FEWO Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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Comité permanent de la condition féminine
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TÉMOIGNAGES
Le jeudi 16 juin 2016
[Enregistrement électronique]
[Traduction]
La séance est ouverte.
Je remercie nos témoins de leur présence. Nous continuons notre étude sur la violence envers les jeunes femmes et filles au Canada, et nous nous penchons aujourd'hui sur la cyberviolence.
Je remercie notre premier groupe de témoins, composé de Mme Shaheen Shariff et de Mme Lara Karaian. Je crois comprendre, Shaheen, que vous avez pris le train à partir de Montréal. Nous vous remercions d'avoir fait le nécessaire pour être parmi nous aujourd'hui.
Vous disposez de 10 minutes pour présenter vos exposés, et nous passerons ensuite aux questions.
Je vous remercie de me donner l'occasion de prendre la parole devant le Comité et de parler de la nature et de l'ampleur de la cyberviolence envers les filles et les femmes et des pratiques exemplaires pour lutter contre ce problème et le prévenir.
Je vais parler de questions pertinentes dans le contexte de deux aspects clés que, d'après ce que je comprends, le Comité est en train d'examiner, car mes travaux portent là-dessus et s'appuient sur des recherches antérieures sur la cyberintimidation et le sextage.
Il y a, premièrement, la question du rôle des universités pour ce qui est de prendre des mesures à l'égard de la culture du viol sur les campus; deuxièmement, celle des répercussions de l'hypersexualisation des femmes et des filles dans la culture populaire et les médias; et troisièmement, celle des possibilités de faire en sorte que ces secteurs et les universités contrent de telles pratiques.
Je souhaite souligner dès le départ qu'il est impossible de réduire ou de prévenir la violence sexuelle — et ce, peu importe si elle se passe en ligne ou ailleurs — si l'on ne reconnaît pas davantage que la culture du viol est profondément enracinée dans toutes les sphères de la société. De plus, il est nécessaire que de principaux groupes de la société concertent leurs efforts à long terme pour mettre au jour le problème et s'y attaquer.
Voici la définition de « culture du viol » qui décrit le mieux ce que j'en comprends et qui s'appuie sur des théories féministes — et nous vous fournirons les références et un mémoire —: la culture du viol, c'est la façon dont des attitudes et les propos sexistes dans la société appuient, minimisent et normalisent de façon tacite la violence sexuelle, surtout contre les femmes, mais aussi contre d'autres genres, par des organisations, des collectivités et des individus.
Ancrée dans la discrimination, la culture du viol se manifeste — et c'est important — par un continuum de comportements sexistes qui se recoupent et qui incluent farces, insinuations, harcèlement, menaces en ligne et hors ligne, distribution non consensuelle d'images intimes en ligne, agression physique et viol.
Les universités sont confrontées à plusieurs difficultés. Des universités canadiennes ont fait l'objet de fortes critiques de la part d'étudiants et ont retenu l'attention des médias pour leur réaction lente et inefficace à des cas signalés d'actes de violence sexuelle. Parmi les cas de cyberviolence, il y a des messages à caractère sexuel choquants. Par exemple, des étudiants d'une école de médecine dentaire ont créé une page dans les médias sociaux sur laquelle ils parlaient de l'idée de violer leurs condisciples féminines après les avoir droguées avec du chloroforme. Dans un autre cas, des dirigeants étudiants masculins discutaient en plaisantant en ligne de l'idée de violer la présidente du syndicat étudiant en raison de son rôle de dirigeante.
Selon des rapports de groupes de travail qui ont été présentés à la suite de certains de ces incidents très médiatisés, bien que la culture du viol dans la société en général est reflétée dans des universités, peu d'études empiriques portent sur l'influence qu'ont les médias et la culture populaire sur les collectivités universitaires. Ils ont également attiré l'attention sur le manque de communication entre l'administration centrale et les facultés et le manque de clarté concernant les processus de présentation de rapports et les réponses qui assurent un processus régulier.
Les administrateurs de politique et le milieu juridique, dont les juges, sont souvent déconnectés de la réalité des jeunes femmes ou, en fait, des jeunes, et des normes sociales changeantes dans une société branchée, comme nous l'avons constaté. Bon nombre d'entre vous ont peut-être entendu parler du récent cas de viol à Stanford. Il est important de se rappeler que les étudiants universitaires et les élèves du secondaire sont d'importants consommateurs de médias sociaux et de culture populaire, de comédie, et qu'ils sont exposés à des plaisanteries et des paroles de chansons en ligne sexistes et misogynes, à l'hypersexualisation dans la publicité, etc. Or, ce sont les adultes qui, de façon générale, créent et perpétuent ce type de contenu. Alors, pourquoi sommes-nous étonnés que les jeunes les intériorisent?
Les changements dans les normes et un seuil plus élevé concernant le sexisme et l'homophobie commencent à un plus jeune âge, et cela nous ramène à notre étude sur le sextage et la cyberintimidation. Dans cette étude, nous avons examiné des jeunes âgés de 9 à 17 ans. Nous avons constaté qu'au moins 65 % d'entre eux ont dit qu'ils participeraient à la distribution non consensuelle d'images intimes et à du sextage pour s'amuser ou pour faire rire leurs amis — 65 % — en particulier dans le groupe des 13 à 17 ans.
Il est difficile d'établir l'intention sur le plan juridique pour la question des messages choquants en ligne. Je vais tout simplement vous parler de deux scénarios que nous avons donnés aux étudiants dans le cadre de notre étude. Les résultats que nous avons obtenus sont intéressants.
Dans le premier scénario, on donnait l'exemple fictif de Dana. Dana est ivre et une vidéo la montrant en état d'ébriété a été mise en ligne. Dana a-t-elle raison d'être furieuse? Parmi les élèves, 98 %, garçons et filles, ont répondu « oui » à la question. Ils étaient d'avis qu'elle avait tout à fait raison d'être furieuse parce que ses parents allaient savoir qu'elle avait été ivre à l'occasion d'une fête.
Pour ce qui est du deuxième scénario, c'est l'histoire fictive d'Ashley, qui envoie une vidéo ou une photo intime d'elle-même à son petit ami, en qui elle a confiance. Ce petit ami met la vidéo en ligne. Ashley est-elle en droit d'être furieuse? Eh bien, 51 % des jeunes ont répondu « non » parce qu'elle a, soi-disant, elle-même causé le problème.
On mettait moins l'accent sur le fait que le petit ami avait trahi sa confiance ou qu'il était responsable de ses gestes. Ce qui est paradoxal, c'est que mettre le blâme sur la victime est quelque chose qui se fait très couramment dans notre société, et comme nous l'avons constaté dans des affaires judiciaires au Canada et aux États-Unis, cela se reflète dans la façon dont les adolescents se comportent ou pensent. Cela hausse la barre pour la culture du viol et devient normal dans la façon dont nos jeunes s'expriment, dans la musique qu'ils écoutent, et la violence et le sexisme qu'ils voient dans la culture populaire et les jeux, mais cela fait également partie de la société adulte. En définitive, il ne sert à rien d'appliquer les politiques et les sanctions institutionnelles traditionnelles, car elles ne sont plus pertinentes. Les normes sociales ont changé et il faut intervenir d'une façon qui interpelle les jeunes et trouver des solutions globales.
À cet égard, je veux insister sur le pouvoir des médias sociaux pour démanteler la culture du viol et favoriser un changement culturel positif. Les médias sociaux fournissent aux gens — comme certains cas récents nous ont permis de le constater — une grande plateforme pour s'opposer à la violence sexuelle. Des dialogues pédagogiques peuvent être menés dans les médias sociaux pour mettre au jour et dénoncer la culture du viol. Les gens peuvent s'élever contre les messages choquants diffusés en ligne.
Cela a permis — par exemple au début de l'affaire Jian Gomeshi — à des gens de témoigner en utilisant le mot-clic #rapebutneverreported, qui est devenu viral; il en est de même du mot-clic équivalent en français qui a été utilisé au Québec. La déclaration bouleversante de la survivante d'un viol commis à l'Université Stanford a été diffusée abondamment en ligne, et les gens étaient fâchés de la peine clémente de six mois, qui a suscité des critiques virulentes. Il en est de même pour la réaction du père du violeur — qui disait que son fils payait cher pour un acte qui avait duré 20 minutes. Le New York Times, par exemple, a souligné que cela laisse croire que la société a commencé à tourner la page et à s'élever contre la violence sexuelle et qu'Internet est un bon outil pour sensibiliser la population.
Combien de temps me reste-t-il?
Les sanctions graves ne fonctionneront pas. De toute évidence, nous souhaitons une responsabilité accrue du côté des auteurs de ces actes, mais on ne peut y arriver par l'adoption de lois plus sévères dans notre système de justice pénale, car si la culture du viol est aussi normalisée, de telles dispositions n'aideront pas nécessairement les jeunes à comprendre en quoi quelque chose ne va pas ou à quel moment ils ont dépassé les limites et ont commis des actes illégaux.
Il y a, par exemple, l'application des lois sur la pornographie juvénile — qui sont conçues pour protéger les jeunes — dans le cas des jeunes qui pratiquent le sextage, surtout à un jeune âge. Par exemple, des élèves de 11 à 13 ans, sur Snapchat, ont demandé à certaines de leurs camarades de classe de leur envoyer des photos; ils ont été accusés de distribution, de possession et de production de pornographie juvénile. Dans l'affaire de Maple Ridge en 2011, en Colombie-Britannique, une jeune fille a été victime de viols collectifs et un adolescent a mis cela en ligne. L'adolescent a été condamné à écrire une dissertation sur les fléaux d'Internet, ce qui montre à quel point certains juges sont déconnectés de la réalité et qu'il faut — et ce n'est qu'un cas parmi d'autres, en plus du cas de Stanford — informer les juges et les gens du milieu juridique.
Bien que la Loi sur la protection des Canadiens contre la cybercriminalité contienne des dispositions sur la distribution non consensuelle d'images intimes, elle ne permettra pas, à elle seule, de réduire grandement ce type de comportement.
Pour ce qui est de mes conclusions et de mes recommandations, je dirais qu'il est essentiel que les universités récupèrent la responsabilité — et je vais me concentrer sur les universités ici, puisque je fais partie de l'une d'entre elles — et, en tant qu'établissements d'enseignement supérieur, qu'elles prennent la responsabilité quant à la sensibilisation. Nous avons la capacité d'élaborer des modèles de programme et de politique qui placeraient le Canada à l'avant-garde à l'échelle internationale concernant une stratégie fondée sur des données probantes et éclairées pour contrer la violence sexuelle.
Nous avons commencé ce processus à McGill — et je serai ravie de donner plus de détails lorsque vous me poserez des questions — en collaboration avec plusieurs universités et secteurs des arts et des médias pour comprendre dans quelle mesure chaque secteur soutient tacitement la culture du viol ou peut susciter le changement par la modification des politiques et des pratiques.
Je vous remercie beaucoup de m'avoir donné l'occasion de témoigner.
En fait, vous avez eu presque une minute supplémentaire.
Merci beaucoup.
C'est maintenant au tour de Mme Karaian.
C'est la première fois que je parle devant un comité parlementaire, et j'en suis très heureuse. Pour la première fois de ma vie, je vais parler lentement, enfin je l'espère.
J'aimerais vous remercier de me donner l'occasion de vous parler de la question de la cyberviolence envers les jeunes femmes et filles. Compte tenu du temps limité dont je dispose, je vais parler d'un de mes domaines de compétence, c'est-à-dire la redistribution non consensuelle d'images à caractère sexuel créées et partagées de façon consensuelle. C'est ce qu'on appelle communément la pornographie vengeresse ou non consensuelle, ou le viol virtuel, comme certaines personnes le disent, bien qu'aucun de ces termes ne décrit le phénomène avec exactitude, à mon avis. Étant donné que le langage que nous utilisons pour comprendre et construire nos réactions à la cyberviolence est important, je serai heureuse d'expliquer pourquoi je pense que ces termes ne sont pas les plus justes lorsque vous me poserez des questions, si vous le souhaitez.
Bon nombre de filles et de jeunes femmes qui apparaissent dans des images et des vidéos à caractère sexuel qui sont redistribuées de façon non consensuelle vivent cette expérience comme une atteinte à leur autonomie sexuelle et à leur vie privée. Parmi les conséquences possibles, on retrouve la détresse psychologique et émotionnelle, des répercussions négatives sur les relations interpersonnelles et amoureuses et la crainte de ne pas obtenir ou de perdre un emploi. De plus, nous savons que la menace de redistribution est utilisée pour intimider et harceler des gens.
Je vais laisser le soin à d'autres de parler de la fréquence. Je sais qu'un représentant de MediaSmarts comparaîtra, et je crois que Jane en parlera dans le second groupe. Je vais vous fournir un autre point de vue sur la façon de concevoir le problème et de ne pas causer de torts en essayant d'agir à l'égard de la cyberviolence sexuelle.
Dans son dossier intitulé La violence à caractère sexuel faite aux femmes au Canada, Condition féminine Canada a déjà signalé que l'analyse intersectionnelle — qui met en lumière les recoupements entre différents aspects de l'identité d'une personne ou de sa situation sociale qui peuvent la rendre plus susceptible qu'une autre d'être victime de violence sexuelle — doit orienter les recherches et les initiatives de Condition féminine Canada.
À l'instar d'autres chercheurs, j'ai déjà souligné la mesure dans laquelle les filles et les femmes qui sont victimes de redistribution non consensuelle souffrent différemment de la plupart des garçons, — mais pas tous —, voire de façon disproportionnée par rapport à eux, en raison des doubles standards qui existent concernant les sexes, qui sont déjà liés à la discrimination fondée sur la race, la classe sociale, une incapacité et une vision hétéronormative.
J'ai formulé des critiques sur la protection de l'enfance, l'application de la loi et les efforts législatifs qui exploitent ces doubles standards en encourageant les jeunes femmes et les filles à s'abstenir de se représenter elle-même dans l'univers numérique ainsi que leur sexualité si elles ne veulent pas être victimes de redistribution non consensuelle.
J'aimerais aujourd'hui exhorter les membres du Comité à se concentrer sur l'intersectionnalité lorsqu'ils élaboreront des mesures sur la cyberviolence sexuelle, et j'aimerais lui demander d'examiner non seulement en quoi les torts causés par la redistribution non consensuelle découlent des attitudes discriminatoires envers les filles qui transcendent les frontières des conventions en s'exposant comme des êtres sexuels, alias garces, mais également — et c'est la partie difficile — dans quelle mesure ces torts proviennent de la représentation de ces filles comme des vedettes pornos.
J'aimerais vous demander d'intégrer les phobies de la prostitution et de la pornographie à notre discussion sur la cyberviolence sexuelle.
Par « phobie de la prostitution », j'entends les préjugés auxquels font face les travailleuses du sexe — les femmes qui sont dans l'industrie de la pornographie, celles qui offrent des services sexuels dehors ou à l'intérieur et les danseuses. Comme l'ont dit certains spécialistes de l'Université Carleton et de l'Université d'Ottawa, et des activistes, la phobie de la prostitution inclut des idées sur les travailleuses du sexe selon lesquelles ce sont des personnes sales, immorales et hypersexualisées qui transmettent des maladies.
Par « phobie de la pornographie », j'entends ce que je conçois comme des paniques morales au sujet de la « pornification » de la culture et l'idée selon laquelle même la porno créée et distribuée de façon consensuelle correspond, au mieux, à de la dévalorisation et, au pire, à quelque chose qui est dégradant, qui est lié à l'objectification et qui constitue une atteinte à l'autonomie sexuelle des femmes.
J'étudie les questions liées à la pornographie et je suis dans le domaine de la criminologie culturelle. Mes recherches sur la réglementation de l'expression sexuelle montrent à quel point la catégorie « prostituée » agit comme un marqueur pour les personnes qui ne sont pas considérées comme méritant le statut de victime ou qui sont vues comme des victimes qu'on doit sauver contre leur volonté.
La phobie de la prostitution et de la pornographie teinte notre perception — et nos réactions à cet égard — de la redistribution non consensuelle d'images de nature sexuelle, c'est-à-dire lorsque de jeunes femmes et de jeunes filles voient leur confiance et leur intimité violées, leur corps profané, et cela se produit entre autres parce que notre société libertine continue néanmoins d'entretenir une attitude discriminatoire envers les travailleuses du sexe et l'industrie du sexe. J'en tiens pour preuve les mauvais traitements réservés aux travailleuses du sexe par la police et l'État, hier comme aujourd'hui, ainsi que les campagnes menées récemment par les travailleuses du sexe afin d'humaniser leur travail. Je pense par exemple à la campagne « Prostitutes are people too », lancée par le groupe de travailleuses du sexe Stepping Stone, établi à Halifax.
Malgré les meilleures intentions du monde, lorsque nous qualifions la redistribution des images sexuelles d'une jeune fille de la « pire chose qui puisse lui arriver », un événement qui nuira à ses relations, à sa carrière, et qui pourrait même mettre sa vie en danger, nous puisons dans la phobie de la prostitution et de la pornographie. Non seulement nous faisons du mal aux filles dont les images ont été redistribuées — parce que nous leur envoyons le message qu'elles devraient être horrifiées de ce qui leur est arrivé —, mais nous portons aussi atteinte sans le vouloir à un autre groupe de filles et de femmes grandement marginalisées, celles de l'industrie du sexe.
Compte tenu de votre mandat, qui est de comprendre la corrélation entre la violence cybersexuelle et les relations discriminatoires systémiques et prévalentes, telles que le sexisme, le racisme, l'homophobie et les préjugés de classe, je vous demande d'examiner également comment les travailleuses du sexe sont particulièrement mises à risque de subir de la violence, sexuelle ou autre, lorsque nous affublons de qualificatifs aussi extrêmes l'étalage public de la sexualité d'une personne, et que nous adoptons des lois aussi sévères à leur égard.
Pour ce qui est des mesures à prendre, il est certes extrêmement important de sensibiliser les jeunes à la façon dont leurs nouvelles normes en matière de sexualité et de communication outrepassent parfois les limites légales, et que leurs gestes peuvent constituer des agressions, des agressions sexuelles, du harcèlement, de la diffamation et de la distribution de pornographie juvénile, mais comme Shaheen l'a également mentionné, il est tout aussi important de sensibiliser les forces de l'ordre, les procureurs de la Couronne, les juges, le Parlement, nous-mêmes, les enseignants, les parents et les adolescents, afin que soient délaissées les attitudes discriminatoires envers la sexualité quasi publique, non monogame et non normative et ses représentations.
J'ai longuement abordé la question dans mes recherches, mais je crois qu'accuser de distribution de pornographie juvénile les adolescents qui distribuent les images sexuelles de leurs pairs sans leur consentement, c'est une sanction totalement disproportionnée par rapport à l'infraction, et c'est contraire à l'intention des législateurs. À titre de témoin expert pour deux contestations constitutionnelles à l'application des lois sur la pornographie juvénile dans le contexte de la non-distribution, je peux vous confirmer que ces lois sont appliquées à tort contre des jeunes racialisés — notamment dans un cas impliquant une jeune fille autochtone et un jeune homme racialisé — qui n'ont aucunement l'intention de distribuer de la pornographie juvénile, ni même de faire du mal à qui que ce soit. Dans l'autre cas, c'est un jeune homme qui voulait vanter la beauté de sa copine.
À l'avenir, j'encouragerais les membres du Comité à examiner comment le féminisme prônant une attitude positive à l'égard de la sexualité constitue un cadre théorique important pour engager un dialogue sur la violence sexuelle en ligne. Promouvoir le plaisir des femmes et leur droit à s'exprimer sexuellement sur le Web pourrait être un élément critique de l'éducation sur la façon de réagir à la violence sexuelle, en ligne ou non. Jane Doe, qui a poursuivi la police pour avoir omis d'avertir les femmes de la présence d'un violeur en série au centre-ville de Toronto, a fait valoir que les mesures prises contre les agressions sexuelles, en ligne et hors ligne, devraient inclure un programme d'éducation s'adressant aux plus jeunes et abordant notamment les sujets du plaisir, de la communication, de l'appréciation mutuelle et de la technique. De nos jours, l'expression sexuelle numérique fait partie de la technique.
Le gouvernement fédéral a toujours pris des mesures positives dans cette direction, en actualisant le programme d'éducation sexuelle, pour discuter entre autres du respect et du consentement. J'ai bon espoir que nous allons continuer d'étudier la question de la violence cybersexuelle selon un angle critique. Je suis disposée à en discuter davantage lors de la période de questions et réponses.
Merci.
Merci beaucoup pour votre exposé.
Nous avons commencé en retard, alors je me demandais si les membres du Comité accepteraient d'écourter le premier tour. Ce serait des interventions de six minutes plutôt que sept. Est-ce que cela vous convient?
Mme Sahota va entamer le premier tour. Vous avez six minutes.
Merci pour vos exposés, mesdames Shariff et Karaian.
Ma question s'adresse à Mme Karaian.
Votre document « Selfies, Sexuality and Teens: A Canadian Study » porte sur le contexte entourant les programmes de déjudiciarisation criminelle, les initiatives de sécurité sur Internet, et les messages d'intérêt public. Je me demandais si vous pouviez nous faire part de vos commentaires sur la notion que vous semblez mettre de l'avant, soit les adeptes du sextage comme objets de réflexion.
De réflexion. Nous tentons de mieux comprendre le phénomène de l'hypersexualisation des jeunes femmes et des jeunes filles, et la prévalence de la cyberviolence à une époque où pratiquement tous les enfants ont accès à des appareils branchés à Internet. Si vous pouviez nous expliquer ce choc, cela pourrait tous nous aider à mieux comprendre le phénomène.
Oui, merci.
Pour mon projet en particulier, nous voulions vraiment comprendre les adeptes du sextage en tant que sujets de productions sexuelles. Quand on pense au sextage comme objet de réflexion, ce qu'on fait entre autres, c'est de transformer ses adeptes en objets d'étude, sans avoir leur point de vue en tant qu'experts de leur propre sexualité et de leur propre expression sexuelle. Quand on se penche sur le sextage et ses adeptes, sans chercher à comprendre comment les jeunes perçoivent leurs propres pratiques à cet égard, nous en faisons des objets et nous n'apprenons rien de leurs nouvelles normes en fait de culture, de communication et de sexualité.
À mon avis, il est extrêmement important de parler aux jeunes de ce qu'ils comprennent du sextage, de la représentation sexuelle à l'ère du numérique, ainsi que de leur propre sexualité. Je crois que nous sommes nombreux à avoir constaté que pour les jeunes d'aujourd'hui, il y a une grande panique entourant l'hypersexualisation et la sexualisation des jeunes, bien des peurs concernant l'exploitation des jeunes femmes, et qu'on ne tient pas compte du fait que l'expression sexuelle des jeunes femmes fait partie intégrante de leur développement personnel, de leur connaissance de soi en tant qu'êtres autonomes, qui ne sont pas seulement des objets sexuels, mais aussi des sujets sexuels. C'est un aspect très important à considérer pour comprendre comment intervenir de la façon la plus appropriée face à la violence sexuelle. Quand on fait des femmes des objets passifs que l'État doit constamment secourir, nous ne leur rendons pas service.
Selon mes recherches, souvent les jeunes femmes affirment utiliser la technologie pour exprimer leur sexualité, mais pas en raison d'une certaine pression sociale; ce n'est pas nécessairement un résultat direct... Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas de corrélation, mais ce n'est pas nécessairement dans le but de reproduire la pornographie, ni même le résultat de l'influence d'une culture sexualisée. C'est plutôt qu'elles ont conscience que dans notre culture, elles sont des êtres sexuels capables de s'exprimer comme elles l'entendent. Avec ce type d'expression vient évidemment certains torts et certaines répercussions, mais il est important de comprendre que cela suppose aussi son lot de plaisirs et d'avantages.
J'espère avoir répondu à votre question.
J'ai une autre question pour vous.
Pensez-vous que la volonté de prendre part à ces actes, même si l'intention est de les garder privés, est exacerbée par l'hypersexualisation des femmes, mais surtout des jeunes femmes et des filles, plus qu'elle ne l'a jamais été? Est-ce que cela produit des images différentes de celles que les autres médias diffusent déjà et qui dépeignent les femmes comme des objets, comme le font la publicité et la culture populaire?
Voici la deuxième partie de ma question. Selon vous, quelle est la voie à suivre pour faire l'éducation des jeunes à ce sujet? Devons-nous leur enseigner très tôt que la libération et la curiosité sexuelles ne condamnent pas les femmes à l'objectivation? Ou faudrait-il plutôt offrir un programme complet d'éducation sexuelle aux jeunes filles et aux jeunes garçons? Est-ce que cela revient simplement à respecter l'intimité de chacun? Est-ce tout cela à la fois?
Je crois en avoir une bonne idée.
Je constate qu'il y a toujours eu une sorte de panique entourant l'avènement de nouvelles technologies qui interfèrent avec la sexualité, et en particulier la sexualité des jeunes. Nous avons vu la même panique s'installer avec le télégraphe, le téléphone et toutes sortes d'avancées technologiques, sous prétexte que cela rendait la sexualité des femmes plus visible et accessible, et qu'on s'éloignait ainsi des notions traditionnelles de la sexualité.
Je pense que cette nouvelle avancée technologique a peut-être davantage mis de l'avant la sexualité des jeunes que celles qui l'ont précédée. La crainte de l'hypersexualisation tient peut-être plus de la panique morale, à mon avis. C'est ainsi que je vois cela.
Je crois qu'une partie de...
Merci beaucoup à vous deux d'être ici. Mes questions s'adressent à l'une ou l'autre d'entre vous.
Je suis ici non seulement en tant que parlementaire, mais aussi en tant que mère de deux enfants de 18 et 19 ans. Je vais être honnête avec vous: quand je regarde ma fille, j'ai peur un peu. J'aimerais bien lui ressembler de temps en temps, mais en tant que parent — c'est la mère en moi qui vous parle —, le sextage est quelque chose qui m'inquiète. J'ai grandi dans les années 1980, et si je voulais une photo de moi, il fallait qu'elle soit développée chez Maxwell's — Maxwell's est à St. Thomas — et il fallait pour cela engager un photographe. Aujourd'hui, quand on veut une photo de nous de nature sexuelle, on peut le faire nous-même de façon instantanée et l'envoyer par texto.
Ce qui me préoccupe notamment en tant que parent, c'est que ce soit devenu la norme, car la norme que je suivais personnellement, c'était de vouloir éviter l'humiliation. Je sais qu'on veut une croissance sexuelle positive, et je suis pour cela, mais je crois que normaliser la chose comporte son lot de difficultés, et il faut respecter un certain code moral à cet égard.
Comme parent, j'estime qu'une bonne partie de l'éducation doit se faire à la maison. Si on parle d'homophobie et de choses comme cela, il faut reconnaître que les propos qu'on tient dans notre cuisine sont les premières leçons qu'apprennent nos enfants, avant d'aller à l'école.
Puisque vous êtes deux spécialistes dans le domaine, pouvez-vous nous dire quel message nous devrions véhiculer à nos enfants, en tant que parents et en tant que parlementaires? Qu'est-ce qui est normal, et qu'est-ce qui ne l'est pas? Je ne serais pas à l'aise de dire que le sextage est approprié.
D'après les recherches que nous avons faites auprès des enfants de sept à neuf ans, c'est déjà courant de parler de sextage à cet âge-là. C'est déjà normalisé. Et ce n'est pas l'oeuvre des adultes, mais des enfants eux-mêmes, de leurs sphères sociales. Comme Lara le disait tout à l'heure, la montée soudaine d'hormones et le passage à l'adolescence y sont pour beaucoup. Les jeunes expérimentent avec la sexualité, mais le forum où a lieu cette expérimentation a changé.
Quelqu'un d'autre, je ne sais plus qui, a dit que c'était une façon de draguer. Cela a presque remplacé le siège arrière de la voiture. Ce qui pose problème, c'est la distribution non consensuelle de ces échanges. Le sextage consensuel semble être approprié tant que personne ne filme une agression ou un viol, et qu'on ne publie ni ne distribue une telle vidéo. Il faut toujours avoir le consentement de la personne concernée.
La meilleure chose à faire reste de sensibiliser les jeunes, garçons et filles. J'ai mentionné tantôt que j'en parlerais lors de la période de questions, mais nous avons notamment recours aux arts et aux médias sociaux, de même qu'aux médias d'information, afin d'aider les élèves à développer leur sens critique face aux nouvelles diffusées sur le sextage et la distribution non consensuelle d'images intimes. Nous engageons des discussions avec eux, nous regardons des vidéos relatant des situations susceptibles de se produire, nous tentons de leur faire comprendre ce qui peut dépasser les limites de l'acceptable et devenir illégal et dommageable, et nous tâchons d'entretenir un dialogue qui leur permettra de voir les choses d'un oeil critique.
Il faut absolument éduquer le public et le milieu scolaire à l'égard des conséquences légales que cela peut avoir. Il faut rejoindre les parents, les enseignants et les décideurs de tous les niveaux, dans les écoles et dans les universités. C'est une des choses, et la culture des médias en est une autre. Il est important de rallier les intermédiaires des médias sociaux, comme Facebook et les autres.
Adopter une attitude positive face au sextage ne veut pas nécessairement dire qu'on accepte toute forme de sexualité en tout temps. Quand je parle aux jeunes, il s'agit essentiellement de leur faire comprendre que peu importe ce que leur dicte leur sens moral, ça va, tant que tout est consensuel et que cela ne fait de mal à personne.
Si vous prônez l'abstinence éternelle, et si c'est ce que vous voulez enseigner à vos enfants, ou si c'est ce que vos enfants veulent faire parce que c'est un message qui a résonné en eux, il n'y a pas de problème. Bien des gens prônent l'abstinence. Et bien des gens préfèrent le sextage aux contacts physiques, car cela leur paraît moins risqué. Mais il faut aussi reconnaître que la promiscuité ou la non-monogamie, si cela se fait sécuritairement, est un choix tout aussi valide sur le plan moral. C'est ce que je crois.
Quand on met en place un cadre positif concernant la sexualité des jeunes, c'est pour leur donner des choix et pour reconnaître que les modes moraux diffèrent d'un individu à l'autre. Les musulmanes à qui j'ai parlé dans mes groupes de discussions m'ont dit que la plus grande pression qu'elles subissaient, c'était pour qu'elles enlèvent leur foulard. Elles ne veulent pas le faire, parce que c'est contraire à leurs croyances et à leur façon d'avancer dans la vie. C'est la plus grande menace pour elles. Alors voilà.
Merci, mesdames Shariff et Karaian, pour vos excellents exposés. Vous nous avez certainement donné matière à réflexion.
J'ai quelques questions à vous poser sur ce qui semble monopoliser le débat, de mon point de vue. Et je vais délaisser mes notes un moment.
J'aimerais que vous nous disiez, toutes les deux, comment s'imbriquerait le cadre dont vous parlez aujourd'hui dans une importante politique du gouvernement concernant la violence fondée sur le sexe? Je crois que vous avez abordé le sujet au début de vos deux exposés, mentionnant que c'était une question de nature intersectorielle.
J'aimerais que vous disiez au Comité quelle devrait être la direction à prendre dans ce qui semble être... Nous pourrions revenir aux toutes premières étapes, à l'éducation positive et le reste, et nous pourrions aussi parler de l'autre extrémité, par exemple le cas de Stanford. Pourriez-vous nous donner quelques conseils sur la meilleure façon de cibler nos ressources afin de faire avancer les choses dans l'intérêt de tous, de nos enfants et de nous-mêmes?
Je vais commencer.
Je pense que nous devrions axer nos efforts pour sensibiliser davantage les gens aux intersectionnalités. C'est quelque chose que nous oublions car nous avons tendance à voir les choses en noir ou blanc. C'est un continuum et, comme Sherene Razack l'a dit il y a de nombreuses années, il y a des systèmes qui se recoupent et qui sont interreliés dans le cadre desquels des gens sont opprimés à cause de diverses caractéristiques.
Pour ce qui est des cadres stratégiques, j'ai déjà mentionné qu'il faut accorder plus d'attention pour réunir les divers secteurs avec le milieu universitaire. Il y a un manque de recherches empiriques, si bien qu'il faut faire en sorte qu'il y en ait plus, surtout lorsque l'on regarde ce qui se passe dans les universités et les écoles. Il faut se concentrer davantage sur les recherches fondées sur des données probantes qui se pencheront sur certaines de ces questions, qui éclaireront l'élaboration de politiques et de programmes d'études, et qui feront participer les jeunes pour tenir compte de leurs opinions, de leurs préoccupations et de leurs points de vue, en fonction de leurs normes, dans les politiques en matière de violence sexuelle et dans les programmes d'études.
Il y a de nombreuses façons créatives de le faire. Nous faisons notamment participer le milieu artistique, les compagnies de théâtre et les galeries d'art pour offrir des tribunes où les filles et les femmes se sentent libres de dialoguer. Ces tribunes peuvent être dans des institutions, mais elles peuvent également être à des expositions ou dans n'importe quel produit artistique ou culturel...
Je dois vous interrompre car je vais demander à Mme Karaian de continuer.
Vous dites que nous devons être en mesure d'avoir plus de soutien, de financement et de recherches fondées sur des données probantes de manière à ce que lorsque nous commençons à intervenir dans un secteur stratégique, nous ne jetions pas seulement de l'argent par les fenêtres. Vous ferez fausse route et vous engendrez le moins de répercussions.
Puisque mon temps est limité...
Désolée, mais si je peux seulement terminer ma phrase: nous devons entamer un dialogue public. Une façon de le faire est par l'entremise d'initiatives liées aux programmes d'études qui font participer le secteur public également.
J'appuie sans réserve le point de vue de Shaheen.
Je dirais qu'il faut dépenser moins d'argent dans les prisons et investir dans l'éducation. Vous devez simplement examiner le rapport le plus récent — et je n'arrive jamais à me rappeler le nom du responsable des prisons...
Pardonnez-moi?
Howard Sapers, mais un rapport a été rendu public récemment, et je n'arrive pas à me souvenir.
Nos statistiques sont troublantes. Le nombre de femmes est en hausse à un rythme indécent, et plus particulièrement le nombre de femmes autochtones, de même que la criminalisation des jeunes. Si vous élaborez un document stratégique, prenez l'argent consacré à la criminalisation, aux prisons et aux tribunaux, et investissez cet argent dans l'éducation et la recherche.
Si nous maintenons l'intersectionnalité au coeur de l'analyse, nous demandons de reconnaître la façon dont l'intersectionnalité a une incidence non seulement sur les victimes de violence sexuelle mais aussi sur les personnes qui sont criminalisées. C'est un processus très axé sur le genre, la race et la classe sociale, ce qui n'est absolument pas utile pour atteindre les objectifs que nous voulons atteindre dans le cadre de nos politiques.
Puis-je seulement avoir...?
Une voix: Vous avez 15 secondes.
Mme Shaheen Shariff: Il y a une autre façon d'examiner les aspects juridiques. Nous pourrions passer d'un cadre de justice pénale, qui s'est révélé moins efficace, à un cadre axé sur les droits de la personne et le pluralisme juridique pour examiner comment les établissements d'enseignement appliquent les lois administratives des universités en vertu de cadres des droits de la personne, par exemple, et c'est une approche qu'adopte notre faculté de droit.
Merci de vos excellents exposés.
En ce qui concerne la culture du viol dans les universités — je vais commencer par cette question —, vous avez suggéré d'envisager de changer le programme d'études. Recommanderiez-vous de remonter un peu en arrière et que, lorsque les facultés élaborent leurs programmes, ou dans le cas du système de la maternelle à la 12e année, quand les gens sont formés pour devenir des enseignants, on pourrait également changer le programme d'études? Les gens qui ont les premières rencontres seul à seul sont nos enseignants de la maternelle à la 12e année, et dans les universités, je le sais car j'ai enseigné pendant longtemps à l'université, la formation des professeurs est sur une base volontaire. Quelles sont quelques-unes de vos recommandations?
Merci de votre question.
Le hic, c'est que nous sommes dans une impasse. La nécessité d'éduquer les enseignants est réelle. Il y a un certain manque de connaissances à cet égard dans nos programmes d'éducation des enseignants, mais il est souvent difficile d'intégrer des connaissances juridiques et des connaissances essentielles sur les médias dans des programmes au niveau universitaire qui sont offerts pour former les professeurs. Il y a un manque d'uniformité. Cela dépend de la personne qui offre la formation et des connaissances qu'elle enseigne.
Si nous pouvons travailler à l'élaboration de cours obligatoires dans ces secteurs et de cours stratégiques — des cours d'élaboration de politiques qui incorporent certaines de ces questions d'intersectionnalité, des cours intégrés qui offrent des perspectives multidisciplinaires en droit, en éducation et dans le secteur des politiques... J'ai élaboré un cours pour les étudiants en éducation, en droit et en politiques. Un grand nombre d'étudiants en droit l'ont suivi, car ils n'avaient jamais eu de cours de la sorte. À l'heure actuelle, notre faculté de dentisterie m'a demandé de préparer un cours sur la responsabilité sociale en ligne des étudiants en dentisterie qui serait obligatoire de la première à la quatrième année du programme, car on ne leur enseigne pas ces sujets.
Si vous me permettez de prendre la position d'un professeur universitaire, j'ajouterais simplement que d'amener les étudiants à suivre un cours de sensibilisation a toujours été un défi personnel pour moi dans le cadre d'un programme d'études féminines. Comment pouvons-nous aider davantage la faculté à intégrer ces éléments dans le programme d'études pour qu'ils fassent partie de la culture de l'enseignement?
Vous avez tout à fait raison. Par exemple, pour la dentisterie, ce sera le programme d'études de base avec des modules intégrés. Je pense que vous avez absolument raison. Il faut intégrer ces cours dans tous les aspects du programme d'études, y compris les programmes des écoles. Vous avez raison de dire que lorsque les professeurs sont préparés au niveau universitaire, ils peuvent ensuite enseigner ce qu'ils ont appris dans les salles de classe.
Merci.
Ma question s'adresse à vous deux.
Pour revenir à la culture du viol dans les universités, nous sommes certainement aux prises avec un problème au Canada, car les universités et les collèges ne sont pas tenus de signaler les viols. En fait, la culture administrative interne de certaines universités est qu'il n'est pas forcément positif pour une université de signaler les viols si 99 % des autres universités ne le font pas.
J'ai deux questions.
Premièrement, comment pouvons-nous, en tant que législateurs fédéraux, obliger toutes les universités à signaler les viols? Deuxièmement, dans la situation où l'on blâme les femmes — et Laura a également mentionné la culture des putains —, nous entendons très souvent parler de situations où des garçons montrent les images à d'autres. Qu'en est-il des cas où des filles montrent aussi ces images à d'autres filles?
Ce sont mes deux questions, et je suis certaine qu'il vous faudra un certain temps pour y répondre.
Merci.
Permettez-moi simplement de dire qu'il y a aussi beaucoup de filles qui montrent également ces images de garçons, et les images de garçons sont plus susceptibles d'être retransmises, selon des études menées par MediaSmarts, auxquelles je suis certaine que l'on fera référence. C'est un fait très intéressant à savoir: les images de garçons sont plus susceptibles d'être distribuées. Bien entendu, le fait est qu'elles n'ont pas les mêmes répercussions, car nous ne blâmons pas les garçons pour leur sexualité, ou du moins certains garçons, de la même manière.
Permettez-moi simplement de dire que certaines personnes remettent en question l'utilité du concept de la culture du viol. C'est seulement pour attirer l'attention sur le concept pour qu'on l'examine en cours de route, même si je sais que d'autres personnes se penchent là-dessus également. Ce raisonnement commence à prendre forme.
Il y a un problème de fétichisation du signalement. De nombreuses personnes ne veulent pas signaler un viol pour de nombreuses raisons. Je pense également que lorsque des universités essaient d'avoir des normes de signalement qui sont à la hauteur des lois fédérales, nous devons nous assurer d'être très clairs quant à la façon dont les définitions sur le campus concordent avec celles du gouvernement fédéral. Aux États-Unis, plus particulièrement, certains campus ont des définitions qui sont si vastes que n'importe quel acte non désiré peut être considéré comme étant une agression sexuelle, qui est ensuite signalé, ce qui fait monter les chiffres. Je ne dis pas que ces chiffres sont exagérés; je dis simplement qu'il y a des problèmes dans le libellé. Les définitions doivent être très précises.
C'est en fait votre temps de parole. Je suis désolée. Je semble vous interrompre chaque fois que vous répondez.
Mme Lara Karaian: C'est correct.
La vice-présidente (Mme Pam Damoff): Voilà qui met fin à notre réunion avec le premier groupe de témoins.
Nous allons suspendre la séance pour quelques minutes pour permettre au deuxième groupe de témoins de se joindre à nous. Je veux remercier nos deux témoins d'être venus aujourd'hui et de nous avoir communiqué leurs renseignements.
Nous allons commencer la réunion avec notre deuxième groupe de témoins. Je veux remercier Matthew Johnson et Jane Bailey de leur présence. Vous avez chacun 10 minutes pour faire vos exposés, puis nous passerons à la période des questions. Qui veut commencer, avez-vous une préférence?
J'aimerais tout d'abord remercier le Comité de nous donner l'occasion de présenter nos recherches et nos ressources aujourd'hui.
Depuis 2001, MediaSmarts mène un projet de recherche intitulé « Jeunes Canadiens dans un monde branché ». Il se penche sur les expériences des élèves canadiens avec la technologie des réseaux numériques. La plupart des données que je vais présenter aujourd'hui proviennent de notre toute dernière étude quantitative, publiée en 2014, dans le cadre de laquelle nous avons interrogé plus de 5 000 élèves de la 4e à la 11e année de partout au Canada.
Notre étude quantitative a révélé que les filles sont beaucoup plus susceptibles que les garçons de considérer Internet comme un espace dangereux pour elles, et un bien plus grand nombre de filles que de garçons ont peur d'être en danger si elles communiquent en ligne avec une personne inconnue. Plus de filles que de garçons pensent aussi que leurs parents s'inquiètent qu'elles soient en danger en ligne.
Ironiquement, cela pourrait empêcher les filles d'apprendre à gérer les risques en ligne. Une recherche menée au Royaume-Uni laisse entendre que des approches plus restrictives fondées sur un modèle de sécurité en ligne produisent des élèves qui sont moins capables d'assurer leur sécurité en ligne et qui sont des utilisateurs de technologie numérique généralement moins confiants et moins compétents.
Les attaques fréquentes souvent publiques contre des femmes sur Internet représentent une autre raison pour laquelle les filles peuvent ne pas se sentir en sécurité. Certains cas peuvent avoir une grande visibilité, comme les attaques envers la critique Anita Sarkeesian après qu'elle a lancé une campagne de financement en ligne pour une série de vidéos sur le sexisme dans les jeux vidéo.
Une recherche américaine a révélé une augmentation du matériel haineux sur Internet ciblant précisément les femmes et, comme d'autres formes de haine, ce discours peut influencer la culture de médias plus conventionnels.
Alors qu'au départ, la misogynie en ligne n'était pas reliée à ce qu'on pourrait considérer comme des groupes de haine traditionnels, tels que les groupes de suprémacistes blancs, elle partage avec ces groupes les mêmes idéologies de haine et exerce le même attrait auprès des jeunes, et plus particulièrement chez les garçons et les jeunes hommes qui se sentent en marge de la société.
Les femmes qui ne sont pas des personnalités publiques attirent aussi des commentaires hostiles sur Internet. Plus d'un tiers des élèves canadiennes de la 7e à la 11e année ont vu des commentaires sexistes ou racistes sur Internet au moins une fois par semaine. Les filles sont beaucoup plus susceptibles que les garçons de se sentir blessées lorsqu'une blague raciste ou sexiste est faite à leur endroit, alors que les garçons sont beaucoup plus susceptibles d'indiquer que cela ne veut rien dire pour eux ou leurs amis lorsqu'ils disent des choses racistes ou sexistes en ligne et qu'il n'est pas nécessaire d'y répondre la plupart du temps, car ils ne font que plaisanter.
En général, les filles sont un peu plus susceptibles que les garçons d'être visées par de la mesquinerie et de la cruauté en ligne et plus susceptibles de dire que c'est un problème grave pour elles.
Le sextage est une activité qui est en fait moins sexospécifique qu'on pourrait le croire. Les garçons et les filles sont également susceptibles d'envoyer des sextos, et il n'y a qu'une très légère différence dans le nombre qui transmet à d'autres des sextos créés par l'expéditeur. Il y a peu d'indications que l'envoi de sextos comme tel soit un geste risqué. Par exemple, une étude portant sur des étudiants universitaires au États-Unis a révélé que plusieurs d'entre eux ont mentionné des expériences positives, alors qu'une recherche australienne donne à penser que les filles reçoivent souvent des sextos envoyés par des garçons en guise de harcèlement.
Là où le risque de préjudice est le plus élevé toutefois, c'est lorsque les sextos sont diffusés et retransmis. Contrairement à l'opinion très répandue que le partage de sextos est généralisé, notre recherche a permis de constater que ce comportement est loin d'être normal. Sur les 24 % d'élèves de la 7e à la 11e année ayant accès à un téléphone cellulaire qui ont reçu un sexto directement de l'expéditeur, seulement 15 %, ou 4 % de tous les élèves de la 7e à la 11e année ayant accès à un téléphone cellulaire ont retransmis le sexto à quelqu'un d'autre.
Cependant, les sextos qui sont retransmis peuvent atteindre un assez grand nombre de personnes. Un élève sur cinq a mentionné avoir reçu un sexto qui lui avait été transmis par quelqu'un d'autre. Le fait qu'un sexto soit retransmis a des conséquences particulières pour les filles. Quoique les sextos envoyés par des garçons soient en fait plus susceptibles d'être retransmis, les filles qui envoient des sextos s'exposent indéniablement à une plus grande désapprobation sociale. Cela peut expliquer pourquoi les personnes qui transmettent des sextos ne semblent pas considérer que ce soit un problème éthique.
Nous avons constaté une forte relation entre les règlements à la maison et le comportement des élèves. Par exemple, l'existence même d'un règlement à la maison sur le respect des autres sur Internet réduit la cyberintimidation. Cependant, nous n'avons pas relevé de relation entre l'existence d'un tel règlement et la transmission de sextos par les élèves.
Par conséquent, les élèves qui font circuler des sextos ne semblent pas penser à la question éthique ou ne jugent pas que les auteurs des sextos méritent d'être respectés.
Les filles qui envoient des sextos sont perçues comme ayant violé leurs rôles féminins et ayant, par conséquent, renoncé à leur droit de s'attendre à ce que les images ne seront pas envoyées à d'autres. Une grande partie des torts que cause le sextage semble avoir un lien avec le principe de deux poids, deux mesures qui présente les filles comme étant d'innocentes gardiennes de leur innocence sexuelle et, si elles ne s'acquittent pas de ce rôle, elles sont tenues responsables des conséquences de leurs actes. Des recherches menées au Royaume-Uni ont révélé que ces stéréotypes se retrouvent souvent dans les campagnes éducatives de lutte contre le sextage, montrant comment des interventions mal réfléchies peuvent faire plus de mal que de bien. Il est important d'enseigner aux garçons l'importance du consentement pour demander un sexto et l'envoyer à d'autres. Des recherches américaines indiquent que les filles qui ont été forcées ou poussées à envoyer des sextos étaient trois fois plus susceptibles de signaler un résultat négatif.
Chez HabiloMédias, nous appuyons des stratégies d'intervention axées sur la littératie médiatique et numérique. Brièvement, cela signifie d'enseigner aux jeunes la pensée critique et des compétences en matière de prise de décisions éthiques et de les éduquer au sujet de leurs droits en ligne et hors ligne.
En ce qui concerne la cyberviolence à l'égard des femmes, nous menons notamment des recherches pour nous assurer que toutes nos interventions tiennent compte des préoccupations et des expériences des élèves et nous informons les jeunes au sujet de l'incidence des comportements comme la cyberintimidation et le sextage. Nous favorisons l'empathie et enseignons des compétences d'apprentissage social et affectif en ligne. Nous encourageons les jeunes à penser de manière éthique dans leurs interactions en ligne, de respecter leur vie privée et celle des autres, et de reconnaître les caractéristiques de relations saines et malsaines. Nous enseignons des compétences en littératie médiatique qui permettent aux élèves de reconnaître et de décoder les propos haineux et de s'y opposer, ce qui comprend ceux liés au genre, et de remettre en question les stéréotypes fondés sur le sexe qui sous-tendent la misogynie en ligne tant au niveau individuel que communautaire. Nous mettons l'accent sur la dimension éthique de l'échange de sextos, au lieu d'excuser ceux qui les font circuler en blâmant les expéditeurs. Nous définissons de façon exhaustive la littératie médiatique, la littératie numérique et la citoyenneté digitale avec des termes généraux pour reconnaître les liens qui existent entre les stéréotypes, la sexualisation, les relations saines, la défense des droits, l'éthique et le consentement. Nous informons les élèves de leurs droits juridiques et de leurs droits de la personne et comment ils peuvent les exercer. Nous fournissons aux élèves des outils pratiques pour la citoyenneté numérique et l'activisme, lorsqu'ils sont témoins de cyberintimidation ou qu'ils améliorent la culture de leurs communautés en ligne.
Merci.
Merci beaucoup de m'avoir invitée à comparaître.
Mes observations seront axées sur la cyberviolence faite aux filles et aux jeunes femmes, bien que, comme cela deviendra évident pendant ma déclaration, dans le monde en ligne et hors ligne parfaitement homogène qu'habitent les jeunes d'aujourd'hui, il n'y a pratiquement aucune distinction entre le cyberespace et l'espace réel. Comme nous le savons, les conséquences du comportement en ligne peuvent être très réelles.
Mes observations se fondent sur le travail que je fais depuis 15 ans pour étudier la rencontre de la loi, de la technologie et de l'égalité, et plus particulièrement sur le projet eGirls, que j'ai codirigé avec Valerie Steeves jusqu'en 2014, et sur le travail fait dans le cadre du projet eQuality, que je codirige actuellement avec Mme Steeves, et pour lequel nous sommes fières d'avoir HabiloMédias comme organisation partenaire.
Je suis également membre du Comité national de direction de l'Association nationale Femmes et Droit.
Le projet eGirls mettait l'accent sur l'expérience des filles et des femmes sur les médias sociaux. Dans le cadre du projet, nous avons rencontré des filles âgées de 15 à 17 ans et des femmes de 18 à 22 ans pour leur demander de quelle façon la perception de leur vie virtuelle allait de pair avec les solutions des décideurs aux problèmes virtuels des enfants et pour savoir ce qu'elles voudraient que les décideurs sachent au sujet de la vie virtuelle des filles.
Bien entendu, il a été question dans ces échanges de la violence et du harcèlement faits avec des moyens technologiques, mais aussi de préoccupations concernant la création de stéréotypes médiatisés; la protection de la vie privée; la grande attention dont les filles font l'objet en ligne; ainsi que les politiques, les pratiques et les structures d'entreprise qui compromettent leur capacité à participer sur un pied d'égalité à la vie en ligne et hors ligne. C'est cette dernière question qui a mené à la création du projet eQuality.
Le projet eQuality met l'accent sur la façon dont le ciblage comportemental en ligne définit l'environnement virtuel qu'habitent les jeunes et sur la mesure dans laquelle cet environnement favorise les conflits et le harcèlement, dont sont notamment victimes les jeunes de communautés multiculturelles convergentes qui revendiquent l'égalité. À l'heure actuelle, l'une de nos initiatives vise à revoir et à évaluer l'efficacité des dispositions législatives pénales en examinant la jurisprudence canadienne sur la violence faite aux femmes et aux filles avec des moyens technologiques.
Au départ, j'avais prévu parler de trois choses, mais ce nombre est passé à deux. La première est pour moi une bête noire: pourquoi faut-il employer avec prudence le terme « cyberintimidation »? La deuxième consiste à déterminer ce qui doit être fait en fonction des leçons apprises auprès des participantes au projet eGirls.
Le terme « cyberintimidation » doit être employé avec prudence, car sa nature générique camoufle trop facilement les problèmes de la discrimination et de la violence, qui nécessitent des mesures qui vont au-delà d'une punition individuelle ou même d'un enseignement de la bonne façon d'utiliser la technologie.
Selon les recherches, les jeunes qui sont perçus comme étant différents, que ce soit à cause de leur origine ethnique, de leur orientation sexuelle, de leur identité sexuelle ou d'une déficience perçue ou d'un handicap, sont plus susceptibles d'être victimes d'intimidation ou de cyberintimidation. Dans le même ordre d'idées, les filles et les jeunes femmes sont plus susceptibles d'être la cible de violence sexuelle faite avec des moyens technologiques. Dans une société sexiste, il est entre autres question de la distribution non consensuelle d'images intimes, qui exposent les femmes et les filles à l'humiliation, à l'embarras et à la perte de leur bonne réputation parce qu'elles ont exprimé leur sexualité, exposé leur corps ou même parce que d'autres personnes ont décidé de faire circuler ces images, ce qui est peut-être la raison la plus troublante, malgré les messages contradictoires superficiels qui disent aux filles et aux femmes que le succès social dépend de l'imitation d'une version stéréotypée et hétéronormative de ce qui est « sexy ». Je mets le mot « sexy » entre guillemets. C'est ce que j'appelle la sexualité amovible. Je ne pense pas que cela ait quoi que ce soit à voir avec le sexe.
Dans la mesure où le terme « cyberintimidation » renvoie à un ciblage ou à des effets plutôt aléatoires, je pense que le terme doit être employé avec prudence, surtout lorsque nous parlons des femmes et des filles. Nous allons autrement passer à côté des causes profondes, comme la misogynie, l'homophobie, la transphobie, la discrimination fondée sur la capacité physique et le racisme, qui exigent réparation. Nous ne pouvons pas régler le problème en traitant les symptômes.
Le deuxième point que je veux aborder se rapporte à ce qui doit être fait. Que nous ont appris les participantes aux projets eGirls et eQuality?
Premièrement, il faut consulter directement les divers groupes de filles et de jeunes femmes et reconnaître l'expertise d'organisations communautaires qui combattent la violence faite aux femmes et qui soutiennent les survivantes. Nous ne pouvons pas supposer que la perception que les adultes ont des problèmes des filles et des jeunes femmes cadre avec leurs propres impressions et leurs propres expériences.
Par exemple, le dialogue concernant la politique publique fédérale sur les enfants et la technologie a grandement mis l'accent sur le risque que présentent les prédateurs sexuels inconnus en ligne. Les participantes au projet eGirls ont fait part d'une certaine préoccupation à l'égard des prédateurs sexuels inconnus en ligne, surtout pour leurs jeunes frères et soeurs et leurs proches moins âgés. Elles se sont toutefois montrées beaucoup plus préoccupées par le risque que présente la disponibilité généralisée de leurs données personnelles, par la grande attention qu'on y accorde ainsi que par la façon dont l'environnement virtuel les expose à ce qu'elles perçoivent comme le risque de perdre leur bonne réputation à l'âge de 12 ans. Les filles et les jeunes femmes risquent peut-être autant — sinon plus — de subir ce genre de violence de la part de personnes qu'elles connaissent que d'étrangers. Toutes les personnes qui travaillent dans le milieu connaissent depuis longtemps cette réalité liée à la violence sexuelle en général.
Deuxièmement, il faut reconnaître que la violence faite aux femmes et aux filles avec des moyens technologiques est un problème d'égalité des droits de la personne. Il faut s'attaquer de façon proactive aux causes profondes plutôt que de mettre seulement l'accent sur les sanctions prévues dans le Code criminel.
Je suis avocate. Je suis la première à dire que les personnes fautives devraient être tenues responsables de leurs actes, et je suis en désaccord avec ceux qui laissent entendre que la décision unilatérale d'afficher sur un site de pornographie une photo de sa copine sur laquelle elle est nue constitue une expression très louable de la sexualité dont nous ne devons pas trop nous préoccuper, ou qu'une accusation est nécessairement mauvaise dans ce genre de circonstances. Les personnes fautives doivent être tenues responsables de leurs actes, surtout lorsqu'ils sont accomplis de manière unilatérale.
Pour véritablement s'attaquer au ciblage disproportionné des filles et des jeunes femmes en ce qui a trait à la cyberviolence sexuelle, il ne faut toutefois rien de moins qu'une transformation sociale. Voilà ce qu'il en est. Une de mes connaissances m'a souhaité bonne chance parce que je parle de mettre fin au patriarcat. Cela ne me pose pas de problème. C'est de cela que nous parlons: mettre fin au patriarcat.
Nous devons nous attaquer à la misogynie, au racisme, à l'homophobie et à d'autres formes convergentes d'oppression qui servent d'outils pour garder les femmes en état d'infériorité, pour leur imposer le silence et pour les maintenir à l'écart de la sphère publique. Dans le contexte virtuel, on empêche les filles et les jeunes femmes d'apporter une contribution sur un pied d'égalité. Des participantes au projet eGirls étaient d'avis qu'il serait particulièrement important de combattre les formes d'oppression que sont la discrimination et les préjugés au moyen de mesures éducatives, ainsi que les stéréotypes hétérosexistes qui privilégient les femmes minces et blanches pour représenter la féminité et la sexualité, comme en témoignaient la majorité des publicités qui leur étaient destinées sur les médias sociaux.
Troisièmement, il faut mettre l'accent sur le rôle que jouent les entreprises en structurant les interactions en ligne de manière à forcer la divulgation de données et à rendre difficile la protection des renseignements personnels, plutôt que de se concentrer sur ce qu'il faut dire aux filles et aux femmes de ne pas faire. Trop souvent, les politiques mettent l'accent sur des mesures réactives qui consistent à jeter le blâme sur les victimes d'attaques en leur disant qu'elles ont divulgué trop de renseignements. Ces mesures font en sorte que les filles et les jeunes femmes qui ont été prises pour cibles subissent un contrôle et une surveillance accrus de la part de leurs parents et d'autres adultes. Les participantes au projet eGirls étaient d'avis que les décideurs devaient les laisser tranquilles, en particulier les filles. Elles ont dit qu'il faut laisser les filles tranquilles et accorder plus d'attention aux pratiques et aux politiques d'entreprises qui compromettent leur capacité de négocier la confidentialité dans les espaces réseautés.
Quatrièmement, il faut soutenir davantage les filles et les jeunes femmes victimes de violence faite avec des moyens technologiques. Selon les participantes au projet eGirls, trop peu d'efforts sont déployés pour soutenir et encourager les victimes d'abus en ligne. Les décideurs doivent veiller à ce que les organisations communautaires qui s'efforcent de combattre la violence faite aux femmes et aux filles et de soutenir les survivantes et les écoles aux prises avec ces problèmes disposent des fonds nécessaires pour répondre efficacement aux besoins.
Le cinquième et dernier point concerne une autre de mes bêtes noires: il ne faut pas que l'élargissement inutile des pouvoirs policiers soit perçu comme le prix à payer pour lutter contre la violence faite aux femmes et aux filles avec des moyens technologiques.
L'une des participantes à notre projet a déploré le fait que les protections contre les cyberprédateurs offertes aux filles et aux femmes étaient trop souvent associées à l'élargissement inutile des pouvoirs policiers de surveillance. L'adoption du projet de loi C-13 nous a montré encore une fois que la censure de la distribution non consensuelle d'images intimes s'est faite au prix de l'élargissement de pouvoirs policiers qui ne se limitaient aucunement à la lutte contre la violence faite aux femmes et aux filles.
Pour conclure, il est temps que les adultes assument la responsabilité des décisions en matière d'économie et de politiques sociales qui ont donné lieu au monde en ligne et hors ligne parfaitement homogène dans lequel nos enfants vivent.
Si j'en ai l'occasion, je serais heureuse de résumer ces observations dans mes réponses aux questions.
Je vais partager mon temps avec Mme Sahota.
Merci beaucoup d'être ici.
J'aimerais revenir au dernier point concernant la surveillance et le juxtaposer au fait qu'il semble y avoir deux poids, deux mesures. Les jeunes filles souffrent d'une inégalité, qui revient presque à blâmer les victimes. J'ai été frappée par les chiffres selon lesquels un plus grand nombre d'images de garçon était transmis, mais que les conséquences pour les filles étaient plus graves — la honte, l'humiliation et la crainte de perdre sa réputation.
Pouvez-vous parler un peu plus de cet aspect du problème? De plus, que se passe-t-il lorsque ce problème est aggravé par des choses comme les campagnes contre le sextage, la surveillance ou la police? De quelle façon ces choses aggravent-elles le problème?
Tout d'abord, les résultats d'HabiloMédias au sujet de la distribution d'images correspondaient sans aucun doute à ceux d'une étude approfondie. En effet, des données d'une autre étude indiquent que 90 % des personnes qui s'étaient plaintes de distribution non consensuelle d'images étaient des femmes. Je pense qu'on ne sait pas encore exactement... C'est peut-être ce que nous apprennent les chiffres sur les garçons et les filles au Canada, mais d'autres chiffres nous disent des choses différentes.
En ce qui concerne les conséquences, de toute évidence, cela témoigne d'une forme de discrimination, comme on en a parlé. L'image d'une fille nue est perçue comme une source de honte. En revanche, une photo de pénis est drôle ou peut être cool, à moins qu'elle ne soit accompagnée d'un commentaire sur la virilité du gars. Nous vendons la sexualité aux garçons comme un signe de virilité, une chose dont ils peuvent être fiers, mais nous la vendons aux filles comme une chose dont il faut avoir honte. À cet égard, ce que Lara disait plus tôt est très révélateur.
Je ne sais pas, Matthew, si vous voulez dire quelque chose.
Je pense que ce qu'il est important de retenir au sujet de la proportion de 90 %, c'est que, dans nos statistiques, il était simplement question de savoir si une photo avait été distribuée, pas si c'était consensuel ou non. Il n'était pas question de savoir si cela posait problème à la personne qui l'avait signalée.
Il y a très peu de données quantitatives à l'échelle mondiale sur la distribution d'images. La plupart des données sont axées sur les conséquences plutôt que sur de simples chiffres. L'un des problèmes que nous pose dans notre travail le fait d'avoir seulement des données quantitatives est que nous essayons toujours de mettre en contexte des données provenant d'études menées par d'autres personnes ou d'autres organisations.
La vice-présidente (Mme Pam Damoff) : Allez-y, madame Sahota.
Monsieur Johnson, au début de votre exposé, vous avez dit que la cyberintimidation ou la cyberviolence peut être perçue comme un problème de jeunes gens trop sensibles, comme une simple blague qui ne devrait pas les empêcher de fréquenter leurs amis, qu'ils devraient accepter et ainsi de suite. Cela se fait encore à l'âge adulte, dans une certaine mesure.
Pouvez-vous définir pour moi la cyberintimidation et la cyberviolence? Le groupe précédent de témoins ont cité une enquête très intéressante sur ce qui constitue ou non pour les gens une violation des droits d'une personne. J'aimerais connaître votre opinion d'experts sur ce qui constitue selon vous de la cyberintimidation et de la cyberviolence, sur les différences entre les deux.
Il s'agit de deux notions très difficiles à décortiquer. En fait, nous avons pris soin dans notre questionnaire de ne pas employer le terme « cyberintimidation » parce que nous avons la nette impression, en nous fiant à la recherche menée aux États-Unis, que ce terme ne signifie rien pour les jeunes. À leurs yeux, c'est un terme employé par les adultes. Ils voient la cyberintimidation comme une chose que les plus jeunes ou d'autres jeunes font, mais pas eux.
Nous leur avons demandé deux choses. La première question concernait la méchanceté et la cruauté en ligne, tandis que l'autre portait sur les menaces formulées en ligne, les menaces de blessures physiques.
Nous avons divisé la méchanceté et la cruauté en fonction d'un certain nombre de méthodes: les insultes; les rumeurs; la diffusion d'une photo ou d'une vidéo, ce qui peut comprendre la transmission d'un texto, même si la notion était plus vaste; le harcèlement sexuel, ce qui comprend encore une fois le sextage, comme je l'ai mentionné; la moquerie axée sur la race, la religion ou l'ethnicité de quelqu'un; la moquerie axée sur l'orientation sexuelle de quelqu'un; le harcèlement dans un jeu en ligne; et une catégorie générale tout simplement appelée « autre ».
Il y a sans aucun doute d'autres formes de cyberintimidation sur lesquelles nous n'avons pas posé de questions. Nous savons, par exemple, que la violence relationnelle en ligne est un important problème, tout simplement parce que la violence relationnelle est un problème élémentaire et que la vie sociale des jeunes se déroule autant en ligne que hors ligne.
Il n'est peut-être pas très utile de trouver une définition exacte. Ce qui est le plus important pour nous, c'est la perception que les jeunes ont un problème sur le plan éthique, notamment les raisons pour lesquelles ils choisissent d'ignorer ces actes, de les approuver ou même d'y contribuer.
Tout d'abord, je tiens à remercier chacun de vous d'avoir pris le temps de venir comparaître devant nous aujourd'hui. Je crois que l'information que vous nous donnez contribuera grandement à l'étude, et je vous suis donc très reconnaissante du temps que vous nous accordez.
Ma première question est pour M. Johnson, mais je vous invite également à intervenir, madame Bailey.
Monsieur Johnson, j'ai cru comprendre que la création de produits destinés aux parents figurent parmi les activités de votre groupe, HabiloMédias. Est-ce exact?
C'est un peu moins. Le chiffre est d'environ 8 %. Il s'agit de 8 % des jeunes de la cinquième à la onzième année qui ont accès à un téléphone cellulaire.
Je vois. Je suppose que ce que j'aimerais savoir — et vous pouvez tous les deux me répondre —, c'est si vous pouvez me donner un très rapide aperçu de la méthodologie que vous avez utilisée.
À vrai dire, vous pouvez trouver la méthodologie dans notre étude, que l'on peut consulter en ligne. Tous nos travaux de recherche et 95 % de nos ressources destinées aux enseignants, aux parents et aux jeunes peuvent être consultés gratuitement sur notre site Web. Je ne vais donc pas trop entrer dans les détails.
Essentiellement, l'étude a été menée dans des salles de classe. C'était un sondage. Par souci de cohérence, nous retournons autant que possible dans les mêmes écoles lorsque nous l'effectuons de nouveau. Nous avons pris toutes les mesures possibles pour garantir l'anonymat des élèves afin qu'ils ne craignent pas d'être associés aux données. Ce n'était autrement qu'un simple questionnaire.
Bien.
C'était surtout la question de l'anonymat qui m'intéressait et que je voulais voir dans le compte rendu. Vos observations sont donc très utiles. Merci.
À propos de la participation des parents, le groupe précédent de témoins a beaucoup parlé de la possibilité d'intégrer un cours au programme scolaire. Je peux sans aucun doute y voir une certaine utilité. Cependant, je pense personnellement que l'éducation commence à la maison.
Nous savons que la pornographie devient accessible à un très jeune âge. Santé Canada nous dit que la pornographie a des répercussions directes sur la santé des jeunes et des adultes. Nous savons que des conséquences négatives y sont associées.
Néanmoins, pour ce qui est de commencer l'éducation à la maison, je me demande si vous pouvez nous parler du rôle que jouent les parents en vue d'atténuer le risque d'être victime d'exploitation sexuelle ou de violence dans le cyberespace, tant auprès de la personne fautive, dans ce cas-ci, que de la personne qui transmet une photo d'elle. Les parents ont-ils un rôle à jouer?
En termes simples, oui.
Manifestement, nous fournissons de nombreuses ressources aux parents. Les parents et les enseignants sont nos deux principaux publics cibles et nous communiquons avec les jeunes par leur entremise.
Selon nous, il est très important de fournir des renseignements exacts aux parents, et c'est pourquoi les recherches sont très importantes. Il faut fournir aux parents des outils pratiques, et c'est l'une des raisons pour lesquelles nos recherches portent précisément sur les effets des règles à la maison, par exemple. Nous tentons également de faire en sorte que les parents ne craignent pas d'aborder le sujet.
Nous avons mené un groupe de discussion avec les parents. Dans le cadre de nos recherches auprès des parents, nous avons découvert qu'ils entretenaient des craintes excessives — et souvent non fondées. Ils se tracassaient pour des situations qui présentent un risque peu élevé. De plus, cette crainte les empêchait de discuter de ces problèmes avec leurs jeunes, même si nous savons qu'il s'agit de l'approche la plus efficace. Elle les poussait également à surveiller leurs jeunes, et nous savons qu'au mieux, cette méthode donne des résultats neutres, et qu'elle a parfois des effets négatifs sur la sécurité et la liberté des jeunes.
Il est très important d'encourager les parents à parler à leurs enfants, à adopter une approche positive, à être conscients des risques légitimes et réels, à établir des limites, à transmettre leurs valeurs à leurs enfants et à leur fournir des outils pratiques pour qu'ils puissent réagir lorsque les choses tournent mal.
Je crois qu'il faut souligner deux choses. Tout d'abord, nous devons enseigner aux filles qu'il n'y a rien de mal à vouloir avoir des relations sexuelles, car c'est vrai. Deuxièmement, nous devons enseigner aux garçons qu'ils doivent respecter l'autonomie sexuelle des autres.
En fait, il y a peut-être une troisième chose. En effet, nous devons aborder le problème des stéréotypes sexuels. Nous devons déboulonner le mythe selon lequel un vrai homme doit dominer une femme et que la violence fait partie intégrante des relations sexuelles. Nous devons fournir ces outils à nos enfants et nous devons leur offrir ces libertés. Si nous faisions cela, la distribution non consensuelle d'images intimes perdrait complètement son aspect menaçant, car les victimes pourraient dire: « Vas-y, publie l'image. Cela ne me dérange pas. Tout le monde s'en fout. Les filles sont parfois nues. Ce n'est pas un drame. »
C'est l'avenir auquel j'aspire, et je crois que les parents peuvent jouer un rôle actif à cet égard. Toutefois, je crois qu'il ne suffit pas de laisser cette responsabilité aux parents. Je crois plutôt qu'il faut miser sur le système d’enseignement, et ce, dès la maternelle.
J'aimerais souligner que nos ressources en matière de culture numérique et médiatique vont de la maternelle à la 12e année. Les paroles de Mme Bailey démontrent pourquoi la culture médiatique représente un élément essentiel.
J'ai une brève question de suivi.
Je comprends tout à fait ce que vous dites. Merci beaucoup.
Comment pouvons-nous diffuser l'information aux parents? Quel est notre moyen de diffusion?
C'est l'une des questions liées au projet eQuality, un projet sur l'égalité des sexes. L'une des façons de procéder consiste à établir un partenariat, et notre partenariat inclut un organisme qui sert les familles, c'est-à-dire l'Institut Vanier de la famille.
Dans le cadre de ce partenariat, on tente de créer des liens entre des organismes formidables tels MediaSmarts, qui sait mieux que personne comment fabriquer du matériel d'enseignement de la culture numérique et éthique pour les enfants, et ensuite favoriser leur intégration en collaboration avec l'Institut Vanier de la famille, car cet organisme connaît les besoins des familles et ce qu'elles recherchent pour créer des communautés et utiliser l'expertise...
Ces 15 secondes ont duré longtemps.
Des voix: Oh, oh!
La vice-présidente (Mme Pam Damoff): Je ne voulais pas vous interrompre.
La parole est maintenant à Mme Benson.
J'aimerais remercier les témoins d'être ici.
J'aimerais répéter les commentaires formulés par d'autres membres du Comité. En particulier, je vous suis reconnaissante de nous avoir présenté, comme l'ont fait d'autres témoins, le point de vue des jeunes. Je constate, par l'entremise de certaines de nos questions, que nous avons une vision d'adulte du monde des enfants. Ils ont une perspective différente et ont grandi — certains d'entre nous sont plus jeunes que d'autres — dans un endroit différent, et je vous suis donc très reconnaissante d'avoir présenté ce point de vue, c'est-à-dire la voix des enfants, par l'entremise du travail que vous avez accompli ensemble.
Un autre témoin nous a également dit que lorsque nous commençons à traiter les enfants comme des objets et à utiliser des mots comme « cyber » et à créer de nouvelles choses, nous ne faisons que semer la confusion.
J'aimerais entendre votre avis sur un sujet plus général.
D'autres témoins ont également parlé de l'importance d'adopter une perspective qui tient compte de la combinaison du sexisme, du classisme et du racisme relativement à ce sujet particulier. Il est important d'adopter cette perspective, mais j'aimerais savoir comment cela s'intègre dans le discours général sur la violence fondée sur le sexe. Avez-vous l'impression que l'utilisation de mots comme « cyberviolence » et « culture du viol » contribue ou nuit à la discussion? Selon moi, ces mots semblent nous éloigner du sujet. C'est presque comme si ces mots occultaient le vrai problème, et je crains donc que nous rations la cible au moment d'intervenir.
Jane et Matthew, pourriez-vous formuler des commentaires à cet égard?
C'est toujours ce qui me préoccupe et c'est la raison pour laquelle j'ai d'abord parlé de la cyberintimidation. Vous pourriez dire cela au sujet d'un grand nombre de mots et d'expressions que nous utilisons, mais je ne pense pas du tout à l'intersectionnalité dans cette catégorie.
Pour trouver des solutions qui fonctionnent, il faut connaître la situation de chaque personne. Cette situation peut être influencée par plusieurs marqueurs d'identité, qu'ils soient choisis ou imposés. Je ne crois pas que cette approche précise nous éloigne du problème, mais qu'elle nous amène plutôt exactement où nous voulons aller.
Selon moi, l'égalité et l'inégalité se trouvent au centre du problème. Tout revient à ces deux notions. Qu'il s'agisse de violence commise contre les femmes par l'entremise de la technologie ou non, l'égalité est le thème sous-jacent.
Je crois qu'il est toujours dangereux ou risqué de donner trop d'importance aux mots à la mode, mais j'aimerais me faire l'écho des commentaires de Mme Bailey. Nous savons ce qui se passe. De nombreuses recherches nous confirment que certains jeunes sont plus à risque d'être victimes de différents types de cyberviolence et de souffrir davantage. Dans la plupart des cas, ce sont des jeunes qui sont marginalisés ou désavantagés de plusieurs façons — par exemple, des jeunes handicapés, des jeunes homosexuels ou des jeunes de la communauté des GLBTA ou des jeunes qui s'interrogent, des jeunes de milieux défavorisés ou des jeunes Autochtones.
Nous devons reconnaître cela. Encore une fois, c'est la raison pour laquelle il est important d'adopter une approche holistique et complète et de lier l'enseignement de la culture numérique à celui de la culture médiatique. Nous devons remettre en question nos idées sur la masculinité, qui poussent souvent les garçons à se vanter de leurs expériences sexuelles ou qui les encouragent à demander des relations sexuelles ou à penser que c'est leur droit, mais nous devons également remettre en question nos idées sur la féminité et toutes nos idées reçues, car dans de nombreux cas, elles s'inspirent des représentations offertes dans les médias que nous consommons ou elles y sont reflétées.
J'aimerais que chaque témoin nous dise en une ou deux phrases ce qui, à son avis, est la chose la plus importante à retenir de la discussion d'aujourd'hui. C'est une question facile à poser, mais...
Voici ce que je pense. Sauf lorsqu'il s'agit de discrimination et d'égalité, je crois vraiment que nous avons traité les entreprises actives en ligne avec des gants blancs et que nous leur avons permis de prendre de nombreuses décisions en privé qui ont des effets considérables sur l'ordre public et sur nos enfants. Le ciblage comportemental en ligne est l'une de ces choses.
Je crois qu'il est essentiel de tenter de comprendre comment ces décisions prises en privé façonnent le milieu dans lequel les enfants socialisent. Je suis d'avis que les enquêtes et les recherches peuvent jouer un rôle à cet égard, et peut-être aussi la réglementation. Cette idée a été lancée par les filles auxquelles nous avons parlé. Elles étaient conscientes de la façon dont elles sont ciblées et de la façon dont leurs communications sont orientées.
Cela démontre qu'il nous faut offrir un programme d'études complet sur la culture numérique, avec tous les éléments que j'ai décrits plus tôt, à chaque élève dans chaque salle de casse de la maternelle jusqu'à la 12e année. Dans un monde idéal, cet enseignement se poursuivrait après l'école secondaire.
Je suis heureuse de vous avoir donné la chance de formuler votre commentaire.
La parole est la maintenant à M. Fraser.
J'aimerais remercier les témoins d'être ici aujourd'hui. J'aimerais également remercier les témoins précédents.
J'ai appris beaucoup de choses, et je suis sûr que c'est le cas de nombreuses autres personnes présentes. Vous avez fait valoir d'excellents points.
Madame Bailey, je crois que dans votre exposé, vous avez laissé entendre que la distinction entre le monde cybernétique et le monde réel est de moins en moins pertinente, car dans le monde dans lequel nous vivons, les choses se font sentir en grande partie par l'entremise des attitudes sociales. Je conviens que le démantèlement du patriarcat n'est pas un objectif trop ambitieux. Je crois que nous pouvons tenter de l'atteindre.
Vous avez raison.
Certaines des suggestions que vous avez formulées sont excellentes, qu'il s'agisse, comme M. Johnson l'a dit, de la promotion des cultures médiatique et numérique ou qu'il s'agisse de l'examen des pratiques d'affaires. Dans le cadre de cette étude, nous tentons justement de recommander au gouvernement fédéral des changements qui permettront de concrétiser vos suggestions.
Je vais laisser cela aux experts et vous poser une question ouverte. À votre avis, comment le gouvernement fédéral pourrait-il réaliser les excellentes suggestions que vous avez formulées?
Tout d'abord, il faut financer les recherches.
Je ne parle pas seulement de nos recherches; d'autres excellentes recherches sont en cours.
Plusieurs versions de nos recherches ont reçu du financement fédéral, mais les recherches originales ne sont pas suffisantes: il faut également évaluer les interventions. C'est un domaine dans lequel il est très difficile de trouver du financement. On a mentionné plus tôt que les interventions pouvaient faire plus de mal que de bien, et nous devons donc cerner celles qui sont efficaces et celles qui ne le sont pas.
Le gouvernement fédéral peut changer la discussion publique sur des problèmes comme la cyberintimidation, la sécurité en ligne et le sextage. Il peut les orienter davantage sur l'éthique et moins sur les craintes. Le gouvernement peut contribuer à la promotion des ressources et fournir aux provinces des ressources pour leurs écoles, de la maternelle à la 12e année, mais de plus en plus de secteurs sont interreliés. Par exemple, il y a le secteur de la santé. En effet, il faut fournir du matériel aux professionnels de la santé, car nous collaborons de plus en plus avec eux au sujet de ces problèmes. Le gouvernement fédéral peut jouer un rôle dans de nombreux secteurs en diffusant l'information et en fournissant des ressources à ceux qui en ont besoin.
J'aimerais me faire l'écho de cette dernière déclaration et ajouter qu'il est essentiel de mettre sur pied des organismes qui ciblent la violence faite aux femmes. Des études ont démontré que la présence de solides organismes communautaires pour les femmes est essentielle pour favoriser l'égalité entre les sexes. Ces organismes, surtout ceux qui travaillent dans le domaine de la violence sexuelle et de la violence familiale, sont confrontés à toutes sortes de problèmes liés à la question de la violence favorisée par la technologie.
C'est un domaine qui a désespérément besoin de ressources, et ces organismes fournissent le type d'appui aux femmes et aux enfants victimisés dont parlaient les participants du projet eGirls. Il faut appuyer les survivants et financer les organismes qui les soutiennent.
Laissez-vous entendre qu'il faut donner plus d'argent en général aux organismes qui appuient les survivants ou parlez-vous spécifiquement des organismes qui s'occupent des victimes de violence cybersexuelle?
Même dans la jurisprudence, les recherches révèlent que la violence favorisée par la technologie est de plus en plus présente. Ce type de violence n'est pas souvent spécifiquement visé par des poursuites judiciaires, mais il est souvent intégré à une situation de violence conjugale ou familiale, et l'idée selon laquelle on peut séparer ces problèmes ne correspond pas à la réalité dans laquelle ces problèmes se posent.
Pour revenir à la violence criminelle ou à la jurisprudence, selon le cas, j'aimerais connaître votre avis sur la façon dont nous pourrions mieux soutenir les organismes d'application de la loi ou le processus de justice pénale dans les cas de cyberviolence.
Je viens de la Nouvelle-Écosse. Nous avons vécu une affaire assez publique impliquant la Faculté de sciences dentaires de l'Université Dalhousie, et l'indignation de la population à l'égard de l'adoption de l'approche de la justice réparatrice m'a profondément surpris. Pouvez-vous nous parler de la criminalisation comparativement à l'approche de la justice réparatrice, et si le temps le permet, pourriez-vous décrire les ressources supplémentaires que pourraient utiliser les organismes d'application de la loi pour prévenir non seulement la cyberviolence, mais aussi la violence en général?
Nous devons toujours faire preuve de prudence lorsque nous utilisons l'approche de la justice réparatrice dans un contexte d'abus de pouvoir, c'est-à-dire lorsqu'il y a un déséquilibre sur le plan du pouvoir et que les femmes sont victimes de violence parce qu'elles sont des femmes. Je comprends pourquoi cette préoccupation a été soulevée.
Cela ne signifie pas que cette approche ne fonctionne pas, mais nous devons toujours faire preuve de prudence lorsque nous l'utilisons et nous devons avoir la certitude que les gens qui facilitent ce type de recours savent exactement ce qu'ils font et qu'ils savent comment agir à titre de médiateurs dans les conflits et les déséquilibres de pouvoir dans ce contexte.
En ce qui concerne le financement des organismes d'application de la loi, une grande partie de la sensibilisation effectuée dans les écoles est menée par des agents de police, ce qui est une excellente chose. Je comprends que les policiers souhaitent jouer un rôle de prévention de temps à autre, car autrement, ils jouent toujours un rôle réactif. Toutefois, d'une certaine façon, la diffusion de ce message par l'entremise d'un agent en uniforme qui a le pouvoir d'arrêter une personne et de l'envoyer en prison n'est pas nécessairement la meilleure façon de promouvoir le type de dialogue que nous souhaitons engager.
Toutefois, des études sur la violence sexuelle comme celle menée par Holly Johnson démontrent précisément qu'il est nécessaire d'offrir aussi un certain type de formation sur les questions liées à la violence sexuelle et à la violence cybersexuelle.
Je crois que l'ajout d'une disposition sur la distribution non consensuelle a offert un large éventail de possibilités aux organismes d'application de la loi en leur permettant de porter des accusations dans des situations dans lesquelles cela aurait été difficile ou impossible auparavant. Mais je ne crois pas que les organismes d'application de la loi représentent nécessairement la solution que je privilégierais.
D'accord.
Étant donné que le temps est limité, j'aimerais que vous formuliez de brefs commentaires sur les effets de la pornographie sur les jeunes en ce qui concerne leur perception du sextage et d'autres formes de cyberviolence.
Je ne connais aucune recherche quantitative sur la pornographie et le sextage. Toutefois, des recherches qualitatives laissent certainement croire qu'il y a un lien étroit entre les deux.
Quantitativement, il est clair que la pornographie et, en général, les médias sexualisés ont une grande influence sur la façon dont les jeunes perçoivent la sexualité et les relations sexuelles. Des liens ont été établis entre la pornographie et l'acceptation des mythes sur le viol, mais une grande partie de ces problèmes ne sont pas seulement liés à la pornographie. En effet, de nombreuses preuves ont démontré qu'on obtient les mêmes effets avec n'importe quel type de médias sexualisés, et que le problème n'est pas la sexualité ou l'élément sexuel de la pornographie, mais les stéréotypes utilisés et, en particulier, la sexualité fondée sur le modèle patriarcal présentée dans de nombreux formats de médias sexualisés. Encore une fois, c'est la raison pour laquelle la culture médiatique est un partenaire essentiel de la culture numérique lorsqu'on tente de résoudre ces problèmes.
Puis-je vous demander une précision? Lorsque vous dites « patriarcal », parlez-vous essentiellement de la violence faite aux femmes par les hommes?
Je ne parlais pas nécessairement de la violence, mais certainement d'une vision de la sexualité axée sur les hommes dans laquelle les hommes sont les sujets et les femmes sont les objets, et où la pornographie ne concerne que le plaisir des hommes.
Ce n'est pas seulement la pornographie. De nombreux exemples de cette sexualité stéréotypée se retrouvent dans toutes sortes de médias consommés par les jeunes et les adultes.
Il y a plusieurs années, Catharine MacKinnon a participé à la lutte contre la pornographie, mais à l'époque, personne n'aurait pu prévoir la mesure dans laquelle la violence sexuelle s'infiltrerait dans la culture. Je crois que la culture du viol est ce dont parlait Mme Shariff — c'est-à-dire lorsque la violence fait partie intégrante du sexe. Cette notion est maintenant tellement répandue qu'elle ne se retrouve plus seulement dans l'industrie, mais également dans la culture.
C'est là qu'il faut concentrer les efforts. Toutes sortes de messages peuvent causer du tort aux femmes, et cela devrait être suffisant pour que nous intervenions, mais ils causent également du tort aux hommes. En effet, ces stéréotypes limitent les possibilités offertes aux gens et briment leur liberté.
Je vous remercie d'avoir partagé vos connaissances avec nous aujourd'hui.
J'aimerais prévenir les membres du Comité qu'il pourrait s'agir de notre dernière réunion. Si c'est le cas, j'aimerais vous dire que c'était très agréable de travailler avec vous. Si ce n'est pas notre dernière réunion, je le répéterai mardi.
J'aimerais également vous féliciter de l'excellent travail accompli dans le cadre de cette étude et de la conférence de presse. C'était très agréable d'y participer.
J'aimerais également remercier nos témoins.
La séance est levée.
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