Mme Guylaine Chénier (directrice, Service de doublage, Technicolor, Association nationale des doubleurs professionnels):
Je représente l'Association nationale des doubleurs professionnels. Mme Pagé, qui devait être ici avec moi, a eu un empêchement ce matin.
Je vais d'abord situer le mémoire que nous avons déposé. Il s'inscrit dans un ensemble de démarches beaucoup plus larges que nous entreprenons relativement aux règles qui entourent le doublage au Québec et au Canada, y compris à la télévision. Aujourd'hui, nous n'étudions que la partie qui concerne le cinéma. Nous avons déposé au ministère du Patrimoine canadien, en février 2005, un document intitulé « Reconnaître la contribution de l'industrie du doublage à la production cinématographique et télévisuelle canadienne, plus spécifiquement en ce qui concerne la promotion des oeuvres canadiennes dans les deux langues officielles ». Le mémoire n'est pas vraiment un extrait de ce document, mais certaines informations proviennent de là.
Il est déplorable de constater que ce ne sont pas tous les films canadiens qui bénéficient d'une version dans l'autre langue officielle, malgré leur potentiel d'ambassadeurs culturels. En effet, une part importante des longs métrages canadiens est doublée à l'étranger, même si ces productions ont été, au départ, financées par des fonds publics canadiens. Cette situation nous paraît inacceptable. L'industrie canadienne du doublage devrait pouvoir compter sur son propre marché.
Voici un résumé des constats. Les programmes du Fonds d'aide au doublage et au sous-titrage administré par Téléfilm Canada constituent le seul soutien financier du gouvernement canadien. Les engagements en doublage dépassaient 6 millions de dollars en 1994-1995, et le budget prévu en 2004-2005 n'atteint pas 1,5 million de dollars. Les ressources financières du Fonds d'aide au doublage et au sous-titrage ont diminué de 73 p. 100 depuis sa création.
Depuis 2001-2002, les programmes d'aide au doublage sont financés par le Fonds du long métrage du Canada et le Fonds canadien de télévision. Les productions bénéficiant d'une aide du Fonds d'aide au doublage et au sous-titrage provenant des régions autres que le Québec sont en baisse constante et ne représentent qu'environ 20 p. 100 de tous les longs métrages doublés avec l'aide du fonds.
Le doublage permet de rejoindre un plus vaste auditoire au Canada, comme en témoigne le succès de séries canadiennes de langue anglaise auprès des spectateurs francophones.
Les coûts de doublage représentent des frais minimes par rapport aux coûts de production d'un film. Le doublage constitue donc une valeur ajoutée à la production cinématographique, en permettant, par exemple, de rendre les oeuvres canadiennes plus accessibles, de rejoindre plus largement l'auditoire canadien, de mieux refléter les valeurs de la société canadienne et de la dualité linguistique du Canada, de maximiser les fonds publics, de favoriser une meilleure connaissance mutuelle des deux peuples fondateurs, d'augmenter le potentiel de commercialisation des oeuvres canadiennes ici et ailleurs, de programmer davantage d'émissions canadiennes et de hausser le niveau du contenu canadien en ondes.
Les films produits au Québec sont presque tous doublés ici, en langue anglaise ou française. C'est ce qui ressort du rapport annuel de Téléfilm Canada de 2002-2003. En effet, le volume de longs métrages doublés en provenance du Québec est quatre fois supérieur à celui des autres provinces canadiennes réunies. Dans le mémoire, le tableau 1 montre parfaitement cette réalité. Ce n'est donc qu'un petit nombre de films en provenance des autres provinces qui sont doublés au Canada.
La coproduction constitue une façon privilégiée de percer de nouveaux marchés. Il semble qu'une part importante de ces coproductions, dont beaucoup sont tournées en langue anglaise, échappe à l'industrie canadienne du doublage au profit de la France et de la Belgique. Souvent, une vente à la télévision française, ou française et canadienne, ou sur le marché du DVD, déclenche le doublage de ces films. Aucune réglementation n'incite ou n'oblige le coproducteur canadien ou son distributeur, quel que soit l'apport financier des organismes gouvernementaux dont il a bénéficié au moment de la production, à effectuer son doublage au Canada.
Force est d'admettre que les règles en vigueur au Fonds du long métrage du Canada et à Téléfilm Canada n'atteignent pas vraiment les objectifs visés et que les modalités de fonctionnement doivent être révisées, puisque ces films sont ensuite diffusés en français au Canada dans une version doublée à l'étranger. Pourrait-on imaginer que le distributeur des Invasions barbares décide de faire son doublage en Angleterre ou aux États-Unis et nous ramène la version anglaise à CBC? Pourquoi serait-il alors plus acceptable que le distributeur d'un film canadien de langue anglaise effectue son doublage en France et nous le ramène à Radio-Canada ou à TVA?
Dans son Plan d'action pour les langues officielles de 2003-2006, le gouvernement fédéral réaffirme la dualité linguistique dans un Canada moderne et précise que la politique culturelle fédérale et notre système de radiodiffusion doivent être améliorés afin de permettre aux Canadiens et aux Canadiennes d'avoir accès, dans les deux langues officielles, à une programmation de qualité.
Pour atteindre cet objectif, nous vous proposons quelques pistes de solutions: reconnaître la contribution de l'industrie du doublage à la production cinématographique et télévisuelle canadienne, plus spécifiquement en ce qui concerne la promotion des oeuvres canadiennes dans les deux langues officielles; entreprendre un processus de révision des règles destinées à favoriser le doublage au Canada et élaborer un plan d'ensemble pour redresser la situation le plus rapidement possible; créer un comité d'étude chargé d'analyser et de mesurer les effets structurants à long terme de la création d'un crédit d'impôt fédéral au doublage; établir des conditions d'admissibilité et de financement plus souples au Fonds d'aide au doublage et au sous-titrage à Téléfilm Canada; élaborer une stratégie visant à accroître le nombre de projets en provenance des différentes régions du Canada, plus spécifiquement les films et les productions dramatiques destinés à la télévision, qui atteignent un public beaucoup plus large de Canadiens et de Canadiennes, qui peuvent voir ainsi les cultures des deux peuples, d'un océan à l'autre; sensibiliser les producteurs, les distributeurs et les télédiffuseurs canadiens aux enjeux de l'industrie du doublage d'ici; resserrer l'application des politiques de Téléfilm Canada et du Fonds canadien de télévision afin de faire davantage respecter les règles actuellement en vigueur visant à favoriser le doublage des productions et des coproductions canadiennes au Canada.
Dans le cas d'une coproduction avec un pays francophone, le doublage en anglais devrait obligatoirement être réalisé au Canada. Dans le cas d'une coproduction avec un pays dont la langue est autre que le français, le doublage français doit également être fait au Canada.
Il nous apparaît donc essentiel de valoriser l'expertise des entreprises canadiennes de doublage, leur capacité de produire des doublages en anglais aussi bien qu'en français, de même que le talent des artistes et artisans d'ici, afin de protéger et d'encourager une industrie qui est sans cesse confrontée à celle de l'Europe.
En fait, il s'agit d'une réalité de plus en plus évidente si on regarde les sorties des longs métrages américains, qui bénéficient de ce qu'on appelle un day-and-date worldwide; c'est-à-dire qu'on sort le film en même temps partout dans le monde. Il est clair que, si nous ne prenons pas nos parts de marché, nous allons les perdre au profit de la France ou de la Belgique.
Les enjeux du doublage sont d'ordre culturel autant qu'économique. Nous souhaitons que le ministère du Patrimoine canadien reconnaisse la véritable contribution de l'industrie du doublage à la production cinématographique canadienne. Tout porte à croire que notre industrie ne semble pas protégée ni soutenue par des mesures adéquates. Une complète révision des règles s'impose, tant à Téléfilm Canada qu'au Fonds du long métrage du Canada, au Fonds canadien de télévision et au CRTC. L'élaboration de mesures innovatrices et efficaces qui permettront d'assurer au doublage canadien une évolution solide et prospère nous semble être la meilleure solution. Le cinéma canadien ne pourra qu'en être le premier bénéficiaire.
Ce n'est pas très long, mais il y a, dans le mémoire, quelques tableaux et quelques chiffres supplémentaires.
Mme Guylaine Chénier:
Ce sont les deux. Nous cherchons nos marchés et nous tentons de les développer. Il est certain que nous faisons tout pour être attrayants. C'est évident qu'il y a des raisons culturelles, économiques et commerciales qui font en sorte que, surtout en dehors du Québec, on est moins sensible à la notion de rendre disponibles des films d'ailleurs. « Ailleurs » peut représenter la province, le Canada ou l'Amérique du Nord.
Au Québec, nous le faisons depuis très longtemps, pour des raisons historiques qui seraient un peu longues à expliquer, mais aussi parce que nous sommes francophones, que le reste du monde autour de nous est anglophone et que nous voulons donner l'accès à une culture différente à la majorité qui ne parle pas forcément une autre langue. En dehors du Québec, nous allons aussi voir les producteurs, mais c'est plus difficile.
Tout le monde pense que, pour avoir accès à des marchés extérieurs, par exemple aux marchés de la France, de la Belgique ou d'autres pays francophones, il faut absolument que les films soient doublés en France ou en Belgique. Il y a une espèce de mythe voulant que les Français ne comprennent absolument rien d'autre que la langue qu'ils parlent tous les jours. Je crois que c'est un grand mythe basé sur des données économiques, bien sûr, et non culturelles, ou très peu. Évidemment, il y a des mots qui ne sont pas les mêmes, mais les Français peuvent s'y retrouver. Les raisons sont économiques, c'est évident. Ils veulent avoir le doublage, ils veulent le contrôler, etc.
À Technicolor, comme dans d'autres boîtes de doublage, on a réussi à vendre à la France des doublages en français faits ici sans coûts supplémentaires. Bien sûr, si la France refuse la version doublée ici en français, le distributeur ou le producteur-distributeur perd ce marché. Donc, on fait un doublage pour le Québec, en vue d'une diffusion éventuelle coast to coast à la télévision, et c'est tout.
Toutefois, il y a un marché à développer. Il est possible de le faire. Si nous ne voulons pas continuer à nous laisser envahir par les doublages français, par exemple, nous devons assumer nos différences culturelles ici au Canada, qui touchent à la fois les francophones et les anglophones. En effet, on pourrait regarder le marché anglophone et se dire que jamais les Américains et les Canadiens anglais ne vont accepter un doublage en anglais. C'est ce qu'on entend depuis des années et des années.
Les seuls essais faits au cinéma donnent généralement d'assez bons résultats. Les entrées en salle ne sont pas forcément faramineuses, car ce ne sont pas forcément des films qui, au départ, vont chercher le public. Ce n'est pas le dernier James Bond, on s'entend. On est au Canada. Cependant, il y a là aussi un mythe. Les rares fois où on a essayé de faire des trucs qui ont été diffusés à la télévision, ils ont été diffusés le lundi soir à minuit. Et après, on dit que les doublages anglais au Canada ne marchent pas. Je pense qu'on ne s'est jamais donné la chance de réussir et qu'on n'a jamais travaillé à ouvrir les esprits au fait qu'on réalise des productions qui peuvent être intéressantes pour tout le monde.
On est au Canada. Que ce soit pour le côté anglophone ou francophone, c'est une question de culture et d'économie. Il faut bien mesurer la place que nous occupons dans le monde. Si nous voulons continuer à recevoir du produit américain ou à faire du produit canadien qui ressemble au produit américain, et si nous voulons continuer à recevoir en français du produit culturel français sur nos productions faites ici avec nos sous, nous sommes sur la bonne voie. Ce matin, nous venons dire qu'il faudrait peut-être nous réveiller et prendre en main notre capacité de garder notre culture.
Excusez-moi, la réponse a été longue.
M. Pierre Jutras:
La série télévisée
La Famille Plouffe relevait de Radio-Canada. C'est un organisme d'État qui aurait dû conserver son matériel, ce qu'il n'a pas fait pour des raisons qu'on peut expliquer mais qui seraient très longues à énumérer ici.
Il faut comprendre que les cinémathèques ont aussi été créées pour contrebalancer le peu d'intérêt qu'on accordait à la production audiovisuelle. On considérait que c'était un art populaire, un amusement public. On ne considérait pas que c'était un art. On ne se préoccupait pas de conserver le matériel, surtout au début du cinéma et de la télévision. Nous avons essayé de remédier à cela.
Bien sûr, une situation comme celle qui s'est produite dans les années 1950, avec la disparition de séries télévisuelles comme La Famille Plouffe et Le Survenant, ne pourrait plus se produire aujourd'hui. Maintenant, il y a des archivistes et des organismes qui s'occupent de cela.
Pour ce qui est de la diffusion, notre mandat premier est de préserver le matériel. Bien sûr, si nous pouvions en avoir les moyens financiers, nous voudrions travailler à des projets de numérisation de produits que nous conservons. Cela coûte très cher. Faire un bon transfert numérique d'un long métrage peut coûter jusqu'à 20 000 $, si on opte pour la haute définition. Après cela, il faut la production DVD.
Il faut aussi travailler avec les ayants droit. En effet, nous ne possédons pas les droits du matériel que nous conservons. Nous possédons souvent le matériel physique, mais les droits appartiennent toujours aux producteurs ou aux réalisateurs, sauf exception. Par exemple, nous avons un fonds d'une cinéaste expérimentale canadienne-anglaise, Joyce Wieland, qui est décédée. Les droits nous ont été légués. Donc, nous gérons ce fonds et nous devons réinvestir les bénéfices que nous faisons dans la promotion de ce fonds. Cependant, dans la plupart des cas, nous n'avons pas les droits des films. Nous devons travailler avec des producteurs.
Notre but était de conserver ce matériel pour pouvoir, éventuellement, le rendre disponible aux gens qui voudraient le diffuser. C'est surtout cela.
M. Marc Lemay (Abitibi—Témiscamingue, BQ):
Bonjour.
Vous n'aurez pas besoin de m'expliquer ce qu'est la Cinémathèque québécoise. Je ne suis pas très vieux, mais ce que j'ai appris du cinéma en Abitibi, je l'ai appris grâce à la Cinémathèque québécoise. Vous faites partie intégrante du paysage et votre oeuvre est importante et essentielle, à un point tel que je ne comprends pas que vous ne receviez pas plus d'aide du gouvernement fédéral. Pour moi, vous êtes la mémoire vivante. Si on a encore des films d'Arthur Lamothe, c'est grâce à vous. Si mon collègue Maka Kotto était ici ce matin, il vous dirait probablement ce que je vais vous dire: on va tout faire pour que vous soyez soutenus. C'est évident.
Vous faites de la diffusion. Comment les régions, les écoles du Québec peuvent-elles vous joindre? Par exemple, si un professeur de cinéma donne un cours sur Jutra — vous avez toutes ses oeuvres puisque vous en êtes les dépositaires — comment peut-il s'adresser à vous? Peut-il aller chercher le film? C'est ma première question.
Je n'étais pas ici hier, et je me rattrape. Au sujet du doublage, tous les témoignages que nous avons entendus au cours des dernières semaines portent à croire — je m'adresse à Mme Chénier — que vous avez du travail à faire et que vous auriez avantage à frapper fort. J'aimerais vous entendre à ce sujet. Je trouve inacceptable qu'un film financé par Téléfilm Canada, diffusé à l'ONF, à la télévision de Radio-Canada, de CBC ou je ne sais où, ne soit pas doublé au Canada. Je n'arrive pas à le comprendre. J'ai beau essayer, je ne le comprends pas. Pourquoi est-ce ainsi?
J'ai un peu voyagé et je sais que des ententes de coproduction sont conclues sur le plan international. J'étais dans le milieu du sport et je comprends qu'on donne les droits de télévision aux Allemands. Dans un contrat de coproduction franco-canadienne, par exemple, y a-t-il quelque chose de prévu à propos du doublage?
J'aimerais que vous reveniez sur la possibilité d'un crédit d'impôt fédéral sur le doublage. Voulez-vous dire que vous auriez droit à un crédit d'impôt si votre film était doublé au Canada? Mais comment peut-on contrer la coproduction? Ce qui m'inquiète, c'est la coproduction franco-canadienne, italo-canadienne, ou quelle qu'elle soit: ça finit par être fait à Paris. Comment peut-on insister pour que les émissions de télévision soient doublées au Canada? Je reproche au Canada anglais de ne pas avoir de vedettariat comme au Québec. Nos vedettes — que ce soit Gilbert Sicotte ou Maka Kotto — font de la télévision et on les double en anglais. Mais l'inverse n'est pas vrai. Que peut-on faire? Peut-on les y obliger? Avez-vous étudié cela? Vous vous adressez au bon comité pour frapper un grand coup, je vous l'assure.
Voilà mes questions. Je vous prie de m'excuser de vous les avoir posées en rafale.
M. Kevin Tierney (président, Cinémathèque québécoise):
J'aimerais ajouter un petit quelque chose.
Nous avons toutes les copies originales de dix films qui sont certainement parmi les meilleures productions canadiennes. Ils ne sont pas disponibles en DVD ni sur quelque autre format. C'est notamment le cas des films Les bons débarras et Les ordres. Notre mission est non seulement de préserver ces documents, mais de les diffuser à l'intention des jeunes générations.
Nous ne pouvons pas confier cette tâche au marché. Le marché n'a aucun intérêt financier à s'en occuper. Il se peut que les producteurs ou les distributeurs ne soient plus en activités. Nous avons parlé hier de la situation de Cinéma Libre, par exemple, une très importante société de distribution qui a disparue. Nous avons récupéré ces films, mais que peut-on en faire aujourd'hui? C'est très bien d'en disposer, mais c'est encore mieux de les faire circuler.
Évidemment, nous devons les préserver. Nous devons les maintenir dans le meilleur état possible, mais il serait irresponsable de notre part de les conserver dans une chambre forte sans que personne ne puisse les voir. C'est ce qui distingue la Cinémathèque québécoise des Archives nationales, par exemple. Évidemment, les Archives nationales sont un organisme essentiel à la préservation des documents, mais essayez-donc d'y accéder. C'est une situation tout à fait différente.
Dans notre cas, comme nous sommes un organisme convivial au service de nos membres et que nous avons des films en 35 millimètres, en vidéo, en dessins animés, etc.—du moins, nous essayons d'avoir tout cela—sur trois écrans différents, notre organisme devient dynamique et permet... Évidemment, ce que nous proposons ne concerne que Montréal pour l'instant, malheureusement, mais tout à l'heure, Yolande a parlé de croissance : nous nous efforçons, grâce à différents moyens technologiques, de permettre à l'ensemble de la population québécoise et canadienne anglaise, d'accéder à nos films.
Il est un fait—et vous vous souvenez de ce que j'ai dit hier—que celui qui consulte Internet à la recherche de renseignements sur un réalisateur québécois trouvera plus d'informations sur le site américain The International Movie Data base, IMDB, que sur tout autre site canadien. Interrogez Google sur Claude Jutra, et vous ne trouverez pratiquement rien en français. C'est ridicule, mais c'est parce que nous avons pratiquement succombé par résignation à une forme d'impérialisme. De notre côté, nous essayons de survivre, et la Cinémathèque québécoise fait partie de cette démarche positive. Nous sommes victimes du succès du cinéma québécois.
Les réalisateurs vous ont dit hier que grâce à ce succès, ils peuvent tourner davantage de films. Nos ressources sont plus en demande, alors que nous obtenons de moins en moins de financement. Nous nous sommes mis dans une situation où nous obtenons du financement du gouvernement provincial, mais nous ne frappons jamais à la bonne porte au niveau fédéral, et si nous sommes ici aujourd'hui, c'est précisément pour que cela change. Nous soumettons constamment des projets au Conseil des arts du Canada, mais vous savez comme moi que ce n'est pas la bonne façon d'assurer l'épanouissement d'un organisme comme le nôtre, ni de répondre à une demande qui, depuis 40 ans, n'a jamais été aussi forte.
Merci.
Mme Guylaine Chénier:
Bonjour. J'aimerais aborder plusieurs questions. Comme vous, nous espérons aussi que nous cognons à la bonne porte ce matin. Nous partageons cet espoir avec la Cinémathèque québécoise.
Parlons des productions canadiennes et plus particulièrement des films qui sont produits ici, en anglais ou en français. Certains films anglais sont doublés en France, sont diffusés sur les ondes d'autres organismes d'État et ont reçu des fonds publics pour la production et la diffusion. Vous avez raison, cela est inacceptable. Pourquoi est-ce ainsi? C'est un peu ce que j'ai expliqué plus tôt.
Il faut soutenir notre culture dans les deux langues. Cela ne tombe pas du ciel. Le coût du doublage est minuscule comparé à celui de la production, mais ce coût peut devenir trop important pour un distributeur s'il est convaincu que, pour le vendre ailleurs, il faut le doubler de nouveau en France. Cela peut arriver et peut ne pas arriver, mais il n'y aura jamais de garantie que la France acceptera le doublage intégral fait ici.
Par contre, il ne faut jamais perdre de vue qu'il n'y a aucune restriction si l'on veut que des longs métrages, qui sont considérés canadiens à cause de la majorité des fonds et des investissements, soient diffusés sur les écrans français. On s'entend là-dessus. Il y a une restriction pour tout doublage d'une production qui n'est pas canadienne, mais qui est doublée ici. Il y a des restrictions. Ce n'est pas une loi, c'est un règlement adopté en France juste après la guerre, qui empêche la diffusion des doublages québécois sur les écrans français quand il ne s'agit pas d'une production canadienne.
J'ai expliqué cela un peu plus tôt. Je pense que c'est inacceptable et que tous les Canadiens et Canadiennes devraient trouver cela inacceptable. Si le doublage est fait ailleurs — que ce soit en français ou en anglais — et que le film est rediffusé... Ce n'est pas le cas de tous les films. Tous les films ne reçoivent pas une aide directe de Téléfilm Canada ou d'une autre institution, mais il y en a quand même beaucoup.
Si l'on entre dans le milieu de la télévision, ce qui n'est pas l'objet de mon propos, on est témoin de ce qui, pour nous, est une autre immense bataille. On l'a vu avec l'Union des artistes au Québec, qui a rendu publiques des données relatives aux émissions pour enfants au Québec. Il n'y a à peu près rien qui est produit ou doublé au Québec. Certaines productions canadiennes ont droit à des fonds d'investissement d'institutions canadiennes très élevés, et le doublage de productions pour les enfants et pour les jeunes est souvent fait en France. Et l'on parle de culture! On parle une autre langue. Parfois, on peut aller très loin dans une autre langue. Je pense que, de plus en plus, on peut y aller avec les longs métrages, étant donné le travail que l'on a fait avec l'Union des artistes pour s'entendre relativement à nos productions cinématographiques. Dans ce cas, il s'agissait de productions américaines. Télétoon, par exemple, nous a dit que lorsqu'une série diffusée pour les jeunes était doublée au Québec, elle avait une meilleure cote d'écoute. Ils ont des chiffres à l'appui, mais ils ne peuvent pas toujours se permettre le coût d'un doublage, même si nous diminuons nos budgets au minimum, ce que nous faisons chaque année.
Par conséquent, il faut un appui financier pour permettre aux distributeurs et aux diffuseurs d'acheter des produits québécois en production originale, je le souhaite, et doublés. Cela est possible, surtout lorsque la production est canadienne. Par conséquent, cela exige des appuis. C'est pourquoi nous parlons de ce crédit d'impôt fédéral. Il y a longtemps que l'on cogne à des portes. Le crédit d'impôt fédéral serait applicable, à ce moment-là, à l'échelle du Canada, dans les deux langues. Cela aiderait les maisons de doublage à diminuer le prix qui est demandé aux distributeurs.
En ce qui a trait au crédit d'impôt, il est important de souligner que nous le demandons pour les maisons de doublage. Nous ne le demandons pas pour les producteurs et les distributeurs. Nous pensons que les maisons de doublage doivent être appuyées. On pourrait tenir un débat là-dessus, mais on a vu disparaître des fonds qui sont alloués à des budgets de production. Je ne remets pas en question du tout la façon de faire des producteurs. Ce n'est pas cela. Toutefois, je pense qu'au départ on a besoin d'appuyer les maisons de doublage, dont le marché, pour l'instant, est d'abord et avant tout le marché américain. Il ne faut pas se faire d'illusions.
On survit parce que les Américains y trouvent leur compte. Ils veulent faire doubler leurs longs métrages ici. C'est ce qui nous permet de vivre et de survivre, et ce sera ainsi tant que nous ne serons pas rattrapés, technologiquement parlant, par l'Europe, et en particulier par la France. Ils ont intérêt à lancer systématiquement ici des films le même jour qu'aux États-Unis, ce que la France ne peut pas faire.
On voit cela arriver de plus en plus à l'échelle mondiale, comme je le disais un peu plus tôt, pour de très beaux films, à l'occasion. Dans ces cas, le doublage est fait par les Français. Nous disparaissons alors automatiquement de la carte. Nous ne faisons pas de doublage québécois dans de tels cas, quand cela est lancé à l'échelle mondiale.
M. Kevin Tierney:
Pendant une quarantaine d'années, se sont les réalisateurs de films eux-mêmes qui ont volontairement fourni ce matériel. Nous agissions un peu comme un dépôt qui pouvait conserver et préserver ce matériel.
Les distributeurs s'en servaient aussi quand les pellicules n'étaient plus en circulation, une fois que le film était retiré des salles. C'était un lieu d'entreposage où les films étaient conservés en excellente condition.
Et puis il y a eu de plus en plus de boîtes, beaucoup trop de matériel... Les choses ne se sont plus faites de façon aussi méthodique, alors il y avait des choses de Radio-Canada et de l'Office du film, et les producteurs privés ont commencé à nous en donner aussi. Nous avons même eu à une époque, croyez-le ou non, un budget d'acquisition et nous cherchions des choses à préserver. Les films d'animation, par exemple, sont une de nos spécialités. Nous avons eu aussi des films muets.
Tout cela c'est toujours fait de façon officieuse. Nous pouvions aussi émettre des reçus pour l'impôt. Tout récemment, par exemple, nous avons conclu une entente avec Moses Znaimer de MuchMusic pour sa collection incroyable d'enregistrements à la télévision que nous espérons pouvoir maintenant montrer. Tout ce matériel nous est arrivé de cette façon-là. Et à chaque fois que nous en avons eu l'occasion, depuis que le gouvernement du Québec nous a chargé de faire la même chose pour la télévision, les autres réseaux, les réseaux privés en dehors de Radio-Canada... Nous avons eu la collection de TVA, par exemple.
Mais il y a évidemment tout le coût financier que cela entraîne. Je vais aborder ici votre deuxième question qui porte sur le financement. Au fil des années, nous avons bénéficié d'un financement du gouvernement provincial qui était notre principal source de financement, mais nous avons aussi dû entreprendre divers projets et trouver d'autres mécanismes de financement. Nous avons récemment créé une fondation. L'année dernière, nous avons recueilli 100 000 $ grâce à une vente aux enchères que le conseil d'administration avait organisée avec Famous Players.
Comme les autres institutions culturelles, nous sommes en train d'élargir nos horizons et d'essayer d'établir une forme de soutien triangulaire, avec le gouvernement provincial, le secteur privé et le gouvernement fédéral. C'est donc comme cela que nous avons existé jusqu'ici, mais nous vivions un peu de la charité, et il faut que cela cesse, parce qu'il y a eu une crise financière à la Cinémathèque. Il y a là un personnel incroyablement dévoué de plus de 40 personnes qui, quand nous sommes arrivés à deux doigts de devoir fermer nos portes, ont accepté une réduction de salaire de 20 p. 100 pendant trois mois et de 10 p. 100 pendant tout le reste de l'année. La Cinémathèque souffre d'un sous-financement chronique alors que nos ressources n'ont jamais été aussi massivement mises à contribution.
Je précise que nous avons eu des rencontres avec les représentants du gouvernement. Nous avons la chance d'avoir un ministre qui nous connaît bien, qui connaît notre situation et qui est tout à fait prêt, je crois, à envisager un changement de notre statut, mais il faut vraiment que cesse cette situation où nous sommes obligés de nous présenter au Conseil des arts à chaque année en disant : « Dites, quel projet voulez-vous que nous vous soumettions cette année pour obtenir 160 000 $? » Ce n'est pas une façon de gérer une institution.
J'aimerais
[Français]
remercier M. Lemay pour ses mots sur la Cinémathèque québécoise. Il connaît très bien notre institution, il vient de la région et il est au courant de tout ce qu'on fait. Cela fait du bien d'entendre des politiciens, des hommes et des femmes de culture, qui sont au courant de l'importance de cette institution, qui ne se compare à aucune autre au pays.
[Traduction]
C'est pour cela que des gens comme moi consacrent bien plus de temps qu'ils ne le devraient normalement non seulement à essayer de maintenir cet organisme en vie, mais surtout à lui donner la place qui lui revient dans la préservation de notre patrimoine culturel.
Merci.
Mme Guylaine Chénier:
Il n'y a pas de marché lucratif pour le film canadien-français en dehors du Canada. Il y a bien une diffusion en salle en France. Je ne sais pas exactement combien de copies des
Invasions barbares ont été diffusées en France, mais il y en a eu quelques-unes et il y a eu une certaine assistance.
Il est possible de développer le marché des versions DVD des longs métrages et celui de la télévision, si on pousse. Par contre, il n'existe pas de marché comme tel.
Nous, de l'industrie du doublage, sommes justement ici, ce matin, pour parler de notre marché, du marché canadien qui ne nous appartient pas, ni en anglais ni en français. Comme je l'expliquais un peu plus tôt, le doublage le plus fréquent est le doublage vers le français des films des grands studios américains, ce qui se fait beaucoup plus au Québec qu'ailleurs, et c'est ce que les chiffres de notre mémoire indiquent. On s'entend là-dessus. Nous ne bénéficions pas d'aide réelle du gouvernement fédéral, ni politique, ni économique, pour le développement des marchés du doublage francophone ou anglophone au Canada. Nous recevons un peu d'aide du gouvernement du Québec sous forme de crédits d'impôt. C'est surtout ce qui nous a permis de survivre au chapitre de la télévision. Sinon, je pense qu'il n'y en aurait plus du tout, étant donné qu'il y en a déjà très peu.
Ce n'est donc pas un marché. Il faut être très clair à ce sujet. Le seul marché qu'on peut développer est celui de la télévision, du DVD, etc. Dans ce cas, on parle de se voir et de s'entendre dans les deux langues officielles du Canada, ce que promeut partout et en tout temps le gouvernement, dans l'ensemble de ses structures et institutions publiques. À notre avis, ces langues ne sont pas respectées dans le domaine culturel, au niveau des règles du doublage et de l'appui au cinéma anglophone et au cinéma francophone partout au pays.
On ne vise pas nécessairement de très grands marchés. Le plus on essaiera d'en conquérir, le mieux ce sera. Il est évident qu'un film a plus de chances de fonctionner dans un marché extérieur s'il est en anglais. Cela ne veut pas dire que sa version originale doit être en anglais. On peut présenter un film doublé en anglais. Cela ne veut pas dire que la version qui sera diffusée en Italie, en Allemagne ou au Japon sera la version anglaise ou la version française. Le film sera doublé dans la langue du pays. En effet, dans ces pays, on demande souvent qu'il y ait au moins une version anglaise que l'on puisse présenter dans les festivals, que ce soit au MipTV ou à quelque endroit que ce soit dans le monde.
Il s'agit d'un outil de vente. Nous avons la chance, ici, de pouvoir le faire en français et en anglais. Notre industrie a tous les outils et la structure pour le faire dans les deux langues. Il ne nous manque que l'aide.
Mme Guylaine Chénier:
Est-ce un mythe? Cela dépend. Le doublage québécois est parfois refusé, parfois accepté.
On va très loin. Je peux donner des exemples de ce que nous avons fait chez Technicolor. Un distributeur de Montréal a produit au Québec un film en anglais. Au départ, le film devait être vendu en France, mais non ici. Nous avons fait le doublage du film en français pour la France. Nous l'avons doublé en français de l'Hexagone, c'est-à-dire en franchouillard, en parigot, je ne sais comment le dire. Nos acteurs ont chanté comme les Français chantent quand ils parlent, et ils ont utilisé leurs mots.
On peut dire que l'on va très loin quand on fait cela. Le film est revenu ici, et Radio-Canada l'a acheté sans savoir qu'il avait été doublé ici; on pensait qu'il avait été doublé en France. Je ne suis pas sûre que je sois contente d'avoir fait cela. Cela étant dit, on a besoin d'argent.
On est présentement en train de faire une production avec les deux versions. Pour que les producteurs et les distributeurs économisent, on ne fait pas deux versions françaises complètes. Il y a un diffuseur ici qui veut que cela sonne un peu québécois, sans que ce soit du joual.
On ne s'en rend pas compte, mais ici, dans une émission dont le personnage principal s'appelle Cathy, on ne dit pas « Cati » , mais « Cathy ». On ne dit pas « hamburger » comme les Français, mais « hamburger ». C'est tout ce que Radio-Canada voulait, mais c'est la première chose que les Français ne veulent pas. Mais ils ne veulent surtout pas que l'on dise « hambourgeois »; ils veulent qu'on prononce le mot « hamburger » de la façon dont ils le prononcent eux-mêmes.
Nous essayons d'enlever toutes les allusions aux références locales. Nous enregistrons des petits bouts à la française et d'autres, à la québécoise. On fait ainsi deux versions. On fait une version pour la France, qui est une version légèrement édulcorée, mais tout à fait correcte, et une version pour le Québec, qui elle aussi est un peu édulcorée, mais qui conserve une couleur locale.
On est très bons pour faire des culbutes et des steppettes dans le but d'atteindre le plus large marché possible. Je pense que les doubleurs, en français ou en anglais, les artisans locaux font beaucoup d'efforts pour avoir des accents réels. S'il y a un Italien dans un film, on va prendre un vrai Italien, qui a un vrai accent italien. On essaye de ne pas faire de fausses notes. Je pense que l'on fait preuve de beaucoup d'imagination pour correspondre à ce marché, qui est extrêmement complexe et qui nous glisse entre les doigts.
M. Mario Bolduc:
C'est très bien. Je vous remercie tout d'abord d'avoir invité la SARTEC à participer à l'examen de la politique cinématographique canadienne. Je vous présente Joanne Arseneau, qui est membre du conseil d'administration de la SARTEC et aussi scénariste de longs métrages de télévision.
Je m'appelle Mario Bolduc et je suis le vice-président de la Société des auteurs de radio, télévision et cinéma. Je suis également scénariste de télévision et de cinéma.
Comme vous le savez, la SARTEC, fondée en 1949, représente plus de 1 000 auteurs et scénaristes, qui travaillent dans les domaines du cinéma et de la télévision en langue française. Dans notre mémoire, nous nous sommes surtout intéressés à ce qui touchait le développement et la production, notamment les primes à la performance, davantage qu'à la distribution ou à l'exploitation, qui nous concerne moins.
Notre document souligne les points suivants. Tout d'abord, en ce qui a trait au développement, produire un film sans un scénario solide revient à risquer plusieurs millions de dollars sur du vent. Investir en scénarisation s'avère donc essentiel, ce que la politique cinématographique a reconnu. L'ajout de fonds en développement a donc contribué à améliorer la qualité des scénarios, selon nous. Cette politique a également permis de diversifier les lieux de développement en finançant non seulement les producteurs, mais aussi les auteurs directement par le biais du Programme d'aide à l'écriture de scénarios.
Ce programme est une sorte d'incubateur qui a encouragé, entre autres, les scénaristes de télévision à écrire pour le cinéma, ce qui était un des objectifs. Il a aussi permis d'augmenter le nombre de projets accessibles aux producteurs, aux distributeurs et aux organismes de financement.
Le programme fonctionne bien, selon nous, mais les sommes octroyées ne permettent pas d'intéresser autant d'auteurs qu'on le souhaite, particulièrement les auteurs qui travaillent régulièrement à la télévision et qui ont une grande expérience de ce médium.
M. Jean-Pierre Lefebvre (président, Association des réalisateurs et des réalisatrices du Québec):
Bonjour, madame la présidente. Mesdames, messieurs, merci beaucoup de nous recevoir. Je vais essayer de rappeler les grandes lignes de notre mémoire.
Tout d'abord, une affirmation, une évidence, mais ô combien importante: sans le gouvernement fédéral, il n'y aurait pas eu et il n'y aurait toujours pas de cinématographie au Canada. Par « cinématographie », on entend évidemment tous les champs de l'audiovisuel.
Il y a deux prémisses absolument essentielles, à notre avis.
Premièrement, l'assise première de toutes les politiques fédérales en matière de cinématographie doit rester fondamentalement culturelle et sociale. Ce sont des fonds publics, ne l'oublions pas.
Deuxièmement, s'il veut ériger une industrie cinématographique canadienne obéissant par ailleurs aux lois du marché, le gouvernement fédéral doit, en plus d'augmenter substantiellement les fonds présentement accordés à tous les secteurs de la cinématographie, aller en chercher de nouveaux. En l'occurrence, il doit créer une billetterie nationale, prélevant un pourcentage universel sur les revenus du box-office. Voilà plus de 40 ans que le milieu réclame de telles mesures, à Ottawa aussi bien que dans certaines provinces, dont le Québec, mais nos voisins américains y ont fait systématiquement obstacle en menaçant de retirer leurs films du marché canadien. La plupart des pays qui nous ressemblent prélèvent un pourcentage sur le box-office. C'est le cas de la France, qui peut ainsi financer son cinéma national avec le profit que les étrangers font sur son territoire. C'est une mesure qui nous paraît être de la plus élémentaire décence.
En général, nous sommes d'accord sur le rôle tout à fait incontournable de l'ONF. Nous insistons sur l'accès au patrimoine cinématographique canadien, ce qui n'est pas le cas actuellement. D'ailleurs, il y avait une mesure très favorable en ce sens, qui était le sous-titrage automatique des films invités dans des festivals officiels, sous-titrage en anglais des films francophones et inversement. Or, Téléfilm Canada a aboli cette mesure il y a quelques années.
Nous réclamons une participation directe à l'élaboration des politiques globales de la cinématographie. Nous sommes d'accord sur les crédits d'impôt, dont nous voulons le maintien. Nous exprimons notre appui au Conseil des Arts du Canada qui, surtout dans le contexte pseudo-industriel qui est le nôtre, joue un rôle plus que jamais essentiel. Nous soutenons le Fonds canadien du film et de la vidéo indépendants, qui joue également un rôle essentiel, souvent en collaboration avec le Conseil des Arts du Canada et dans le cadre du programme d'aide au cinéma artisanal de l'ONF. Nous sommes également d'accord sur le Fonds canadien de télévision.
Toutefois, nous nous interrogeons sur le fait que les fonds soient attribués aux diffuseurs, et non pas aux producteurs. Cela donne le contrôle aux gens qui ont le pouvoir, c'est-à-dire les diffuseurs. C'est la même chose pour le cinéma à Téléfilm Canada, où ce sont les distributeurs et les producteurs qui ont le pouvoir.
L'objet de nos interrogations les plus profondes est Téléfilm Canada, qui est l'élément essentiel du financement et de la promotion de l'industrie cinématographique canadienne.
Nous achoppons sur trois points principaux qui sont, à notre avis, tout à fait scandaleux.
Tout d'abord, il est scandaleux que le distributeur soit le déclencheur d'un projet. L'ARRQ demande l'abolition de ce système ségrégatif d'élimination par le vide des projets et la mise sur pied d'une politique qui permettrait une analyse comparative interne de tous les projets; car comment prétendre que « tous » les projets sont équitablement évalués quand peut-être les meilleurs ont déjà été éliminés par les distributeurs et les producteurs.
Par ailleurs, la sélection par Téléfilm d'un projet auquel aucun distributeur ne serait a priori intéressé pourrait devenir un réel incitatif, surtout s'il est accompagné de mesures financières adéquates. Bref, Téléfilm ne doit d'aucune manière, directe et indirecte, être à la solde des producteurs et des distributeurs, ce qu'il fait présentement en sélectionnant uniquement parmi leurs choix à eux.
Cela est vrai, sauf dans le cas de films à petits budgets de l'ordre de 1,8 million de dollars et moins, surtout de 1 million de dollars.
Le deuxième élément qui achoppe — en entrant, j'entendais mon collègue Mario en parler —, ce sont les fameuses primes à la performance commerciale dont nous réclamons l'abolition pure et simple depuis plus d'un an. D'ailleurs, nous avons joint à notre mémoire une lettre que nous adressions déjà l'automne dernier à Mme Liza Frulla pour lui faire part des raisons pour lesquelles nous demandions cette abolition.
En gros, il y a quatre raisons. La première, c'est qu'on finance à même les fonds publics — il est important de ne jamais perdre de vue qu'il s'agit de fonds publics — un monopole qui échappe à tous les critères de sélection de Téléfilm Canada puisque les producteurs et les distributeurs « récompensés » ont carte blanche pour utiliser l'argent qu'ils reçoivent.
Deuxièmement, on consacre à ces enveloppes plus de 60 p. 100 de tout l'argent attribué au Fonds du long métrage du Canada. Il y a plusieurs façons de calculer l'argent alloué aux primes à la performance commerciale, et c'est très complexe. Cela peut varier entre 50 p. 100 et 75 p. 100, selon la manière dont on fait les calculs et l'argent que Téléfilm Canada réinvestit chaque année à même ces profits dans le fonds comparatif. Les gens de Téléfilm Canada vous l'expliqueront mieux que moi.
La troisième raison pour laquelle nous demandons l'abolition de ces primes est que cela crée des aberrations flagrantes relatives à la manière d'établir le seuil de performance. Par exemple, Gaz Bar Blues, ce film très populaire qui a totalisé 900 000 $ de recettes — c'est beaucoup au Québec — n'a eu droit à aucune prime parce que le seuil de performance l'an dernier se situait à 1,2 million de dollars, ce qui est énorme. À l'échelle du Québec, c'est énorme de générer des recettes de 1,2 million de dollars.
Quatrièmement, cela permet parfois aux bénéficiaires des enveloppes à la performance commerciale de compléter de surcroît leur financement à même les fonds dits sélectifs, c'est-à-dire consacrés à l'ensemble de la production ne bénéficiant pas de prime à la performance commerciale, ce qui draine une partie importante des fonds sélectifs.
En conséquence, l'ARRQ exige l'abolition pure et simple des enveloppes à la performance commerciale afin qu'il n'y ait pas deux poids, deux mesures dans le système d'investissement de Téléfilm Canada, et que tous les projets soient traités de la même manière, d'autant plus qu'il est pratiquement impossible d'évaluer à l'avance la rentabilité réelle d'un film et que plusieurs films produits avec l'argent des primes à la performance commerciale ont été des échecs retentissants. Je n'ai pas besoin d'en nommer les titres, ils sont assez connus.
J'ajoute que s'il y avait au Canada un billetterie universelle, il pourrait y avoir des mécanismes simples qui permettraient aux succès commerciaux canadiens d'être financièrement récompensés, mais cela reste à voir à l'intérieur d'un ensemble cohérent. Cela existe dans certains pays. Les succès commerciaux iraient donc chercher leur argent à même le profit que tout le monde, tous les exploitants étrangers et les compagnies étrangères font sur notre territoire.
Nous constatons aussi qu'un élément important aggrave cette situation depuis quelques années. Les primes à la performance commerciale sont un des éléments qui permettent certains accès. Il s'agit de l'accès à la réalisation de réalisateurs qui n'ont pas l'expérience vraiment requise pour réaliser.
D'ailleurs, nous déposons un dossier qui rend compte de cela. Cette bataille est publique depuis deux semaines, et elle fait suite à une résolution unanime de l'assemblée générale de l'Association des réalisateurs et réalisatrices du Québec, de même qu'à la décision unanime de l'assemblée du Conseil du Québec de la Guilde canadienne des réalisateurs — donc plus de 600 réalisateurs québécois, qu'ils oeuvrent en français, en anglais ou dans toute autre langue — de réclamer que Téléfilm Canada ait des politiques équitables pour tous.
Dans la majorité des cas, on tient compte de l'expérience des réalisateurs. Il arrive souvent que des projets soient refusés en raison de leur manque d'expérience.
Il serait souhaitable que les fonds soient accordés proportionnellement à l'expérience du réalisateur. Les primes à la performance commerciale contribuent à ce phénomène des productions construites autour de certaines personnalités dont le nom est très connu, ce qui peut mener à des succès commerciaux, nous en convenons. Ces primes contribuent à ce système parce que les producteurs n'ont de comptes à rendre à personne. Ils disposent des millions de dollars de la prime à la performance commerciale. Ils décident du projet qu'ils vont mener à bien sans avoir à faire approuver le scénario par Téléfilm Canada, et ainsi de suite.
Comme le mentionnait mon collègue Mario Bolduc, le fait qu'aucun des créateurs de pointe de ces oeuvres, c'est-à-dire les scénaristes et réalisateurs, n'ait droit à sa part du gâteau, en l'occurrence la prime à la performance commerciale, constitue une injustice fondamentale. Ces personnes se retrouvent gros Jean comme devant.
Je vais aussi insister sur le fait que Téléfilm Canada ne finance pas le long métrage documentaire d'auteur. C'est une lacune flagrante et une aberration. Nous savons tous que depuis 40 ans, voire 50 ans, si on tient compte de l'ONF des années 1950, le documentaire d'auteur est le fer de lance de notre cinéma. C'est ce qui nous a fait connaître aussi bien ici qu'ailleurs dans le monde.
Comme vous avez en main le mémoire, je n'insisterai pas sur les autres points. Le problème est à notre avis Téléfilm Canada: ses politiques doivent être révisées de fond en comble. D'autre part, ma directrice générale me fait remarquer qu'il y a un manque de transparence évident de la part de Téléfilm, surtout depuis une dizaine d'années. Les réalisateurs et, en général, les créateurs et scénaristes, sont dans la même situation: ils ont systématiquement été tenus à l'écart des consultations. Les producteurs sont devenus, selon l'expression même de plusieurs personnes à Téléfilm, les clients premiers.
Nous sommes conscients que ce sont eux qui dirigent les opérations financières reliées aux films, mais il s'agit toujours de fonds publics, n'est-ce pas? Compte tenu de cela, nous croyons que les créateurs font partie d'une équipe, dont le producteur fait partie également. C'est une réalité que nous ne contestons pas, mais tout le monde doit jouir d'un traitement égal. Les réalisateurs et les scénaristes devraient comme autrefois être consultés régulièrement.
Je dois préciser que depuis un an, nous avons réussi à rétablir des communications directes avec les gens de Téléfilm Canada. Nous discutons avec eux de tous les problèmes dont nous vous faisons part aujourd'hui, et ces discussions vont continuer. Il reste que nous ne pouvions pas laisser passer l'occasion d'affirmer haut et fort que nous souhaitons voir ces discussions continuer, et surtout, porter fruit.
Je vais maintenant vous laisser poser des questions concernant ce que j'ai dit ou ce que nous avons écrit dans notre mémoire.
L'hon. Sarmite Bulte:
Merci.
Je vous remercie tous deux pour vos exposés.
Vous allez devoir me venir en aide parce que, au début, vous avez dit que Téléfilm était l'élément le plus essentiel pour le financement du cinéma canadien. Or, en même temps, vous semblez me dire que Téléfilm fonctionne terriblement mal—et vous n'êtes pas vraiment sur la même longueur d'onde que vos collègues à côté de vous en ce qui concerne l'enveloppe des primes à la performance commerciale, puisqu'ils parlent d'au moins 50 p. 100.
Je conçois que dans le cas du Québec, le problème tient à ce que vous avez été victime de votre réussite commerciale, contrairement au reste du Canada, au Canada anglais, qui ne touche que 1,2 p. 100 de cette enveloppe. Dans l'Ouest, nous avons entendu les gens se plaindre de ne rien toucher de cette enveloppe, de sorte que tout le monde—disons plutôt qu'il n'y a pas consensus. Aidez-moi donc à le former, ce consensus. Nous qui évoluons dans le domaine des politiques publiques, nous savons entre autres que dès que tout le monde est d'accord, ou à tout le moins dès qu'il y a consensus, les choses se font plus facilement.
Que faire donc pour améliorer Téléfilm? Vous nous dites que c'est l'élément le plus essentiel, mais qu'il est terriblement inopérant, alors que nous recommandez-vous? Vous nous dites qu'il faut éliminer cette prime à la performance commerciale. Je suis on ne peut plus d'accord avec vous pour dire qu'il faut trouver un créneau pour les documentaires, mais y a-t-il un juste milieu? Comme vous le savez, il y a eu des succès d'affiche, et le Québec en est le plus bel exemple. Par conséquent, il n'est pas possible que le système soit complètement dysfonctionnel.
Vous avez également parlé de succès universel; pourriez-vous préciser votre pensée parce que c'est une notion dont je n'ai pas entendu parler, à moins que vous n'entendiez par là un genre de taxe sur les billets? Pourriez-vous être un peu plus précis en nous disant comment améliorer la situation?
L'autre élément, c'est que Téléfilm a maintenant un nouveau directeur exécutif, M. Clarkson, qui remplace M. Stursberg. Est-ce quelque chose de positif? Cela va-t-il améliorer les choses?
M. Jean-Pierre Lefebvre:
Nous nous félicitons de la nomination de M. Wayne Clarkson, parce qu'il est issu de l'industrie; il est issu de cette culture, il aime notre cinéma et il le connaît bien. En ce sens, c'est vraiment un oiseau rare.
Le problème, c'est qu'en fait, nous voulons que Téléfilm traite tout le monde de la même façon. Et à l'heure actuelle, selon nous, ce n'est pas le cas parce que ceux qui ont une prime à la performance commerciale sont privilégiés. Essentiellement, l'idée de donner des enveloppes aux réalisateurs, nous l'avions formulée il y a une vingtaine d'années. Nous voulions que chaque producteur montréalais qui avait une feuille de route, un palmarès—très important—puisse développer son propre projet sans devoir à chaque fois revenir à Téléfilm en disant : « Voilà un scénario que je voudrais tourner », ou « voilà quelque chose que je voudrais concrétiser ».
À notre avis donc, il ne fallait pas uniquement offrir cela aux réalisateurs ou aux distributeurs qui pourraient en faire un succès commercial—ils auraient déjà eu leur part—il fallait également l'offrir en même temps à certains réalisateurs qui travaillaient davantage sur le plan culturel. N'oubliez pas non plus que beaucoup de cinéastes tournent ce que nous appelons des films culturels, et il est très difficile de définir cela avec précision, même si nous ne sommes pas contre le cinéma commercial. Nous ne défendons pas uniquement le cinéma culturel, ce que nous voulons, c'est une politique égale pour tout le monde, étant donné que d'entrée de jeu, personne ne sait si un film va être ou non rentable. Et comme vous le savez, Denys Arcand a transformé une production extrêmement culturelle en un énorme succès commercial.
Historiquement parlant, le secteur cinématographique qui a produit le plus de dividendes, à l'Office du film ou dans le secteur privé, c'est le cinéma culturel. J'appartenais à la première vague. Nous étions allés en Europe dans les années 60 et dans les années 70 pour aller à Cannes, etc., et tous mes collègues, Michel Breau et Gilles Carle, ces gens qui étaient considérés alors, et qui le sont toujours, comme des cinéastes non commerciaux avaient rencontré un énorme succès commercial. Et moi, j'avais rencontré un énorme succès culturel.
Le Canada étant ce qu'il est, nous n'espérons pas pouvoir concurrencer les Américains, et c'est ce que nous essayons presque de faire, surtout au Québec—avec un système de vedettariat, avec de la chance, on y gagne beaucoup d'argent, de sorte que c'est un genre de cercle vicieux. Il suffit d'investir et d'investir encore au même endroit parce que c'est le genre de choses qui va vous faire gagner beaucoup d'argent, et c'est aussi excellent pour Téléfilm. Et vous veillez à ce que cet argent nous revienne, tellement d'argent que nous pouvons même réinvestir dans tous les autres longs métrages que nous présentons à Téléfilm Canada.
C'est donc la raison pour laquelle nous disons que si Téléfilm veut être de la partie, si Patrimoine canadien veut être de la partie dans une entreprise commerciale, il devrait prendre l'argent à même le marché, à même les ventes, et il faudrait que cet argent puisse être utilisé pour financer les productions commerciales. À défaut de quoi Téléfilm devrait traiter tout le monde, tous les réalisateurs, tous les producteurs, tous les scénaristes, de la même façon. C'est ce que nous pensons.
Voilà donc la raison que nous invoquons, parce qu'il s'agit de fonds publics. On ne saurait imaginer le Conseil des arts, avec ses deux divisions, qui dirait qu'un cinéaste qui a plus de vingt ans d'expérience doit automatiquement toucher une subvention. Dans un certain sens, c'est ainsi que Téléfilm se comporte parce qu'il dit précisément qu'il va donner davantage d'argent à ceux qui réussissent...
Par ailleurs, comme Mario l'a dit, il ne reste au Québec que trois ou quatre réalisateurs, et il en va de même pour la distribution. Et croyez-moi, je peux personnellement en attester, depuis six mois, je frappe aux portes de tous les distributeurs officiels et personne ne me répond parce que je ne suis rien. Dans le monde du cinéma commercial, je ne suis rien.
Ce n'est pas à moi à individualiser le débat, mais croyez-moi, c'est un constat qu'on peut faire pour des centaines de cinéastes. Et je le répète, si Téléfilm dit traiter tous les projets de la même façon, pensez un peu à tous ceux qui n'arrivent jamais aux portes de Téléfilm parce qu'aucun distributeur n'est intéressé, aucun réalisateur n'est intéressé.
Vous savez, il y a 40 ans, c'était exactement l'inverse. Nous écrivions des scénarios, nous tournions des films, nous trouvions un distributeur et puis nous allions voir Téléfilm, mais maintenant, c'est la pyramide inversée : c'est la réalisation qui contrôle tout. C'est pourquoi aussi nous voulons intervenir dans l'élaboration de toutes les politiques cinématographiques au Canada parce que, que vous le veuillez ou non, nous sommes des gens essentiels. Sans scénariste, sans réalisateur—excusez-moi de le dire, mais l'histoire en atteste, il n'y a pas de tournage possible. C'est pour cela que nous déplorons le fait qu'actuellement, il y a tant de gens sans aucune expérience cinématographique qui peuvent tout d'un coup réaliser tous ces films à grand budget. Nous parlons ici de millions de dollars, sachez le bien. Il s'agit de cinq, six, huit millions de dollars. C'est beaucoup d'argent.
C'est là le côté abusif du système. S'il peut récompenser l'une ou l'autre entreprise commerciale, tant mieux, mais il ne faudrait pas que l'entreprise commerciale puisse être récompensée au sein du système.
M. Jean-Pierre Lefebvre:
Je veux simplement ajouter une chose, madame la présidente.
Quand vous récompensez des gens qui ont déjà fait de l'argent, le problème est qu'ils ne prendront pas beaucoup de risques par la suite. Ils vont essayer de faire encore plus d'argent, puisque c'est à leur avantage, et d'avoir plus de contrôle sur ce qu'ils font. C'est là que c'est vicié.
Si tous les projets étaient évalués par Téléfilm Canada, les distributeurs pourraient se dire qu'ils peuvent prendre un risque avec tel scénario et tel réalisateur, alors qu'ils ne l'auraient pas fait au départ, parce que cela a été accepté par Téléfilm Canada.
Toute l'aventure du cinéma québécois est basée sur les risques en matière de création qu'ont pris les scénaristes et les réalisateurs des années 1960 et 1970. C'est grâce à notre travail qu'il y a maintenant une pseudo-industrie, car il n'y a pas de loi pour protéger les assises commerciales de cette industrie.
Actuellement, qu'on le veuille ou non, Téléfilm Canada est un gros Conseil des Arts, mais avec une tendance commerciale de plus en plus nette. Il a tous les pouvoirs, et il a l'argent. Il n'y a aucune porte de sortie pour un créateur, sauf celle de se demander combien il a dans ses poches. S'il a 100 $, il va faire un film de 100 $. C'est la seule possibilité qui existe. C'était la situation dans les années 1960: on se demandait combien on avait dans ses poches; si on avait 500 $, on faisait un film de 500 $.
La situation actuelle crée beaucoup d'inflation. Les producteurs investissant peu personnellement, ils ont intérêt à gonfler les budgets, parce qu'ils se mettent plus d'argent dans les poches. C'est pareil pour les distributeurs. Il faut être logique. Ils ne sont pas à blâmer: on leur en fournit les conditions, on leur dit de le faire.
Le budget moyen d'un film québécois — je ne sais pas pour un film canadien — était de 2,4 millions de dollars il y a cinq ans; il est passé à 4,3 millions de dollars aujourd'hui. Calculez cela en termes d'inflation: c'est énorme. C'est en contradiction avec les productions des pays qui nous ressemblent, notamment les pays nordiques comme la Suède et la Norvège, et des pays comme le Chili et l'Argentine, qui ont adopté des lois en matière de billetterie nationale. Grâce à cela, ils réussissent à produire des films. Leurs films coûtent cependant en moyenne 1,4 ou 1,5 million de dollars. Ce sont des budgets énormes dans ces pays. Ils nous ressemblent, mais leur marché est plus large parce qu'ils ont le marché espagnol ou portugais. Le cinéma brésilien est dans la même situation.
Mme Bev Oda:
Merci, madame la présidente.
Je vous remercie de votre présence parmi nous. J'ai trois domaines que j'aimerais soumettre à chacun d'entre vous.
Premièrement, vous dites que l'ONF devrait avoir sa propre chaîne, mais nous avons un télédiffuseur public et à mon avis, CBC-Radio-Canada devrait être en mesure d'aider davantage des projets de l'ONF qu'elle ne le fait actuellement. J'aimerais avoir votre avis à ce sujet, parce qu'avant de lancer une chaîne supplémentaire, il convient de regarder de près ce qui existe déjà et qui bénéficie de l'argent du contribuable, ce qui est le cas de CBC-Radio-Canada.
Deuxièmement, nous envisageons une politique du cinéma. Mais comme vous le savez, au Canada anglais, on considère avec un regard d'envie les succès du cinéma francophone. Nous envisageons une politique canadienne de cinéma, mais il faut bien convenir de l'existence de deux situations distinctes. Nous avons chacun notre langue et notre marché. D'un autre côté, nous avons plus de mal à faire notre marque, à cause des films Américains. Le Canada anglophone est pratiquement sur le même marché.
Dans quelle mesure devrions-nous envisager de soutenir plus efficacement le marché francophone qu'on ne le fait actuellement? Vous partez à un niveau de succès différent et si nous voulons adopter une politique nationale, il faut veiller à ne pas nuire à votre succès par l'aide qu'on pourrait apporter au reste du pays. J'aimerais avoir votre avis à ce sujet, car je pense qu'il faut tenir compte du point de départ de chacun si l'on veut progresser.
Troisièmement, vous dites que Téléfilm devrait vérifier tous les projets, mais en réalité, je pense qu'indépendamment de toute augmentation éventuelle, les fonds publics seront toujours en quantité limitée et nous aurons besoin de certains critères ou d'une formule à appliquer pour filtrer les projets. À votre avis, quels devraient être les filtres ou les critères essentiels à utiliser pour employer efficacement les fonds publics?
Voilà mes trois questions.
M. Jean-Pierre Lefebvre:
Je veux dire qu'il y avait un échantillonnage beaucoup plus large. Dans le cadre de la discussion, je ne mêlerai pas à cela les primes à la performance commerciale.
Toutefois, je crois que vous serez d'accord pour dire qu'il n'y a plus assez de distributeurs et de producteurs. Trois ou quatre individus ou compagnies contrôlent absolument tout ici, à Montréal, et cela s'appelle en fait un monopole. Même aux États-Unis, en vertu d'une loi anti-monopole, l'intégration verticale est interdite: les distributeurs n'ont pas le droit de faire de la production et vice versa. Ici, les distributeurs ont le droit de le faire.
Vos deux autres questions étant subtiles, je vais y répondre en français.
Vous parlez d'une proposition voulant que l'ONF ait sa propre chaîne de télévision. Vous dites à ce sujet, et avec raison, qu'il y a déjà CBC et Radio-Canada. Il reste que le marché de la télévision en général se détériore et que notre télédiffuseur national, à notre avis, n'est plus investi du rôle qu'il jouait autrefois. L'importance que prennent les chaînes spécialisées et le fait qu'elles érodent la part de marché des télévisions commerciales et de la télévision d'État font que cette solution nous semble la seule avenue possible. Nous voyons mal CBC ou Radio-Canada prendre la place d'un canal spécialisé. Évidemment, cela implique qu'il y ait une révision du rôle de CBC et de Radio-Canada. C'est, de toute façon, absolument essentiel.
La question qui se cache derrière toutes les autres se résume en un mot: identité. Sans pour autant faire de la politique ou parler du Québec comme d'une province distincte, je dirai que pendant toute ma carrière, des cinéastes canadiens-anglais m'ont dit qu'ils nous trouvaient privilégiés d'être différents, de n'avoir ni la même langue ni la même culture, alors que dans leur cas, le fait de côtoyer de si près la culture américaine faisait en sorte qu'ils étaient toujours tentés de faire des films semblables à ceux de nos voisins. Ils se disaient qu'éventuellement, peut-être, et ainsi de suite. Dans un sens, les politiques canadiennes de Téléfilm ont encouragé la production de films canadiens-anglais ressemblant de plus en plus à des films américains.
Or, ce sont malgré tout des films d'auteur — et j'utilise toujours ce terme entre guillemets — qui, malgré plusieurs années de retard sur le Québec, ont propulsé à l'extérieur du Canada une certaine image du cinéma canadien-anglais. Nous en revenons donc toujours au fait que notre affirmation ne peut être fondamentalement que culturelle. Elle peut devenir commerciale par la suite, comme ce fut le cas au Québec. Toutefois, la rentabilité première sur laquelle il faut compter, c'est la rentabilité culturelle, surtout en cette ère de mondialisation des marchés.
Au Canada, les politiques de Téléfilm font en sorte que nous faisons présentement ce que les Américains tentent de réaliser à l'échelle mondiale, en l'occurrence marginaliser une culture culturelle — veuillez excuser la tautologie — au profit d'une culture commerciale. C'est très grave, et pour cette raison, nous réclamons qu'il n'y ait pas deux poids, deux mesures. Sur le plan mondial, nous avons été les premiers défenseurs et les investigateurs de toutes les politiques et démarches visant précisément à protéger des écosystèmes culturels fragiles comme le nôtre.
Ne faisons pas chez nous ce que nous ne voulons pas voir les Américains faire dans le monde entier. Nous maintenons donc que le rôle de Téléfilm et de toute cinématographie canadienne est social et culturel. Si nos oeuvres s'avèrent par la suite un succès commercial, ce sera extraordinaire.
En terminant, je dirai que 99 p. 100 des films produits avec l'argent des primes à la performance commerciale sont destinés à un marché local: ils ne peuvent absolument pas sortir du Québec.
C'est donc nourrir une industrie locale sans espoir ou à peu près aucun, parce que cela joue justement sur des thèmes, sur un langage, sur une façon de faire des films qui ne sont pas recevables à l'étranger.
M. Jean-Pierre Lefebvre:
Ce sont des questions extrêmement complexes. En France, les salles dites Art et Essai sont détaxées, selon la qualité du produit qu'elles présentent. Il faut offrir des compensations. Ce n'est pas à sens unique. Souvent, l'idée de la billetterie a été très mal comprise par nos collègues distributeurs et nos collègues exploitants de salles. Ce n'est pas quelque chose que nous souhaitons contre leur métier, contre ce que le cinéma leur apporte. C'est simplement quelque chose qui, logiquement, aiderait à construire et à consolider une cinématographie.
C'est tellement caricatural qu'on n'ose même pas en parler, mais il y a eu deux projets de loi au Québec et un projet de loi à Ottawa. M. Jack Valenti, qui était président de la Motion Picture Association of America à ce moment-là, est venu dire ici chaque fois:
[Traduction]
« Ne faites-pas ça, les gars, sinon, il n'y aura plus aucun tournage de films américains au Canada ni au Québec. »
[Français]
Quand Gérald Godin était ministre des Affaires culturelles, le Learjet de M. Valenti a atterri à Dorval. M. Valenti a fait monter Gérald à bord et n'a même pas pris la peine de descendre. Il lui a dit:
[Traduction]
« Ne faites-pas ça. Sinon, c'est terminé. »
[Français]
Chaque fois, à Ottawa et à Québec, on a cédé au chantage. C'est du chantage.
Quand M. Valenti a appris ici, à Montréal, lors d'un festival du film international, qu'il y aurait une taxe sur les vidéos, il a dit la même chose, à savoir qu'il n'y aurait plus de vidéos américaines qui circuleraient. Ce n'est pas vrai. Au contraire, on est envahis. Je vis à la campagne. J'ai accès à un ou deux films québécois; je n'ai accès à aucun film français. Je n'ai accès qu'à des films américains doublés. C'est épouvantable.
C'est donc un système extrêmement complexe, mais il faut une volonté politique. Il faut que le gouvernement fédéral dise qu'il est fatigué de sortir de l'argent de ses poches.
[Traduction]
Nous faisons partie du marché intérieur des États-Unis depuis 1903.
[Français]
Je vais ranger mon porte-monnaie, au cas où je l'oublierais.
On a toujours gardé cette mentalité. Lorsqu'on a créé l'ONF, en 1939, ce n'était pas une solution de rechange à l'exploitation des films étrangers sur notre territoire. C'était pour des raisons de propagande sociale, culturelle et politique. L'ONF a gardé et doit garder cette mission, à notre avis.
En même temps, nous n'avons pas arrêté, au cours des siècles, de laisser les Américains venir chercher notre minerai de fer, tous nos produits de base, sans les taxer. Au début des années 1960, on a dit que cela suffisait. Les producteurs de pétrole ont dit un jour que cela suffisait, que nous allions taxer le pétrole, que nous avions droit aussi à la richesse de nos produits.
Le produit engendré par l'exploitation des films au Canada et au Québec devrait obéir aux mêmes lois. On vient chercher de l'argent qui retourne à l'étranger à 95 p. 100. Il faudrait que d'autres ministères, comme le ministère de l'Industrie, s'en mêlent aussi, parce qu'il y a un problème. C'est très complexe mais très simple, dans le fond. Il faut que tout le monde contribue.
M. Jean-Pierre Lefebvre:
Je l'ai bien dit: nous ne sommes pas contre le cinéma commercial. Nous sommes simplement contre la façon dont Téléfilm Canada répartit son argent entre les films commerciaux et les films non commerciaux.
J'ai bien dit aussi, et je le répète, que nous croyons fermement que beaucoup de films d'auteur deviennent des succès commerciaux. Au Québec, un film comme Les Bons Débarras, de Francis Mankiewicz, scénario de Réjean Ducharme, a été l'un des grands succès. Les Ordres, de Michel Brault, un film sur les événements d'Octobre 1970 — s'il y a un film culturel, c'est bien celui-là — a connu un immense succès commercial. L'histoire du cinéma au Québec prouve le succès obtenu par plusieurs films dits culturels — et je ne dis pas « d'auteur » —, c'est-à-dire qui traitent d'un sujet qui n'est pas a priori commercial, donc qui n'est pas l'équivalent de la restauration rapide. C'est comme si Téléfilm Canada décidait d'investir uniquement dans les McDonald's parce que cela rapporte plus que d'investir dans les bons petits restaurants.
Nous ne sommes absolument pas contre l'industrie ni contre l'argent. Nous représentons 500 réalisateurs qui veulent gagner leur vie, faire de l'argent, connaître du succès. C'est la même chose pour les scénaristes, j'en suis persuadé. On ne veut pas rester pauvre et inconnu; on veut être riche et célèbre, comme tout le monde. C'est difficile.
C'est le déséquilibre à l'intérieur d'une institution fédérale comme Téléfilm Canada que nous déplorons. Tant mieux si l'industrie américaine qui vient ici fournit des emplois. Il faut toutefois faire attention à la façon dont les crédits d'impôt sont distribués. C'est là aussi un secteur assez complexe. Plusieurs de ces compagnies étrangères bénéficient de crédits d'impôt, mais on se dit en même temps que c'est lié à l'emploi local et que cela fournit du travail aux techniciens.
Loin de nous l'idée de nous afficher contre tout l'aspect commercial. Nous répétons toutefois qu'en ce qui concerne l'attribution de fonds publics par l'institution qu'est Téléfilm Canada, il ne devrait pas y avoir deux poids, deux mesures. C'est tout.
Soit dit en passant, monsieur Silva, ma femme vient de Toronto.
M. Guy Parent (administrateur, Festival du cinéma international en Abitibi-Témiscamingue):
Oui. Je vais vous présenter le mémoire qu'on a préparé. Jacques complétera ensuite avec certaines remarques.
Bien entendu, il nous fait plaisir d'être ici. Nous allons vous parler de notre festival, mais aussi, par extension, des festivals de même nature dans l'ensemble des régions canadiennes. Nous ne sommes pas le porte-parole de ces festivals, mais je pense qu'on partage la même réalité.
On existe depuis 24 ans. C'est la 24e édition cette année.
L'historique du Festival du cinéma international en Abitibi-Témiscamingue est jalonné d'obstacles qui ont été contournés, entre autres grâce à l'extraordinaire soutien de notre milieu. À l'époque, l'idée de réaliser un tel projet était considérée par plusieurs comme utopique, une sorte d'horizon inatteignable.
Il ne faut pas se le cacher, entre Hollywood et Rouyn-Noranda, l'écart de perception était beaucoup plus important que la frontière géographique du parc La Vérendrye. Au départ, l'idée de réaliser un événement cinématographique en région éloignée en a fait sourire plus d'un. Les astres étaient mal alignés et nous risquions de ne pas voir les étoiles. Cette aventure faisait de nous des pionniers, car nous n'avions malheureusement aucun manuel d'instructions pour nous guider.
Le projet a été construit en collaboration avec le ministère de l'Imagination, guidé par l'instinct de ceux qui croient que rien n'est impossible à réaliser. À force de persévérance, nous avons réussi à établir un événement qui s'inscrit désormais dans l'agenda culturel du Québec.
Depuis 23 ans, nous avons réussi plusieurs tours de force dont nous sommes très fiers. À titre indicatif, le public franchit annuellement plus de 22 000 fois les tourniquets des activités du festival, ce qui représente la moitié de la population de Rouyn-Noranda. Cette fierté s'éveille et se confirme à chaque nouvelle édition, grâce à une programmation de qualité. Celle-ci est constituée de longs, moyens et courts métrages complétés par un volet de cinéma d'animation et, depuis quelques temps, par un volet vidéo qui ravit la jeunesse créative.
Le contenu de nos programmations a fait de notre organisation un précieux complice du développement du cinéma canadien. Notre parcours nous a donné le privilège d'accueillir plus de 2 000 intervenants de l'industrie cinématographique canadienne depuis 23 ans.
Notre structure nous a permis de soutenir adéquatement des premières oeuvres, ainsi que le cinéma souvent marginalisé dans les grands festivals. Notre format nous permet d'offrir aux artisans un vaste auditoire, ainsi qu'une couverture médiatique intéressante.
Nous sommes soutenus par l'ensemble de l'industrie cinématographique, qui voit dans notre événement un moyen différent d'effectuer sa mise en marché. Notre public nombreux, curieux et enthousiaste est un stimulant pour le milieu cinématographique. Nous avons développé une personnalité événementielle unique. L'accueil personnalisé de notre festival est devenu une marque de commerce reconnue par tous les observateurs. La diffusion des cinémas nationaux a également trouvé une vitrine de choix dans le cadre de notre festival. Ainsi, les cinéphiles de notre région ont vécu de grandes rencontres avec ceux qui ont marqué le cinéma contemporain. Claude Lelouch, Serge Gainsbourg, Pierre Richard et bien d'autres ont témoigné publiquement de leur découverte, à Rouyn-Noranda, d'un miracle culturel qui était à la hauteur des échos parvenus à leurs oreilles avant leur visite.
Nous sommes allés au-delà de la diffusion de films. Nous avons créé des activités afin de rejoindre l'ensemble de notre population. Nous avons réussi à mettre dans le coup les enfants, les adolescents, les adultes et les retraités. Nous avons ratissé large et utilisé tous les lieux de diffusion possibles dans la ville et aux quatre coins de la région. Nous revendiquons le statut d'être le premier festival au monde à avoir présenté, dans le cadre de ses activités, des films dans un centre hospitalier. Nous parcourons également les écoles, les centres commerciaux, les cafés-bars, les galeries d'art et le centre-ville.
Notre festival a donné un autre sens au cinéma grâce à différents moyens qui se sont avérés très efficaces: rejoindre les populations qui ont peu accès au cinéma de qualité, inclure le sens de la fête dans un événement à contenu, démocratiser au maximum l'accès aux créations cinématographiques et à leurs artisans, par un contact entre le public et les artisans du cinéma.
Pour toutes ces raisons, notre événement a inspiré plusieurs projets réalisés dans les régions du Québec et de l'Ontario.
Nous avons réussi à fusionner les créateurs et les spectateurs dans un lieu éloigné que plusieurs considéraient improbable à cet effet.
Ce projet hors normes nous a permis d'avoir accès à une couverture médiatique majeure, une situation qui a fait de nous un partenaire important dans la mise en marché d'un film. Plusieurs films plus fragiles ont trouvé dans notre événement une attention médiatique qu'ils n'auraient pas pu trouver dans les grands festivals.
Il y a plus encore. Il y a la fierté des gens d'une région qui déroulent leur tapis de feuilles rouges chaque automne. Il y a la fête, la musique, les tournées régionales de films et des volets pour les enfants, qui seront les cinéphiles de demain. Il y a les touristes, qui viennent de plus en plus nombreux. Le Festival du cinéma international est là pour rester. Il est la fondation culturelle d'un espace qui sera un jour comblé par une population canadienne qui découvrira que le Moyen-Nord canadien est source de garantie d'une qualité de vie meilleure.
Pour les perspectives d'avenir, nous avons quelques recommandations. Premièrement, il faut assurer la promotion des festivals des régions canadiennes. Téléfilm Canada possède de nombreux outils promotionnels de grande qualité qui ont comme objectif de mieux faire connaître le cinéma canadien aux citoyennes et citoyens du pays. Nous proposons que certains espaces de ce matériel soient consacrés à la présentation d'événements cinématographiques des régions canadiennes. L'objectif espéré est de permettre l'accès des créateurs canadiens à la diffusion de leurs oeuvres dans de nouveaux territoires. Il faut constater, dans l'état actuel des choses, qu'il n'existe pas de réseau d'information qui joint l'ensemble des créateurs canadiens et les festivals des régions canadiennes. Le projet mettra en relief le profil et la capacité de l'événement. En plus d'augmenter la visibilité de l'événement et de la région concernée, cette manière de faire établira des liens avec différents événements souvent isolés dans leur territoire et privés de plusieurs services d'information. Téléfilm Canada pourrait également servir de facilitateur afin qu'on puisse établir des contacts avec les producteurs, vendeurs, distributeurs, réalisateurs et médias canadiens ou étrangers lors de la présentation des grands festivals urbains.
La deuxième recommandation vise la promotion des festivals des régions canadiennes sur la scène internationale. Considérant que nous avons une visibilité réduite sur la scène internationale, nous souhaitons la création d'une enveloppe spéciale qui pourrait contribuer à défrayer 50 p. 100 de certains frais attribués à la visibilité des festivals des régions canadiennes lors des manifestations cinématographiques d'envergure internationale comme Cannes, Berlin, Annecy et plusieurs autres. Également, les frais remboursables pourraient être reliés à la production de dépliants et à l'achat de publicité dans des programmes spécialisés. De plus, nous proposons que Téléfilm Canada organise, lors de ces manifestations, des rencontres formelles auxquelles participeraient les décideurs de la diffusion du cinéma étranger et des représentants des festivals des régions canadiennes. L'idée est donc de mettre en contact des gens à partir de Téléfilm Canada, qui rayonne dans toutes les grandes manifestations cinématographiques contemporaines.
L'un des grands problèmes des festivals des régions canadiennes est évidemment l'éloignement des centres urbains. Le prix d'un billet d'avion Montréal—Rouyn-Noranda est l'équivalent du prix d'un billet d'avion Montréal-Paris, ou même plus. C'est la réalité d'aujourd'hui. J'ai dans mon sac une facture que je pourrai vous montrer tout à l'heure. Afin de mettre en oeuvre le principe d'équité entre les régions canadiennes et les centres urbains, nous proposons la création d'une enveloppe spéciale pour défrayer une partie des frais de transport à l'intérieur du Canada.
Quatrièmement, nous souhaitons que Téléfilm Canada intervienne afin que les grands festivals urbains se sentent concernés par l'existence des autres événements cinématographiques dits de plus petite dimension. Afin d'augmenter les auditoires et le développement des manifestations, nous proposons des actions qui iront dans le sens des objectifs de Téléfilm Canada: favoriser l'accueil des événements des régions canadiennes à l'intérieur des activités des grands festivals urbains par la présence aux cocktails, aux soirées d'ouverture et à toutes les autres manifestations qu'il peut y avoir durant ces grands festivals; faciliter les rencontres avec les intervenants cinématographiques canadiens ou étrangers; participer à des échanges de visibilité à l'aide d'outils promotionnels existants.
Ce serait donc un tremplin qui pourrait aider les festivals de plus petite dimension à se faire connaître auprès de tous ceux qui viennent participer aux grands festivals urbains. Cela comprend également les artisans du cinéma au Canada.
L'équipe du festival vous remercie de votre intérêt et espère que ces quelques recommandations vous éclaireront sur les besoins des événements culturels des régions canadiennes.
Mme Natalie Barton (trésorière, Vues d'Afrique):
Nous allons parler tous les deux. Je voudrais signaler que Mme Louise Baillargeon, membre de notre conseil d'administration, n'a pas pu se présenter pour des raisons de santé. Gérard Le Chêne est président directeur-général de Vues d'Afrique. Je vais commencer.
[Traduction]
Pour ceux d'entre vous qui ne connaissent pas Montréal, je tiens à attirer votre attention sur les bannières à l'extérieur de l'hôtel qui annoncent Vues d'Afrique. Ce festival est en cours à l'heure actuelle, et jusqu'à dimanche. C'est l'un des événements annuels qui annonce l'arrivée du printemps à Montréal.
[Français]
Vous avez sans doute remarqué, à votre entrée à l'hôtel, des bannières annonçant le festival organisé par Vues d'Afrique, qui se déroule depuis près d'une semaine et qui se terminera ce week-end.
Je suis trésorière de Vues d'Afrique mais aussi, comme Gérard Le Chêne, l'un des membres fondateurs. Nous avons créé, avec quelques autres, Vues d'Afrique en 1984. On a donc fêté notre 20e anniversaire l'an dernier.
En 20 ans, Vues d'Afrique a créé le plus grand festival d'images africaines, que ce soit au cinéma ou à la télévision, en dehors de l'Afrique. En 21 ans, Vues d'Afrique est devenu un lieu de référence dans le champ de la diversité culturelle. Il est donc fondamental pour le Québec et le Canada, qui font la promotion d'une politique de diversité culturelle, de tenir compte de ce type d'action.
Vues d'Afrique a été parmi les pionniers de la diversité culturelle, avant même qu'on n'en parle en ces termes. Vues d'Afrique se trouve maintenant au coeur d'un réseau international au sein de la Francophonie, et même au-delà. On contribue donc à l'implantation du Canada dans un vaste marché mondial émergent, un vaste marché potentiel pour les industries culturelles. On contribue également au rayonnement du Canada dans le monde et à son image d'ouverture et de tolérance. Vues d'Afrique est très connu à l'étranger, et certainement mieux connu dans le monde qu'au Canada anglais pour l'instant. On pourra parler plus tard des moyens nécessaires pour remédier à cela.
Nous croyons qu'il est indispensable que la politique culturelle du Canada soutienne les organismes comme Vues d'Afrique, dont l'action non gouvernementale est vraiment le moteur. Le moteur de votre politique culturelle, ce sont des organismes indépendants comme nous, comme le Festival du cinéma international en Abitibi-Témiscamingue, comme des organismes de promotion et de production culturelle. Par exemple, Vues d'Afrique se trouve au sein d'un réseau d'une centaine de partenaires privés, publics et d'ordre communautaire qui contribuent tous à soutenir cette action.
Dans le contexte actuel, une saine utilisation des fonds publics voudrait que l'on s'assure du développement de la diversité des actions culturelles chez nous. Les petits festivals comme le nôtre, très dynamiques, consacrent de plus en plus de temps et d'énergie à trouver les moyens de fonctionner, au lieu de les consacrer à leur action. Cela nous semble une perversion de notre mission.
Les festivals sont devenus aujourd'hui des lieux de distribution, ce qu'ils n'étaient pas il y a quelques années. Ils sont devenus des lieux de distribution de films d'auteur en particulier — qu'ils soient québécois, canadiens ou d'ailleurs — qui trouvent de plus en plus difficilement leur place sur nos écrans.
Je cède la parole à Gérard Le Chêne, qui va compléter cette petite présentation. Nous sommes là pour répondre à vos questions.
M. Gérard Le Chêne (président et directeur général, Vues d'Afrique, à titre personnel):
Nous avions aussi pensé proposer qu'il y ait une intégration pour une rationalisation des financements publics. Je suppose que, comme nous, vous cherchez à faire des économies. Il faudrait donc rationaliser la distribution des films. Par exemple, nous faisons venir des films, au prix de grandes difficultés budgétaires, et nous les faisons circuler à Québec, au Musée de la civilisation, et à Gatineau, au Musée canadien des civilisations. Nous pourrions fort bien les faire circuler en Abitibi et ailleurs au Canada. C'est une première rationalisation qui pourrait se faire.
Ma remarque est très spécifique. Vues d'Afrique fait partie d'un réseau, comme l'a dit Nathalie, mais aussi d'un réseau très spécifique qui s'appelle le Conseil des Festivals Jumelés. Vues d'Afrique est jumelé avec des festivals importants en France, en Belgique — le Festival International du Film Francophone de Namur —, et en Suisse. Il y en a plusieurs en Afrique, dont le plus important est le Festival Panafricain du Cinéma, un festival colossal qui a lieu tous les deux ans.
Ces festivals ont la particularité d'être davantage que des festivals, c'est-à-dire d'être impliqués dans des actions de partenariat professionnel. Cela peut être des actions de formation, comme dans le cas de Vues d'Afrique, ou des actions de perfectionnement en Afrique qui contribuent à faire connaître l'expertise professionnelle canadienne. Ce sont des stages de plusieurs semaines, animés par des professionnels canadiens, de perfectionnement dans l'audiovisuel, aussi bien au niveau de la scénarisation que de la réalisation et de la production.
Nous sommes au coeur d'une situation qui révèle un manque d'harmonisation, une contradiction dans les politiques canadiennes. Patrimoine canadien a comme politique de valoriser l'exportation des industries culturelles canadiennes. J'étais moi-même à Paris l'année dernière, à l'occasion d'une rencontre très importante organisée par Patrimoine canadien pour valoriser les exportations culturelles canadiennes. Par ailleurs, l'organisme canadien qui fait de la coopération internationale est l'Agence canadienne de développement international. Ce n'est pas le seul, car il y a également le CRDI, mais ce dernier est plus pointu en ce qui concerne les aspects scientifiques. Or, la culture ne fait pas partie du mandat de l'Agence canadienne de développement international. L'agence nous a répondu plusieurs fois que, malheureusement, la culture ne faisait pas partie de son mandat. Cela veut dire que ce qui est excellent pour le Canada, soit le développement des industries culturelles, ne semble pas l'être en ce qui concerne les pays du Sud. C'est tout à fait malheureux et paradoxal, parce que, s'il est un domaine où les pays du Sud sont riches, c'est essentiellement celui de la créativité et de la culture.
Au moment où vient d'être publiée une nouvelle politique internationale canadienne qui prône l'harmonisation et l'intégration des politiques, il serait extrêmement intéressant de faire en sorte que cette contradiction soit résolue et qu'il y ait une possibilité politique de développement international culturel.
M. Gérard Le Chêne:
Tout à fait. Étant donné que nos activités concernent l'Afrique et les pays créoles, il y a toute une composante qui touche à la coopération culturelle, par exemple les stages de formation.
À l'ACDI, bien qu'il y ait beaucoup de bonne volonté, c'est toujours un peu exceptionnel, en dehors des marges. Lorsque certains documents parlent du sida ou de la lutte contre l'excision, l'ACDI fait une sorte d'exception. Ils nous ont répondu par écrit, à plusieurs occasions, que c'était exceptionnel, parce que la culture ne fait pas partie de leur mandat. C'est tout à fait clair. C'est véritablement une lacune considérable dans les politiques canadiennes, étant donné que la culture est un levier puissant. Même dans une campagne contre le sida, il faut utiliser la culture. Si on n'en tient pas compte, la campagne est vouée à l'échec.
Pour amener un changement de comportement et une prise de conscience des populations, il faut des mécanismes culturels, qui peuvent être le cinéma ou d'autres moyens, comme la radio. On a aussi étudié les causes des échecs de certaines campagnes. L'une d'elles est qu'on n'a pas tenu compte des valeurs culturelles.
Je crois qu'une des raisons pour lesquelles l'ACDI ne tient pas compte de la culture est une grande méfiance, car la culture est très difficilement chiffrable. Si vous faites une campagne de vaccination, par exemple, vous fixez un objectif: il faut vacciner 100 000 personnes. À la 100 000e personne vaccinée, l'objectif est atteint. On peut fermer les livres et se féliciter. S'il s'agit de bâtir un pont, une fois que le premier camion passe sur le pont, c'est terminé. Un mécanisme fonctionnarisé est très satisfaisant. Dans le cas de la culture, par contre, les paramètres sont très difficilement chiffrables. Je crois que c'est la raison pour laquelle cela a été complètement évacué.
Encore une fois, c'est malheureux, car l'une des principales richesses des pays du Sud est la créativité, dans beaucoup de domaines différents, y compris la musique et la création de mode. L'Occident puise largement dans leur imaginaire. Ce n'est pas toujours eux qui font l'enregistrement musical, la diffusion et les films, mais on va très souvent puiser dans les ressources imaginaires locales.
M. Gary Schellenberger:
Je vous remercie.
Je vous souhaite la bienvenue à tous et à toutes.
Il se fait que je représente une circonscription du nom de Perth-Wellington, circonscription dans laquelle se déroule le festival de Stratford. Il y a déjà quelques années de cela, un homme du nom de Tom Patterson avait eu une idée. Son idée était de faire connaître Shakespeare et les pièce de cet auteur. Les seuls éléments communs étaient le nom Stratford, la rivière Avon et le Swan. Cette idée a germé pour devenir un théâtre international.
Je vous félicite donc pour ces festivals qui viennent faire connaître le cinéma canadien. Dans les régions éloignées, c'est souvent là que les gens vont pour se plonger dans ce genre de choses. J'ai lu avec beaucoup de plaisir tout ce qui avait été fait de nouveau, et je sais que c'est précisément le cas des festivals.
Il y a peu de temps encore, j'ai assisté à une réunion au Centre national des Arts à Toronto. On m'avait invité à faire partie d'une table ronde où nous étions 12. Nous nous étions retrouvés autour d'une grande table dans la cuisine du chef. J'ai beaucoup apprécié cette soirée, de sorte que lorsque vous projetez des films dans les hôpitaux, dans les écoles—et pourquoi pas dans une épicerie, qui sait?—je vous félicite pour votre ingéniosité. C'est justement là où se trouvent les gens ordinaires.
Vous avez parlé des tournées régionales, des composantes destinées aux enfants qui fréquenteront demain les salles de cinéma. Il y a des gens qui me disent qu'il n'y a pas suffisamment de jeunes gens qui vont voter, c'est une idée qu'ils ont perdue. À mon avis, c'est parce que nos écoles ne le leur apprennent pas. Personnellement, je me suis mis à la disposition de plusieurs écoles, j'y vais et je leur raconte ce que nous faisons au Parlement; mais il arrive que les enseignants ne soient pas d'accord pour qu'on fasse ce genre de choses. Ils veulent plutôt enseigner à leur propre manière leur conception de la politique.
J'ai visité des écoles et je me suis rendu compte qu'il y avait un besoin. Les enfants veulent apprendre. Ils veulent voir. Une fois que les élèves sont... Il fallait que je vous raconte cela, et ensuite, je poserai ma question.
Il y a un an, j'ai ainsi visité une écoles. C'était une classe de 5e. Cette année-ci, on m'a réinvité. L'an dernier, j'avais pris la parole devant cette classe de 5e et cette année, on m'a invité à revenir et j'ai fait la même chose. À la fin de ma présentation, j'ai eu du mal à sortir de la classe parce que les élèves de 6e étaient tous là qui me demandaient : « Vous vous souvenez de moi? Et de moi? » Ces gens que vous touchez personnellement, ces jeunes gens, se sont eux qui iront au cinéma demain et, comme quelqu'un l'a dit hier, il est indispensable que dans chaque siège, il y ait une paire de fesses. Il faut que nous nous fassions connaître.
Je vous félicite donc pour tout cela. Cela dit, répétons-le, peu importe la richesse de la culture transmise par un film, si personne ne va le voir, à quoi cela sert-il? La Culture a-t-elle vraiment une importance si personne ne la remarque? Je vous félicite donc. Je pense vraiment qu'il faut réunir toutes les parties de l'industrie, dire et faire tout ce qu'il faut afin que les films marginaux, que les inconnus aient eux aussi une chance de réussir. Je sais aussi que c'est cela notre bouleau et je vous pose donc la question suivante : que pouvons-nous faire pour venir en aide à ces festivals?
Je sais que nous devons également être présents sur la scène internationale. Lorsque vous parlez d'aller aux festivals à l'étranger, si le gouvernement mettait quelque chose en place pour faire de la publicité, pourrait-il s'agir d'un genre de coopération qui ferait que tous ces différents festivals...? Mettons que vous soyez à Cannes; est-ce que tous les festivals canadiens ne pourraient pas travailler en concertation? Est-ce une piste?
M. Guy Parent:
Nous faisons deux recommandations. Premièrement, il faut nous aider à établir un lien plus étroit avec des artisans du cinéma au Canada. Même s'informer auprès des maisons de production et des producteurs est souvent très difficile pour nous. Téléfilm Canada nous donne un coup de main. Par exemple, il nous donne la liste des films canadiens produits. Il nous faut même chercher le cinéma canadien dans une forêt. Ce n'est pas facile pour nous parce que nous ne sommes pas producteurs.
Si un bon film a été tourné à Vancouver, ou Halifax, ou ailleurs, il nous est difficile d'avoir accès à cette information, de contacter rapidement les producteurs et les distributeurs pour le programmer chez nous. C'est un premier élément.
Deuxièmement, il y a la promotion internationale. Dans un grand festival comme celui de Cannes ou celui de Berlin, trois éléments prédominent. Le premier, c'est évidemment le star-système. Les gens veulent voir qui monte les marches et qui sont les grandes et grands comédiens présents. Le deuxième élément, c'est le marché, c'est-à-dire les films à vendre ou à acheter.
Nous, en tant que festival, nous n'avons pas 1 ou 1,5 million de dollars pour acheter des films. Aucune chaîne de télévision ne nous aide en achetant des droits de diffusion, ou ce genre de choses, si nous achetons un film. Nous ne faisons pas partie de ce milieu-là.
À Cannes, il y a 22 000 invités. Ils trouvent notre petit festival à Rouyn-Noranda, dans le nord du Québec, très exotique, et les gens apprécient beaucoup cela. Mais pour certains, 50 p. 100 de leur chiffre d'affaires va se faire au cours de ces 10 jours. Ils achètent et négocient des films avec l'étranger et ils tentent de vendre des films.
Nous demandons la promotion de la culture canadienne, et que l'on fasse connaître le marché qui n'est pas celui des grands festivals urbains. Toronto, Montréal et Vancouver ont beaucoup plus de moyens que nous pour se payer des pages dans des revues quotidiennes comme Le Film Français, ou dans le Hollywood Reporter, par exemple. Ces publications sont largement diffusées et ont donc beaucoup de portée. Quand nous les ouvrons, nous ne pouvons qu'être sympathiques parce que nous le lisons, mais personne ne nous connaîtra.
Nous demandons que lorsque Téléfilm Canada prépare un dossier spécial sur le cinéma canadien — parce qu'il y en a toujours un dans chacune de ces revues —, il y ait aussi de la place pour autre chose. Nous comprenons très bien qu'il soit important de vendre des films canadiens à l'étranger. Si un film de Cronenberg a des chances de se vendre à l'étranger, Téléfilm Canada veut en faire la promotion pour qu'il soit vendu. Cela fait partie des affaires.
Nous demandons des moyens, des outils pour nous faire connaître aussi, sans nous ruiner.
M. Jacques Matte:
La réponse à la première question se trouve dans nos recommandations. On attend des grands festivals, comme ceux de Montréal et de Toronto, qu'ils se sentent concernés par l'existence des autres festivals. Trois grands festivals vont se dérouler à l'automne: ceux de Claude Chamberland, de Serge Losique et d'Alain Simard.
Est-ce normal que des festivals comme le Festival du cinéma international en Abitibi-Témiscamingue doivent payer des accréditations de 700 $ à 800 $ pour assister au Festival des Films du Monde de Montréal et au Toronto International Film Festival, alors que ces festivals sont en partie payés par les taxes canadiennes? C'est peut-être normal.
Est-ce qu'on pourrait demander des accès à ces festivals? Est-ce que, concrètement, on pourrait avoir accès à ces festivals, par l'intermédiaire de la publicité, pour présenter nos activités? Est-ce que ce serait normal de le demander? Je crois que oui.
Ces festivals devraient se sentir concernés et se dire que les médias étrangers sont présents, que des journalistes français, italien, espagnol sont présents. Je ne parle pas de faire un cocktail, mais ces festivals devraient nous présenter ces journalistes. Est-ce que ce serait normal? Je pense que oui.
D'abord, ils ont plus d'argent en provenance de Téléfilm Canada, de la SODEC et des autres organismes gouvernementaux. Actuellement, nous ne nous sentons pas concernés. Si le Festival du cinéma international en Abitibi-Témiscamingue existe depuis 24 ans, c'est grâce à l'Abitibi-Témiscamingue. On s'est battus et on a survécu au fil des ans.
On ne se sent pas menacés par les festivals de Montréal ou de Toronto. Le Festival du cinéma international en Abitibi-Témiscamingue a sa personnalité propre. Nous avons confiance en nous, et la population nous fait confiance. On ne se sent pas menacés. On regarde, comme observateurs extérieurs, ce qui se passe à l'heure actuelle. Le jour où il y aura trois festivals en Abitibi-Témiscamingue, la culture va rayonner dans l'ensemble du Canada.
Votre deuxième question portait sur les tarifs aériens. C'est une question importante. Cela concerne la Cinéfest de Sudbury, le Festival international du cinéma francophone en Acadie de Moncton, les festivals qui se déroulent dans l'Ouest canadien. On a tous le même problème. Nous avons négocié avec Air Canada, à l'époque où il y avait des compagnies aériennes importantes comme Inter-Canadien. Il y avait moyen de s'entendre. À l'heure actuelle, les compagnies aériennes ont des territoires. On a des arrangements satisfaisants au plan de la logistique. On peut changer les billets d'avion, par exemple. Cependant, les prix demeurent encore élevés.
Il serait important que Téléfilm Canada consacre une enveloppe spéciale aux voyages à l'intérieur du Canada. C'est une question d'équité par rapport aux autres festivals. Quand nous faisons venir un cinéaste français ou italien, nous devons payer la part européenne, la part canadienne, plus les transits. Sur le plan de l'équité, cela ne fonctionne plus. Je pense que la conception canadienne en matière de culture en est une d'équité.
Notre festival régional a fait des petits, comme on dit. Les gens des festivals de Sudbury et de Moncton sont venus nous voir sur place. Il existe maintenant un ensemble d'événements. Nous avons été la première région du Canada à organiser un festival, à l'exception de celle de Yorkton avec le Yorkton Short Film and Video Festival. Personne n'y croyait. Ce sont les régions canadiennes hors des grands centres qui peuvent augmenter les auditoires du cinéma canadien, mais elles sont négligées actuellement sur le plan de la diffusion cinématographique.
Il faut se battre pour avoir les films. C'est anormal. Quarante pour cent de la population du Québec vit dans les régions, et n'a pratiquement pas accès au cinéma. À Rouyn-Noranda, on est privilégiés en matière de culture cinématographique, parce qu'on a tout fait pour obtenir cela. On veut insister auprès de vous sur la question des tarifs aériens et sur la nécessité d'une enveloppe. Je pense que c'est une question d'équité.
M. Gérard Le Chêne:
L'enthousiasme de nos partenaires est plus palpable du côté du gouvernement du Québec. C'est peut-être parce que nous menons une action culturelle internationale, y compris des semaines du cinéma. Si nous voulons de bonnes ententes avec nos partenaires africains, il est important qu'il y ait un véritable partenariat et des échanges.
Il s'agit des semaines de cinéma Québec-Canada — comme vous le voyez, nous sommes diplomates — qui se déroulent en Afrique. Nous l'avons fait dans un certain nombre de pays africains. C'est particulièrement le cas chaque année, de façon régulière, au Burkina Faso.
Il y a donc un enthousiasme du côté de nos partenaires du gouvernement du Québec, la SODEC, le ministère des Relations internationales, le ministère de la Culture et des Communications, le ministère de l'Immigration et des Communautés culturelles et le ministère des Affaires municipales et des Régions. Du côté de Montréal, il y a Tourisme Montréal.
Du côté fédéral, nous rencontrons un enthousiasme plus mesuré, quoique nous menions beaucoup d'actions dans les pays africains et que les ambassades canadiennes sur place coopèrent très bien. Nous travaillons avec le ministère des Affaires étrangères, la direction de la Francophonie internationale et l'ACDI, avec les réserves dont j'ai parlé plus tôt, car l'ACDI ne touche pas à la culture. Nous sommes très bien perçus par Téléfilm Canada, qui fait preuve de beaucoup de bonne volonté, mais il faut se rappeler que son mandat est d'aider l'industrie culturelle canadienne. Son appui vient donc par le biais de certains programmes d'appui à l'industrie, en particulier le Programme d'incitation à la coproduction Nord-Sud, sous forme de bourses données à des producteurs canadiens pour des coproductions avec des créateurs du Sud. On a l'aide de l'Agence intergouvernementale de la Francophonie, du CIRTEF, le Conseil International des Radios-Télévisions d'expression française, un peu d'aide de l'UNESCO, qui nous donne surtout son appui moral en nous permettant d'utiliser son sigle.
Enfin, nous avons une très bonne collaboration de la part des médias d'ici. Par exemple, en ce moment même se déroule une journée — organisée par la Société Radio-Canada, Télé-Québec, TV5 Québec Canada et Vues d'Afrique — où on accueille le Conseil International des Radios-Télévisions d'expression française. Ce matin il s'y tenait un grand colloque international sur la diversité culturelle.
Nous avons donc l'appui des médias, et nous nous efforçons naturellement d'obtenir beaucoup de collaborations privées.