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FAIT Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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37e LÉGISLATURE, 2e SESSION

Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international


TÉMOIGNAGES

TABLE DES MATIÈRES

Le jeudi 27 mars 2003




¿ 0910
V         Le président (M. Bernard Patry (Pierrefonds—Dollard, Lib.))
V         M. John Noble (associé, «Centre for Trade Policy and Law», université Carleton)

¿ 0915

¿ 0920

¿ 0925

¿ 0930

¿ 0935
V         Le président
V         M. Gordon Smith (directeur général, « Centre for Global Studies », président, conseil des gouverneurs, centre de recherches pour le développement international, Université de Victoria)

¿ 0940

¿ 0945

¿ 0950
V         Le président
V         M. Deepak Obhrai (Calgary-Est, Alliance canadienne)
V         Le président
V         M. Gordon Smith
V         Le président
V         M. John Noble

¿ 0955
V         Le président
V         Mme Francine Lalonde (Mercier, BQ)

À 1000
V         Le président
V         M. Gordon Smith
V         Le président
V         M. John Noble

À 1005
V         Mme Francine Lalonde
V         M. John Noble
V         Le président
V         M. Murray Calder (Dufferin—Peel—Wellington—Grey, Lib.)
V         Le président
V         M. John Noble

À 1010
V         M. Gordon Smith
V         Le président
V         M. Bill Casey (Cumberland—Colchester, PC)
V         M. Gordon Smith

À 1015
V         M. Bill Casey
V         Le président
V         M. John Noble

À 1020
V         M. Gordon Smith
V         Le président
V         Mme Karen Redman (Kitchener-Centre, Lib.)
V         M. Gordon Smith
V         Le président

À 1025
V         Le président
V         M. Gordon Smith

À 1030
V         M. John Noble

À 1035
V         Le président
V         M. Keith Martin (Esquimalt—Juan de Fuca, Alliance canadienne)
V         Le président
V         M. Gordon Smith

À 1040
V         Le président
V         M. John Noble
V         M. Keith Martin
V         M. John Noble
V         M. Keith Martin
V         M. John Noble

À 1045
V         M. Keith Martin
V         Le président
V         M. André Harvey (Chicoutimi—Le Fjord, Lib.)
V         M. John Noble

À 1050
V         M. André Harvey
V         M. John Noble
V         M. André Harvey
V         M. John Noble
V         Le président
V         Mme Karen Kraft Sloan (York-Nord, Lib.)

À 1055
V         Le président
V         M. Gordon Smith
V         Mme Karen Kraft Sloan
V         M. Gordon Smith
V         Le président
V         M. Irwin Cotler (Mont-Royal, Lib.)

Á 1100
V         M. Gordon Smith
V         Le président
V         Mme Francine Lalonde
V         M. John Noble

Á 1105
V         Le président
V         Mme Aileen Carroll (Barrie—Simcoe—Bradford, Lib.)

Á 1110
V         M. John Noble

Á 1115
V         Le président
V         L'hon. Art Eggleton (York-Centre, Lib.)
V         M. Gordon Smith

Á 1120
V         Le président
V         M. John Noble
V         The Chair
V         Stockwell Day (Okanagan—Coquihalla, Alliance canadienne)

Á 1125
V         M. Gordon Smith
V         M. John Noble

Á 1130
V         Le président
V         M. Murray Calder
V         M. Gordon Smith
V         Le président
V         M. Keith Martin
V         M. Gordon Smith
V         Le président

Á 1135
V         M. Gordon Smith
V         Le président
V         M. John Noble
V         Le président
V         M. Stockwell Day
V         Le président
V         Mme Aileen Carroll
V         M. Stockwell Day
V         Mme Aileen Carroll
V         M. Stockwell Day
V         M. Art Eggleton
V         Mme Aileen Carroll

Á 1140
V         Le président
V         M. Stockwell Day
V         Le président










CANADA

Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international


NUMÉRO 026 
l
2e SESSION 
l
37e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le jeudi 27 mars 2003

[Enregistrement électronique]

¿  +(0910)  

[Traduction]

+

    Le président (M. Bernard Patry (Pierrefonds—Dollard, Lib.)): Nous allons commencer. Notre ordre du jour est le suivant : Conformément à l'article 108(2) du Règlement, étudier le dialogue sur la politique étrangère du ministre des Affaires étrangères.

    Nous accueillons aujourd'hui M. John Noble, professeur agrégé au Centre for Trade Policy and Law de l'Université Carleton. M. Noble est un ancien diplomate qui a été ambassadeur en Grèce, en Suisse et au Liechtenstein, puis sous-chef de mission en France. Nous accueillerons aussi M. Gordon Smith, directeur général du Centre for Global Studies à l'Université de Victoria et président du conseil des gouverneurs du Centre de recherche pour le développement international. Il a quitté la fonction publique fédérale après avoir été sous-ministre des Affaires étrangères et il a été le représentant personnel du premier ministre aux sommets du G-7 et du G-8.

    Bienvenue à tous les deux.

    Nous allons commencer par M. Noble.

+-

    M. John Noble (associé, «Centre for Trade Policy and Law», université Carleton): Merci, monsieur le président, et merci aux membres du comité.

    Je suis très heureux de me trouver ici ce matin et de renouer avec certains membres de ce comité que j'avais rencontrés dans le cadre de l'Association des parlementaires Canada-Europe qui, comme vous le savez, regroupe des parlementaires venant des 44 pays membres du Conseil de l'Europe. Il ne faut pas confondre avec le Parlement européen dont les membres sont directement élus et qui ne représentent que des États membres de l'Union européenne. Je tenais simplement à dire que la participation de la délégation parlementaire canadienne à l'Assemblée des parlementaires du Conseil de l'Europe est beaucoup appréciée par tout le monde. Mme Lalonde a fidèlement participé à presque toutes les délégations. J'étais en rapport avec cette association parce que je faisais office d'observateur permanent du gouvernement canadien quand j'étais ambassadeur à Bern. Je tiens aussi à souligner le travail de l'honorable Charles Caccia dans le cadre de cette assemblée. Il travaille avec beaucoup de sérieux, comme Aileen Carroll, d'ailleurs. Malheureusement, le Canada ne peut devenir membre du Conseil de l'Europe parce que nous ne satisfaisons pas au critère géographique sinon, question sentiments et valeurs, il existe une grande similitude entre la plupart des parlementaires européens et canadiens.

    C'est la première fois que je m'adresse à ce comité dans une qualité autre que celle de fonctionnaire, ce qui, je suppose, me confère un peu plus de latitude. La dernière fois remonte à 10 ans. Nous avions alors parlé du programme pour la paix de Boutros Boutros-Ghali qui, à l'époque, était très en vogue et nous pensions qu'il parviendrait peut-être à changer les choses et à faire en sorte que l'Organisation des Nations Unies devienne enfin ce qu'elle est censée être depuis le début, c'est-à-dire le principal instrument de garantie de la sécurité internationale. Force est de constater que ce rêve ne s'est pas réalisé.

    Je vais m'efforcer de traiter des questions très importantes énoncées dans le document à l'étude. Je commencerai par vous préciser que, dans mes 35 années de service aux Affaires étrangères, j'ai assisté à plusieurs examens de politique et à nombre de différends avec notre voisin, les États-Unis. J'ai d'ailleurs écrit à ce sujet dans un article qui a paru dans le numéro de février 2003 de Policy Options, sous le titre «Getting the Eagle's Attention without Tweaking its Beak». J'ai fait remettre ce document au greffier, mais on peut aussi le consulter sur le site Web de l'IRPP.

    Passons maintenant aux défis d'avenir. En passant, monsieur le président, je me dois de féliciter votre comité et vous-même pour votre rapport du 12 décembre dernier qui invite le Canada à promouvoir une vision stratégique nord-américaine. Le greffier a été assez aimable pour me faire parvenir votre rapport de janvier dernier, après qu'il fut enfin publié, et j'ai eu l'occasion d'en prendre connaissance de la première à la dernière page, bien que ce soit un document impressionnant, non pas par son volume, mais par son contenu. Étant donné la réticence du gouvernement actuel à discuter de certains des problèmes que vous soulevez dans votre rapport, il ne faut pas s'étonner que vous n'ayez pas recommandé une ordonnance aussi sévère que vous l'auriez pu, mais vous avez au moins fait ressortir les grandes questions sur lesquelles il convient de se pencher et vous avez même recommandé d'étudier ces questions. S'agissant de la formulation de cette vision stratégique, vous avez essentiellement exprimé la nécessité de tenir compte des intérêts du Canada et pas uniquement de ses sentiments.

    Votre rapport comporte aussi de nombreuses remarques formulées par ceux qui critiquent l'idée d'un nouveau rapprochement avec les États-Unis. La plupart de ces gens là ne sont que de mauvais perdants du débat du libre-échange des années 80 et je ne crois pas qu'ils reflètent l'attitude de la plupart des Canadiens et des Canadiennes qui, au contraire, espèrent un resserrement des relations avec les États-Unis comme l'a confirmé le plus récent sondage publié cette semaine par les sondeurs du parti Libéral. Malheureusement, les récalcitrants feront toujours la une des journaux, raison pour laquelle j'ai recommandé mainte fois la création d'une autre commission royale, celle-là sur les perspectives économiques du Canada, afin de s'assurer que tout le monde aura son mot à dire et que nous disposerons d'une base analytique solide pour prendre une décision politique. C'est ce qu'avait fait Pierre Trudeau quand il avait créé la Commission royale Macdonald.

    Je me permettrai aussi de rappeler au comité ce qu'a écrit Pierre Trudeau en mai 1983, dans une lettre ouverte adressée aux Canadiens à propos des essais des missiles cruise au Canada: «L'anti-américanisme primaire de certains Canadiens frise l'hypocrisie». Pour le gouvernement canadien quel qu'il soit, les relations avec les États-Unis doivent être une priorité absolue de notre politique étrangère. L'intégration économique nord-américaine est en train de devenir réalité, que les gouvernements soient ou non d'accord et, à moins que le gouvernement canadien ne parvienne à limiter davantage les effets de l'incertitude créée à la frontière au lendemain des événements du 11 septembre, nous allons menacer les emplois au Canada, avec le cortège de problèmes que cela pourrait signifier pour notre système d'assistance sociale.

    Les opposants à l'intégration économique craignent que celle-ci nous conduisent à l'intégration politique, mais j'estime que ce serait complètement insensé pour les deux côtés de la frontière. Les Américains ont, il y a longtemps déjà, renoncé à leur prétention de contrôler notre destinée et le parti Républicain serait très inquiet de voir l'équilibre politique au Sénat et à la Chambre renversé par ceux qu'ils appellent les extrémistes libéraux canadiens. Les Canadiens, de leur côté, n'ont jamais voulu faire partie des États-Unis, mais ils ont toujours voulu bénéficier des avantages économiques associés à une étroite relation avec eux. L'ambassadeur des États-Unis au Canada a récemment déclaré que les préoccupations que son pays entretenait en matière de sécurité éclipsent les préoccupations économiques du Canada. Je dirais que le défi, pour les décideurs canadiens, consiste maintenant à trouver une façon d'imbriquer ces deux objectifs de manière à les rendre acceptables pour les deux pays.

    Votre comité a entendu plusieurs témoins en vue de la préparation de son rapport de 2002 et je ne répéterai pas les propositions qui vous ont été faites, si ce n'est pour vous dire que vous avez tout à fait raison de réclamer la formulation d'une vision stratégique portant sur tous les aspects de la question et ne se ramenant pas simplement à une politique improvisée des petits pas. Nous allons devoir faire des choix difficiles et, si nous ne les faisons pas nous-mêmes, d'autres s'en chargeront pour nous, avec des conséquences qui pourraient être particulièrement néfastes pour les intérêts du Canada.

    Je recommanderai tout d'abord que nous adoptions une stratégie nationale canadienne en matière de sécurité, stratégie dans laquelle nous pourrions énoncer nos objectifs, les défis auxquels nous sommes confrontés et où nous proposerions des façons d'aborder la problématique, pas uniquement du point de vue de la politique étrangère et de la politique de défense, mais aussi du point de vue de la politique sur la sécurité nationale. En septembre dernier, le président Bush a annoncé sa stratégie en matière de sécurité nationale dont deux doctrines sont la frappe préventive et l'unilatéralisme. On y trouve aussi une stratégie et une politique d'action multilatérale. Le Président a notamment déclaré qu'«aucune nation ne parviendra, à elle seule, à bâtir un monde meilleur et plus sûr» et que les «alliances et les institutions multilatérales permettront de décupler la force des nations qui chérissent la liberté».

    La plupart des commentateurs canadiens, notamment le ministre Graham, n'ont rien dit à propos du chapitre 8 de la National Security Strategy dans lequel il est dit que le Canada est une puissance mondiale. N'importe quel politicien canadien qui irait raconter que notre pays est une puissance mondiale serait presque instantanément la risée publique. Dans ce même chapitre 8, on peut lire: «Les États-Unis ne pourront obtenir que très peu de résultats durables dans le monde sans la coopération soutenue de leurs alliés et amis, sans le Canada ni l'Europe». Il s'agit-là d'une citation directement extraite de la stratégie de sécurité nationale américaine. Tout cela a été complètement ignoré par la presse canadienne qui s'offusque pourtant toujours très vite des omissions des Américains mais qui passe complètement sous silence chaque fois qu'un Américain attribue un quelconque mérite au Canada. Cette déclaration n'a rien perdu de sa validité dans les sables irakiens ni dans notre échec à promouvoir à l'ONU une proposition de compromis au sujet de l'Irak. Autrement dit, nous allons devoir engager les États-Unis sur tout un ensemble de dossiers et nous tenir prêts à discuter de leurs préoccupations tout autant que des nôtres. Nous pourrions ainsi combiner l'engagement du Canada envers le multiculturalisme aux efforts déployés en vue d'influencer les États-Unis. Il faut prendre nos voisins au mot, les interpeller, plutôt que de sans cesse les critiquer sournoisement.

    Je ne suis pas sûr que l'allusion du ministre Graham à un cadre de politique internationale, dans son intervention devant ce comité il y a deux jours, englobe ce à quoi je pense quand je parle de stratégie de sécurité nationale. Celle-ci ne porterait pas uniquement sur nos relations avec les États-Unis, mais on y envisagerait le monde dans son ensemble et on y traiterait de questions allant du budget de la défense à la politique d'aide internationale, en passant par l'environnement, le commerce extérieur et l'énergie, tout comme la stratégie américaine.

    Pour en revenir à nos relations avec les États-Unis, permettez-moi de vous souligner deux des principaux aspects de cette question. Tout d'abord, voulons-nous d'un périmètre de sécurité nord-américain ou d'une frontière canado-américaine où nous serons tenus de répondre aux aspirations de nos voisins en matière de sécurité? Deuxièmement, quels seront les effets d'une incertitude durable à la frontière sur l'investissement direct étranger au Canada?

¿  +-(0915)  

    Le concept de périmètre nord-américain n'est pas nouveau, puisque vous aviez déjà envisagé cette idée dans le chapitre 3 de votre rapport ainsi qu'à la recommandation 28 où vous suggérez d'examiner les effets d'une telle idée. Pendant plus de 45 ans, le NORAD s'est occupé du périmètre de sécurité nord-américain contre la menace que présentaient les bombardiers soviétiques, menace qui a depuis disparu. D'un autre côté, nous avons créé un périmètre nord-américain pour contrôler les exportations de technologies sensibles. Les entreprises canadiennes pouvaient ainsi bénéficier de ces technologies, puisque les Américains avaient la garantie que nous ne les transmettrions pas à des pays où ils ne voulaient qu'elles aboutissent. Ainsi, le principe du périmètre de sécurité nord-américain est accepté depuis très longtemps au Canada et dans divers domaines.

    La nouvelle menace qui pèse sur le Canada et les États-Unis n'émane plus d'États, mais d'autres acteurs qui ne sont pas des pays, et la meilleure réponse à ce genre de menace ne consiste pas, je pense, à investir massivement dans la défense mais plutôt à modifier nos politiques dans d'autres domaines. Je conviens qu'il faut dépenser plus dans la défense, mais je ne pense pas que cela soit une solution pour faire face à la menace directe que les activités terroristes font peser sur l'Amérique du Nord. D'abord et avant tout, j'estime que nous devons combler les trous que comportent les politiques et les pratiques canadiennes, trous à cause desquels les terroristes peuvent débarquer sur nos côtes en vertu de notre politique sur les réfugiés ou sur les visas de visiteur. Je ne pense pas que notre programme régulier d'immigration, qui prévoit un contrôle de sécurité complet des candidats à l'immigration avant qu'ils n'arrivent au Canada, pose problème pour les Américains. Ce qui les préoccupe, c'est la façon dont nous administrons notre politique concernant les réfugiés, politique qui encourage les resquilleurs et donne la possibilité à des terroristes de s'infiltrer chez nous en vertu de dispositions généreuses, dans l'idée de pénétrer ensuite aux États-Unis par la porte arrière.

    Les deux gouvernements ont reconnu qu'il fallait agir non seulement à propos du périmètre de sécurité, mais aussi sur d'autres plans, par exemple pour contrôler les personnes et les marchandises à haut risque avant qu'elles n'atteignent nos côtes. Tout cela se retrouve dans le plan concernant la frontière intelligente. Nous avons négocié une entente de tiers pays sûr avec les États-Unis, mais celle-ci ne vise que les deux tiers environ des demandeurs de statut de réfugié arrivant au Canada en provenance des États-Unis. Cela nous laisse un autre tiers de demandeurs de statut de réfugié qui viennent d'autres pays, surtout d'Europe, et pour qui nos normes sont parmi les plus généreuses ou les plus relâchées, selon le point de vue qu'on adopte. Après avoir unilatéralement déclaré que le Canada est un tiers pays sûr, les Britanniques nous renvoient tous les demandeurs de statut de réfugié qui se arrivent chez eux en provenance du Canada. Heathrow est le point de transit le plus important en Europe pour les demandeurs de statut de réfugié à destination du Canada. J'estime que le gouvernement du Canada devrait déclarer que tous les pays européens sont des tiers pays sûrs pour les réfugiés et annoncer que nous leur renverrons tous les demandeurs en provenance de ces pays afin qu'eux déterminent leur statut. Il n'est pas nécessaire de négocier de telles ententes avec les autres pays. Cela peut se faire unilatéralement, comme les Britanniques l'ont fait avec le Canada. Je crois savoir que le ministère des Affaires étrangères renâcle à agir de la sorte par égard pour certains partenaires européens avec qui nous entretenons des relations politiques, plutôt que d'essayer de répondre aux préoccupations américaines en matière de sécurité. C'est là une faille sur le plan de la formulation de la politique au sein du ministère des Affaires étrangères et peut-être ailleurs au gouvernement, puisque nous passons ainsi à côté de nos intérêts fondamentaux pour des raisons sentimentales.

    Entendons-nous bien. Je ne prêche pas en faveur d'une réduction du nombre de réfugiés légitimes au Canada. Il nous faut apporter des ajustements fondamentaux à la façon dont cette politique est administrée, de manière à répondre aux préoccupations des Américains en matière de sécurité. Il n'est absolument pas logique d'aller à Windsor et parler de la faiblesse du système américain uniquement pour justifier le maintien des faiblesses de notre propre système. Nous n'avons pas à adopter le système américain, mais nous avons besoin d'un système susceptible de convaincre nos voisins que celui-ci sera aussi sûr que le leur. Ce n'est pas le cas pour l'instant et, d'ici là, nous allons devoir surmonter un énorme obstacle pour réduire les incertitudes qui règnent au niveau de notre frontière commune.

    Deuxièmement, je veux parler des effets négatifs que l'incertitude à la frontière peut avoir sur l'investissement direct étranger. Monsieur le président, dans votre rapport de décembre 2002, je n'ai pas trouvé grand chose sur ce genre de répercussions éventuelles sur les investissements au Canada, si ce n'est une remarque du sous-ministre de l'Industrie, Peter Harder. Vos recommandations sont muettes à ce sujet. En novembre dernier, le Conference Board du Canada a produit son rapport intitulé Canada 2010: Challenges and Choices at Home and Abroad. L'une de ses principales constatations se lit ainsi : « La gestion de la frontière est cruciale pour la sécurité économique et physique du Canada. Sans un accès garanti aux marchés américains, les flux commerciaux seront menacés. Qui plus est, dans l'avenir, les investisseurs décideront d'implanter des usines et des équipements à l'extérieur du Canada. » Parmi les principaux choix recommandés dans ce rapport, il est dit que le Canada devrait entreprendre un débat sur le bien-fondé des diverses options destinées à nous garantir un accès aux marchés américains, options pouvant aller jusqu'à la création d'une union douanière nord-américaine. Cette suggestion rejoint l'une des recommandations de votre rapport.

¿  +-(0920)  

    En janvier 2002, le Centre de recherche automobile de Ann Arbor, au Michigan, a produit un rapport à l'intention du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international intitulé The Canada-U.S. Border: An Automotive Case Study. Les auteurs concluent que le franchissement de la frontière fait partie intégrante du millier de dollars canadiens de pièces canadiennes qui équipent les véhicules construits aux États-Unis et des quelque 7 400 $ américains de contenu américain qu'on retrouve dans les véhicules construits au Canada. Il semble que ce sont les composants canadiens et les éléments assemblés ici qui risquent le plus de subir les conséquences des problèmes de fiabilité et de dépendance aux postes frontières. Les aspects les plus exposés sont les opérations d'amorçage, qui exigent un strict respect du juste à temps ainsi que les usines de moteur et de transmission, qui jouent un rôle crucial, qui sont fortement capitalistiques et qui doivent être pleinement exploitées afin d'être rentables. Ce qui est important, sur ce plan, c'est de savoir si un investisseur étranger envisageant de placer son argent sur le marché nord-américain ne va pas redouter les incertitudes qui règnent à la frontière et ne sera pas plus susceptible d'investir du côté de la frontière où il vendra le plus de produits c'est-à-dire, dans la majorité des cas, certainement pas au Canada.

    Un peu plus tôt ce mois-ci, Partenaires pour l'investissement au Canada a publié un rapport de défense des politique dans lequel on peut lire que la part du Canada au chapitre des investissements directs étrangers en provenance de l'extérieur de l'Amérique du Nord a diminué pour passer d'un peu moins de 10 p. 100 en 1988 à un peu moins de 6 p. 100 en 2000. Dans la même période, la part américaine pour les investissements directs étrangers a augmenté, passant de 88 p. 100 à un peu moins de 92 p. 100. Autrement dit, nous perdons du terrain au chapitre des IDE au profit des États-Unis mais pas du Mexique. Je pense que l'incertitude à la frontière est une des principales raisons de ce recul. Tout cela se produit malgré les efforts déployés par nos ministres, nos hauts fonctionnaires, nos ambassadeurs et nos délégués commerciaux qui cherchent à prouver que le Canada est le meilleur pays où investir pour s'attaquer aux marchés nord-américains. Depuis la signature de l'Accord de libre-échange, nous faisons le tour du monde en annonçant que le Canada est la porte d'entrée du marché nord-américain. Selon les études annuelles de KPMG, nos coûts pour les installations nouvelles sont nettement inférieurs à ce qu'ils sont aux États-Unis; malgré tout cela, nous continuons à perdre du terrain au chapitre des décisions d'IDE. Il y a aussi le problème de la myriade de règlements différents de part et d'autres de la frontière, autre aspect lié aux problèmes frontaliers. D'ailleurs, les Partenaires pour l'investissement au Canada semblent parvenir à la même conclusion.

    S'agissant de la gestion générale de nos relations avec les États-Unis, plusieurs sources canadiennes ont recommandé que nous adoptions une approche globale sur les plans de la sécurité et du commerce. L'Institut C.D. Howe a recommandé d'entreprendre des négociations stratégiques dans un document signé par Wendy Dobson, paru en avril dernier - je crois que vous en avez entendu parler - document qui a été récemment complété par un article d'Alan Gotlieb. En janvier de cette année, le Conseil canadien des chefs d'entreprise a proposé le lancement d'une initiative de sécurité et de prospérité nord-américaine. Mes homologues au Centre des politiques commerciales et des lois, Bill Dymond et Michael Hart, ont émis cette semaine un document pour l'Institut C.D. Howe intitulé «Canada and the Global Challenge: Finding a Place to Stand». Toutes ces idées vont dans le sens d'une entente exhaustive qui porterait non seulement sur les questions de commerce, mais aussi sur les questions de sécurité de manière à éviter que la sécurité n'empiète sur le commerce. Elles représentent aussi ce que je pense être un argument convaincant à propos des dangers qu'il y aurait à ne pas adopter une telle approche exhaustive.

    Je veux dire que le gouvernement n'a jamais confié sa sécurité aux Nations Unies, de façon pratico-pratique. Quand il était ministre des Affaires étrangères, Louis St-Laurent a été le principal instigateur de la fondation de l'OTAN qui, avec le NORAD a été le principal instrument de sécurité du Canada pendant la guerre froide et jusque vers la fin des années 90. Si le maintien de la paix est devenu une vocation canadienne, il ne faut pas oublier que nos soldats étaient formés pour combattre et que, pendant près de 40 ans, nous avons eu des troupes et des avions de chasse stationnés en Europe dans le cadre de la politique de dissuasion de l'OTAN envers de l'Union soviétique. L'idée qui voulait qu'à la fin de la guerre froide l'ONU deviendrait enfin un instrument efficace de maintien de la paix et de la sécurité dans le monde, comme le soutenait Boutros Boutros-Ghali, ne s'est pas réalisée pour toutes sortes de raisons, dont la réticence des Américains à confier leur sécurité à un groupe aussi diversifié que les membres de l'ONU ayant des valeurs aussi différentes.

    L'une des premières mesures prises par le gouvernement canadien a quasiment consisté à déclarer unilatéralement la guerre à l'Union européenne pour une histoire de 3 000 tonnes de poisson qu'aucun Canadien n'a jamais dégusté. Gordon Smith pourra vous dire que nous sommes passés très près d'une déclaration de guerre, parce qu'il se trouvait au centre de commande et de contrôle à cette époque.

¿  +-(0925)  

    Dans le milieu des années 90, le Premier ministre Chrétien a essayé de mettre sur pied une mission militaire internationale pour stopper les atrocités au Congo, mais il s'est heurté aux Américains et comme le Canada n'avait pas la capacité de faire quoi que ce soit tout seul, nous avons dû nous contenter de nous offrir pour assumer la direction d'une mission. Pas plus tard qu'en 1999, après avoir assisté à sept années d'agression serbe dans les Balkans, les pays de l'OTAN ont finalement décidé de s'opposer aux récentes atrocités du Kosovo en lançant une offensive aérienne. La gouvernement du Canada a alors sciemment décidé, dans le cadre de l'OTAN, de ne pas demander de mandat au Conseil de sécurité parce que nous savions que les Russes y opposeraient leur veto. À cette époque, le Canada siégeait au Conseil de sécurité. Nous avons pris une décision délibérée. Je pense que celle-ci était fondée sur le principe suivant : si l'on s'adresse aux Nations Unies et que l'on n'obtient pas le mandat demandé, on risque d'empirer la situation de cette institution. Nos forces aériennes canadiennes ont largué 10 p. 100 des bombes sur les Serbes durant la guerre du Kosovo.

    Il y a longtemps que le Canada a, implicitement, confié sa sécurité aux États-Unis et à ses alliés de l'OTAN. Le Canada et les États-Unis sont proches par la géographie mais aussi par bien d'autres aspects. Lloyd Axworthy, à l'époque où il était ministre des Affaires étrangères, a réussi à faire adopter une convention sur les mines anti-personnelles hors du cadre des Nations Unies, parce qu'il craignait, à juste titre, que le processus onusien ne sonne le glas de son projet. Nous n'avons pas soumis la proposition de création d'un tribunal pénal international au Conseil de sécurité parce que nous savions que les Américains y opposeraient leur veto. L'idée autour de laquelle s'articule ce qu'Alan Gotlieb a qualifiée de doctrine chrétien - à savoir que l'ONU aurait été contrainte, après avoir accepté la première résolution, d'avaliser n'importe quelle action militaire envisagée contre des tyrans connus - est, quant à moi, le summum de la sottise. Cette doctrine ne survivra certainement pas à l'actuel premier ministre.

    L'une des raisons pour lesquelles le Canada est apprécié sur la scène internationale, c'est que nous sommes capables de parler franchement aux Américains et d'influencer leur prise de position. Je suis préoccupé par l'anti-américanisme primaire qui progresse au sein du parti Libéral et de ses membres élus, mais aussi dans les autres partis. Je crois que cela menace encore plus nos intérêts économiques. Cela menace aussi notre capacité d'influencer l'administration américaine et le Congrès sur les questions de politique étrangère. Le Premier ministre semble avoir extrait une page du crédo populiste de l'Alliance voulant que les politiciens doivent toujours se plier à la sagesse collective de leur électorat, plutôt que de faire preuve de leadership. C'est une des raisons pour lesquelles j'ai toujours estimé que l'Alliance ne serait pas en mesure d'assumer le genre de leadership dont un pays comme le Canada a besoin. D'un autre côté, je dois reconnaître que Stephen Harper a renoncé au crédo de son parti, celui qui voulait que les élus ont toujours raison, pour adopter une position de principe, même si l'opinion publique canadienne est largement contre.

    Si ce que nous dit la presse est vrai, ce qu'elle tient d'informateurs haut placés au sein du gouvernement, à savoir que deux ministres seulement se sont démarqués de la position de leur gouvernement dans le dossier irakien, alors nous sommes plus mal lotis que je le pensais. Ce même article auquel je fais allusion nous indique que le Canada et le Mexique ont décidé d'adopter cette ligne de conduite parce qu'ils n'obtenaient rien de l'administration Bush sur les questions qui les préoccupaient. Je me répète, j'estime que c'est là le summum de l'idiotie, parce que cela donnerait à penser que nos soi-disant principes sont assortis d'un certain prix et qu'à condition que nous obtenions ce prix, nous nous ficherions du reste. Je ne pense pas que tel soit le cas.

    En réalité, nous avons davantage de troupes dans la région qui assurent un soutien aux armées américaines, même si ce n'est qu'indirectement, que la plupart des autres membres de la coalition. Cela veut dire que nous aurions pu appuyer l'action des Américains sans avoir eu nécessairement à mobiliser d'autres troupes. Nous n'en sommes plus à l'époque du Vietnam où le Canada avait eu pour rôle de représenter l'Occident et les Américains au CIC. La Pologne, elle, représentait les communistes et l'Inde les pays non alignés. Je me souviens de ce que m'a raconté un de mes homologues au sujet d'une sortie sur le terrain d'un groupe d'inspecteurs du CIC: «Tiens, voici un char d'assaut nord-vietnamien lance le Canadien; mais non, c'est un char d'assaut sud-vietnamien, rétorque le Polonais. Où ça un char d'assaut? S'interroge alors le représentant Indien». C'est ce qui s'est passé durant la guerre du Vietnam.

    Toute la question est de savoir ce qui, pour les États-Unis, représente une menace fondamentale à la sécurité. Malheureusement, nous ne sommes plus leur meilleur ami ni leur meilleur allié. J'ai écris cela hier soir, bien avant que les journaux du matin ne soient distribués. Eh bien, il se trouve que depuis quelque temps, j'étais persuadé que le 5 mai, le président Bush trouverait bien d'autre chose à faire que de venir à Ottawa, à moins qu'il ne décide de rendre visite à l'un de ses vrais alliés. Je ne dis pas que nous ne pouvons pas diverger d'opinion avec les États-Unis, mais il nous faut choisir très soigneusement les batailles que nous voulons livrer. En donnant l'impression que nous prenons la part de Sadam Hussein, nous nous sommes alignés sur ce tyran. En revanche, quand nous nous alignons avec les États-Unis, nous optons pour un processus plutôt que pour un objectif concret. D'après ce que je crois savoir du compromis canadien proposé à l'ONU, il se serait agi de lancer une intervention armée en cas de non-respect de la résolution, ce qui se serait passé à tout coup.

    Bien des aspects de la politique étrangère canadienne méritent qu'on s'y attarde. J'ai consacré l'essentiel du temps qui m'était accordé à ceux que je juge les plus importants. Je suis certain qu'il y en a bien d'autres auxquels vous voudrez vous consacrer. J'estime qu'il nous faut une politique étrangère qui traduise le plus justement possible les intérêts du Canada sans nous amener nécessairement à être différents, pour le plaisir de l'être, ou à agir de façon sentimentale. Un jour, parlant de la politique du contre-pied systématique, que Paul Martin père - mon premier ministre des Affaires étrangères - pratiquait à son endroit, Dean Rusk, ministre américain des Affaires étrangères, devait déclarer: «Je demande toujours à M. Martin de m'indiquer quelle position il a dans tel ou tel dossier car, dès que j'exprime la mienne, il prend systématiquement le contre-pied, histoire d'afficher sa différence». Je crois que les Canadiens ont renoncé à cette politique depuis longtemps.

¿  +-(0930)  

    Comme la famille canadienne est très diversifiée, on trouve chez nous des groupes d'intérêts pour presque n'importe quelle question internationale. Les gouvernements canadiens successifs ne sont jamais arrivés à dresser une liste de pays sur lesquels concentrer notre aide au développement. Mme Marleau en sait certainement quelque chose. Ce fut le cas des gouvernements conservateurs et libéraux. Sous l'ère Chrétien, la politique d'aide canadienne a été formulée par des groupes de discussion au ministère des Finances. J'estime qu'il nous faudrait bénéficier d'un point de vue un peu plus éclairé que cela en matière d'aide au développement et qu'il faudrait augmenter notre budget à ce chapitre. Nous devons veiller à ce que nos militaires soient en mesure d'assumer les nouveaux types de mission d'instauration de la paix qui leur seront confiées dans l'avenir, puisqu'il est fort probable qu'elles remplaceront les opérations traditionnelles de maintien de la paix.

    En conclusion, monsieur le président, je dirai que le parti Libéral et le parti Néo-démocrate se sont placés du mauvais côté de l'histoire dans le débat sur le libre-échange des années 80. Je crains que, si la tendance actuelle se maintient, ces partis ne se retrouvent du mauvais côté de l'histoire dans la façon d'aborder les réalités d'une intégration nord-américaine qui va se faire de plus en plus sentir. J'espère que je me trompe, pour le bien du Canada.

    Merci de votre attention.

¿  +-(0935)  

[Français]

+-

    Le président: Merci beaucoup, monsieur Noble.

[Traduction]

    Nous allons maintenant entendre Gordon Smith.

[Français]

+-

    M. Gordon Smith (directeur général, « Centre for Global Studies », président, conseil des gouverneurs, centre de recherches pour le développement international, Université de Victoria):

    Merci beaucoup, monsieur le président. C'est un plaisir et un honneur d'être ici avec vous et vos collègues ce matin. Je vais parler d'abord comme directeur de notre centre à l'Université de Victoria, et ensuite comme président du Centre de recherches pour le développement international, mais je ne voudrais pas mêler les deux rôles.

[Traduction]

    Comme vous l'aurez certainement remarqué, dans le document que je vous ai fait remettre, j'ai bien déclaré à propos de l'examen de la politique étrangère de 1994-1995 - tout en sachant que cela reviendrait me hanter lors de ma comparution devant votre comité - qu'elle ne consistait qu'à faire passer des messages et qu'elle n'avait aucune substance. Ce matin, je me propose de vous convaincre qu'il nous faut une politique avec davantage de contenu.

    Les trois principes énoncés dans ce document demeurent les mêmes, soit la sécurité, la prospérité et la projection de nos valeurs. Certes, il faut les équilibrer et les véritables problèmes se posent au niveau du genre de compromis qu'il faudra faire à cet égard, face au reste du monde. Toutefois, il est de plus en plus évident que nous devrons redéfinir ce que signifie ces trois principes surtout, et j'y reviendrai dans un instant, en ce qui concerne la sécurité.

    Je tiens aussi à indiquer au comité que, selon moi, nous devrions arrêter de nous percevoir comme une puissance intermédiaire, du moins selon certains. J'estime qu'il est beaucoup plus important d'aller dans le sens de nos intérêts d'une façon qui traduise à la fois nos valeurs et les circonstances changeantes du moment. Voilà ce que je me propose de vous dire ce matin.

    J'estime qu'il est clair, comme John Noble l'a démontré tout à l'heure de façon convaincante, que nos relations avec les États-Unis sont aujourd'hui plus importantes que jamais. Cela ne revient pas à dire que le Canada doit systématiquement être d'accord avec tout ce que disent ou font les Américains, mais nous devons être conscients que nous sommes effectivement interdépendants avec notre voisin tout en étant extraordinairement dépendants de lui. Comme vous le savez fort bien, près de 85 p. 100 de nos exportations aboutissent aux États-Unis. L'intégration économique va bon train. Personnellement, et je crois que je rejoins en cela John Noble et d'autres, comme Alan Gotlieb qui a été cité par M. Noble, j'estime que nous devons avoir une bonne idée de là où nous voulons amener notre relation avec notre voisin. Nous ne pouvons pas nous permettre de dériver, ce que nous avons tendance à faire avec les États-Unis. Je repense, par exemple, à notre premier examen de politique étrangère auquel j'ai participé, à la fin des années 60, et qui a donné lieu à la production de six volumes, dont cinq concernaient nos relations avec les différentes parties du monde. Il n'y en avait pas eu un seul sur les États-Unis et ce n'est qu'après avoir essuyé des critiques à cause de cela que nous avons, plus tard, produit un document sur nos relations avec ce pays.

    La chose la plus importante que je veux vous dire ce matin, c'est que nous devons nous doter d'une politique globale en matière de relations avec les États-Unis, parce que certains grands dossiers nous attendent. Le plus important de tous sera peut-être celui de l'eau. Ce serait rêver en couleur que de penser que ce dossier va disparaître tout seul. Quand on songe à ce qui se passe dans le Sud-Ouest américain, au déclin de la nappe aquifère et aux répercussions du changement climatique, les Américains vont forcément nous réclamer de l'eau et nous ne pouvons pas nous attendre à ce que ce dossier disparaisse de lui-même, si bien qu'il nous faut arrêter un cadre stratégique.

    Je veux aussi vous parler de l'aspect «sécurité» de notre relation, parce qu'il m'inquiète. Je me rends souvent aux États-Unis et, à Victoria, je ne suis pas très loin de la frontière au point que, quand je vais faire promener mon chien, je vois ce qui se passe de l'autre côté. J'estime que, rares sont les Canadiens à se rendre compte que, depuis le 11 septembre, de nombreux Américains, notamment leurs dirigeants, démocrates comme républicains, sont persuadés que les États-Unis sont la cible permanente des terroristes et ils craignent que ceux-ci ne mettent la main sur des armes à destruction de masse. Aux États-Unis, la perception de la sécurité - et je sais que je généralise parce qu'il y a des exceptions - est très différente de celle qui règne ici ou dans la majorité des pays européens.

    Les événements du 11 septembre et les mesures adoptées par la suite ont amené les États-Unis à envisager avec un nouvel oeil leur politique étrangère, leur politique de défense et leur politique de sécurité intérieure. Comme John Noble le disait, nous allons avoir d'énormes problèmes si les États-Unis ne sont pas convaincus que nous contrôlons tout ce qui rentre dans ce pays et que nous ne disposons pas d'un appareil de sécurité intérieure efficace. Si nous ne parvenons pas à les convaincre que tel est le cas ou si les États-Unis ne sont pas convaincus de ce que nous avons à proposer, ils nous fermeront leur frontière, sans égard à ce que cela pourrait leur coûter sur le plan économique parce qu'en des temps comme ceux que nous connaissons, la sécurité prend effectivement le pas sur tout le reste.

    Je crois par ailleurs importants de savoir que les doctrines de la guerre froide que nous avons appliquées à nos ennemis du passé, c'est-à-dire l'endiguement et la dissuasion, font maintenant partie de l'histoire. L'administration américaine est intimement convaincue de la valeur d'actions préemptives, comme les frappes préventives, contre tous ceux qui envisagent de se doter d'armes de destruction de masse que pourraient utiliser d'éventuels terroristes.

¿  +-(0940)  

    Par ailleurs, comme on peut le constater à la lecture du document de stratégie auquel John Noble a fait allusion, les États-Unis redoutent les États avortons et leur contribution éventuelle au terrorisme. Cette crainte est fondée sur un raisonnement que certains n'apprécieront peut-être pas, mais qui existe tout de même. Prenez, par exemple, la lettre de 1998 au sujet de l'Irak, adressée au président Clinton par Richard Armitage, John Bolton, Francis Fukiyama, Robert Kagan, William Kristol, Richard Perle, Don Rumsfeld, Paul Wolfowitz, Jim Woolsey et Bob Zoellick, qui font tous partie de l'équipe Bush ou gravitent autour de cette administration, dans laquelle les signataires invitent Clinton à appliquer la stratégie de l'action préemptive, en fait de l'action préventive.

    Le genre de monde qui se dessine à partir de là est, bien sûr, très éloigné de l'univers onusien, multilatéral, que les Canadiens préfèrent d'instinct. Les États-Unis ne sont pas prêts à dépendre de l'ONU ni même de l'OTAN pour leur sécurité. De plus, ils dressent la liste de leurs amis et prennent note de ceux qui brûlent leur drapeau, sifflent leur hymne national ou critiquent leurs dirigeants. Je suis d'accord avec John Noble quand il affirme que, dans ce cas, la différence a un prix bien réel. On dit souvent que nous n'avons pas toujours été du même avis que les États-Unis dans le passé mais nous n'avons jamais marqué notre différence, même pas sur la question du Vietnam, quand les États-Unis ont eu l'impression que leur sécurité faisait l'objet d'une menace existentielle.

    J'estime donc qu'il faut à tout prix déterminer où se situent nos intérêts. Nous pourrons peut-être nous satisfaire que les États-Unis ne veuillent pas jouer la carte du multilatéralisme dans les affaires internationales, mais il ne serait certainement pas satisfaisant que nous agissions de la sorte, de notre côté. Il nous faut, froidement, déterminer où se situent nos intérêts en matière d'économie et de sécurité. Je crois que l'on peut effectivement affirmer que les États-Unis sont l'empire du XXIe siècle. C'est ce que l'on constate dans leur doctrine militaire qui prévoit une domination tous azimuts. Je pourrais continuer longtemps sur ce thème, mais je crois simplement que nous devons comprendre que nous vivons maintenant tout à côté du nouvel empire de l'histoire, même s'il fonctionne de façon différente de ses prédécesseurs. Je crois que nous pouvons parvenir à collaborer avec les États-Unis et avec les autres, que nous pouvons les influencer à condition de proposer des solutions prévoyant une coopération internationale pour le renforcement du multilatéralisme. Nous devrons pouvoir documenter, formuler et effectivement communiquer aux États-Unis des solutions multilatérales qui iront dans le sens de leurs intérêts. Vous pourrez vous en étonner, mais je pense que nous devrions nous concentrer sur le changement climatique, dans les deux années à venir.

    Nous devons donc nous atteler à déterminer ce qui pourrait pousser les Américains à travailler sur un plan multilatéral, ce qui n'a rien à voir avec ce que proposent certains et que je décrirai comme une opposition entre Gulliver et les Lillipuciens où de petites personnes voudraient enchaîner le géant à coup de règles multilatérales. Si les États-Unis venaient à se douter que tel risque d'être le cas, ils prendraient une autre orientation. Nous devrons donc agir par le biais d'une diplomatie prudente, au cas par cas, sans essayer de conclure des conventions multilatérales comme s'il s'agissait de fins en soi. Personnellement, je pense que nous n'arriverons jamais à convaincre les États-Unis d'aller dans ce sens.

    Je pense par ailleurs important, et j'espère que le comité y réfléchira, de prendre acte de la difficulté que nous avons maintenant, au Canada, à faire appliquer notre politique étrangère. On a serré les cordons de la bourse au ministère des Affaires étrangères. Selon mes sources, on se propose de réduire les programmes de sécurité humaine et d'instauration de la paix, de réduire aussi davantage tout ce qui touche à la culture. Cette façon de faire n'est pas logique si nous voulons jouer un rôle plus important sur la scène internationale, si nous voulons nous occuper des États avortons et projeter nos valeurs à l'extérieur de nos frontières. J'estime que le budget de la Défense nationale demeure insuffisant et que les fonds accordés au MDN ne devraient pas être répartis de la sorte. Il faut se concentrer sur les nouvelles menaces auxquelles le gouvernement canadien voudra peut-être faire face. Je soutiens en outre que l'ACDI a besoin de plus de ressources et de ressources destinées aux bénéficiaires plutôt qu'au fonctionnement du ministère qui coûte très cher à l'ACDI.

    Je vais maintenant changer de chapeau pour porter celui de président du Conseil des gouverneurs du Centre de recherches pour le développement international. Le conseil est en train de se réunir à l'heure où l'on se parle et j'ai confié le maillet à mon vice-président pour pouvoir me rendre à votre invitation.

¿  +-(0945)  

    Je tiens à souligner que l'écart de richesse dans le monde actuel est très nettement supérieur à l'écart qui existe entre le Nord et le Sud sur le plan de la capacité en recherche et de développement. Il existe une corrélation étroite entre, d'une part, la capacité en recherche et développement indigène et, d'autre part, le développement économique durable ainsi que la réduction de la pauvreté. Le savoir n'est pas forcément un bien exportable. Tout ne se ramène pas à une question de transfert des connaissances. Il est évident que chaque société a besoin de disposer d'une capacité minimale, ne serait-ce que pour s'adapter et absorber le savoir provenant d'autres sources et produire le sien propre. Ce faisant, il est nécessaire de bâtir une capacité de connaissances dans les pays pauvres, ce qui a été reconnu dans le rapport Pearson en 1970. Malheureusement, force est de constater que nous n'avons effectué que très peu de progrès depuis lors.

    Il existe des écarts énormes entre les pays du Sud, puisque le Brésil, la Chine, l'Inde et deux ou trois autres pays seulement dépensent la majorité des ressources de R-D dans le Sud, laissant dès lors un nombre incroyable de pays sur la touche, des pays qui n'ont pas les moyens d'appliquer la recherche et le développement au règlement de leurs problèmes. Au CRDI, nous connaissons bien le travail au contact des réseaux de savoir et de recherche et nous sommes convaincus que la création d'une capacité et la mobilisation des participants dans le Sud constituent une formule très efficace. L'apprentissage par la pratique permet de doter les pays du Sud d'une capacité de recherche susceptible de donner lieu à des résultats adaptés aux problèmes locaux. Mentionnons, au passage, qu'un grand nombre de chercheurs financés par le CRDI se retrouvent maintenant dans des postes relativement influents sur le plan des politiques.

    Il est très important de bâtir la capacité des pays du Sud, notamment parce que nous vivons dans un monde interdépendant. Je citerai à cet égard la déclaration du ministre des Affaires étrangères, déclaration avec laquelle je suis tout à fait d'accord: «notre avenir est inextricablement lié à l'avenir de ce qui se trouve au-delà de nos frontières». Ainsi, outre que la chose est moralement discutable, il est maintenant presque impossible d'être bien nourri dans un monde qui a faim, d'être en bonne santé dans un monde malade et d'être riche dans un monde où règne la pauvreté. Même quand on adopte un point de vue à très court terme, on se rend compte que l'humanité évolue dans un système de vulnérabilités mutuelles. Pour que le Canada et le monde aient un sens, nous devons investir directement dans la capacité de savoir des pays pauvres et faire davantage pour resserrer la collaboration entre les milieux de la recherche au Canada et dans les pays du Sud.

    Il n'est pas facile, pour la communauté scientifique canadienne, de passer à une vitesse différente. C'est en faisant passer les intérêts du Canada en premier que l'on décroche des budgets nationaux pour la recherche. Toutefois, les chercheurs canadiens se rendent compte que, sous l'effet de la mondialisation accrue, le bien-être des Canadiens dépend de plus en plus de ce qui se passe dans le monde, surtout dans les pays les plus pauvres, et ils s'aperçoivent qu'il convient de s'intéresser à la recherche susceptible de résoudre les problèmes que rencontrent les régions en développement. La Coalition pour la santé mondiale, l'ACDI, le CRDI, Santé Canada et les IRSC sont conscients que tout un ensemble de problèmes que les Canadiens jugent importants ne seront résolus qu'à condition que nos scientifiques collaborent avec leurs homologues des pays en développement. Il n'est pas possible d'être en bonne santé dans un monde malade et l'actuelle épidémie de pneumonie atypique nous rappelle à quel point cela est vrai.

    Le CRDI a été très intéressé par la décision de la Fondation canadienne pour l'innovation de consentir des budgets importants à la recherche internationale. Nous avons surtout été frappés par l'importante subvention consentie à l'Université du Manitoba pour son laboratoire de recherche Canada-Kenya, subvention qui servira à recruter des chercheurs de très haut calibre au Canada, de même que dans les installations de pointe situées chez des partenaires internationaux, à Nairobi, à Oxford et à Washington, afin qu'ils effectuent des recherches sur les maladies infectieuses. Comme Inge Kaul l'a déclaré - Inge travaille au Programme des Nations Unies pour le développement, à New York, projet appuyé notamment par le CRDI - il est de plus en plus évident que les pays doivent collaborer entre eux : « ils sont inextricablement liés pour ce qui est du bien public national qui est maintenant mondialisé ». Elle affirme donc que nous entrons dans une deuxième phase de mondialisation où il est essentiel de pratiquer une collaboration internationale dont tout le monde pourra tirer partie.

    Il convient, monsieur le président, de reconnaître et d'encourager cette tendance. Si nous précisions que cette collaboration internationale dans le domaine de la recherche et de la technologie appliquées au développement international est une caractéristique de la politique étrangère canadienne, nous faciliterions le recrutement des scientifiques au Canada et nous pourrions les aider à améliorer leurs connaissances et leurs compétences en vue de régler les problèmes qui affligent notre pays de même que les régions les moins favorisées du monde. Une telle déclaration de politique serait à la fois novatrice et conforme à notre objectif qui est de faire passer le Canada de la quinzième à la cinquième place dans le domaine de la recherche et du développement en science et en technologie pour nous hisser en tête de peloton.

    Merci beaucoup.

¿  +-(0950)  

+-

    Le président: Dans ses remarques, M. Noble a parlé de notre récent rapport sur les relations nord-américaines et j'aimerais souligner que notre recommandation la plus importante, la toute première, rejoint exactement ce que M. Smith vient de dire, autrement dit qu'il faut concentrer nos relations sur l'Amérique du Nord plutôt que de les laisser dériver.

    Nous allons maintenant passer à une série de questions de cinq minutes.

    Monsieur Obhrai.

+-

    M. Deepak Obhrai (Calgary-Est, Alliance canadienne): Merci.

    Merci de nous avoir fait partager vos points de vue. J'ai trouvé vos propos à tous deux très intéressants. Je ne parlerai pas de développement international pour l'instant mais je vous enverrai mes questions à ce sujet par courriel. J'ai trouvé très intéressant votre point de vue sur l'ACDI et sur les autres sujets.

    J'aimerais que vous nous parliez un peu de la question irakienne. Les puissances européennes et les Américains ont été fortement divisés à ce sujet. Nous avons tendance à penser que cela concerne uniquement les Européens et les Américains, mais en réalité je crois que ce problème aura de graves conséquences dans l'avenir, puisque les Européens pourraient vouloir porter leur puissance au niveau de celle des États-Unis. Dans le passé, nous avons eu des liens avec les États-Unis et avec l'Union européenne mais, comme vous le signaliez si bien, cela appartient au passé. Au lendemain du 11 septembre, tout a changé. Pourriez-vous, en vous fondant sur votre expérience, nous donner une idée du danger que représente cette situation pour les futures relations entre le Canada et les États-Unis et entre le Canada et l'Union européenne? De plus, comment devrions-nous négocier tout cela?

+-

    Le président: Monsieur Smith.

+-

    M. Gordon Smith: Pour vous répondre très brièvement, je vous dirai que la situation est très dangereuse. J'ai été ambassadeur à l'OTAN de 1985 à 1990 et, avant cela, j'ai aussi servi après de l'OTAN de 1968 à 1970. Dans le passé, l'OTAN a traversé toutes sortes de crises réelles, mais elle est parvenue à les surmonter grâce à un ciment qui tenait tous les éléments ensemble : la menace soviétique. Ce ciment a disparu et je crois que les problèmes auxquels nous assistons maintenant sont particulièrement graves. Il y a effectivement eu des difficultés dans le passé, entre la France et les États-Unis, mais ce qui est plus grave aujourd'hui, selon moi, c'est le fossé qui s'est creusé entre l'Allemagne et les États-Unis.

    Il y a deux ou trois semaines, j'ai assisté à une réunion en Grande-Bretagne, réunion à laquelle assistaient d'anciens cadres supérieurs de l'administration américaine - je ne suis pas autorisé à vous donner leurs noms - qui ont déclaré ouvertement aux Européens qu'il n'existait plus de menace en Europe et qu'il fallait savoir s'ils allaient ou non prendre part à la lutte mondiale contre le terrorisme. Dans la négative, ils n'auraient leur place nulle part. J'ai l'impression que les Américains vont considérablement réduire leurs effectifs militaires en Allemagne et que les relations avec ce pays vont s'affaiblir... soit dit en passant, nous constaterons un déplacement de ces mêmes forces américaines vers l'Est, vers les nouveaux pays membres de l'OTAN, ce qui pourrait occasionner de nouveaux problèmes.

    Je crois donc que les problèmes sont très graves et qu'ils se feront sentir non seulement à l'OTAN mais aussi au G-8. Pensez-vous que M. Bush ira à Evian pour apporter son appui à son bon ami Chirac? J'en doute.

+-

    Le président: Monsieur Noble.

+-

    M. John Noble: Je suis d'accord avec M. Gordon. En revanche, je ne suis pas sûr d'être d'accord avec lui quand il dit que les Américains vont retirer leurs forces d'Allemagne. L'Allemagne est une région stratégique clé pour nos voisins; Ramstein est très importante.

    L'Europe est divisée et les Britanniques jouent bien sûr un rôle très différent à l'UE depuis 15 ans. Certains ont dit que si les Britanniques avaient activement participé à l'UE, l'union serait parvenue à ses objectifs. Les Britanniques envisagent l'Europe de façon radicalement différente de l'alliance franco-allemande, alliance qui est bien sûr fondamentale, puisque toute la raison d'être de l'Union européenne était d'éviter une autre guerre franco-allemande. Il y a eu trois guerres franco-allemandes de 1871 à 1939. L'alliance entre ces deux pays tient bon, mais le reste de l'UE s'est désintégré parce que trop de pays qui appuient la coalition américano-britannique.

    Les relations entre le Canada et l'UE sont tout à fait secondaires sur le plan économique. Il est, je pense, illusoire de penser que nous pourrions atténuer notre dépendance des États-Unis sur le plan commercial en nous tournant vers l'Europe, idée avec laquelle M. Diefenbaker avait flirté dans les années 60 avant que nous n'y revenions à l'occasion de la visite du président Nixon à Ottawa, en 1972. Il avait alors déclaré que c'en était fini de notre relation spéciale, que nous pouvions faire ce que nous voulions et qu'il a imposé une surtaxe de 10 p. 100 sur toutes les exportations canadiennes à destination des États-Unis, ainsi qu'à tous ses autres partenaires. La troisième option n'est pas celle que proposait Trudeau quand il disait qu'il ne voulait pas avoir de relation avec les États-Unis, parce qu'il faut se demander ce que l'on doit faire quand un président à Washington vous dit que les relations spéciales sont terminées. Malheureusement, la troisième option n'a pas fonctionné. Les gouvernements ne commercent pas entre eux, ce sont les entreprises qui le font et les entreprises canadiennes n'étaient pas intéressées à aller en Europe ni au Japon, sauf dans certains domaines. Certaines sociétés qui occupent un créneau très particulier s'en sont très bien sorti sur ces marchés, mais la plupart d'entre elles s'installent derrière les barricades. McCain, par exemple, transforme un tiers de la production de pommes de terre françaises en frites qui sont vendues partout en Europe. Quand j'étais ambassadeur en Grèce, les frites de McDonald étaient produites par McCain à partir de pommes de terre françaises. Elles ne venaient pas de l'Île-du-Prince-Édouard ni du Nouveau-Brunswick.

    Je crois donc qu'il peut y avoir des dangers à tout cela. Je ne suis pas certain que tout soit dangereux parce que, comme Gordon le disait, l'histoire des relations trans-Atlantiques depuis la Seconde Guerre mondiale a été marquée par toutes sortes de choses. Il est évident que l'OTAN est menacée dans ce cas ainsi que l'Union européenne. Comment ces organisations vont-elles poursuivre leur expansion quand leurs membres actuels n'arrivent même pas à s'entendre entre eux? Les relations trans-Atlantiques sont presque en pièces. Je disais qu'il est peu probable que le président Bush vienne à Ottawa. Ira-t-il à Evian? Qu'adviendra-t-il du G-8 s'il n'y va pas? Ce sera grave. Il pourrait se produire toutes sortes de choses.

    Au bout du compte, je pense que les États-Unis s'apercevront qu'ils ne peuvent pas tout faire tout seul. L'année dernière, John Nye, doyen de la Kennedy School of Government à Harvard, a témoigné devant le comité. Il vient juste de publier son ouvrage, The Paradox of American Power: Why the World's Only Superpower Can't Go It Alone. Aujourd'hui, Joe Nye, démocrate, ne fait pas partie du gouvernement, mais il a très clairement formulé certaines des raisons pour lesquelles les États-Unis ne peuvent pas tout faire tout seul. Ce sont ces mêmes raisons qui se retrouvent dans la stratégie de sécurité nationale du président Bush. Ce n'est pas que de la poudre aux yeux. Ce que les Américains veulent éviter avant tout, c'est de se retrouver engagés à long terme en Irak sans personne d'autre qu'eux pour payer la note.

    Il s'agit-là d'un défi très grave pour nos relations, mais je suis optimiste. Le verre est-il à moitié plein ou à moitié vide? Je dirais personnellement qu'il est à moitié plein, mais d'autres soutiennent qu'il est à moitié vide.

¿  +-(0955)  

[Français]

+-

    Le président: Madame Lalonde, s'il vous plaît.

+-

    Mme Francine Lalonde (Mercier, BQ): Merci, tous les deux, pour vos présentations.

    Monsieur, je comprends combien vous avez dû souvent vous retenir quand vous étiez ambassadeur.

    Mes commentaires sous forme de questions vont dans deux directions tout à fait différentes. Premièrement, vous prenez pour acquis que les États-Unis vont remporter facilement cette guerre et qu'ils pourront demeurer une hyperpuissance incontestée et incontestable qui pourra faire n'importe quoi. Or, je vois aller les choses. Si la guerre est longue, comme elle s'annonce, il pourrait y avoir une série de catastrophes annoncées.

    Je voudrais juste rappeler que lorsque les États-Unis, comme les autres pays européens, ont appuyé Saddam Hussein, c'était pour empêcher l'expansion de l'islamisme iranien. Or, ils espéraient que les chiites de l'Irak allaient les appuyer en ce moment, mais ce n'est pas ce qui est en train de se produire. Toutefois, ces derniers sont majoritaires, et lorsqu'ils seront libérés, est-ce qu'ils feront la démocratie que les États-Unis veulent? C'est une question qu'il faut se poser.

    En même temps, cette guerre va rendre impossible tout mouvement plus démocratique en Iran. Ce sont les radicaux qui vont l'emporter facilement. D'autre part, il ne faut pas oublier qu'en Afghanistan, pour repousser la Russie, les États-Unis avaient appuyé l'organisation qui est devenue celle de ben Laden, et les 20 000 individus qui sont passés par Al-Qaïda--ce fait est documenté--ont été supportés et payés par les États-Unis.

    Maintenant, cette lutte au terrorisme, elle est vraie, j'y participe. Mais en ce moment, le problème, c'est que les États-Unis, en voulant attaquer l'Irak, vont sans doute précipiter davantage d'attaques du côté du terrorisme, et ils auront besoin de tout le monde, de la coalition, des Nations Unies. De ce côté-là, il y a quelque chose qui s'en vient. On n'est pas capables de définir ce dont il s'agit, mais les plaques tectoniques qu'on annonce, moi, je les sens. Mon métier, c'est l'histoire depuis longtemps, et l'évolution politique m'intéresse.

    D'un autre côté, vous semblez dire que le Canada n'a aucune marge de manoeuvre. C'est ce que je retiens principalement. Or, il me semble que l'enjeu véritable pour le Canada--vous savez que je suis souverainiste québécoise--, c'est de se décider à être un pays indépendant, tout en sachant comment ne pas être hostile aux États-Unis.

    En matière de sécurité, je pense qu'il faut être leurs alliés; on n'a pas le choix. Mais s'allier en matière de sécurité et faire du commerce ensemble veut-il dire ne pas exister comme pays, ne pas avoir une politique étrangère différente, ne pas avoir de valeurs différentes, en les assumant et en les affichant?

À  +-(1000)  

+-

    Le président: Le commentaire a duré trois ou quatre minutes. La réponse devrait durer une minute, mais on sera un peu plus souple.

    Monsieur Smith.

[Traduction]

+-

    M. Gordon Smith: Saddam est un vrai problème, une menace, cela ne fait aucun doute. Les armes de destruction de masse pourraient très facilement se retrouver dans les mains de terroristes et même s'il n'a pas été établi que cela s'est déjà produit, je reconnais cette menace. Je crois que les États-Unis ont fait une grosse erreur sur le plan diplomatique, une erreur qui a conduit à tout cela. Je crois qu'on aurait, au bout du compte, été contraint de régler le cas Saddam, mais à cause de la façon dont les Américains s'y sont pris - et je pourrai revenir sur cela plus en détail par la suite, si vous le voulez - les États-Unis se sont retrouvés avec très peu d'appui international. La guerre sera difficile pour les raisons que vous avez indiquées et les conséquences dans la région, pour les raisons que j'ai invoquées plus tôt, à cause de notre amitié pour les États-Unis, seront aussi très graves.

    Je ne voulais pas vous laisser l'impression - et John pourra parler en ce qui le concerne - que le Canada n'a pas de marge de manoeuvre. Comme vous le disiez, en matière de sécurité, nous devons nous tenir très proches des Américains. Je crois qu'il nous faut bien définir la relation économique que nous voulons entretenir avec les états-Unis. Par la suite, nous pourrons adopter une politique étrangère traduisant nos intérêts et, si cela doit nous pousser dans une direction différente, ce sera très bien. Le problème dans ce cas en particulier, comme vous vous en rendez bien compte, c'est que les États-Unis considèrent, même s'ils exagèrent un peu, que nous avons mis à côté de la plaque en matière de sécurité.

+-

    Le président: Monsieur Noble.

[Français]

+-

    M. John Noble: En ce qui concerne votre première question, madame Lalonde, évidemment, je n'ai pas une boule de cristal pour prédire l'avenir. Vous avez totalement raison de dire que le résultat de cette guerre pourrait avoir un impact très néfaste sur les intérêts du monde. C'est une possibilité.

    L'autre possibilité, c'est qu'un tyran, Saddam Hussein, soit évincé et que ce soit un message très fort de la part des Américains au reste du monde que les folies sont finies dans ce genre de chose. Moi, je suis agnostique quant au résultat de cette affaire.

    Quant à votre deuxième question, je dis carrément qu'on peut toujours avoir des différends avec les Américains, mais qu'il faut faire les bons choix. Or, en choisissant de dire que les États-Unis ont tort de vouloir faire sortir Saddam Hussein, je ne suis pas certain que ce soit une bonne chose que de dire simplement que dorénavant, le Canada n'acceptera pas qu'on change des régimes qui sont vraiment dangereux pour le monde. Je trouve que c'est une erreur fondamentale qui ne reflète pas les intérêts canadiens. Nos valeurs et les valeurs américaines, sous plusieurs rapports, sont les mêmes. Vouloir se distinguer des Américains simplement pour avoir le sentiment de se distinguer, je trouve que c'est une erreur fondamentale. Or, c'est ce que M. Chrétien a dit l'autre jour; il a dit que nous étions un pays indépendant et qu'on voulait se distinguer. C'est un sentiment, mais est-ce que ça reflète les vrais intérêts des Canadiens?

    On voit dans le Financial Post de ce matin qu'il y a une véritable diminution du nombre d'emplois aux États-Unis. Si le nombre de travailleurs dans les usines d'automobiles diminue, est-ce que c'est dans les vrais intérêts des Canadiens? Ça, c'est une question sur laquelle il faudra se pencher, et ce n'est pas juste une question de valeurs, c'est une question où nos intérêts et nos sentiments sont différents.

À  +-(1005)  

+-

    Mme Francine Lalonde: Donc, la marge de manoeuvre...

+-

    M. John Noble: La marge de manoeuvre est toujours assez faible, mais on peut l'utiliser. L'important, c'est d'avoir un bon rapport avec le président des États-Unis. À mon avis, M. Mulroney a fait bouger les présidents Reagan et Bush sur certaines choses. Il n'a pas été consulté sur les impacts quand M. Reagan a imposé des tarifs sur le bois-d'oeuvre et d'autres choses, mais si on n'a pas ce rapport au sommet, c'est déterminant pour tout ce qui se passe au sein de toutes les administrations, des deux côtés.

    Dans ce cas, je crois qu'on est allés trop loin.

+-

    Le président: Merci, monsieur Noble.

[Traduction]

    Monsieur Calder.

+-

    M. Murray Calder (Dufferin—Peel—Wellington—Grey, Lib.): Merci beaucoup, monsieur le président.

    J'ai beaucoup de questions à poser. Je vais essayer de les limiter.

    J'ai fait quelques comparaisons entre la première guerre de l'Irak et celle qui se déroule actuellement en tenant compte des personnalités des hauts responsables du gouvernement américain. Dans la première guerre du Golfe, certains représentants, au côté de Bush père, étaient considérés comme appartenant à l'extrême droite. Ils ont occasionné certains problèmes à cette administration. À l'époque, le président leur a essentiellement dit de se calmer. On retrouve les mêmes personnes, aujourd'hui, qui ont maintenant l'oreille de président en place. Voilà pour une première différence.

    On parle maintenant de coalition des partenaires pour une même cause et du nouveau siècle américain. J'aimerais avoir vos réactions, à vous deux, sur ce que vous voyez, mais je vous direz pour commencer, John, que les Américains ne connaissent pas très bien le Canada. C'est évident! L'émission This Hour Has 22 Minutes se moque beaucoup du peu de connaissances que les Américains ont de nous. Quelles pourraient être les conséquences à long terme, pour les entreprises canadiennes et les relations canado-américaines, de la décision du Canada de ne pas appuyer la guerre en Irak, surtout que nous avons des réserves de pétrole ici qui sont supérieures à celles de l'Arabie saoudite et que nous avons aussi les sables bitumineux?

    Gordon, à partir de vos études sur le terrorisme, dites-nous quelles répercussions la guerre de l'Irak pourrait-elle avoir sur la poussée du terrorisme international? Est-ce que elle va effectivement ralentir les choses?

    Enfin, ce n'est pas la première fois que l'Irak est exposé à la démocratie. C'est apparemment ce que l'administration Bush veut faire après Saddam. J'aimerais que vous me parliez de ce qui va combler le vide après la guerre.

+-

    Le président: Monsieur Noble.

+-

    M. John Noble: Vous avez tout à fait raison, les Américains ne connaissent pas très bien le Canada. J'ai passé l'automne dernier à l'Université du Michigan, à East Lansing, qui n'est qu'à 150 kilomètres de la frontière et où l'on reçoit la CBC. D'ailleurs, quelques Américains sont branchés sur cette station, et c'est un des rares emplacements aux États-Unis où l'on peut le faire, parce qu'ils aiment à savoir ce qui se passe. Ils aiment aussi les reportages sur le hockey qui sont meilleurs que chez eux.

    Je crois très difficile de prévoir les conséquences à long terme parce que les Américains se disent que le gouvernement au Canada va changer, soit à la fin de cette année, soit au début de l'année prochaine. C'est sans doute ce qu'ils attendent. Ils se disent probablement : « Nous n'arriverons sûrement pas à faire grand chose avec le gouvernement actuel qui a adopté telle et telle position ». Je ne pense pas que le président envisage forcément de faire payer le Canada pour cela. Je suis plus inquiet de l'attitude des membres du Congrès et des sénateurs, de ceux qui siègent à la Chambre et au Sénat, qui ont tous leur petit programme protectionniste au nom des électeurs qu'ils représentent. Ces gens-là voudront invoquer notre refus comme excuse pour nous frapper très fort. Cela ne veut pas dire que si nous avions participé à la coalition, ils ne l'auraient pas fait quand même, rien ne nous le garantit, mais ils utiliseront ce prétexte. Comme vous le savez, aux États-Unis, le commerce extérieur ne relève pas de l'administration ni du président, mais du Congrès qui peut adopter des mesures susceptibles de nous porter tort. Le Congrès l'a déjà fait. Le sénateur Packwood est un grand adversaire du Canada dans le domaine du bois d'oeuvre et dans d'autres également, autant de questions qui intéressent ses électeurs. N'importe quel sénateur aux États-Unis est en mesure de faire ça.

    Je ne pense donc pas qu'il y ait un véritable risque de conséquences à long terme parce que, au bout du compte, la population canadienne ne tolérera pas que l'on entretienne ce sentiment anti-américain. Nous l'avons connu à la fin de l'ère Trudeau. M. Mulroney, lui, a déclaré qu'il voulait accorder le bénéfice du doute aux Américains et, à la fin, on a critiqué son gouvernement parce qu'il avait été trop près de nos voisins et qu'il n'en avait apparemment rien retiré. Je crois qu'il faut réaliser un certain équilibre sur ce plan, mais pour l'instant, tout va de guingois. Je crois néanmoins que nous allons bientôt pouvoir retrouver cet équilibre puisqu'il va y avoir un changement de régime au Canada.

À  +-(1010)  

+-

    M. Gordon Smith: Je suis entièrement d'accord avec vous, monsieur Calder, quant au rôle qu'aurait pu jouer le cercle de Bush 41 et au rôle qu'ils va jouer auprès de Bush 43. Je pourrais en dire plus, mais vous avez tout à fait raison.

    Quant aux conséquences de ces différences dans nos relations avec les États-Unis, je crois que John a raison quand il parle des sénateurs et des représentants qui sont davantage protectionnistes. Il est très difficile de cerner tout cela, mais au bout du compte il est fort peu probable que le président ou le Secrétaire d'État intervienne dans ce genre de questions. Selon vous qui résidez dans l'Ouest maintenant, où étaient-ils ces gens-là quand nous avons eu nos différends avec les Américains dans les dossiers du bois d'oeuvre et du saumon du Pacifique? J'ai déjà accompagné des premiers ministres dans des rencontres avec des présidents américains, Il s'y tient toujours des propos généraux très agréables, mais il n'y a pas grand chose qui se fait ensuite. La situation pourrait empirer et j'ai même l'impression que ça va être le cas. Il est très difficile d'être spécifique, mais je crois que nous aurons un prix à payer à l'occasion du refroidissement de nos relations, ce qui ne veut pas dire que, si nous savons exactement où se situent nos intérêts, nous ne devrions pas poursuivre une politique indépendante. Il nous faudra simplement soupeser toutes ces choses-là.

    Passons à l'avenir du terrorisme, maintenant. Eh bien, à la façon dont la guerre est en train de se dérouler, je crois que le terrorisme va prendre de l'envergure, qu'il va y avoir de plus en plus d'actes terroristes. J'aurais aimé pouvoir vous dire le contraire. Peut-être qu'à terme de 10 ou 20 ans, l'utilisation d'armes de destruction de masse par des terroristes sera moins probable, je ne le sais pas, mais je serais très étonné que dans les deux ou trois semaines à venir nous ne soyons pas victimes d'un acte terroriste, sans doute contre les États-Unis, mais peut-être aussi contre la Grande-Bretagne.

    Quant à l'instauration d'une démocratie en Irak, je crois qu'elle risque de prendre beaucoup de temps. Je pense qu'à cet égard le véritable risque ressemble à ce qui s'est produit en Afghanistan. Au début, on a beaucoup parlé de reconstruire ce pays. Aujourd'hui, le gouvernement Karzi contrôle Kaboul et ses banlieues, mais les seigneurs de la guerre dominent ailleurs. C'est certainement mieux que les talibans à bien des égards, mais la situation est loin d'être parfaite. Après l'Irak, l'administration américaine a bien précisé que ce serait le tour d'autres pays. Le prochain sur la liste, la Corée du Nord, ne fera pas forcément l'objet de la même attention que l'Irak, mais il faudra tout de même s'en occuper. Je crois que ce ne sera pas facile quand les États-Unis entreprendront d'autres objectifs et qu'ils s'attendront à ce que la communauté internationale mette sur pied une sorte de brigade chargée de ramasser les morceaux et de remettre tous ces pays sur pied. Je crois que les Américains sont un peu choqués de voir que personne n'est dans la rue en train de les accueillir à bras ouverts. Il est possible que ça vienne plus tard, et je le souhaite, mais je ne suis pas certain que ce sera le cas et je crois qu'il va être très difficile d'instaurer la démocratie là-bas.

+-

    Le président: Merci.

    Monsieur Casey.

+-

    M. Bill Casey (Cumberland—Colchester, PC): Merci beaucoup.

    Tout le monde en a pris pour son rhume dans vos commentaires.

    Monsieur Smith, vous avez dit que les États-Unis ont lamentablement échoué sur le plan diplomatique et ce qui m'a surpris, c'est que vous ayez affirmé que moyennant un petit effort supplémentaire, le consensus aurait pu être plus large. Vous vous êtes aussi engagé à nous fournir plus de détails à ce sujet si nous vous en réclamions. Eh bien, pourriez-vous nous en dire un peu plus? Je crois savoir ce qui s'est passé, mais dites-moi pourquoi c'est arrivé? Pourquoi n'a-t-on pas essayé de faire plus pour parvenir au consensus?

+-

    M. Gordon Smith: Je vais vous donner mon point de vue personnel. Je crois que le président Bush s'est piégé lui-même. Il avait déployé cette énorme armada aux frontières de l'Irak qu'il devait soit retirer soit engager mais, politiquement, il devait obtenir une victoire. Voilà pourquoi, selon moi, il a complètement faussé l'échéancier. Les États-Unis auraient mieux fait de fixer un échéancier beaucoup plus généreux qui aurait favorisé l'aboutissement des inspections. Il aurait tout de même fallu maintenir cette armada sur place, parce que Saddam n'aurait jamais laissé les inspecteurs faire leur travail, il n'aurait jamais permis le survol de son territoire par des U2. Il fallait donc mettre une pression militaire, mais il était inutile de s'enfermer dans des délais aussi courts.

    Je crois que l'initiative du Canada, qui était de s'entendre sur des objectifs et des échéances intermédiaires, était bonne. Il est certes toujours plus facile de jouer les stratèges de la 25e heure, mais nous aurions sans doute dû lancer cette initiative un mois ou deux plus tôt. Même à cela, je ne suis pas certain que ça aurait fonctionné. Je ne suis pas certain que les Français ou les Allemands auraient accepté des objectifs intermédiaires. Ils ne voulaient tout simplement pas d'intervention militaire. En revanche, si les Américains ne s'étaient pas fixé pour objectif d'attaquer en mars, avant l'arrivée des temps chauds, mais qu'ils avaient attendu l'automne, je crois que bien d'autres pays que la Micronésie et l'Albanie auraient adhéré à la coalition. Pour l'instant, celle-ci n'a rien d'impressionnant.

À  +-(1015)  

+-

    M. Bill Casey: Merci pour votre réponse, mais je me demanderai encore longtemps pourquoi les choses se sont déroulées ainsi.

    Vous avez tous les deux déclaré que nos relations avec les États-Unis dépendent beaucoup du genre de sécurité que nous pourrons assurer de notre côté, de même que du degré de satisfaction et d'aisance que nous pourrons apporter aux Américains. Les Canadiens ne sont pas contre cela, mais je crois que nombre d'entre eux sont sceptiques quant à l'imposition de normes de sécurité et à ceux qui devront les appliquer. Est-ce que les Canadiens vont assurer la sécurité chez eux ou est-ce que les Américains vont exiger que ce soit leur personnel qui s'en occupe? Il y a deux problèmes ici, qui ne sont pas négligeables. Si nous pouvions les régler, je suis sûr que nous pourrions faire beaucoup de progrès pour satisfaire les Américains. Qu'en pensez-vous?

+-

    Le président: Monsieur Noble.

+-

    M. John Noble: Il existe maintenant des équipes mixtes. Le plan de la frontière intelligente, qui a été approuvé par les deux gouvernements, prévoit que des équipes d'inspection mixtes travaillent des deux côtés de la frontière. L'un des principaux problèmes consiste à déterminer si des Américains peuvent travailler au Canada. C'est un problème. Pour l'instant, des agents des douanes et de l'immigration américaines travaillent dans des aéroports canadiens, mais ils n'ont pas de pouvoir d'arrestation. Si une arrestation est nécessaire, ce sont les policiers canadiens qui doivent s'en charger, mais cela fait problème.

    On pourrait trouver d'autres solutions. Il ne s'agit pas d'un problème insurmontable. Dans cette situation, il en va de l'intérêt des deux pays de s'entendre sur des plans communs. Pour ce qui est de la question de savoir comment traiter les gens qui viennent au Canada pour demander le statut de réfugié, même si beaucoup ne le sont pas vraiment, il faut savoir que notre politique de l'immigration est à deux vitesses. Nous nous offusquons dès que nous entendons parler de régime d'assurance-maladie à deux vitesses, mais nous avons pourtant un système à deux vitesses dans le domaine de l'immigration parce qu'il y a ceux et celles qui viennent ici par les voies normales et les autres qui passent devant tout le monde en demandant le statut de réfugié. Nous ne savons pas qui ils sont, nous ne les incarcérons pas, nous ne faisons rien. Nous n'avons pas à adopter le modèle américain, mais nous devons nous doter d'un meilleur système de contrôle, pour savoir qui sont ces gens.

    Le travail a débuté sur ce plan, mais comme je le disais, le concept de périmètre de sécurité nord-américain, que votre comité a recommandé d'étudier et à propos duquel M. Manley ne s'est pas dit en désaccord - je ne sais pas, je ne veux pas être cité à ce sujet, mais je crois l'avoir lu dans un rapport - ce concept donc est important, car il est la seule façon de procéder et, si nous n'optons pas pour cette formule, nous assisterons à la constitution d'énormes files à la frontière canado-américaine et je ne crois pas que cela intéresse les Américains. Si les Américains consacrent 40 p. 100 du budget de la sécurité intérieure à leur protection contre le Canada, ce sera pour eux un immense gaspillage de ressources. Le problème n'est pas simplement canadien. Les douanes américaines, je pense, auront plusieurs dizaines d'années de retard par rapport aux douanes canadiennes. Quoi qu'il en soit, il faut accepter le principe fondateur du périmètre de sécurité. Après cela, je suis sûr que nous pourrons régler tous les autres problèmes qui en découlent dans le respect de la souveraineté du Canada et des États-Unis. Les Américains sont tout aussi jaloux de leur souveraineté que nous.

À  +-(1020)  

+-

    M. Gordon Smith: Je suis d'accord. Soit nous instaurons un périmètre de sécurité que les États-Unis jugerons efficace, soit nous allons devoir énormément investir dans la sécurité au niveau de la frontière canado-américaine, avec toutes les conséquences que cela aura pour les personnes et les marchandises.

[Français]

+-

    Le président: Madame Redman.

[Traduction]

+-

    Mme Karen Redman (Kitchener-Centre, Lib.): Merci, monsieur le président.

    J'ai trois questions que je vais vous poser en cascade pour vous donner le plus de temps possible afin d'y répondre.

    Comme vous nous avez parlé de la dépendance de notre économie par rapport à l'économie américaine, je me demandais si vous aviez déjà réfléchi au concept de monnaie commune, parce que cette question revient de temps en temps, notamment à cause du modèle de l'Union européenne. J'aimerais avoir votre opinion à ce sujet.

    Par ailleurs, pourriez-vous me dire, tous deux, comment vous envisagez l'évolution du monde de la diplomatie? Je vous dis cela à la suite des récentes remarques de M. Cellucci qui, de toute évidence, lui ont été dictées par la Maison Blanche. Nous avons eu l'exemple d'un diplomate canadien à Washington qui a indiqué sa préférence quant à l'issue d'une certaine élection américaine. Personnellement, je n'ai pas trouvé cela approprié et je me demandais ce que vous pensiez de cette évolution, face à la nouvelle attitude isolationniste des États-Unis.

    Troisièmement, le Canada, en tant que pays souverain, a choisi de ne pas entrer en guerre contre l'Irak, mais a déployé des forces en Afghanistan et il participe activement à la guerre contre le terrorisme depuis le premier jour. Je pense bien que le gouvernement canadien et l'administration américaine se sont rendus compte que, en faisant cela, nous ne pourrions pas activement participer au conflit irakien. Je suis sûre que bien des États, où l'on a formulé des remarques malencontreuses à l'égard du président originaire du Texas, s'attireront davantage les foudres de l'administration Bush que les Canadiens. Après cette offensive en Irak, je suis certaine que les Américains envisageront un nouveau rôle pour l'Organisation des Nations Unies, par exemple, comme le disait M. Smith en tant que brigade spécialisée pour ramasser les morceaux, ce qui sera sans doute la phase la plus coûteuse de cette offensive. Pourriez-vous nous parler un peu des autres institutions internationales. Nous avons déjà parlé d'économie et du fait que des mesures ont été prises contre les Canadiens, que nous devons nous intéresser à la pomme de terre de l'Île-du-Prince-Édouard, au bois d'oeuvre, au saumon et aux pêches. Quand nous plaidons devant l'OMC, nous remportons des victoires morales, mais nous finissons toujours par passer à la caisse. Je me demandais donc comment vous envisagez l'évolution de ces structures dans la situation actuelle et dans l'avenir.

+-

    M. Gordon Smith: Madame Redman, je ne me considère pas spécialiste de la monnaie commune. Toutefois, je vous dirais deux ou trois choses. D'abord, je ne pense pas que les États-Unis adopteront une monnaie commune avec nous. Je crois que nous pourrions conclure un accord à condition que nous adoptions le dollar américain. Je pense que nous ne devons pas nous illusionner à cet égard. Je trouve étrange d'avoir à vous dire cela, vous qui êtes députée, mais j'estime que ce sera hautement politique, si nous voulons utiliser...

+-

    Le président: Excusez-moi, monsieur Smith, je vais suspendre la séance pour deux minutes. Nous avons un problème et le technicien est ici. La séance n'est plus enregistrée. Merci.

À  +-  


À  +-  

À  +-(1025)  

+-

    Le président: Très bien, monsieur Smith, vous pouvez terminer votre réponse à la question de Mme Redman.

+-

    M. Gordon Smith: Merci beaucoup.

    J'allais répondre à votre question sur le rôle d'un diplomatie. Pour vous dire bien franchement, l'ambassadeur Cellucci a fait exactement ce que font tous les ambassadeurs et, même si nous ne l'apprécions pas, je ne suis pas surpris par son intervention que je ne juge pas non plus déplacée et j'estime même enfantin de notre part de monter sur nos grands chevaux pour cela.

    Je tiens à ajouter quelque chose pour tirer les choses au clair. J'étais présent quand Raymond Chrétien, qui était alors ambassadeur à Washington, a fait une déclaration qui a donné naissance à un mythe énorme. On lui a demandé: «Est-ce important pour le Canada qu'un candidat plutôt qu'un autre remporte l'élection?» Il a répondu: «Gore connaît mieux le Canada, parce qu'il fait partie de l'administration en place et il comprend mieux les dossiers environnementaux qui sont importants dans le cadre de notre diplomatie bilatérale. Bush, quant à lui, vient du Sud des États-Unis et il est beaucoup plus intéressé par le Mexique; il ne connaît pas aussi bien le Canada, mais je suis sûr qu'avec le temps il en viendra à mieux nous connaître et à connaître nos préoccupations.» Je viens de vous répéter presque mot pour mot ce qu'il a déclaré. Je crois que c'est en partie parce qu'il est le neveu de qui vous savez que cette remarque a été extraite de son contexte et exploitée comme contraire à la victoire de Bush ou des Républicains. C'est faux!

    Quant à notre action dans la région dans la guerre contre le terrorisme, vous avez raison. Très honnêtement, je pense que la situation ne se serait aurait pas dégradée comme nous l'avons constaté au cours des deux dernières semaines si certains ne s'étaient pas livrés à des déclarations malencontreuses. Ces choses-là sont enflées hors de toute proportion. Je pense en fait que, chaque fois que le gouvernement est intervenu, il l'a fait de façon tout à fait sensée et que la chose a été bien gérée, mais tous les commentaires publics n'ont fait qu'aggraver le problème, notamment quand les journaux ont ressorti l'incident de cette employée du BPM qui a qualifié le président Bush d'imbécile.

    Quant au rôle que l'on réservera à l'ONU après tout cela, je pense que nous continuerons à en débattre. Les États-Unis ne sont pas prêts de renoncer au contrôle qu'ils exercent et je pense que cela va occasionner des tensions. De plus, j'estime que la France dépasse un peu les bornes quand elle prétend obtenir sa part des contrats devant être financés avec l'argent de l'aide américaine.

    Pour ce qui est des modalités commerciales bilatérales, qui pourraient nous permettre de régler efficacement nos problèmes, John Noble sait beaucoup mieux que moi ce qu'il en est et je préfère lui laisser le soin de vous répondre.

À  +-(1030)  

+-

    M. John Noble: J'estime que la question de la monnaie commune n'est qu'un truc pour brouiller les pistes. À ce sujet, votre comité a essentiellement indiqué qu'il est beaucoup trop tôt pour l'envisager. L'Europe a d'abord eu une union douanière, puis un marché commun et ce n'est que récemment qu'elle en est venue à une monnaie commune, mais tous les membres ne sont pas membres de l'union économique.

    Pour ce qui est du rôle des diplomates, il faut souligner que des membres du gouvernement ou des députés d'arrière-banc ont fait plusieurs commentaires regrettables dernièrement. On peut toujours dire que c'est l'apanage de la démocratie, mais je crois que cela nous porte tort parce que, si vous regroupez tous ces commentaires, surtout celui de M. Dhaliwal... C'est un ministre de la Couronne et, quand il parle, il le fait en sa qualité de ministre, ce que je juge très dangereux dans ce cas. Je n'étais pas là pour entendre les propos de Raymond Chrétien, contrairement à Gordon, mais on a eu l'impression que l'ambassadeur du Canada, neveu du premier ministre de surcroît, avait déclaré qu'il préférait Gore à Bush... Cela, je crois, a énervé le président. Les Canadiens sont troublés par les propos de Paul Cellucci. Imaginez qu'il ait dit, à l'occasion d'une élection au Canada, nous préférons X à Y. Vous êtes tous politiciens et vous ne voulez pas qu'on vous prenne à partie, surtout pas l'ambassadeur des États-Unis.

    Je pense, tout de même, que les propos de l'ambassadeur des États-Unis au Canada ont sans doute beaucoup plus de poids que tout ce que pourra dire un ambassadeur du Canada à Washington. Nous nous sentons toujours désolés quand un ambassadeur américain nous fait un reproche. Ça ne date pas d'hier. Quand Paul Robinson était en poste ici, dans le milieu des années 80, on l'avait baptisé Bull Moose, l'orignal mâle, parce qu'il venait toujours nous dire que nous devions dépenser plus dans la défense. Je me souviens ce que George Schultz avait dit à Alan McEachern qui lui avait déclaré qu'il nous serait beaucoup plus facile d'augmenter nos budgets de défense si Paul Robinson n'était pas sans arrêt en train de se plaindre à ce sujet. George Schultz lui a rétorqué: «C'est exactement ce que nous ressentons quand John Fraser vient nous passer des remarques, à Washington, sur le problème des pluies acides.» Cela marche dans les deux sens. Parfois, la critique publique n'est pas la meilleure façon d'obtenir ce que l'on désire.

    Pour ce qui est des institutions internationales, l'Organisation mondiale du commerce n'est pas parfaite, mais elle est beaucoup mieux que ce que nous avions avant avec le GATT. Le mécanisme de règlement des différends n'est pas encore parfait, mais il y a du mieux. Je pense qu'il est meilleur que celui prévu dans l'ALENA qui est, par ailleurs, meilleur que celui qui existait en vertu de l'Accord de libre-échange canado-américain. Je pense que tout cela milite dans le sens de la conclusion d'un accord global avec les États-Unis qui porterait sur les questions de sécurité et d'échanges commerciaux et plus encore. Il ne faut même pas s'arrêter à une union douanière, il faut aller plus loin. Une union douanière en soi n'est pas parfaite. Elle créerait un périmètre pour l'application d'un tarif extérieur commun. Il faut un périmètre pour la sécurité et il faut bien d'autres choses. Je ne pense pas que nous ayons besoin d'aller jusqu'au marché commun, qui sous-entendrait la libre circulation des personnes, parce que nous n'en sommes pas encore là. Toutefois, de plus en plus de Canadiens auront accès aux États-Unis. Les livres de l'ALENA sont énormes. L'INS a un serveur de 600 pages à ce sujet. Comme George Schultz le disait à Washington: «Ce n'est jamais fini tant que ce n'est pas fini et même là, ce n'est jamais fini.» On peut gagner avec les Américains ou ne jamais gagner du tout.

À  +-(1035)  

+-

    Le président: Merci.

    Nous allons passer à M. Martin.

+-

    M. Keith Martin (Esquimalt—Juan de Fuca, Alliance canadienne): Merci, monsieur Smith et merci à vous professeur Noble pour vous être rendus à notre invitation. Nous sommes toujours frappés par les solutions exceptionnelles qui sont présentées à notre comité. Malheureusement, jamais rien ne se passe ensuite et c'est là un problème chronique de notre institution.

    J'ai trois questions à vous poser. D'abord, que devrait faire le Canada, précisément, pour améliorer ses relations avec les États-Unis étant donné ce que vous venez de nous dire, monsieur Smith, à savoir que nous devons tenir compte des intérêts des Américains? Nous pourrions toujours opposer nos intérêts aux leurs, mais il faudrait focaliser le débat.

    Deuxièmement, étant donné l'échec des Nations Unies et le fait que cette organisation a créé un cadre judiciaire de papier sans prévoir de mécanisme d'application véritable, le Canada va-t-il être appelé à jouer un rôle à l'ONU, au côté d'autres pays, pour élaborer un bon mécanisme d'application des décisions prises, ce qui conférerait plus de force à la myriades de traités et d'ententes de l'ONU mais qui ne permettrait pas d'appliquer tout ce qui touche à la sécurité internationale?

    Enfin, pensez-vous que nous devrions conduire une vérification juridique de l'ACDI pour contraindre cette organisation à dépenser notre argent de façon plus disciplinée? Comme vous le savez, il existe des mécanismes de vérification internes, mais je ne crois pas qu'ils seront jamais être aussi efficaces qu'une vérification juridique externe.

[Français]

+-

    Le président: Monsieur Smith.

[Traduction]

+-

    M. Gordon Smith: Merci.

    S'agissant des États-Unis, je ne vois pas ce que je pourrais ajouter d'autre, si ce n'est de vous donner quelques exemples. Nous devons trouver une façon de collaborer avec les États-Unis et avec d'autres pays afin de leur montrer les avantages que présentent les démarches de collaboration à l'échelle internationale. C'est vrai dans le cas de la guerre contre le terrorisme, mais c'est aussi vrai dans d'autres domaines. Je parlais tout à l'heure du changement climatique parce qu'à l'heure où tout le monde a les yeux rivés sur Kyoto, dans deux ans environ nous allons entamer les négociations d'un régime qui va nous amener au-delà de 2112. La formulation d'un régime au regard du changement climatique est une énorme entreprise qui nécessite la mobilisation des États-Unis et du reste du monde, si bien qu'il est très important de cheminer sur le même sentier. Je pense que nous pourrions faire quelque chose dans ce domaine. D'ailleurs, notre centre y travaille.

    Vous avez raison quand vous dites qu'il faut accroître la capacité de l'ONU pour qu'elle soit davantage en mesure de faire appliquer plus généralement ses décisions ou ses politiques. La semaine dernière, j'ai organisé une rencontre avec Lloyd Axworthy sur le renforcement de ce qu'on appelle SHERBRIG, c'est-à-dire la brigade d'intervention rapide de l'ONU qui est capable de se déployer très vite. C'est nous qui, cette année, présidons le comité international chargé de ce dossier, ce que tout le monde ne sait pas. Nous pouvons faire des choses à ce niveau et, à l'occasion de cette rencontre, nous avons envisagé des façons de renforcer cette brigade en question. La formation pour les opérations de maintien de l'ordre est toujours une question délicate, comme Mme Marleau s'en souviendra. En général, les organismes d'aide humanitaire ne veulent pas s'en mêler, parce que cela n'a rien à voir avec l'APD, et les ministres responsables de la coopération internationale cherchent à obtenir des budgets d'aide, exprimés en pourcentage du PIB, qui soient les plus élevés possible, surtout au Canada, étant donné leur faible niveau actuel. Au bout du compte, les appareils de maintien de l'ordre et de justice pénale jouent un rôle fondamental et nous devons trouver une façon de régler ce genre de problème.

    À voir la tête de Mme Marleau, comme vous pouvez le constater aussi, j'ai l'impression que l'ACDI pourrait très bien se passer d'autres vérifications. D'ailleurs, si l'on imposait moins de vérifications à l'ACDI, elle n'aurait pas besoin d'une telle bureaucratie ni des contrôles actuellement en place. C'est une situation sans issue. Il faudrait effectivement adopter une approche différente, mais l'ACDI n'a certainement pas besoin de plus de vérifications, car elle ne ferait que constituer davantage de réserve et que cela occasionnerait davantage de retards. Quoi qu'il en soit, d'autres personnes dans cette pièce sont plus expertes que moi en la matière.

À  +-(1040)  

+-

    Le président: Monsieur Noble.

+-

    M. John Noble: Merci.

    Monsieur Martin, la première chose qu'il faut changer, c'est l'attitude au sommet. J'ai l'impression que l'actuel premier ministre veut instaurer, avec les Américains, le même genre de relations que M. Trudeau voulait avoir avec M. Reagan. Il veut être différent, comme ça, par principe. Je ne crois pas que cela marche pour un politicien. Je pense qu'il a fait une erreur à cet égard. Je pense que le prochain gouvernement devra chercher, en priorité, à renouveler les relations canado-américaines et qu'il devra s'attaquer aux nombreux problèmes énoncés dans ce rapport, le rapport nord-américain.

    Je ne crois pas que cela pourra se faire à terme de trois ans. L'idée d'une communauté nord-américaine est prématurée. Les Mexicains ne sont pas prêts à envisager l'union douanière nord-américaine, parce qu'ils devraient renoncer à leur accord de libre-échange avec l'Union européenne et à bien des accords du même genre avec d'autres pays. Si le Mexique devait appliquer un tarif extérieur commun, il ne pourrait accorder de traitement préférentiel à l'UE, tarif que ni le Canada ni les États-Unis ne consentiraient aux Européens. Je pense donc qu'il faut envisager une formule bilatérale. Presque toute l'attention est accordée à l'émigration mexicaine. Les Américains en deviennent schizophrènes avec tous les immigrants illégaux qu'ils ont chez eux - d'un côté, ils ont besoin d'une main-d'oeuvre peu coûteuse et, d'un autre, cela les inquiète - mais fondamentalement, ce n'est pas un vrai problème de sécurité. Les Mexicains ne sont pas un problème de sécurité.

    Nous devons maintenant définir ce que sera la prochaine étape dans les relations canado-américaines. L'intégration a nettement dépassé les cadres de l'Accord de libre-échange. Celui-ci a permis d'éliminer les tarifs douaniers. En revanche, il n'a pas éliminé les autres barrières à la frontière qui demeure un obstacle, ce qui m'inquiète. Comme je le disais, cela aura une incidence sur les décisions d'investissement, et c'est d'ailleurs déjà le cas. Cette situation n'est pas dans notre intérêt à long terme. Si le secteur de l'automobile modifie ses stratégies d'investissement à long terme au sud de la frontière, même si les Canadiens peuvent en tirer un certain avantage - et je crois que les TCA se comportent en autruche à cet égard, qu'ils ont la tête enfoncée dans le sable - au bout du compte, si nous n'y prenons pas garde, nous perdrons des investissements dans ce secteur à cause des incertitudes à la frontière.

    Le gouvernement devra tenir compte de votre rapport et être prêt à y donner suite. Je ne pense pas au gouvernement actuel, parce que cela ne fait pas partie de son programme.

+-

    M. Keith Martin: Nous avons besoins de solutions. S'il y a d'autres solutions qui ne se trouvent pas dans votre document, professeur Noble, je suis sûr que tous les membres du comité apprécieraient que vous nous fassiez part d'autres suggestions constructives.

+-

    M. John Noble: Comme je pense l'avoir indiqué dans ma déclaration liminaire, votre document comporte plusieurs autres approches exhaustives : celle de Wendy Dobson pour le C.D. Howe, celle de Tom D'Aquino et des pdg, formulée le 14 juillet et la toute récente du C.D. Howe signée par mes homologues Michael Hart et Bill Dymond du CTPL. Il y a là beaucoup d'idées. Je ne pense cependant pas que le gouvernement actuel veuille y donner suite mais, comme vous allez bientôt devoir changer de chef, cela n'est pas inscrit dans les plans du régime sortant.

    Pour ce qui est du maintien de l'ordre, il est vrai que c'est important, mais ne pensez pas que vous pourrez avoir une organisation internationale qui soit en mesure de...

+-

    M. Keith Martin: Je ne voulais pas vraiment parler de maintien de l'ordre, au sens pénal du terme, mais plutôt d'application des accords et traités auxquels l'on donnerait plus de force, autrement dit que l'on rendrait exécutoires. Je me suis mal exprimé.

+-

    M. John Noble: Eh bien, pour cela, je suis sans doute moins optimiste, mais Gordon ne vous a pas non plus répondu dans ce même sens.

    Au début des années 90, c'est ce que l'ancien Secrétaire général avait voulu proposer comme formule dans le cadre de l'agenda pour la paix. Le problème, c'est que les cinq membres permanents du Conseil de sécurité ne veulent pas donner ce pouvoir au conseil. Si le Conseil de sécurité n'a pas le pouvoir pour agir de la sorte, comment faire? On se retrouve alors dans la situation du dossier irakien où un membre ou plus est disposé à faire quelque chose. Le Canada aurait, je crois, été tout à fait disposé à le faire, mais cette solution ne règle pas tout à moins que tout le monde s'entende pour s'en remettre au Conseil de sécurité. Du côté des échanges commerciaux, l'Organisation mondiale du commerce a les moyens d'agir. Voilà pourquoi il y en a qui disent maintenant qu'il faudrait intégrer les normes du travail et l'environnement à l'OMC. L'Organisation internationale du travail, qui est beaucoup plus vieille, s'appuie sur tout un ensemble de conventions internationales régissant les normes du travail, mais celles-ci ne sont pas exécutoires.

À  +-(1045)  

+-

    M. Keith Martin: Je voulais essentiellement vous amener à parler de la réforme du Conseil de sécurité.

+-

    Le président: Merci.

    Monsieur Harvey.

[Français]

+-

    M. André Harvey (Chicoutimi—Le Fjord, Lib.): Je vous remercie beaucoup, monsieur le président.

    Permettez-moi de remercier nos deux témoins. Ils nous donnent l'occasion de faire preuve de beaucoup de perspective dans notre évaluation de ce qui s'est passé au mois de septembre. Je pense qu'il ne faut définitivement pas sous-estimer le gros virage militaro-politique qui a lieu aux États-Unis. Ça me fait énormément réfléchir.

    Mais comme nous sommes ici pour revoir l'ensemble de notre politique étrangère, je pense qu'il est important de faire preuve d'un peu de convergence et essayer de relier cela à notre politique d'aide au développement.

    Aujourd'hui, au moment où on se parle, 9 000 enfants vont mourir de faim. Je pense que ce n'est pas un petit défi non plus. Il y a des centaines de personnes qui meurent ailleurs pour toutes sortes de raisons, mais il y en a 9 000 par jour, je pense, qui meurent de faim. Donc, j'aimerais, étant donné que l'Agence canadienne de développement international a tenu des consultations pendant plusieurs mois dernièrement sur, entre autres, tout le volet agroalimentaire et surtout sur l'une des façons d'être plus efficaces quant à notre aide internationale, que vous nous disiez quelle pourrait être l'implication du secteur privé dans les pays bénéficiaires pour essayer d'accélérer les effets positifs des nombreux milliards de dollars qui sont investis dans l'aide au développement. J'aimerais que vous nous parliez, monsieur Noble et monsieur Smith, de la façon dont le Canada pourrait s'y prendre pour améliorer l'implication du secteur privé, la rendre plus forte.

    À la limite, on a un nouveau programme, un partenariat avec la Fédération canadienne des municipalités. Est-ce qu'un des corridors potentiellement intéressants pourrait consister à relier certaines communautés locales, entre autres en Afrique, avec certaines villes canadiennes, pour essayer de créer un partenariat qui pourrait être un corridor où il y aurait des échanges d'expertises techniques.

    Somme toute, tout le monde est en réflexion là-dessus. Comment peut-on être meilleurs au niveau de notre aide internationale et en collaboration avec tous les pays donateurs?

    Je vous remercie, monsieur le président.

+-

    M. John Noble: Premièrement, je suis tout à fait d'accord avec M. Harvey qu'il faut améliorer les choses. Le lien avec le secteur privé est très important, mais une des politiques canadiennes--et c'est la politique de la plupart des pays donateurs--, c'est la politique d'aide liée. Donc, c'est lié à l'approvisionnement au Canada. C'est une chose qui aurait dû... Je crois que certaines grandes compagnies canadiennes ont bénéficié énormément de cela. Par exemple, SNC-Lavalin a bénéficié énormément des projets qui lui ont été accordés pour l'aide en Afrique, dans les pays du Maghreb et ailleurs.

    Un autre exemple, je crois, c'est la question de la politique commerciale. C'est très important pour ouvrir l'accès des pays en développement aux marchés du Nord. Un des accords de l'OMC va abolir le fameux ou regrettable accord sur les multifibres. D'ici cinq ans, quasiment tous les textiles et vêtements des pays du Tiers-Monde vont venir au Canada. Mais il y aura des pressions là-dessus parce que certaines industries canadiennes vont en souffrir.

    Le seul moyen pour assurer le vrai développement des pays en développement consiste à ouvrir l'accès à nos marchés, et à ce moment-là, ça crée de grandes tensions entre les intérêts canadiens domestiques et les intérêts canadiens internationaux. Finalement, je crois que c'est dans l'intérêt de tout le monde d'ouvrir nos marchés et de s'assurer que les consommateurs canadiens aient accès à certains produits à un meilleur prix, même si cela met certains emplois canadiens en péril. Mais ça, à mon avis, c'est le seul moyen finalement de vraiment aider le développement de ces pays-là; il faut qu'ils aient accès à nos marchés.

    Évidemment, un pays comme l'Inde est immense. Il a une population interne immense, de même que le Brésil et la Chine. Mais la Chine est très dépendante de l'accès aux marchés nord-américain et ailleurs.

    L'autre problème, c'est qu'il y a les pays les moins avancés. Pour la plupart des pays africains et pour certains autres pays, leurs chances de jouer dans le marché des échanges sont très marginales, et ils sont toujours liés aux termes des échanges des produits de base tels que le cacao, la cacahouète ou des choses de ce genre, et les termes des échanges pour ces produits de base ont diminué depuis 30 ans. Est-ce qu'il y a un changement? Le Sénégal, par exemple, ne produit que la cacahouète ou les arachides. Il n'a pas d'autres...

À  +-(1050)  

+-

    M. André Harvey: Mais est-ce que c'est possible, à court terme, d'avoir une modification et plus de cohérence entre nos ministères, dans tous les pays? Par exemple, si on prend la politique agricole, est-ce qu'on doit poursuivre comme ça dans des subventions absolument infernales comme il s'en donne en Europe et aux États-Unis? Avez-vous un peu d'espoir qu'on sera en mesure de modifier nos politiques commerciales pour favoriser le développement des pays en voie de développement? Êtes-vous optimiste?

+-

    M. John Noble: Non, je ne suis pas très optimiste. Les Américains proclament toujours qu'ils veulent abolir totalement les subventions à l'agriculture. Ils sont des pécheurs comme les Européens, et la politique commune d'agriculture de l'Union européenne est immense. La France est devenue le deuxième exportateur de blé dans le monde. Ce n'est pas parce qu'ils ont un avantage naturel; c'est parce qu'avec toutes les subventions, ils ont gagné cela. C'est un grand défi, mais la croyance, comme je l'ai dit dans mon intervention, c'est que le Canada, l'ACDI, dépense trop d'argent dans trop de pays. C'est trop dispersé, mais c'est très difficile de faire cela.

    La semaine passée, quand le président de Madagascar est venu ici, je crois que le premier ministre a lancé qu'on allait ouvrir un poste à Madagascar, et quand un ministre quelconque va dans un pays, on va ouvrir autre chose encore. Finalement, il n'y a pas de cohérence dans le programme de l'ACDI. On n'a jamais pu--et ce n'est pas vrai uniquement pour ce gouvernement; le gouvernement Mulroney a fait la même chose--limiter ou axer nos programmes de l'ACDI sur certains pays.

+-

    M. André Harvey: Le partenariat avec les municipalités, pensez-vous...?

+-

    M. John Noble: Ça, c'est certainement une possibilité.

+-

    Le président: Merci.

[Traduction]

    Je vais maintenant passer la parole à Mme Kraft Sloan.

+-

    Mme Karen Kraft Sloan (York-Nord, Lib.): Merci beaucoup, monsieur le président.

    Nombre de commentateurs aux États-Unis et même, certainement, des personnages très connus, auraient déclaré, selon un article du New York Times si je ne m'abuse - je n'ai pas ce document avec moi - qu'ils sont très préoccupés par la réputation internationale des États Unis à cause de la situation en Irak. Vous avez dit que le Canada se tourne vers les États-Unis pour essayer de réparer nos relations et que, pour nous, le verre est plutôt à moitié plein. Le Canada a pris un solide engagement pour contribuer à la reconstruction de l'Irak et il est possible que nous envisagions aussi de contribuer à redorer l'image des États-Unis à l'étranger.

    Monsieur le président, les témoins ont fait remarquer que les autres pays considèrent que le Canada est un point d'entrée pour accéder au marché américain. Je me suis souvent entretenue avec des Européens et d'autres qui s'adressent à nous parce qu'ils veulent qu'on leur donne une interprétation des Américains. Certes, je suis peut-être un peu ironique, mais je crois qu'il y aurait quelque chose à faire sur ce plan, de façon réaliste, parce qu'il n'y a pas que la population qui n'a pas appuyé la guerre contre l'Irak et qu'il n'y a pas que nos relations avec les États-Unis qui sont concernées; il faut aussi songer aux relations de notre voisin avec le reste du monde. D'ailleurs, si des sanctions économiques devaient être prises contre les États-Unis ou si nous nous trouvions dans une situation où d'autres pays seraient moins disposés à commercer avec les Américains et à échanger sur le plan économique avec eux, notre économie aussi serait touchée. Nous devons donc chercher à protéger la réputation des Américains et à tenir compte des répercussions de cette situation sur le Canada. Les témoins pourraient peut-être commenter cela.

    Je voulais aussi parler de toute la question du changement climatique, surtout avec M. Smith. Je suis ravie que vous ayez soulevé cette question. J'étais secrétaire parlementaire du ministre de l'Environnement quand nous avons signé Kyoto. À l'époque, je suis allée aux États-Unis pour y rencontrer les Américains. J'ai aussi participé à des discussions, sur le même sujet, avec des parlementaires européens et britanniques, qui se sont déroulées au Congrès américain. Il y a des gens, au sein du gouvernement américain, qui, en leur qualité de législateurs, sont très perturbés par la décision américaine de ne pas signer Kyoto, l'administration actuelle ayant brutalement renversé la décision de la précédente. Si les Américains ont peut-être réalisé certains progrès dans le sens d'un monde post-pétrolier, leur politique officielle est tout à fait contraire à cela et elle est même intransigeante. J'aimerais donc comprendre comment nous allons pouvoir profiter de cela pour essayer d'améliorer nos relations avec les Américains.

À  +-(1055)  

+-

    Le président: Monsieur Smith.

+-

    M. Gordon Smith: Merci beaucoup.

    Le Canada pourrait effectivement faire quelque chose de très important pour contribuer à reconstruire la réputation des États-Unis dans le reste du monde. Soit dit en passant, je ne crois pas que nous ayons déjà vu la fin des changements sur le plan de la réputation des États-Unis, mais espérons que je me trompe. Ainsi, pour aider les États-Unis à cet égard, le Canada pourrait l'inciter à redevenir la première puissance de la communauté internationale, à accepter de travailler avec le plus grand nombre possible de nations et à vouloir trouver des solutions multilatérales en fonction desquelles tout le monde travaillera de concert, plutôt que d'appliquer un mode de fonctionnement que j'associe davantage de celui d'un QG central. Et je ne parle pas uniquement de la guerre actuelle. Rappelez-vous ce qui s'est passé en Afghanistan, la guerre a été dirigée à partir d'un point de commandement et de contrôle central et tous les pays participants, dont le Canada, avaient des semi-remorques dans le stationnement d'en derrière, l'un pour l'ONU, l'autre pour le Canada, un autre pour la France et ainsi de suite. Ça, ce n'est pas du multilatéralisme, c'est un regroupement opportuniste de partenaires pour une même cause.

    Je pense que nous pouvons agir sur plusieurs plans pour aider les États-Unis. Je vous ai donné l'exemple du changement climatique, mais il y aurait bien d'autres domaines dans lesquels nous pourrions agir, notamment ceux qui sont plus proches de la sécurité, le fait de continuer à retracer l'argent transféré par les terroristes et ainsi de suite. D'après mon expérience, j'hésite à nous voir dans un rôle d'interprétation ou de jonction entre les Américains et d'autres. C'est ce que je voulais dire plus tôt. Je ne pense pas que nous devions assumer de tels rôles et je crois que nous ferions mieux d'appliquer une politique qui aille dans le sens de nos intérêts. Nous serons forcément un peu cela également, mais le rôle ne doit pas être notre objectif, il doit être le moyen de parvenir à notre objectif.

    Pour ce qui est du changement climatique, il y a des gens aux États-Unis qui travaillent à la préparation de modèles hybrides qui pourraient être mis en oeuvre après Kyoto. Je pense à David Victor, à l'Université Stanford; il y a aussi un tout nouveau livre, qui vient de sortir, mais je ne me rappelle pas s'il a été publié par Brookings ou par la Fondation Carnegie de Washington. Il y en a un autre qui va bientôt sortir et qui proposera de nouveaux modèles auxquels nous devrions nous intéresser et qui pourraient constituer une façon d'interpeller les États-Unis.

+-

    Mme Karen Kraft Sloan: Des nouveaux modèles de quoi? D'un processus multilatéral?

+-

    M. Gordon Smith: Des modèles proposant de nouvelles modalités pour l'après-Kyoto, c'est-à-dire 2012. En réalité, Kyoto ne règle pas adéquatement le problème des émissions et il faudra donc envisager une intervention par la suite.

    Les Américains craignent, et je crois que nous avons raté cela dans nos analyses, que le coût soit trop élevé pour eux, ce qui est discutable. Par ailleurs, de nombreux Américains sont très inquiets par tout l'argent qui va être transféré en Russie et en Ukraine, puisqu'on parle de près de 100 milliards de dollars pour acheter des crédits d'émission à ces pays.

    Ainsi, plutôt que de jeter la pierre aux Américains à ce sujet, je pense que nous devrions essayer de trouver de nouvelles modalités qui les amèneraient à faire partie d'une solution multilatérale dans les neuf prochaines années. Le régime en question sera négocié au cours des deux ou trois prochaines années.

+-

    Le président: Merci.

    Monsieur Cotler.

+-

    M. Irwin Cotler (Mont-Royal, Lib.): Ma question s'adresse aux deux témoins, mais surtout à M. Gordon Smith compte tenu de ses remarques liminaires. La guerre en Irak semble nous indiquer que les Américains n'ont pas jugé nécessaire de légitimer leur intervention sur la scène internationale et nous n'avons peut-être pas suffisamment apprécié l'état d'esprit dans lequel les Américains se sont retrouvés après le 11 septembre 2001, ni leur préoccupation pour la sécurité. Que peut-on faire maintenant pour limiter les dégâts? Je pense que le problème des relations tendues que nous avons à présent avec les États-Unis n'est pas tant lié à notre ligne de conduite qu'à certaines déclarations intempestives qui ont été mal accueillies au sud de la frontière, puisque notre politique aurait pu simplement être perçue comme un désaccord de principe. Que peut-on faire précisément? Comme le terrorisme est un problème qui nous préoccupe tous, il y a peut-être quelque chose à faire dans ce domaine, en réaffirmant ce que nous faisons déjà et en suggérant ce que nous pourrions faire en plus.

Á  +-(1100)  

+-

    M. Gordon Smith: Je suis tout à fait d'accord avec votre analyse. Je pense que nous pourrions faire trois choses. D'abord, nous pourrions être plus explicites en énonçant le fait que le monde est confronté à un problème de taille, celui du terrorisme à l'échelle planétaire, et au risque d'utilisation des armes de destruction de masse par les terroristes. Il convient donc, en premier lieu, abord de prendre ouvertement acte de cet état de chose.

    Deuxièmement, il faut clairement préciser le rôle que nous entendons jouer, le rôle que le gouvernement a décidé de jouer en Afghanistan, celui que nous jouons dans le Golfe, le genre de contribution militaire que nous entendons apporter, mais nous devons aussi préciser nos autres rôles, tout ce que nous essayons de faire pour combattre la menace combinée d'un terrorisme planétaire et de l'utilisation d'armes de destruction de masse. Nous devons formuler nos intentions de façon beaucoup plus explicite.

    Enfin, je pense qu'il est nécessaire de souligner - et cela rejoint un peu la réponse que j'ai donnée à la dernière question - la nécessité d'adopter une démarche coopérative destinée à mobiliser les États-Unis autour de ces enjeux et à contribuer à les régler. J'envisage deux scénarios possibles: soit les choses tournent très mal, soit elles finissent relativement bien mais, dans les deux cas, je pense que cela renforcera l'unilatéralisme américain et creusera davantage l'écart entre les États-Unis et le reste du monde. Ce n'est pas très bon. J'estime donc que nous avons intérêt à essayer de jouer la carte de la réconciliation sur ces points particuliers, comme le financement du terrorisme ou autres, mais je ne sais pas quelle devraient être les trois ou quatre premières priorités.

    Voilà le genre de suggestions que j'ai à faire.

+-

    Le président: Merci.

    Madame Lalonde.

[Français]

+-

    Mme Francine Lalonde: Merci. Ma question s'adresse à tous les deux, mais en commençant par M. Noble.

    Aux États-Unis, dans la presse, sinon à CNN, le ton victorieux, gagnant, a déjà commencé à changer. Une inquiétude véritable se manifeste. Il y a d'ailleurs eu des critiques très vives qui ont été remarquées juste avant l'engagement des troupes. Newsweek et BusinessWeek avaient été très critiques à l'endroit de la diplomatie américaine, parce qu'ils craignent justement l'isolement. Aux États-Unis, c'est ce qu'on voit.

    Ne croyez-vous pas que la position de principe que le Canada a prise, car le premier ministre Chrétien a dit qu'il ne s'engageait pas parce que ce n'était pas justifié, peut faire, au moment du besoin de rapprochement avec les pays de l'Union européenne et d'autres, que le Canada pourra jouer un rôle et que les États-Unis pourront apprécier que le Canada ait tenu cette position, qui est quand même ambiguë.

    Vous le savez, nous de l'opposition, nous disons que le Canada a plus de troupes que plusieurs des pays qui font partie de la coalition, alors qu'il n'est pas d'accord avec la coalition. Alors, pour nous, il y a une incohérence. Mais si je parle de façon générale, même si je souhaite que le Canada retire ses troupes, ne croyez-vous pas qu'il pourrait se servir de cela pour dire qu'il a une position qui pourrait quand même lui permettre de jouer un rôle dans le rapprochement.

    L'autre question concerne les frontières. Je tiens à dire qu'on a eu toutes sortes de témoignages ici et qu'il y avait un problème bien avant le 11 septembre.

+-

    M. John Noble: Est-ce que le Canada pourrait jouer un rôle de trait d'union entre les grands...? Je n'en suis pas certain parce que, évidemment, nous ne sommes pas dans le même camp que les Français ou les Allemands ni dans celui des Britanniques ou des Australiens non plus. Alors, je ne suis pas certain que le Canada pourrait avoir un grand rôle à jouer comme médiateur dans cette affaire. À mon avis, on aurait pu jouer notre rôle, en fait, étant donné la contribution qu'on va faire en Afghanistan. On n'est pas en Afghanistan encore; les troupes vont être là dans trois ou quatre mois. Mais les troupes américaines qui vont être libérées lors de l'arrivée de nos troupes pourront faire quelque chose ailleurs. On n'a pas encore fait cela, parce que nos troupes ne sont pas encore là. Évidemment, notre marine est là; elle est dans le golfe. Ça aide aussi, mais on peut faire un packaging de cela de manière beaucoup plus positive du côté américain et ne pas faire partie de cette affaire formellement, sur terre. Cela aurait aidé énormément parce que finalement, comme vous le dites, on a beaucoup plus de nos forces là que la plupart des 35 pays de la coalition. Donc, la décision a été faite en fonction de l'opinion publique au Canada, et non pas sur la base d'un leadership.

    M. Trudeau, en 1983, faisait face à une opposition de plus de 50 p. 100 sur la question des essais des missiles de croisière au Canada et il a pris la décision de le faire malgré le fait que la population canadienne s'y opposait. C'était une question de leadership. M. Chrétien a fait preuve de leadership sur certaines questions, mais sur cette question-là, je trouve qu'il n'a pas fait preuve de leadership, qu'il a fait une erreur.

    Quant à votre deuxième question, sur les frontières, vous avez tout à fait raison: il y avait beaucoup de problèmes avant le 11 septembre 2001. Mais ces problèmes ont grandi énormément depuis le 11 septembre, et c'est à cela qu'il faut faire face. Il ne faut pas simplement dire qu'on veut revenir à la situation d'avant le 11 septembre. Ce n'est pas du tout le cas. Compte tenu de la création de ce nouveau Department of Homeland Security, qui regroupe toutes sortes de choses dont l'immigration, les inspecteurs agricoles et une foule d'autres choses, et compte tenu du fait que cette mentalité est une mentalité totalement sécuritaire qui ne vise pas à faire profiter les Américains des importations ou de choses comme ça, il faut trancher cette mentalité. Or, on ne va pas la trancher en faisant des commentaires anti-américains comme ceux qui ont été faits jusqu'ici. Il faut faire ça avec une approche totalement différente. Nos vrais intérêts sont en jeu; ce n'est pas une question de sentiments. Or, on joue du violon sentimental et on joue avec le feu, alors que nos vrais intérêts sont en jeu.

Á  +-(1105)  

+-

    Le président: Merci.

[Traduction]

    Je vais maintenant donner la parole à Mme Carroll.

+-

    Mme Aileen Carroll (Barrie—Simcoe—Bradford, Lib.): Merci.

    Je regrette vraiment d'être arrivée en retard et d'avoir manqué la première heure, mais cela tient parfois à la nature de mon travail.

    Monsieur Noble, j'ai lu votre document très rapidement, en fait trop rapidement pour pouvoir vraiment le commenter, mais c'est ma seule chance d'en parler aujourd'hui. Je suis d'accord avec presque tout ce que vous avez dit, mais pas tout. Je me sens nerveuse quand vous laissez entendre que Wendy Dobson est une prophète que je devrais écouter. Elle flirte avec des extrêmes où je ne me sens pas à l'aise, ni personnellement ni politiquement, parce que je sais que nous ne parviendrons pas à réaliser le consensus pour nous aller dans le sens qu'elle recommande. Mais je vous disais cela juste en passant.

    Corrigez-moi si j'ai tort, mais dans votre analyse de la situation nord-américaine sur le plan de l'intégration, vous vous êtes appuyé sur le rapport de votre comité comme point de départ, mais vous n'avez certainement pas exclu ce que le Canada devrait faire par rapport aux pays européens, puisqu'il se trouve que vous avez une vaste expérience de ce côté là. Je suppose donc que vous n'avez pas exclu cette possibilité, parce qu'il est essentiel que nous diversifions nos marchés.

    Je me réjouis de constater que vous avez recommandé de mettre court à l'union douanière, et que vous rejoignez en cela le rapport de notre comité. Je reconnais que ce rapport ne trouvera pas tout de suite de terrain fertile, mais c'est ainsi, il faut du temps pour que ce genre de document pénètre dans le système. Je vous rejoins aussi sur le fait que notre recommandation d'intervention à terme de trois ans est probablement prématurée. D'ailleurs, je vais donner un discours demain à Montréal où il sera beaucoup question de cela, notamment avec M. D'Aquino et d'autres. J'ai parfois l'impression, avec des rapports comme celui du Comité des affaires étrangères, qu'il faut tendre la main, fixer certains critères et accepter l'idée que le lecteur se dira peut-être qu'on en demande trop, qu'on veut pousser trop loin. J'estime qu'il est bon de procéder ainsi, parce que si nous ne proposons pas de nouvelles idées, jamais personne ne le fera, pas plus sous ce régime que sous le prochain.

    Je crois que nous sommes prisonniers des mots et que ce périmètre nord-américain nous envoie un message qui n'a pas lieu d'être. Comme vous l'avez si bien démontré, ce périmètre existe déjà à bien des égards et il est particulièrement valable.

    En conclusion, je vous signale un article très intéressant de Jeffrey Simpson, paru ce week-end, article que je vais utiliser demain. Il s'intitule, je crois, «They're Mars, We're Venus». On y dit qu'il n'y a rien de mal à faire la part entre nos instincts dictés par nos valeurs et nos intérêts économiques. Ce qui est important dans notre relation avec l'Amérique, c'est de juxtaposer les deux, mais il arrive que l'un prenne le pas sur l'autre. Vu sous cet angle - et Simpson ne juge pas la chose - c'est ce qui est arrivée avec la décision du gouvernement au sujet de la guerre. Nous avons suivi notre instinct et repris nos valeurs du passé. Quand vous dites que rien ne prouve que nous sommes en face d'une destinée manifeste, j'estime que l'actuelle démarche américaine - et nous en avons tous parlé - reprend un peu de la doctrine Monroe, ce qui a de quoi rendre un peu nerveux des gens comme nous, étant donné nos instincts et notre histoire.

    Enfin, et après ça je m'arrêterai, je fais partie des députés de ce caucus qui se sont ouvertement exprimés, ici et sur les ondes de CPAC, et qui se sont dit outragés par tous les propos anti-américains. Je suis outragée que personne ne veuille m'entendre. En fait, ce n'est pas de moi dont je parle, parce que ce n'est pas important, mais personne ne veut entendre de voix dissidente. Les médias embouchent la trompette de ceux qui critiquent, même s'ils savent très bien ce qui se passe en caucus, avec toutes les fuites qui se produisent. Ils ont repris les propos des marginaux qui ont critiqué M. Cellucci et ont fait fi de tous ceux qui ont adopté une position contraire, comme ils le savent bien. Il est très difficile de faire passer un autre message quand quelques brebis égarées courent devant le troupeau. Quoi qu'il en soit, je suis entièrement d'accord avec vous, ce genre de chose nous fait un tort énorme. Cela nous fait beaucoup plus de tort que le gouvernement veut bien l'admettre et nous nous en rendrons bien compte d'ici deux ou trois semaines. Ça ne prendra pas des années.

Á  +-(1110)  

+-

    M. John Noble: Ce qui est fondamental, c'est que cela concerne les dirigeants aux niveaux les plus élevés. Vous êtes tous députés, vous avez vos propres points de vue, mais le message doit venir du sommet, et c'est ce à côté de quoi nous sommes passé après l'élection de George W. Bush. Aucune relation personnelle n'a été instaurée. J'ai passé quatre mois à l'Université d'État du Michigan, l'année dernière, et j'ai été absolument choqué de constater que des gens qui semblent connaître ce qui se passe à Washington viennent nous dire à quel point les relations personnelles entre les deux chefs d'État sont mauvaises. Pour moi, ces gens-là sont des Cassandre, parce qu'au bout du compte, les relations canado-américaines sont beaucoup trop importantes pour être réduites à une simple question de relations personnelles entre chefs d'État. D'un autre côté, il faut bien reconnaître qu'elle compte. Si la personne au sommet n'envoie pas le bon signal, cela est ressenti dans tout le système.

    Wendy Dobson a proposé plusieurs options. Elle a examiné nos intérêts fondamentaux. Elle ne fait pas de sentiment. J'ai parlé avec Jeffrey Simpson au sujet de cet article et je crois qu'il est d'accord avec le gouvernement. Personnellement, je penche pour l'autre côté : j'estime que nous devons aller dans le sens de nos intérêts et pas de nos sentiments. Je pense que c'est fondamental. De toute évidence, l'opinion publique canadienne appuie le premier ministre dans ce dossier, si ce n'est que le dernier sondage des sondeurs du parti Libéral indique que nous voulons nous rapprocher des États-Unis et améliorer nos relations avec eux. Tout dépend en fait de la question posée par la firme de sondage. On peut faire dire à peu près n'importe quoi à un sondage, par exemple que ce qui est blanc est noir. Tout dépend de la question qu'on pose.

    Je crois que les Canadiens sont inquiets quand ils voient que les choses vont trop loin. L'autre soir, au Centre Corel, tout le monde s'est levé pour applaudir l'hymne national américain, en contre-pied de ce qui s'est passé à Montréal, mais les Montréalais ont été prompts à réagir.

    Je ne me suis pas intéressé à ce qui se passe en Europe, parce que ce n'est pas notre priorité et que je n'ai pas assez de temps pour m'y intéresser. Toutefois, je ne crois pas que l'idée de diversification en dehors du marché américain soit bonne parce que, au bout du compte, cette formule n'intéresse pas les entreprises canadiennes. Dans certains domaines, des sociétés pourront s'y intéresser, mais que nous le voulions ou non, les entreprises canadiennes veulent traiter avec le marché qui est le plus facilement accessible pour elles et il se trouve que c'est le marché américain, dans 95 p. 100 des cas.

Á  +-(1115)  

+-

    Le président: Merci.

    Monsieur Eggleton.

+-

    L'hon. Art Eggleton (York-Centre, Lib.): Merci, messieurs, vous être rendus à notre invitation même si je n'ai pas entendu votre exposé. Je me réjouis d'accueillir deux éminents ex-fonctionnaires. Je connais Gordon Smith depuis longtemps et je suis heureux de le revoir.

    Il se trouve que, ce matin même, j'ai été appelé à réagir devant les caméras à la doctrine de frappe préemptive de la Maison Blanche. Je suis foncièrement en désaccord avec ce qui se passe actuellement. J'estime que c'est une erreur. Nous aurions dû donner plus de temps au processus diplomatique et aux inspections. Il est évident que les Américains ont mis la pression; après avoir attendu tant d'années ils ont fait monter les enchères, mais j'estime qu'ils sont allés trop loin en se retirant du processus onusien et en attaquant tout de suite au côté des Britanniques. D'où la question qui se pose maintenant : que va-t-il se passer après cette attaque préventive? Sous la supervision de qui les États-Unis vont-ils continuer à faire tout ce qu'ils veulent? Je juge leur justification très faible dans le cas de l'Irak. Ils n'ont jamais prouvé qu'il y avait un danger réel et immédiat. On constate que les Irakiens sont à peine en mesure de se défendre dans ce conflit. J'estime que jamais aucun lien entre l'Irak et El-Qaïda n'a été établi. La psyché américaine a sans doute été profondément atteinte le 11 septembre et nous sommes tout à fait d'accord avec la campagne contre le terrorisme si bien que nous maintiendrons nos efforts en Afghanistan, mais je ne pense pas que les Américains aient fait la preuve que l'action entreprise était nécessaire, du moins pas pour l'instant, ni qu'il était nécessaire de court-circuiter le processus onusien.

    Que devrons-nous retirer de ce dialogue sur notre politique étrangère, de l'examen de notre politique étrangère, face à notre voisin, super-puissance mondiale actuelle et à sa nouvelle politique de frappe préventive? Le monde est rempli de méchants, de dictateurs et l'on peut se demander qui sera le prochain? J'estime que la Corée du Nord est une plus grosse menace pour les États-Unis que l'Irak. Qui va venir ensuite et qui va décider? Comment réfréner tout cela? Comment composer avec cette nouvelle politique de la Maison Blanche?

+-

    M. Gordon Smith: Je suis certain que M. Eggleton ne veut pas que je répète tout ce que j'ai dit avant, parce qu'il se trouve que c'est exactement ce dont je parlais et je regrette que vous n'étiez pas là au début. Cette stratégie d'attaque préventive, plus que de frappe préemptive, remonte à 1991 et elle est attribuable à l'entourage de Bush 41 : vous connaissez d'ailleurs certains de ces conseillers comme Richard Perle, Paul Wolfowitz et John Bolton au Département d'État. En 1998, ce groupe composé d'une vingtaine de personnes, dont faisait partie Don Rumsfeld, a adressé une lettre à Clinton pour lui dire qu'il fallait lancer une attaque préventive contre l'Irak. C'est intéressant. Aujourd'hui, la plupart de ces gens-là sont soit dans l'administration, soit dans son giron. Cette stratégie n'est donc pas tombée du ciel.

    Je reconnais avec vous qu'il y a eu de regrettables écarts sur le plan de la diplomatie. Comme je le disais plus tôt, les États-Unis se sont piégés eux-mêmes en adoptant un calendrier dont ils ne pouvaient sortir et le prix à payer pour cela est maintenant énorme.

    La question qui se pose est de savoir ce qui va venir ensuite. Je suis d'accord avec vous, le prochain pays sera sans doute la Corée du Nord, mais ce n'est pas la même chose que l'Irak et l'on ne pourra certainement pas régler ce problème de la même façon. En revanche, je ne pense pas que les États-Unis vont être terriblement inquiets au sujet cette question d'autorité supérieure, à moins que quelque accident ne se produise, et je ne vois pas bien quoi. Les États-Unis estiment être investis de l'autorité nécessaire pour attaquer avant d'être attaqué en réglant les problèmes loin de ses frontières, que ce soit en Irak ou ailleurs. J'ai bien noté au passage que vous avez parlé de la seule super-puissance au monde. J'estime que nous devons aller au-delà de ce constat. Comme je le disais, et je m'en tiendrai aux termes que j'ai alors utilisé, les États-Unis sont un empire. C'est un nouveau genre d'empire, pas un empire au sens colonial du terme qui veut conserver son territoire le plus longtemps possible, mais c'est tout de même un empire. Michael Ignatieff a rédigé un merveilleux article à ce sujet paru dans un New York Times du dimanche, au mois de janvier.

    Que faire, face à tout cela? Le plus important, c'est de montrer aux Américains que nous nous rendons compte qu'il existe un véritable problème, celui du terrorisme et des armes de destruction de masse - et je ne dis pas ici qu'il y a un lien avec l'Irak - et il faut leur rappeler ce que nous faisons déjà, notre engagement militaire et ce que nous faisons aussi sur un plan non militaire pour faire face à ces deux menaces. Il nous faut aussi leur souligner la nécessité d'appliquer une démarche axée sur la collaboration pour les amener à régler une partie des autres problèmes qui se posent. Nous ne pouvons plus rien faire d'autre au sujet de l'Irak que de limiter les dégâts, pour reprendre la phrase de M. Cotler, mais nous pouvons, en plus, essayer de réfléchir à une nouvelle façon de nous attaquer au problème de la Corée du Nord, car c'est un véritable problème. Les États-Unis ont des problèmes avec leurs alliés, surtout avec la Corée du Sud. Nous devons prendre les devants, car nous pourrons être écoutés si nous le faisons, parce que le géant qui se trouve au sud de la frontière, même s'il est énorme, a tendance à ne se concentrer que sur une seule chose à la fois. Ainsi, prenons les devants et abordons de front les problèmes qui s'annoncent, à commencer par celui de la Corée du Nord.

Á  +-(1120)  

+-

    Le président: Merci.

    Monsieur Noble, très rapidement!

+-

    M. John Noble: L'article 1 de la Charte de l'ONU comporte la notion d'action préventive, qui est identique au concept d'action préemptive, si ce n'est que les Américains l'ont pris dans un sens unilatéraliste plutôt que dans le sens d'une opération onusienne. Toutefois, la notion d'action préventive existe depuis les tous débuts dans le chapitre un de la charte de l'ONU, si bien que ce n'est certainement pas une nouvelle doctrine. La stratégie de sécurité nationale de Bush prévoit une action préemptive, mais elle parle abondamment d'action multilatérale et les Américains y reconnaissent qu'ils ne peuvent pas tout faire tout seul. Pourquoi le gouvernement canadien ne s'est-il pas arrêté à cela? Le chapitre 8 de la stratégie de sécurité nationale et d'autres parties de cette stratégie sont fondamentales et nous aurions dû nous y arrêter. C'est comme cela que l'on peut interpeller les Américains, en les prenant au mot. Il n'est pas nécessaire de les sermonner en permanence. Nous pourrions leur dire: «Vous avez déclaré ceci et cela et voici comment, selon nous, nous devrions nous y prendre».

+-

    The ChairLe président : Merci.

    Monsieur Day.

+-

    Stockwell Day (Okanagan—Coquihalla, Alliance canadienne): Merci à vous deux pour vos exposés et vos réactions.

    Vous avez tout à fait raison, les États-Unis sont un empire, même si ce n'est pas au sens colonial du terme et c'est un constat que font très peu de critiques. La Pax Romana a été possible à la suite d'une invasion militaire massive, d'une occupation et du fait que les troupes romaines ne se sont pas retirées ensuite. On pourrait soutenir que la Pax Britannica a suivi le même cheminement, puisqu'elle a consisté à maîtriser les mers, à envahir et à ne pas se retirer. La Pax Americana, s'il doit y en avoir une, ne sera pas suivie d'une occupation américaine à long terme. Cela ne correspond pas à l'histoire de ce pays. Même certains critiques des États-Unis ont baptisé ce pays de super-puissance mineure, ce qui est en partie vrai. J'estime important de le noter.

    À propos du concept de préemption, je dirais qu'à l'époque où l'on pouvait voir venir de loin les navires des attaquants et qu'on disposait d'une bonne semaine pour réagir, quand on voyait arriver les armées ennemies à qui il fallait six jours pour parvenir à destination, l'action préventive n'était pas nécessaire et l'on pouvait laisser les pays tranquilles. Aujourd'hui, en revanche,le temps est comprimé sous l'effet de la technologie et les frontières ne sont plus aussi marquées qu'auparavant. Les belligérants, surtout quand il s'agit de réseaux terroristes, échappent aux frontières et il faut s'attaquer à leur nébuleuse. Il y a eu un précédent dans l'histoire, en matière d'action préemptive contre des réseaux ou des pays voisins, à l'époque où les pirates risquaient de paralyser le commerce mondial dans les années 1800. Les pirates au long cour constituaient une menace pour le commerce du monde libre. Nous avons tendance à oublier notre histoire, parce que les États-Unis et la Grande-Bretagne, ainsi que quelques autres pays, ont alors déclaré qu'ils allaient mettre un terme à cette menace. Ils ont même été jusque dans les ports où s'abritaient les pirates, où ils déchargeaient leurs butins, où ils s'approvisionnaient en boulets de canon, en eau, en rhum et en bien d'autres choses. Les navires américains et britanniques sont allés jusque dans les ports de Tunis et d'Alger qu'ils ont menacé de canonner s'ils n'arrêtaient pas d'accueillir les pirates. Le message est bien passé et le réseau de pirate a finalement disparu. Il y a donc des précédents dans l'histoire. Le Canada a déjà participé à des opérations qui se sont déroulées hors du cadre des résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies, et vous avez parlé du Kosovo.

    En plus des répercussions négatives sur l'investissement direct étranger de la réglementation et de la fiscalité excessive en vigueur au Canada, nous devons maintenant composer avec un courant anti-américain. Les réseaux de radio et de télévision de même que l'Internet ont été pris d'assaut par des gens d'affaires au cours des derniers jours. Nous n'aurions jamais pensé cela possible, surtout de la part de gens d'affaires américains qui ne sont, soi-disant, intéressés que par les bénéfices et les marges de profit. Pourtant, ils ont déclaré qu'ils ne voulaient plus traiter avec les Canadiens. Ce mouvement de rogne finira par s'estomper, mais pouvez-vous nous donner une idée de ce qui nous attend? Comme vous le savez, l'Australie était en train de négocier un accord de libre-échange qui était censé être conclu vers la fin 2004. Les Américains ont déclaré qu'ils voulaient maintenant accélérer ce processus. L'accord sera en place d'ici quelques semaines, pour ne pas dire qu'il l'est déjà. Pensez-vous que certaines entreprises américaines pourront maintenant se prévaloir d'une véritable option, d'un véritable choix de libre-échange entre des biens et des services canadiens et des biens et des services australiens? Évidemment, elles devront tenir compte du coût du transport. Pensez-vous qu'elles pourraient opter pour des produits et services australiens, non seulement parce que nous n'avons pas participé à la guerre de l'Irak, mais aussi à cause de la belligérance verbale dont nous avons fait malheureusement preuve au cours des derniers mois ou des dernières années? Quelle importance ce facteur va-t-il revêtir?

Á  +-(1125)  

+-

    M. Gordon Smith: Je vais commencer par répondre à la première partie de votre question et je laisserai à John Noble le soin de vous répondre à la deuxième partie.

    Vous avez tout à fait raison, monsieur Day, relativement à cette question d'attaque préemptive et d'attaque préventive. Je ne pense pas qu'il y ait une autre solution que de recourir à des attaques préemptives et préventives, pour les raisons que vous avez mentionnées. Le véritable problème qui se pose ici, est celui de l'autorité, du pouvoir et, au bout du compte, de la légitimité politique. Voilà pourquoi j'estime que les États-Unis ont tout gâché au niveau diplomatique ces derniers mois. Il n'aurait peut-être pas été possible de faire mieux, on ne le sait pas et on ne le saura jamais, mais j'estime que cela est très important. N'oubliez pas que, pour les Russes, ce fut une merveilleuse nouvelle, parce qu'ils pouvaient aller en Georgie et se débarrasser des Tchétchènes. C'est tout aussi bien pour les Chinois qui peuvent s'attaquer à toute personne qui les menace. C'est cela le genre de problème que soulève l'unilatéralisme américain. Les États-Unis, eux, estiment que personne d'autre n'appliquera la même approche en matière d'attaque préventive, mais ce n'est pas l'avis d'autres pays. D'où les questions qui se posent comme celles de l'autorité, de la légitimité politique et du précédent.

    Pour ce qui est des répercussions sur le commerce, John connaît davantage la question que moi et je pense qu'il va de toute façon vous dire à peu près la même chose que ce que je vous aurais déclaré.

+-

    M. John Noble: Pour ce qui est de l'Accord de libre-échange avec l'Australie, il faut savoir que sous le règne Clinton, les États-Unis ne disposaient pas d'une procédure d'approbation accélérée, qui relève maintenant d'une autorité de promotion du commerce extérieur. Cela étant, ils n'ont pu négocier d'autres accords de libre-échange, mais ils sont en train de se rattraper. Tout récemment, ils ont négocié un accord avec le Chili, un autre avec Singapour et ils sont en train d'en négocier avec les cinq pays d'Amérique centrale. D'ailleurs, j'étais à San José, il y a deux semaines, pour conseiller les gens sur place sur la façon de négocier avec les Américains. Je ne sais pas s'ils en ont retenu quelque chose, de toute façon ils en savent sans doute plus que moi. L'Australie était un autre pays avec qui les États-Unis voulaient conclure un accord, ce qu'ils sont en train de faire. Certes, il y a toujours l'Accord sur la zone de libre-échange des Amériques qui devrait s'enclencher en 2005. Personnellement, je pense que cette échéance ne sera pas respectée. Il y a aussi la prochaine série de négociations de l'OMC, la série de Doha. Je crois qu'elle aussi sera repoussée.

    Je ne crois pas que les exportations canadiennes vers les États-Unis soient directement menacées par l'Australie. Il faut commencer par examiner ce que sont nos principales exportations. Je ne pense pas que l'Australie soit compétitive sur le marché américain. De toute évidence, les Australiens ont pris une décision politique en jugeant qu'il était de leur intérêt de participer à la coalition américaine, sans égard à leur opinion publique. Je crois que c'est fondamental.

    Comme je le disais, je crains surtout que les mesures anti-canadiennes nous viennent des membres du Congrès et des sénateurs. Ces gens-là montrent déjà une certaine prédisposition dans ce sens et ils se serviront de notre non-participation comme d'une excuse supplémentaire, et ils seront appuyés en cela parce que les méchants Canadiens ne les ont pas appuyés dans leur combat pour la liberté et contre le terrorisme. C'est là une question fondamentale, parce que les Canadiens ne se sentent pas menacés par le terrorisme, même s'ils le devraient parce que si une bombe nucléaire terroriste explosait à New York, nous aurions des retombées dans tout l'Est du Canada. Il n'y a aucun moyen d'en réchapper. Il demeure que l'état d'esprit qui règne ici est totalement différent de celui qu'on constate aux États-Unis.

Á  +-(1130)  

+-

    Le président: Merci.

    Monsieur Calder, pour une question et sans préambule.

+-

    M. Murray Calder: Gordon, je vais vous poser cette question à vous. Les États-Unis, dans le passé, ont réparti leurs bases militaires de façon stratégique dans le monde. Pour reprendre votre analogie de la brigade chargée de ramasser les morceaux en Irak, pensez-vous que, une fois que tout sera fini, les États-Unis vont installer une base militaire permanente en Irak aussi? Dans l'affirmative, est-ce que ce sera pour faire face à l'émergence d'une éventuelle seconde puissance mondiale et, si oui, de laquelle pourrait-il s'agir?

+-

    M. Gordon Smith: J'espère que non. J'espère qu'après deux ou trois ans, les États-Unis n'auront plus aucune base terrestre dans le Golfe, qu'ils se seront retirés d'Arabie saoudite. C'est une chose que d'être à Diego Garcia, ça en est une autre que d'abriter la flotte. Je ne dis pas qu'il faille céder aux caprices d'Osama ben Laden, mais il est évident que pour lui et bien d'autres qui l'appuient, le maintien des forces militaires américaines en Arabie saoudite est particulièrement contrariant. Je m'inquiéterais beaucoup que les Américains maintiennent leur réseau de base très longtemps au Moyen-Orient. Je préférerais que les États-Unis fassent ce qu'ils doivent faire, selon moi - d'ailleurs, nous n'en avons pas du tout parlé ce matin - c'est-à-dire qu'ils favorisent l'instauration d'une paix durable entre Israël et la Palestine, qu'ils favorisent la création d'un État palestinien, la sécurité d'Israël et tout le reste. C'est tout cela qui est vraiment nécessaire, pour en revenir à la question de Mme Kraft Sloan au sujet de l'image des États-Unis dans le monde. Ce serait beaucoup plus positif pour les Américains d'agir ainsi que d'installer pour très longtemps une base militaire en Irak.

+-

    Le président: Merci.

    Monsieur Martin, pour une question.

+-

    M. Keith Martin: Je vais enchaîner sur ce que vous venez de dire. Pensez-vous que nous pourrions jouer un rôle dans la mobilisation des Américains pour les amener à régler les causes sous-jacentes du terrorisme, les problèmes d'émancipation politique et économique de pays comme l'Arabie saoudite, l'Égypte et le Pakistan, problèmes qu'il conviendra de régler si nous voulons parvenir à étouffer la nébuleuse d'al-Qaïda?

+-

    M. Gordon Smith: Tout à fait. Vous avez beaucoup réfléchi sur la question des États avortons et de ce que nous pouvons faire pour régler ce problème. Eh bien, nous pourrions faire plus encore, surtout si nous savons être stratégiques et choisir les pays dans lesquels il convient d'intervenir en premier. Hier soir, j'écoutais le ministre de la Coopération internationale parler de ses priorités. D'un côté, notre programme d'aide au développement doit être orienté spécifiquement vers des pays où la gouvernance est acceptable. D'un autre côté, pour régler le problème des sources potentielles du terrorisme, c'est-à-dire les États avortons ou en voie de l'être et qui, selon le document sur la sécurité nationale dont John Noble a parlé, constituent la principale menace qui pèse contre les États-Unis, il faudra intervenir directement dans les pays où la gouvernance laisse beaucoup à désirer, quand il y en a une. Je crois qu'une partie de l'argent destiné à l'aide au développement et nos priorités en matière de programme devront être dirigés vers ces régions et je vous rejoins tout à fait en cela.

+-

    Le président : Merci.

    Je tiens à informer nos témoins que le comité va bientôt entamer une étude des relations du Canada avec le monde musulman. Il s'agit d'un sujet grave et complexe que nous allons découvrir dans les mois à venir. Comme vous êtes des diplomates d'expérience, dites-moi ce que vous pensez a priori de ces sujets.

Á  +-(1135)  

+-

    M. Gordon Smith: Je ne crois pas que votre comité soit appelé à étudier des questions plus importantes que celles dont il est saisi. Quelqu'un, tout à l'heure, a parlé du risque de recrudescence du terrorisme, mais il y a un autre problème qui découle de tout ce qui se passe, c'est le risque de détérioration grave et durable de la collaboration et de la compréhension mutuelle entre les arabes, les musulmans en général, et l'Occident. Au Conseil des gouverneurs du CRDI, nous avons un membre qui vient de Kuala Lumpur. Je me suis entretenu avec lui hier soir. Nous avons aussi quelqu'un qui vient d'Égypte et qui vit au Koweit. Ce qu'ils nous disent donne à réfléchir.

    Il y a donc une dimension nationale, mais aussi internationale. Je pense qu'il sera important d'examiner de très près les racines du terrorisme fondamentaliste islamique. J'ai parfois l'impression que les musulmans n'ont pas toujours jeté un regard aussi sérieux qu'ils l'auraient dû sur ces questions là. Je viens juste de terminer un ouvrage qui sera publié sous peu sur la religion, les conflits et l'instauration de la paix. Toutes les grandes religions du monde annoncent la même chose au sujet de l'instauration de la paix, mais nous savons qu'il y a beaucoup de conflits entre les différentes religions, si bien que je pense qu'il va d'abord falloir instaurer la paix et régler le problème des conflits.

    Je serais heureux de discuter de cette question davantage, mais je ne veux pas m'y attarder davantage, si ce n'est pour vous dire que vous êtes sur la bonne voie.

+-

    Le président: Monsieur Noble.

+-

    M. John Noble: Je crois que c'est un sujet important. De toute évidence, vous constaterez que le monde musulman n'est pas plus homogène que le soi-disant monde chrétien ou autre. Il y a des États laïques, comme la Turquie dont le gouvernement est hautement séculier et qui a été créé délibérément ainsi, et toute une série d'autres qui sont à caractère religieux. Cela, c'est évidemment l'image publique à laquelle nous sommes confrontés. On s'inquiète du fondamentalisme musulman, mais il ne traduit pas vraiment ce qu'est l'islam. Nous avons vu, dans les Balkans, que les Bosniaques, au départ des Serbes ethniques convertis à l'époque de l'Empire ottoman, se sont soudainement radicalisés à cause de la situation.

    Je crois que c'est une chose fondamentale, surtout pour comprendre le terrorisme international parce que c'est dans le fondamentalisme islamique, qu'on le veuille ou non, que le terrorisme international actuel trouve ses racines. Il y a d'autres groupes terroristes, et il y en a même qui sont propres aux États-Unis, qui n'ont rien à voir avec l'islam, et je ne dis pas que l'islam est la seule source de terrorisme, mais elle constitue une menace fondamentale aujourd'hui. Les États-Unis sont, je crois, davantage menacés par l'Arabie Saoudite que par l'Irak, mais ils n'ont pas voulu le reconnaître.

+-

    Le président: Merci.

    Je tiens à vous remercier tous deux d'avoir bien voulu témoigner devant notre comité. Cette rencontre fut très intéressante.

    Avant de lever la séance, je vais accueillir une motion de M. Day.

+-

    M. Stockwell Day: C'est exact. De laquelle parlez-vous?

+-

    Le président: Mme Carroll voulait parler à propos de cette motion.

+-

    Mme Aileen Carroll: D'après ce que je crois comprendre, monsieur le président, M. Day ne va pas déposer aujourd'hui sa motion sur Taïwan et sur l'OMC. Cependant, n'allez-vous pas déposer la seconde?

+-

    M. Stockwell Day: Effectivement, je l'avais prévu pour aujourd'hui. Elle a été adoptée à la Chambre et nous pourrions la faire inscrire ici.

+-

    Mme Aileen Carroll: Aujourd'hui, pendant que nous sommes en comité?

+-

    M. Stockwell Day: Oui, c'est ce qu'on m'a dit.

+-

    M. Art Eggleton: Celle-ci concerne Saddam Hussein? Si c'est le cas, pourquoi voulez-vous la déposer ici?

+-

    Mme Aileen Carroll: Puis-je alors demander à Stockwell ce qu'il veut que nous fassions parce que je ne pense pas que c'est ainsi qu'il faille procéder. J'ai reçu une information différente. D'après ce qu'on m'a dit, les leaders en Chambre se sont réunis et ils se sont entendus sur le libellé de la motion de M. Kenney, que nous appuyons bien évidemment. J'ai cru comprendre que celle-ci n'avait pas encore été déposée, mais qu'elle va l'être. Quand M. Kenney déposera sa motion, il devra demander le consentement unanime de la Chambre et je crois savoir qu'il la recevra. Il est possible que je me trompe, mais je crois que c'est en train de se passer en ce moment-même.

    Je vous demande de bien vouloir reporter le dépôt de votre motion à la semaine prochaine, quand nous saurons si celle de M. Kenney a ou non été déposée. Si tel a été le cas et que vous vouliez passer par ce comité, il n'y aura pas de problème, mais je ne voudrais pas empêcher M. Kenney de déposer sa motion, surtout que tous les leaders de la Chambre ont travaillé très fort pour essayer de s'entendre à son sujet. Je vous demande donc simplement de la reporter jusqu'à ce que nous sachions où en est la Chambre.

Á  -(1140)  

+-

    Le président: Je suis d'accord. Je pense que nous appuyons tous les motions de M. Kenney et de M. Day, mais nous n'avons de toute façon pas quorum pour en adopter une tout de suite. Voilà donc qui règle le problème pour l'instant. Vous ne remettez pas le dépôt de votre motion, c'est nous qui n'allons pas voter parce que nous n'avons pas le quorum.

+-

    M. Stockwell Day: Très bien.

-

    Le président: C'est tout. Merci beaucoup.

    La séance est levée.