[Français]
Mes collègues, Mmes Yasmeen et Gagnon, et moi-même sommes ravis d'être présents et d'avoir la chance d'échanger avec vous aujourd'hui. Nous ferons de notre mieux pour contribuer à vos réflexions et à vos discussions.
[Traduction]
Je voudrais vous faire part aujourd'hui d'une conviction qui se dessine: les compétences et les connaissances fondamentales dans le domaine des idées et du comportement — pour les gens, la société et la culture — sont essentielles à l'ère numérique du XXIe siècle. Toujours selon cette conviction, les concepts et les comportements évoluent. En saisissant mieux cette évolution, nous pouvons contribuer à faire du Canada une société épanouie dans cette nouvelle ère numérique du XXIe siècle en mutation rapide.
Plus précisément, je mettrai l'accent sur trois conclusions clés dégagées de récents travaux de recherche. Premièrement, les nouveaux médias sont très importants parce qu'ils favorisent et accélèrent les changements conceptuels profonds et interagissent avec eux. Ces changements définissent le XXIe siècle comme une toute nouvelle ère.
Je dois préciser que nous, les historiens, nous répugnons toujours à mettre l'accent sur le changement. Nous préférons le mettre sur la continuité. Cependant, je suis convaincu que les XIXe et XXe siècles ont finalement cédé la place au XXIe siècle et à une ère nouvelle. Ces changements expliquent pourquoi le développement de l'ère numérique se caractérise par des transformations économiques, sociales, culturelles et technologiques.
Deuxièmement, les chercheurs, les étudiants et les autres intervenants en sciences humaines et sociales sont maintenant au coeur de la recherche et de l'innovation à mesure que le contenu numérique et l'utilisation des médias numériques revêtent une importance primordiale. Tant en littérature qu'en philosophie, en sociologie qu'en science politique, en communication qu'en design, en droit qu'en gestion et en éducation, les chercheurs canadiens sont à la tête des réseaux mondiaux, en collaboration avec leurs collègues universitaires et leurs partenaires des secteurs privé et public. Cette réalité traduit la nouvelle conviction selon laquelle notre capacité d'innovation dépend d'un ensemble de technologies numériques, de contenu numérique et de savoir numérique.
Troisièmement, notre passé et notre présent placent le Canada dans une position idéale pour jouer un rôle prépondérant lui permettant d'être le premier pays numérique du XXIe siècle, le premier à maîtriser le pouvoir des médias numériques de créer une économie prospère et durable, de favoriser la cohésion sociale en servant de pont entre les diverses cultures, de mettre en place des institutions démocratiques solides et de contribuer à l'avènement d'une société civile sûre et juste.
Je vais vous donner des explications sur ces conclusions et des exemples précis montrant que mettre les gens à contribution, comme je me plais à le dire, constitue la seule solution pour passer efficacement à l'ère du XXIe siècle en mutation rapide.
Commençons par reconnaître que l'avenir nous réserve toujours des surprises. Parfois, l'avenir n'est perçu que comme le prolongement du présent. Parfois, les changements spectaculaires imaginés ne tiennent pas bien compte des forces de la continuité.
Qu'est-ce qui nous a désappointés? Ce sont certes les espoirs parfois assez exagérés, parfois simplement téméraires au sujet des nouvelles technologies. Quelques prédictions sur la fréquence d'utilisation des radios, des enregistrements, des téléviseurs ou de téléphone ont fait mouche. En fait, à la naissance de la télévision, presque tous ont convenu que cette découverte annonçait la mort de la radio, et personne n'avait prévu que les téléviseurs seraient accrochés un jour aux murs comme des tableaux du XVIIIe siècle.
Nous constatons que 41 p. 100 des Canadiens regardent la télévision sur Internet. Qui pouvait savoir que nous pourrions un jour utiliser nos téléphones portables pour recevoir des messages, écouter de la musique, lire des livres et regarder des films d'une façon, semble-t-il, illimitée, quand bon nous semble, seuls ou avec d'autres, au bureau ou à la maison?
D'après une étude récente, 76 p. 100 des Canadiens en général et 91 p. 100 des 18 à 29 ans font plusieurs choses à la fois sur Internet. Qui pouvait savoir que la distinction entre travail et loisirs deviendrait si floue? L'histoire nous a appris notamment que les technologies deviennent importantes au contact d'idées et de comportements en pleine mutation, lorsqu'elles donnent naissance à des ambitions et à des aspirations nouvelles.
Au fil des siècles, les sociétés prospères ont fait preuve de souplesse, de vivacité et d'adaptabilité, apportant les changements qui tablaient sur leurs forces pour leur permettre de s'attaquer aux nouveaux problèmes et tirer profit des nouvelles possibilités.
Aujourd'hui, de telles caractéristiques sont plus importantes que jamais, puisque trois changements conceptuels profonds définissent le XXIe siècle comme ère tout à fait nouvelle: premièrement, une nouvelle reconnaissance de la complexité; deuxièmement un nouvel engagement à l'égard de la diversité; troisièmement, un nouvel accent mis sur la créativité.
Si les médias numériques sont si importants, c'est parce qu'ils facilitent, accélèrent et redéfinissent l'importance de ces changements clés.
Commençons par la nouvelle reconnaissance de la complexité. On entend tout le temps que le monde est un lieu de plus en plus complexe, et c'est vrai. La crise financière mondiale, qui a commencé l'an dernier, illustre la complexité de plus en plus grande du monde, alors que les décideurs continuent de s'efforcer de comprendre et de modifier les processus qui représentent, en s'entremêlant, nos valeurs, nos technologies, nos ambitions, nos structures, nos psychologies et nos politiques.
Tout aussi importante et d'une signification plus tenace, dans notre ère, est la reconnaissance croissante de la réalité de la complexité. La nouvelle reconnaissance de la complexité redéfinit notre façon de penser sur les individus et sur leurs interactions avec les autres individus, y compris, désormais, leurs interactions numériques.
D'une part, les nouveaux médias nous aident à affronter la complexité des interactions humaines grâce à des stratégies d'analyse telles que l'exploration de données, l'exploration de textes, etc. D'autre part, les nouveaux médias se complexifient de plus en plus, à mesure que les distinctions héritées du XXe siècle s'estompent, comme celles entre producteurs et consommateurs, entre auteurs et lecteurs, et que sont remises en question les définitions héritées de l'ère industrielle. Qui est spécialiste? Qu'est-ce qui est authentique? Qui est le propriétaire?
Dans la reconnaissance de la complexité, nous savons maintenant que, pour construire le futur que nous voulons, les solutions technologiques, les médicaments miracles et les solutions faciles, tant stratégiques que tactiques, ne suffisent pas. Nous constatons plutôt que, plus souvent qu'autrement, l'importance de toute action ou de toute technologie dépend des relations à l'intérieur desquelles elle se situe.
C'est dans ce sens que notre capacité d'innovation dépend de plus en plus d'une constellation de technologies numériques, de contenus numérisés et de compétences numériques qui se matérialisent chez des personnes talentueuses, possédant une compréhension approfondie de la complexité sociale, économique et culturelle.
Constitue une particularité du contexte canadien la position centrale qu'occupent les universités ainsi que la recherche et l'innovation, qui mettent en présence les connaissances et les personnes talentueuses qui possèdent un savoir codifié, intégré et tacite leur permettant d'utiliser convenablement les technologies, qui sont en mesure de faire des améliorations cruciales à petite échelle dans la conception de produits, les processus de fabrication, la gestion du savoir, les types de services et les modalités de prestation de ces services et de gestion des organisations — de fait, dans tous les aspects de l'innovation, y compris l'innovation sociale et culturelle pour le XXIe siècle. C'est pourquoi les nouveaux médias sont au coeur de la nouvelle reconnaissance de la complexité.
Au-delà de la nouvelle reconnaissance de la complexité, nous embrassons désormais la diversité de diverses manières originales. Il n'y a pas longtemps, l'image dominante de la société était celle d'un moule. Pour réussir, un pays devait avoir une population homogène. Les politiques publiques essayaient d'imposer une norme unique pour les idées, les comportements et l'identité. Il y a quelques décennies à peine, encore, la diversité se définissait comme un problème à résoudre. En revanche, l'avènement de l'ère actuelle a fait comprendre que toutes les sociétés ont des origines multiples, des identités multiples, qui dépendent de l'identité de celui qui les définit et des critères qu'il utilise. Nous reconnaissons désormais que toutes les réponses ne peuvent pas venir d'un point de vue unique.
Non seulement la recherche de l'uniformité n'est-elle pas réaliste et erronée, mais nous avons constaté que l'uniformité peut souvent mener à la vulnérabilité. Autant nous estimons maintenant la diversité génétique, autant nous sommes parvenus à apprécier la force et la résistance de la diversité sociale, économique et culturelle. Au Canada tout particulièrement, nous vivons dans des cultures, des langues, des histoires et des perspectives multiples, qui se présentent tous les jours de ce point de vue diversifié.
Autrement dit, l'espoir de la mondialisation à l'ère numérique n'est pas basé sur l'imposition d'un seul modèle au reste du monde. Le futur souhaitable ne sera pas déterminé par un concours sur la supériorité entre les cultures et les sociétés dans un jeu à somme nulle, mais il suivra plutôt une démarche selon laquelle tout le monde gagne, visant à améliorer toutes les sociétés en puisant de plus en plus, grâce aux médias numériques, dans les idées, les faits et les expériences, peu importe leurs origines géographiques.
En ce sens, les nouveaux médias approfondissent et enrichissent les vigoureuses conversations qui se déroulent à l'échelle mondiale et qui reflètent l'internationalisation accrue de la vie des collectivités de partout dans le monde.
Cependant, de façon imprévue, les nouveaux médias renforcent aussi l'importance du lieu, du contexte. Tout en ouvrant une porte virtuelle sur n'importe où, les connexions numériques permettent d'élargir et d'approfondir les connexions établies dans l'espace matériel. Il suffit de penser au contact que nous maintenons avec les membres de la famille éloignée et qui sont aujourd'hui plus étroits qu'ils ne l'étaient il y a quelques décennies.
À l'Université de Toronto, le politologue David Wolfe, le géographe Meric Gertler et d'autres entreprennent une étude internationale du rôle des grappes géographiques. Il s'agit de régions où les entreprises et les institutions ainsi que les collectivités oeuvrant dans le même secteur tendent à se grouper. Mentionnons, par exemple, l'industrie du sans fil, à Calgary; la grappe biomédicale de Toronto; la grappe logicielle et numérique de Kitchener-Waterloo-Stratford. Cette recherche a montré que ces grappes géographiques sont indispensables à la réussite de l'économie globale. L'endroit, dans l'ère numérique, a de l'importance, peut-être même plus que jamais. Autrement dit, les nouveaux médias permettent et accélèrent les différences de même que les similitudes, dans le monde entier et ils influent sur elles. Ils promettent un monde plus résistant, plus adaptable, plus résilient.
La troisième cause de changement profond qui aide à expliquer l'importance croissante des nouveaux médias est l'accent mis sur la créativité. La notion de créativité est souvent liée aux produits et services du domaine artistique. En effet, l'ère numérique accroît et renouvelle, en profondeur, l'importance de ces secteurs.
En outre, la notion de créativité englobe désormais une large gamme d'autres activités — en recherche et en innovation, dans les produits, les services, les processus — dans les secteurs privé, public et sans but lucratif. Les politiques qui appuient et stimulent la créativité de façon à accroître la productivité, la concurrence et la durabilité économique sont désormais perçues comme l'une des clés de la prospérité des sociétés et des cultures dans le monde entier.
Gerri Sinclair, l'une des pionnières mondiales des médias numériques, a mis sur pied un programme de maîtrise en médias numériques au Centre for Digital Media de Vancouver, qui adhère totalement à l'approche du XXIe siècle. Elle dit que le programme d'études insiste sur la créativité, l'innovation et l'improvisation interdisciplinaire, pour que la formation permette aux étudiants de s'adapter rapidement aux idées et aux situations nouvelles.
La créativité est également le moteur de la commercialisation et de l'innovation sociale dans des démarches interactives. En effet, les clients (c'est-à-dire les utilisateurs, qu'il s'agisse de particuliers ou de sociétés), sont maintenant perçus comme les moteurs de la commercialisation et de l'innovation sociale dans l'ère numérique. Leurs idées, leurs goûts et leurs préférences font et refont le marché ainsi que nos institutions.
Cette réalité fait ressortir clairement la nécessité de comprendre la société, le changement des goûts et les préférences qui peuvent tous durer ou changer de façon attendue et inattendue. Dans ce contexte, le défi particulier que doit relever le Canada consiste à rester en contact avec les utilisateurs finaux réels de tant de ses exportations.
Pour bien saisir l'ère numérique nos chercheurs nous disent que les technologies nouvelles permettent les changements conceptuels fondamentaux, qu'elles les accélèrent et qu'elles les refaçonnent. Elles engendrent une reconnaissance nouvelle de la complexité, elles font adopter la diversité et elles mettent l'accent sur la créativité.
Ces changements conceptuels sont déjà évidents au Canada et changent rapidement les structures de nos économies, de nos cultures et de notre organisation sociale.
Tom Jenkins, chef de direction d'Open Text, et membre de notre conseil, utilise une métaphore historique et puissante pour mettre en relief et expliquer la transformation profonde qui est en train de s'opérer:
L'économie Internet a, jusqu'ici, appartenu en grande partie aux outilleurs (certains étaient Canadiens) qui ont construit l'infrastructure ayant rendu possible l'ère numérique. Mais le flambeau est en train de changer de mains. L'avenir appartient désormais, du moins en proportions égales, aux utilisateurs d'outils, aux individus créateurs, aux fournisseurs de contenus, aux fournisseurs de services, qui ont appris comment prendre images, sons, idées et concepts et se les échanger numériquement.
Il convient d'insister sur la nature de cette mutation, qui opère un changement de modèle, car nous sommes à un tournant de l'histoire, où nous assistons à la convergence de la science, de la technologie, de l'art, de la littérature et de la culture.
Permettez-moi d'illustrer rapidement, à l'aide de quelques exemples, comment les chercheurs qui se situent à la confluence des sciences sociales et des humanités tentent non seulement de répondre aux questions clés de notre ère, mais, également, comment ils utilisent et créent des médias numériques pour aider le Canada à s'engager avec succès dans le XXIe siècle mûrissant.
Le professeur d'histoire à l'Université Concordia, Steven High, collectionne les comptes rendus oraux des événements sociaux transformateurs qui influent en profondeur sur les collectivités de Montréal. Les comptes rendus sont enregistrés numériquement et conservés au Centre d'histoire orale et de récits numérisés de l'université. Travaillant avec 15 partenaires qui représentent les diverses collectivités d'immigrants de Montréal, de même qu'avec toute une gamme d'organismes du domaine du patrimoine, des droits de la personne et de l'éducation, le centre donne une formation technique et une formation en recherche sur le campus et dans la collectivité.
Le professeur d'anglais à l'Université de Victoria, Ray Siemens, travaille avec des collègues à la construction de nouveaux environnements du savoir. Son équipe et lui étudient comment la technologie numérique nous permet de modifier de façon fondamentale notre façon d'écrire, de lire et d'enregistrer l'humanité elle-même. Sa recherche montre comment le rythme de ce changement a creusé un fossé entre nos pratiques culturelles et sociales, qui dépendent d'environnements de lecture et d'écriture stables, par exemple de l'imprimé, et de nouveaux types d'objets numériques — le livre électronique n'en étant qu'un exemple parmi de nombreux autres — qui doivent être le support de ces pratiques dans l'avenir.
Pour promouvoir ce type de recherche innovante, notre équipe au Conseil de recherches en sciences humaines a récemment lancé, en collaboration avec des partenaires des États-Unis et de Grande-Bretagne, le défi « Digging into Data Challenge » aux chercheurs pour qu'ils imaginent de nouvelles façons de profiter des dépôts de données numériques dispersés dans le monde entier afin de susciter les occasions et de promouvoir l'établissement de liens internationaux.
Une autre caractéristique des nouvelles initiatives de recherche est la redéfinition des programmes d'études dans nos établissements du savoir à tous les niveaux. John Bonnett de l'Université Brock est en train de mettre au point un projet de constructions virtuelles à trois dimensions, dans lesquelles des étudiants construisent des modèles d'établissements historiques à l'aide de logiciels de modélisation en trois dimensions.
Au Canadian Centre of Arts and Technology de l'Université de Waterloo, Jill Goodwin examine comment le transfert de connaissances ainsi que les techniques de commercialisation et d'affichage numérique peuvent être appliqués au théâtre et aux arts du spectacle.
Ces efforts nous rappellent que l'histoire du Canada, l'une des sociétés ayant le mieux réussi dans le monde, se fonde sur une conviction distinctement canadienne selon laquelle la construction d'une société qui réussira dépend des investissements publics dans l'avancement des connaissances et de la science et dans le développement des talents considérés comme des biens publics.
Je souligne ce qui précède, parce que, souvent, quand nous pensons à la réussite du Canada, on l'explique par sa richesse en ressources naturelles ou, peut-être, par la chance d'avoir été contigu aux États-Unis. Je le concède, ce sont des facteurs qui ont été importants, mais alors, que dire de l'Argentine, également nantie de ressources naturelles ou du Mexique, également contigu aux États-Unis? De fait, je dirais que le fait de réfléchir à nouveau sur la réussite du Canada au cours des XIX et XXe siècles fournit le contexte nécessaire qui permet d'affronter l'ère numérique du XXIe siècle dans le cas du Canada.
Permettez-moi de raconter cette histoire très rapidement avant de conclure: je pense que le chapitre premier de l'histoire du Canada, en tant que société ayant réussi, raconte la mise sur pied d'un système commun d'écoles au XIXe siècle, dans toutes les provinces qui ont formé le Canada. Le Canada, dans son ensemble, est devenu l'une des sociétés les plus alphabétisées du monde au cours du XIXe siècle, malgré de longues périodes d'incertitude économique, d'instabilité politique, de fortes migrations et de pressions centripètes et centrifuges opposées. Le résultat, à l'époque, a été de permettre au Canada de se doter d'une économie agricole et commerciale remarquablement prospère, appuyée par une société civile résiliente.
Le chapitre deux, suite de cette histoire du Canada, société qui a réussi, met en relief la création d'universités publiques à la fin du XIXe siècle et au cours du XXe siècle. Ces universités sont restées petites, mais elles ont formé des professionnels qui ont permis la croissance des institutions, des services et des industries caractéristiques de la modernité. Dès le milieu du XXe siècle, le Canada se présentait, après deux guerres mondiales et la Grande Dépression comme un pays politiquement souverain, occupant une position bien visible sur la scène internationale. Les ressources intellectuelles du Canada et son capital humain ont joué un rôle central dans cette expérience.
Le chapitre trois décrit ensuite comment le système supérieur d'instruction au Canada s'est rapidement développé après les années 1960, comme le montre le nombre croissant de diplômes décernés à la fin du XXe siècle. Le taux d'étudiants du premier cycle par rapport à la population générale a augmenté. Dans le même temps, l'augmentation relative d'étudiants des deuxième et troisième cycles a également été notable, bien que plus lente.
Un événement important survenu pendant la période visée par le chapitre trois a été la création d'une communauté de chercheurs nés et formés au Canada. Dans la reconstruction qui a suivi la Seconde Guerre mondiale, les universités canadiennes étaient surtout peuplées de professeurs qui étaient diplômés d'établissements étrangers et qui, en conséquence, donnaient des cours en majorité basés sur des manuels importés. Autrement dit, le Canada, à de nombreux titres, était une colonie intellectuelle.
Au cours des 30 dernières années, en revanche, les initiatives fédérales en matière de recherche et le leadership fédéral ont aidé à doter les universités de programmes dynamiques pour les étudiants du premier cycle et les autres ainsi que d'activités de recherche robustes. Les investissements en ce sens se sont révélés d'une importance cruciale, puisque d'autres pays ont augmenté leur propre soutien public à la recherche.
Maintenant arrivés dans l'ère numérique, nous écrivons le quatrième chapitre de l'histoire du Canada, comme société ayant réussi, grâce à l'appui public visant à former des citoyens et des chefs talentueux dans les secteurs privé, public et sans but lucratif. Dans ce contexte, il est de plus en plus essentiel de se doter d'une culture numérique, avec accès facile à un contenu canadien — historique, contemporain, économique, social et culturel. Apprendre comment utiliser, évaluer et gérer les contenus numériques est désormais à la base de la réussite des Canadiens.
C'est pourquoi, il faut rassembler, préserver et rendre accessibles aux entreprises, aux établissements d'éducation, aux administrations publiques et à la société en général les contenus canadiens. Il est d'autant plus urgent d'agir que la recherche montre l'élargissement de la fracture numérique, particulièrement depuis la fin des années 1990. Cette fracture reflète les différences mondiales, manifestes à l'échelle des continents dans les photographies satellitaires. Mais la fracture numérique est également manifeste, ici même au pays, même à l'intérieur des collectivités. Pour certains, les médias numériques ouvrent beaucoup de portes. Pour d'autres, notamment les habitants de petites villes et de régions rurales du Canada ainsi que pour les groupes défavorisés de toutes les communautés, les nouveaux médias ne suscitent pas toujours l'optimisme et ne laissent pas toujours entrevoir de nouvelles occasions à saisir.
Les complexités de la fracture numérique, qui divisent les sexes, les races, les classes de revenu, les Autochtones et les non-Autochtones, les collectivités, intéressent particulièrement la chercheuse Dianne Looker, de l'Université Mount Saint Vincent. Cette sociologue et anthropologue sociale réunit des chercheurs du Canada, de l'Australie et de l'Afrique du Sud, afin de rétrécir cette fracture numérique.
Il faut souligner que le principal sujet de préoccupation, relativement à la fracture numérique, n'est pas simplement la connectivité. C'est, je crois, et de façon plus importante, le contenu numérisé et la culture numérique.
[Français]
Est-ce que le XXIe siècle sera celui qui appartiendra vraiment au Canada? Ou, dans l'ère numérique, le Canada risque-t-il de devenir une colonie de nouveau, cette fois une colonie numérique? Pouvons-nous assurer une présence globale du contenu canadien sur la scène numérique mondiale? Pouvons-nous faire du Canada un pays numérique robuste, engagé mondialement, contribuant au succès international au XXIe siècle?
[Traduction]
L'histoire répond par l'affirmative. En saisissant les occasions qu'offre le numérique, nous pouvons montrer au monde les contenus canadiens, dont une si grande partie est saluée à l'échelle internationale, que ce soit dans les domaines de la littérature et de l'expression artistique que dans celui des politiques publiques du multiculturalisme.
Le Canada possède des avantages déterminants. Grâce à la pénétration de la large bande, les Canadiens talentueux ne cherchent pas seulement de l'information, ils l'utilisent et la réutilisent. Ils interagissent avec elle et avec d'autres. Ils cherchent à manipuler cette information, à la commenter, à la remanier et à créer de nouveaux contenus. De fait, le monde commence à reconnaître une façon distinctement canadienne de comprendre les communications et l'importance des techniques de communication.
Permettez-moi de conclure en soulignant la nécessité, pour nous, d'admettre que, malgré des signes avant-coureurs prometteurs et la réalité de nos possibilités, les Canadiens ne tirent pas tout le parti possible des occasions qu'offre le numérique, que ce soit dans nos universités, nos entreprises, nos collectivités ou partout ailleurs. Nous pouvons et nous devons faire davantage, mais, sur la piste qui mène à l'avenir que nous désirons, nous devons d'abord franchir le seuil de l'imaginable. Autrement dit, nous devons d'abord reconnaître le défi et l'occasion de construire un pays dans le XXIe siècle.
Le Canada peut-il devenir le chef de file mondial du numérique et, en conséquence, être une société du XXIe siècle qui a vraiment réussi? Qui est mieux placé que nous? Nous possédons la technologie, le savoir-faire, le talent. Mais avons-nous l'ambition ou le courage? Avons-nous le pouvoir de rêver?
L'histoire du Canada répond par l'affirmative. De fait, la construction des chemins de fer, qui devait servir à former la nation, au XIXe siècle, offre une métaphore qui décrit très bien les défis et les occasions que pose l'ère numérique. Certes, la création du Canada à la fin du XIXe et au début du XXIe siècle a comporté la construction de chemins de fer pour unir le nouveau pays. Mais la pose du dernier crampon constituait le début de l'histoire. De fait, ce n'est pas le chemin de fer ni même le train qui a construit le Canada. C'est plutôt le contenu des trains, les personnes qu'ils transportaient, les constructeurs d'écoles, les entreprises, les institutions et les collectivités de partout au pays.
De même, l'infrastructure numérique du XXIe siècle ne comprend pas seulement des pistes numériques mais également des locomotives numériques. Elle transporte de l'information, des idées, des biens, des identités, des liens qui nous unissent et des capacités nouvelles et profondes.
Pouvons-nous faire du Canada le pays le plus riche en information, celui qui a la plus grande culture numérique du monde entier? Pouvons-nous parvenir à estimer la valeur de la préservation de nos atouts dans le numérique? Pouvons-nous utiliser ces atouts pour éduquer nos jeunes, favoriser l'éclosion d'une identité culturelle commune et nous enorgueillir de nos réalisations; créer des connaissances nouvelles et des produits nouveaux, qui propulsent notre économie? Pouvons-nous fournir partout et de façon démocratique un accès à l'information pour tous les Canadiens à l'appui de notre objectif commun de vivre dans une société progressiste et qui ne fait pas de discrimination?
Oui, l'histoire du Canada répond par l'affirmative. Nous avions coutume de dire que l'avenir est entre nos mains, mais maintenant, nous disons que l'avenir est dans notre esprit. L'avenir est tel que nous l'imaginons et tel que nous le créons. Nous pouvons faire du Canada, au XXIe siècle, un pays numérisé qui aura réussi.
[Français]
Je vous remercie grandement de nous avoir invités.