FEWO Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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Comité permanent de la condition féminine
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TÉMOIGNAGES
Le mercredi 21 septembre 2016
[Enregistrement électronique]
[Français]
Bonjour, chers collègues. J'espère que vous avez passé un bel été.
[Traduction]
Bienvenue. Nous entamons immédiatement notre étude sur la cyberintimidation.
Aujourd'hui, nous sommes heureux d'accueillir Rena Bivens, professeure adjointe à l’École de journalisme et de communication de l'Université Carleton. Nous accueillons également Valerie Steeves, professeure agrégée du Département de criminologie de l'Université d'Ottawa.
Nous sommes très heureux de vous accueillir. Je crois que vous avez chacune 10 minutes pour livrer votre exposé. Nous passerons ensuite aux questions.
Rena, vous avez la parole.
Le contenu de mon exposé s'appuie sur différents projets de recherche, notamment une étude sur l'utilisation des médias sociaux par les organismes à but non lucratif qui luttent contre la violence et des résultats d'enquêtes sur les pratiques de programmation fondées sur le sexe dans les plateformes de médias sociaux populaires et les applications de téléphone cellulaire conçues pour prévenir la violence sexuelle.
L'un des problèmes auxquels j'ai été confrontée concerne la terminologie. En effet, comme vous le savez, dans ce domaine, de nombreux termes viennent avec leur histoire, et cette histoire remonte à la surface lorsque nous les utilisons. Pour certaines personnes, l'expression « violence contre les femmes » évoque le racisme bien enraciné, la discrimination fondée sur la capacité physique, l'hétérosexisme et le cissexisme qui ont entaché les premières manifestations du mouvement des femmes. Pour d'autres, la « violence fondée sur le sexe » peut poser un problème, car cette expression a été employée par certaines personnes pour neutraliser les différences entre la façon dont les hommes et les femmes vivent la violence sexuelle.
Dans le cadre des recherches que j'ai menées avec des organismes à but non lucratif, on m'a dit que certains organismes préfèrent éviter tous les termes génériques et se concentrer plutôt sur leurs activités du moment. Il peut s'agir de la transmisogynie un jour et du consentement le lendemain. On considère que cette approche est plus authentique et plus honnête, car elle offre la capacité de se concentrer sur les chevauchements générés par une situation particulière, tout en résistant à l'impulsion d'appliquer la même étiquette à toutes les manifestations, ce qui pourrait obnubiler les détails du fonctionnement de chaque phénomène.
Comme nous le savons, la violence contre les jeunes femmes et les filles est commise dans des contextes qui intègrent des éléments des environnements hors ligne et en ligne, mais lorsque nous nous concentrons sur la technologie dans cet amalgame, il est important de poser des questions sur la conception et sur la façon dont les gens utilisent ces technologies. Toutefois, nous devons préciser clairement que la technologie n'est pas la cause de la violence subie par les gens. C'est ce que nous appellerions le « déterminisme technologique », c'est-à-dire lorsqu'on sort la technologie du contexte social, qu'on prétend qu'elle tombe du ciel et qu'on la blâme pour les problèmes de la société. En même temps, il est possible de se concentrer sur le développement et la conception technologiques, étant donné que ces processus ne sont pas simplement techniques, mais également sociaux.
Mes intérêts de recherche sont liés aux questions relatives à la conception et partent du principe selon lequel la technologie n'est pas neutre. J'explore les valeurs et les normes qui sont intégrées à la technologie par les concepteurs, les programmeurs, les parties intéressées et d'autres intervenants dans les processus liés au développement technologique.
Je crois que dans le cadre de l'étude de votre Comité, il serait très intéressant et important de tenir compte des façons dont la conception technologique est un acte social et politique qui entraîne des conséquences récursives dans la société, c'est-à-dire que les décisions en matière de conception peuvent, souvent par inadvertance, solidifier des relations sociales. Par exemple, la grande majorité des 215 applications de téléphone cellulaire conçues pour prévenir la violence sexuelle que j'ai examinées avec ma collègue Amy Hasinoff renforcent les mythes du viol courants en rejetant la responsabilité de prévenir la violence sexuelle sur la victime. Sur les 215 applications étudiées, seulement quatre ciblent les agresseurs, et on présume que les agresseurs seront des étrangers.
Étant donné que les processus de conception et de développement technologiques ne sont jamais uniquement techniques ou sociaux, ils représentent une cible viable dans le cadre d'interventions fondées sur les politiques. Plusieurs enjeux peuvent faire l'objet d'une discussion dans ce domaine.
Tout d'abord, un logiciel est composé de plusieurs couches. Les utilisateurs peuvent voir certaines d'entre elles. On n'a qu'à penser à l'interface bleue et blanche de Facebook. Ensuite, il y a d'autres couches, comme la base de données dans laquelle Facebook entre des renseignements sur chaque utilisateur. J'ai déjà fait valoir qu'un logiciel a la capacité de cacher les façons dont il favorise la violence. On a qu'à penser aux changements apportés à l'interface des utilisateurs de Facebook en 2014. Soudainement, on offrait aux gens d'autres choix que les catégories traditionnelles « homme » et « femme », en leur proposant des choix tels bispirituel, altersexuel, en questionnement, etc.
Dans le cadre de mon étude, j'ai découvert qu'il y avait une différence entre les décisions progressistes prises par l'entreprise à la surface du logiciel et qui visent à éliminer les conceptions oppressives selon lesquelles le sexe est binaire — c'est-à-dire qu'il y a seulement des hommes et des femmes dans le monde — et les décisions prises dans les couches plus profondes du logiciel, des couches inaccessibles à la plupart d'entre nous. Pour accommoder cette modification effectuée en surface, les programmeurs ont mis au point une technique par laquelle le logiciel transcrit ces identités sexuelles non binaires dans un système de catégorisation binaire en ne tenant compte que du pronom sélectionné par l'utilisateur.
Nous savons que les gens qui ont une identité sexuelle non binaire sont victimes de discrimination et de violence de façon disproportionnée. Dans une étude menée en 2014 par le Congrès du travail du Canada et citée dans la stratégie en matière de violence fondée sur le sexe actuellement mise en oeuvre à l'échelon fédéral, on souligne que le taux de violence subie dans une relation intime par les participants transgenres est presque le double de celui subi par les hommes et les femmes — des taux de prévalence de 64,9 % sur toute la vie ont été mesurés. Nous savons aussi qu'aux États-Unis, les femmes transgenres de couleur sont plus souvent visées par des actes violents que leurs homologues blanches, et qu'elles sont la cible de la plupart des meurtres commis contre les personnes transgenres.
Même si l'action d'attribuer la mauvaise identité sexuelle à une personne est souvent vécue comme un acte de violence, c'est également un symptôme des systèmes sociaux plus vastes qui contribuent à la transphobie. C'est pourquoi j'aimerais que nous réfléchissions tous aux façons par lesquelles les pratiques de programmation peuvent être violentes en reproduisant et en solidifiant les régimes dominants de contrôle de l'identité sexuelle. Cacher cette violence en classant l'identité d'une personne dans la catégorie « femme » dans la base de données parce qu'elle a indiqué à la surface qu'elle s'identifie comme étant allosexuelle, mais qu'elle préfère le pronom « elle », représente une source de préoccupation, surtout lorsque ce renseignement sexualisé ne demeure pas simplement dans la base de données, mais que d'autres utilisateurs, comme des entreprises de publicité et des commerçants, y ont accès. Il s'ensuit que même si la pression sociale mène le bal en surface, où elle se traduit par un changement superficiel, c'est une logique commerciale qui a poussé Facebook à mettre au point un logiciel qui attribue la mauvaise identité sexuelle aux utilisateurs.
Nous observons également des fusions entre différentes plateformes de médias sociaux, par exemple lorsque Facebook intègre Instagram. Cela produit un échange de données entre les différentes plateformes, et une plateforme n'a donc même plus à recueillir des renseignements sur ses utilisateurs, car elle peut avoir accès à ces renseignements à partir d'une autre plateforme. La délégation numérique signifie qu'on demande à l'utilisateur de s'inscrire à Instagram par l'entremise de Facebook, et les renseignements que l'utilisateur a entrés dans Facebook sont utilisés pour cette inscription. Avec mon collègue Oliver Haimson, j'ai examiné les plateformes de médias sociaux populaires pour déterminer comment l'identité sexuelle avait été programmée dans l'interface des utilisateurs et comment elle avait été programmée dans des espaces conçus pour les entreprises de publicité et les portails de publicité. Nous faisons valoir que les plateformes de médias sociaux sont devenues des intermédiaires dans un écosystème plus vaste qui comprend les entreprises de publicité et d'analyse du Web.
Par conséquent, on laisse les plateformes de médias sociaux exercer un grand contrôle sur la catégorisation de l'identité sexuelle et d'autres identificateurs, et ces décisions relatives à la conception influencent la façon dont le public et l'industrie de la publicité comprennent l'identité. Ces systèmes qu'ils construisent représentent une autre couche de la société qui pourrait favoriser des changements sociaux progressistes, mais qui réifie plutôt les inégalités.
J'aimerais tenter d'illustrer cette situation à l'aide de deux exemples rapides. Tout d'abord, le secteur de la technologie est reconnu pour son manque de diversité, et cette situation a des effets sur le fabricant et sur la façon dont les concepteurs perçoivent l'utilisateur. On ne peut pas se contenter d'ajouter des femmes au secteur et de considérer le problème réglé. Il faut également financer les efforts en matière de sensibilisation qui ciblent le génie et d'autres disciplines connexes, des efforts éclairés par le féminisme, l'identité sexuelle, la race et même l'étude des handicaps, afin d'ouvrir le processus de conception. Enfin, il pourrait également être utile de mettre en oeuvre des mesures qui encourageraient le secteur de la technologie à appuyer les objectifs liés au changement social dans le processus de conception et de développement technologiques.
Merci.
Excellent. Merci beaucoup.
Plus tôt, j'ai oublié d'informer les membres du Comité que nous accueillons un nouveau membre. J'aimerais donc souhaiter la bienvenue à Marc Serré. Nous avons hâte de vous faire participer aux conversations captivantes qui se tiendront au cours de la session.
J'aimerais également souhaiter la bienvenue à Filomena, qui se joint à nous aujourd'hui, ainsi qu'à Garnett Genuis.
Nous allons passer aux questions. Mes collègues du Parti libéral ont la parole. Nous entendrons d'abord Mme Nassif.
Oh, attendez, ce n'est pas vrai. Je dois d'abord donner la parole à Valerie. Je suis désolée. Je suis un peu rouillée après les vacances d'été.
Valerie, vous avez 10 minutes. Allez-y. Merci.
Merci beaucoup de m'avoir invitée à comparaître. C'est un privilège d'être ici, et je suis très heureuse que vous meniez cette étude. J'ai très hâte de voir les résultats et je trouve ce processus très encourageant.
Au cours des 20 dernières années, j'ai passé une grande partie de mon programme de recherche à examiner la façon dont les enfants utilisent les technologies de réseaux, à découvrir comment ils vivent cette expérience et à recueillir leurs commentaires sur ces utilisations et ces expériences. Tout cela repose réellement sur ma croyance selon laquelle une bonne politique devrait se fonder sur une solide compréhension de ces expériences vécues, car je crois que les politiques que nous tentons de mettre en oeuvre sont conçues pour offrir aux jeunes l'appui dont ils ont besoin pour réussir dans le monde des réseaux.
Lorsque je réfléchissais à l'exposé que je livrerais dans les 10 minutes qui me sont imparties avant de passer aux questions, trois points me sont venus à l'esprit, et je crois que ce sont les trois points que les filles et les jeunes femmes auxquelles j'ai parlé ces 20 dernières années souhaitent vous communiquer, afin que vous puissiez les prendre en compte.
Le premier point, c'est que la surveillance ne constitue pas une solution à la cyberviolence ou au harcèlement en ligne. En fait, la surveillance empire la situation, car il devient ensuite plus difficile, pour les jeunes femmes et les filles, de naviguer dans le monde en ligne. Malheureusement, si vous réfléchissez à la façon dont nous avons réagi dans le contexte d'un grand nombre de ces questions de politique, vous vous souviendrez que la surveillance a habituellement été la solution adoptée.
Ma partenaire de recherche, Jane Bailey, et moi-même avons entrepris, il y a quelques années, un examen de toutes les interventions devant le Parlement dans lesquelles les enfants et la technologie ont été mentionnés. Lorsque nous remontons aux débuts de l'autoroute de l'information — si certains d'entre vous sont assez âgés pour s'en souvenir aussi bien que moi —, nous constatons qu'au départ, nous avions présumé que les enfants étaient sans aucun doute des utilisateurs naturels et doués de la technologie, qu'ils étaient des innovateurs et qu'ils créeraient de la richesse.
Ce que nous retenons de cela, c'est qu'il ne faut pas réglementer la technologie, car cela freine l'innovation. Mais en même temps, pendant que nous suivions cette politique au cours des 20 dernières années, nous avons commencé à parler des enfants comme étant « à risque ». En effet, les enfants courent le risque de voir du contenu offensant ou de la pornographie en ligne. On a donc décidé de les surveiller pour s'assurer que ce ne serait pas le cas.
Ensuite, nous avons dit que les enfants étaient à risque, car ils sont naïfs. Lorsqu'ils arrivent sur une plateforme de technologie, ils ne comprennent pas vraiment qu'il pourrait leur arriver de mauvaises choses. On a donc décidé de les surveiller.
Enfin, surtout lorsque nous avons commencé à parler de comportements comme le sextage, nous avons commencé à affirmer que les enfants étaient à risque en raison de leurs mauvais comportements, et que nous devions donc les surveiller, afin de les protéger de leurs propres choix.
Toutefois, du point de vue des jeunes, cela ne fonctionne tout simplement pas. Selon eux, le plus gros problème posé par la surveillance, c'est qu'ils peuvent arriver à la conclusion que les adultes ne leur font pas confiance. Ils ne leur font pas confiance pour avoir recours à leur jugement et pour apprendre de leurs erreurs. Ils sont donc parvenus à la conclusion qu'ils ne peuvent pas faire confiance aux adultes. Nous avons exercé une surveillance par l'entremise des écoles et des bibliothèques municipales. Nous encourageons toujours les parents à obtenir le mot de passe Facebook de leurs enfants et à fouiller dans leurs comptes. Toutes ces stratégies qui, selon moi, ont été conçues à partir de l'intention louable d'aider les jeunes se sont retournées contre nous, car elles ont miné la relation de confiance qui est au coeur de notre capacité à aider les jeunes à faire face au harcèlement et à la misogynie en ligne. De nombreuses recherches appuient cette hypothèse, car elles contiennent des histoires de jeunes qui affirment que lorsqu'une chose terrible leur arrive, ils ne peuvent pas se confier à leur enseignante, car ils savent qu'on appellera la police et ils n'ont pas la certitude que les adultes agiront avec calme, car ces derniers ne comprennent pas leur vie.
Je crois que c'est une leçon importante: la surveillance n'est pas la solution. La surveillance complique les choses et nuit aux filles et aux jeunes femmes qui tentent de faire face au harcèlement et à la misogynie en ligne.
Je crois que le deuxième point que ces filles et ces jeunes femmes aimeraient vous communiquer, et cela revient vraiment aux commentaires de Rena sur la conception, c'est que le problème, ce n'est pas les femmes et les filles, mais l'environnement, et ce sont les adultes qui sont responsables de la conception de cet environnement.
Les enfants, par exemple, se plaignent souvent que les adultes les obligent à utiliser les technologies de réseaux, ce qu'ils n'aiment pas du tout. Donc, encore une fois, nous avons souvent tendance à penser que les jeunes sont naturellement doués, qu'ils adorent la technologie et qu'ils passent tout leur temps en ligne. Toutefois, au cours des recherches que nous avons menées ces 20 dernières années auprès des jeunes de tous les coins du pays, nous avons entendu des histoires très différentes. Ils nous ont plutôt dit que la technologie leur cause de nombreux problèmes.
Par exemple, je parlais à un groupe de jeunes de Toronto la fin de semaine dernière, et la première question qu'ils m'ont posée, c'est « Comment pouvons-nous dire à notre école d'arrêter de nous forcer à utiliser les tablettes Microsoft? » Ils se plaignent de devoir faire tous leurs travaux de sciences en classe sur cette tablette et ils n'aiment pas cela. Ils pensent que c'est une mauvaise façon d'apprendre. En fait, ils ont raison. Toutes sortes de recherches indiquent que la technologie informatique diminue les résultats d'apprentissage, mais ce qui les inquiète, c'est que la conception commerciale de cette technologie intègre la divulgation automatique. En effet, aussitôt que les élèves utilisent la tablette, ils n'ont aucun contrôle sur les renseignements qu'ils entrent dans cet outil.
Ils savent que ces renseignements les rendent plus visibles à leurs pairs et à leurs enseignants, ce qui les rend mal à l'aise. C'est le manque de confidentialité sur les espaces réseau qui leur nuit lorsqu'ils tentent de contrer la misogynie et le harcèlement en ligne qui se produisent dans ces espaces, ce qui favorise également les conflits avec leurs pairs.
Ils trouvent également que le manque de confidentialité intégré à l'environnement signifie qu'ils doivent rendre des comptes pour chaque erreur qu'ils commettent. Il devient plus difficile pour eux de déterminer les comportements acceptables et ceux qui ne le sont pas. En effet, cet environnement a tendance à mettre l'accent sur les mauvais comportements et à passer les bons comportements sous silence, ce qui est très étrange. C'est le deuxième point. Le problème, c'est l'environnement. Il faut se pencher sur la conception.
Je crois que le troisième point que ces filles et ces jeunes femmes aimeraient vous communiquer, c'est que si vous souhaitez prendre ces enjeux au sérieux, il faut cesser d'avoir automatiquement recours à la surveillance et il faut plutôt mener une analyse critique de l'environnement. Ensuite, il faut commencer à examiner les objectifs commerciaux qui sous-tendent la technologie et à réfléchir à la façon dont ces objectifs commerciaux favorisent et amplifient les actes de harcèlement et de violence en ligne fondés sur les stéréotypes.
Lorsque je parle aux jeunes, ils mentionnent les propos misogynes. Le « slut shaming », une pratique qui consiste à rabaisser ou à culpabiliser une femme à cause de son comportement sexuel, représente une énorme partie des problèmes auxquels ils font face en ligne, en plus des menaces de viol et d'autres types de violence sexuelle. Lorsque je leur demande ce qui, à leur avis, est à l'origine de cela, ils mentionnent aussitôt la médiatisation. Ils soutiennent que l'environnement en ligne dans lequel ils apprennent et se divertissent, et dans lequel ils communiquent avec leur grand-mère, est tapissé de stéréotypes sexuels véhiculés par des annonces publicitaires, des vidéos et des fichiers audio omniprésents. Ils savent que cela fait partie d'un modèle commercial dans lequel toutes leurs activités en ligne sont constamment enregistrées et reproduites dans ces images, ce qui intensifie les effets de ces stéréotypes.
La nature visuelle de l'environnement ou des médias nuit certainement aux filles qui tentent de résister à ces stéréotypes. En effet, nous vivons à l'époque de ce qu'on appelle les « jours de tricherie », c'est-à-dire qu'on ne mange rien pendant cinq jours pour pouvoir manger de vrais repas pendant deux jours. Cette pratique est l'une de celles qui émergent chez les filles qui fréquentent les écoles publiques. Les filles auxquelles nous avons parlé nous disent qu'elles tentent de se conformer, du moins dans une certaine mesure, à ces stéréotypes très précis dictant la façon dont les personnes de leur sexe devraient agir. Si elles ne le font pas, elles sont jugées de façon extrêmement sévère par leurs pairs, et cela mène à des conflits qui entraînent du harcèlement et des menaces.
Lorsque ces filles se rendent compte qu'elles sont au point où elles doivent obtenir de l'aide et qu'elles s'adressent aux adultes, ces derniers les jugent en leur disant qu'elles ont enfreint les règles liées à la divulgation. On leur répond qu'elles n'auraient pas dû publier cette photo ou parler à leurs amis de ce sujet ou utiliser un certain langage dans Internet. Mais les filles font valoir que l'environnement au complet est conçu de façon à leur faire adopter ces comportements. En effet, cet environnement les pousse à divulguer des renseignements, à présenter un certain type de féminité, à se comporter de façon à correspondre à un type précis de féminité, qu'elles soient en train d'apprendre ou de discuter avec des amies ou qu'elles tentent simplement d'en apprendre plus sur le monde des adultes.
Étant donné les commentaires de Rena sur l'importance des couches et de ce niveau de la base de données, et sur la façon dont un logiciel peut dissimuler la violence commise par la société, je crois que les vastes algorithmes de traitement des données qui divisent les jeunes en catégories à des fins commerciales ne feront qu'intensifier le problème. Nous savons déjà que ces algorithmes creusent les inégalités. Ils dissimulent ces préjugés et ces sources d'inégalités, et une fois bien cachés, il est très difficile de trouver les responsables.
Si nous prenons ces trois choses que, selon moi, les filles et les jeunes femmes souhaitent que je vous communique en leur nom, je crois qu'une partie de la solution consiste à assumer la responsabilité qui nous revient de créer des espaces publics qui ne sont pas commercialisés, c'est-à-dire des endroits où les jeunes peuvent se rassembler pour mener des interactions sociales, pour apprendre et pour explorer le monde.
Ironiquement, je crois qu'avant l'adoption de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, le gouvernement fédéral avait fait preuve d'un grand leadership dans ce domaine. Il y avait des initiatives comme Rescol et des points d'accès public pour les populations rurales et les populations démunies. Ces initiatives étaient axées sur l'égalité et les valeurs, et elles étaient conçues pour faire la promotion d'un environnement de réseaux publics sain. Toutefois, après l'adoption de la LPRPDE, ce financement a été annulé.
Pendant que vous écoutez ces renseignements et que vous discutez avec les différents intervenants, je vous recommande vivement de ne pas oublier que le rôle du gouvernement est de créer des conditions qui permettent un accès équitable à la liberté d'expression et d'appuyer la création d'un environnement public dans lequel les normes de la communauté sont énoncées et respectées de façon à ce que nous nous tenions mutuellement responsables en cas de violence et de discrimination.
Merci.
[Français]
Je souhaite un bon retour et un bon début de session à tout le monde.
J'aimerais remercier les témoins de leurs présentations.
J'aimerais d'abord m'adresser à Mme Bivens.
Selon ce que vous avez indiqué en ligne, les pratiques de modération relatives à la misogynie sur les médias sociaux figurent parmi vos intérêts et vos projets actuels. On entend beaucoup parler de ces professionnelles ou utilisatrices des médias sociaux qui deviennent la cible de comportements misogynes et qui reçoivent les commentaires les plus odieux qu'elles aient jamais lus ou entendus. Ces comportements s'observent particulièrement sur les médias sociaux.
On pense notamment à la controverse récente du Gamergate. De nombreuses femmes ont des chaînes sur Twitch ou YouTube et toutes tentent de participer à des discussions sociales en ligne saines ou veulent simplement faire quelque chose qu'elles aiment. Pourriez-vous traiter de cette tendance en particulier? En effet, il existe un lien étroit, quoique non exclusif, avec les femmes qui essaient de percer dans des domaines, des professions ou des loisirs qui sont actuellement des chasses gardées des hommes, comme les métiers de commentateurs et de critiques de sports, de l'industrie de jeux vidéo ou du secteur des jeux en ligne.
Considérez-vous que ce phénomène ait un lien avec l'opprobre présente dans les réseaux sociaux quand les gens cherchent à surmonter les obstacles sociaux et culturels?
Ma question comporte une autre partie. Cette cyberviolence diffère-t-elle vraiment des autres formes de harcèlement et d'intimidation, ou s'agit-il simplement d'un nouveau médium qui permet aux gens de continuer de perpétrer ces crimes relativement facilement sous le couvert d'un certain anonymat?
C'était ma première question. Elle est longue.
[Traduction]
Je suis désolée, mais je ne pouvais pas entendre l'interprétation au début de votre question, mais j'ai réussi à entendre la partie sur la participation des femmes à la conception des jeux vidéo et des technologies, et les types d'obstacles auxquels elles peuvent être confrontées lorsqu'elles tentent de faire carrière dans ces secteurs.
Selon certaines recherches, ces obstacles sont notamment l'exigence de s'intégrer à la culture masculine et de renoncer à une partie de leur identité de femme afin d'y parvenir. Certaines critiques à cet égard rappellent que de nombreuses personnes présentent des caractéristiques à la fois féminines et masculines. Ces caractéristiques s'inscrivent dans un spectre, et ce n'est pas toujours noir ou blanc. Toutefois, une culture qui domine nettement, et les gens ont l'impression qu'ils doivent s'y intégrer s'ils en sont exclus dès le début.
La deuxième partie de ma question vise à savoir si la cyberviolence diffère vraiment des autres formes de harcèlement et d'intimidation ou s'il s'agit simplement d'un nouveau médium qui permet aux gens de continuer à perpétrer ces crimes relativement facilement sous le couvert d'un certain anonymat.
Je crois que c'est une question très importante. En effet, de nombreuses personnes critiquent l'expression cyberviolence et demandent s'il s'agit d'une nouvelle notion ou de la prolongation d'une notion déjà existante. Nous savons certainement que les actes de violence en ligne et hors ligne se rejoignent. Je crois que vous savez tout cela.
Nous tentons d'examiner la technologie et de déterminer ce qu'elle présente de nouveau ou de différent. Certaines personnes préfèrent se concentrer sur l'anonymat — on peut être anonyme —, mais un grand nombre de ces plateformes encourage les gens à être « authentiques », comme ils le disent, et à utiliser leurs vrais noms, etc. Il y a également une grande résistance à cet égard.
Je ne sais pas à quel point les choses sont différentes dans l'environnement hors ligne et dans l'environnement en ligne. C'est tout ce que je peux dire sur ce sujet.
À votre avis, les médias sociaux et l'environnement numérique sont-ils les seuls moyens qui peuvent être utilisés pour restreindre ce type de comportement? Selon vous, dans les circonstances, quelle est la meilleure méthode à la disposition du gouvernement pour diminuer la cyberviolence?
Je pose la question, car des enfants de 10 ans — et parfois même plus jeunes — ont leur propre ordinateur, tablette ou téléphone, ce qui, à moins qu'ils soient surveillés de près par les parents, les expose à ce type de traitement en ligne.
D'après ce que j'entends, vous aimeriez savoir si la technologie est la solution à ce problème, et comment nous pouvons exercer une surveillance lorsque l'accès dont profitent les jeunes est trop vaste.
Je crois que Valerie a parlé en grande partie de cela. Les jeunes perdent notre confiance lorsque nous exerçons une surveillance aussi étroite à leur égard, et je ne crois donc pas que ce soit la réponse. Ce n'est pas la démarche que nous devrions suivre. Je crois que l'un des enjeux principaux dans ce cas-ci concerne la conception de ces espaces. Valerie en a également parlé, et de façon très éloquente, lorsqu'elle disait qu'il faut tenter de créer des espaces qui ne poussent pas les gens à divulguer tous leurs renseignements personnels et à renoncer à toute confidentialité.
Un universitaire que j'admire beaucoup parle de la façon dont ces réseaux sont créés avec des « fuites ». En fait, on les appelle des réseaux « de moeurs faciles ». On n'entend jamais l'expression « réseau monogame ». Ces réseaux sont conçus pour tout enregistrer et pour utiliser et entreposer ce dont ils ont besoin. Ils sont créés pour avoir des fuites. C'est la façon dont on les a créés. Nous pouvons donc tenter de mieux concevoir ce système pour qu'il corresponde à ce que les jeunes demandent, par exemple dans le cadre du projet d'égalité entre les sexes.
D'accord.
La parole est donc à nos collègues du Parti conservateur. Nous entendrons d'abord Mme Vecchio.
Merveilleux.
J'aimerais remercier les deux témoins d'être ici aujourd'hui. Nous aurons une excellente discussion.
J'aimerais d'abord m'adresser à vous, madame Steeves. Tout d'abord, je vous remercie des recherches que vous avez menées dans le cadre du projet eGirls. C'est un travail phénoménal.
Dans l'une de vos publications, vous soulignez le terrain glissant pour les filles qui tentent de conjuguer les expériences faites en privé et leur image publique dans les médias sociaux en ligne. Quel est le rôle joué par ce phénomène dans l'hypersexualisation des femmes, comme on le voit dans les médias traditionnels et dans les médias sociaux? Cette idée qu'il faut adopter un certain comportement précis en public est-elle de plus en plus prévalente ou même acceptée chez les jeunes? Comment pouvons-nous empêcher cela de se produire?
J'aimerais tout d'abord revenir à l'une des questions posées plus tôt. Cela dépend en grande partie de l'âge. Si vous observez le développement humain, vous constaterez que les enfants, jusqu'à l'âge de 11 ou 12 ans, ont tendance à fonder leur identité sur leurs relations avec les membres de leur famille. Dès l'âge de 12 ou 13 ans, en général, cela commence à changer. À ce moment-là, les jeunes tentent habituellement de s'éloigner de leur famille, d'entrer dans le monde et d'explorer différentes identités, afin de trouver celle qui leur convient le mieux en tant qu'adulte. Ce parcours est parsemé de difficultés et de nombreuses erreurs.
Dans une certaine mesure, il s'agit également d'une question de comportement. Si on voit tellement de jeunes de 13 à 22 ans et de jeunes adultes adopter des comportements extrêmes, c'est notamment parce que leur développement les prédispose à essayer différentes identités, à les rendre publiques, à observer les réactions obtenues, et ensuite à se retirer dans un espace privé pour déterminer ce qui leur convient ou non.
Je crois que le point que vous avez soulevé, c'est que lorsque ce processus se déroule dans un espace commercialisé et surveillé, certains types d'identité seront privilégiés, par exemple les identités hypersexualisées. Selon les données recueillies dans le cadre du projet eGirls et les travaux que nous avons menés dans le cadre du projet eQuality, les jeunes nous disent qu'au lieu d'un large éventail de comportements féminins, seul un très petit nombre d'identités hypersexualisées leur sont offertes dans les espaces réseaux, et que l'adoption de l'une de ces identités représente pratiquement une mesure de protection. En effet, les jeunes pensent qu'ils doivent avoir dans leur liste un ou une amie qui a adopté ce comportement ou ils doivent montrer eux-mêmes une partie de cette identité, car dans le cas contraire, ils seront persécutés. Ils doivent faire face à une négativité considérable.
Je crois qu'il est intéressant de voir la façon dont la technologie interagit avec ces préoccupations stéréotypées très anciennes relatives au sexe d'une personne et aux problèmes liés à l'égalité entre les sexes. Dans le projet eGirls, les filles nous disent par exemple « Vous savez, lorsque je suis à l'école, je ne suis pas obligée de porter du maquillage et de me coiffer d'une façon particulière, mais certaines de mes amies ont publié des photos d'elles-mêmes au naturel en ligne, et elles ont immédiatement été attaquées. On leur a dit qu'elles étaient grosses et laides. »
C'est une notion très hétérosexiste et normative, c'est une approche fondée sur le sexe et c'est très misogyne. Lorsqu'elles sont en ligne, ces filles s'assurent de se comporter d'une façon précise.
De plus, nos données ont été recueillies dans un groupe de filles très diversifié. Je suis d'accord avec tout ce qu'a dit Rena au sujet de l'intersectionnalité. Il est très important de comprendre comment la race interagit avec le sexe et comment le statut socioéconomique interagit avec le sexe, et pourtant, les participants de notre groupe diversifié ont tous indiqué qu'ils devaient composer avec cela. Pour revenir à mon exposé, les jeunes accusent les stéréotypes présents dans les médias, car ils sont partout. C'est plus facile pour les jeunes de repousser les stéréotypes dans le monde réel. En ligne, c'est très difficile.
Merci beaucoup.
Madame Bivens, je vous remercie d'être avec nous aujourd'hui. Des témoins précédents nous ont parlé des préoccupations réelles et exagérées liées au sextage. L'un des chapitres de votre livre est intitulé « Quit Facebook, Don't Sext, and Other Futile Attempts to Protect Youth ».
Selon vous, quelle est l'idée fausse la plus répandue au sujet du sextage, et comment peut-on protéger les jeunes contre des dangers comme le harcèlement ou les prédateurs en ligne sans que ces efforts deviennent futiles?
À mon avis, l'idée fausse la plus répandue au sujet du sextage, c'est qu'on ne peut pas en retirer du plaisir et que seuls les jeunes le font. En fait, des gens de tous âges s'amusent avec le sextage. Je crois que c'est l'une des choses que nous ne devons pas oublier, et nous devons également écouter les gens qui s'adonnent au sextage. Il s'agit de savoir comment s'y prendre pour que nos efforts ne soient pas futiles.
Comment pouvons-nous protéger nos enfants du danger? Comment pouvons-nous veiller à ce que nos enfants soient en sécurité et qu'ils ne se mettent pas eux-mêmes dans des situations dangereuses?
C'est difficile. Dans le chapitre que vous avez mentionné, j'étudie certaines campagnes publicitaires et comment il est futile de se contenter de dire « Oh, ne faites pas cela. » Je n'ai pas parlé beaucoup aux jeunes dans le cadre de mes recherches, mais j'aimerais beaucoup connaître les dangers contre lesquels nous devons les protéger, car il semble que nous tentons souvent de protéger les enfants, et de protéger certains types de jeunes. Nous jugeons que les filles courent le plus de risques et nous entendons cela dans le cas de nombreuses nouvelles technologies. Lorsque les trains ont été inventés, par exemple, les gens craignaient que l'utérus des femmes s'échappe de leur corps. Lorsque l'éclairage électrique a été inventé, les gens croyaient que les hommes pourraient voir les femmes et les jeunes filles dans leur maison et qu'ils entreraient par effraction.
Ce sont des réactions normales, je crois, face aux nouvelles technologies. Je présume donc que j'aimerais connaître les dangers qui nous préoccupent.
Fantastique.
Madame Steeves, une partie de votre travail consiste à enseigner aux enfants à repérer les stratégies de commercialisation en ligne. Quelle corrélation les stratégies de commercialisation en ligne présentent-elles avec les comportements et la protection des filles en ligne? Quelles sont les répercussions négatives de la commercialisation en ligne sur les filles? Pourriez-vous nous en parler davantage?
J'aimerais aborder le sujet sous un autre angle. De plus en plus, les jeunes sont conscients de ces stratégies. Ils savent qu'ils ne sont pas dans un espace privé et ils ont l'impression d'être dans l'incapacité de faire quoi que ce soit à cet égard. Je crois que la rupture se situe entre la façon dont ils perçoivent la confidentialité et les initiatives en matière de protection et les lois que nous avons adoptées pour gérer ces deux notions. On se concentre sur la non-divulgation, mais la promotion de la non-divulgation va complètement à l'encontre de la façon dont les jeunes perçoivent la confidentialité. Selon eux, ce n'est pas parce qu'ils publient quelque chose que tout le monde devrait être en mesure de voir cette publication et de les juger en conséquence. S'ils publient quelque chose à l'intention de leurs amis, seuls leurs amis devraient y avoir accès. Ce n'est pas pour les entreprises.
Merci, madame la présidente. J'aimerais également remercier les témoins d'être ici aujourd'hui.
Je vous suis reconnaissante des travaux que vous effectuez et de la façon dont vous réussissez à les communiquer.
Madame Steeves, j'aimerais me concentrer sur votre témoignage, car je vais tenter de parler du recours au système judiciaire pour intervenir lorsque la situation se détériore. Vous avez parlé de l'importance d'un accès équitable à la liberté d'expression, et je comprends cela. J'aimerais que vous me parliez de ce que vous avez observé et entendu dans le cadre de vos études. Lorsque des menaces de viol sont proférées en ligne et qu'une intervention devient nécessaire, quelle est la réponse du système judiciaire? D'après ce que je comprends, vous parlez du jugement des parents et de l'importance d'être en mesure de lâcher prise, afin que les enfants, les filles et les jeunes femmes puissent bénéficier d'une protection. Pensez-vous que les victimes ont de bonnes chances d'avoir accès à une certaine forme de protection?
Je vais revenir aux données. Habituellement, ce que les jeunes nous disent lorsqu'ils mentionnent ce type de problème, c'est qu'ils détestent le terme cyberintimidation. Ils ont l'impression que ce terme leur a réellement nui. Ils veulent qu'on désigne les manifestations par leur nom, que ce soit de la violence, de la misogynie ou du racisme. Il existe plusieurs solutions, et ce qui les préoccupe, c'est que nous avons tendance à privilégier l'intervention de la police pour régler tous ces comportements.
J'aimerais vous donner un bref exemple. Prenons deux amies, deux jeunes filles de 13 ans vivant à Toronto. L'une d'entre elles part en vacances pendant la semaine de relâche de mars, et l'autre reste à la maison. Lorsqu'elles reviennent à l'école, elles s'envoient des messages textes et l'une d'entre elles fait le commentaire suivant sur une plateforme de média social: « Ah, ah, je suis plus foncée que toi ». Elles sont toutes les deux envoyées au bureau du directeur et accusées d'intimidation liée au racisme, car elles sont toutes les deux noires et Canadiennes d'origine jamaïcaine. Selon elles, il ne s'agit pas de cyberintimidation, mais d'une amie qui montre son bronzage, rien de plus. Souvent, dans ce genre de situation, la direction de l'école fait appel au policier qui travaille sur les lieux, etc.
Ces jeunes sont d'avis qu'il existe une série de comportements, et que les propos non civils se situent au milieu du spectre, et qu'on trouve les risques élevés ou les menaces de violence et de viol à l'autre bout. Ils ont l'impression que nous avons trop souvent recours au système de justice pénale pour intervenir dans certains cas, mais que nous n'y avons pas suffisamment recours dans d'autres cas. J'enseigne le droit pénal et je ne peux toujours pas comprendre pourquoi la police n'est pas d'avis qu'une menace de viol constitue du harcèlement criminel, car cela me semble bien être le cas.
Cela me rappelle lorsque nous tentions de trouver une différente façon d'intervenir dans les cas de violence familiale, il y a plusieurs années. Nous collaborions notamment avec les policiers et nous leur précisions qu'ils devaient intervenir, car personne ne devrait être en mesure d'agir ainsi et de s'en tirer impunément. Je ne crois pas que nous ayons bien utilisé les outils à notre disposition, et je crois que nous ferions des progrès si nous pouvions créer des initiatives qui nous aideraient à discuter avec les services de police de la façon dont les menaces et le harcèlement criminel sont liés au type de persécution que nous observons dans le cyberespace.
Observez-vous à la fois un manque de signalement de la violence commise contre les jeunes femmes et les filles en ligne et un taux peu élevé d'intervention policière?
Je n'ai aucune donnée sur l'intervention policière ou sur le taux d'intervention des policiers. Mais je peux vous dire que lorsqu'elles parlent de ces incidents, elles ont habituellement tendance à se blâmer elles-mêmes.
Non, ce sont les filles.
Admettons qu'une jeune se fait attaquer à l'école. Elle reçoit des menaces de violence physique et ainsi de suite. Elle aurait peut-être tendance à se blâmer et à dire: « Eh bien, je vais effacer mes comptes sur les médias sociaux. Je vais quitter cet espace, car je n'ai pas réussi et maintenant, j'en subis les conséquences. » Les filles ont tendance à tout intérioriser.
Je ne crois même pas que nous en sommes au point où on peut dire que tous les cas ne sont pas signalés. Les jeunes parlent des problèmes avec lesquels ils ont besoin d'aide, mais ils n'utilisent pas le même langage que nous. Lorsque nous parlons de menaces de viol, et lorsque je discute avec eux des phénomènes qu'ils décrivent, et je leur dis: « C'est une menace de viol », les jeunes me répondent: « Non, non, c'est juste le genre d'échanges que je... » C'est chose courante, et les jeunes ne le remettent même pas en question.
Ce genre de plaintes ne parviennent pas forcément à la police, et on ne peut donc pas les traiter de la même façon que ne le ferait le système de justice pénale dans les cas de violence véritable.
Oui. Je crois qu'en partie, il y a également un manque de confiance, c'est-à-dire que si la plainte est déposée, on n'a pas confiance qu'elle sera traitée de façon respectueuse. Nous entendons souvent les jeunes dire: « Je ne veux pas le dire à un professeur, car ensuite on va faire venir la police, et si la police enquête, je n'aurais pas mon mot à dire en ce qui concerne la résolution du problème. » Encore une fois, pensons à l'approche. Nous avons tendance à venir avec nos gros sabots pour aider les jeunes à faire face à ce genre de situation, alors qu'ils ont besoin de participer à la résolution et la définition du problème.
Voyez-vous des différences régionales dans votre recherche, que ce soit d'une province à l'autre, ou encore en région rurale par opposition aux centres urbains?
Pour ce qui est des régions, je participe au programme de recherche Jeunes Canadiens dans un monde branché. Nous nous déplaçons dans l'Ouest, dans le centre du Canada et au Québec afin de tâter le pouls, et ensuite nous effectuons des sondages partout au pays. Nous n'avons pas constaté de différences régionales marquées en ce qui concerne la cyberintimidation ou les stéréotypes sexuels et ce genre de chose, donc ma réponse est non.
Dans le cadre du projet eGirls, nous avons travaillé avec des participants en région rurale et urbaine, parce que nous voulions déterminer si c'était vrai que personne n'a droit à une vie privée dans une petite ville. Le plus grand écart que nous avons constaté, c'était que les filles en région rurale pensaient que les filles des centres urbains avaient des expériences différentes et davantage de liberté et n'étaient pas autant limitées par les stéréotypes. Lorsque nous avons étudié les données, elles nous ont dit exactement la même chose, donc nous n'avons pas trouvé de grand écart. Encore une fois, cela revient à l'une des façons dont la technologie façonne le problème social auquel nous sommes confrontés; le problème est homogénéisé dans une certaine mesure, car une bonne partie de ce phénomène se produit dans les médias sociaux, un espace social qui est partagé par tous les jeunes.
Mesdames, merci d'être venues aujourd'hui et merci pour tout le travail si précieux que vous faites dans ce domaine.
J'ai travaillé comme aumônière dans une école secondaire pendant 20 ans, et j'ai vu de mes propres yeux des jeunes filles anéanties par ce problème. Je dois dire que je suis horrifiée par la nature et la fréquence des choses qui arrivent et qui sont dites. C'est abasourdissant.
J'aimerais poser quelques questions sur votre recherche. Je vais commencer par vous, madame Steeves.
Vous avez parlé de la création de zones non commercialisées, par exemple, et je suis d'accord avec vous. Nous avons notamment voyagé avec des jeunes en République dominicaine, où ils peuvent vivre et travailler avec des personnes pauvres qui n'ont pas de téléphone, qui n'ont pas accès à la technologie, qui n'ont rien du tout. C'est incroyable ce qui arrive à ces jeunes dans ce milieu. Le soir, on regarde la personne en face de nous plutôt que de communiquer avec quelqu'un qui est Dieu sait où et qui texte de façon désinvolte, et c'est incroyable.
Pouvez-vous nous donner des exemples dans ce monde difficile et compliqué de la façon dont vous créerez ces espaces non commercialisés? Je parle des milieux éducatifs, surtout au secondaire.
Je crois que la raison pour laquelle il nous faut une stratégie nationale, c'est précisément parce que nous aurons besoin d'argent. Autrefois, nous créions des ressources qui étaient partagées par les écoles, et ces ressources servaient aux communications dans le milieu éducatif. En d'autres termes, les écoles étaient les propriétaires des comptes courriel. Les écoles pouvaient disposer de leurs propres technologies. Nous nous sommes écartés de ce modèle, car tout se fait privatiser.
Il y a eu un grand débat au Conseil scolaire de district d'Ottawa-Carleton, qui est mon conseil, sur les comptes Gmail pour les élèves. On n'a jamais discuté de la raison pour laquelle mes enfants ne pouvaient pas utiliser leurs propres comptes courriel que j'avais achetés pour eux. L'école a tout simplement dit: « Non, c'est comme ça. Nous avons donné le consentement de tout le monde. Vous allez tous avoir des comptes Gmail. C'est une exigence. »
Il en va de même pour des choses comme Turnitin. Nous nous inquiétons du plagiat, donc nous allons obliger tout le monde à s'inscrire à Turnitin.
La première fois que l'un de mes enfants a su qu'il devait s'inscrire à Turnitin, j'ai envoyé un courriel à l'école en demandant: « Avez-vous vu la politique en matière de protection de la vie privée? La société recueille toutes ces données et les conserve, et vous leur transmettez le nom de mon enfant. Je ne donne pas mon consentement. » Je n'ai reçu aucune réponse. C'est la plateforme que l'école utilise, et l'école ne reconnaît pas qu'il s'agit d'une plateforme commerciale.
Dans une certaine mesure, j'aimerais renverser la tendance et arrêter la commercialisation dans les écoles, car les écoles sont un endroit où les enfants devraient pouvoir se réunir et apprendre dans le respect de leurs renseignements personnels et dans un milieu non commercialisé.
L'autre problème difficile que j'ai connu, et vous y avez touché en parlant de la confiance, c'est que les élèves venaient me voir parce que j'étais aumônière. J'étais conseillère, je défendais leurs intérêts, et les élèves me racontaient des choses, car ils savaient que c'était en toute confidentialité à moins que leur sécurité ne soit menacée. Au final, les élèves se sentaient à l'aise de venir me voir, mais je savais qu'il y avait de nombreux jeunes qui gardaient les choses pour eux, dont certains allaient se suicider parce que leurs problèmes étaient tellement écrasants qu'ils ne voyaient pas d'issue.
Comment trouver l'équilibre entre la confiance par rapport aux parents, ce que je comprends, car les jeunes ne veulent pas que les parents surveillent et regardent tout ce qu'ils font, et la sécurité de la jeune personne? Avez-vous des suggestions et des idées pour savoir quand les jeunes souffrent, ou des mesures que nous pourrions prévoir afin de leur offrir une aide, surtout avant qu'il ne soit trop tard?
Nous pouvons compter sur des années d'expérience en counselling et en enseignement, ainsi que tous ces professionnels qui travaillent dans le milieu et qui ont des rapports sociaux avec ces enfants. Nous avons des parents qui cherchent de l'aide pour leurs jeunes mais qui souffrent également de problèmes de santé mentale. Il me semble que c'est là où vous trouverez la solution. Je le répète, une solution technologique est souvent une mauvaise réponse qui entrave ces rapports.
Je parlais avec Rena avant que la séance ne commence au sujet de Safer Schools Together, une nouvelle entreprise canadienne. Environ 126 conseils scolaires du pays se sont abonnés aux services de cette entreprise. Les conseils lui remettent le nom de chaque enfant inscrit aux écoles, et ensuite un programme robot va repêcher tout ce que cet enfant a affiché sur Internet et utilise des algorithmes pour déterminer si oui ou non il y a un risque de troubles psychologiques.
En Angleterre, notamment, on utilise ce genre de robot pour déterminer si les jeunes ont affiché des paroles de chansons « emo » sur les médias sociaux, ce que chaque jeune âgé de 13 ans fait au moins 12 fois par jour. Le robot génère un rapport pour le directeur de l'école et la police. Ce genre d'outil ne peut remplacer les expériences et les rapports si précieux que vous avez décrits. Voilà où se trouvent les solutions.
En règle générale, lorsqu'on regarde les jeunes qui risquent d'être victimes de violence, il y a déjà eu plusieurs signalements aux agences de protection des enfants, ainsi que plusieurs tentatives d'intervention. Nous ne manquons pas à nos obligations envers ces enfants parce que nous ignorons qui ils sont; nous manquons à nos obligations parce que nous n'investissons pas suffisamment dans les services de santé mentale pour les enfants. Nous manquons à nos obligations parce que nous ne prenons pas leurs préoccupations au sérieux. Nous les laissons aller sur Internet et nous nous attendons à ce qu'ils réussissent à naviguer dans cet espace commercialisé tout seuls. Il me semble que la technologie n'a pas d'utilité. Ce sont les rapports qui comptent.
Bien souvent, lorsque les gens me demandent: « Que peuvent faire les parents? Quelle est la mesure de protection la plus efficace que je peux prendre? Vous ne voulez pas que j'espionne mon enfant, mais qu'est-ce que je peux faire? J'ai tellement peur. » Beaucoup de parents se trouvent dans cette situation. Prenez un repas avec vos enfants. C'est la mesure de protection la plus importante, se retrouver en famille autour d'un repas le soir, pas dans la voiture en route vers un match de soccer, mais s'asseoir ensemble.
Nous devons oublier les solutions technologiques et se souvenir que nous avons beaucoup d'expérience pour régler ce genre de problèmes. Ce dont nous avons vraiment besoin de parler, c'est là où nous investissons nos ressources pour créer ces technologies, afin que nous puissions innover et créer d'autres ressources, ou encore investir dans les services de santé mentale destinés aux jeunes, afin qu'ils puissent grandir et s'épanouir.
J'ai une petite question pour Mme Bivens.
Puisque le problème est présent dans le logiciel, comment ferait-on pour en changer la conception?
Nous devons changer la façon dont les gens envisagent la conception, d'abord, et ensuite regarder le processus de conception. Ce qu'on voit dans la documentation, c'est un concept qui s'appelle i-design. On conçoit des choses pour soi-même, ou presque. Si la plupart des concepteurs sont des hommes blancs en bonne santé, par exemple, ils vont concevoir des produits pour des gens qui leur ressemblent. Si ce sont des adultes, ils ne conçoivent pas leurs produits pour des enfants.
Je me ferai l'écho des excellents propos de Valerie. La technologie n'est pas une solution facile. On ne peut la considérer de cette façon; toutefois, il y a énormément de technologies qui existent que nous pouvons améliorer et changer. Selon la nature du problème, il nous faut effectivement plus de conseillers en santé mentale, voire même de counselling entre les pairs, et nous devons parler davantage avec les gens.
Merci à vous deux d'être venues. Quelle séance intéressante. Si vous voulez transmettre d'autres renseignements au Comité dans la foulée de ces questions, je vous invite à les envoyer à la greffière.
Merci encore d'être venues.
Nous allons lever la séance pendant deux minutes afin d'être prêts à accueillir le deuxième groupe de témoins.
Nous reprenons pour accueillir notre deuxième groupe de témoins.
Nous sommes ravis aujourd'hui d'accueillir deux témoins intelligents, si j'ose dire. Nous entendrons Angela Marie MacDougall, directrice générale de Battered Women's Support Services de la Colombie-Britannique, et Rona Amiri, la coordonnatrice de la prévention de la violence de cette organisation.
Dee Dooley, coordonnatrice des programmes jeunesses de YWCA Halifax, témoignera par vidéoconférence. Elle a notamment reçu le Prix du Gouverneur général en 2015 en commémoration de l'affaire « Personne ».
Bienvenue et merci d'être venues.
Nous commencerons par les déclarations préliminaires de 10 minutes.
Ce sera Angela Marie MacDougall qui ouvrira le bal.
Merci beaucoup de m'avoir présentée, et bon après-midi à tous.
Je remercie le Comité de m'avoir donné l'occasion de vous parler cet après-midi. Je suis honorée de me retrouver ici dans le magnifique territoire algonquin. Nous venons d'arriver du territoire de la côte Salish, où il fait tout aussi beau qu'ici, et nous sommes ravies d'être parmi vous aujourd'hui.
Nous sommes heureuses de pouvoir vous parler de la violence contre les jeunes femmes et les filles et de parler de la cyberviolence à l'égard des femmes. Nous nous intéressons particulièrement à ce sujet et à votre travail, notamment parce que notre organisation s'est engagée à lutter contre toute violence dirigée contre les femmes.
J'ai pris le temps de revoir le rapport de la Commission royale d'enquête sur la situation de la femme au Canada, de songer à notre situation en 2016 et de penser également à comment la cyberviolence contre les femmes se situe par rapport aux efforts de lutte pour l'égalité des femmes au Canada.
Lorsque nous pensons à la cyberviolence dirigée contre les femmes et les filles, nous voulons bien sûr reconnaître et comprendre les rapports qui entourent la violence dirigée contre les femmes en général, ainsi que comprendre que c'est une épidémie omniprésente et endémique qui remonte, à notre avis, à la naissance même du Canada comme pays. Pour en venir à bout de la cyberviolence contre les femmes et de son incidence et ses manifestations pour les jeunes femmes et les filles, nous faisons la comparaison avec un fil parmi de nombreux fils qui sont tissés ensemble. Ces fils évoquent, de façon concrète, la façon dont les filles et les femmes peuvent occuper une place égale au Canada.
Comme nous l'avons entendu plus tôt aujourd'hui, mais également lors de d'autres réunions de votre Comité, nous parlons d'Internet. Pour moi, Internet c'est encore un autre milieu, un nouveau territoire, si vous voulez, qui offre certainement d'excellentes occasions pour sensibiliser, communiquer, obtenir des renseignements, faire participer, rassembler et s'exprimer. C'est également un endroit où certains aspects problématiques du comportement humain sont en train de s'épanouir. C'est un défi pour nous lorsque nous songeons à la façon de lutter contre la cyberviolence dirigée contre les femmes, de reconnaître que dans une grande mesure, nous en sommes toujours à lutter contre la violence dirigée contre les femmes dans un contexte élargi. Il faut faire attention lorsqu'on distingue un aspect sans tenir compte du contexte, car il faut en tenir compte.
Notre organisation, Battered Women's Support Services, a consacré beaucoup de temps à offrir de la formation sur les médias et à en souligner l'importance, en ce qui concerne la publicité et les médias d'information, et nous voulons aider les jeunes personnes à en faire une analyse critique. Dans le cadre de nos efforts d'éducation sur les médias, nous avons parlé avec de nombreuses jeunes femmes qui voulaient nous faire part de leurs expériences de cyberviolence. Nous avons donc effectué de la recherche auprès des femmes qui faisaient appel à nos services au sujet de la cyberviolence dirigée contre les femmes et des façons dont elles subissaient des violences en ligne, et également de la façon dont leur conjoint violent utilisait les outils en ligne pour les harceler et les brimer.
Malheureusement, à Vancouver, il y a eu une série d'agressions sexuelles commises par des étrangers, sans lien les unes entre les autres. Les femmes de notre ville ont peur, et cela nous donne de très bons renseignements sur la façon dont la violence dirigée contre les femmes les subjugue et créée le sentiment de ne plus être en sécurité dans les espaces publics. Nous ne pouvons pas écarter ce facteur lorsqu'on parle de l'espace en ligne. Lorsque nous cherchons à lutter contre la violence dirigée contre les femmes, il faut absolument reconnaître que c'est un milieu où ce genre de comportement est en plein essor.
On fait toujours des efforts, bien sûr, pour faire valoir la primauté du droit et le maintien de l'ordre public lorsque nous parlons de ce type de comportement. Nous aimerions aborder certains de ces problèmes d'une façon plus compréhensive, et nous ne pensons pas qu'il faudrait miser uniquement sur les outils juridiques. Il faut faire très attention à la façon dont nous cherchons des réponses axées sur la communauté.
Nous avons des pratiques très importantes et, à mon avis, très prometteuses, qui visent à appuyer les jeunes gens pour les aider à naviguer dans ce milieu, à faire valoir le respect dans les relations, à soutenir les survivantes, et à montrer aux garçons et aux hommes leur responsabilité pour ce qui est de modérer non seulement leur comportement mais également le comportement de leurs pairs.
Je vais maintenant céder la parole à ma collègue Rona Amiri, qui vous parlera de notre travail.
Les trois domaines qui sont à nos yeux les plus encourageants en ce qui concerne nos pratiques sont la formation de base offerte aux hommes pour mettre une fin à la violence, l'engagement communautaire et nos programmes antiviolence pour les jeunes. Notre formation destinée aux hommes pour mettre fin à la violence est essentiellement une formation de base conçue pour des hommes afin de leur fournir suffisamment de connaissances et de capacité d'analyse concernant la violence à l'égard des femmes pour qu'ils puissent devenir des leaders masculins positifs dans leur communauté.
Nous évaluons également les hommes bien connus qui font ce travail. Il est important de s'assurer qu'ils sont fidèles au message et se font évaluer par des organisations féminines et des femmes qui oeuvrent dans ce domaine.
Dans le cadre de notre programme d'engagement communautaire, nous faisons participer diverses communautés, comme le quartier Eastside du centre-ville de Vancouver et diverses communautés des Premières Nations. C'est un engagement à long terme qui comprend la formation, la sensibilisation, la prévention et l'intervention.
En dernier lieu, j'aimerais vous parler de notre programme antiviolence pour les jeunes, car j'en suis la coordonnatrice. C'est essentiellement un programme de prévention de la violence. Il est dirigé par des pairs, et ce sont donc des jeunes qui animent des ateliers destinés à d'autres jeunes sur la violence dans les fréquentations, la violence sexiste et la cyberviolence. Les activités sont de nature pratique et nous travaillons en groupes. Les jeunes apprennent beaucoup de définitions et ce genre de choses. C'est très important, car bien souvent, et je crois qu'on l'a dit plus tôt, le terme intimidation est utilisé pour la violence sexiste, et il est donc important d'en faire l'analyse dans ce contexte.
Je me rends dans les écoles où je parle aux enseignants, et nous savons qu'il y a des programmes qui s'adressent aux deux sexes sur la violence dans les fréquentations. Lorsque je me rends dans les écoles, les enseignants nous remercient parce que nous avons des experts qui peuvent en parler et ils n'ont pas à en assumer la responsabilité tout seuls. Nous parlons des différences entre les sexes, ce qui est très important, bien sûr.
Il m'est arrivé que de jeunes femmes viennent nous voir à la fin de l'atelier pour nous dire qu'elles ont été victimes de cyberviolence et qu'elles ne savaient pas que c'était répréhensible, ni qu'elles pouvaient en parler avec quelqu'un. Ensuite, nous étions en mesure de leur offrir des services ou de les mettre en contact avec Battered Women's Support Services, car bien sûr nous offrons beaucoup de services de première ligne. Nous les aiguillons vers les professeurs ou les conseillers de leur école afin que ces gens sachent que c'est un problème et qu'il y a des choses qu'ils peuvent faire pour arrêter ou prévenir le phénomène.
Voilà mon expérience.
Merci beaucoup. C'était très instructif.
Nous allons maintenant céder la parole à Dee Dooley.
Madame, vous disposez de 10 minutes, allez-y.
Madame la présidente, mesdames et messieurs les membres du Comité, mes formidables collègues de Battered Women's Support Services.
Merci beaucoup pour votre invitation à témoigner devant le Comité permanent de la condition féminine et à discuter d'une question qui me concerne beaucoup sur les plans personnel et professionnel, la cyberviolence envers les femmes et les filles.
Je me rappelle très bien le début des communications en ligne et par les médias sociaux ainsi que l'avènement d'Internet. Quand j'étais en 6e année, ICQ et MSN Messenger sont devenus la norme dans les communications entre amis et jeunes du même âge. Ç'a aussi ouvert la porte d'un nouvel univers. C'est aussi devenu des plateformes permettant de répandre rumeurs, commérages et commentaires haineux dans un auditoire immense.
Quand j'étais en 10e année, la popularité de LiveJournal a augmenté. Cette plateforme permettait de s'exprimer davantage, grâce à l'écriture d'un journal en ligne, au blogage et à un site permettant de se mettre en rapport avec des personnes de partout dans le monde qui partageaient des intérêts semblables. Cependant elle a aussi ouvert la porte au harcèlement public, à la pression de l'opinion et à l'intimidation. Facebook a été lancé pendant ma première année d'études universitaires. Cet endroit qui permettait de se lier à ses semblables, d'échanger des photos et de rester en rapport avec des amis de différents endroits sur la Terre n'a pas empêché l'augmentation du nombre de violations de la vie privée et n'a pas conduit à prendre au sérieux les dénonciations du harcèlement et de la violence.
Internet et les médias sociaux constituent pour les jeunes qui veulent y naviguer un paysage très complexe. Alors que les percées de la technologie multiplient les possibilités de communiquer avec le monde, chacun de ses utilisateurs trouve à sa portée immédiate un ensemble tout à fait nouveau d'outils pour perpétuer et masquer la violence.
La cyberviolence et la cybermisogynie sont omniprésentes dans la culture technologique évoluée dans laquelle nous baignons, mais, disons-le, la surveillance patriarcale des femmes et des filles remonte bien avant qu'Internet et les médias sociaux ne l'aient facilitée. Non seulement les femmes, les transgenres et d'autres sexes marginalisés vivent-ils — vivons-nous en somme — dans la crainte chez eux, au travail, dans les espaces publics, les écoles et les institutions censées les protéger, les instruire, les soigner et leur dispenser la justice, mais, maintenant, c'est dans le cyberespace aussi.
Le cyberespace devient de plus en plus l'endroit où on travaille, fait des courses, entre en rapport les uns avec les autres, joue, apprend et, très souvent, il devient lieu de violence et d'oppression. Une grande partie de la violence qui se manifeste en ligne est sexualisée et enracinée dans des normes misogynes, le racisme, le capacitisme, l'homophobie, la transphobie, le classisme et la violence coloniale. Comme on pouvait s'y attendre, elle vise souvent les lieux créés par ces tranches de la population pour parler contre la violence et l'oppression, relater leurs expériences en la matière et préconiser la justice sociale et elle s'y manifeste souvent.
Je tire ma compréhension de la cyberviolence et de la cybermisogynie de mon travail de coordonnatrice des programmes jeunesse au YWCA Halifax et de ma participation à l'équipe de conseillers du Projet déclic de YWCA Canada. Dans ce rôle, je gère Safety NET, une stratégie de ma province visant à combattre la cyberviolence envers les jeunes femmes et les filles. Nous avons parlé à plus de 200 jeunes et à 20 fournisseurs de services de la province pour apprendre directement d'eux à quoi ressemble la violence en ligne et comment mieux aider celles qui y survivent et contribuer à un changement systémique durable.
Après que les chants appelant au viol par des étudiants de l'Université Saint Mary's sont devenus viraux, après l'affaire du Gentlemen's Club de l'école de dentisterie Dalhousie et après l'agression et la mort de Rehtaeh Parsons, la cyberviolence est devenue pour notre région un sujet à régler particulièrement urgent.
Même si la cyberviolence, particulièrement contre les femmes et les filles, est omniprésente, elle est mal comprise du grand public, des fournisseurs de services et des décideurs. Je suis si heureuse de vous communiquer ce que nous avons appris grâce à notre projet Safety NET et de vous communiquer des pratiques prometteuses, trouvées principalement par les jeunes, qui peuvent aider à prévenir et à réprimer la violence sexuelle en ligne.
Mais avant, je veux vous dire que les idées radicales mènent à des changements radicaux. Pour vraiment combattre la violence en ligne et toutes les formes de violence sexuelle, nous devons parvenir à des transformations culturelles qui changeront notre perception des femmes, des transgenres et des autres sexes marginalisés et la valeur que nous leur accordons.
Nous avons besoin d'un investissement durable et d'un véritable engagement de la part de toutes les parties prenantes, y compris de leur volonté de changer les systèmes inefficaces.
J'ai tellement bon espoir que nous sommes sur la bonne voie grâce à la stratégie fédérale contre la violence fondée sur le sexe qui a été lancée cet été et grâce à votre étude sur la violence dans la vie des femmes et des filles.
L'évaluation des besoins grâce à la stratégie Safety NET a débouché sur quatre recommandations principales:
Dans la province, le premier besoin reconnu a été celui d'une éducation sur la cyberviolence qui serait animée par des jeunes et celui de programmes communautaires. Ça signifie de vraiment valoriser les expériences et les points de vue des jeunes, des jeunes femmes plus précisément, et de canaliser leurs voix dans des programmes communautaires de base, de même que de parler explicitement des problèmes systémiques qui nourrissent la cyberviolence.
D'après moi, une grande partie de l'éducation sur la cyberviolence échoue précisément parce qu'elle omet ces actions. Les jeunes ont besoin d'espace pour discuter, apprendre entre eux et s'enseigner mutuellement les moyens de se protéger en ligne tout en accédant activement à la culture et à tout ce qu'elle offre. L'éducation du public, sa sensibilisation et la recherche sur la nature précise de la cyberviolence, sa fréquence, ses conséquences et ses effets ont aussi été reconnus comme des besoins importants.
Les jeunes et les partenaires dans la communauté ont parlé de la nécessité de collaborer avec des joueurs clés, particulièrement dans le domaine de la justice et de l'éducation, pour mettre sur pied, pour les survivantes de la cyberviolence, des systèmes de réponse adaptés aux traumatismes subis. Il faudrait notamment éviter les réactions de blâme à l'endroit des victimes et celles qui préconisent simplement de décrocher de la technologie et des médias sociaux. Elles sont tellement nocives.
Enfin, les gouvernements et les organisations communautaires devraient collaborer avec les médias sociaux et les organismes axés sur les médias à l'élaboration de lignes directrices et de protocoles offrant une meilleure protection aux usagers. Une activité soutenue permettant d'obtenir l'adhésion de ces compagnies est un élément nécessaire de la mise en place d'une sécurité plus grande en ligne.
Encore une fois, je vous remercie de l'invitation que vous m'avez lancée de participer à votre examen de la cyberviolence. J'ai hâte de me mêler à la discussion et je vous sais gré de reconnaître ainsi officiellement le fait que la violence en ligne entrave l'équité pour les femmes et les filles.
Je conclus mes observations avec le sentiment que si Internet peut maintenir et faciliter l'oppression et la violence, c'est en même temps le remède qui peut nous aider à les combattre et à militer pour un monde plus sûr, plus stimulant pour les femmes et les filles dans toutes leurs identités croisées.
Merci.
Merci beaucoup, madame Dooley. C'était excellent.
Commençons les questions par mon amie libérale, Mme Damoff.
Merci. Je vais partager mon temps avec Mme Ludwig.
Je remercie tous les témoins d'être ici et de nous renseigner.
Madame Amiri, vous avez écrit sur la contribution de l'hypersexualisation des jeunes femmes à la violence contre les femmes. Je me demande si vous pouvez nous renseigner à ce sujet, si vous voulez bien.
Absolument.
Nous savons que la chosification des filles et des femmes peut engendrer la violence contre elles. Il est plus facile de violenter la personne réduite à l'état d'objet. C'est beaucoup plus facile avec les filles perçues comme chosifiées ou hypersexualisées. Une partie de nos sujets de discussion dans nos ateliers est le décodage de la compétence médiatique dont Angela a parlé. Il vise à comprendre ce à quoi elle ressemble, ce qu'elle signifie et comment les filles peuvent se sentir puissantes en étant sexuelles sans être chosifiées.
Nos groupes sont mixtes, garçons et filles. Les animateurs, qui sont du même âge, appartiennent aussi aux deux sexes.
Merci.
Madame Dooley, notre amie de Halifax, je me demande si vous pouvez nous indiquer les tactiques que vous recommandez pour réduire la cyberviolence envers les jeunes femmes et les filles. Notre Comité est à la recherche de tactiques utiles. En avez-vous à nous proposer, dont vous avez constaté l'efficacité?
Comme je l'ai dit, le premier besoin directement cerné grâce aux recommandations des jeunes est celui d'une éducation communautaire. En Nouvelle-Écosse du moins, un cours porte sur la cyberviolence, mais une approche communautaire est perçue par eux comme vraiment nécessaire à leur apprentissage. Je pense qu'il importe vraiment de mettre en place un endroit sûr, à l'abri de la honte. Une grande partie de l'éducation qu'ils reçoivent sur la cyberviolence les prévient de ne pas fréquenter les médias sociaux et attribue le problème à leurs comportements. Il importe vraiment de s'apercevoir que le problème est systémique, qu'il n'est pas individuel.
Il faut s'attaquer aux causes premières. Le gouvernement a accompli un travail formidable à cet égard. J'ai eu le privilège de participer à certaines des consultations, cet été, et je pense qu'on déploie un véritable effort pour s'attaquer aux causes systémiques de la violence. Ce serait une tactique vraiment importante. Le financement doit être durable. Je rédige beaucoup de demandes de subventions pour notre organisation et je collabore avec beaucoup de partenaires communautaires qui se trouvent dans des situations semblables. Je sais donc que le financement durable est un enjeu important.
Notre projet biennal Safety NET nous a permis de nous attaquer pendant un certain temps à ce problème. Mais qu'arrive-t-il ensuite? À moins de trouver d'autres sources de financement, nos jeunes protégés se retrouvent privés d'accès à l'aide communautaire à la fin du projet.
Voilà donc deux enjeux importants pour lesquels beaucoup d'organismes sans but lucratif se démènent, pas seulement ceux qui combattent la cyberviolence, mais toutes les formes d'oppression.
Je vous remercie toutes pour vos excellents exposés, y compris les premiers témoins. Ensemble, ils permettent certainement de faire le tour de la question.
Madame Dooley, vous avez parlé des difficultés systémiques touchant la cyberintimidation. J'ai dressé la liste de trois sujets de préoccupation, et peut-être pouvez-vous m'aider à voir si je prends la bonne direction. L'un des sujets est les politiques scolaires, plutôt uniformes pour tous. Si un élève signale un cas de cyberintimidation ou d'intimidation dans la classe, l'école est en général tenue de réagir d'une façon et elle doit en répondre.
Deuxièmement, vous avez parlé de cours et encore une fois, c'est certain, c'est ordinairement un cours centralisé et non individualisé.
Troisièmement, et je voudrais en discuter avec vous toutes, les budgets. Je sais que ça ne cadre pas vraiment avec le sujet. Je me demande si vous constatez qu'il est souvent facile de créer un poste budgétaire pour la technologie dans un cours scolaire, et je le sais parce que j'ai fait partie du milieu de l'éducation pendant près de 25 ans, tandis qu'il y a très peu d'argent sinon pas du tout pour la santé mentale ou la santé générale des élèves.
Je me demande si Mme Dooley peut répondre la première, puis ses consoeurs ici présentes.
Je vous remercie de soulever cette question. L'établissement de budgets est reliée très étroitement à tout notre travail et je pense qu'il concerne les priorités. Quand la politique est élaborée et appliquée, quelles sont les priorités? Pourquoi l'affectation de fonds à la technologie est-elle plus importante que le financement de moyens pour favoriser la santé mentale? Je pense que nous devons entamer une discussion avec toutes les parties prenantes, particulièrement les jeunes. Ils seront les premiers à m'exposer, à vous exposer leurs besoins. Encore une fois, ça concerne les priorités et l'écoute des personnes directement touchées, les écoliers et les jeunes privés des appuis nécessaires.
Dans un article récent du Globe and Mail intitulé « Où trouver les élèves intimidateurs? Pas où on s'y attendrait », l'auteur a examiné les antécédents des élèves. Il a écrit, par exemple, qu'une étude a prouvé que l'intimidation touche beaucoup moins les écoles où on trouve plus d'élèves issus de l'immigration, particulièrement plus de 20 % nés à l'étranger, si on se fie aux élèves, aux enseignants et aux parents.
Je vis dans l'Est. Je sais bien que la population n'y est pas très diversifiée. Mais dans une ville comme Vancouver certainement, avez-vous entendu quelque chose sur l'ethnicité, la race ou les antécédents par rapport à la cyberintimidation ou à l'intimidation tout court?
il nous est toujours difficile de nommer le problème, mais un facteur de la violence et de ses effets est en partie attribuable à la stratification démographique du Canada; il existe une stratification raciale. Cet article ne m'étonne pas pour ce que nous constatons dans les communautés issues de l'immigration. Bien sûr, on croit qu'elles subissent plus de violence et que la violence envers les femmes y est plus forte. Le démenti de l'article ne m'étonne pas. Il circule beaucoup de mythes sur les lieux où la violence s'exerce, où les comportements problématiques se trouvent. Ces perceptions aux fondements très racistes remontent aux origines du pays. La colonisation anglaise et française a clarifié nos idées sur les strates sociales et sur la façon de percevoir les gens qui y appartiennent.
J'aime cette analyse...
Mes questions concernent davantage les aspects juridiques et législatifs. Mes antécédents sont en sociologie, mais, en fin de compte, il y a le législateur. C'est sur lui que je vais concentrer mes questions, si vous voulez bien.
Dans le rapport de votre organisation sur la cyberviolence, vous exposez notamment la nécessité de réformes juridiques. Voici une citation: « Il n'y a même pas de définition de ''cyberharcèlement'' au sens du Code criminel, comme dans d'autres pays ». Le rapport affirme que cette lacune a empêché la loi de protéger les femmes contre la cyberviolence.
Ça m'a fait réfléchir. D'après vous, que faut-il modifier dans la loi pour amener les femmes à dénoncer ce qui leur est arrivé et leur donner l'aide nécessaire pour corriger les situations dont elles souffrent, pour obtenir justice?
Il est utile de nommer le problème et d'en parler dans la loi. La difficulté, ensuite, est que c'est une chose de légiférer et c'en est une autre d'appliquer la loi et de rendre ainsi justice à la dénonciatrice. Je suis consciente de l'importance de la loi. Mais nous sommes vraiment démunies devant les problèmes de violence envers les femmes, et la loi est incapable, en général, de répondre à la plupart des cas. Nous le constatons certainement dans la violence sexuelle.
C'est vrai, nous devons absolument l'aménager dans la loi. La difficulté, ensuite, est de recevoir les dénonciations, de faire enquête, puis, enfin, de rendre justice. Nous devons envisager tous les aspects. Il est survenu récemment des cas de violence sexuelle. Nous savons que, dans une forte proportion, ils ne sont pas dénoncés. Dans notre organisation, de jeunes femmes sont victimes de violence sexuelle de la part de leurs compagnons de sortie. Elles ne la signalent pas à la police. Alors même si une loi vise ce délit, il n'est pas signalé.
C'est une chose de légiférer. C'en est une autre de recevoir les dénonciations, de mener une enquête digne de ce nom et, à la fin, de rendre justice.
Si j'ai bien compris, il vaudrait mieux employer une terminologie très précise plutôt qu'une terminologie générale dans les lois qui visent ces situations?
Encore une fois, le rapport a fait une recommandation, que je lis:
Après examen de ce qu'on peut faire au moyen des lois sur la cybercriminalité, des lois sur la protection de la vie privée et des lois contre la pornographie infantile, ils concluent que l'inclusion de la cyberviolence dans les lois contre la violence envers les femmes serait l'orientation la plus efficace à adopter pour leur réforme.
C'est exactement ce que vous venez de dire. Je me demande si vous pouvez nous en dire un peu plus à ce sujet, uniquement parce que c'était, d'après moi, une partie essentielle du rapport et de ce qui en est ressorti.
Bien sûr. Ça provient vraiment des participants à la recherche.
Il s'agit de se faire entendre et de faire valider ce qu'on dit et d'obtenir justice de la part d'un symbole de l'autorité. Dans ce type de violence, on observe la disparité des pouvoirs et une réduction au silence. Il est très réconfortant d'avoir l'impression d'être cru par un symbole de l'autorité comme la loi ou la police et qu'il y aura des suites. Cette recommandation vient directement des participants. Ils désiraient que la loi reconnaisse ce qu'ils avaient vécu ou, du moins, ils voulaient avoir la possibilité d'accéder au système juridique et d'obtenir justice.
Merci.
Dee, je suis très désireuse de vous faire participer à cette discussion sur la terminologie juridique. Avez-vous une observation à ce sujet? Quel est votre point de vue?
Oui, absolument. Je suis d'accord en tout point avec les propos de ma consoeur. Vous savez peut-être que la Nouvelle-Écosse, il y a quelques années, a essayé d'adopter un projet de loi contre la cyberviolence qui a fini par être rejeté. Il est important de valider l'expérience des femmes sur le harcèlement en ligne en l'assimilant à de la violence.
Dans le cas de ce projet de loi, on a accordé la préséance à la liberté de parole des hommes sur le vécu de la violence par les femmes. La loi devrait être limpide sur la nature de la cyberviolence, de ses manifestations précises, de ses répercussions dans les différents groupes de la société, pour que nous puissions éviter désormais ce genre de conflit.
Si, pour de nombreuses raisons, la liberté de parole est importante, il y a une ligne à ne pas franchir. À un certain point, le discours devient haineux, et c'est déjà visé par le Code criminel. Ce pourrait être une excellente chose de souligner de quelles manières la cyberviolence et les discours haineux vont de pair et touchent les femmes et les filles.
Merci, madame la présidente.
Merci à vos deux organisations, des côtes est et ouest. Vous faites du très beau travail sur le terrain, dont nous allons vraiment profiter. J'applaudis aussi à votre participation au projet de Plan d'action national du Canada sur la violence faite aux femmes et aux filles. Le Nouveau Parti démocratique s'est fortement engagé à faire pression pour faire adopter une approche nationale.
Je vais vous demander à vous deux de nommer les causes sous-jacentes de la violence, qui, dans ce cas, s'exprime par la cybermisogynie. Je suis désireuse de connaître votre point de vue sur le réseau d'appuis dans l'ensemble du pays, ceux qui s'attaquent aux causes premières de la violence — pauvreté, logements abordables, et ainsi de suite — de même qu'aux réponses qui tendent à être données par les provinces. Comment pouvons-nous harmoniser ces réponses en l'absence d'approche nationale?
Cet été, en assistant aux consultations sur la violence fondée sur le sexe, j'ai appris que les 8 ou 10 ministres, fédéral ou des provinces, dont le mandat comprend la lutte contre la violence envers les femmes, n'ont jamais la chance de se réunir. Je pense qu'il faut favoriser cette chose indispensable. Il importe vraiment de collaborer et de veiller à ce que les services offerts n'oublient personne, aucune communauté ni aucune organisation.
Comme je l'ai dit, il est indispensable de s'attaquer aux causes premières de la violence, pour que nos stratégies aillent de l'avant. Le mouvement féministe et les organisations féministes ont été sur la première ligne de ce travail pendant des décennies. À Halifax et en Nouvelle-Écosse, du moins, il existe un réseau solide d'organisations féminines qui collaborent entre elles avec peu de fonds et de ressources, mais nous veillons à conserver l'élan et nous faisons avancer le dossier pour être en mesure de nous attaquer aux causes premières de la violence systémique dans le cadre de notre travail auprès des provinces et de l'État fédéral. Je pense que ce sera efficace sur les deux plans.
Simplement pour rejoindre la position de Mme Dooley, nous avons, à Vancouver et en Colombie-Britannique un réseau dynamique d'organisations féminines et communautaires qui fournissent des services aux victimes et, souvent, nous travaillons dans plusieurs provinces. La Toile y est. Je pense que nous avons besoin d'une stratégie nationale ou d'oeuvrer à la création d'une stratégie nationale pour continuer à démultiplier la capacité des réseaux dynamiques qui existent déjà et créer des occasions pour nous de faire connaître nos pratiques prometteuses et nos méthodes. Les organisations de notre réseau provoquent toutes sortes de changements incroyables en matière de formation, de prestation de services et de défense des victimes sur le plan systémique et juridique. Le résultat, ensuite, est étonnant.
Nos solutions donnent actuellement des résultats. Nous avons seulement besoin de trouver des façons de les extrapoler à une plus grande échelle, ce qui, en fin de compte, signifie de faire confiance aux organisations féminines qui font le travail depuis plus de 40 ans et de se servir de nous toutes comme d'une ressource pour, grâce au travail individuel et au réseautage, renforcer considérablement ces réseaux.
Nous connaissons les solutions. Nous les appliquons déjà de manière étonnante. Nous avons besoin d'appuyer leur extrapolation.
Merci.
Pouvez-vous m'en dire un peu plus sur votre expérience, encore une fois? Ça va très bien sur les côtes est et ouest et nous savons à quel point vous travaillez fort dans les provinces. Pouvez-vous parler un peu de l'éventuelle réaction de la police ou des écoles aux victimes de violence dans différentes régions? J'essaie simplement de me faire une idée de la possibilité d'obtenir un accès égal à la protection et à la justice, peu importe l'endroit où on naît au Canada.
Parlons d'abord de la police. Nous avons beaucoup à faire auprès des policiers, dans tout le Canada. Les polices municipales font, de différentes façons, du travail très intéressant sur les questions de violence envers les femmes et de cyberviolence, et les groupes communautaires le leur disent. Une difficulté, bien sûr, provient de notre police nationale. Je pense que la GRC éprouve des difficultés, en partie parce que c'est une police nationale. Voilà pourquoi je voudrais faire la distinction entre les deux et reconnaître l'existence de certaines différences.
J'ignore si vous voulez parler des écoles.
L'autre aspect, je pense, concerne ces filles et ces jeunes femmes qui éprouvent des préjudices en ligne et aussi de la part de leurs compagnons de sortie, préjudices qui peuvent ensuite déboucher sur des manifestations en ligne de la cyberviolence. Nous voulons continuer d'envoyer ce message. Je pense que quelqu'un a parlé des politiques et des difficultés qu'elles présentent. Le sujet est ardu. Nous en avons certainement eu une connaissance pratique. Les enseignants s'engagent dans une voie en raison de l'obligation de signaler les infractions. Bien sûr, personne ne dit que ce n'est pas important. J'en suis toujours très consciente, parce que si nous voulons nouer des relations et si nous nous concentrons uniquement sur l'objectif final, qui est l'obligation de signaler, nous ratons alors beaucoup de choses entre les deux. Qu'en est-il de cette fille et de sa communauté, les jeunes de l'école, et qu'en est-il vraiment de la priver d'une si grande partie de son pouvoir?
Voilà ce dont nous nous occupons, certainement de la violence des compagnons de sortie, parce que nous travaillons avec les victimes, et il y a aussi la façon par laquelle la violence est maintenant arrivée en ligne. Ça reste un vrai problème. Même dans nos ateliers, nous sommes interpellés par des enseignants qui se démènent eux-mêmes pour essayer de comprendre ce problème. Parfois, ils s'insinuent dans la discussion d'une façon qui n'est pas utile, mais nous travaillons avec ça.
Merci beaucoup. Je céderai quelques minutes à mon collègue.
Je remercie nos témoins. Il est très bon que vous soyez ici. Vos témoignages ont été très intéressants.
Madame Dooley, il est bon de vous revoir. Je vous ai rencontrée brièvement à la résidence du gouverneur général.
Je suis un jeune adulte, mais, néanmoins, j'appartiens à une génération qui a vraiment rendu difficiles les démonstrations d'appui aux féministes et aux droits des femmes par les jeunes hommes et les garçons. Ce n'était pas masculin de le faire et ce n'était pas cool.
Rona, votre description du programme sur les hommes qui travaillent à mettre fin à la violence m'a beaucoup fasciné. Y a-t-il une façon de stimuler l'adhésion du public, ou le gouvernement fédéral possède-t-il des outils pour rendre ce programme plus accessible aux jeunes hommes et aux garçons?
J'ai fait beaucoup de travail, un travail vraiment encourageant sur le volet masculin. Effectivement, c'est l'objectif. Nous voulons en discuter d'une façon particulière. Nous avons pu collaborer avec des organisations communautaires qui ont inscrit tout leur personnel masculin à cette formation. Pour un résultat tout à fait fabuleux, parce que nous disposons de deux et de quatre jours, selon ce qui est disponible et nous pouvons aborder des sujets très importants touchant la culture masculine, la socialisation des hommes et la socialisation basée sur le sexe, de même que des sujets vraiment importants touchant la compétence médiatique et l'examen du rôle des hommes.
C'est une expérience personnelle. Ils examinent leur propre développement social et leurs propres rapports. Nous parlons de pornographie et nous nous faisons une idée de différents aspects des médias. C'est puissant, très efficace. Nous adorons vraiment cette méthode. Ce n'est pas une solution rapide ni un mot-clic. C'est un homme qui se dévoile et qui parle. Il faut un engagement long et profond. Jusqu'ici, les résultats sont excellents.
Excellent.
Madame Dooley, sur le rôle que joue le blâme des victimes dans notre société, est-ce un problème qui peut ne pas être propre aux jeunes femmes et aux filles mais qui pourrait peut-être être fréquent dans leur cas?
De manière anecdotique, je sais que, dans ma propre communauté, il est apparu un comportement terrible, la communication d'images privées sans le consentement des principales intéressées, accompagnées d'une carte montrant les localités où elles vivent. Le public a manifesté sa désapprobation et jugé l'auteur blâmable, mais si ce comportement apparaît dans une école secondaire, on excuse les jeunes hommes, prétextant que c'est leur nature, qu'ils ignorent ce qu'ils font et que, pour commencer, l'image n'aurait pas dû être publiée.
D'après vous, blâme-t-on plus souvent les victimes féminines?
Dans la cyberviolence, ce pourrait être vrai. Le blâme de la femme ou de la fille victime de n'importe quelle forme de violence est tellement fréquent. Je sais cependant qu'on a blâmé des femmes d'âge mûr et des personnes âgées victimes de cyberviolence et de diffusion non consensuelle d'images. C'est vraiment une tentative de contrôle de la sexualité féminine. Dans le cas des jeunes femmes et des filles, ce pourrait être d'autant plus évident qu'elles sont jeunes.
Les victimes féminines sont souvent blâmées à n'importe quel âge, mais c'est sans contredit pire pour les jeunes femmes et les filles. Je l'ai vraiment constaté dans mon travail. Je travaille surtout auprès de jeunes femmes, celles de moins de 19 ans. Toutes celles qui me demandent mon appui sur des questions de cyberviolence ont subi ce blâme d'une façon ou d'une autre, et cela avait beaucoup rapport avec le contrôle de leur sexualité et avec des notions d'âge, d'impureté et de honte.
Merci, monsieur Fraser.
Je vous remercie pour vos exposés. J'ai deux questions et je ne suis pas sûr si vous avez le temps d'y répondre, mais vous le pourrez peut-être plus tard.
Dans une étude ayant porté sur 36 pays, le Canada se classe au 9e rang pour l'intimidation chez les 13 ans. D'après vous, quelle est la cause? Est-ce la dénonciation des incidents?
L'autre question porte sur le point de vue des Autochtones vivant dans les villes et sur l'appui dont ils ont besoin par rapport à ceux qui vivent dans une communauté autochtone. Quelles sont certaines des stratégies qui leur sont destinées?
Je l'ignore. C'est difficile à dire. Je ne peux pas parler de l'intimidation en général, mais de la violence fondée sur le sexe, celle des compagnons de sortie et celle qui est commise contre les filles et les femmes.
Encore une fois, comme Angela l'a dit, le Canada s'est construit sur ces bases. Ça se répercute chez les jeunes. Les stéréotypes sexuels, les médias, la pornographie montrant la violence aux jeunes, tout cela rend la chose normale.
À l'école, les jeunes pensent que c'est un comportement normal. Les jeunes hommes peuvent penser qu'ils ont le droit de jouir du corps des filles ou des femmes, qu'ils ont le droit, en tout temps, de les avoir à leur disposition, que ce soit à l'école ou en ligne. L'effet, je pense, est considérable. Encore une fois, il s'agit de changer nos idées générales sur les sexes et sur ce qui est convenable.
En ce qui concerne les Autochtones et la différence entre le milieu urbain, le milieu rural et la réserve, je pense qu'il vaudrait la peine que le Comité se limite à la violence contre les jeunes femmes et les filles et qu'il entende des témoins des collectivités autochtones qui viendraient ne parler que de ce sujet ainsi que du rapport, aussi, avec la cyberviolence. Quelques membres de notre conseil d'administration se sont éloquemment exprimés sur le sujet et ont beaucoup travaillé sur cette question en Colombie-Britannique, et ils pensent qu'il y intervient un facteur important d'exploitation et différents enjeux pour les filles et les femmes autochtones. Je pense qu'il est très important que nous continuions à mettre à la disposition des peuples autochtones un endroit où ils peuvent parler de ces expériences et chercher ainsi des solutions.
Déjà la fin, hélas! Ç'a été une séance formidable, et je tiens à vous remercier tous et toutes de votre participation.
Je tiens à répéter ce que j'ai dit à nos premiers témoins. Si des idées vous viennent à l'esprit du fait des questions posées ou si vous voulez communiquer des renseignements au Comité, veuillez les adresser à la greffière. Nous en serons heureux.
Merci encore d'être venues et merci aux membres du Comité.
Lundi nous accueillerons la société Rehtaeh Parsons. Leah Parsons sera aussi avec nous. Nous accueillerons aussi le Centre de prévention du crime chez les jeunes de la GRC avec quelques autres témoins. Ce sera donc une séance intéressante, et j'ai hâte de vous y voir.
La séance est levée.
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