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FEWO Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent de la condition féminine


NUMÉRO 026 
l
1re SESSION 
l
42e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le lundi 17 octobre 2016

[Enregistrement électronique]

(1530)

[Français]

     Bonjour et bienvenue, mesdames et messieurs.

[Traduction]

    La séance est ouverte.
    Nous poursuivons notre étude sur la violence envers les jeunes femmes et filles au Canada. Nous allons maintenant nous concentrer sur des incidents qui se produisent sur les campus.
    Aujourd'hui, nous avons le plaisir d'accueillir Mme Dawn Moore, qui est professeure agrégée en études légales et du droit, à l'Université Carleton. Nous accueillons également Mme Anuradha Dugal, qui est directrice des programmes de prévention de la violence, à Montréal. Bienvenue.
    Nous procéderons comme d'habitude. Les témoins auront 10 minutes pour présenter leurs exposés respectifs, puis nous passerons aux questions.
    Nous commençons par vous, madame Moore. Vous avez 10 minutes.

[Français]

    Je vous remercie de m'avoir invitée à m'adresser à vous cet après-midi.
    Les agressions sexuelles au Canada sont une question qui me préoccupe énormément. J'espère que notre gouvernement va profiter de la présente occasion pour améliorer la vie des femmes.

[Traduction]

    Étant donné que vous avez reçu mon mémoire, je vais aller droit au but et parler de ce que je considère comme le problème fondamental des réactions à la violence sexuelle, tant sur les campus qu'ailleurs, car les campus sont un miroir de la société en général. J'ai plusieurs autres idées à présenter sur la façon dont on pourrait régler ces problèmes.
    Le principal problème est la reconnaissance de la violence sexuelle en tant que fait social. Au centre de mes recherches sur la violence sexuelle et la violence familiale — qui se recoupent fréquemment, même sur les campus —, il y a le fait qu'on maintienne que la violence sexuelle n'est que l'apanage de quelques indésirables plutôt qu'un phénomène culturel.
    Certains choisiront peut-être d'appeler cela la « culture du viol ». Je n'ai pas vraiment d'opinion à ce sujet. On peut utiliser cette expression si cela revêt un certain sens et que c'est utile, mais je reconnais également que cette expression a acquis un poids politique considérable et que cet enjeu est devenu un véritable champ de bataille. Je vais donc parler de violence sexuelle en tant que fait social, en soulignant toutefois que le terme qu'on emploie est beaucoup moins important que de reconnaître son existence.
    La reconnaissance de la violence sexuelle en tant que fait social ne signifie pas que tous les hommes sont des violeurs. Je ne saurai jamais trop insister là-dessus. Une telle reconnaissance signifie plutôt que nous admettons vivre dans une société qui, d'une part, jette la honte et le blâme sur les victimes et refuse de reconnaître la violence sexuelle qu'elles ont subie et qui, d'autre part, cautionne tacitement ou explicitement — et encourage, dans certains cas — la violence sexuelle.
    Reconnaître que nous vivons actuellement dans une culture où règne la violence sexuelle ne diffère en rien de la reconnaissance, dans le passé, d'autres maux sociaux comme le racisme et l'homophobie. Aujourd'hui, nous pouvons affirmer sans l'ombre d'un doute que le racisme et l'homophobie systémiques et manifestes ont été et sont toujours des caractéristiques malheureuses de notre société. Admettre et dénoncer ces problèmes nous a permis et nous permet toujours de prendre des mesures, sur les plans législatif, social et systémique, pour les régler. Toutefois, tant que nous n'aurons pas pleinement reconnu l'existence du problème, nous ne pourrons pas faire grand-chose pour le régler et pour améliorer considérablement la vie des femmes et des jeunes filles.
    Sur les campus, la violence sexuelle est une réalité. Elle fait partie intégrante des activités des semaines d'initiation et des initiations des confréries d'étudiants et des ligues universitaires, et même, malheureusement, du discours public de certains dirigeants d'universités. Les survivantes d'actes de violence sexuelle, et les femmes en général, sont les plus touchées par la culture de violence sexuelle. Elles ont de la difficulté à accéder aux services. Leurs plaintes, le cas échéant, sont accueillies avec scepticisme ou rejetées et, presque invariablement, les résultats des mécanismes officiels de signalement leur donnent l'impression d'être sans protection et d'être réduites au silence.
    Toutes ces choses exigent des universités un sens de l'éthique rigoureux à l'égard d'une approche institutionnelle de gestion des risques. L'université — n'importe quelle université — n'a pas avantage à tenir un registre précis des cas de violences sexuelles, à encourager les survivantes à signaler les incidents ou à mettre en oeuvre une stratégie dynamique de prévention de la violence sexuelle, qui est à mon avis la tâche la plus importante. Pour une université, faire n'importe laquelle de ces choses voire toutes ces choses serait admettre que la violence sexuelle sur son campus et sa communauté est une réalité. Les dirigeants d'université sont réticents à admettre que leurs campus sont ce qu'on appelle des « campus du viol ». J'utilise cette expression entre guillemets, car c'est celle qu'utilise le mouvement étudiant pour souligner la gravité des problèmes observés sur les campus. Le risque d'être tenu responsable est plus faible lorsque le problème n'existe pas. C'est donc sans surprise que nous avons constaté, dans nos recherches, que les universités avaient l'habitude de nier l'existence de problèmes de violence sexuelle sur leurs campus, même lorsque les étudiants et les survivants nous disaient exactement le contraire.
    Maintenant que le problème est établi, que pouvons-nous faire? Je dirais que dans mon monde idéal, nous serions capables d'admettre que la violence sexuelle est un aspect culturel de notre société qui se manifeste sur les campus. Nous avons cerné le problème; que peut-on faire pour le régler? Comment peut-on le régler?
    Il n'y a pas de solution magique, évidemment, mais puisque j'ai l'attention de certains des décideurs les plus influents au pays, du moins pour les six prochaines minutes, environ, permettez-moi de m'inspirer des travaux de ce Comité et de faire quelques suggestions. Je m'intéresse particulièrement à l'attention que vous avez accordée à un plan d'action national axé sur la prévention, la continuité des soins et les mécanismes de signalement sûrs.
    Comme vous le savez tous, la violence sexuelle n'est pas seulement un enjeu d'ordre criminel. Elle a une incidence sur l'accès à l'éducation et à la santé. Il s'agit essentiellement d'une question de droits de la personne et, dans le contexte de la violence sexuelle, cela signifie que c'est une question d'égalité entre les sexes.
(1535)
    La violence sexuelle porte atteinte aux droits de la personne des femmes au Canada. Si le Canada veut véritablement devenir une société fondée sur l'égalité des sexes, nous devons agir maintenant pour lutter contre la violence fondée sur le sexe.
    Le gouvernement fédéral pourrait jouer le rôle de chef de file et collaborer avec les provinces à l'élaboration d'une stratégie nationale destinée aux collèges et aux universités favorisant l'adoption d'initiatives de prévention efficaces, principalement à l'aide d'une sensibilisation continue. C'est un facteur clé de la lutte contre la violence sexuelle. C'est ce que nous avons fait pour le racisme et l'homophobie; les gens ont appris que ce n'était pas acceptable. Cela a fait du Canada un pays transformé, et je dirais même un pays meilleur. En fait, le Canada est devenu un chef de file à l'échelle mondiale.
    Après un incident de violences sexuelles, les survivantes ont besoin de soins. Je sais que les gouvernements et les institutions se concentrent sur les chiffres et insistent sur l'élaboration de cadres favorisant la production de rapports précis. J'en comprends la nécessité, mais d'un point de vue axé sur les survivantes, il faut savoir que souvent, les survivantes portent peu d'intérêt aux rapports; elles veulent plutôt des services. Elles ont besoin de soins de santé, de mesures d'adaptation liée aux études, qu'on assure la sécurité sur les campus, mais surtout, elles veulent être crues. Encore une fois, le gouvernement fédéral pourrait jouer un rôle essentiel à cet égard, non seulement en offrant du financement, mais aussi en veillant à l'établissement de normes nationales pour les soins de base offerts aux victimes, partout au pays.
    Nous voulons que les survivantes signalent les incidents, il faut des mécanismes de signalement qui protègent les survivantes et qui sont adaptés à leurs besoins. Les services de police et les services des poursuites empêchent régulièrement les survivantes d'obtenir une décision et encore moins une occasion véritable d'obtenir une déclaration de culpabilité, étant donné la jurisprudence actuelle. Les survivantes qui se manifestent doivent constamment répéter leur histoire. Leur crédibilité est remise en question; on les qualifie de « menteuses » ou de « salopes ». On remet en question leur personnalité et leurs comportements antérieurs, y compris leur sexualité. Elles doivent subir tout cela dans le but d'obtenir une très improbable déclaration de culpabilité. Dans les affaires de violence sexuelle, le seuil du doute raisonnable est très difficile à atteindre, parce que la plupart des agressions sexuelles ont lieu en privé, sans témoins. Cela est devenu encore plus difficile dans ce que nous appelons maintenant l'« ère post-Ghomeshi », une ère où il est très difficile de trouver des survivantes prêtes à se lancer dans un processus pénal.
    Il en va de même pour les mécanismes de signalement interne des universités et des collèges. Ce sont des processus fragmentaires pour lesquels on a fréquemment recours à des ordonnances de non-divulgation qui interdisent aux survivantes de discuter de leur dossier avec quiconque, sauf conformément au principe du besoin de savoir, un principe mal défini. Beaucoup de survivantes interprètent cette ordonnance comme une menace qui les empêche d'obtenir de l'aide, des conseils ou encore des services de consultation et de défense des droits.
    Outre la réforme du droit, qui relève du gouvernement fédéral, un plan d'action national pourrait inclure la participation des provinces afin qu'elles aient des mécanismes de signalement et d'enquête uniformes adaptés aux besoins des survivantes. On n'entend pas par là une non-application régulière de la loi; cela signifie que nous pouvons mettre en oeuvre des processus de signalement et d'enquête plus conviviaux pour les victimes. L'enjeu de la violence fondée sur le sexe devrait être et doit être une priorité absolue pour la ministre de la Justice, la procureure générale du Canada et la ministre de la Santé.
    En fait, toutes ces mesures seraient vaines sans une surveillance et une transparence adéquates. Pour revenir au commentaire que j'ai fait plus tôt concernant la gestion des risques au sein des universités, les universités et les collèges doivent avoir des organismes de surveillance chargés non seulement de l'examen des cas signalés, mais aussi de la prestation des services et des stratégies de prévention sur les campus. Le gouvernement fédéral pourrait encore une fois jouer un rôle de chef de file pour la mise en oeuvre de mécanismes de surveillance uniformes, ce qui permettrait d'exiger que les universités qui ne respectent pas les normes nationales rendent des comptes. Je pense qu'on pourrait mettre la barre très haute.
    L'initiative « Des villes sûres » proposée par les Nations unies pourrait être un bon point de départ. Le gouvernement actuel pourrait-il s'inspirer des initiatives des Nations unies pour mettre en oeuvre une stratégie sur des campus sûrs? On pourrait d'abord mener des projets pilotes dans des campus précis qui ciblent des initiatives novatrices en matière de sécurité, comme les services de signalement anonyme et la sensibilisation obligatoire et continue sur la culture du viol. On pourrait adopter des politiques qui obligent les intimés et non les survivantes à adapter leurs horaires de travail et de cours pour faire des campus des endroits plus sûrs pour les femmes, car dans le cadre de mes recherches, les survivantes ont indiqué avoir été obligées de quitter les résidences étudiantes, d'abandonner les cours, de refuser des emplois et même de mettre fin à leurs études universitaires pour assurer leur sécurité.
    Je suis consciente que nous n'en sommes qu'au début d'une discussion que j'espère réfléchie et continue sur la façon dont le Canada peut incarner le principe de l'égalité entre les sexes en s'attaquant à son principal obstacle, la violence fondée sur le sexe.
(1540)
    Évidemment, en tant qu'universitaire, j'ai beaucoup d'autres choses à dire à ce sujet de même que sur l'enjeu de l'application de la loi des cas de violence familiale. Je pourrais continuer pendant des heures, mais, comme je l'ai indiqué, je pense que nous devons discuter. Donc, pour pouvoir en arriver là, je vais arrêter de parler. Je suis prête à répondre à toutes vos questions.

[Français]

     Je vous remercie toutes et tous de votre attention.
    Je vous remercie.

[Traduction]

    Nous passons maintenant à Mme Dugal. Vous avez 10 minutes.

[Français]

[Traduction]

    Madame la présidente, je vous remercie, vous et les membres du Comité permanent de la condition féminine, de me donner l'occasion de vous parler de l'enjeu de la violence envers les jeunes femmes et filles au Canada, en particulier la violence sur les campus.
    Nous félicitons le Comité de se pencher sur cette question à la fois cruciale et d'actualité. Le discours actuel, en particulier au cours de la dernière semaine, témoigne de l'urgence d'agir à cet égard et de la nécessité de lutter contre les comportements et les attitudes misogynes et sexistes qui nuisent à la capacité des filles et femmes de mener une vie satisfaisante et épanouissante. Il s'agit d'une occasion que nous ne pouvons absolument pas nous permettre de rater.
    En guise de contexte, la Fondation canadienne des femmes est une fondation publique nationale dédiée à l'amélioration de la vie des femmes et des filles. Notre action est axée sur trois aspects fondamentaux: mettre fin à la violence, éliminer la pauvreté et habiliter les femmes et les filles. Nous militons à l'échelle nationale pour l'adoption de stratégies et de politiques qui contribuent à l'égalité entre les sexes au Canada.
    Au cours des 25 dernières années, nous avons investi dans 1 400 collectivités et aidé 250 000 personnes. Nos programmes sont axés sur la prévention de la violence, l'établissement de relations saines chez les adolescents, l'habilitation des femmes et des filles, le mentorat, l'expérience de travail, l'élimination de la pauvreté et le renforcement des capacités.
    Notre vision, c'est que toutes les femmes au Canada puissent vivre à l'abri de la violence. Nous aidons les femmes du Canada à se sortir de la violence en finançant des refuges d'urgence et en offrant des programmes de prévention. Nous investissons aussi dans des programmes mixtes de prévention de la violence offerts en milieu scolaire pour inciter les filles, les garçons et les gens de tous genres à mettre fin à la violence. Nous sommes conscients que les investissements dans de tels programmes permettent d'améliorer le bien-être des femmes, leurs perspectives économiques et leurs conditions sociales, comme nous comprenons, à l'inverse, que l'inaction à cet égard, en particulier en ce qui concerne la violence, a des répercussions sur les plans personnel, social et économique.
    Voici quelques faits sur la violence faite aux femmes au Canada.
    La moitié des femmes au Canada ont été victimes d'au moins un acte de violence physique ou sexuelle. Soixante-sept pour cent des Canadiens connaissent une personne qui a déjà été victime de violence physique ou sexuelle. L'agression sexuelle est un crime fondé sur le sexe. Plus de 93 % des victimes adultes d'agressions sexuelles sont des femmes, et 97 % des agresseurs accusés sont des hommes. Les femmes de 18 à 24 ans sont celles qui subissent les plus hauts taux de violence sexuelle.
    La grande majorité des agressions sexuelles n'est toujours pas signalée à la police. Dans un sondage, la raison la plus souvent invoquée par les femmes pour expliquer pourquoi elles n'avaient pas signalé une agression sexuelle était qu'elles se sentaient jeunes et impuissantes. Parmi les répondantes, 40 % ont indiqué qu'elles s'étaient tues parce qu'elles avaient honte, et 29 % se disaient elles-mêmes responsables.
    Dans le même sondage, 71 % des survivantes qui ont signalé une agression sexuelle à la police ont indiqué avoir eu une expérience négative. Nous avons constaté que l'agression sexuelle est le seul crime violent au Canada qui n'est pas en déclin, et qu'en 2014, le risque de victimisation avec violence chez les femmes était de 20 % plus élevé que chez les hommes.
    Il est intéressant de regarder à quels endroits on constate une baisse des taux de violence familiale déclarés par les services policiers. Cette baisse peut être attribuée à des facteurs atténuants, notamment l'indépendance financière, qui permet aux femmes de se libérer d'une relation violente tôt dans la relation, et les efforts soutenus de lutte contre la violence familiale menés par les organisations de femmes à l'échelle communautaire.
    Si on compare la violence sexuelle et la violence familiale, on constate également qu'au Canada, les services d'intervention liés à la violence familiale — qu'on parle des systèmes policiers et judiciaires, de la coordination des services communautaires, de la disponibilité des refuges, etc. — sont beaucoup plus nombreux que les services liés à la violence sexuelle.
    Ces indicateurs témoignent des besoins considérablement plus grands en matière de coordination à l'échelle communautaire pour modifier les attitudes et les comportements, et améliorer les interventions des institutions dans les cas de violence sexuelle.
    Nous savons que l'apprentissage du cycle de la violence se fait tôt dans la vie. Les recherches indiquent que plus les enfants sont sensibilisés jeunes à l'importance des relations saines, plus les effets sont durables. Au cours des 15 dernières années, la fondation a concentré ses ressources sur des programmes de sensibilisation aux relations saines destinés aux adolescents. Les éducateurs considèrent que de tels programmes sont très utiles pour préparer des jeunes de 11,12 et 13 ans aux relations intimes avant qu'ils commencent à avoir des relations amoureuses.
    Ces projets permettent aux adolescents d'acquérir des compétences, de reconnaître les signes avant-coureurs d'une relation malsaine et les comportements favorisant les relations saines, et de connaître les ressources d'aide qui leur sont offertes. Ce sont des programmes continus dont la prestation se fait en classe, sous forme de discussions et de jeux de rôle. Il y a également des cahiers qui peuvent être consultés en dehors des heures de classe. Tout cela est facilité par les enseignants, les membres de la communauté et les jeunes.
(1545)
    La participation des jeunes et des pairs contribue grandement à leur réussite. La recherche montre également qu'une participation significative des jeunes à la conception du programme contribue à la mise en place de services plus pertinents et plus efficaces et donne aux jeunes l'occasion d'acquérir des compétences,de se prendre en charge et de faire preuve de leadership. Elle les aide aussi à établir des liens sains.
    Le programme est aussi conçu pour inclure les garçons à titre de leaders et les faire participer aux conversations et aux activités qui déconstruisent les rapports de pouvoir comme la race, la classe sociale, le sexe et le privilège en général. Il ne blâme pas les hommes et les garçons pour la violence. Dans l'enquête auprès des participants, 90 % des étudiants ont dit que les programmes les avaient aidés à entretenir des relations saines même après avoir terminé l'école et plus de 60 % ont dit que les programmes avaient eu une incidence sur leur choix de partenaires et les avaient aidés à se sortir d'une relation malsaine.
    Nous croyons que le programme pour des relations saines destiné aux adolescents devrait être offert dans les écoles secondaires du Canada et qu'il serait utile pour l'élaboration des programmes de prévention sur les campus. L'intervention précoce souligne l'importance de parler des relations saines et égalitaires avec les jeunes avant leur entrée au collège ou à l'université; elle peut prévenir la violence sur les campus.
    Comme nous le savons, la violence sur les campus se passe dans un contexte empreint d'idées conçues sur le blâme des victimes d'agression sexuelle, la normalisation des comportements sexistes, les comportements institutionnels, l'ignorance des lois sur le consentement, la piètre qualité des programmes de prévention et l'absence de mécanismes d'intervention en cas d'agression sexuelle.
    Au cours des dernières années, les médias ont souligné l'absence d'approches proactives uniformes. En 2014, la fondation a fait une analyse sommaire de sept universités du Canada et a trouvé un ensemble disparate de procédures d'intervention en cas de violence sexuelle.
    Notre travail nous a permis de déterminer que quatre étudiants universitaires de premier cycle sur cinq avaient été victimes de violence dans une relation amoureuse. Deux statistiques sont souvent utilisées, et sont très troublantes: un étudiant de sexe masculin sur cinq est d'avis qu'une relation sexuelle forcée est acceptable si l'on paie la sortie, si l'on a consommé de l'alcool ou de la drogue, ou si l'on fréquente une personne depuis longtemps; de plus, 60 % des hommes d'âge collégial ont dit qu'ils commettraient des agressions sexuelles s'ils étaient certains de ne pas se faire prendre.
    La Fondation canadienne des femmes a aussi réalisé des sondages. Nous voulions savoir comment les femmes qui avaient été victimes d'agression sexuelle étaient perçues dans la collectivité; nous avons donc demandé aux répondants s'ils croyaient que les victimes étaient responsables de leur agression sexuelle. Notre sondage a révélé que 19 % des répondants croyaient que les femmes avaient peut-être provoqué ou encouragé l'agression sexuelle si elles avaient bu; en isolant le groupe des 18 à 34 ans, ce taux passe à 25 %.
    Une enquête plus récente sur le consentement a révélé que bien que 96 % des gens croyaient que l'activité sexuelle entre les partenaires devait être consensuelle, les deux tiers des Canadiens ne comprenaient pas que cela signifiait une activité continue, positive et enthousiaste.
    L'enquête a également révélé que nombre des jeunes Canadiens comprenaient mal l'idée du consentement lorsqu'il est question de technologie. Près d'un jeune sur cinq âgé de 18 à 34 ans — soit 21 % — croyait que si une femme envoyait un message texte à caractère sexuel, elle invitait son destinataire à prendre part à une activité sexuelle hors ligne.
    Comme le montrent ces deux enquêtes, il faut créer et intégrer sur les campus des programmes qui visent à responsabiliser les jeunes, à leur apprendre leurs droits et par-dessus tout à développer une culture et un climat de consentement. Il faut donc une compréhension claire à l'égard du consentement sexuel et de la violence sexuelle en vertu du Code criminel du Canada.
    Nous savons qu'une des façons de lutter contre les agressions sexuelles sur les campus consiste à favoriser l'établissement de politiques distinctes sur les agressions sexuelles. À l'heure actuelle au Canada, 24 collèges et universités sur 100 sont dotés de politiques distinctes qui reconnaissent que l'agression sexuelle diffère des autres types d'inconduite et qui énoncent des procédures précises pour le traitement des plaintes.
    Le projet de loi 132 de l'Ontario comprend une disposition conditionnelle obligeant tous les collèges, universités et collèges d'enseignement professionnel publics et privés à se doter d'une politique distincte sur la violence sexuelle d'ici janvier 2017. Le projet de loi les oblige également à revoir leurs politiques tous les trois ans et à faire participer les étudiants au processus. Le Manitoba, la Nouvelle-Écosse et la Colombie-Britannique y songent également; mais les politiques ne suffisent pas.
(1550)
    Comme l'a dit ma collègue dans son exposé, nous savons qu'il faut beaucoup plus de programmes adaptés qui traitent directement des besoins des victimes et qui offrent des solutions axées sur les victimes. Il faut que les victimes puissent participer à la création des politiques et des protocoles qui émanent des politiques distinctes, donc ce ne sont pas seulement les jeunes...
    Je suis désolé, vous n'avez plus de temps. Merci beaucoup.
    Vous aurez l'occasion de nous en parler davantage pendant la période de questions.
    Je souhaite la bienvenue à Mark Gerretsen, à Wayne Long, à Garnett Genuis et à Brigitte Sansoucy. Nous avons une fois de plus atteint la parité en comité aujourd'hui; la discussion s'en trouve toujours améliorée.
    Nous allons commencer la série de questions. Madame Nassif, vous disposez de sept minutes.

[Français]

     Merci, madame la présidente.
    Je voudrais aussi remercier les deux témoins de leurs présentations.
    Ma première question s'adresse à Mme Moore.
     Dans le cadre de vos recherches concernant la violence sexuelle sur les campus postsecondaires en Ontario, vous êtes-vous penchée sur la façon dont les incidents de violence sexuelle étaient signalés sur les campus dans l'ensemble du pays et comment les enquêtes subséquentes étaient menées?

[Traduction]

    Oui et c'était pour l'Ontario.

[Français]

    Je suis désolée, mais je vais répondre à votre question en anglais étant donné que mon français laisse un peu à désirer.

[Traduction]

    Nous savons que les services policiers de l'Ontario présentent des taux alarmants de plaintes « non fondées ». Nous sommes à Ottawa aujourd'hui; ici, 40 % des plaintes sont jugées non fondées. Cela signifie que 40 % des femmes qui déclarent à la police avoir été victimes d'agressions sexuelles sont renvoyées chez elles; la police ne fait même pas enquête et n'intente bien sûr aucune poursuite. Vient ensuite l'attrition, ce qui signifie que parmi les 60 % de cas qui donnent lieu à une enquête policière, il y aura une certaine attrition à l'étape des poursuites, puisque les procureurs de la Couronne doivent décider si l'affaire doit être portée devant les tribunaux ou non.
    C'est donc 5 à 10 % des cas qui sont portés devant les tribunaux dans la province de l'Ontario, et je dirais que les taux sont comparables dans l'ensemble du pays. Viennent ensuite les condamnations. Donc, 5 à 10 % de cas d'agression sexuelle font l'objet de poursuites et parmi ceux-ci, 1 % entraîneront une condamnation et une déclaration de culpabilité. On comprend donc pourquoi les victimes ont peu confiance d'obtenir une quelconque justice de la part du système, parce que leurs chances de voir un verdict de culpabilité sont minces. De plus, s'il y a un verdict de culpabilité, les peines sont habituellement très permissives.
    Je ne défends pas l'imposition de lourdes peines parce que, comme je l'ai dit dans mon exposé, je crois que nous devons consacrer nos énergies à la prévention des agressions sexuelles. Lorsqu'il y a signalement et enquête, il est déjà trop tard. Ce qu'on veut voir au pays, ce n'est pas... comme l'a dit ma collègue, une femme sur cinq ou une femme sur six est victime d'agression sexuelle avant l'âge de 25 ans; c'est inacceptable. Nous devons prévenir les agressions sexuelles, pour que les femmes n'aient pas à faire de signalement à la police ou à passer par un quelconque autre mécanisme.

[Français]

     Vous dites que la prévention est la meilleure chose, mais selon vous, qui devrait mener ces enquêtes et comment pourrait-on améliorer les réponses lorsque de tels incidents sont signalés?
     Vous venez de dire que la méthode qui existe n'est pas efficace et que la prévention est la meilleure approche, mais d'après vous, comment le système pourrait-il être amélioré?
(1555)

[Traduction]

    Je crois que la police doit être mieux informée sur ce que vivent les femmes qui ont été victimes de violence sexuelle. On peut prendre des mesures de base pour les aider: on doit les placer dans une salle confortable, un endroit privé pour faire leur déclaration; elles doivent pouvoir parler à une femme enquêteuse si elles le souhaitent; elles doivent pouvoir établir un lien avec l'enquêteur avant de devoir lui expliquer dans les moindres détails ce qui s'est passé pendant l'agression sexuelle; on doit leur éviter de devoir témoigner en présence de leurs agresseurs; on doit leur offrir une protection adéquate et leur garantir qu'une ordonnance de non-communication sera émise si elles portent plainte; on doit leur offrir l'aide d'un guide, une personne qui les orientera tout au long du processus pénal. La province de Québec le fait très bien. Elle a mis en place un centre qui accueille les victimes d'agression sexuelle après qu'elles ont porté plainte. Elles sont dirigées vers des conseillers qui les accompagnent dans toutes les étapes du processus et qui les tiennent au courant de la progression de leur dossier.
    Il faut aussi parler des délais. Si vous dénoncez une agression sexuelle à la police, il faudra peut-être six mois à un an avant que vous ne receviez une réponse. C'est une longue attente pour une survivante qui devra raconter son histoire à maintes reprises.
    Nous pouvons prendre des mesures de base pour rendre le système plus facile d'approche pour les survivantes, mais il ne faut pas non plus oublier d'éduquer les juges. Au Canada, nous avons vu deux exemples extrêmes, des juges qui ont dit clairement aux survivantes qu'elles n'étaient pas les bienvenues et qu'elles n'allaient pas être traitées avec respect par le tribunal. Il s'agit de la décision dans l'affaire Ghomeshi et d'un cas dans les Prairies. L'éducation des juges sur les échanges respectueux avec les survivantes est essentielle.

[Français]

     Merci.
    Ma prochaine question s'adresse à Mme Dugal.
     Selon le site Web de la Fondation canadienne des femmes, la recherche démontre que la période de l'adolescence est le moment idéal pour aborder avec les jeunes la question de la prévention de la violence parce que les comportements violents sont souvent intégrés très tôt dans la vie.
     Pouvez-vous nous donner des exemples de pratiques prometteuses où l'on enseigne aux adolescents ce que sont des relations saines et la différence avec des relations abusives?
    Je vous remercie beaucoup de la question.
    Je vais aussi répondre en anglais parce que j'ai plus souvent l'habitude de parler de ces sujets dans cette langue, mais je serai heureuse de m'exercer à parler en français plus tard.

[Traduction]

    Mesdames, vous n'avez plus de temps. Vous devrez garder votre réponse pour la prochaine série de questions.
    La parole est maintenant à Mme Harder. Vous avez sept minutes, madame.
    Je vous remercie toutes les deux de votre présence ici aujourd'hui. Nous sommes heureux d'entendre votre point de vue à ce sujet.
    Ma première question s'adresse à Mme Dugal.
    Madame Dugal, j'espère que vous pourrez m'aider à comprendre. Vous avez parlé du point de vue des hommes par rapport aux femmes, et vous avez dit quelque chose qui m'inquiète, au sujet de ce que nombre d'entre eux pensent pouvoir se permettre. Croyez-vous que la pornographie a une incidence à cet égard? Si oui, dans quelle mesure?
    C'est une question très intéressante.
    Nous savons que les hommes peuvent commencer à un très jeune âge à voir la femme plutôt comme un objet et ne se soucient pas vraiment d'établir des relations saines et égalitaires avec les femmes. Nous savons que les garçons utilisent les médias dès leur très jeune âge — nous avons des données précises à ce sujet — et qu'ils consomment de la pornographie en ligne, dès l'âge de 11 ans dans certains cas. Certains en consomment fréquemment. Je crois que près de 50 % des jeunes hommes consomment de la pornographie en ligne deux ou trois fois par semaine, et la fréquence peut augmenter avec l'âge.
    Nous ne savons pas s'il y a un lien direct entre la consommation de pornographie en ligne et les relations malsaines. Je ne crois pas que ce lien ait été établi. Il y a toutefois des raisons de croire que l'objectivation des femmes par les hommes dès leur très jeune âge peut entraîner une généralisation de ces comportements, comme nous le voyons dans les médias.
    Pour être honnête, toutefois, je dirais que ce n'est pas seulement à cause de la pornographie. On observe ces mêmes attitudes à l'égard des femmes dans les vidéoclips. On le voit dans les jeux vidéo et dans de nombreux films. Les images que les jeunes hommes voient dans les médias tendent à objectiver les femmes, et les femmes voient elles aussi ces mêmes images. On ne s'inquiète donc pas seulement de l'éducation des jeunes hommes: les jeunes femmes commencent elles aussi à se percevoir comme des objets sexuels et joueront cette carte dans leurs relations.
    On se demande si les jeunes femmes sont même capables, au tout début de leurs activités — particulièrement leurs activités sexuelles —, de songer à ce qu'elles aiment; elles se soucient plutôt de ce qui satisfera leur partenaire. Cette question est abordée dans certains programmes sur les relations saines que nous appuyons. La sexualité saine en fait partie, et on encourage la discussion sur le plaisir sexuel, sur une vision positive de la sexualité et des relations intimes.
(1600)
    Merci beaucoup.
    Madame Moore, je vais vous poser la même question. Pourriez-vous nous faire part de vos réflexions au sujet de l'incidence de la pornographie sur les agressions sexuelles contre les femmes?
    Notre étude n'était pas vraiment axée sur la pornographie, donc je ne suis pas certaine d'être en mesure de vous répondre. Je crois que le point soulevé par ma collègue au sujet de l'objectivation de façon plus générale est intéressant, mais je ne crois pas que la pornographie en soit la seule responsable.
    Je peux vous donner un exemple tiré de notre recherche. Une des survivantes que j'ai interviewées m'a parlé de ces fêtes pour les confréries et les sororités qu'on appelle les « stop light party ». Je ne sais pas si vous en avez entendu parler. En gros, les participants portent du rouge, du jaune ou du vert. Si on porte du vert, c'est qu'on est prêt à faire n'importe quoi avec n'importe qui; comme si le consentement n'était pas requis. Si on porte du jaune, c'est qu'on veut pouvoir donner notre consentement, ce qui me semble être une façon tout à fait inintelligible de présenter la notion de consentement sur le campus. Si on porte du rouge, c'est qu'on ne veut pas prendre part à des activités sexuelles. À mon avis, cet exemple montre clairement comment on perçoit le consentement, surtout parmi les étudiants de première et deuxième année sur les campus. On peut décider de jeter le consentement par la fenêtre, comme si les personnes qui portaient du vert n'avaient pas à manifester leur consentement; on s'attend à ce qu'elles acceptent tout ce qu'on veut.
    La survivante à qui j'ai parlé m'a aussi dit clairement que les femmes qui portaient du jaune étaient perçues comme étant prudes, tandis qu'on oubliait carrément les femmes qui portaient du rouge. Seules les femmes qui portaient du vert étaient jugées attirantes dans ces fêtes. C'est une démonstration très déconcertante, mais très réaliste de la façon dont l'objectivation fait partie de la culture sur les campus.
    Merci.
    Pour ma prochaine question, je vais commencer avec vous, madame Moore.
    Nous avons autour de cette table un groupe de personnes qui ont été élues à la Chambre des communes. Notre objectif principal est de mettre en place des mesures législatives. Nous pouvons discuter de diverses mesures dont nous avons besoin pour contribuer à faire stagner ou à contrer les agressions sexuelles, mais au final — et je connais très bien ces mécanismes —, nous, autour de cette table, portons un grand intérêt aux mesures législatives qui pourraient être mises en place.
    Dans cette optique, avez-vous des recommandations pour nous?
    J'ai formulé quelques recommandations dans le mémoire qui vous a été distribué. Je ne sais pas si vous avez eu le temps de le parcourir.
    C'est difficile, car on outrepasse des limites législatives entre les provinces et le gouvernement fédéral. En ce qui concerne ce qui relève du gouvernement fédéral, je pense que des réformes pourraient être envisagées en droit pénal. Nous avons été en mesure de le faire avec le syndrome de la femme battue. Nous avons pu reconnaître qu'il y a des circonstances sexospécifiques dans le cas de la violence conjugale où la femme ne serait pas tenue de respecter les mêmes normes que n'importe quelle autre personne dans un cas de légitime défense. C'est le jugement Lavallee... Ce n'est pas important; je ne vous donnerai pas un cours de droit là-dessus. La Cour suprême a pu inclure une disposition dans le Code criminel pour que la disparité entre les sexes soit prise en compte dans les cas de violence.
    Je pense que nous avons une Cour suprême qui est sensée et un Parlement qui est sensé, et j'estime qu'il est possible d'envisager des changements législatifs qui pourraient considérer la violence sexuelle comme étant un crime qui est différent des autres types de crimes prévus dans le Code criminel. Ce n'est pas un crime contre la propriété...
(1605)
    Merci. Il n'y a aucun problème.

[Français]

     Nous allons commencer par vous, madame Sansoucy. Vous disposez de sept minutes.
    Merci, madame la présidente.
    Je vais prendre le relais de ma collègue et parler des pratiques prometteuses.
    Plus précisément, madame Dugal, pensez-vous qu'il est important qu'on puisse partager ces pratiques prometteuses avec tous les intervenants qui travaillent dans le domaine de la violence contre les femmes — cela comprend, bien sûr, le gouvernement fédéral —, afin de créer une stratégie qui tienne compte de toutes celles qui existent tant dans les provinces que dans les organismes communautaires?
    Est-ce que la question s'adresse à moi?
    Vous pouvez commencer et si Mme Moore a quelque chose à ajouter, elle pourra le faire.
    Vous avez la parole.
    D'accord.

[Traduction]

    Oui, je pense que ce qui est important, c'est que le gouvernement fédéral joue un rôle de chef de file et que les provinces comprennent que l'on s'attend à ce que les universités et les collèges aient des politiques et des procédures en place. Je sais que l'éducation relève des provinces, mais le gouvernement fédéral peut intervenir de bien des façons. Comme Mme Moore l'a expliqué, un plan d'action national sur la violence fondée sur le sexe ou sur la violence envers les femmes serait un bon point de départ.
    Je pense qu'il est également important de souligner que le gouvernement fédéral a un rôle à jouer pour ce qui est d'établir des politiques et d'investir dans un transfert de connaissances potentiel sur cette question. Par exemple, prenons le financement que nous avons reçu par l'entremise d'une subvention obtenue dans le cadre d'un partenariat avec l'Université McGill pour prévenir la culture du viol dans les universités à l'aide de travaux de recherche fondés sur des données probantes, ce qui pourrait mener à des changements dans les programmes d'études et les politiques. C'est un projet national auquel participent 10 universités au Canada, et d'autres se joindront au projet à mesure que nous avancerons dans nos travaux. Le projet se penche sur les politiques, sur le rôle des arts et de la culture populaire ainsi que sur les nouvelles et les médias sociaux. Il ira jusqu'à apporter des changements aux programmes d'études dans les collèges pour que des renseignements sur les agressions sexuelles soient communiqués dans les programmes existants de médecine dentaire, de journalisme, de droit et d'éducation.

[Français]

     Je vous remercie.
    Madame Moore, je ne sais pas si vous avez quelque chose à ajouter à cet égard. Sinon, j'aurais une question supplémentaire à vous poser.
     Certaines de vos recommandations concernent la recherche. Pouvez-vous nous dire à quel point il est important de soutenir la recherche, afin d'avoir une meilleure compréhension des causes profondes de la violence faite aux femmes et de s'adapter aux nouvelles formes de violence?

[Traduction]

    Comme je l'ai indiqué dans mon mémoire, l'étude que nous avons menée a été la première en 10 ans. C'est la seule étude qui examine l'information de façon qualitative... elle étudiait la situation de seulement trois campus, alors c'est un petit premier pas en vue de régler un problème beaucoup plus gros, mais ce que nous devons faire, c'est de bien comprendre la situation de la violence sexuelle au pays — et pas seulement les chiffres, mais les expériences que vivent des gens sur leur campus.
    Bien entendu, le gouvernement fédéral a un organisme de financement fédéral, le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada. Ce serait formidable si l'un des secteurs sur lesquels il se penche était la violence fondée sur le sexe. Une subvention spéciale a été remise aux chercheurs, car des questions cruciales sont encore sans réponse, dont la question sur la pornographie que l'on a posée plus tôt.
    Nous avons eu l'occasion d'interroger des hommes dans les universités pour solliciter leurs points de vue, mais ce que ma collègue a dit au sujet des garçons dans les écoles secondaires montre que nous devons connaître leur mentalité et la provenance de leurs idées. On ne peut pas obtenir ces renseignements seulement avec des sondages. Il faut mener des recherches dans l'ensemble du pays. Il faut du temps pour faire le ménage dans les comités d'éthique, mais il faut également du temps pour bâtir la confiance dans des collectivités données.
    L'autre groupe qui était grandement sous-représenté dans le cadre de notre recherche était les Autochtones, et c'est parce qu'il faut réaliser un énorme exercice de renforcement de la confiance avant d'effectuer des recherches auprès des Autochtones. Nous savons qu'il y a un énorme problème avec la violence sexuelle et fondée sur le sexe dans les collectivités et les peuples autochtones, et nous savons que c'est à cause d'une culture de colonialisme et des effets du colonialisme, mais nous ne savons pas comment ils se manifestent chez les étudiants autochtones sur les campus universitaires. Si je pouvais choisir un lieu où sonder les gens, j'irais directement sur les campus pour consigner les expériences et les besoins des étudiants autochtones sur les campus.
(1610)

[Français]

     Dans votre présentation, vous avez parlé de la nécessité d'adopter un plan d'action national. Dans quelle mesure est-il important de se doter d'une stratégie nationale qui inclurait, bien sûr, l'éducation et la formation?
    Le but serait d'informer les gens sur la violence sexuelle et de changer les comportements à cet égard. Les relations saines, le consentement, le fait de favoriser l'estime de soi et de travailler avec les hommes et les garçons en vue de changer les attitudes et les comportements pourraient être abordés. Je ne parlerai pas de « culture du viol », étant donné que vous avez dit ne pas aimer cette expression.
     À quel point est-il important de se doter d'une véritable stratégie pour aborder toutes ces questions?

[Traduction]

    Je vais revenir en arrière et apporter une précision. Ce n'est pas que je n'aime pas l'expression « culture du viol », mais je pense que l'expression est devenue une distraction. C'est la raison pour laquelle je suis neutre face à cette expression. Nous pouvons l'utiliser si c'est utile, mais je ne veux pas que l'expression devienne le sujet du débat. Je veux que nous continuions de débattre des mesures que nous pouvons prendre pour prévenir la violence fondée sur le sexe.
    Pour répondre à votre question concernant l'éducation, je vais revenir aux initiatives d'éducation que nous avons lancées en tant que nation relativement au racisme et à l'homophobie. La majorité de ces initiatives étaient dirigées par le gouvernement fédéral pour éduquer la population canadienne sur la nature de la vie dans une mosaïque culturelle et sur l'importance des droits de la personne pour tous. Le Canada est le premier pays dans le monde à autoriser le mariage gai, et la décision n'a pas seulement été prise par les tribunaux: les Canadiens étaient prêts à encourager la diversité au sein de leur population.
    Si nous examinons l'histoire du pays, nous voyons que l'éducation — changer les susceptibilités du Canadien moyen ordinaire — est essentielle pour apporter des changements fondamentaux qui sont nécessaires pour prévenir et contrer la violence fondée sur le sexe. Je partage la vision de ma collègue à Montréal...
    Je suis désolée, mais vous n'avez plus de temps.
    Nous allons maintenant entendre M. Serré pour sept minutes.
    Merci, madame la présidente. Je vais partager mon temps de parole avec M. Fraser et Mme Dhillon.
    Ma première question s'adresse aux deux témoins. À votre avis, comment la violence en ligne est-elle différente de la violence physique?
    De plus, dans votre réponse, madame Dugal, sur votre site Web, vous dites que bon nombre des recherches se penchent sur les adolescents, mais d'autres témoins ont également dit que nous devrions peut-être commencer plus tôt. Je veux entendre vos observations là-dessus.
    Pour répondre à votre question sur le fait de commencer l'éducation plus tôt, je suis tout à fait d'accord avec vous. Nous savons que les organismes avec lesquels nous travaillons nous ont dit avoir été invités à s'adresser à des classes de 6e année. Ce sont des jeunes de 10 et 11 ans. Nous savons qu'il existe des programmes, à Montréal en particulier, qui mettent sur pied des stratégies de communication pour les enfants qui commencent la maternelle. Je pense que pour savoir comment on peut entretenir des relations saines, on doit commencer l'éducation dès que les enfants entrent à l'école.
    Pour répondre à la question sur le consentement, dès que nous avons des jeunes réunis dans un petit espace, nous avons vu que même des enfants de trois et de quatre ans peuvent apprendre à demander à une personne s'ils peuvent lui faire une accolade. Cela peut sembler insignifiant, mais apprendre à demander la permission pour avoir des contacts physiques intimes est un élément clé pour enseigner une culture du consentement qui sera maintenue jusqu'à l'université et après. C'est ma réponse à la question visant à savoir à partir de quel âge on peut commencer l'éducation.
    Pour répondre à votre première question au sujet de la place de l'éducation... Je suis désolée, mais j'ai besoin de quelques précisions.
(1615)
    C'était pour entendre vos observations sur la différence entre la violence physique et la violence en ligne.
    C'était sur la violence en ligne. Pour nous, la définition de « violence » est psychologique, physique, en ligne, financière et sexuelle. Elle englobe tout. La forme de violence qui est extrêmement difficile à gérer pour les jeunes femmes à l'heure actuelle est la traque et le harcèlement en ligne. C'est difficile car cette forme de violence semble être beaucoup plus personnalisée. Elle est dirigée contre les femmes qui prennent position, car elle veulent des droits à l'égalité et veulent présenter un... Je sais que vous allez discuter avec Julie Lalonde. Nous savons qu'elle a subi beaucoup de harcèlement de ce genre, mais presque toutes les femmes qui s'expriment sur Internet au sujet de l'égalité subissent de la violence et des agressions.
    Je ne sais pas si ma collègue veut ajouter quelque chose.
    Je pourrais ajouter quelque chose à propos des menaces physiques et de mort en ligne que j'ai reçues pour des positions publiques que j'ai exprimées sur la violence sexuelle. C'est tout à fait exact.
    Pour parler brièvement de l'âge auquel nous devrions commencer à éduquer les jeunes, c'est à partir de la naissance. Mes enfants sont dans le système de CPE au Québec, et on leur enseigne non seulement qu'ils doivent demander la permission de toucher les autres, mais aussi qu'ils ont le droit de dire non lorsqu'on les touche. Cette notion est bien ancrée en eux, à savoir que leur corps leur appartient et que mis à part lorsqu'ils vont chez le médecin et lorsqu'il faut prendre leur température, ils ont un droit de veto sur leur corps. Je le vois dans la façon que mes enfants se comportent. Ils sont beaucoup plus respectueux du corps de leurs amis, de leur corps et du mien. Ils me demandent maintenant s'ils peuvent me donner une accolade. Ils ont appris cela, car je suis également une survivante de viol, alors c'est important de fixer des limites dans notre famille.
    Les enfants sont capables de comprendre le consentement. Ils sont capables de comprendre le contrôle qu'ils ont sur leur corps. Il n'y a rien de mal à leur enseigner d'être respectueux et de demander le consentement d'entrée de jeu.
    Allez-y, madame Dhillon.
    Vous avez mentionné que les universités ne sont pas très ouvertes à divulguer la façon dont les agressions sexuelles, les viols et le harcèlement surviennent sur les campus. Pourriez-vous nous dire pourquoi, d'après vous, et qui les en empêche? Vous avez également dit que ce silence dissuade les victimes à se manifester. Que peut faire le gouvernement pour les encourager à signaler ces cas de violence? Quelles pratiques exemplaires pouvons-nous établir?
    Pour ce qui est des données, les trois universités que nous avons étudiées nous ont dit qu'il n'y a aucun problème de violence sexuelle sur leur campus. Les gens de Carleton, ma propre université, m'ont dit qu'il n'y a pas eu de cas de violence sexuelle depuis l'infâme agression sexuelle survenue en 2007, ce qui est tout à fait faux. C'est le directeur de la sécurité à l'université qui m'a dit cela. Les universités se mettent manifestement la tête dans le sable. Elles ne veulent pas reconnaître que le problème existe.
    Quelle était la deuxième partie de votre question?
    J'ai demandé comment nous pouvons encourager les gens à signaler les cas de violence et si l'université aidera en ce sens ou non. Quelles sont les pratiques exemplaires? Que peut faire le gouvernement pour encourager les gens à signaler ces cas?
    Une chose que j'aimerais vraiment que nous mettions à l'essai au Canada, et qui a été essayé sur des campus aux États-Unis, ce sont des mécanismes de signalement anonyme.
    Il existe un logiciel à l'heure actuelle qui permet aux étudiants d'aller en ligne et, à partir de leur chambre de résidence, ils peuvent expliquer les circonstances de l'agression et indiquer le nom de l'agresseur. Cette information demeure dans une base de données, et l'étudiante est avisée si une autre étudiante signale avoir été agressée par cette personne. Dans certaines interfaces, le service de sécurité de l'université peut avoir accès à cette information, mais de façon anonyme, afin de pouvoir connaître la prévalence des incidents de violence sexuelle sur le campus sans savoir les noms.
    C'est très simple, mais je pense que ce mécanisme pourrait grandement nous aider à connaître la prévalence de la violence sexuelle sur les campus.
(1620)
    Merci beaucoup.
    Nous allons maintenant entendre Garnett Genuis pour cinq minutes.
    Merci beaucoup. Je vous suis vraiment reconnaissant de vos témoignages.
    Madame Moore, je vais commencer par faire une observation, et je suis curieux d'entendre votre réponse.
    J'ai 29 ans et j'étais sur un campus universitaire il n'y a pas si longtemps. La situation s'est peut-être améliorée ou détériorée, mais je sais qu'il y avait des fêtes où la couleur des vêtements, vert, jaune ou rouge, diffère selon la situation amoureuse des gens, et elles n'étaient pas seulement organisées par des fraternités et des sororités. Lorsque j'étais étudiant, notre association des résidants a organisé une fête de la sorte. C'est une organisation à laquelle les étudiants versent des cotisations obligatoires perçues par l'administration. J'étais sidéré, mais de nombreuses autres personnes estimaient que c'était une activité amusante comme une autre.
    Vous avez également mentionné plus précisément la question de la semaine d'initiations et de l'hypersexualisation du milieu universitaire qui est souvent associée à cette semaine. C'est très important pour moi car on a des étudiants qui arrivent à l'université et apprennent en quoi consiste la vie universitaire, et c'est ainsi qu'ils sont accueillis. Ce n'est pas une expérience universitaire intelligente. C'est complètement différent.
    Dans certains cas, il y a des problèmes de culture, mais ces problèmes que j'ai mentionnés reflètent dans certains cas des activités que les associations étudiantes organisent et qui sont des activités sociales officiellement sanctionnées. C'est particulièrement vrai pour la semaine d'initiations. Je ne dis pas que les associations étudiantes sont toujours le problème. Elles font parfois partie de la solution également pour mettre l'accent sur la sensibilisation à cette question.
    Quelle est la réponse adéquate des administrations universitaires? Je pose la question car j'ai l'impression que dans certains de ces cas, l'administration doit exercer une plus grande autorité et faire savoir aux associations étudiantes qu'il y a des limites aux activités qu'elles peuvent organiser si elles ne cadrent pas avec le type de culture que nous voulons instaurer sur nos campus.
    Je vous remercie beaucoup de cette question. Je pense que les universités ont deux possibilités. L'une est de réagir, et c'est ce que la majorité des universités font en ce moment. Vous savez, pour la plupart, ce qui s'est passé à l'Université Carleton, il y a quelques années. Je ne sais pas si j'ai le droit d'utiliser de gros mots ici ou pas — non, d'accord. Je vais simplement dire que les animateurs de l'activité d'initiation se promenaient dans les environs du campus avec des t-shirts disant « F*** Safe Space », ce qui signifie — je resterai polie — au diable l'espace sécuritaire, ou encore « F*** Me ». Cela a causé une débâcle sur le campus. L'administration de l'université a pris beaucoup de temps à condamner ces gestes, mais ces étudiants n'ont jamais été punis, même s'ils avaient enfreint le code de conduite des étudiants.
    Je ne crois pas qu'une approche réactive de ce genre soit particulièrement utile. J'ai vu la même chose à Saint Mary's. Nous avons vu cela à l'Université d'Ottawa, et à Brock. En continuant de simplement réagir, nous ne devancerons jamais le problème. À mon avis, il faut de l'éducation continue qui commence à la semaine d'initiation puis se poursuit, pour que ceux qui accueillent les nouveaux et leur disent ce que signifie le consentement aient eu quatre années d'éducation sur le consentement et soient capables de donner l'exemple de ce qu'est le consentement et de ce que sont des relations sexuelles saines.
    Ce que nous voyons maintenant dans les universités, c'est que les animateurs des activités d'initiation suivent un cours en ligne d'une demi-heure. C'est la formation sur le consentement qu'ils reçoivent, puis qu'ils transmettent aux nouveaux. Ce n'est pas assez, et il ne suffit pas que cela ne se produise qu'une seule fois pendant vos études universitaires. Les universités devraient avoir un programme permanent d'éducation constante des gens en général, et pas seulement les étudiants. Dans les universités, tout le monde doit participer à de l'éducation continue sur une sexualité sûre, saine et consensuelle.
(1625)
    Si cela ne vient pas des associations étudiantes, il faut que l'administration s'en occupe, parce que c'est l'administration qui doit au bout du compte veiller à la sécurité des lieux qu'elle gère. Êtes-vous d'accord avec moi?
    Ce que j'espère, c'est la collaboration entre les étudiants, les syndicats et l'administration. Je viens d'avoir une réunion à l'Université Carleton, au sujet de notre propre politique sur la violence sexuelle, et c'est ce que nous préconisons sur notre campus. Je crois que la volonté est là dans beaucoup d'autres universités, mais nous avons besoin d'une orientation nationale pour avoir des normes que nous pouvons tous atteindre.
    En ce moment, comme je l'ai dit dans mon exposé, nous sommes tous cloisonnés. Nous sommes totalement aveugles à ce qui se passe dans d'autres institutions, et cela n'aide en rien. Ma collègue a parlé de la diffusion des connaissances et du partage de connaissances. Nous avons désespérément besoin de cela.
    D'accord. Votre temps est malheureusement écoulé.
    Mesdames, votre contribution est très précieuse pour le Comité. Je vous remercie d'avoir comparu devant nous. Si vous souhaitez nous envoyer d'autres renseignements en réponse aux questions qui ont été posées, n'hésitez pas à les transmettre à la greffière. Nous en serions ravis. Merci encore d'être venues.
    Nous allons interrompre la séance deux minutes, le temps de veiller à ce que nos prochains témoins soient installés.
(1625)

(1630)

[Français]

     À l'ordre, s'il vous plaît.
    Nous poursuivons la séance.

[Traduction]

    Nous avons plusieurs témoins, aujourd'hui.
    Premièrement, nous accueillons Maïra Martin, de l'Action ontarienne contre la violence faite aux femmes, puis Julie Lalonde, directrice d'Ottawa Hollaback! Par vidéoconférence, nous avons Gabrielle Ross-Marquette, coordonnatrice des communications de METRAC Action on Violence.
    Mesdames, bienvenue à vous. Nous sommes ravis de vous avoir comme témoins aujourd'hui.
    Nous allons commencer par Gabrielle. Chacune d'entre vous a 10 minutes pour présenter son exposé. Je vais vous interrompre brutalement à la fin de vos 10 minutes, parce que nous devons respecter l'horaire. Ensuite, nous passerons aux séries de questions.
    Nous commençons par vous, Gabrielle, puis ce sera Maïra. Vous avez 10 minutes.
    Merci à vous tous d'avoir invité METRAC à parler des questions de sécurité sur les campus. Nous savons que les campus d'enseignement postsecondaire du pays sont des lieux très dangereux pour les femmes de toutes origines et pour les personnes de genre non conforme.
    Les recherches menées en Amérique du Nord indiquent qu'entre 15 et 25 % des femmes en âge de fréquenter le collège ou l'université vivront une forme ou une autre d'agression sexuelle pendant leurs études. METRAC Action on Violence travaille depuis plus de 30 ans sur les campus à faire en sorte que les institutions soient sûres pour tous et porte une attention particulière aux personnes et aux groupes qui risquent le plus de subir de la violence.
    Aujourd'hui, je vais résumer le mémoire de METRAC qui a été soumis le 23 septembre en me concentrant sur trois enjeux: la culture du viol, la pauvreté sur les campus canadiens et la hausse de la traite de personnes sur les campus.
    Je serai ravie de répondre à toutes vos questions après l'exposé.
    La culture du viol découle de la prévalence de la violence sexuelle sur les campus, conjuguée à la normalisation de cette violence. Grâce aux statistiques, nous savons que la violence sexuelle est très courante sur les campus canadiens. Par exemple, nous avons tous entendu les statistiques peu réjouissantes selon lesquelles quatre étudiantes de premier cycle sur cinq ont subi de la violence dans le cadre de leurs fréquentations amoureuses. L'acceptation de cette violence sexuelle est ce que nous appelons la « culture du viol ». Cela décrit des convictions, idées, structures et pratiques sociales et communautaires qui, conjuguées, peuvent donner à croire que des taux élevés de violence sexuelle sont normaux, inévitables et acceptables; peuvent nous exposer au blâme et à l'incrédulité, et réduire au silence les personnes qui sont victimisées; se nourrissent de stéréotypes sexistes et de mythes sur le viol voulant que les hommes soient naturellement violents et que les femmes aient tort parce qu'elles les provoquent; et se nourrissent de stéréotypes sexuels au sujet de certains groupes, comme les Autochtones, les communautés racialisées et les personnes transgenres et transsexuelles, renforçant la conviction selon laquelle ces personnes risquent davantage de commettre des abus ou d'être à l'abri de la victimisation. La culture du viol peut aussi nous amener à croire qu'il est normal que nos politiques, nos pratiques, nos forces policières et nos tribunaux ne réagissent pas bien au problème. À cause de la culture du viol, nous demeurons mal équipés et ne savons pas comment soutenir les victimes ou les survivants.
    La culture du viol se trouve partout, dans les convictions personnelles et les grandes structures sociales. Elle prend racine dans les tendances historiques et les liens de pouvoir entre les personnes; le colonialisme et le sexisme en sont. Même avec l'amélioration des lois contre la violence et les stéréotypes sexuels, cela est ancré dans notre culture et lié aux formes continues d'oppression que sont le racisme, l'homophobie et la discrimination fondée sur la capacité physique. Par conséquent, la culture du viol aboutit à de plus grands risques pour les groupes vulnérables repoussés en marge de la société — par exemple, les jeunes femmes, les femmes autochtones et les transgenres —, mais il n'y a toujours pas de mesures de soutien et de services appropriés pour les personnes marginalisées qui subissent de la violence.
    L'enquête nationale sur l'éducation menée par Égale Canada en 2011 signale qu'environ deux tiers des étudiants allosexuels — ou queer — ou transgenres ont indiqué ne pas se sentir en sécurité à l'école. En 2009, 74 % des crimes haineux signalés par des étudiants sur les campus ont été motivés par l'orientation sexuelle d'un étudiant, et un tiers des étudiants ont subi du harcèlement sexuel. Ces formes de violence sont directement liées à la race, à la religion, à l'identité sexuelle et à l'orientation sexuelle. Par conséquent, il faut absolument se pencher sur les intersections de la violence sexuelle au moment de concevoir une stratégie de lutte contre cette violence. La stratégie ne peut être distincte d'une démarche visant à contester toutes les formes d'oppression.
    Cependant, concevoir une stratégie de lutte contre la violence sexuelle sur les campus canadiens est une entreprise difficile. Le climat d'incertitude économique donne lieu à des campus peu sûrs où il est difficile d'établir une culture axée sur le consentement.
    Voici ce que j'entends par l'incertitude économique: les frais de scolarité en hausse, la dette étudiante sans précédent, le coût élevé du logement, le coût élevé de la nourriture et la nature du travail sur le campus, qui est précaire ou non rémunéré pour bien des stages.
    De nombreuses statistiques viennent étayer cela, mais je vais n'en mentionner que deux. Premièrement, l'Ontario Association of Food Banks a signalé l'augmentation du nombre d'étudiants de niveau postsecondaire qui utilisent régulièrement les banques alimentaires, dont 8 % des utilisateurs sont des étudiants et des aînés, et a aussi indiqué que tous les collèges et toutes les universités sans exception ont sur place une banque alimentaire ou un programme de lutte contre la faim. Deuxièmement, les étudiants étrangers dans les collèges et universités du Canada font face à des obstacles économiques encore plus importants parce que leurs frais de scolarité sont souvent trois fois supérieurs à la moyenne canadienne et qu'ils risquent de trouver encore plus difficile d'avoir du travail rémunéré en raison des stéréotypes négatifs, du racisme ou de la xénophobie.
(1635)
    Nous nous trouvons donc dans un contexte où les étudiants sont forcés de se tourner vers des moyens autres que les moyens traditionnels pour survivre. La pauvreté sur les campus est grave et bien réelle, et elle augmente le risque d'exploitation des étudiants vulnérables et marginalisés. Les universités et collèges, avec leur forte proportion de jeunes femmes sur des campus isolés, sont des sources de préoccupation particulière concernant la traite de personnes. Internet ajoute à ce problème, et la traite en ligne de jeunes femmes et de filles est un problème grave et croissant dans nos collectivités.
    La semaine dernière, l'arrestation d'un gérant de l'équipe de football de l'Université d'Ottawa a fait les manchettes. Il se faisait passer en ligne pour un agent d'artiste afin de piéger des filles et les forcer à se prostituer. Au Canada, c'est particulièrement inquiétant pour les femmes autochtones, parce que la majorité des femmes victimes de la traite de personnes sont des femmes et des filles autochtones.
    La traite sexuelle en vue de l'exploitation sexuelle de femmes et d'enfants, en particulier des filles, est un problème grave de criminalité et de droits de la personne qui sévit dans les centres urbains. L'Ontario est vu comme étant l'un des centres importants de traite sexuelle de femmes et d'enfants autochtones. C'est aussi en Ontario qu'on trouve la majorité des victimes de la traite internationale reconnues par Citoyenneté et Immigration Canada, et c'est la province où il y a eu le plus de poursuites pour traite de personnes au Canada. Il y a eu des cas d'étudiants étrangers qui ont été victime de la traite internationale en Ontario.
    Le gouvernement doit prêter attention aux facteurs conjugués de l'augmentation de la pauvreté chez les étudiants, des nombres élevés d'étudiantes s'identifiant comme étant des femmes et de l'emplacement des campus dans des villes frontalières. Nous devons veiller à comprendre et à gérer les risques connexes de traite sexuelle dans les secteurs entourant les campus.
    Nous aimerions profiter de cette occasion pour vous faire part de stratégies efficaces de lutte contre la culture du viol et la violence sexuelle sur les campus.
    Pour être efficaces, les stratégies de lutte contre la violence sexuelle doivent faire intervenir le campus en entier. Les gens qui étudient, travaillent et vivent sur le campus et ceux qui l'utilisent sont les experts de la sécurité dans ce lieu, parce que ce sont eux qui comprennent le mieux les préoccupations relatives à la sécurité. Les étudiants peuvent orienter la mise en oeuvre du processus de changement et y contribuer. Ce processus doit se concentrer sur l'équité, la diversité et l'inclusion, pour que tout le monde sur le campus soit à l'abri de la violence sexuelle.
    Les audits de sécurité sur les campus réalisés par METRAC représentent une pratique prometteuse. Ces audits de sécurité explorent les facteurs matériels, la violence sexuelle, les comportements discriminatoires, l'accès, les pratiques et les politiques. Ils exigent un partenariat entre les étudiants, l'administration, les professeurs, les employés et la communauté en général pour cerner efficacement les besoins et les ressources en matière de sécurité des diverses populations des campus. Dans le cadre des audits, on examine les politiques et les pratiques, on évalue les ressources et les besoins locaux, on évalue la sécurité et on produit un rapport détaillé aux différents campus, accompagné de recommandations à mettre en oeuvre.
    Il y a aussi l'éducation inclusive. Nous parlons d'éduquer tous les membres des communautés sur les campus — les étudiants, le personnel et les professeurs — sur la culture du viol, la violence sexuelle et la façon de favoriser une culture fondée sur le consentement, au moyen d'ateliers présentés sur place par des pairs formés par des partenaires de la collectivité extérieure.
    Il y a enfin la formation en ligne de METRAC à l'intention des étudiants. METRAC offre un nouveau cours en ligne intitulé: « Campus Consent Culture: Preventing Sexual Violence E-Course for Students ». Ce cours autodirigé en ligne, combiné à une éducation inclusive, permet aux étudiants d'apprendre ces concepts d'une façon interactive.
    METRAC félicite le Comité de consacrer du temps et des ressources à explorer le problème de la sécurité des femmes et des filles sur les campus, et nous vous remercions infiniment de nous avoir donné l'occasion de vous transmettre nos connaissances.
(1640)
    Merci beaucoup.

[Français]

     Madame Martin, vous avez la parole et vous disposez de 10 minutes.

[Traduction]

    Veuillez me le dire si je parle trop vite.

[Français]

     Je vous remercie beaucoup d'avoir invité Action ontarienne contre la violence faite aux femmes à vous livrer une présentation aujourd'hui.
     Action ontarienne contre la violence faite aux femmes est un regroupement féministe et provincial de maisons d'hébergement, de centres d'aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel, soit les CALACS, et de programmes sur la violence faite aux femmes. Ceux-ci offrent des services en français aux femmes qui sont aux prises avec la violence en Ontario. Le mandat d'Action ontarienne contre la violence faite aux femmes est de développer des ressources en français sur la violence faite aux femmes, d'offrir de la formation et de coordonner des campagnes de sensibilisation.
    L'objectif de votre étude est extrêmement ciblé. Je vais donc limiter ma présentation à la violence à caractère sexuel que subissent les jeunes femmes et les filles, en particulier sur les campus. Je vais surtout insister sur la sensibilisation à cette forme de violence en parlant de la campagne intitulée « Traçons les limites ».
    II existe relativement peu de statistiques sur l'incidence de la violence à caractère sexuel sur les campus, mais des études aux États-Unis ont montré qu'approximativement une étudiante sur quatre était victime d'agression sexuelle au cours de ses études postsecondaires, ce qui est tout de même significatif. Comme l'a dit Mme Ross-Marquette, toutes ces agressions sexuelles sont favorisées par une culture qui est présente dans notre société et sur les campus et que nous appelons généralement la culture du viol. Cette culture, qui est sexiste, machiste et basée sur de très nombreux stéréotypes, a pour effet de rendre les survivantes de l'agression sexuelle responsables de l'agression qu'elles ont subie et de les blâmer pour celle-ci. En outre, elle tend à déresponsabiliser totalement les agresseurs et à minimiser les agressions sexuelles.
    Au cours des dernières années, cette culture du viol s'est exprimée à maintes reprises sur les campus en Amérique du Nord. Par exemple, certains collèges ou universités ont découragé très fortement des survivantes de dénoncer l'agression qu'elles avaient subie. Je présume que vous vous souviendrez de plusieurs cas où des activités extrêmement sexistes étaient organisées sur les campus, notamment pendant les semaines d'intégration.
    Une des façons assez efficace de lutter contre la culture du viol, donc contre les agressions à caractère sexuel dans la société et sur les campus, en particulier, est d'abord de dénoncer cette culture et de faire de la sensibilisation. La campagne Traçons les limites a été créée en Ontario par Action ontarienne contre la violence faite aux femmes et par l'Ontario Coalition of Rape Crisis Centres. Mme Lalonde, qui est ici présente, a elle aussi participé à l'élaboration de cette campagne, qui a été créée en 2012.
    L'un des premiers avantages de cette campagne, qui est extrêmement important pour moi, est qu'elle est entièrement bilingue et qu'elle a été créée simultanément en français et en anglais. Elle répond donc aussi aux besoins des francophones. De plus, cette campagne de sensibilisation a une approche féministe, c'est-à-dire que nous voyons la violence à caractère sexuel comme une forme de violence faite aux femmes, soit une violence liée au genre. Nous analysons la violence à caractère sexuel dans un contexte beaucoup plus large, soit en tant que problème social qui concerne tout le monde et qui est causé par l'inégalité entre les hommes et les femmes.
    La campagne Traçons les limites s'adresse aux personnes de l'entourage. Nous avons choisi de nous adresser au public, soit aux hommes et aux femmes en tant que personnes de l'entourage, plutôt qu'aux femmes en tant que victimes et aux hommes en tant qu'agresseurs. Il est extrêmement important que nous procédions de cette façon. En effet, si nous nous adressons aux femmes en tant que victimes potentielles, nous risquons facilement de les blâmer ou de leur donner des conseils sur la façon d'éviter les agressions sexuelles en évitant de boire, en sortant en groupe, en évitant de faire du sexting et ainsi de suite.
(1645)
     Tous ces conseils renforceraient le mythe que les femmes pourraient éviter une agression sexuelle alors que ce n'est pas vrai. Peu importe ce qu'une femme fait ou fera, elle n'évitera pas une agression sexuelle.
     Nous avons aussi décidé de ne pas nous adresser aux hommes en tant que potentiels agresseurs parce qu'on a démontré que ce n'était pas efficace, qu'il n'y avait pas d'effet sur les agresseurs et, surtout, que cela n'encourageait pas les hommes à s'engager comme potentiels alliés et comme personnes pouvant favoriser le changement. En fait, nous nous adressons aux hommes et aux femmes comme étant des personnes de l'entourage pouvant intervenir de façon efficace pour mettre fin à une situation de violence à caractère sexuel, soutenir efficacement et de façon empathique une survivante ou tenir responsable un agresseur.
    Pour provoquer des changements sociaux profonds, il faut que le public se sente concerné et sache reconnaître les différentes formes de violence à caractère sexuel parce que, pour la majorité des gens, la violence à caractère sexuel reste uniquement le viol alors que nous savons que c'est beaucoup plus que cela. Il faut aussi non seulement reconnaître la violence à caractère sexuel, mais surtout savoir comment intervenir de façon sécuritaire et efficace pour y mettre fin. Si nous n'outillons pas les personnes de l'entourage de façon à pouvoir bien intervenir, ce ne sera pas efficace et nous n'irons pas jusqu'au bout de la pensée à ce sujet.
     Avec la campagne Traçons les limites, nous avons fait le choix de créer différentes mises en situation qui couvrent tout le continuum de la violence à caractère sexuel. Par exemple, nous avons préparé des scénarios sur l'alcool et les agressions, la cyberviolence sexuelle, le viol conjugal, l'exploitation sexuelle et la violence dans la culture sportive ou dans la société. Ces scénarios permettent aux personnes de l'entourage d'être exposées à une situation réelle ou possible d'agression sexuelle, de réfléchir à la situation et surtout de voir ce qu'elles pourraient faire dans ces situations spécifiques.
     Comme je l'ai précisé un peu plus tôt, l'intervention est extrêmement importante. En fait, dans chacun de ces scénarios, nous donnons aussi quelques exemples d'interventions possibles pour commencer à guider la réflexion.
    Un des avantages de la campagne est qu'elle peut être mise en oeuvre de plusieurs façons. Elle peut être faite à la fois sur les médias sociaux ou être faite individuellement en recevant le matériel de la campagne. Je vous ai d'ailleurs apporté quelques exemplaires à ce sujet. Cela peut donc être une réflexion individuelle ou une réflexion collective et informelle entre amis ou avec la famille.
    Cependant, selon moi, la méthode de sensibilisation la plus efficace est l'organisation d'ateliers qui sont organisés dans les écoles ou sur les campus et qui sont menés par des personnes qui travaillent dans les CALACS. Il est important que les personnes qui donnent les ateliers soient formées parce que quand de la formation est donnée sur la violence faite aux femmes et sur la violence à caractère sexuel, en particulier, il faut se préparer à avoir parfois des conversations un peu difficiles. Si la personne n'est pas prête à recevoir des commentaires et des réactions négatifs, elle peut se trouver en difficulté.
    La campagne Traçons les limites est mise en oeuvre au jour le jour par les différents CALACS dans les provinces anglophones et francophone, sur les campus et dans les écoles secondaires. Nous remarquons qu'il y a beaucoup de dialogues et que les ateliers favorisent la conversation. C'est ce qui est le plus efficace pour provoquer des changements profonds. Une affiche ou une publicité à la télévision ne sont pas suffisantes pour provoquer des changements d'attitude et de mentalité. Le plus important est d'en parler et d'avoir l'expertise d'une personne qui est en mesure de briser tous les mythes et de parler de la réalité de la violence à caractère sexuel.
    Je vous remercie.
(1650)
    Merci beaucoup.

[Traduction]

    Nous avons maintenant la chance d'écouter Julie Lalonde, directrice d'Ottawa Hollaback!, pour 10 minutes.
    Moi aussi, je parle très rapidement, peu importe la langue. Je vais donc essayer de parler très lentement, et je vais faire attention aux formidables interprètes.
    Merci infiniment d'avoir invité notre organisation. Nous sommes la première section d'Hollaback! au Canada, et nous existons depuis 2010. Nous trouvons très remarquable que le harcèlement de rue soit dans la mire du gouvernement fédéral. Cela nous emballe.
    Je vais parler un peu de notre travail et de notre organisation, mais Maïra en a déjà beaucoup dit, alors je vais me faire l'écho de ses propos sur les stratégies efficaces.
    Pour les gens qui ne connaissent pas Hollaback!, je tiens à préciser d'abord que nous n'avons rien à voir avec la chanson de Gwen Stefani.
    Des voix: Oh, oh!
    Mme Julie Lalonde: Les gens pensent toujours que c'est lié à Gwen Stefani. Sauf le respect que je lui dois, ce n'est pas le cas.
    L'organisation a vu le jour vers 2005 à New York. Vous vous rappellerez qu'à l'époque, les téléphones cellulaires permettant de prendre des photos étaient des nouveautés technologiques. C'était très excitant. C'était terrible et imprécis, mais très excitant.
    Une jeune femme était dans un métro de New York et s'en allait travailler quand quelqu'un s'est mis à se masturber devant elle. Cela lui était déjà arrivé, mais elle a réalisé que dans sa poche se trouvait un téléphone tout neuf muni d'un appareil photo. Elle a pensé qu'elle pourrait prendre une photo du type et que cela lui donnerait une preuve qui permettrait à la police de faire quelque chose. Elle a pris sa photo. Il a posé pour la photo: ce qu'il faisait était à ce point flagrant. Ce n'était manifestement pas la première fois qu'il faisait cela. Elle a apporté la photo à la police de New York et leur a demandé de bien vouloir arrêter ce type. Ils lui ont répondu qu'il y avait des millions de personnes à New York et lui ont demandé comment elle croyait qu'ils pourraient bien trouver ce type en particulier.
    C'était avant les médias sociaux tels que nous les percevons maintenant. Elle a mis la photo sur Flickr qui est, comme vous le savez je l'espère, un site de partage de photos — un des premiers médias sociaux —, et la photo est devenue virale. Elle a abouti sur la Une du Daily News de New York. Il a fini par être arrêté. Ce qui est intéressant, c'est qu'il a été relâché et qu'on l'a repris tout récemment à faire la même chose à quelqu'un d'autre.
    L'important, dans cette histoire, c'est que quand une jeune femme a utilisé ce qu'elle avait à sa disposition pour lancer une discussion, cela a déclenché une énorme discussion dans la ville de New York. Des hommes disaient, « Comme si ça arrivait aux femmes... », et des femmes disaient, «  Comme si vous ne saviez pas que c'est la réalité, quand il faut marcher sur la rue à New York et prendre les transports en commun ».
    Un groupe de femmes et d'hommes de New York ont pensé que cette nouvelle technologie mobile était peut-être la réponse, parce que vous aviez un moyen d'immortaliser le problème à l'instant même. Initialement, le site a été lancé pour permettre aux gens de la ville de New York d'immortaliser de tels événements en temps réel, mais cela s'est rapidement transformé. Des gens de partout dans le monde leur ont dit que ce problème n'était pas propre à New York, mais que cela se passait en Inde, en Europe et en Amérique latine. Cela se produisait partout, et ils ont demandé de pouvoir aussi participer.
    Maintenant, dans notre forme actuelle, n'importe qui dans le monde peut ouvrir une section. Nous sommes maintenant dans 60 villes, sur 5 continents — j'en ai fait le compte ce matin —, et pouvons compter sur le travail de plus de 300 militants, en très grande majorité des bénévoles. Plus de la moitié des personnes qui gère un site Hollaback! sont considérées comme étant jeunes — donc, âgées de moins de 30 ou 25 ans. Ce sont des jeunes qui mènent ce mouvement.
    Quant à la façon dont cela fonctionne, nous avons une application que vous pouvez télécharger gratuitement. Nous avons une section, ici, à Ottawa. Vous pouvez soumettre votre histoire, par exemple, que vous marchiez sur la rue Rideau et qu'un homme en voiture a crié après vous, ou qu'un type vous a suivie en vous demandant sans relâche, sur une bonne distance, votre numéro de téléphone, et que cela vous a vraiment écoeurée. Vous nous soumettez votre histoire, nous l'approuvons, et en plus de se retrouver sur le site, il apparaît sur la carte un petit point, ce qui nous permet de commencer à voir où se produit le harcèlement de rue dans la ville. Cela nous donne de vraies données en temps réel sur ce qui se passe dans notre collectivité.
    Cela nous a permis de présenter des données. Par exemple, lors des élections municipales, il y a quelques années, nous leur avons présenté le genre de choses que nous voyions et que nous vivions. Nous avons pu joindre tous les candidats et leur dire ce qui se passait dans leurs quartiers, puis leur demander ce qu'ils comptaient faire à ce sujet.
    Voici ce qui m'importe. Quand nous avons commencé, les gens nous demandaient si nous craignions d'être poursuivis par les types dont nous prenions les photos parce qu'ils se comportaient comme des salauds. C'est ce dont ils présumaient. Il était question de libelle. Ils nous demandaient aussi quel pouvoir cela donnait de relater ce qui était arrivé à quelqu'un. Ils disaient: « Une fille vient de se défouler sur le site Web, mais qu'est-ce que cela fait? ». Eh bien, en créant un lieu qui permet aux gens de relater ce qui leur est arrivé, nous obtenons des données que nous n'avions pas avant.
    Nous étions là depuis deux ans, puis nous avons décidé de nous pencher sur les thèmes qui revenaient sans cesse à Ottawa. Le transport en commun est nettement ressorti. C'est de cela que je veux vous parler très brièvement, parce que la plupart des gens, des étudiants, utilisent le transport en commun. Nous avons dans la ville la U-Pass. C'est courant sur les campus partout au pays: on présume que vous allez utiliser le transport en commun.
    Le transport en commun à Ottawa — je peux le dire — demeure très dangereux pour les femmes et les jeunes, les allosexuels, les personnes handicapées et les aînés. Ce que nous avons constaté en particulier, c'est qu'un nombre ahurissant de cas sont liés à du harcèlement dans l'autobus, en attendant l'autobus, ou en descendant de l'autobus, en chemin vers la maison.
(1655)
    Nous avons soumis cette information à OC Transpo, la société de transport d'Ottawa, mais ils ont été plus qu'un peu méprisants. En réalité, ils étaient outrés que nous ayons le culot de dire sur notre site Web qu'il y avait beaucoup de harcèlement dans les autobus, parce qu'ils ne recevaient pas de signalements. Il faut dire que vous avez là un groupe de personnes privilégiées qui n'utilisent pas le transport en commun. Ce sont en majorité des hommes, et leur réaction, c'était: « Nous ne recevons pas de signalements de ce genre. Comment savoir, alors, si vous n'inventez pas tout cela? »
    Nous avons tenu une assemblée publique. Nous avons amené des gens à raconter leurs histoires. Cela a tout simplement pris d'incroyables dimensions, dans la ville. Les femmes se présentaient et disaient qu'elles ne connaissaient pas une seule femme qui n'avait pas subi les regards lubriques d'un type pendant au moins les 40 minutes de leur trajet en autobus.
    Nous avons continué à leur faire de la pression en recourant aux médias et en les rencontrant tous les mois. Ce que nous voulions, c’était une campagne portant sur l’intervention des témoins. Nous voulions des annonces disant aux gens qu’ils avaient un rôle à jouer s’ils voyaient une personne en harceler une autre. Nous avons dû accepter une campagne… Ceux qui utilisent le transport en commun auront vu des annonces disant « si vous vous sentez harcelée » ou « si vous vous sentez menacée ». C’est le résultat du travail que nous avons accompli avec eux pendant trois ans, à les pousser et à leur dire que s’ils reconnaissaient cela, les gens en parleraient.
    Nous voulions aussi un mécanisme de signalement anonyme. Nous savions que la grande majorité des personnes ne voulaient pas faire de signalements parce qu’elles craignaient d’être stigmatisées, d’être blâmées en tant que victimes, et tout ce que mes collègues ont déjà mentionné. En fait, nous avions raison. Ottawa est la première ville à avoir un mécanisme de signalement anonyme au pays. Apparemment, ce mécanisme est peut-être le premier en Amérique du Nord, ce qui est très emballant. Croyez-le ou non, la plupart des événements qui leur sont signalés sont des choses qui n’avaient jamais été signalées avant, y compris les nombreux cas de regards lubriques et d’attouchements.
    En fait, cela a mené à l’arrestation d’un prédateur sexuel récidiviste qui s’en prenait à des femmes et embrassait de jeunes filles alors qu’elles attendaient l’autobus pour se rendre à l’école. De nombreuses femmes l’ont signalé au moyen du mécanisme anonyme. Ils ont regardé les vidéos, ont constaté que c’était bien vrai, et il a été arrêté.
    Encore une fois, vous créez un lieu où les gens peuvent relater leurs histoires, et les jeunes femmes veulent le faire, mais il faut faire quelque chose de cette information.
    Je vais vous laisser avec quelques statistiques. L’administration centrale de Hollaback! se trouve à New York. Ils ont du financement. C’est la seule section dans le monde à recevoir des fonds pour faire son travail. Ils ont travaillé avec l’Université Cornell afin de recueillir des statistiques mondiales sur le harcèlement de rue, ce qui s’est révélé vraiment important.
    Ce qu’ils ont constaté, c’est que 88 % de Canadiennes ont subi du harcèlement avant l’âge de 18 ans, ce qui signifie que 88 % des Canadiennes ont été harcelées au moins une fois avant d’atteindre l’âge de la majorité. Cinquante pour cent des répondantes ont subi des attouchements au moins une fois au cours de la dernière année, ce qui est vraiment considérable. Quarante pour cent des répondantes ont dit qu’à cause du harcèlement de rue, elles sont arrivées en retard à l’école, soit parce qu’elles ont dû faire un détour ou qu’elles ont dû reprendre leurs esprits avant d’entrer en classe.
    À l’échelle locale, nous avons réalisé notre propre recherche. Elle n’a pas été financée par les gens formidables de Cornell, mais elle est quand même très solide. Ce que nous avons constaté — c’est très important et cela correspond à ce que Maïra a dit — , c’est que pour 6 % seulement des personnes qui ont été harcelées, quelqu’un est intervenu pour les aider. C’est très important, compte tenu de la nature du harcèlement de rue, qui se produit dans un lieu public. Si vous êtes en autobus, il y a au moins vous, l’agresseur et le conducteur. Si vous attendez l’autobus, il y a probablement d’autres personnes autour.
    Les gens interviennent très peu parce qu’ils ne reconnaissent pas cela comme étant une forme de violence. Ils ne comprennent pas que le harcèlement de rue fait partie d’un continuum. Ils ont peur de l’escalade. Ils pensent que seuls les fous harcèlent les femmes aux arrêts d’autobus et que, s’ils interviennent, le fou va s’attaquer à eux. C’est une forme d’instinct de conservation.
    Nous avons aussi constaté que les gens ne savent tout simplement pas quoi faire. Nous avons donc un programme, et notre réponse, ce n’est pas la criminalisation. Nous nous opposons en fait à la criminalisation du harcèlement de rue, parce que la plupart des choses que nous vivons sont déjà contraires à la loi. L’enjeu n’est pas là. L’enjeu, c’est d’amener les gens à intervenir, que cela comporte au pas le signalement.
    Pour terminer, je veux vous parler de notre programme. Il s’appelle « I’ve got your back », ce qui signifie « Je suis là pour toi ». Nous enseignons les quatre options d’intervention: diriger, déléguer, distraire ou attendre.
    Par exemple, si je vois que Maïra se fait harceler et que c’est à un degré assez faible — si le type ne fait que parler avec elle et que je me sens en sécurité —, je peux aller le voir et lui dire: « Elle ne vous connaît pas. Elle n’est pas intéressée, alors laissez-la tranquille. » Je peux aussi m’adresser à elle et lui dire: « Est-ce que vous le connaissez? Voulez-vous que j’appelle quelqu’un? » Je peux intervenir directement si c’est sûr.
    Vous pouvez déléguer si la situation n’est pas sûre. Vous êtes peut-être très petite, contrairement à moi, qui suis grande et dont le travail est de crier après les gens pour dénoncer le patriarcat...
    Des voix: Oh, oh!
    Mme Julie Lalonde: … et donc, vous n'êtes pas nécessairement à l’aise d’intervenir. Vous pouvez déléguer. Vous pouvez le dire au conducteur, aller très discrètement à l’avant et lui dire qu’une femme semble très mal à l’aise et que vous croyez qu’il se passe quelque chose. Si vous êtes sur un chantier de construction, vous pouvez trouver le type qui porte le casque blanc et lui dire qu’un membre de son personnel harcèle quelqu’un. Si vous êtes au centre commercial, parlez au responsable de la sécurité du centre. Vous pouvez déléguer.
    Vous pouvez créer une distraction, ce qui représente un moyen d’éviter la confrontation. Disons que je vois que Maïra subir du harcèlement. Je peux aller la voir et lui dire: « Dites, je dois descendre à l’arrêt de la rue Rideau. Savez-vous où aller? » Vous créez une distraction et indiquez à cette personne que quelqu’un voit ce qui se passe.
    Vous pouvez aussi attendre, ce qui est aussi très important. Cela peut sembler inefficace, mais vous pouvez attendre que le moment soit passé, puis aller voir la personne et lui dire que vous avez vu ce qui lui est arrivé. Vous pouvez lui demander si tout va bien, lui dire que c’était vraiment dégoûtant, et lui demander si elle veut que vous appeliez quelqu’un ou que vous marchiez avec elle jusqu’à destination.
(1700)
    C’est ce que nous faisons. C’est ce que nous enseignons. Nous enseignons l’intervention des témoins, mais nous avons des moyens de nous rendre dans ces lieux. C’est ce que les campus veulent que nous fassions, et c’est ce que nous faisons avec les jeunes.
    Encore une fois, je vous remercie de vous pencher sur le harcèlement de rue. C’est d’une très grande importance pour nous.
    Formidable. Merci infiniment.
    Nous allons aborder la première série de questions. Nous commençons par vous, monsieur Fraser. Vous avez sept minutes.

[Français]

     Je vous remercie de votre présentation passionnante et intéressante.
    Madame Martin, si vous n'y voyez pas d'objection, je vais vous poser mes questions en anglais.

[Traduction]

    Parfait.
    C’est formidable. Juste à vous écouter, j’ai presque senti que j’avais les moyens d’agir. Ce que je peux tirer de ma propre expérience me vient de l’époque de mes études, et ce n’est pas très loin de ce qui se passe à l’université. J’étais un leader étudiant et j’aidais à organiser des séminaires éducatifs sur la violence sexuelle, entre autres choses. À l’époque, nous en étions presque à dire aux jeunes hommes et aux garçons de ne pas être des agresseurs et à leur expliquer ce qu’était le consentement. C’était important, mais je sentais nettement que les gens qui transmettaient le message savaient déjà quel serait le message. Les gens qui auraient dû l’entendre ne se présentaient pas à ces séminaires, même s’ils étaient censés être obligatoires.
    Comment pouvons-nous joindre les personnes qui ont besoin d’entendre ce message? Est-ce en nous concentrant sur le fait qu’il faut éduquer les gens à devenir des intervenants?

[Français]

    Je vais vous répondre en français.
    En effet, la meilleure façon est de parler aux personnes, tant les hommes que les femmes, qui jouent le rôle de bystanders, c'est-à-dire aux gens de l'entourage qui sont spectateurs. Ainsi, les hommes se sentent moins confrontés. Par exemple, je ne sais pas si vous connaissez la campagne de sensibilisation ayant pour message « Don't be that guy ». C'est une campagne qui a été faite en Alberta. Personnellement, je l'ai montrée à plusieurs de mes amis et à mon conjoint, et tous ont dit qu'ils n'étaient déjà pas ce genre de gars. Ils trouvaient que cela ne leur parlait pas vraiment, parce qu'eux-mêmes ne se considéraient pas comme étant des agresseurs.
    Ce type de campagne montre peu de choses. Ce sont quelques exemples d'agressions à caractère sexuel. En fait, on ne montre pas tout le continuum. C'est d'ailleurs ce qu'il importe de démontrer, car certaines personnes ne savent pas reconnaître ce qui constitue une agression à caractère sexuel. La première chose à faire est donc de leur expliquer ce qu'est une agression à caractère sexuel. Ensuite, il s'agit de leur dire que ce n'est pas normal, qu'on doit faire quelque chose pour que tout le monde puisse se sentir en sécurité dans la rue, dans les campus et partout ailleurs. On doit indiquer aux gens qu'ils peuvent être les actrices et les acteurs de ce changement, qu'ils peuvent intervenir et faire changer les choses.
    La meilleure façon d'y arriver, c'est en donnant des outils aux gens. Comme je le disais, il s'agit parfois de simples conseils. Ce ne sont pas forcément des choses très compliquées. Exactement comme Julie vient de l'expliquer, par exemple, on peut simplement aller voir la personne pour freiner de tels actes, pour créer une distraction.
    Est-ce que cela répond à votre question?

[Traduction]

    Oui. Merci beaucoup, madame Martin.
    J’aimerais vous poser une question de suivi, à vous et à Mme Ross-Marquette.
    Madame Ross-Marquette, vous avez dit qu’il faut, dans les universités, des stratégies inclusives qui englobent toutes les personnes qui connaissent la communauté universitaire. Comment le gouvernement fédéral peut-il contribuer à établir le genre de stratégie que Mme Martin a décrite pour donner aux gens le pouvoir d’intervenir quand ils sont témoins de harcèlement sexuel dans le contexte universitaire?
    Je ne suis pas certaine de la compétence du gouvernement fédéral sur ce plan, mais je pense que c’est quand nous travaillons avec les collectivités. Cela commence localement pour ensuite prendre de l’expansion. Les étudiants, les militants et les groupes communautaires font déjà une partie de ce travail. Comment le gouvernement fédéral peut-il soutenir le travail qui se fait déjà? Parfois, il s’agit simplement d’investir de l’argent dans ces stratégies pour qu’il soit possible d’engager plus de personnel capable de poursuivre ces initiatives.
    Je pense qu’il faut davantage en parler dans les classes. C’est un obstacle dont les étudiants nous ont parlé. Il est un peu difficile d’intégrer ce sujet dans le programme. Il faut que cela passe par diverses organisations, dont un sénat, pour que cela se produise. Il vaudrait la peine de se pencher là-dessus.
    Je voudrais aussi que ces discussions se passent dans la classe, là où se trouvent les étudiants. Souvent, dans la région métropolitaine de Toronto, par exemple, les campus sont fréquentés par des gens de la banlieue. Les étudiants viennent à leurs cours, puis repartent. Ils ne s’engagent pas dans le processus. Il faudrait deux stratégies pour que tout le monde participe à la discussion — avoir les gens de la communauté sur le campus à faire ce genre de travail, mais aussi avoir cette discussion dans la classe. Ce serait un bon point de départ.
(1705)
    Compte tenu des perspectives très différentes — soit les campus que les étudiants fréquentent pour leurs cours, mais qu’ils quittent pour rentrer chez eux, et les campus que nous avons surtout sur la côte est, où les étudiants vivent à deux pâtés de maisons de l’université en tout temps pendant quatre ans —, croyez-vous qu’il est plus important de confier la prise de décisions précises, à l’échelle locale, aux organisations communautaires ou à la communauté universitaire, et dire: « Regardez, nous pourrions financer ce que vous allez faire, mais vous allez faire ce qui fonctionne sur le terrain plutôt que de prendre les conseils venant du centre »?
    C’est ce que je suggérerais. Comme Maïra et Julie l’ont dit, ce sont les experts. Ce sont les personnes qui font du travail de lutte contre la violence faite aux femmes depuis des années. Ce sont de formidables sources de connaissances qu’il faut aider, qu’il faut financer. Ces gens veulent faire le travail avec les étudiants et les campus.
    Excellent.
    Madame Lalonde, je veux vous poser des questions avant de terminer. Il me reste probablement une minute environ.
    Ce que vous faites est formidable. Qu’est-ce que le gouvernement fédéral peut faire? Quel est votre meilleur conseil au Comité? Que pouvons-nous recommander au gouvernement pour permettre l’expansion du travail que vous faites dans les diverses collectivités de tous les coins du Canada? Comment pouvons-nous donner un meilleur accès aux espaces publics que vous avez mentionnés?
    C’est une excellente question à laquelle je vais répondre très rapidement.
    Premièrement, avoir le harcèlement sexuel dans votre mire semble futile, mais c’est tellement important. C’est le continuum de la violence sexuelle. En Ontario, on discute beaucoup du harcèlement sexuel et de la violence sexuelle. Quand vous énumérez les formes de violence pour une demande de propositions, par exemple, ou en guise de cible particulière, mentionner le harcèlement de rue est très important. Il est aussi important de trouver des façons de financer les groupes qui font ce travail, sachant que bon nombre de ces groupes ne peuvent faire de demandes de fonds fédéraux parce qu’ils n’ont pas le statut d’organisme sans but lucratif. Je pense que c’est un peu comme une discussion distincte, mais c’est en réalité directement lié, car les groupes comme le nôtre ne peuvent obtenir l’argent qu’il faut pour demander du financement.
    Nous accomplissons ce travail incroyable —- nous mettons les administrations de transport en commun locales au défi; nous avons créé cette application; nous avons créé ce mécanisme qui ne se trouve nulle part ailleurs en Amérique du Nord —, tout cela sur le coin de nos bureaux. J’estime donc qu’il y a une lacune. Dans mon cas, je fixe mes limites au travail.
    Si vous voulez avoir accès aux personnes qui accomplissent ce travail, vous devez trouver un moyen de financer les groupes comme Hollaback! Dire continuellement que le gouvernement a le harcèlement de rue dans sa mire incitera alors d’autres organisations de lutte contre la violence faite aux femmes à l’inclure aussi.
    C’est excellent.
    Nous passons maintenant à Mme Harder, qui va partager son temps avec M. Genuis.
    Vous avez sept minutes.
    D’accord. Merci beaucoup, et merci à chacune de vous d’être ici avec nous pour nous transmettre vos connaissances. Nous vous en savons gré.
    Je vais adresser ma première question à Gabrielle. J’aimerais que vous me disiez ce que vous pensez de la campagne « I Believe You ». Connaissez-vous cette campagne?
    Je la connais, mais elle n’est pas dirigée par METRAC.
    Oui, d’accord. Pouvez-vous quand même nous parler de son efficacité?
    D’après ce que nous avons pu voir sur les campus, surtout au moment où se déroulait le procès de Jian Ghomeshi — parce que c’est à ce moment-là que la campagne a suscité de l’intérêt —, cette campagne est très importante parce qu’elle est très centrée sur les survivantes, et très motivée par les survivantes.
    C’est un groupe de personnes ayant subi de la violence sexuelle qui prend position pour d’autres personnes qui ont subi de la violence sexuelle et qui ne se sentent pas à l’aise de faire une dénonciation ou qui vivent avec ce secret depuis très longtemps. Ces personnes créent une communauté dont le but est de veiller à ce que chacune ait une place et une voix.
    Je dirais que cette campagne est très efficace parce qu’elle est menée par des personnes ayant survécu à la violence sexuelle et qu’elle se concentre sur un concept très important qui va à l’opposé du blâme de la victime. On croit les victimes, et on est là pour elles.
    D'accord. Merci.
    Ma prochaine question s'adresse à Mme Lalonde.
    Je vais suivre, en quelque sorte, le principe de la campagne « We Believe You », qui a manifestement aidé à obtenir le soutien de la population générale grâce à des initiatives menées sur les campus, et aussi de l'ensemble de la société. La campagne vise à ce que l'on prenne l'histoire d'une personne au sérieux et à ce qu'on lui donne de la valeur et du poids.
    Certaines personnes ici aujourd'hui sont passionnées par le dossier de la violence envers les femmes et elles veulent apporter des changements positifs. Que pouvons-nous faire, en notre qualité de législateurs, pour imiter, disons, cette campagne? Autrement dit, quelles mesures pouvons-nous prendre pour faire en sorte que nos corps de police, notre système législatif et nos juges croient aussi les histoires qui leur sont présentées?
(1710)
    C'est une très bonne question. Merci. J'adore cette question. Elle me stimule énormément.
    Ce que je vais dire va paraître un peu idiot, mais en tant qu'éducatrice publique, je pourrais donner un atelier de deux heures, et des hommes surtout écriraient dans le formulaire d'évaluation que ce qu'ils retiennent avant tout, c'est que je leur aie rappelé qu'il est tout aussi probable qu'une personne mette le feu à sa maison pour obtenir l'argent de l'assurance qu'elle fasse de fausses allégations d'agression sexuelle. Ce n'est pas ce que les bulletins d'information laissent entendre.
    Les gens doivent savoir que selon les statistiques, le taux de personnes qui font de fausses allégations est le même ou plus bas que les taux pour d'autres crimes. La population n'est pas au courant de ce fait. Certains pensent que c'est à mon avantage de faire une telle déclaration, que j'ai un motif inavoué, mais c'est la réalité.
    Si le corps de police... À Ottawa, où le taux d'allégations d'agression sexuelle rejetées était très élevé, c'est devenu un sujet d'actualité en soi. Tout le monde savait que ce n'était aucunement exact.
    À mon avis, dans l'élaboration des lois et dans les discussions à propos des lois et de l'agression sexuelle — qui semble être le véritable sujet —, il faut rappeler aux gens que l'agression sexuelle est le crime qui est le plus mis en doute. Ce n'est pas une coïncidence; c'est voulu.
    Les mensonges liés à la violence sexuelle sont avantageux pour les auteurs du crime, et la plupart d'entre eux sont des récidivistes. Pourquoi? Parce que les femmes ne les dénoncent pas. Pourquoi? Parce qu'elles se font blâmer. Nous devons nous demander pourquoi nous agissons comme si toutes les personnes qui dénoncent une agression sexuelle mentent, alors que les statistiques sont les mêmes que celles pour d'autres crimes, ou même qu'elles sont inférieures aux autres.
    Merci.
    Monsieur Genuis.
    Merci beaucoup à toutes.
    Travaillez-vous dans d'autres villes canadiennes et avez-vous des observations à faire relativement à ces villes? Évidemment, il y a la question de l'utilisation des transports en commun, et les réalités peuvent différer d'un endroit à l'autre.
    Notre section était la première au Canada. Aujourd'hui, il y a des groupes à Halifax, à Peterborough, à Toronto, à Montréal, à Vancouver et en Alberta. Certains sont plus actifs que d'autres puisque nous sommes tous des bénévoles, mais l'avantage du modèle Hollaback!, c'est que les gens peuvent s'attaquer au plus grand problème de leur collectivité; ils peuvent tenter de répondre au plus grand besoin.
    Chez nous, c'était les transports en commun. Tous ceux qui suivent les nouvelles savent que Vancouver a aussi de graves problèmes liés aux transports en commun, avec tout ce qui se passe par rapport au SkyTrain. Les transports en commun constituent un problème majeur. Même à des endroits comme Peterborough, beaucoup des histoires présentées touchent les transports en commun. Ailleurs, les difficultés se trouvent plutôt du côté des campus; le groupe se concentre donc là-dessus. Toutefois, je dirais que les transports en commun représentent un problème universel. Je viens de Sudbury, qui aura bientôt une section de Hollaback!; les transports en commun sont horribles là-bas. Le service est horrible, mais même là, il faut lutter contre le harcèlement. Je ne connais pas un seul endroit au Canada qui n'est pas aux prises avec ce problème.
    Merci.
    Vous avez parlé de votre collaboration avec OC Transpo et de la question de la criminalisation.
    Pouvez-vous compter sur la collaboration des services de police quant à la mise en application? Je comprends qu’il reste encore beaucoup de travail à faire, que cela va au-delà du point de vue de la justice pénale, mais, bien entendu, cela fait partie de l’équation, non? Quel est le niveau de collaboration des services de police?
    Nous ne pourrions pas mettre en place notre mécanisme de signalement anonyme sans l’aide du Service de police d’Ottawa, car il y a beaucoup de choses dont il faut tenir compte relativement aux mesures législatives sur la protection de la vie privée, par exemple. Le service de police et le service de sécurité d’OC Transpo ont conclu un protocole d’entente selon lequel les deux s’échangent des informations et renseignements liés au transport en commun, ce qui constitue un gain énorme.
    Ceux qui vivent à Ottawa depuis un certain temps se souviendront que l’an dernier, ou il y a deux ans, un agresseur en série a sévi pendant 18 mois se livrant à des agressions sexuelles contre plusieurs femmes. La réponse du Service de police d’Ottawa à l’époque a été de donner des conseils très désuets semblables aux exemples que nous a fournis Maïra: déplacez-vous en groupes de deux; ne sortez pas la nuit.
    Puisque notre organisation ne reçoit aucun financement public, nous avons pu nous exprimer sur le plan politique. Nous avons envoyé un message très clair en disant: « Vous dites aux Canadiennes qu’elles doivent respecter un couvre-feu et qu’elles doivent être accompagnées d’un chaperon. Cela est inacceptable. » Les responsables des services concernés nous ont rencontrés par la suite et ils ont modifié leur façon de signaler les agressions sexuelles et de publier des communiqués de presse et leur façon de communiquer en général. Ils ont tenu compte de notre point de vue selon lequel ils auraient de meilleures chances d’appréhender le coupable s’ils publiaient sa description, et c’est exactement ce qui s’est produit.
    Cela a été possible en raison de la relation que nous avions et que nous entretenons toujours avec le Service de police d’Ottawa et OC Transpo.
(1715)
    Me reste-t-il 30 secondes? Non?
    Si vous pouvez poser une question et obtenir une réponse en 30 secondes, allez-y.
    Puisque ces comportements sont adoptés avant l’université, croyez-vous qu’en plus des universitaires, il faudrait commencer à éduquer les élèves des écoles primaires et secondaires?
    C’est ce que nous faisons et nous aimons le faire.
    Il est extrêmement difficile d’avoir accès aux écoles, notamment en Ontario. Toutefois, nous croyons fermement en ce processus, surtout en ce qui a trait à l’éducation des jeunes filles de 12 ou 13 ans sur le harcèlement dans les rues. Il est important de les éduquer à ce chapitre.
    Merci.
    Très bien.
    D’accord.

[Français]

     Madame Sansoucy, vous avez la parole.
    Merci, madame la présidente.
    Je remercie les trois témoins de leurs présentations.
    Madame Lalonde, je vous remercie de nous parler de ces pratiques vraiment prometteuses.
    L'Ontario a adopté la Loi de 2016 sur le Plan d'action contre la violence et le harcèlement sexuels. En vertu de cette nouvelle loi, il serait plus facile pour une femme de quitter un logement lorsque sa sécurité est menacée. Croyez-vous que ce genre de politiques devrait être accessible à toutes les femmes au Canada, peu importe la province où elles se trouvent?
     De façon plus large, j'ai posé la même question un peu plus tôt à l'autre groupe qui a comparu devant nous. Est-il est important d'avoir des mécanismes pour partager les différentes pratiques prometteuses existantes et qu'elles soient partagées par toutes les personnes qui travaillent dans le domaine de la violence contre les femmes? En ce qui a trait au gouvernement fédéral, est-il important que nous puissions les diffuser par l'entremise d'une politique et créer une stratégie qui permettrait de partager ces stratégies provinciales ou celles qui sont appuyées par des organismes communautaires?
     À la première partie de votre question, ma réponse est oui.
    J'ai été une des personnes qui ont parlé aux médias après l'adoption en Ontario de la Loi sur le Plan d'action contre la violence et le harcèlement sexuels. J'ai parlé de mon expérience. J'ai subi de la violence conjugale. J'ai été prise dans un contrat avec mon abuseur parce que j'ai quitté avant la fin de notre contrat. Je ne peux même pas décrire comment cette nouvelle loi m'aurait sauvé la vie il y a 13 ans si j'avais pu quitter mon logement avec un préavis de 28 jours. Je pense que cette pratique serait très facile à appliquer à travers le pays et aiderait beaucoup les survivantes de violence.
    Pour répondre à la deuxième partie de votre question, je pense que les organismes féministes au Canada faisaient vraiment pitié au cours des dix dernières années. La compétition était forte entre eux parce qu'il fallait qu'ils trouvent du financement chacun de leur côté. Ils ne travaillaient pas ensemble. Dans les faits, les gens ne veulent pas toujours partager leurs idées ou leurs problèmes de crainte de perdre leur financement. C'est comme si je disais que je n'ai qu'un petit morceau de la tarte et que je ne veux pas le partager avec Maïra Martin, de l'Action ontarienne contre la violence faite aux femmes. Il faut être réaliste à cet égard. Cette tendance à soupçonner les autres organismes de chercher à prendre notre financement existe encore et nous empêche encore de mieux travailler ensemble.
    Est-ce que j'ai répondu à votre question?
    Oui, tout à fait.
    D'ailleurs, vous avez soulevé toutes les trois l'enjeu du financement.
    Pouvez-vous dire à quel point il est important pour des organismes à but non lucratif de recevoir de la part du gouvernement fédéral un financement prévisible, stable et pluriannuel? Comment ce financement vous permettrait-il d'agir plus directement auprès des femmes vulnérables?
    Vous pouvez répondre dans l'ordre que vous voulez.
    Cela changerait si le financement pouvait devenir stable et prévisible. En fait, si les gens dans les bureaux n'avaient pas à passer deux ou trois mois par année à remplir des demandes de financement, ils pourraient passer plus de temps sur le terrain.
    L'autre point est que différents programmes, dont le Plan d'action contre la violence et le harcèlement sexuel qu'a récemment adopté le gouvernement de l'Ontario, demandent souvent aux organismes à but non lucratif et aux organismes féministes d'inclure des personnes venant des communautés issues de l'immigration, mais il n'y a aucun financement supplémentaire pour ce service.
    Souvent, on demande aux organismes communautaires de participer à l'élaboration de politiques et de faire partie de comités, d'aller sur un campus ou de faire une visite dans une école, et ce, sans financement supplémentaire. Il faut faire ce travail avec le financement de base qui nous est consenti. Cela nous aiderait grandement d'avoir un financement prévisible qui nous permettrait d'embaucher du personnel, d'améliorer notre capacité d'intervention et d'échanger avec d'autres organismes à but non lucratif.
    Madame Martin, souhaitez-vous ajouter quelque chose à ce sujet?
    Pour vous donner une idée, la majorité des centres francophones d'aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel en Ontario ne peuvent consacrer qu'une journée/semaine à une intervenante pour faire de la sensibilisation à la violence à caractère sexuel, ce qui n'est pas suffisant. Si on veut vraiment faire une lutte efficace contre ce type de violences, il faut évidemment soutenir les survivantes, mais surtout faire énormément d'éducation et de sensibilisation.
    Pour arriver à faire davantage de sensibilisation, il faut que nos centres aient accès à plus de financement. Cet aspect est vraiment très important et nécessaire. En tant que directrice générale, je dois remplir à la fois les demandes de subvention et les rapports. C'est souvent un casse-tête et cela prend beaucoup de temps et d'énergie. Beaucoup d'organismes communautaires n'ont pas forcément cette capacité.
    Dans les CALACS, les employées sont avant tout des intervenantes sociales et non pas des administratrices. Elles ne savent pas forcément choisir les bons mots pour remplir les demandes de financement. Contrairement à d'autres organismes où le personnel sait mieux utiliser les mots qu'utilise la bureaucratie gouvernementale et qui obtiennent plus facilement du financement, dans les CALACS, nos intervenantes ont avant tout des compétences pour venir en aide aux victimes de violence sexuelle, mais en ont moins pour remplir de bonnes demandes de financement.
    C'est donc important de penser aussi à ce détail quand vous faites des appels d'offre. Autant que possible, il faut essayer de les rendre les moins difficiles possible à remplir et plus faciles d'accès pour que les personnes qui ont les compétences dans leur secteur d'activité, mais qui en ont moins au chapitre de la rédaction, réussissent aussi à obtenir du financement pour leurs organismes.
    Une autre chose que nous observons localement et qui nous inquiète un peu est le fait que beaucoup de financement est maintenant accordé à des organismes qui ne connaissent pas forcément les questions de violence à caractère sexuel. Cela nous inquiète de voir qu'une partie des fonds est attribuée à ces organismes qui n'ont pas forcément l'expertise dans ce domaine. Il est extrêmement important de vous assurer que les organismes à qui vous accordez des subventions connaissent la réalité de la violence faite aux femmes. Notre organisme compte quant à lui 30 ou 40 ans d'expérience.
    Ensemble, nous réussirons alors à faire un travail efficace.
(1720)
     Excellent.
    Je vous remercie.

[Traduction]

    Madame Vandenbeld sera notre dernière intervenante. Vous avez 30 secondes.
    Brièvement, madame Lalonde, en tant que députée à Ottawa, je me suis déplacée exclusivement en transport en commun pendant plus de 10 ans. Je vous félicite pour le travail que vous faites. J'ai moi-même constaté les problèmes que vous soulevez.
    Les gens nous répètent qu’il n’y a pas de données. Pourtant, vous disposez d’une grande quantité de données. Ces données sont-elles publiques? Pourrions-nous y avoir accès en tant que législateurs? Le gouvernement fédéral pourrait-il les consulter?
    L’étude de l’Université Cornell est accessible au public. Je pourrais vous la faire parvenir. Elle est disponible sur le site Web de Hollaback! Vous pourriez aussi comparer les résultats avec d’autres pays. L’université songe à mener un autre sondage pour voir si la situation s’est améliorée ou si elle s’est détériorée au cours des deux ou trois dernières années.
    Fantastique. Merci.
    Excellent.
    Je tiens à remercier toutes nos témoins d’avoir pris le temps de venir témoigner. Si vous avez d’autres informations à nous transmettre après la séance, je vous invite à communiquer avec la greffière.
    Vous êtes libres de partir quand vous le voudrez.
    Il nous reste deux points à régler concernant les travaux du Comité. Nous allons donc suspendre brièvement la séance et nous poursuivrons à huis clos.
    [La séance se poursuit à huis clos.]
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