada.
Essentiellement, l'article 38 de la Loi sur la preuve au Canada est un mécanisme qui fait en sorte que les renseignements sensibles dont disposent le gouvernement sont protégés, dans l'intérêt public, lors de procédures. Dans le contexte d'une instance judiciaire, ce qui comprend, comme l'a expliqué Karen, les travaux des tribunaux administratifs, les procédures civiles et les procédures pénales, le régime prévu par l'article 38 s'applique quand des informations potentiellement préjudiciables ou sensibles pourraient être divulguées. Ces deux termes sont définis dans la loi et s'entendent de tout renseignement qui pourrait causer un préjudice à la sécurité nationale, à la défense nationale ou aux relations internationales, ou à l'égard desquelles le gouvernement prend des mesures de protection.
Par conséquent, dans une procédure judiciaire, si un participant sait que des informations sensibles pourraient être divulguées, il est tenu d'en donner avis au Procureur général du Canada.
Cet avis vise à prévenir la divulgation d'informations sensibles et oblige le Procureur général du Canada à examiner les informations, à tenir des consultations et à décider d'autoriser ou non la divulgation des informations sensibles. La Cour fédérale, par l'entremise de juges désignés, peut toutefois examiner cette décision.
Autant le Procureur général du Canada que la Cour fédérale appliqueront les mêmes critères au moment de déterminer si les informations sont conformes à la procédure et si la divulgation de ces informations sera préjudiciable aux relations internationales ou à la défense et la sécurité nationales Ils appliqueront ensuite le critère de l'intérêt public, selon lequel on évalue ce qui présente le plus d'intérêt pour le public, soit le maintien de la prohibition ou la divulgation de l'information. Encore une fois, la Cour fédérale peut prendre une ordonnance de divulgation d'une partie des informations, de toutes les informations ou même, dans certains cas, d'un résumé.
Comme je l'ai indiqué, le régime de l'article 38 s'applique à toutes les instances sauf celles qui en sont exclues dans une annexe. Les procédures soustraites à l'application du régime sont celles qui comportent déjà un mécanisme de protection des informations sensibles dans l'intérêt public.
Sauf tout le respect que je dois à M. Ménard, j'estime qu'il y aurait un conflit entre ces dispositions de la Loi sur la preuve au Canada et en particulier le paragraphe 39.1(7) proposé qui dispose qu'un « journaliste n'est tenu de divulguer des renseignements ou de communiquer des documents qui n'ont pas été publiés que s'ils ont une importance déterminante et qu'ils ne peuvent être mises en preuve par un autre moyen ». J'imagine facilement que, dans le contexte d'une instance judiciaire, aux termes de l'article 39.1, un journaliste soit considéré comme un participant. Le journaliste sait quel genre d'information il a reçu et sait donc s'il s'agit d'information sensible ou non. Ces informations ont peut-être déjà été publiées en partie, mais nous ne pouvons pas savoir s'il y a d'autres informations sensibles qui pourraient être publiées ultérieurement.
Le journaliste est donc tenu de donner avis de l'existence de ces informations, ce qui entraînera l'interdiction de publier ces informations. En revanche, il peut aussi être tenu de divulguer ces informations si elles sont d'une importance déterminante.
Il semble y avoir un conflit entre l'obligation de donner un avis et la prévention de la divulgation d'informations sensibles, d'une part, et, d'autre part, l'obligation de se conformer à une ordonnance possible de divulgation.
De plus, comme je l'ai indiqué, le critère employé par le procureur général du Canada et la Cour fédérale semble être différent de celui prévu par le projet de loi. Je ne les répéterai pas, mais ma collègue vous a donné certains des critères qui s'appliquent aux cas de sécurité nationale ou aux demandes faites en vertu de la Loi sur la preuve au Canada.
Encore une fois, il semble y avoir un conflit entre l'article 38 du régime actuel et le critère juridique et la possibilité que les dispositions prévues par le projet de loi aient préséance.
J'aimerais aussi soulever la possibilité qu'il y ait un vide. Si on oblige les journalistes à divulguer des informations d'une importance déterminante, ils seront peut-être tenus de divulguer plus d'informations sensibles qu'ils ne l'ont fait.
En terminant, M. Ménard a évoqué l'affaire Charkaoui, à Montréal. En l'occurrence, deux journalistes, M. Bellavance et son collègue, ont publié un article dans La Presse et Le Droit dans lequel ils citent un document très secret qui semblait provenir du Service canadien du renseignement de sécurité. M.Charkaoui a tenté d'avoir accès à ce document en citant le journaliste à comparaître avec les documents en question. Or, personne ne connaissait le contenu de ce document outre ce qu'on en disait dans l'article de journal. Le procureur général étant partie à cette affaire a envoyé un avis à deux groupes différents relevant du procureur général du Canada. Cet avis visait à empêcher le journaliste de divulguer d'autres informations avant qu'une décision ne soit prise.
Le juge Noël a estimé qu'il pouvait régler la question en invoquant l'article 78 de la Loi sur l'immigration qui prévoit un mécanisme de protection des informations sensibles. En définitive, le juge Noël n'a pas divulgué le document mais seulement un résumé, un pouvoir dont il dispose et qu'il a exercé pour s'assurer que M. Charkaoui pourrait poursuivre son opposition et que l'on veillait à l'intérêt public en faisant en sorte que les informations sensibles contenues dans le document étaient protégées.
Voilà donc ce qui s'est produit dans le passé. Ce sont là les conflits possibles entre le projet de loi et l'article 38 sous sa forme actuelle.
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Merci, monsieur le président et membres du comité. Je suis contente de vous parler aujourd'hui des modifications proposées par le projet de loi et plus particulièrement de vous expliquer quels seraient les effets pratiques de ces modifications pour les Forces canadiennes.
Sachez bien que mon intention aujourd'hui n'est pas de remettre en question l'importance du projet de loi ou des amendements qui y sont proposés, mais de bien faire comprendre aux membres du comité, certaines des répercussions potentielles desdits amendements pour les Forces canadiennes et le Système judiciaire militaire canadien. Pour décrire ces renseignements, je dirais comme M. Hawkes qu'il s'agit des conséquences involontaires des amendements proposés.
Pour commencer, comme vous le savez, la définition du journaliste donnée dans le projet de loi comprend toute « personne qui contribue régulièrement et directement à la collecte, la rédaction, la production ou la diffusion d'informations, par l'entremise de médias, à l'intention du public, ou tout collaborateur de cette personne ».
Ce libellé engloberait des membres des Forces canadiennes qui ont des activités de nature non journalistique. Cela comprendrait des membres dont les principales tâches sont la collecte et la diffusion d'informations à l'intention du public, comme les officiers des affaires publiques. De plus, cette définition comprendrait des membres qui contribuent régulièrement aux publications des Forces canadiennes à des fins de sensibilisation pour des questions d'actualité comme les politiques relatives au personnel militaire et les communications sur la rémunération. En outre, quiconque collabore avec ceux qui s'occupent de la collecte et de la diffusion de ce genre d'informations, comme les informaticiens ou les commis seraient englobés dans la définition.
Cette définition du journaliste, appliquée aux membres des Forces canadiennes, pourrait avoir pour effet de créer une contradiction entre les protections visées par le projet de loi et l'obligation des militaires de signaler des infractions à la discipline. Les règles militaires exigent des membres des Forces canadiennes qu'ils fassent part aux autorités compétentes de toute infraction aux règles pertinentes, règlements, ordres et instructions relatives à la conduite des militaires. Étant donné la définition assez large proposée pour le terme journaliste, ce risque de conflit est très réel.
Deuxièmement, vous le savez aussi, les modifications proposées ne s'appliqueront pas seulement à la procédure judiciaire mais aussi aux procédures non-judiciaires relevant du Parlement. En vertu de la Loi sur la défense nationale, cela comprendrait les commissions d'enquête qui peuvent se tenir au Canada comme à l'étranger. D'après les amendements proposés, pour contraindre un journaliste à révéler l'identité d'une source pendant une procédure non-judiciaire, comme une commission d'enquête, il faudrait un ajournement et une demande d'ordonnance judiciaire. Les effets logistiques potentiels de cette exigence sont alourdis par la portée de la définition du journaliste, si elle n'est pas modifiée, ainsi que par le fait que les commissions d'enquête peuvent avoir lieu à l'étranger. On serait donc tenu d'obtenir une ordonnance au Canada, pour que la commission puisse poursuivre ses travaux.
De plus, lorsque le juge détermine s'il est dans l'intérêt public d'ordonner la divulgation d'une source, il doit en vertu de l'alinéa 39.1(5)d) tenir compte de trois facteurs, dont on a déjà parlé: la conclusion du litige, la liberté de l'information et les conséquences qu'aurait le témoignage du journaliste sur la source.
La portée limitée de ces facteurs les rendrait difficilement applicables dans le contexte de procédures non-judiciaires comme une commission d'enquête, qui vise à faire enquête et non pas à régler des litiges, et on ne pourrait tenir compte d'autres facteurs qui pourraient être pertinents, comme la sécurité opérationnelle ou nationale, très importante pour les procédures non-judiciaires qui ont lieu dans le contexte des Forces canadiennes.
Honorables membres du comité, je vous remercie de cette occasion de vous faire part de ces préoccupations d'ordre pratique. Je répondrais volontiers à vos questions.
Merci.