FAIT Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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37e LÉGISLATURE, 2e SESSION
Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international
TÉMOIGNAGES
TABLE DES MATIÈRES
Le mardi 25 février 2003
¿ | 0905 |
Le président (M. Bernard Patry (Pierrefonds—Dollard, Lib.)) |
M. Terence Taylor (président et directeur général, «International Institute for Strategic Studies, United States») |
¿ | 0910 |
¿ | 0915 |
¿ | 0920 |
¿ | 0925 |
Le président |
M. Jocelyn Coulon (directeur, campus de Montréal, Centre Pearson pour la formation en maintien de la paix) |
¿ | 0930 |
¿ | 0935 |
Le président |
M. James Keeley (professeur de science politique, chercheur, «Centre for Strategic and Military Studies», Université de Calgary) |
¿ | 0940 |
¿ | 0945 |
Le président |
M. Marco Sassoli (professeur de sciences juridiques, Université du Québec à Montréal) |
¿ | 0950 |
¿ | 0955 |
À | 1000 |
Le président |
M. Stockwell Day (Okanagan—Coquihalla, Alliance canadienne) |
À | 1005 |
Le président |
M. Jocelyn Coulon |
Le président |
Mme Francine Lalonde (Mercier, BQ) |
M. Stockwell Day |
Mme Francine Lalonde |
À | 1010 |
M. Jocelyn Coulon |
M. Marco Sassoli |
Le président |
À | 1015 |
Mme Aileen Carroll (Barrie—Simcoe—Bradford, Lib.) |
Le président |
M. Terence Taylor |
À | 1020 |
Le président |
Mme Alexa McDonough (Halifax, NPD) |
M. Terence Taylor |
À | 1025 |
Mme Alexa McDonough |
M. Terence Taylor |
The Chair |
M. Murray Calder (Dufferin—Peel—Wellington—Grey, Lib.) |
Le président |
M. Terence Taylor |
À | 1030 |
Le président |
M. Jocelyn Coulon |
M. Murray Calder |
Le président |
M. Stockwell Day |
Le président |
M. Keith Martin (Esquimalt—Juan de Fuca, Alliance canadienne) |
À | 1035 |
Le président |
M. Jocelyn Coulon |
M. Terence Taylor |
À | 1040 |
Le président |
Mme Karen Redman (Kitchener-Centre, Lib.) |
M. Terence Taylor |
Mme Karen Redman |
M. Terence Taylor |
À | 1045 |
Le président |
M. Stéphane Bergeron (Verchères—Les-Patriotes, BQ) |
Le président |
M. Marco Sassoli |
À | 1050 |
Le président |
Mme Karen Kraft Sloan (York-Nord, Lib.) |
Le président |
M. André Harvey (Chicoutimi—Le Fjord, Lib.) |
Le président |
L'hon. Jim Peterson (Willowdale, Lib.) |
Le président |
M. Marco Sassoli |
À | 1055 |
Le président |
M. Jocelyn Coulon |
Le président |
M. Terence Taylor |
Le président |
M. Terence Taylor |
Le président |
M. Terence Taylor |
Á | 1100 |
Le président |
M. Jocelyn Coulon |
Le président |
M. Marco Sassoli |
Le président |
M. James Keeley |
Le président |
Le président |
Mme Alexa McDonough |
Á | 1110 |
Le président |
M. André Harvey |
M. Stéphane Bergeron |
Le président |
M. Keith Martin |
Á | 1115 |
Mme Alexa McDonough |
Le président |
L'hon. Art Eggleton (York-Centre, Lib.) |
Le président |
Mme Francine Lalonde |
Le président |
Mme Karen Kraft Sloan |
Á | 1120 |
Le président |
Mme Karen Redman |
Le président |
Mme Alexa McDonough |
Le président |
M. André Harvey |
Á | 1125 |
Le président |
M. Stéphane Bergeron |
Le président |
M. Stockwell Day |
Le président |
M. Keith Martin |
Le président |
Mme Francine Lalonde |
Le président |
Á | 1130 |
M. Bill Casey (Cumberland—Colchester, PC) |
Le président |
L'hon. Diane Marleau (Sudbury, Lib.) |
Le président |
M. Art Eggleton |
Le président |
M. Stéphane Bergeron |
Le président |
M. Stéphane Bergeron |
Le président |
Mme Francine Lalonde |
M. Stéphane Bergeron |
Mme Francine Lalonde |
Le président |
CANADA
Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international |
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l |
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TÉMOIGNAGES
Le mardi 25 février 2003
[Enregistrement électronique]
¿ (0905)
[Français]
Le président (M. Bernard Patry (Pierrefonds—Dollard, Lib.)): Nous allons débuter. Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, nous faisons une étude de la question de l'Irak.
[Traduction]
Nous recevons ce matin, de l'Institut international d'études stratégiques, section des États-Unis, M. Terence Taylor, qui en est le président; du Centre Pearson pour la formation en maintien de la paix, M. Jocelyn Coulon, directeur sur le campus à Montréal; de l'Université de Calgary, James Keeley, professeur de sciences politiques et chargé de cours au Centre des études stratégiques et militaires; et ensuite, de l'Université du Québec à Montréal, nous entendrons M. Marco Sassoli, professeur de sciences juridiques.
Nous allons commencer par M. Taylor, après quoi nous entendrons M. Coulon et M. Keeley, et le tout sera suivi d'une période de questions.
Monsieur Taylor, vous avez la parole.
M. Terence Taylor (président et directeur général, «International Institute for Strategic Studies, United States»): Merci beaucoup, monsieur le président.
Je suis vraiment ravi et honoré d'avoir l'occasion de prendre la parole aujourd'hui devant le comité permanent. Le sujet de nos discussions est une question qui va au coeur du débat sur la sécurité internationale, puisqu'il s'agit en fait de la question de la paix et de la guerre. Durant les 10 minutes dont je dispose, je vais vous parler des programmes d'armes de destruction massive de l'Irak, et ensuite des inspections de l'ONU.
À la lumière des récents rapports que les chefs des équipes d'inspection de l'ONU et de l'Agence internationale de l'énergie atomique ont remis au Conseil de sécurité, et dans le cadre du débat sur la question de savoir s'il y a lieu d'accorder davantage de temps aux inspections, il est très important, à mon avis, de revenir brièvement sur le processus antérieur d'inspection en Irak et de comprendre ce que les Irakiens avaient dans leur arsenal d'armes de destruction massive et ce qu'ils peuvent avoir maintenant. On a lancé beaucoup de désinformation en vue d'exagérer ou, tout aussi souvent, de sous-estimer la capacité de l'Irak. De plus, l'ancien processus d'inspection, la Commission spéciale de l'ONU et le dossier de l'AIEA en Irak ont trop souvent fait l'objet de distorsion et de mauvaise représentation, ce que je trouve regrettable. À titre d'observateur qui a été directement impliqué dans le dossier de l'Irak à plusieurs titres au cours de la dernière décennie, dans ma capitale, au ministère de la Défense, à titre de commissaire de la commission spéciale, en tant qu'inspecteur en chef sur le terrain, et aujourd'hui, bien sûr, comme membre d'un groupe de réflexion indépendant—je me retrouve donc encore une fois dans un mode différent dans ce dossier—, je vais essayer de vous communiquer certaines réflexions susceptibles de stimuler vos délibérations.
Peut-être que la plupart d'entre vous savent que l'institut dont je fais partie est une organisation indépendante et internationale qui ne prête allégeance à aucun gouvernement ni aucune entité politique. Nous ne sommes pas une organisation de défense des droits. Je pense qu'il est important de ne pas le perdre de vue. Notre mission est d'étudier les divers problèmes politiques, économiques et sociaux qui peuvent déboucher sur l'instabilité, ainsi que la coopération internationale. Nous avons des membres dans 100 pays autour du monde, des particuliers et des organisations issus de tous les milieux. Nous sommes une organisation à but non lucratif financée par nos membres. Nous sommes régis par un conseil international, notre siège social se trouve à Londres et nous avons des bureaux à Singapour et à Washington, D.C., où je travaille.
Les Canadiens ont toujours participé activement à notre institut. Lester Pearson a été le deuxième président de notre conseil. L'honorable Roy MacLaren est actuellement le représentant canadien à notre conseil. Nous avons rencontré le mois dernier le ministre de la Défense du Canada à Londres à l'occasion d'une séance d'information, et il assistera à la conférence sur la sécurité en Asie que nous organiserons à Singapour plus tard cette année, aux côtés d'autres ministres de la Défense de la région de l'Asie-Pacifique. Nous accordons une très grande valeur à l'apport canadien à notre organisation, qui a été considérable depuis le jour de notre fondation en 1958.
Les observations que je vais faire aujourd'hui sont en partie fondées sur un rapport que vous avez dans votre bibliothèque; je le sais parce que votre bibliothèque l'a commandé de mon bureau à Washington. Il s'agit de l'évaluation nette des armes de destruction massive de l'Irak réalisée par l'Institut. Une équipe internationale, une équipe indépendante qui n'est pas rémunérée par un gouvernement quelconque, a effectué une évaluation. Les membres de l'équipe venaient des États-Unis, de France, d'Allemagne, du Royaume-Uni, et je pense aussi de l'Australie, et c'est donc une évaluation tout à fait indépendante. Ce n'est pas bien sûr une évaluation politique, mais purement technique.
¿ (0910)
Nous avons essayé d'évaluer le plus précisément et le plus objectivement possible la capacité de l'Irak en matière d'armes de destruction massive. Il nous a été impossible de ne pas voir que l'Irak a fait tous les efforts possibles pour camoufler son passé, l'historique des programmes d'armement, pour faire obstruction au démantèlement de ses actifs actuels et pour conserver sa capacité en prévision de l'avenir. Tout cela est incontestable. Ce sont les faits. Et depuis que l'Irak a imposé la fin des inspections en 1998, les inspecteurs se sont retirés et les inspections sont devenues inutiles à partir de la fin de 1998. Il n'y avait aucune coopération et il ne servait donc à rien d'avoir des inspecteurs en Irak à ce moment-là. Les dirigeants irakiens avaient décidé que l'attention des principales puissances militaires mondiales était ailleurs, dans les Balkans à ce moment-là. Par conséquent, l'Irak était à l'abri de toute opération militaire sérieuse qui déstabiliserait le régime.
Il y a un certain nombre de questions qu'il ne faut pas perdre de vue dans notre réflexion sur ce sujet. La première est de savoir dans quelle mesure l'Irak a tiré profit de l'absence d'inspecteurs depuis 1998 pour commencer à reconstituer ses programmes. Bien sûr, les Irakiens ont poursuivi leurs programmes alors même que les inspecteurs se trouvaient là-bas. C'est un point important dont il faut se rappeler. J'en ai été témoin de mes propres yeux, à coup sûr pour ce qui est du programme d'armes biologiques. Je les ai vus rebâtir leurs installations, construire de nouvelles installations, sachant pertinemment qu'ils espéraient que nous ne découvririons pas ce qu'ils mijotaient.
Un autre facteur dont il faut tenir compte, c'est la mesure dans laquelle l'Irak a réussi à obtenir de l'aide étrangère grâce à des failles dans le régime de sanctions. C'est bien connu, et ils ont eux-mêmes reconnu avoir importé de l'équipement pour fabriquer des missiles. Hans Blix l'a signalé.
Il y a aussi la mesure dans laquelle l'Irak a pu mener des activités qui auraient échappé à des techniques de surveillance perfectionnées, des avions espions survolant le territoire à haute altitude et l'observation par satellite.
Un quatrième point est de savoir dans quelle mesure on peut encore se fier aux renseignements obtenus de transfuges au sujet des programmes de l'Irak. C'est une question très difficile. Il y a des transfuges importants qui ont donné de précieux renseignements à l'ONU et aux gouvernements, mais il y en a aussi un bon nombre qui sont peu fiables.
Les questions clés sont de savoir ce que le nouveau régime d'inspection amorcé le 29 novembre dernier permettra de découvrir, et à quelle vitesse ses travaux pourront progresser? Je pense que nous avons déjà une bonne idée du rythme auquel le processus d'inspection a pu progresser depuis environ 12 semaines.
Comme je l'ai dit, pour faire notre évaluation, nous avons fait appel à une équipe internationale. Je vais m'attarder à un ou deux points, sans entrer dans les détails, parce que j'imagine qu'on pourra le faire pendant la période des questions. Je rappelle que lorsque la résolution 687 a été adoptée par le Conseil de sécurité de l'ONU le 3 avril 1991, elle établissait les principales modalités d'un cessez-le-feu, qui comprenaient notamment, bien sûr, l'interdiction pour l'Irak de conserver des armes de destruction massive et les programmes, installations, etc., qui y sont associés. À ce moment-là, on a donné aux Irakiens 15 jours pour faire une déclaration complète et définitive, pour reprendre le titre du document qu'ils devaient remettre. Cette fois-ci, ils ont eu 30 jours et, de l'avis des inspecteurs en chef, pas seulement le mien, ils sont encore loin de s'être conformés à leurs obligations. Cela fait donc plus de 12 ans, et nous sommes encore très loin du compte.
L'Irak a mis en place une série de mesures compliquées destinées à tromper. Ils avaient un plan de camouflage détaillé destiné à empêcher les inspecteurs de l'ONU de faire leur travail. J'en ai fait l'expérience personnellement. Lors de l'une de mes inspections, j'ai trouvé un document caché dans un magasin, jeté accidentellement, dans lequel on donnait l'ordre aux chefs des établissements de cacher certaines choses aux inspecteurs. Ce ne sont donc pas des allégations, je répète que ce sont des faits.
Je pense que l'expérience de la CSNU—ce sigle désigne la première période d'inspection des années 90, et non pas les inspections actuelles—démontre qu'aucune inspection sur le terrain des programmes de l'Irak en matière d'armes de destruction massive ne peut être couronnée de succès en l'absence d'un véritable changement de politique de la part du gouvernement de ce pays. On ne peut pas réussir en quelques semaines, on ne peut pas réussir en quelques mois, quant à moi. À titre d'exemple, il nous a fallu quatre ans et demi, en comptant sur un groupe de gens nombreux, des gens dévoués—il ne s'agissait pas d'un transfuge, soit dit en passant, contrairement à ce que certains gouvernements ont dit—pour forcer les Irakiens à admettre qu'ils avaient un programme d'armes biologiques offensives. Ils ne nous ont pas dit grand-chose à ce sujet, mais nous en avons trouvé la preuve. C'était une équipe de gens qui faisaient diligence à la fois en Irak et à l'extérieur de l'Irak, qui suivaient le cheminement de l'équipement en Irak, se butant constamment aux dénégations, les gens nous disant sans cesse : vous en avez fait assez, peut-être qu'ils ont un programme, peut-être pas, mais peut-être que nous devrions mettre fin à ce processus. Après trois ans et demi, dans mon cas, à titre de l'un des inspecteurs en chef du programme d'armes biologiques, c'était très décourageant d'entendre des gens nous dire de renoncer, parce qu'ils voulaient une preuve flagrante, alors que nous savions pertinemment que les Irakiens continuaient à travailler à ces programmes alors même que nous étions sur les lieux. Voilà ce qui est décourageant dans tout cela. Je pense que vous devriez garder à l'esprit ce facteur dans votre réflexion actuelle sur cette question, comme d'ailleurs certains gouvernements l'ont dit clairement.
¿ (0915)
Je vais maintenant décrire brièvement chacun des programmes d'armement et nous pourrons en discuter plus à fond plus tard.
La guerre du Golfe a lourdement endommagé les installations nucléaires de l'Irak et à la fin des inspections en 1998, l'AIEA estimait que le programme d'armement nucléaire indigène de l'Irak n'avait pas produit plus de quelques grammes de matières fissibles pouvant être utilisées à des fins militaires . Il faut se souvenir cependant que l'expertise n'avait pas disparu. Ils n'ont pas démantelé leurs équipes mais les ont affectées à des projets civils; depuis 1998, le pays a eu l'occasion de reconstituer son programme nucléaire dans le secret. Ils auraient toutefois du mal à cacher une grande usine équipée d'une centrifugeuse à gaz, par exemple, même si cela n'est pas impossible.
Il y a deux éléments sur lesquels j'aimerais attirer votre attention dans les déclarations récentes de M. Mohamed el Baradi. Il a déclaré que les Irakiens ne lui ont donné aucune information sur la conception des armements. Nous n'avons trouvé aucun élément d'armement. Ils ont travaillé à ce programme pendant 25 ans et on n'a jamais trouvé le moindre interrupteur électrique de tir, la moindre lentille, autant d'éléments qui entrent dans la fabrication d'une arme, ce qui explique les conclusions de nos travaux. Ils ont tous les éléments, ils les ont mis à l'essai et ont procédé au test des explosifs à grande puissance. Au fait, Mohamed el Baradi a signalé la dernière fois que 35 tonnes d'explosif spécialisé HMX pour armes nucléaires manquaient sans explication; les Irakiens ont dit qu'ils s'en servaient dans des carrières. Or, c'est un explosif cher de très grande qualité qui ne sert que dans les armes nucléaires. Je suis allé sur place et j'ai vu leur entrepôt.
C'est donc dire que je ne suis pas très rassuré à propos des armes nucléaires. Comme mes collègues, j'estime qu'ils ont tous les éléments pour fabriquer une arme. Il ne leur faut que des matières fissibles pouvant être utilisées à des fins militaires. Il est possible d'en voler ou d'en acheter quelque part. Il y a deux ou trois mois, des matières de cette qualité ont été interceptées à la frontière de la Bulgarie et de la Turquie. La situation des armes nucléaires est donc très dangereuse. J'invite donc le comité à maintenir sa garde sur ce point car certaines déclarations peuvent donner l'impression que la tâche est insurmontable pour eux. Oui, il est très difficile de construire une usine entière d'enrichissement de l'uranium à l'aide d'une centrifugeuse à gaz, mais ce n'est pas impossible.
En ce qui concerne les armes bactériologiques, après l'invasion du Koweit et avant la Tempête du désert, un site tout nouveau ou relativement nouveau, déguisé en installation civile, pour la fabrication de protéines unicellulaires destinées aux farines animales et la production de biopesticides, s'est avéré en fait être le principal site de production d'armes bactériologiques. En 1990, ils y ont produit des milliers de litres du bacille du charbon et de toxine botulinique. L'usine a été démontée—c'est moi qui ai dirigé la mission—mais ces activités pourraient être menées à quantité d'endroits en Irak qui ne ressembleraient en rien à des usines d'armement; il est aussi certain qu'ils se sont dotés de ce que j'appellerais des capacités de production de mobilisation. L'usine pourrait donc être une usine de fabrication de produits pharmaceutiques qui produit des médicaments légitimes un jour et, deux jours plus tard, des agents bactériologiques.
D'après notre évaluation, l'Irak a donc sans doute conservé des quantités importantes de milieux de culture, c'est-à-dire de quoi produire des agents d'armes bactériologiques, peut-être des milliers de litres de bacille du charbon. M. Hans Blix avait déclaré, je crois, qu'ils étaient capables de produire 8 500 litres. Je pourrai vous en dire davantage en réponse à vos questions si vous le souhaitez.
¿ (0920)
Quant aux armes chimiques, comme vous le savez, à la fin de la guerre Iran-Irak, l'Irak possédait probablement le plus gros arsenal d'armes chimiques de la région. Pendant la guerre du Golfe, la majorité des installations de fabrication ont été détruites car nous savions où elles se trouvaient. Malgré tout et malgré la destruction de plusieurs milliers de munitions et de plusieurs milliers de litres de produits chimiques grâce à l'excellent travail de la Commission spéciale des Nations Unies—ce n'est pas moi, ce sont mes collègues responsables du côté chimique—, nous estimons possible qu'ils aient pu conserver des précurseurs stables pour plusieurs centaines de tonnes de sarin et de cyclosarin, d'agents neurotoxiques et une quantité analogue de VX, l'agent neurotoxique le plus mortel dans l'arsenal actuel d'armes de ce genre. Vous vous souviendrez que dans son rapport, Hans Blix signalait avoir trouvé la preuve que malgré ses dénégations, l'Irak avait transformé en arme le VX. Ils disaient avoir fabriqué certains agents mais être incapables de les stabiliser suffisamment. Même M. Blix—il n'y a pas que moi—dit que ce n'est pas vrai sur la base de ses dernières inspections et des preuves accumulées. L'Irak peut donc recommencer à fabriquer des armes chimiques dans des délais très courts, c'est une question de mois, dans ses installations actuelles et il a des agents qu'il peut utiliser immédiatement et il a les munitions dans lesquelles les incorporer.
Quant aux missiles, vous avez tous entendu parler des missiles Al Samud II. Nous avons signalé dans notre rapport publié en septembre dernier que l'Irak était en train d'augmenter la portée de ses missiles au-delà des 150 kilomètres autorisés. L'équipe de M. Blix a découvert les preuves d'un essai de tir à 190 kilomètres. Je le considère donc comme une violation avérée des obligations de l'Irak. Pour ce qui est des plus gros missiles, les missiles Al Hussein dont la portée est de quelque 650 kilomètres, nous estimons qu'ils ont les composants et les pièces leur permettant d'en fabriquer 12. Certaines agences nationales de renseignement avancent des chiffres encore plus élevés.
Les arguments que je vous présente ne sont ni pour ni contre la guerre, car c'est une question politique, mais il est clair aux yeux de tous les intéressés que l'Irak continue largement à ne pas respecter ses obligations. Il est question que le Royaume-Uni et les États-Unis déposent une deuxième résolution devant le Conseil de sécurité de l'ONU—les gens parlent d'une deuxième résolution, en réalité c'est la 17e. Si le problème de l'Irak n'est pas réglé dans les prochains mois, je prédis un accroissement des dangers pour la région et pour le monde entier. Le genre de régime qui règne à Bagdad est entre les mains de ce genre d'armement de destruction massive crée une situation très dangereuse. Plus cela durera, plus le danger sera grand. Si vous voulez analyser les risques, il vous faut choisir entre les risques d'une opération militaire dans un avenir immédiat et le risque que d'ici un an ou deux, si l'Irak s'en sort encore cette fois, qu'il présente un danger encore plus grand et, à mon avis, presque inévitablement, un danger nucléaire. Les derniers rapports émanant de Bagdad selon lesquels Saddam Hussein conteste le cas évident de violation avec les missiles Al Samud II, et qu'il n'a nullement l'intention de les démanteler. Les nouvelles en provenance de Bagdad ne sont pas bonnes et il me semble qu'une action prompte sous une forme ou une autre se justifie.
Monsieur le président, je m'excuse d'avoir parcouru à bride abattue mon document, mais j'ai encore bien d'autres informations à vous communiquer.
¿ (0925)
Le président: Vous êtes notre invité, monsieur Taylor, merci beaucoup.
Nous passons maintenant à M. Jocelyn Coulon.
M. Jocelyn Coulon (directeur, campus de Montréal, Centre Pearson pour la formation en maintien de la paix): J'aimerais remercier le Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international de m'avoir invité à venir témoigner. Je ne parlerai pas au nom du Centre Pearson pour la formation en maintien de la paix, mais en mon nom propre. Pour vous livrer exactement ma pensée, je ferai mon exposé en français car il est préférable de parler dans sa propre langue plutôt que d'essayer de plaire à tout le monde en faisant des erreurs en anglais.
[Français]
Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, la question qui est posée est celle de la guerre ou de la paix avec l'Irak. Je ne commenterai pas le rapport et les commentaires de M. Terence Taylor sur la question spécifique des armes de destruction massive que posséderait l'Irak. M. Taylor a donné une description qui circule dans l'opinion publique, dans certaines institutions de recherche et auprès de certains gouvernements.
C'est vrai que ces questions sont sérieuses. J'aimerais toutefois rappeler ce que la France, l'Allemagne et la Russie ont déclaré hier dans le mémorandum qu'ils ont déposé devant le Conseil de sécurité au sujet des armes de destruction massive de l'Irak et je vais lire le paragraphe en question:
Bien que des suspicions demeurent, aucune preuve n'a été apportée que l'Irak possède toujours des armes de destruction massive ou des capacités dans ce domaine. |
Voilà trois pays, la France, l'Allemagne et la Russie, qui ont des moyens de renseignement, qui ont des inspecteurs sur le terrain, qui ont une expérience de ces questions d'armes de destruction massive et qui mettent en doute les informations américaines et britanniques.
Je voudrais aussi souligner que je n'ai pas d'opposition de principe à la guerre. Au contraire, je pense que la guerre doit être utilisée comme arme de dernier recours dans des crises internationales qui mettent en jeu le droit international, la société internationale et la morale internationale. Ainsi donc, la guerre du Golfe de 1991, la guerre du Kosovo en 1999 et la guerre en Afghanistan en 2001 étaient, à mon avis, des guerres justifiées selon le droit, la politique et la morale. Et je suis sûr que sur la question du droit mon collègue Marco Sassoli aura des choses certainement plus intelligentes que moi à dire, car je ne suis pas juriste.
Toutefois, j'aimerais revenir au cas irakien et à sa spécificité politique et morale. Bien entendu, nous sommes en face de violations des résolutions des Nations Unies qui demandent à un État, selon des attendus très précis de la Charte des Nations Unies, et en particulier les chapitres 6 et 7 de cette charte, de désarmer. L'Irak, à l'évidence, viole ces résolutions.
Selon les États-Unis, la Grande-Bretagne et certaines institutions, l'Irak posséderait toujours des armes de destruction massive ou des moyens pour construire ces armes de destruction massive. Les rapports de MM. Blix et El-Baradei montrent la direction où il y aurait des violations ou des soupçons. Je crois cependant que nous devons nous poser des questions sur les capacités réelles de l'Irak de détenir ces armes ou de les construire à court ou à moyen terme. Face à ces violations et face au fait que l'Irak pourrait détenir des armes, la question est de savoir si cela est suffisamment grave pour nécessiter l'invasion d'un pays et la destruction de son gouvernement, ainsi que son corollaire, l'occupation de l'Irak. Comme je ne suis pas juriste, je ne poursuivrai pas dans les arguties juridiques là-dessus, mais je pense que c'est une question qu'il faut se poser.
¿ (0930)
Une autre question que les députés, l'opinion publique et le gouvernement devraient se poser est celle de la différence entre une action bénie par les Nations Unies et une action unilatérale des États-Unis. Les États-Unis et leurs alliés estiment que le cessez-le-feu de 1991 n'est pas respecté, puisqu'il y a des conditions au cessez-le-feu de 1991, et que la guerre n'est donc pas terminée, mais suspendue. Les Américains, estiment-ils, peuvent poursuivre cette guerre puisqu'il y aurait violation du cessez-le-feu. C'est un débat qui divise aussi la communauté juridique.
Les Américains ont-ils le droit d'agir unilatéralement? Ils vous diront qu'ils n'agissent pas unilatéralement puisqu'il y a un cessez-le-feu et que ce cessez-le-feu n'étant pas respecté, ils ne font que poursuivre les opérations légalement bénies par la résolution 678 adoptée le 29 novembre 1990.
Mais si cette guerre est unilatérale, est-elle illégale? Est-ce que cette guerre sera une agression? Et si c'est une agression, est-ce un crime contre la paix? Est-ce un crime contre l'humanité? Je vous rappelle que le chef de la diplomatie vaticane a dit hier, à Rome, que si demain il y avait une guerre unilatérale non sanctionnée par les Nations Unies, cette guerre serait une agression et donc un crime contre la paix. La question qu'on doit se poser est celle-ci: est-ce que le Canada veut être associé à une guerre unilatérale et peut-être à un crime contre la paix?
L'autre question est celle d'une décision du Conseil de sécurité en faveur de la guerre. Tous estiment que le Conseil de sécurité est l'organe exécutif des Nations Unies. Si c'est béni par le Conseil de sécurité, cela est juste et bon, dit le droit. Cela est légal, légitime et politiquement justifié. Je voudrais attirer l'attention de ce comité sur le fait que toutes les décisions du Conseil de sécurité ne sont pas nécessairement bonnes et que l'instrument du Conseil de sécurité peut se révéler diabolique.
J'ai à la mémoire l'expérience du général Roméo Dallaire au Rwanda, en 1994. Le général Dallaire est au Rwanda. Nous sommes en avril et mai. Il demande au Conseil de sécurité de l'aider en augmentant le nombre de ses troupes au sol. Non seulement le Conseil de sécurité lui refuse-t-il les troupes au sol, mais il réduit le nombre de ses Casques bleus sur le terrain, ne réussissant pas à empêcher le génocide. C'était une décision du Conseil de sécurité. Est-ce que c'était une décision légale? Oui, mais était-ce une décision moralement justifiée? On peut dire que non. Donc, le Conseil de sécurité ne dit pas toujours le bien.
On dit à Washington et ailleurs que le Conseil de sécurité est à un tournant et qu'il saura, dans les prochains jours, démontrer sa pertinence et son importance pour faire respecter ses résolutions.
¿ (0935)
Je ferai remarquer aux honorables députés que ce ne sera pas la première fois que le Conseil de sécurité est incapable de faire respecter ses résolutions. Qu'on parle de la crise chypriote, où les troupes turques occupent la moitié d'un pays, ou qu'on parle du conflit israélo-palestinien ou d'autres conflits, les résolutions sont souvent bafouées.
Mais nous sommes mis devant un fait, une affirmation américaine: on nous dit que si nous ne sommes pas d'accord sur la proposition américaine, c'est là que nous verrons si le Conseil de sécurité est important ou pertinent. Moi, je vous dis qu'au Conseil de sécurité, il y a une majorité d'États qui trouvent que le travail du désarmement par la paix est important et pertinent et que le Conseil de sécurité joue donc en ce moment sa pertinence et son importance. Mais le discours que nous entendons est celui des minoritaires, qui tentent de faire croire que les majoritaires sont dans une situation d'illégitimité. J'aimerais qu'on nous explique comment un esprit peut fonctionner devant une telle explication.
Enfin, je crois personnellement que le Canada doit prendre position sur la question d'une guerre unilatérale et dire non à une guerre unilatérale avec les États-Unis. Nous avons les moyens de l'expliquer calmement à nos alliés américains et de signifier ainsi notre adhésion aux grands principes onusiens que nous respectons et promouvons depuis 50 ans.
Merci, monsieur le président.
Le président: Merci beaucoup, monsieur Coulon.
[Traduction]
Nous passons maintenant à M. James Keeley, professeur de sciences politiques et associé du Centre des études stratégiques et militaires de l'Université de Calgary.
M. James Keeley (professeur de science politique, chercheur, «Centre for Strategic and Military Studies», Université de Calgary): Merci beaucoup.
Je tiens à remercier le comité de me donner l'occasion, voire de me faire l'honneur, de pouvoir lui adresser la parole. C'est la première fois que je témoigne devant un comité, alors je vous prie d'excuser ma nervosité.
Je vais me concentrer dans mon exposé sur le choix entre la guerre et l'endiguement, ou en termes plus optimistes la guerre ou les progrès pendant l'endiguement. La question est de savoir ce qu'il faudrait pour qu'il y ait endiguement, parce que les inspections sont le principal moyen de réaliser cet endiguement et aussi parce que ce sont les résultats de ces inspections qui serviront éventuellement à justifier des mesures plus musclées. Nous voulons donc pouvoir en parler en connaissance de cause.
La feuille de route de l'Irak en ce qui concerne les armes de destruction massive est bien connue, comme l'a fait remarquer M. Taylor, alors je vais très brièvement rappeler deux ou trois points. D'abord, l'idée de prendre l'Irak en flagrant délit est trompeuse; les médias adorent parler en ces termes, mais le fardeau de la preuve comme tel incombe à l'Irak. Prendre l'Irak en flagrant délit pourrait vouloir dire y découvrir des armes ou des installations de production d'armes, montrer que l'Irak possède encore les connaissances et les moyens de produire des armes, ou encore avoir la preuve que l'Irak cherche à tromper les inspecteurs ou à leur cacher des choses, mais cela pourrait aussi vouloir dire simplement que l'Irak a omis de se conformer entièrement et de façon proactive à la résolution 1441. La résolution 1441 ne parle pas d'endiguement, mais bien de donner à l'Irak une dernière chance. Si nous partons du principe que c'est déjà suffisant que les inspecteurs soient en Irak et qu'il faudrait maintenant les y garder aussi longtemps que nécessaire, c'est que la résolution vise non plus à donner à l'Irak une dernière chance, mais à l'endiguer.
Si l'on opte pour l'endiguement comme solution de rechange à la guerre, que faut-il comprendre par là? Cela veut peut-être dire trois choses. Premièrement, c'est peut-être le signe qu'on espère que les intentions initiales de la CSNU et du groupe d'action de l'AIEA se réalisent. Deuxièmement, c'est peut-être qu'on espère que les inspections permettront à tout le moins d'entraver les présumés efforts de l'Irak pour préserver ou remettre sur pied ses programmes, qu'on espère ainsi se donner du temps. Je ne vois pas exactement pourquoi on voudrait se donner du temps ni ce qu'on ferait pendant ce temps. Troisièmement, si l'on opte pour l'endiguement, c'est peut-être qu'on préfère « tout sauf » des mesures plus musclées, auquel cas, ce sont les États-Unis, plutôt que l'Irak, qu'on se trouverait à endiguer.
La situation relative à l'Irak évolue constamment pour des raisons diverses : niveaux d'appui politique à des mesures contre l'Irak, mesures de différents types, leçons tirées des inspections en Irak, technologies pertinentes, capacité d'acquérir du matériel et d'autres éléments, pressions constantes du côté des sanctions commerciales contre l'Irak, expérience et capacité des inspecteurs en Irak, et besoin apparent de menaces périodiques, voire constantes, pour assurer l'intégrité et l'utilité des inspections.
Autrement dit, l'endiguement n'est pas une politique naturellement stable ou acceptable. En l'absence de la menace de guerre, les discussions au sein de la communauté internationale se limiteraient sans doute aux sanctions et au programme de pétrole contre nourriture. L'endiguement, de l'avis de certains observateurs, est une stratégie en voie d'érosion. Il faudrait qu'elle bénéficie d'un appui actif et continu pour donner les résultats escomptés, et même là rien n'est garanti. Certains estiment que l'érosion est telle qu'il n'est déjà plus possible de la ressusciter.
¿ (0940)
Une stratégie d'endiguement aurait aussi à faire face à certains facteurs inhérents à la situation. D'abord, on ne peut compter sur la bonne foi des Irakiens. Le comportement bien connu de l'Irak ces dernières années a nui à sa crédibilité de manière irrémédiable. On peut donc poser d'emblée que faute d'un minimum de confiance en ce pays, les inspections se dérouleront dans un climat d'hostilité. En outre, le matériel à double usage, la maturité technologique, la contrebande et la possession légale de missiles à portée inférieure à 150 kilomètres créent des ambiguïtés techniques. Et bien entendu, il ne faut pas oublier le casse-tête logique que constitue le besoin de prouver l'absence de quelque chose. On en arrive ainsi à se demander quelles garanties seraient jugées suffisantes aux yeux des inspecteurs?
Compte tenu de cela, quels efforts faudrait-il déployer pour maintenir ou renforcer le processus d'inspection, et pendant combien de temps la communauté internationale serait-elle prête à en assumer le coût et à se concerter pour faire ce travail? À mon avis, ce qui s'est passé de 1991 à 2002 n'est pas de très bon augure.
Sur quoi reposerait donc une politique d'endiguement? D'abord il faudrait contrôler d'une manière ou d'une autre les recettes à l'exportation et le commerce de l'Irak, renforcer la lutte contre les activités génératrices de recettes qui ne relèvent pas du mécanisme pétrole contre nourriture, combattre plus efficacement la contrebande et juguler la possibilité pour l'Irak d'attribuer à son avantage politique des contrats, tant ceux qui relèvent du mécanisme que ceux qui y sont extérieurs. Deuxièmement, il faudrait protéger les droits des inspecteurs, même au risque d'affrontements. Troisièmement, il faudrait resserrer la surveillance afin d'éviter que les Irakiens ne sabotent le travail des inspecteurs, en s'esquivant ou en utilisant des définitions trop restrictives et des exceptions ou encore en bloquant leur accès à des renseignements, somme toute en faisant un travail de sape. Quatrièmement, les inspecteurs auraient besoin de renseignements supplémentaires de diverses sources et ils seraient obligés d'insister pour les obtenir. Cinquièmement, il faudrait pouvoir compter sur des appuis politiques fiables, fermes et constants, au besoin même sur des menaces d'intervention armée. Malheureusement, de telles menaces n'ont de poids que si l'adversaire sait qu'il subira des pertes inacceptables. Sixièmement, si l'on récompense l'Irak de son respect des conditions imposées, il faudrait aussi qu'on le punisse de ne pas le faire, il faudrait intervenir dans les deux cas. Et septièmement, forts de notre expérience, nous devrions être prêts à resserrer les inspections le cas échéant.
Ce qu'il y a de paradoxal ici, c'est que la menace d'action militaire est essentielle à l'obtention de tout cela. C'est elle qui force le gouvernement de l'Irak à se concentrer sur la situation, tout comme d'autres États dans le monde d'ailleurs. Quoi qu'il en soit, de telles mesures coûtent quelque chose. Une politique d'endiguement fermement poursuivie imposerait des coûts à la population irakienne. Elle entraînerait aussi des conséquences sur les relations entre l'Irak et ses voisins, sur la solidarité des membres du Conseil de sécurité, sur la possibilité de recourir au besoin à la menace d'intervention armée et, bien entendu, elle aurait de vastes répercussions régionales et internationales, dont certaines ont été mentionnées par M. Coulon.
L'endiguement entraîne donc de réels fardeaux. De plus, si on n'est pas à la hauteur de ces exigences, l'endiguement, au sens de la résolution 687, se transforme en moyen de gagner du temps ou en endiguement inefficace. Si l'endiguement ne déstabilise ou n'érode pas le pouvoir de l'adversaire, si on ne discute pas sérieusement des moyens que nécessite une telle stratégie et, encore pire, si on ne s'efforce pas de les mettre en oeuvre, alors il faudra vraiment que nous discutions d'autre chose. Cela veut dire que nous devons soit nous persuader que la menace de l'Irak ne justifie pas des mesures plus coercitives et les risques qui en sont inséparables, soit discuter sérieusement du bien-fondé d'une intervention armée.
Je vous remercie.
¿ (0945)
Le président: Je vous remercie beaucoup, monsieur Keeley.
[Français]
Nous allons maintenant passer à M. Marco Sassoli, qui est professeur de sciences politiques à l'Université du Québec à Montréal.
Soyez le bienvenu, monsieur Sassoli. La parole est à vous.
M. Marco Sassoli (professeur de sciences juridiques, Université du Québec à Montréal): Bonjour, monsieur le président, très honorables membres du comité. Veuillez tout d'abord excuser mon retard, qui est dû à des problèmes d'aiguillage de VIA Rail Canada; si j'ai bien compris, ce genre de problème n'est pas du ressort de votre comité. Vous m'avez aimablement nommé professeur de sciences politiques. Or, je ne suis que professeur de droit et je ne vais parler que de droit et d'aspects juridiques, ne serait-ce que parce que certains de mes éminents collègues sont spécialisés en politique et en géopolitique, et parce qu'étant ceux qui la faites, vous êtes pour votre part les vrais experts en politique.
De toute évidence, opter pour la guerre ou pour la paix est une décision très politique et non juridique, mais le droit fournit un cadre à cette prise de décision. Or, si le droit international ne réussit pas à fournir un cadre à cette décision, à mon avis, il ne sert à rien parce que la fonction première de tout droit dans toute société est de canaliser la violence et d'organiser, voire d'autoriser parfois l'usage de la violence.
Prenons comme point de départ le fait que, depuis 1928, l'usage de la force est interdite dans les relations internationales. Avec le pacte Briand-Kellogg--avec des exceptions--, l'idée des Nations Unies, depuis 1945, est d'institutionnaliser et de centraliser l'usage de la force, avec, encore une fois, des exceptions. Évidemment, on ne peut pas s'attendre d'un État qui est attaqué qu'il attende la réaction institutionnelle, centralisée et coordonnée de la communauté internationale. Il reste qu'à l'origine, soit en 1945, ce sont les États-Unis, pour assurer une sécurité collective véritable et pour réaliser le rêve d'un monde meilleur, qui ont voulu centraliser et institutionnaliser dans la mesure du possible la décision sur l'usage de la force.
Pour ce qui est de l'usage de la force contre l'Irak, les justifications possibles seraient en l'occurrence soit la légitime défense, soit une autorisation du Conseil de sécurité. La légitime défense est admise en tant que droit préexistant par la Charte des Nations Unies dans le cas où un membre des Nations Unies, et je cite «est l'objet d'une agression armée». En anglais, on dit
¿ (0950)
[Traduction]
«Si une attaque armée a lieu».
[Français]
Selon la lettre de cette disposition de la Charte, on dirait donc qu'une attaque doit avoir lieu pour qu'on ait ensuite droit à la légitime défense. Mais, depuis très longtemps, il y a des théories qui justifient la légitime défense préventive. C'est délicat, vu la lettre de la Charte et étant donné qu'il s'agit d'une exception.
La légitime défense est une exception à une règle fondamentale du droit international actuel, soit l'interdiction de l'usage de la force; les exceptions doivent être interprétées de façon restrictive. En outre, il faut se rappeler qu'en droit international, contrairement à ce qui a cours en droit interne, il n'y a pas de juge. C'est une société où chacun applique le droit à lui-même et aux autres.
Il faut donc, dans la mesure du possible, faire référence à des faits faciles à établir. Une attaque armée, voilà qui est facile à établir. Le risque d'une attaque armée, par contre, est beaucoup plus difficile à établir et, contrairement à ce qui prévaudrait en droit interne, aucun juge ne déterminera par la suite s'il y avait vraiment risque.
Si, au départ, on considère qu'il existe un droit à la légitime défense préventive, on doit savoir qu'il existe certaines conditions et que ces dernières ont été établies dans le cadre de l'Affaire de la Caroline de 1837, un cas qui concernait, entre autres, le Canada. La superpuissance de l'époque, le Royaume-Uni, délibérait au sujet de ce droit avec un petit pays de l'époque, les États-Unis, qui avait pour sa part perdu une guerre contre la superpuissance en question. Les États-Unis ont alors émis une condition pour qu'il soit justifié de la part du gouvernement britannique d'invoquer la légitime défense préventive. Il devait prouver, et je cite: «...une nécessité de légitime défense, urgente, irrésistible et ne laissant ni le choix des moyens ni le temps de délibérer.»
Évidemment, je ne suis dans le secret ni des dieux ni des services secrets, mais il me semble qu'on peut tenter de déterminer si ce risque est très hypothétique ou virtuel et si la situation ne permet pas d'abord de faire appel à d'autres moyens. Il n'y a pas de situation qui ne laisse ni le choix des moyens ni le temps de délibérer. Donc, même les partisans du droit à la légitime défense préventive ne voient pas comment, dans un tel cas, les conditions de légitime défense préventive seraient remplies.
L'autre justification possible d'un usage de la force est une résolution du Conseil de sécurité. Or, certains disent que la résolution 1441--je reviendrai aux résolutions antérieures--autorise déjà implicitement l'usage de la force. Effectivement, cette résolution a été négociée en tant que compromis et a été formulée de façon à ce qu'elle n'inclue ni n'exclue expressément cette possibilité.
D'un point de vue purement juridique, si on veut interpréter le traité comme s'il s'agissait d'un traité commercial, c'est-à-dire en faire une interprétation qui soit fondée sur son but et son contexte, il serait étonnant que la décision d'autoriser l'usage de la force--qui est d'ailleurs admissible, même en dehors d'une attaque armée, dans toutes les situations où il y a menace à la paix et à la sécurité internationale, ce qui est une notion beaucoup plus large que celle de l'attaque armée--soit prise implicitement, par l'interprétation d'un texte, et non explicitement, dans le cadre d'une résolution claire. Après tout, cette décision est peut-être la plus importante qui puisse être prise par la communauté internationale.
En plus, cela impliquerait deux questions essentielles qu'il faut, à mon avis, distinguer l'une de l'autre, à savoir, en premier lieu, s'il y a violation et ensuite, quelle est la réaction à cette violation. Chacun doit trouver lui-même la réponse à ces deux questions. Le fait qu'en vertu du droit, les États-Unis soient à l'heure actuelle égaux au Burundi, au Canada, à la Suisse, à la France et au Nigeria implique nécessairement que le Nigeria puisse dire qu'il y a violation et que, par conséquent, il utilise la force. Le Burundi, de son côté, peut considérer qu'il n'y a pas violation et que, par le fait même, il n'a pas le droit d'utiliser la force. C'est à peu près le contraire de ce qu'envisage la Charte dont, avec votre permission, je vais citer l'alinéa 1 de l'article premier:
Les buts des Nations Unies sont: |
1. Maintenir la paix et la sécurité internationales et à cette fin: prendre des mesures collectives efficaces en vue de prévenir et d'écarter les menaces à la paix et de réprimer tout acte d'agression ou autre rupture de la paix,... |
¿ (0955)
Je dirais que le même argument s'oppose à l'idée qui a été avancée par certains selon laquelle la résolution de cessez-le-feu d'il y a 12 ans, qui était subordonnée à certaines conditions, autorisait une reprise de l'usage de la force, qui était clairement licite à l'époque, au moment où les conditions ne seraient pas respectées. Tout d'abord, 12 ans, c'est une très longue période en droit international. Est-ce qu'on imaginerait aujourd'hui, par exemple, les alliés de la Seconde Guerre mondiale reprendre la force contre l'Allemagne parce que l'un d'eux estimerait que l'Allemagne n'a pas respecté ses obligations découlant de sa capitulation? Deuxièmement, de nouveau, cela signifierait d'individualiser la décision selon laquelle chaque membre des Nations Unies peut décider individuellement s'il y a violation ou non.
Le dernier point, qui s'inscrit dans un tout autre registre, est mon souci par rapport au droit qui s'appliquerait s'il y avait conflit armé, le droit international humanitaire. S'il y avait conflit armé, il me semble qu'il serait essentiel d'insister afin que le droit international humanitaire, soit les Conventions de Genève, soit pleinement respecté, indépendamment de la légitimité ou non de ce conflit en Irak. Ainsi, l'Irak deviendrait un territoire occupé au sens de la Quatrième Convention de Genève. Je souhaite vivement qu'il n'y aura pas de brillants juristes qui essaieront de nous expliquer que l'Irak n'est pas un territoire occupé.
Merci, monsieur le président.
À (1000)
Le président: Merci beaucoup, monsieur Sassoli.
Nous allons maintenant passer aux questions.
[Traduction]
Monsieur Day, vous avez la parole pour cinq minutes.
M. Stockwell Day (Okanagan—Coquihalla, Alliance canadienne): Merci à tous les deux de vos exposés.
Monsieur Sassoli, je vous remercie de vos réflexions sur le droit international, parce qu'il n'y a pas de droit sans avocats, ce qui signifie qu'il y a toujours au moins deux avis à propos d'une loi quelconque. Qu'il s'agisse de droit interne, civil ou même national, ils donnent lieu à divers points de vue. Cependant le droit international semble jouir d'un tel prestige : Les gens vont s'abriter derrière lui pour énoncer leurs points de vue quand ils devraient dire qu'ils donnent leur avis sur le droit international. Je vous remercie donc de nous avoir précisé que même le droit international fait l'objet de points de vue divers. Voltaire disait que Dieu était du côté des grands bataillons. De nos jours, on dirait plutôt qu'il appuie ceux qui réussissent à obtenir le plus de sympathie des médias. C'est ainsi que le droit international reçoit une couverture favorable dans les médias, du moins aux yeux des gens.
Monsieur Taylor, vous vous êtes rendu sur place, vous avez vu ces choses. Je suis fasciné par le fait que ceux qui sont allés sur les lieux, soit à l'époque de M. Taylor, soit sous M. Blix, jugent le danger plus grave. Souvent, ceux qui ne se sont pas rendus sur le terrain pensent qu'il n'y a aucun danger et que tous ces gens inventent des choses. Je vous remercie donc d'avoir parlé du danger.
[Français]
Je veux poser une question à M. Coulon. Il a dit que la guerre au Kosovo était justifiée. Je suis d'accord qu'elle était justifiée, parce que M. Milosevic, bien sûr, était une menace très dangereuse et qu'on avait tué des milliers de musulmans. Je suis d'accord que la guerre était justifiée sans l'appui de l'ONU. Or, si elle était justifiée là, Milosevic, en comparaison de Saddam Hussein, était une amateur. Saddam Hussein a envahi d'autres pays à deux reprises. Il a utilisé des armes chimiques contre ses propres citoyens et citoyennes, des enfants, des femmes et d'autres. Il a attaqué Israël avec des missiles. Comme certains l'ont dit, dont M. Taylor, il est une menace maintenant.
J'espère que nous pourrons éviter la guerre. L'histoire démontre qu'on peut éviter la guerre. Si le dictateur est convaincu qu'il y a un front commun contre ses intentions, peut-être pourra-t-on éviter la guerre, mais si le dictateur voit une division ou une fracture parmi les alliés, il n'aura pas peur. Je pense que l'histoire est claire à cet égard.
Voilà la difficulté que pose la position de la France, à mon avis.
À (1005)
[Traduction]
Nous sommes dans une situation où la France a laissé savoir qu'elle va opposer son veto, quel que soit l'avis du Conseil de sécurité. Cela nous laisse donc avec un dictateur déséquilibré qui se frotte les mains de plaisir en pensant qu'au moins un des membres du Conseil de sécurité va déclarer la guerre immorale. À mon avis, la France a partie liée avec cela. Il ne fait aucun doute que son histoire montre bien que lorsque le bénéfice est dans son intérêt, elle peut être très favorable à la guerre. À ma connaissance, c'est une des seules nations qui a fait sauter un navire de Greenpeace et qui a même tué des militants de Greenpeace, tout cela parce que ses intérêts étaient en jeu. Il y a aussi les terribles événements qui se sont produits en Côte d'Ivoire—tout d'un coup, les soldats français envahissent ce pays. La France a été l'un des principaux responsables de l'effondrement de la Société des nations. Elle s'est opposée énergiquement aux mesures que les alliés voulaient prendre en Éthiopie et contre Mussolini. Elle a certainement sa part de responsabilités aussi dans cette erreur de jugement qu'elle a commise à la veille de la Seconde Guerre mondiale, et d'ailleurs, le sang versé par des soldats canadiens sur les plages de France a contribué à mettre fin à une situation que les Français avaient mal jugée, en dépit du régime de Vichy. Maintenant, la France prend la tête d'autres pays. Les États-Unis ont eu tort d'armer l'Irak lors du conflit armé qui a opposé ce pays à l'Iran, mais la France est le pays au monde qui a le plus vendu d'armes à l'Irak, et elle a contourné les résolutions des Nations Unies en matière de pétrole et de gaz. Franchement, la position de la France sur le plan stratégique est une erreur de jugement et inadmissible au plan moral, son comportement actuel et son histoire sont ainsi.
J'aimerais demander à M. Coulon comment on peut dire que la guerre était justifiée au Kosovo mais qu'elle ne l'est pas maintenant. Je ne souhaite pas la guerre, nous voulons tous la paix, mais comment peut-on justifier une guerre mais pas l'autre.
[Français]
Le président: Veuillez répondre très rapidement. Comme le temps est limité, le temps de réponse est déduit du temps de M. Stockwell Day. Vous avez 30 secondes, monsieur Coulon.
M. Jocelyn Coulon: Ah, mon Dieu! Écoutez, je ne commenterai pas le commentaire sur la France; je pense que la position est plus subtile que cela.
En ce qui concerne la justification de l'intervention au Kosovo, c'est vrai qu'il n'y a pas eu d'autorisation du Conseil de sécurité, mais il y a eu plusieurs résolutions du Conseil de sécurité avertissant le régime Milosevic qu'il y aurait de graves conséquences si jamais il ne respectait pas les résolutions concernant le Kosovo. C'est la première chose.
Deuxièmement, il y avait un très large consensus dans la communauté internationale pour autoriser l'OTAN à faire la guerre à la Yougoslavie. Je n'ai pas vu une seule nation musulmane déchirer sa chemise publiquement pour qu'on respecte à la lettre le droit international sur cette question. Ces gens sont d'ailleurs aujourd'hui dans cette contradiction puisque, semble-t-il, les États-Unis veulent attaquer une nation musulmane ou l'Islam en général, et voilà toutes les nations musulmanes qui invoquent le droit international. Il y a là aussi une contradiction.
Je pense que mon collègue Marco Sassoli pourrait vous donner une réponse plus juridique sur la question de la légalité ou non de la guerre au Kosovo.
Le président: Merci, monsieur Coulon.
On va maintenant passer à Mme Lalonde, s'il vous plaît.
Mme Francine Lalonde (Mercier, BQ): Merci.
Je veux souligner que cette charge antifrançaise me semble inspirée de sentiments dont je ne parlerai pas ici, mais une autre fois, sinon en tête à tête. Après tout ce que vous avez dit, monsieur...
[Traduction]
M. Stockwell Day: Ce sont les dirigeants de la France.
[Français]
Mme Francine Lalonde: Voyons donc! Franchement, si on avait dit la même chose sur les États-Unis, vous seriez grimpé au créneau.
D'abord, à ceux qui justifient la nécessité d'une guerre par le danger que représenterait l'Irak, je poserai la question suivante. Comment se fait-il qu'entre le moment où les inspecteurs sont partis, en 1998, et leur retour il y a quelques mois, alors qu'Al-Qaïda se préparait à faire ce qu'elle a fait aux États-Unis, comme on le sait maintenant, et que Saddam, selon ce qu'on prétend, possédait toutes ces armes de destruction massive, rien ne se soit produit en provenance de là? Cette théorie du danger après le coup a besoin, me semble-t-il, d'être fortement étayée. On a entendu ici des témoignages d'inspecteurs qui étaient pas mal moins inquiets que d'autres. C'est le premier point que je voulais soulever.
Deuxièmement, messieurs Coulon et Sassoli, j'aimerais vous entendre sur la question de la légalité internationale et de la moralité internationale. Vous avez été très clairs, mais j'aimerais que vous alliez un peu plus loin.
En ce qui a trait au Kosovo, je me souviens d'avoir été moi-même en faveur parce que je voulais arrêter ce qui me semblait être, selon toutes les indications qu'on avait, du nettoyage ethnique et qu'on n'avait pas d'autres moyens, à l'époque, pour endiguer cela. Peut-être aurait-on dû en inventer.
Mais en ce moment, il m'apparaît que la disproportion entre les dangers non établis et la guerre promise, dont les effets humanitaires ont été établis ici, est telle que cette guerre non seulement pourrait être illégale, mais pourrait paraître fort illégitime même si elle était légale.
À (1010)
M. Jocelyn Coulon: Sur la question de la moralité, on a entendu plusieurs personnes, plusieurs groupes et plusieurs États dire que l'Irak était un État voyou qui violait les droits de l'homme, que c'était finalement un camp de concentration. Si c'est la cas, pourquoi ne le dit-on pas dans les résolutions des Nations Unies?
Dans les résolutions, on dit que la communauté internationale doit désarmer l'Irak par la force. Je n'ai pas vu, mais on pourra me corriger à cet égard, d'autres objectifs que celui du désarmement de l'Irak. Je n'ai pas vu de résolution disant que, puisque l'Irak viole les droits humains, puisque l'Irak massacre sa population, puisque l'Irak fait ceci et cela, en vertu de considérations de droit et de considérations morales, nous allons non seulement attaquer ce pays, mais aussi envahir et renverser ce gouvernement.
Pourquoi cela n'est-il pas clairement établi dans une résolution? Ainsi, tous sauraient sur quoi ils votent et quel est l'objectif final. Voilà ce que j'ai à dire là-dessus.
Je passe la parole à mon collègue Sassoli.
M. Marco Sassoli: Merci, monsieur le président.
J'ai très peu de sympathie pour le régime irakien, ayant travaillé pour le Comité international de la Croix-Rouge dans la région, y compris brièvement sur le sol irakien, mais je limite mes remarques au droit international. Je vous rappelle qu'en droit international, il n'y a pas de juge objectif. C'est là qu'est la différence avec le droit interne. En droit interne, il y a des avocats, mais finalement, il y a un juge qui tranche, tandis qu'en droit international, chaque État est à la fois avocat et juge. C'est ce qui fait que le droit international disparaît complètement si on part de l'idée qu'à toute question, il y a deux réponses juridiques possibles. Il est donc inutile.
En ce qui concerne le Kosovo, j'admets que le précédent est dangereux. Je ne vous cacherai pas qu'à l'époque, j'ai estimé qu'en droit international, on pouvait avoir une autre appréciation morale, mais chaque pays a sa propre morale, tandis que le droit est commun à tout le monde. En droit international, les conditions pour l'usage de la force n'étaient pas réunies. Peut-être faudrait-il revoir le droit international permettant une intervention humanitaire, mais il faudrait alors avoir aussi un organe qui puisse trancher lorsqu'il y a des violations des droits de la personne ou du droit international humanitaire suffisamment graves pour justifier un usage de la force. Dans ce cas, l'Irak ne serait malheureusement pas le seul pays candidat.
Merci.
[Traduction]
Le président: Merci, monsieur Sassoli.
Madame Carroll, la parole est a vous.
À (1015)
Mme Aileen Carroll (Barrie—Simcoe—Bradford, Lib.): Merci, monsieur le président.
Si seulement nous étions dans la salle de télédiffusion de l'édifice du Centre. En effet, j'aimerais que nous puissions partager avec un plus vaste public l'excellence des quatre exposés d'aujourd'hui.
Par ailleurs, notez, monsieur le président, que l'ambassadeur de France au Canada a envoyé au National Post une lettre excellente, à mon avis, dans laquelle il livre son point de vue précis sur les allégations soulevées par le National Post. Il serait bien que tout le monde en prenne note.
Je veux laisser mon temps de parole aux témoins, et je commence par M. Taylor. Je crois que nous devrions tous prendre note de votre expérience et de la crédibilité que cette expérience et que votre affiliation à l'Institut international d'études stratégiques confèrent à cette question. Même si nous avons beaucoup de matière à assimiler, je ne voudrais certainement pas que nous perdions de vue vos remarques très pertinentes, et je vous en remercie. Je vais donc vous poser quelques questions seulement, et puis je vous demanderai d'y répondre.
Compte tenu de tout ce que vous avez dit, il semble que nous ayons presque accepté que l'Irak est très près de disposer de l'arme nucléaire, si elle n'en dispose pas déjà, et je crois qu'il faut en tenir compte dans le débat. Monsieur Taylor, comment entrevoyez-vous que cela affectera l'avenir des Nations Unies, peu importe ce qui arrive au cours des prochaines semaines?
Monsieur Coulon, votre exposé aussi était excellent. Vous avez parlé de Roméo Dallaire au Rwanda et, bien sûr, tout le monde n'était que trop conscient de ces horreurs et de l'effet que cela a eu sur lui personnellement. Nous savons qu'il a demandé au Conseil de sécurité d'envoyer plus de troupes et que ce dernier ne s'est pas contenté de refuser, mais a en fait réduit l'effectif des Casques bleus sur le terrain. Vous vous demandez si cette décision se défend moralement, et il est beaucoup question, autour de la table, de moralité. Du point de vue logistique, ce fut une mauvaise décision, sans aucun doute. Vous avez également fait allusion aux propos du Vatican. Le point de vue du Vatican est très important, mais il est intéressant de noter que l'on se tourne vers les propos du Vatican quand cela convient pour appuyer ses propres positions, mais quand cela ne convient pas, on n'y porte pas trop attention.
Je vais essayer de résumer. Je suis sûre que le Conseil de sécurité a pris de mauvaises décisions dans le passé, mais seul le Vatican peut prétendre parler ex cathedra, et les Nations Unies ne sont plus alors qu'une organisation humanitaire, la meilleure que nous ayons. Même si les décisions des Nations Unies sont parfois imparfaites et, comme je l'ai dit, mal réfléchies, je ne voudrais pas en conclure que l'organisme est désuet; je ne voudrais pas conclure, et j'espère que vous n'allez pas conclure que cela, en soi, témoigne d'une organisation en déclin. C'est pourquoi je vous pose la question, qui s'adresse aussi à M. Taylor—et on en parle beaucoup dans les journaux à l'heure actuelle—, que signifie tout cela pour le Conseil de sécurité?
Le président: Merci, madame Carroll.
Monsieur Taylor.
M. Terence Taylor: Merci de votre question très pertinente.
J'ai présenté mon point de vue personnel et non pas la position de l'institut que je représente, ni d'un gouvernement quel qu'il soit. À la lumière des preuves recueillies, et il s'agit de preuves concluantes et indéniables, non pas d'allégations, et dont certaines ont été confirmées par les nouvelles inspections en cours, il ne fait absolument aucun doute à mes yeux que l'Irak dispose d'armes chimiques utilisables, d'armes biologiques utilisables et qu'il pourrait très bien bientôt avoir des armes nucléaires utilisables, si aucune intervention efficace n'est effectuée dans un proche avenir pour remédier à la situation. Si le Conseil de sécurité de l'ONU ne prend aucune mesure pour régler ce problème au cours des prochaines semaines, les Nations Unies en subiront de graves conséquences.
M. Jack Straw, secrétaire au Foreign office du Royaume-Uni a déclaré lors de la réunion du Conseil de sécurité du 14 février, que l'ONU avait enduré 12 années d'humiliation de la part de l'Irak qui avait constamment fait fi des résolutions. La prochaine résolution qui sera prise sera la dix-septième. Soit dit en passant, la résolution 1441 ne fait que réitérer la résolution 687, qui englobait également toutes les questions de droit de la personne. Il importe de se le rappeler. Certains gouvernements qui ont invoqué les violations des droits humains pour justifier la nécessité d'intervenir énergiquement dès maintenant en Irak ou qui espéraient éviter la guerre, se sont attiré les critiques pour avoir soulevé cette question.
Je suis content de voir qu'on a évoqué l'expérience du Kosovo et des Balkans, parce que je pense qu'il est très important pour le comité de réfléchir à ces événements. Les crimes atroces commis par Milosevic, et je ne veux pas les minimiser, semblent presque anodins à côté de ceux de Saddam Hussein. Le comité doit également tenir compte de cette réalité dans sa réflexion. Des intervenants fort bien documentés, dont un rapporteur sur les droits de l'homme nommé par l'ONU, ont signalé à maintes reprises des violations des droits de la personne. Je vous invite à lire les rapports décrivant les violations des droits de la personne survenues en Irak depuis 10 ans environ et, bien sûr, même avant cela.
À (1020)
Le président: Merci. Je m'excuse de vous couper la parole, je dois le faire par souci de justice envers mes collègues.
Madame McDonough, vous avez la parole.
Mme Alexa McDonough (Halifax, NPD): Merci, monsieur le président.
Je tiens à remercier nos témoins, qui nous ont donné beaucoup de matière à réflexion.
Selon certains, il est absolument absurde de penser que Saddam Hussein n'est pas un dictateur diabolique. Cependant, il s'agit de savoir si la force est le seul moyen de contrer la menace qu'il présente pour la paix et la sécurité internationale. Voilà ce que nous, les législateurs, et les autres pays du monde essayons de déterminer. Le Secrétaire général de l'ONU nous a du reste incités encore plus vivement à appliquer les critères suivants avant de prendre une décision : le recours à la force est-il le seul moyen de mettre fin au refus manifeste du régime irakien et de le faire obtempérer à l'ordre qui lui a été donné de se défaire de toutes ses armes prohibées.
Je vais vous poser une question qui vous semblera peut-être assez éloignée de notre propos. J'aimerais la poser directement à M. Taylor, parce que je crois que vous avez exprimé la position de l'administration Bush, même si vous avez indiqué clairement que vous ne parliez qu'en votre propre nom. Vous avez dit que l'Irak pose une menace grave et que si rien n'est fait au cours des semaines à venir, la situation deviendra extrêmement dangereuse et pourrait justifier le recours à la force. D'après les calculs de l'organisme des Nations Unies chargé des questions de désarmement, et qui relève du Secrétaire général, au rythme où vont les choses il faudrait attendre 350 ans pour que les puissances nucléaires du monde remplissent leurs obligations en matière de désarmement. Depuis que l'administration Bush a été portée au pouvoir, elle viole directement ses obligations en vertu du traité sur la non-prolifération nucléaire. Par ailleurs, elle a renié ses engagements relativement au traité concernant la limitation des systèmes antimissilles balistiques, et on pourrait sans doute énumérer beaucoup d'autres manquements à des obligations de ce genre. J'aimerais savoir, monsieur Taylor, si vous considérez ces manquements comme une menace et si votre institut a pris position officiellement sur le degré de danger que posent les nombreux manquements des États-Unis à ses obligations, notamment aux termes de différents traités conclus sous l'égide de l'ONU, entres autres de non-prolifération.
M. Terence Taylor: Notre institut n'a pas de position officielle à ce sujet, je ne peux donc parler qu'à titre personnel. Je n'ai connaissance d'aucune violation du traité de non-prolifération par les États-Unis. J'aimerais bien savoir quelles sont ces violations précisément. Je ne vois pas de preuve d'une telle violation, en tout cas. Des milliers d'armes nucléaires ont été détruites, au cours de la dernière décennie, par la Russie, le Kazakhstan, l'Ukraine et bien d'autres pays. Ainsi, la réduction du nombre d'armes nucléaires—je ne me souviens plus précisément du chiffre—atteint les dizaines de milliers d'engins de la part des pays dotés de l'arme nucléaire. Je crois qu'il convient de citer, dans la présente situation, la fin du programme nucléaire en Afrique du Sud, qui a accompagné les changements politiques cathartiques qui se sont produits là-bas. Comme certains gouvernements l'ont souligné, c'est là l'exemple classique d'un véritable désarmement volontaire en collaboration avec l'Agence internationale de l'énergie atomique. C'est l'exemple que nous devrions avoir à l'esprit, je crois, lorsque nous parlons de l'Irak.
J'aimerais en dire plus long sur le TNP, mais le temps me manque.
À (1025)
Mme Alexa McDonough:
Je vous cite intégralement les paroles du Centre Simons pour la paix et le désarmement en réponse à votre question de savoir qui affirmerait que les États-Unis sont en violation :
Les États-Unis, en violation flagrante de leurs obligations découlant de traités, ont fait marche arrière et ont annoncé que les armes nucléaires allaient demeurer la pierre angulaire de sa défense stratégique, et que le pays procédait à la mise au point de nouvelles armes nucléaires qui seront intégrées à sa stratégie de combat. |
Je ne sais pas si M. Taylor aimerait répondre.
M. Terence Taylor: Je me contenterai de dire que je ne suis pas d'accord avec cette interprétation. Vous avez également cité le Département des Nations Unies pour le désarmement, au sein duquel j'ai travaillé comme spécialiste des questions politiques. Les États-Unis ont réduit de beaucoup la taille de leur arsenal. Le monde, de l'avis des États-Unis—et je ne me porte pas à sa défense—n'est pas parvenu à un point où le pays pourrait désarmer complètement, même s'il n'a pas renoncé à cet objectif stratégique à très long terme, malgré ce qu'il peut faire à l'heure actuelle de son armement nucléaire par ailleurs fortement réduit. Le Royaume-Uni a réduit son arsenal, la France a réduit de beaucoup son arsenal également, et bien sûr, la Russie aussi. Je crois que le désarmement nucléaire est très important et j'avoue être moi-même partisan du désarmement nucléaire. Mais il faut être réaliste et pragmatique face à la situation politique mondiale actuelle et face à la menace qui pèse sur nous. Je crois que les deux objectifs sont compatibles.
The Chair: Merci, monsieur Taylor.
La parole est à M. Calder.
M. Murray Calder (Dufferin—Peel—Wellington—Grey, Lib.): Merci beaucoup, monsieur le président.
Messieurs Taylor et Coulon, vous venez tout juste d'aborder cette question. Au cours des dernières années, nous avons vu Saddam Hussein jouer au chat et à la souris, et il va continuer son petit jeu. Puisque le problème, c'est probablement lui, s'il est évincé du pouvoir, nous aurons peut-être la solution à notre problème. Avez-vous fait des études sur l'Irak de l'après-Saddam Hussein? Par exemple, s'il part, qui comblera le vide, étant donné qu'il ne semble pas y avoir de mouvement de résistance en Irak, du moins pas que je sache—ce que je trouve curieux, puisqu'en Afghanistan, il y avait l'Alliance du Nord?
La question suivante est celle-ci : les Kurdes et les Shiites souhaiteraient-ils former chacun un pays indépendant de l'Irak, à la lumière de l'expérience yougoslave?
Enfin, compte tenu du fait que l'Irak importe 70 p. 100 de sa nourriture, avez-vous envisagé quel type de force d'occupation serait nécessaire en Irak pour réduire le plus possible le nombre de victimes civiles?
Le président: Monsieur Taylor.
M. Terence Taylor: Nous venons de publier à l'institut une collection d'essais, et je peux vous laisser cet exemplaire si vous le souhaitez. Cela s'appelle Iraq at the Crossroads: State and Society in the Shadow of Regime Change. C'est une série d'essais rédigés par différents auteurs; vous y trouverez donc différents points de vue et une analyse détaillée sur un Irak post-Saddam. Je n'ai pas le temps d'entrer dans les détails, mais pour résumer disons qu'il ne semble pas qu'il y ait de décision stratégique visant la tête du régime à Bagdad, en d'autres termes, Saddam Hussein, pour que les obligations soient respectées à la lettre si bien que le seul moyen d'arriver à un changement, semble-t-il, c'est de changer la direction à Bagdad. Le résultat est très difficile à prédire mais la communauté internationale ne devrait pas craindre les risques encourus. Ils sont probablement moindres que ceux de laisser des armes de destruction massive entre les mains de Saddam Hussein.
À (1030)
[Français]
Le président: Monsieur Coulon.
M. Jocelyn Coulon: Je voudrais ajouter quelque chose sur cette question de changement de régime. Si on veut changer le régime en Irak parce qu'on estime que ce régime possède des armes de destruction massive ou qu'il pourrait en construire--parce que c'est plutôt ça, le problème--, alors j'aimerais qu'on me réponde sur la question de la Corée du Nord.
Qu'est-ce que l'on fait dans le cas de la Corée du Nord? Qu'est-ce que l'on fait dans le cas du Pakistan? Est-ce que le Pakistan est un régime allié, un régime opposé, un régime qui va s'effondrer? Et si c'est le cas, qu'arrive-t-il de ses armes de destruction massive?
Toute l'attention est sur l'Irak. Au moins trois pays ont déclaré qu'ils doutaient de ce que l'Irak possède ces fameuses armes de destruction massive. Et ce ne sont pas n'importe quels pays qui ont fait ces déclarations. Eh bien, qu'on nous donne des réponses sur la Corée du Nord et sur les autres.
[Traduction]
M. Murray Calder: Monsieur Coulon, cela nous amène à un point très intéressant. Nous craignons tous que tant que Hussein sera là, il essaiera de se constituer un arsenal nucléaire et quand ce sera fait, ira-t-il jusqu'à appuyer sur le bouton? C'est la même chose pour des pays comme la Corée du Nord. C'est ça qui m'inquiète.
Le président: Monsieur Martin, s'il vous plaît.
M. Stockwell Day: Monsieur le président, je réclame mon droit de faire un rappel au Règlement. Mme Lalonde m'a accusé d'être anti-Français et c'est très important. Quand je critique la participation des Britanniques à l'expédition de Suez, je ne suis pas anti-Anglais. Quand je critique les actes de l'Allemagne pendant la Deuxième Guerre mondiale, je ne suis pas anti-Allemand. Quand je critique l'action du Canada en Somalie, je ne suis pas anti-Canadien. Je considère cela, monsieur le président, comme une atteinte désobligeante à mes droits en tant que député. J'ai passé la majorité de ma vie politique à défendre les droits provinciaux des Québécois. Je passe des heures chaque mois à améliorer une langue que j'aime, qui se trouve être le français. C'est moi qui ai attaqué notre parti, lors de son incarnation précédente, pour sa campagne de publicité qui dénigrait les francophones du Québec. Mme Lalonde représente un parti qui veut faire éclater le Canada et en faire sortir le Québec, mais je ne l'ai jamais accusée d'être anti-Anglais, car je ne crois pas qu'elle le soit. Quand je critique les actions d'un autre gouvernement, me qualifier d'anti-Français ne ressemble pas aux normes que généralement Mme Lalonde se fixe pour elle-même. Je lui demanderais de retirer ces remarques.
Le président: Monsieur Day, ce n'est pas un rappel au Règlement, c'est un point de débat.
La parole est à M. Martin.
M. Keith Martin (Esquimalt—Juan de Fuca, Alliance canadienne): Messieurs, merci d'être venus. Je suis tout à fait d'accord avec les commentaires de Mme Carroll. Je les ai trouvés fascinants et j'aurais souhaité que tous les Canadiens puissent vous entendre.
Monsieur Taylor, monsieur Coulon, étant donné que le premier objet de nos préoccupations est la sécurité, étant donné notre dépendance économique vis-à-vis des États-Unis, j'aimerais que vous répondiez à trois questions. La première concerne l'endiguement par opposition à l'invasion. Si nous décidons d'envahir l'Irak, je me demande quelles seront les conséquences pour notre propre sécurité, avec Al-Qaïda, par exemple. Est-ce qu'une invasion de l'Irak n'aurait pas pour conséquence de faire gonfler les effectifs d'Al-Qaïda et de donner à Al-Qaïda la justification politique d'une augmentation de ses actions contre l'Ouest?
Deuxièmement, l'histoire nous montre clairement que les efforts de reconstruction après les conflits sont rarement suffisants. La partie facile, c'est la guerre. Ce qui m'inquiète, c'est ce qui se passera après et vous pourriez peut-être me donner votre point de vue.
Enfin, pourquoi l'Irak, pourquoi maintenant si on fait une analyse de risque comparative avec la Corée du Nord, le Pakistan et la Russie? La Russie a tout un stock de matières fissibles non contrôlées et compte toute une série d'individus capables de vendre leurs connaissances et d'apprendre aux autres comment construire un engin nucléaire.
Merci.
À (1035)
Le président: Monsieur Coulon.
[Français]
M. Jocelyn Coulon: Merci, monsieur Martin, pour vos questions. Je me contenterai de répondre à des questions plus politiques et je laisserai à M. Taylor le soin de répondre aux questions pertinentes à la Corée du Nord ou à la Russie. Ce sont des questions très techniques que je ne maîtrise pas, parce que je ne suis pas un spécialiste de ces questions-là.
Vous demandez si une invasion rapide de l'Irak ne va pas donner des munitions à la nébuleuse terroriste Al-Qaïda pour reprendre ses activités. Je vous ferai remarquer qu'on n'a pas eu besoin de parler de l'invasion de l'Irak pour qu'Al-Qaïda frappe, le 11 septembre 2001. Donc, les terroristes choisissent le moment, l'endroit et l'objectif qu'ils veulent, quelles que soient les actions des États-Unis, de la France ou de tout autre pays. Faut-il rappeler qu'Al-Qaïda est active depuis 1990, qu'il y a eu des attentats au World Trade Center en 1993, des attentats contre les troupes américaines en Somalie, etc. C'est une espèce de tourbillon que l'invasion de l'Irak va peut-être accélérer, mais à mon avis, il faut distinguer les deux choses.
Vous dites que war is the easy part et que c'est après que les problèmes commencent. Quant à savoir si la guerre peut être facile, ce n'est pas évident. Il a quand même fallu une centaine de jours de bombardements et ensuite trois jours d'offensive terrestre pour expulser les soldats du Koweït, et il était évident que nous avions affaire à une armée qui n'était pas si puissante que cela. Mais envahir un pays aussi grand que la Californie, se battre contre cette petite armée qui n'est pas très menaçante... Le problème, ce n'est pas tellement l'armée; ce sont les combats de rue, les combats dans les villes, les combats dans les montagnes, etc., puisque si le plan américain est d'envahir et d'occuper ce pays, il faut l'occuper. Cela me semble être l'aspect difficile.
L'après-guerre, c'est la reconstruction. Le Conseil de sécurité, les Européens et les organisations internationales devront entrer en ligne de compte lorsqu'il s'agira de reconstruire l'Irak. Voilà.
[Traduction]
M. Terence Taylor: Comme le temps nous est compté, je me limiterai effectivement à votre troisième question.
Pourquoi maintenant? Parce que je crois que la leçon du 11 septembre 2001 c'est qu'il est trop dangereux de laisser certaines situations se développer trop longtemps sans rien faire comme ce fut le cas pour l'Afghanistan. Tous les signaux étaient là et nous avons beaucoup trop attendu pour relier tous les points, et c'est alors qu'est arrivé cet affreux événement aux États-Unis. Ce n'est pas tant une question de lien direct. Je ne dis pas que l'Irak soutient Al-Qaïda. Ce que je dis c'est que 12 ans se sont écoulés, que nous n'avons pas désarmé l'Irak et qu'il a toujours ses armes de destruction massive. Il possède des armes chimiques et biologiques, et ces dernières sont très dangereuses parce qu'elles pourraient être utilisées par des terroristes et provoquer un nombre incalculable de victimes. Et comme je l'ai dit, si nous ne faisons rien, nous nous retrouverons avec un Irak qui possédera très bientôt, d'ici un an ou deux, l'arme nucléaire et, sur le plan stratégique, la situation dans cette région deviendra totalement différente. C'est le pourquoi du maintenant. Bien sûr, c'est trop tard. Nous aurions dû le faire il y a déjà quelque temps mais d'autres événements politiques ont distrait l'attention des principales puissances.
Quant au lien avec la République populaire démocratique de Corée, le nom complet de la Corée du Nord, si l'affaire irakienne n'est pas réglée de manière décisive, ce sera complètement mal interprété par Pyongyang qui n'y verra que des encouragements. Le Conseil de sécurité ne sera plus pris au sérieux, pas plus que le régime d'inspection. C'est donc une autre raison pour laquelle il faut régler maintenant le problème de l'Irak justement à cause de la situation en Corée du Nord.
Pour ce qui est de la Russie, bien qu'elle pose effectivement des problèmes très graves, elle a décidé de s'y attaquer de manière très résolue, et je suis très encouragé par le programme coopératif de réduction des menaces et par le travail du G-8 sur ces questions. La Russie unit ses efforts à ceux des pays clés sur ces questions de prolifération. Donc, même si nous devons éviter toute complaisance et tout laisser-aller, l'attitude de la Russie est très encourageante. Il y a entre autres l'exemple des Centres internationaux de sciences et de technologie qui participent à des projets d'emploi de scientifiques jusque-là spécialisés dans l'armement, et tout le monde participe à l'effort, l'Union européenne, le Japon et les États-Unis. Il y a donc un effort multilatéral d'engagé en Russie où le gouvernement du président Poutine agit d'une manière plus positive et plus déterminée que les précédents. Les problèmes ne sont pas réglés, ils restent sérieux et il ne faut pas les oublier, mais s'agissant de la Russie, monsieur Martin, je ne serais pas aussi inquiet que vous.
À (1040)
Le président: Merci.
Nous passons à Mme Redman.
Mme Karen Redman (Kitchener-Centre, Lib.): Merci.
J'aimerais également vous remercier de vos excellents témoignages.
Monsieur Taylor, vous avez peut-être déjà répondu à cette question, mais selon vous les inspections peuvent-elles aboutir à des résultats et dans quelles circonstances?
Deuxièmement, vu la complexité de la machinerie des Nations Unies, est-il possible, en dehors des Nations Unies, de donner une chance au multilatéralisme?
M. Terence Taylor: Est-ce que les inspections peuvent réussir? À court terme, seulement si le régime irakien coopère sincèrement, en d'autres termes, donne de nouvelles informations, etc. Autrement, il faudra des années, comme pendant les années 90, pour découvrir des programmes d'armement malgré les dénégations. J'ai parlé du programme d'armes biologiques quand les Irakiens ont fait leur première déclaration pleine et complète, suivie de plusieurs autres, comme ils les appelaient et nous ont dit, non, nous n'avons plus de programme d'armes biologiques offensives. C'était quatre ans et demi avant que nous ne découvrions la vérité. C'est ce qui nous attend si nous continuons de la même manière. Certains gouvernements estiment que c'est la solution la plus sûre parce qu'elle comporte un aspect d'endiguement et qu'elle rend plus difficile à l'Irak la poursuite de son programme d'accumulation d'armes de destruction massive. Il reste que dans les années 90, dans ces circonstances, ils ont poursuivi leurs programmes d'accumulation d'armes de destruction massive. Ils espèrent que la volonté politique finira par s'éroder avec le temps, comme M. Keeley l'a dit tout à l'heure; je suis d'accord avec lui. Poursuivre une procédure d'inspection qui n'en finit pas présente beaucoup trop de dangers. Peut-être sur 10 ans, avec la volonté politique, avec tous les moyens nécessaires, mais peut-on alors parler de réussite des inspections? Je réponds, non.
Je me suis tellement laissé emporter par la réponse à votre première question qu'il faudrait que vous me rappeliez la deuxième.
Mme Karen Redman: Je pose ces deux questions à tous les témoins.
Y a-t-il d'autres efforts multilatéraux susceptibles d'être efficaces si les tractations à l'ONU finissent par devenir un obstacle?
M. Terence Taylor: Les Nations Unies devraient avoir la priorité mais il y a d'autres exemples de travail régional. Le traité des forces conventionnelles en Europe en est un exemple, et il y a le document de Vienne de l'OSCE dans lequel les pays signataires ont introduit dans le régime une procédure d'inspection rigoureuse et vigoureuse. Donc, dans certaines circonstances régionales particulières, il est possible de trouver certaines solutions, mais le climat actuel ne s'y prête pas. Lors de la conférence de 1993 sur la paix au Moyen-Orient, où je représentais mon gouvernement, le Royaume-Uni, les Palestiniens, les Israéliens et les Égyptiens se sont mis d'accord sur les modalités des inspections dans le cadre du processus intégré de paix au Moyen-Orient. C'est donc possible, mais il faut que certaines conditions politiques soient remplies. Je dirais que dans la situation actuelle, il faut que les Nations Unies continuent à rester le premier centre d'action, et j'insiste, d'action et non pas d'inaction.
À (1045)
[Français]
Le président: Merci, monsieur Taylor.
Monsieur Bergeron, s'il vous plaît.
M. Stéphane Bergeron (Verchères—Les-Patriotes, BQ): Merci, monsieur le président.
D'abord, j'aimerais à mon tour vous remercier de vos excellentes présentations. Je dois dire que j'ai été, comme plusieurs ici, embarrassé par la tournure qu'a prise le débat quand on a assisté à une disgracieuse et grossière attaque contre la politique étrangère française, mais je trouve remarquable le fait que les États qui sont opposés à la guerre de la façon la plus virulente, à savoir la France, l'Allemagne, la Belgique, la Russie, sont des États qui, contrairement aux États-Unis et à la Grande-Bretagne, soient ceux qui ont un souvenir encore frais des affres de la guerre sur leur propre territoire. Je pense qu'on doit tenir compte de ce fait lorsqu'on fait des analyses ou qu'on tente de faire des analyses faciles à l'égard de la politique étrangère de certains pays dans le cadre du conflit actuel.
Cela dit, monsieur le président, j'ai de plus en plus l'impression que la communauté internationale est embrigadée dans une controverse et qu'elle répond d'abord et avant tout aux impératifs de la politique intérieure des États-Unis lorsqu'elle particularise ainsi l'Irak sur la scène internationale, parce que cet État violerait, semble-t-il, quelque 17 résolutions des Nations Unies, alors que d'autres États, comme Israël par exemple, en ont violé une vingtaine. Nous particularisons l'Irak qui, semble-t-il, posséderait ou fabriquerait des armes de destruction massive, ou aurait le potentiel d'en fabriquer, alors que nous savons pertinemment qu'un État, la Corée du Nord, détient des armes de destruction massive et multiplie les gestes de fermeté à l'égard de la communauté internationale en menaçant de se retirer du traité d'armistice et a procédé hier à un essai de missiles.
Je trouve qu'il y a là une particularisation pour le moins inquiétante qui, comme je le disais, semble répondre à des impératifs de politique intérieure des États-Unis, et je trouve désolant que la communauté internationale soit embrigadée dans cela.
Ma question s'adresse à M. Sassoli. Elle est liée au fait que la communauté internationale semble embrigadée dans une controverse qui dépend ou qui relève d'impératifs de politique intérieure américaine. On sait que le droit international qui a fait suite à la Seconde Guerre mondiale s'appuyait sur le caractère bipolaire du système international qui a émergé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Ne croyez-vous pas que l'émergence actuelle d'une hyperpuissance qui prend conscience de son statut entraîne maintenant une réforme, une redéfinition, un bouleversement du droit international afin que celui-ci tienne compte de cette nouvelle donne du système international?
Le président: Monsieur Sassoli.
M. Marco Sassoli: Merci, monsieur le président.
Un grand internationaliste américain, Detlev Vagts, qui enseigne à Harvard, a écrit dans l'American Journal of International Law un article intitulé Hegemonic International Law.
Ce serait un système complètement différent, un système qui nous rappellerait l'Empire romain auquel nous sommes tout de même redevables de beaucoup d'institutions juridiques. Mais il n'y avait pas de droit international. Il y avait un jus gentium, qui était le droit fait par l'Empire romain pour les étrangers. Pour l'instant, on vit encore dans le système qu'on appelle westphalien, qui est constitué par des États souverains et égaux. Je ferai une petite nuance en disant que la Charte des Nations Unies n'a pas été faite pour un système bipolaire. Le système bipolaire est tout de suite venu et a, quelque part, gelé ce système. C'était plutôt fait pour un système multipolaire.
À mon avis, la position de la France est aussi fortement due au fait qu'elle défend ce système multipolaire, parce que c'est là qu'elle a un rôle à jouer, tandis que dans un système hégémonique, évidemment, elle serait un pays moyen parmi d'autres. Donc, je dirais simplement que les autres États n'ont pas encore accepté un autre système, mais le droit international s'adapte et doit certainement s'adapter aux réalités internationales. Peut-être qu'après une guerre contre l'Irak sans l'accord des Nations Unies, ce qui serait tout de même un échec incroyable pour le système des Nations Unies, il naîtrait un nouveau système qui serait différent.
Mais n'abandonnons pas trop vite les Nations Unies seulement parce que nous ne sommes pas d'accord sur une certaine décision. Même si on trouve qu'il faut faire la guerre contre l'Irak, je crois qu'il est important qu'il y ait une décision commune. On fait partie d'une association et, comme dans toute association, on n'a pas toujours raison. La grande majorité des États ont voulu adopter certaines résolutions contre Israël. Imaginons ce qui se serait passé si tous les États avaient décidé que les Nations Unies ne servaient à rien parce que l'inaction a toujours prévalu quand les États-Unis ont utilisé leur droit de veto contre des résolutions qui, par la suite, se sont avérées non valables.
Merci.
À (1050)
[Traduction]
Le président: Merci, monsieur Sassoli.
Il y a encore trois de nos collègues qui aimeraient poser des questions. Si cela vous convient, je demanderais à Mme Kraft Sloan, M. Harvey et M. Peterson de poser chacun une question sans préambule.
Madame Kraft Sloan.
Mme Karen Kraft Sloan (York-Nord, Lib.): Merci beaucoup, monsieur le président.
Monsieur Sassoli, vous avez brièvement mentionné la Convention de Genève et le droit humanitaire et la possibilité de leur respect dans un monde après Saddam. D'aucuns prétendent que les Américains voudraient détenir des postes d'autorité, des postes supérieurs, dans un nouveau gouvernement. C'est ce que proposent certains. Ma question est double. Puisque la Convention de Genève s'appliquera, le droit humanitaire aussi, quels problèmes risque de poser à vos yeux un conflit armé en Irak?
[Français]
Le président: On va passer à M. Harvey.
[Traduction]
Vous répondrez à toutes les questions ensemble.
[Français]
Monsieur Harvey, s'il vous plaît.
M. André Harvey (Chicoutimi—Le Fjord, Lib.): Merci beaucoup, monsieur le président.
J'aimerais demander à M. Taylor s'il pense que dans le cadre d'une intervention armée--en passant, la France n'est pas nécessairement contre une intervention armée, elle est pour l'application de la Charte des Nations Unies--, il est possible qu'il y ait un ralliement rapide des forces armées irakiennes aux forces alliées.
Évidemment, pour terminer, j'aimerais demander à M. Coulon s'il juge que le déploiement des forces américaines et britanniques dans la région du golfe Persique joue un rôle extrêmement constructif dans le travail des inspecteurs. Je me demande personnellement où en serait rendu le travail des inspecteurs sans le déploiement des 250 000 jeunes Américains et Britanniques et des gens de quelques autres pays qui sont dans cette région.
Je ne veux pas tomber dans l'angélisme, parce que Saddam Hussein n'est pas le frère André. En tout cas, je pense qu'il faut traiter ça avec beaucoup de sérieux. Quand je regarde toutes les pancartes des manifestations que nous voyons partout dans le monde, je n'en vois pas beaucoup qui sont adressées à Saddam Hussein, qui est quand même au coeur du litige. Merci.
Le président: Merci, monsieur Harvey.
Monsieur Peterson.
[Traduction]
L'hon. Jim Peterson (Willowdale, Lib.): Monsieur Taylor, y a-t-il une chose sur laquelle vous n'êtes pas d'accord avec M. Blix ou ses inspecteurs?
Le président: Une petite question comme je les aime.
Pour la première question concernant la Convention de Genève, monsieur Sassoli.
[Français]
M. Marco Sassoli: Merci, monsieur le président.
La situation d'une occupation à la suite d'un conflit armé est couverte par de très nombreuses règles de la Quatrième Convention de Genève. Donc, le droit existe. J'ai simplement des craintes après ce que nous avons vu par rapport aux Troisième et Quatrième Conventions de Genève en relation avec les personnes que les États-Unis ont arrêtées en Afghanistan et qui sont détenues en ce moment à Guantanamo. Selon les théories de ces juristes nouveaux, ces personnes ne tombent ni sous l'une ni sous l'autre de ces conventions, sous aucun droit.
On craint que certains juristes, une fois que les États-Unis auront occupé l'Irak, nous sortent la théorie voulant que la Quatrième Convention de Genève ne s'applique pas à cette situation. Ça signifierait, à mon avis, la fin des Conventions de Genève, parce que si chacun peut y échapper au moyen d'arguties juridiques chaque fois qu'elles s'appliquent , lors du prochain conflit, où les victimes en auront peut-être encore plus besoin, on ne connaîtra plus de droit international humanitaire.
Merci.
À (1055)
Le président: Merci, monsieur Sassoli.
Monsieur Coulon.
M. Jocelyn Coulon: Sur le déploiement des troupes, c'est effectivement la menace des troupes américaines et britanniques, c'est-à-dire le bâton, qui fait en sorte que les inspecteurs sont aujourd'hui en Irak. La faiblesse des positions française et allemande et de toutes les autres positions qui favorisent le désarmement par la paix, c'est qu'elles n'ont pas brandi assez vigoureusement le bâton militaire. Si vous adoptez une résolution et qu'il n'y a pas de moyens ou de menace derrière elle, elle ne sera pas respectée. C'est pour cela que les Turcs ne se retirent pas de Chypre ou que d'autres pays ne respectent pas les résolutions contre les méfaits qu'ils commettent.
Je pense qu'il faut féliciter les Américains et les Britanniques d'avoir déployé ces moyens militaires. Mais pourquoi sommes-nous dans une situation où il n'y a que les Britanniques et les Américains qui aient déployé ces moyens, alors que les autres ne les déploient pas? J'ai l'impression que les Américains sont allés trop rapidement dans cette affaire. Ils ont commencé à déployer ces moyens avant même qu'on commence à discuter aux Nations Unies, alors qu'il aurait fallu faire le chemin contraire.
Merci.
[Traduction]
Le président: Merci, monsieur Coulon.
Monsieur Taylor, sur le travail de M. Blix.
M. Terence Taylor: Pourrais-je dire une chose en réponse à la question de M. Harvey, puisqu'elle s'adressait en partie à moi?
Le président: Oui, allez-y.
M. Terence Taylor: Il y aura d'autres pays, pas seulement les États-Unis et le Royaume-Uni. Nous savons déjà que neuf pays européens, environ, ont signé une lettre d'appui, outre l'Australie. Il ne s'agit donc pas d'une attaque unilatérale, comme on l'a indiqué plus tôt. En revanche, je doute que les forces irakiennes se rallient. On peut s'attendre à ce que la garde républicaine spéciale, peut-être, et d'autres éléments de la garde républicaine se défendent. Mais comme vous le savez sans doute, il ne faut qu'un nombre relativement petit de troupes très déterminées pour rendre la vie très difficile aux attaquants. Il ne faut pas l'oublier. Je ne crois toutefois pas que les forces irakiennes puissent tenir bien longtemps contre les forces de la coalition, même si celles-ci ne se composent que de soldats britanniques et américains.
Quant à la question sur M. Blix, à laquelle j'ajouterais Mohamed el Baradi dont les déclarations m'apparaissent importantes, je suis en accord presque complet avec les propos de M. Blix. Il s'est plaint que l'Irak n'avait pas respecté le fond de la résolution; il l'a fait régulièrement, de façon très claire et très lucide. Il a protesté un peu quand Colin Powell a fait des allégations sur les véhicules se trouvant près des sites, mais en ce qui a trait au fond de la résolution, il a été très clair. Je suis donc essentiellement d'accord avec lui, mais c'est ce que vous ferez de ces déclarations qui compte.
Dans le cas de Mohamed el Baradi, que je respecte énormément et dont je parle maintenant avec le plus grand respect, il a dit le 27 janvier que l'AIEA pourrait certifier en quelques mois que l'Irak n'a pas d'armes nucléaires. Je prétends que c'est impossible. Son exposé comporte deux éléments dont j'ai fait mention plus tôt. Premièrement, l'Irak n'a donné aucune information sur la conception des armes et les inspecteurs n'ont trouvé aucune composante d'arme. Deuxièmement, qu'a-t-on fait des 35 tonnes manquantes d'explosifs de haute qualité servant particulièrement aux armes nucléaires, le HMX? J'estime donc que la situation nucléaire est beaucoup moins encourageante que ne le laisse croire Mohamed el Baradi. Son rapport n'omet aucun fait, mais sa façon de le présenter s'est inspirée de ceux qui préfèrent donner à l'Irak le bénéfice du doute.
Le président: Merci, monsieur Taylor.
J'ai une question : quelle serait la meilleure façon pour le Canada de s'assurer que le Conseil de sécurité de l'ONU reste efficace et crédible dans cette crise?
M. Terence Taylor: C'est une question cruciale. Elle va au coeur même de toutes nos observations. Si pendant des mois ou même des années, le Conseil de sécurité de l'ONU se contente du statu quo en Irak, l'ONU perdra de sa crédibilité comme organisation pour la sécurité internationale. Quelles que soient les mesures qu'on décide de prendre, il faudra qu'elles soient prises sans plus attendre.
Á (1100)
[Français]
Le président: Monsieur Coulon.
M. Jocelyn Coulon: Je partage entièrement la position de M. Taylor là-dessus, mais je rappelle encore une fois que ce qui se passe en ce moment au Conseil de sécurité des Nations Unies, ce n'est pas ça. C'est une faction au Conseil de sécurité qui tente d'imposer son agenda à la majorité et qui tente de faire croire que la majorité est dans l'erreur. Or, si le Conseil de sécurité doit fonctionner, il doit fonctionner avec tous ses membres, qui n'ont pas à être intimidés. Quand un pays en arrive à intimider ses propres alliés, c'est qu'il y a quelque chose qui ne fonctionne plus dans sa politique étrangère.
Le président: Merci. Monsieur Sassoli,
[Traduction]
suivi de M. Keeley.
[Français]
M. Marco Sassoli: Merci, monsieur le président.
[Traduction]
Une bonne façon de miner la crédibilité du Conseil de sécurité
[Français]
et des Nations Unies est d'annoncer dès le début: quoi qu'ils décident, nous, nous ferons ce que nous voudrons. C'est inacceptable dans tout système juridique. Imaginez si, au Canada, quelqu'un faisait cette déclaration avant que l'organe compétent ne décide. Merci.
[Traduction]
Le président: Monsieur Keeley, voulez-vous répondre?
M. James Keeley: Je présume que tous les membres du conseil qui ont participé au vote sur la résolution 1441 l'ont fait en connaissance de cause. Le véritable problème, c'est qu'on est perdant quoi qu'on fasse. Le XXe siècle a commencé par la Première Guerre mondiale et s'est terminé par l'effondrement de l'Union soviétique. Les années à venir s'annoncent tout aussi intéressantes. Je ne peux imaginer que l'Irak acceptera de désarmer par bonté. Les États-Unis, la Grande-Bretagne et d'autres n'accepteront pas une situation qui ressemblerait à celle qui a prévalu de 1991 à 2002. C'est en troisième place sur ma liste de résultats souhaitables, mais de toute façon, il est déjà trop tard.
Le président: Merci beaucoup.
Je remercie nos témoins de ce matin de leurs remarques très édifiantes.
[Français]
Merci beaucoup. Ce fut un privilège pour nous de vous rencontrer ici aujourd'hui.
[Traduction]
Chers collègues, nous allons suspendre nos travaux pendant quelques minutes avant d'entendre la motion de Mme McDonough.
Á (1103)
Á (1108)
Le président:
Nous avons reçu une motion de Mme McDonough sur le rôle du Canada dans le règlement de la crise humanitaire en Irak. La motion est la suivante :
Que, à la lumière des preuves péremptoires présentées récemment au Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international, le comité exhorte le gouvernement du Canada à prendre les devants pour inciter les membres des Nations Unies à soulager la crise humanitaire qui sévit actuellement en Irak et à faire le nécessaire pour éviter la catastrophe humanitaire qu'entraînerait sans nul doute une guerre contre ce pays. |
Madame McDonough, vous avez la parole.
Mme Alexa McDonough: Merci beaucoup, monsieur le président.
Je serai brève, car je crois que ma motion est simple. J'ai présenté cette motion après avoir entendu la semaine dernière les témoignages très inquiétants et très alarmants des représentants de cinq ONG différentes offrant de l'aide humanitaire actuellement en Irak. Je crois savoir qu'on avait laissé entendre que le Comité des affaires étrangères et le Sous-comité du développement international se penchent sur cette question, mais qu'on a jugé que ce serait prématuré. Je ne vois pas comment on pourrait juger cela prématuré, compte tenu des événements qui se déroulent actuellement et des témoignages très détaillés et très convaincants que nous avons entendus la semaine dernière. Je sais que les membres du comité ont aussi reçu beaucoup d'information provenant d'autres sources. Il me semble d'autant plus urgent d'intensifier nos préparatifs humanitaires compte tenu de la stratégie américaine de «choquer pour se faire respecter» dont le Pentagone a laissé filtrer des bribes pour que le monde sache ce qui attend l'Irak et quelles en seront les conséquences humanitaires. Nous savons à quoi nous attendre.
J'espère donc que ma motion très simple jouira de l'appui de tous les membres du comité.
Dans un autre ordre d'idées, quand les deux ministres viendront témoigner devant notre comité, dès notre retour du congé parlementaire, j'espère qu'ils nous indiqueront ce que leur ministère respectif fait pour se préparer à accorder toute l'aide humanitaire qui sera nécessaire.
Á (1110)
Le président: Les prochains intervenants seront, dans l'ordre, M. Harvey, M. Bergeron et M. Martin.
[Français]
Monsieur Harvey, s'il vous plaît.
M. André Harvey: Monsieur le président, je veux remercier Mme McDonough pour sa proposition. Avec tout ce qui entoure l'intervention en Irak, nous sommes dans un processus de consultation au sein du comité. Nous sommes à l'écoute de tous les témoins qui viennent ici. Je pense que les témoins qui viennent ici et nous-mêmes faisons tous un travail qui est constructif.
Sur la question d'être prêts à aider, comme Mme McDonough le disait tout à l'heure, après les deux semaines d'ajournement, nous recevrons ici la ministre responsable de l'aide ainsi que le ministre responsable des questions internationales. C'est dans cet esprit que j'aimerais qu'on n'adopte pas une proposition en plein coeur de notre processus d'étude. Il se fait des choses à l'heure actuelle. Tout le monde sait que nous participons aux discussions depuis plusieurs années et que près de 35 millions de dollars ont été versés pour les personnes les plus vulnérables en Irak et même pour les réfugiés irakiens. Il y a aussi un fonds qui avait été demandé par les Nations Unies en décembre, et le gouvernement canadien, par l'entremise de l'Agence canadienne de développement international, a donné 1,7 million de dollars. Je pense que nous sommes fermement résolus à soutenir le processus des Nations Unies en espérant une solution pacifique.
Entre-temps, monsieur le président, nous opérons dans le cadre des organismes internationaux pour venir en aide au peuple irakien, qui en a grandement besoin. Je tiens à répéter que les ministres vont venir après nos deux semaines d'ajournement. Il nous reste une réunion, et on serait dans un meilleur contexte pour adopter une résolution après avoir entendu les personnes directement concernées par l'action du gouvernement. Très humblement, ce sont les commentaires que je voulais faire. Je vous remercie.
M. Stéphane Bergeron: Monsieur le président, on ne peut pas être contre la vertu. À la lumière des témoignages que nous avons entendus la dernière fois, il va sans dire qu'on doit déployer tous les efforts possibles pour éviter la catastrophe humanitaire appréhendée.
En principe, il n'y a absolument aucune opposition de mon côté à l'adoption de cette motion. J'ai simplement deux commentaires, un de forme et un de fond, à faire à l'égard de la motion.
Dans la traduction de la motion, qui a manifestement été rédigée en anglais, on voit «à la lumière des preuves péremptoires». Sauf tout le respect que je dois aux interprètes et aux traducteurs, monsieur le président, je ne crois pas que «compelling» puisse être traduit par «péremptoires» dans ce contexte particulier. On pourrait utiliser «évidentes», «flagrantes» ou «éloquentes», mais à la suggestion de ma collègue de Mercier, je pense que le mot «preuves» se suffit à lui-même et qu'il n'est pas nécessaire d'y ajouter un adjectif.
Maintenant, pour ce qui est de mon commentaire de fond, on dit à la toute fin: «à faire le nécessaire pour éviter la catastrophe humanitaire qu'entraînerait sans nul doute une guerre contre ce pays.» Je pense que c'est surestimer la capacité du Canada à éviter à lui seul la catastrophe humanitaire. Peut-être devrions-nous amender la proposition ainsi: «à faire le nécessaire pour contribuer à éviter la catastrophe humanitaire qu'entraînerait sans nul doute une guerre contre ce pays.» Il s'agira certainement d'un effort concerté de la communauté internationale pour éviter qu'il y ait une catastrophe dans ce pays advenant le déclenchement d'un conflit.
Le président: Merci, monsieur Bergeron.
Monsieur Martin.
[Traduction]
M. Keith Martin: La motion de Mme McDonough me plaît, mais j'aimerais quand même proposer un amendement favorable à la motion qui refléterait la réalité, comme l'a mentionné M. Harvey. Mon amendement est le suivant : après «du Canada», je propose qu'on remplace «à prendre les devants pour inciter les membres des Nations Unies à» par «à participer encore plus intensivement aux efforts déployés actuellement auprès des membres des Nations Unies pour». Cela témoignerait du fait que le Canada est déjà engagé, mais qu'il faudrait qu'il soit davantage proactif, ce qui est, je crois, l'intention de Mme McDonough avec cette motion très louable.
Á (1115)
Mme Alexa McDonough: Monsieur le président, pour faciliter la discussion, j'accepte l'amendement de M. Martin.
Le président: D'accord.
Monsieur Eggleton, à vous la parole.
L'hon. Art Eggleton (York-Centre, Lib.): Nous avons en effet entendu des témoignages très émouvants. Je crois donc que cette motion est tout à fait raisonnable, compte tenu de l'amendement de M. Martin. Des témoins sont venus nous dire qu'il y avait 16 millions de civils, dont la moitié sont des enfants, qui dépendent de la distribution alimentaire par le gouvernement de l'Irak, en raison des sanctions. Cet approvisionnement sera coupé, en cas de guerre. La famine ne tardera pas. Il y a déjà là des gens sous-alimentés. Des gens, y compris des enfants, meurent déjà de faim en Irak, en cas de guerre, la situation ne fera qu'empirer. Vous vous souviendrez qu'un autre témoin nous a dit que le largage aérien d'aide alimentaire n'était pas très efficace. Cela n'a pas fonctionné très bien en Afghanistan, et ne fonctionnera probablement pas mieux en Irak. On nous a aussi dit que l'accès à l'eau potable était difficile, ce qui risque de causer des maladies. On a donc tout lieu de croire que ce sera un désastre humanitaire.
Mais je pense que cela ne se rapporte pas à l'ACDI. Je comprends que M. Harvey dise que le ministre responsable de l'ACDI veuille comparaître. L'ACDI s'acquitte de son rôle, mais il s'agit d'un contexte plus large. Il s'agit pour le Canada de prendre une position, aux Nations Unies et sur d'autres tribunes internationales, pour faire comprendre aux pays qui participeront à cette attaque, soit les États-Unis, le Royaume-Uni et d'autres, qu'ils doivent tenir compte de cette question de l'aide humanitaire. S'ils attaquent l'Irak, qu'ils n'oublient pas qu'il y a des millions et des millions d'enfants et de civils innocents en danger, non seulement à cause des bombes, mais aussi à cause de la famine et des maladies. Pour moi, c'est l'objet de la motion. Je ne pense pas qu'il y ait de rapport avec l'ACDI.
Si le ministre responsable de l'ACDI devait venir ici d'ici quelques jours ou d'ici une semaine, je dirais bien, on peut reporter; elle aura peut-être quelque chose à ajouter, même si je ne crois pas qu'il s'agit vraiment du contexte de l'ACDI. Mais nous parlons de deux semaines et demie à trois semaines, étant donné ce qui se produit maintenant, c'est très long. Je pense qu'il faut vraiment penser à ce désastre humanitaire. Des millions de civils, des millions d'enfants sont menacés. En cas d'attaque, les États-Unis et le Royaume-Uni doivent commencer à envisager des façons de s'occuper du problème, dans le contexte de l'attaque.
J'appuie donc la motion telle que modifiée par M. Martin.
[Français]
Le président: Madame Lalonde, s'il vous plaît.
Mme Francine Lalonde: Je voulais remercier Mme McDonough d'avoir présenté cette proposition ce matin. J'ai entendu aux nouvelles que les États-Unis disent avoir accumulé de la nourriture dans des entrepôts autour de l'Irak, mais je me suis rappelé, moi aussi, qu'on nous avait déjà dit que cette façon d'apporter des aliments était hautement inefficace, comme on l'a vu en Afghanistan. On oublie peut-être que les sacs d'aliments avaient la même couleur jaune que les bombes à fragmentation, ce qui était une erreur particulièrement odieuse. À mon avis, c'est d'autant plus important qu'on ne se reverra qu'après la relâche de deux semaines. La guerre sera-t-elle alors commencée? Je pense que c'est le moment, comme l'a dit M. le ministre, comme on dit en France.
Le président: Merci, madame Lalonde.
Madame Kraft Sloan.
[Traduction]
Mme Karen Kraft Sloan: Merci beaucoup, monsieur le président.
J'appuie cette motion et je crois que mon collègue, au bout de la table, a présenté de très bons arguments. Et Mme Lalonde a raison de signaler que la guerre pourrait commencer avant le retour de la Chambre.
À titre de nouvelle membre associée du comité, j'aimerais qu'on m'explique le mécanisme auquel vous recourez pour présenter cette demande au gouvernement. S'agit-il simplement d'une résolution adressée au gouvernement? D'une lettre? De la convocation de certains témoins?
Á (1120)
Le président: Pour répondre à Mme Kraft Sloan, si la motion est adoptée, je déposerai la motion à la Chambre.
Madame Redman, c'est votre tour.
Mme Karen Redman: Merci, monsieur le président.
Il semble y avoir un fort consensus au sujet de l'objectif de la motion, mais je vais proposer qu'on la reporte jusqu'après la comparution de la ministre. Tous semblent faire preuve de bonne volonté et je sais que Mme McDonough a accepté un amendement favorable de M. Martin, mais j'ai toujours des objections quand on agit trop vite et je crois qu'il serait très utile d'entendre la ministre. C'est une bonne motion, mais elle mérite réflexion. Je propose donc qu'elle soit reportée jusqu'après la comparution de la ministre.
Le président: L'amendement de M. Martin a été présenté au comité et accepté par Mme McDonough. Le comité adopte-t-il l'amendement favorable de M. Martin?
(L'amendement est adopté)
Le président : Nous avons maintenant la motion de Mme Redman, pour le report de la motion de Mme McDonough.
Je donne d'abord la parole à Mme McDonough, qui a présenté la motion, puis à M. Harvey et à M. Bergeron.
Mme Alexa McDonough: Je me prononce résolument contre toute motion visant à reporter la mienne, dans les circonstances. Des membres du comité, de tous les partis, ont déjà affirmé l'urgence de ceci. La Chambre ne siégera pas et le comité n'entendra pas la ministre avant au moins trois semaines. Ce serait nous enfouir la tête dans le sable que de ne pas reconnaître la grande urgence de cette situation. Nous prenons simplement nos responsabilités, comme membres du comité, en agissant, après avoir entendu des témoignages convaincants sur l'importance de la prise de position du comité, qui doit être faite, d'urgence. Je vous invite à défaire la motion qui irait à l'encontre même de celle que j'ai déposée. Je ne crois pas du tout que nous précipitons les choses. Nous agissons en tenant compte non seulement des témoignages présentés au comité, mais de tous les faits qui nous entourent et dont nous prenons connaissance. Si le Comité des affaires étrangères ne peut pas agir d'urgence là-dessus, nous ne sommes peut-être rien d'autre qu'un club de conférence. Je ne pense pas que ce soit ce que les Canadiens attendent de nous.
Le président: Bien.
Vous avez la parole, monsieur Harvey.
[Français]
M. André Harvey: C'est une motion pleine de bonne foi, et il faut le reconnaître, qui demande au gouvernement de tout mettre en oeuvre. Cependant, avant d'adopter des motions faciles, pour gagner le respect qu'on veut avoir de tout le monde, nous devons attendre que les intervenants soient venus nous expliquer ce qu'on fait déjà, tant au niveau de nos démarches dans le cadre des Nations Unies qu'au niveau des programmes actifs en matière d'aide internationale.
On peut adopter une motion pour dire au gouvernement de faire tout ce qui est possible et de se préparer ensuite, monsieur le président, mais si on veut approfondir davantage ces deux aspects, on doit attendre que les ministres soient venus. Je ne dis pas que la motion est mauvaise; je dis que nous devons être un petit peu plus sérieux dans notre démarche. Ce n'est pas si difficile.
Á (1125)
Le président: Merci, monsieur Harvey.
Monsieur Bergeron.
M. Stéphane Bergeron: Monsieur le président, je m'oppose avec virulence à la motion de Mme Redman, quoique je comprenne fort bien les motifs qui la sous-tendent. Cela dit, nous assistons à une crise humanitaire. Actuellement, avant même que le conflit ne soit déclenché, il y a une crise humanitaire des plus graves qui sévit en Irak. Nous avons sous la main un rapport des Nations Unies sur les problèmes humanitaires en Irak, qui stipule que les Nations Unies ont besoin d'argent maintenant, à ce moment-ci, non seulement pour satisfaire aux besoins actuels en Irak, mais également pour se préparer dans l'éventualité d'un conflit. Comme il appert qu'il y a de fortes chances que ce conflit soit déclenché dans les jours qui viennent, alors que cette Chambre doit ajourner pour deux semaines, nous ne pouvons pas attendre que la ministre ait comparu devant ce comité avant de prendre acte. D'une part, comme M. Eggleton le signalait il y a quelques instants, ce n'est pas une question qui touche uniquement la ministre de la Coopération internationale, mais une question qui touche l'ensemble du gouvernement canadien, qui doit intervenir auprès des Nations Unies et auprès des pays membres des Nations Unies pour que des démarches soient entreprises afin d'accélérer le tempo et faire en sorte d'éviter la catastrophe. Donc, ce n'est pas une question qui touche uniquement la ministre de la Coopération internationale. D'autre part, monsieur le président, nous avons affaire à une urgence et nous ne pouvons pas attendre que la ministre comparaisse. Ce n'est pas qu'une question d'argent; il s'agit de l'influence que le Canada peut exercer sur la scène internationale.
Nous devons donc adopter cette motion maintenant; nous ne pouvons pas attendre trois semaines pour le faire. Dans trois semaines, il sera peut-être trop tard, monsieur le président.
Le président: Merci, monsieur Bergeron.
[Traduction]
Monsieur Day, monsieur Martin, madame Lalonde et monsieur Casey.
Commençons par M. Day.
M. Stockwell Day: Monsieur le président, le compte rendu montre bien le nombre de fois où je me suis dit d'accord avec l'ancien représentant des Néo-Démocrates à ce comité, et je suis aussi d'accord avec sa représentante actuelle. C'est une question d'urgence. D'autres nations participent déjà à la planification, en Angleterre, aux États-Unis, en collaboration avec des Irakiens exilés, pour répondre aux besoins humanitaires et à long terme de l'Irak. Les sondages nous disent que les Canadiens sont majoritairement contre une intervention militaire, mais ils seraient certainement en faveur du type d'intervention dont nous parlons. Cette question ne saurait tolérer aucun retard, à mon avis.
Le président: À vous, monsieur Martin.
M. Keith Martin: Dans les services d'urgence, on parle de l'heure dorée pour décrire celle pendant laquelle il faut traiter quelqu'un qui arrive à l'urgence, pour lui donner les meilleures chances de survivre. Après cette période, le taux de mortalité grimpe rapidement. Chers collègues, je dirais que pour l'Irak, nous sommes dans cette période. Comme l'a dit M. Eggleton, nous sommes au courant du désastre humanitaire incroyable déjà en cours. C'est en Irak que le taux de mortalité chez les enfants de moins de cinq ans a le plus augmenté au cours des 10 dernières années, par rapport au reste du monde; 60 p. 100 de la population de moins de 15 ans dépend de l'aide humanitaire et ce conflit supprimera l'accès à l'eau potable et à la nourriture, pour la période du conflit et pour après, aussi. Si nous n'agissons pas maintenant, l'heure magique pendant laquelle il fallait agir sera passée, pour les civils irakiens. Si on attend deux semaines et demie, il sera trop tard, et le taux de mortalité commencera déjà à augmenter rapidement. C'est maintenant l'occasion pour le comité de faire une déclaration forte, qui pourrait avoir un effet positif important, en sauvant des vies dans ce pays. J'appuie fermement l'intervention de Mme McDonough et je me prononce contre les efforts visant à retarder la motion.
[Français]
Le président: Madame Lalonde.
Mme Francine Lalonde: Je serai très brève, monsieur le président. Je ne répéterai pas les arguments des autres. On dit ici que le comité doit exhorter le gouvernement du Canada à prendre les devants, à faire de la politique pour inciter les autres à faire quelque chose. Ce sont les deux éléments qui sont là. Donc, on n'a pas besoin d'entendre la ministre. J'imagine que la ministre ne pourrait s'opposer à cela d'aucune espèce de façon. On parle du gouvernement du Canada.
[Traduction]
Le président: Monsieur Casey, c'est à vous.
Á (1130)
M. Bill Casey (Cumberland—Colchester, PC): Merci beaucoup.
Il arrive tellement souvent, quand nous proposons une motion de ce côté-ci de la table, qu'on nous dise qu'il faudrait la reporter à plus tard, que nous devrions attendre, que c'est prématuré. C'est ce qu'on nous dit tout le temps. En l'occurrence, ce n'est pas prématuré. Il faut agir dès maintenant. Ce n'est pas une critique envers le gouvernement, il s'agit simplement de communiquer le message que notre groupe pense que le Canada a un rôle à jouer et que nous devrions le jouer. Je pense que le Canada a eu de la misère à trouver un rôle à jouer dans tout ce dossier, et voici justement un rôle que nous pouvons jouer. Nous sommes bons dans ce domaine. Nous avons le respect du monde entier pour prendre la tête de cela. Je suis en faveur de mettre la motion en discussion dès maintenant, et je vais voter en faveur de la motion quand elle sera mise aux voix.
[Français]
Le président: Madame Marleau, s'il vous plaît.
L'hon. Diane Marleau (Sudbury, Lib.): Je crois qu'on est déjà en train de faire beaucoup de ce travail, mais je ne sais pas jusqu'à quel point. Je ne vois pas pourquoi on ne voterait pas pour une telle motion, vu que c'est quelque chose qu'on fait habituellement et qu'on est probablement déjà en train de faire. Je crois qu'on peut rencontrer la ministre et s'informer davantage, mais je pense qu'il serait bon de démontrer l'attention qu'on porte à ce sujet.
[Traduction]
Je crois vraiment que nous devrions voter en faveur de la motion. Elle ne fait pas de tort. C'est justement le genre de chose que le Canada fait toujours et que nous devrions faire maintenant, si nous ne le faisons pas déjà, car je que nous le faisons déjà probablement. Je dis donc qu'il faut voter en faveur de cette motion et faisons-le dès maintenant.
Le président: Très bien.
Monsieur Eggleton, vous avez le dernier mot.
M. Art Eggleton: J'espère que nous le faisons déjà, mais quand Paul Heinbecker, notre très distingué ambassadeur à l'ONU, a pris la parole l'autre jour, je ne l'ai pas entendu dire quoi que ce soit sur la crise humanitaire. C'est une affaire qui concerne les Affaires étrangères plus que l'ACDI, parce que ce qui est en cause, ce n'est pas seulement la participation canadienne, ce qui relèverait de l'ACDI, ce qu'on veut, c'est que le Canada dans son ensemble mette la question au premier plan, et Heinbecker devrait déployer des efforts pour mettre cette question à l'avant-plan à l'ONU.
Le président: Je veux seulement dire à M. Eggleton que notre ambassadeur a dit la semaine dernière que la situation humanitaire dans ce pays est déjà grave.
Nous sommes saisis d'une motion de Mme Redman qui demande que cette motion soit reportée. Nous allons mettre cette motion aux voix.
[Français]
Ça veut dire que la motion sera reportée à plus tard, pour ceux qui votent en faveur.
[Traduction]
(La motion est rejetée)
Le président : Sommes-nous d'accord pour adopter la motion de Mme McDonough, modifiée par un amendement favorable de M. Martin?
Monsieur Bergeron.
[Français]
M. Stéphane Bergeron: Je n'ai pas fait de proposition formelle d'amendement, mais j'ai évoqué un problème de traduction au niveau du mot «péremptoires». Il faut corriger ce truc-là. J'avais également fait un ajout qui aurait pu être considéré comme un friendly amendment: «pour contribuer à éviter la catastrophe humanitaire qu'entraînerait sans nul doute une guerre contre ce pays.»
Le président: Mais à quel endroit mettrait-on les mots «pour contribuer à...»?
M. Stéphane Bergeron: C'est: «pour contribuer à éviter...». On insérerait les mots «contribuer à» entre «pour» et «éviter».
Le président: Au lieu de «soulager»?
Mme Francine Lalonde: Non, c'est: «pour contribuer à éviter la catastrophe...».
M. Stéphane Bergeron: Au lieu de «pour éviter...», ce serait «pour contribuer à éviter...».
Mme Francine Lalonde: Parce qu'en anglais, on a le mot «addressing», qui ne veut pas dire éviter, mais faire quelque chose.
Le président: Ça va. C'est «pour contribuer à éviter...» à la deuxième ligne avant la fin du paragraphe. Parfait.
[Traduction]
Très bien, nous mettons donc la question aux voix. La motion de Mme McDonough, modifiée par les deux amendements favorables de M. Martin et de M. Bergeron, est-elle adoptée?
(La motion modifiée est adoptée)
Le président : Je dois maintenant avoir l'assentiment du comité pour que la présidence fasse rapport de cette motion à la Chambre.
(La motion est adoptée)
Le président : La séance est levée.