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La séance est ouverte. Bonjour à tous.
Notre séance d'aujourd'hui comportera deux parties, comme chacun sait. Au cours de la première, nous entendrons deux témoins. Au cours de la seconde, nous commencerons l'étude article par article de ce projet de loi.
Conformément à un ordre de renvoi du mardi 30 octobre 2007, nous poursuivons notre étude du projet de loi .
Merci beaucoup, messieurs, de comparaître aujourd'hui. Nous allons écouter vos exposés, d'un maximum de 10 minutes chaque, dans l'ordre indiqué sur l'ordre du jour.
Nous commencerons donc avec Gordon Edwards, président du Regroupement pour la surveillance nucléaire. Nous donnerons ensuite la parole à Michel Duguay, professeur au Département de génie électrique et de génie informatique de l'Université Laval.
Monsieur Edwards, allez-y, je vous prie, pour un maximum de 10 minutes.
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Merci beaucoup, monsieur le président, et membres du comité.
Je me nomme Gordon Edwards. Je suis titulaire d'un doctorat de mathématiques. Mes études initiales à l'Université de Toronto ont été couronnées par une médaille d'or en mathématiques et en physique. Je préside le Regroupement pour la surveillance nucléaire depuis plus de 30 ans et j'ai agi comme expert-conseil auprès d'organes tant gouvernementaux que non gouvernementaux en matière de sécurité nucléaire et de matériaux radioactifs.
Avant d'être employé dans un réacteur nucléaire, le combustible d'uranium peut être manipulé sans danger avec seulement une paire de gants. Cependant, à l'intérieur du réacteur, des centaines de nouvelles substances radioactives sont créées, que l'on appelle des produits de fission. Il s'agit littéralement de morceaux d'atomes d'uranium cassés, qui sont fissionnés en vue de produire de l'énergie.
Les produits de fission sont des millions de fois plus radioactifs que le combustible d'uranium frais. Immédiatement après son extraction d'un réacteur, une seule grappe de combustible CANDU peut administrer une dose mortelle de radiation pénétrante à toute personne non protégée se tenant à un mètre de distance en l'espace de 20 secondes seulement. De fait, le combustible irradié est tellement radioactif qu'il faut le refroidir sous 14 pieds d'eau en circulation pendant au moins sept à 10 ans, faute de quoi il va spontanément surchauffer, s'auto-détériorer et émettre des gaz et des vapeurs radioactives dans l'atmosphère environnante.
À l'intérieur du coeur du réacteur, même après l'arrêt complet du processus de fission, la radioactivité des produits de fission est tellement intense que le coeur continue à générer 7 p. 100 de sa chaleur à pleine puissance. Cela fait énormément de chaleur, et si le refroidissement est insuffisant, même après l'arrêt complet du réacteur lui-même, la chaleur résiduelle suffit largement à faire fondre le coeur du réacteur à une température de 5 000 °F.
Lorsque le combustible fond, de grosses quantités de produits de fission sont dégagées sous forme de gaz, de vapeurs et de cendres. J'ai remis aux membres du comité des extraits de quatre documents canadiens officiels. Ces extraits confirment que les accidents de fusion du coeur sont possibles et même probables au Canada, si notre pays choisit de se doter d'un vaste parc de réacteurs nucléaires.
Malheureusement, mesdames et messieurs les membres du comité, j'ai oublié d'apporter le sac contenant ces pièces. Je les ferai livrer au greffier plus tard dans la journée et vous aurez des copies de ces documents. Ils sont en anglais et en français.
Les organes officiels qui ont produit ces pièces sont la Commission royale sur la planification de l'énergie électrique de l'Ontario, la Commission canadienne de sûreté nucléaire, le ministère fédéral de l'Énergie, des mines et des ressources, et le Comité spécial sur les affaires d'Hydro Ontario.
Ayant participé aux délibérations tant de la Commission royale sur la planification de l'énergie électrique que du Comité spécial sur les affaires d'Hydro Ontario, je peux assurer aux membres du comité que ce projet de loi vise les dommages potentiels résultant d'accidents de fusion de combustible. Sans fusion du combustible, il est impossible qu'un accident nucléaire cause des dégâts matériels hors site dépassant 10 millions de dollars.
Cependant, les conséquences d'accidents de fusion du coeur peuvent typiquement atteindre des dizaines de milliards de dollars, voire des centaines de milliards de dollars, et rendre inhabitables de vastes portions de territoire pendant une durée considérable.
Dans l'éventualité d'une telle catastrophe, le limite la responsabilité des opérateurs nucléaires à un montant très modeste. Il supprime toute responsabilité des fournisseurs d'équipement nucléaire, même s'ils ont fourni un équipement défectueux qui est à l'origine de l'accident, et pourtant il ne fait rien pour limiter la responsabilité financière globale du contribuable canadien ou la responsabilité sociale à l'égard de la population touchée.
Le Regroupement pour la surveillance nucléaire estime important que les représentants élus du peuple fassent en sorte que l'industrie nucléaire soit tenue publiquement responsable et veille à ce que l'intérêt supérieur des Canadiens ne soit pas compromis au profit de l'intérêt de l'industrie nucléaire.
Nous considérons que le chiffre de 650 millions de dollars cité dans la loi n'a aucun fondement scientifique ou financier rationnel et que ce montant arbitraire vise simplement à détourner l'attention du comité de questions beaucoup plus importante. Par exemple, à combien pourrait se chiffrer le dommage total dans l'éventualité où un accident avec fusion du coeur surviendrait ici au Canada? Ces études ont-elles été faites? Ont-elles été communiquées aux membres du comité? Ont-elles été débattues au Parlement? Que se passerait-il si un tel accident se produisait à la centrale de Pickering? Quelle partie de la population de Toronto devrait-elle être évacuée et pendant combien de temps? Jusqu'où se répandrait la contamination radioactive?
Il y a de quoi réfléchir lorsqu'on réalise que même aujourd'hui, 20 ans après l'accident de Chernobyl en Ukraine, certains éleveurs de moutons dans le nord de l'Angleterre et du Pays de Galles ne peuvent toujours pas vendre leur viande parce que leurs animaux sont contaminés par le césium-137 radioactif émis par le réacteur de Chernobyl.
Est-ce que les éleveurs de la vallée de l'Outaouais et du Québec auront à cesser leur activité agricole après un accident nucléaire près de Toronto, un accident comme ceux qu'envisage ce projet de loi? Le Parlement canadien est-il censé adopter ce projet de loi limitant la responsabilité de l'industrie nucléaire sans réfléchir soigneusement à l'opportunité de limiter la responsabilité financière ultime de l'État?
Une façon de limiter la responsabilité civile publique serait d'exiger que tout nouveau réacteur soit implanté loin de tout grand centre de population. Des observateurs, tant de l'intérieur que de l'extérieur de l'industrie nucléaire, ont dit que les réacteurs de Pickering sont parmi les plus mal implantés du monde en raison du risque de catastrophe à si grande proximité d'une grande agglomération. Une telle catastrophe pourrait survenir suite non seulement à un grave accident industriel, mais aussi du fait de causes externes, tel qu'un grand tremblement de terre qui causerait de multiples fractures de conduites dans la zone du coeur du réacteur, ou d'un acte de sabotage délibéré ou de terrorisme, qu'il n'est plus possible de déclarer impensable.
J'ai été parmi les quelques chanceux qui ont assisté à une conférence sur le cycle du combustible nucléaire en 1977, organisée par l'Agence internationale de l'énergie atomique, et tenue à Salzbourg, en Autriche. À cette conférence, l'un des plus grands physiciens nucléaires américains, Alvin Weinberg, a parlé pendant une heure à un auditoire de quelque 300 savants atomistes venus des quatre coins du monde. Son message était sombre. Le voici :
Nous, savants atomistes, n'avons pas tiré toutes les conséquences de la réussite complète. Si nous parvenons à construire des dizaines de milliers de réacteurs nucléaires dans le monde, ce que nous devons faire pour réduire sensiblement la consommation mondiale de pétrole, nous devons escompter une fusion de coeur environ tous les quatre ans. La leçon est claire. Nous devons arrêter de construire ces réacteurs près de grandes villes.
J'ai été très impressionné par la sincérité de la proposition de M. Weinberg. En effet, il a recommandé que de vastes étendues de territoire soient réservées spécialement aux réacteurs nucléaires, sans rien d'autre. Comme il l'a dit, si les réacteurs doivent fondre, qu'ils le fassent là, loin des centres de population.
Les propositions d'Alvin Weinberg peuvent paraître extrêmes à certains d'entre nous. Mais peut-être est-ce uniquement parce que nous n'avons pas pris le temps et la peine de nous instruire sur les réalités scientifiques d'une fusion de coeur et des conséquences possibles d'un tel événement. En 1978, un an après l'accident de Three Mile Island en Pennsylvanie, la Commission royale sur la planification de l'énergie électrique de l'Ontario a passé plusieurs mois sur la question et conclu que si un jour 100 réacteurs étaient en service au Canada, dans les pires hypothèses de probabilité, il pourrait se produire une fusion de coeur tous les 40 ans au Canada.
Dans son rapport, Arthur Porter, professeur de génie à l'Université de Toronto, a écrit qu'il conviendrait d'envisager sérieusement de construire tout réacteur nucléaire futur sous terre, afin que les radiations émises par une fusion de coeur soient largement confinées dans des cavernes souterraines et ne puissent se répandre sur un vaste territoire.
Une autre façon de limiter la responsabilité nucléaire de l'État et du public canadiens serait d'investir dans d'autres technologies énergétiques susceptibles de réduire les gaz à effet de serre plus rapidement et plus efficacement que ne peut le faire l'énergie nucléaire, sans présenter le même risque d'impact catastrophique, un impact qui exige un projet de loi tel que le dont ne bénéficie aucune autre industrie à ma connaissance.
Selon un rapport publié en mai 2007 par le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, l'énergie nucléaire fournit actuellement environ 16 p. 100 de l'électricité du monde, ce qui équivaut à environ 2,7 p. 100 de la consommation énergétique totale. Au cours du prochain quart de siècle, le Groupe d'experts estime que l'énergie nucléaire pourrait accroître sa contribution de 16 à 18 p. 100 de la production électrique. Cela est loin de résoudre le problème du changement climatique.
Parallèlement, le même rapport indique que l'électricité renouvelable représente actuellement 18 p. 100 de la production électrique mondiale — c'est la cible du nucléaire dans 25 ans — et qu'au cours des 25 prochaines années l'électricité renouvelable pourrait atteindre 35 p. 100 de la production électrique totale. C'est deux fois plus que l'énergie nucléaire pourra fournir dans le même délai. À l'évidence, les énergies renouvelables sont bien plus prometteuses que le nucléaire, du moins pour les 25 prochaines années, de l'avis de cet éminent groupe d'experts.
L'Allemagne a décidé il y a 10 ans d'éliminer progressivement l'énergie nucléaire. Elle a déjà fermé deux de ses 17 réacteurs et va bientôt en fermer un troisième. Au cours de la même période de 10 ans, l'Allemagne a installé 20 000 mégawatts d'énergie éolienne. C'est plus que la totalité du programme nucléaire canadien. De ce fait, l'Allemagne devance tous les autres pays européens sur le plan de la réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Aussi, au lieu de simplement adopter le , les membres du comité devraient peut-être le rejeter et recommander plutôt une enquête exhaustive sur les risques et les avantages de l'énergie nucléaire, comparé à d'autres sources d'énergie. Une telle enquête aurait dû être faite depuis longtemps dans l'intérêt public. Ce serait une honte que ce comité approuve une loi qui passe tellement à côté des enjeux plus grands.
En fin de compte, le est fondé sur une vaste désinformation, et peut-être même une incompréhension encore plus profonde de la nature des choix énergétiques qui nous confrontent tous. Je m'inquiète de la marginalisation de nos institutions démocratiques. Je m'inquiète de la gouvernance de cette industrie. Je ne crois pas, si nous allons nous lancer dans une expansion de cette industrie, qu'il soit responsable de continuer à la laisser fonctionner à l'abri des regards, sans réellement rendre de comptes, et j'espère que votre comité y portera remède.
Merci.
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D'accord, je voulais juste m'en assurer.
L'introduction de ce nouveau met en jeu deux aspects importants. Le premier est l'indemnisation pour les dommages causés, et l'autre est l'expansion de l'énergie nucléaire.
L'industrie nucléaire dit avoir besoin de ce projet de loi pour respecter les conventions internationales, et peut-être aussi rassurer le public en garantissant qu'il y aura une indemnisation adéquate en cas d'accident.
Comme vous le savez tous, Toronto est la ville la plus exposée en cas d'accident majeur. Dans la région de Toronto, 650 millions de dollars permettraient d'offrir 200 $ d'indemnité par personne ou par maison. Beaucoup jugent que ce n'est pas beaucoup. Aux États-Unis, le chiffre cité est d'environ 9 milliards de dollars pour un accident majeur à un site de réacteur nucléaire. Cela représenterait 3 000 $ par personne ou maison.
Au Canada, le Pembina Institute estime qu'un accident dans la région de Toronto causerait pour environ 1 billion de dollars de dégâts. Cela représenterait 300 000 $ par personne ou maison. À mon sens, ce ne serait pas là une issue souhaitable ni une indemnisation suffisante, même à ce chiffre élevé.
Le deuxième aspect est l'expansion de l'énergie nucléaire en raison du problème du changement climatique.
Le premier aspect que je traite dans le court résumé que je vous ai fait parvenir est qu'il est indispensable d'avoir une couverture en responsabilité civile dans le cas des réacteurs nucléaires, car si vous lisez la documentation de l'EACL, comme je le fais chaque année, ainsi que celle de la CCSN, vous constatez que tous ces gens de l'industrie nucléaire ont terriblement peur d'un accident majeur. C'est un cauchemar, et ils l'ont confessé, même en public.
Donc, un accident majeur est possible et dans le résumé que je vous ai envoyé, je cite un rapport de l'EACL de 2002 où la société traite du coefficient positif de réactivité nucléaire du liquide de refroidissement. Dans les CANDU actuels, si vous avez une fuite d'eau de refroidissement, ou des bulles ou quoi que ce soit qui réduit la densité de l'eau qui doit refroidir le réacteur, l'intensité des réactions nucléaires augmente. C'est ce que l'on appelle une rétroaction positive et cette caractéristique a été reconnue comme indésirable par EACL.
Cette particularité rend le vieux réacteur CANDU illégal en Angleterre ou aux États-Unis. Il ne répond pas aux normes de sécurité anglaises ou américaines. Aussi, dans la conception d'un nouveau réacteur, EACL s'est efforcée d'obtenir un coefficient de réactivité nucléaire négatif, mais à ma connaissance le problème n'a toujours pas été complètement résolu.
Cela rend les vieux réacteurs CANDU dangereux. Je suis perturbé de voir qu'au lieu de construire de nouveaux réacteurs, qui sont beaucoup plus sûrs, on s'efforce de retuber une architecture qui remonte aux années 70.
D'énormes progrès ont été réalisés au cours des 40 dernières années dans tous les domaines de la technologie, y compris l'énergie nucléaire, et je trouve donc très fâcheux qu'ils se vantent de passer des contrats de retubage ici et là, au Nouveau-Brunswick, à Bruce près de Toronto, et qu'ils veuillent en faire maintenant autant à Gentilly, au Québec. On ne fait que reprendre une architecture des années 70, une architecture qui ne répond aux normes de sécurité ni de l'Angleterre ni des États-Unis, les deux premiers pays nucléaires de l'histoire.
Pour ce qui est de l'expansion, je travaille dans le domaine de l'énergie renouvelable et j'étais justement il y a un mois à un congrès sur l'énergie éolienne. Ce qui est étonnant avec l'énergie éolienne, c'est qu'elle a affiché une croissance de 25 p. 100 par an au cours des dix dernières années. Le Canada se positionne dans ce domaine. L'Ontario a déjà 400 mégawatts de puissance installéé. Le Québec a environ 500 mégawatts. La Colombie-Britannique a un gros projet de 350 mégawatts près de Prince Rupert, avec une expansion ultérieure jusqu'à 15 000 mégawatts dans les années qui viennent.
En Europe, l'Union européenne a adopté une loi en septembre qui prévoit que 20 p. 100 de l'énergie électrique de l'Union européenne proviendra de sources renouvelables d'ici 2020.
Aux États-Unis, on parle de 25 p. 100 d'électricité renouvelable d'ici 2025.
Si vous regardez les cartes d'énergie éolienne et d'énergie solaire disponibles en ligne, vous verrez que le Canada jouit d'énormes ressources éoliennes et solaires.
Mon principal message pour le ministre des Ressources naturelles est que si nous gérons — si vous gérez avec nous — correctement nos ressources naturelles, qui englobent l'énergie éolienne, solaire et géothermique, nous pourrions facilement accroître dans une proportion énorme les revenus de l'État et réduire les impôts sur le revenu.
Je vais m'arrêter là.
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Puis-je répondre à votre question?
Vous savez, Bécancour est situé sur la rive du fleuve Saint-Laurent, qui est une voie maritime. Si vous regardez ce que font les terroristes dans le monde, ils ont dernièrement pris pour habitude de remplir des bateaux d'explosifs, de les faire sauter, et de détruire tout ce qui se trouve aux alentours.
Gentilly est extrêmement vulnérable à un tel acte. Lorsqu'une explosion s'est produite à Halifax en 1917, la fameuse explosion d'Halifax, tout ce qui se trouvait dans un rayon de deux kilomètres a été rasé. À Gentilly, la centrale est à quelques centaines de mètres du fleuve, elle est directement sur la rive. Donc, un petit bateau rempli d'explosifs pourrait causer des dégâts énormes. En plus, il se trouve dix fois plus de déchets radioactifs à l'extérieur, dans cette piscine, sous un toit très ordinaire.
La National Academy of Science des États-Unis a déposé un rapport auprès de la Nuclear Regulatory Commission, avec l'appui de l'industrie, disant que la pire cible pouvant être touchée aujourd'hui aux États-Unis sont les piscines contenant les déchets radioactifs des réacteurs nucléaires. Ce sont les endroits les plus vulnérables, les plus dangereux, aux États-Unis — et cela s'applique bien entendu au Canada aussi.
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Idéalement, me semble-t-il, tout projet de loi qui va conférer un tel avantage à l'industrie nucléaire en limitant le fardeau de la responsabilité qui pèse sur ses épaules...
En fait, c'est un montant pitoyable. J'entends par là que 650 millions de dollars n'égale même pas le coût d'un modeste retubage d'un réacteur nucléaire. C'est donc un montant relativement minime.
Si nous allons lui conférer cet énorme avantage pour le compte des Canadiens, nous pourrions tout de même exiger une contrepartie et dire : « Si vous allez construire de nouveaux réacteurs, faites en sorte de les construire de manière à limiter le risque de sinistre encouru par la population canadienne et le Canada ».
Par exemple, pourquoi ne pas les construire sous terre? Pourquoi ne pas les construire dans des régions isolées, loin des villes? Pourquoi n'y a-t-il rien dans ce projet de loi susceptible de limiter les dommages au lieu de simplement limiter les responsabilités financières de certaines sociétés? Pourquoi la bourse publique est-elle considérée comme sans fonds?
Nulle part il n'est fait mention des montants qu'il faut prélever sur les deniers publics suite à un accident qui n'était de la faute ni du gouvernement ni du public.
Je pense qu'il incombe à des législateurs sérieux de faire en sorte que cette loi réponde au rôle premier des élus du peuple, soit protéger l'intérêt du public et non celui de l'industrie nucléaire. Cet enjeu de gouvernance me préoccupe. Alors qu'on demande au comité à toutes fins pratiques d'avaliser aveuglément un document technique, le , qui va leur permettre de se conformer à certaines conventions internationales, cette loi va être interprétée plus ou moins comme un signe d'approbation donné à l'industrie nucléaire.
C'est fondamentalement un feu vert qui dit : « Allez-y, construisez-les où vous voulez. Nous allons limiter votre responsabilité, vous n'avez donc pas à vous inquiéter ». Je pense que c'est un triste état de choses dans un pays aussi fier et démocratique que le Canada dont les institutions sont un exemple pour le monde. C'est un triste témoignage de l'état de la vie politique canadienne que la Chambre des communes et les élus du peuple n'aient pas davantage voix au chapitre sur des questions de beaucoup plus haute importance que la limitation de la responsabilité des exploitants de réacteurs nucléaires.
Tout récemment, par exemple, au cours des 12 derniers mois, le gouvernement, sans consulter le moindrement le Parlement, a approuvé un plan de l'industrie nucléaire au titre duquel on va dépenser au minimum 25 milliards de dollars pour regrouper les déchets nucléaires dans un site central au Canada. Pourquoi cela n'a-t-il pas été soumis pour débat et délibération à la Chambre des communes sous forme d'un projet de loi? Ces décisions sont prises sans aucune délibération et l'on se contente d'inviter votre comité à avaliser sans discuter ce projet de loi relativement insignifiant.
Croyez-moi, si un tel accident devait se produire, un accident de type Chernobyl, ce serait un très faible réconfort que de savoir que le gouvernement du Canada va créer un tribunal pour juger les réclamations.
J'apprécie que vous regardiez l'avenir, mais si je compte bien, nous avons six grandes installations au Canada: les réacteurs Bruce Power A, Bruce Power B, Darlington, Pickering A et B, le site d'Hydro-Québec et celui de la société d'énergie du Nouveau-Brunswick à Pointe Lepreau.
Si nous n'adoptons pas ce projet de loi, nous gardons la limite de responsabilité à 75 millions de dollars. Il est exclu que ces 650 millions de dollars couvriront une catastrophe majeure dans un coeur de réacteur. Cela ne fait que 3 000 $, ou 800 $, quelque chose du genre, par personne. On sera loin du compte.
Donc, l'assurance ici ne couvrira guère qu'un petit accident, si on peut utiliser ce terme, du type Three Mile Island, qui ne raye pas de la carte la ville de New York ou l'équivalent ici. Si nous laissons ce plafond à 75 millions de dollars et qu'un petit accident se produit, nous devrons absorber cette différence entre 75 millions de dollars et 650 millions de dollars.
Existe-t-il un autre chiffre? Existe-t-il une mesure intérimaire différente que nous pourrions prendre pour couvrir ces incidents mineurs?
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Je ne connais aucune étude de cette sorte.
Je demande pardon au comité si mes propos trahissent de l'énervement. Cet énervement reflète surtout ma frustration de voir que le comité ne dispose pas des outils nécessaires pour faire réellement un bon travail. Voilà ce qui me chiffonne.
Si nous allons avoir une renaissance nucléaire et construire davantage de réacteurs, je pense qu'il est indispensable que les législateurs disposent de plus de connaissances et de ressources pour les aider à peser ces problèmes. Je compatis avec les membres du comité qui n'ont en main rien d'autre qu'un texte de loi rédigé sans guère de délibération sur les enjeux plus larges qui l'entourent. C'est réellement là la raison de ma frustration.
Le problème de la reddition de comptes me paraît sérieux et c'en est un que le Parlement doit prendre au sérieux pour l'avenir, car à l'heure actuelle la Commission canadienne de sûreté nucléaire rend compte au même ministre qu'Énergie atomique du Canada Limitée, soit le ministre des Ressources naturelles. Cela signifie qu'il n'y a qu'une seule voix à la table du Cabinet pour traiter des enjeux nucléaires. Même la CCSN, la Commission canadienne de sûreté nucléaire, bien qu'elle soit responsable de la santé et de l'environnement, ne possède pas de service sanitaire. Elle n'a pas dans son personnel de spécialistes indépendants de la santé. La plupart des membres de son personnel proviennent d'ailleurs de l'industrie même qu'ils réglementent et la Commission rend compte au ministre qui promeut cette même industrie.
Cela pose de graves problèmes de gouvernance pour l'avenir. J'aimerais voir, à un moment donné, une entité au sein de la Chambre des communes ou de notre système parlementaire qui puisse faire front et n'accepte pas la première offre mise sur la table.
Où est la négociation? Si nous représentons l'intérêt public, devrions-nous simplement prendre l'offre de 650 millions de dollars de l'industrie et dire : « Merci, merci, nous acceptons, nous assumerons tout le reste »? Ou devrions-nous dire plutôt : « Attendez un instant. Vous demandez au gouvernement du Canada, aux contribuables, d'assumer une énorme responsabilité financière et vous vous limitez vous-mêmes à 650 millions de dollars? Négocions. Parlons-en ».
Je ne vois se dérouler aucune négociation. La question demeure, où se situe la reddition de comptes?
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Merci, monsieur Edwards et monsieur Duguay.
Vous avez fait beaucoup d'études. Vous êtes professeurs d'université. Votre témoignage est donc crédible. On doit le considérer au même titre que ceux de l'ensemble des témoins que nous avons écoutés.
J'ai écouté vos exposés et, en tant que citoyenne et députée, je me dis qu'il serait irresponsable de maintenir la couverture à 75 millions de dollars seulement. Il faut être cohérent et reconnaître que les gouvernements, tant libéraux que conservateurs, ont été négligents de ne pas faire le rattrapage qu'ils devaient faire. Cela a pour effet qu'aujourd'hui, nous devons passer de 75 millions à 650 millions de dollars. Il y a aussi les primes que doivent payer les compagnies qui exploitent le nucléaire et la pression qui s'ensuit. On peut les comprendre. Depuis des années, il y a eu négligence quant à la couverture de la part des gouvernements qui ont assuré la gouvernance du Canada.
Je suis d'accord avec vous, 650 millions de dollars sont nettement insuffisants. On n'a qu'à imaginer qu'un accident se produise à Pickering. Les industries et les infrastructures municipales des villes d'Oshawa et de Toronto se retrouveraient complètement mortes. On sait qu'une seule catastrophe dans toute l'histoire du Canada, dans n'importe quelle centrale, va porter des préjudices et exiger des indemnités de plus de 650 millions de dollars.
Les témoins qu'on a reçus avant vous nous ont dit qu'il était difficile, actuellement, de trouver des assureurs offrant une couverture de plus de 650 millions de dollars. En Europe, certains pays ont demandé des protections d'un milliard de dollars. La modification à la Convention de Paris est actuellement retardée parce qu'on ne trouve pas les fonds nécessaires pour défrayer une telle couverture.
Les élus sont un peu coincés, comme vous dites. On manque d'outils et d'information.
Si on augmente la couverture et que les exploitants assument à 100 p. 100 les dommages et les préjudices, les assurances, les liquidités et les couvertures seront-elles disponibles partout dans le monde? C'est là ma grande question.
Je suis d'accord avec vous, il ne faut pas faire la promotion de l'énergie nucléaire. Il ne faut pas encourager cette forme d'énergie, mais il reste que, actuellement, on a des centrales. Il faut voir comment on pourrait indemniser les municipalités ou les Canadiens si un accident se produisait.
Que dites-vous du fait que personne, aucune compagnie d'assurances, ne couvre les exploitants? Que pouvons-nous répondre à cela?
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Nous allons procéder comme prévu à l'ordre du jour, avec l'étude article par article. Nous en revenons à cela. Nous n'avons qu'une demi-heure.
Donc, comme je l'ai expliqué, nous allons passer en revue le projet de loi article par article. Nous voterons sur chaque article une fois que la discussion et le débat auront pris fin.
Il est normal de réserver le premier article, qui est le titre.
Est-il convenu de réserver le premier article jusqu'à la fin? C'est ce que nous faisons habituellement.
D'ailleurs, cela figure dans le Règlement et nous n'avons donc pas besoin de vote. Je suppose que c'est dans le Règlement.
(Article 2 — Définitions)
Le président: L'article 2 est celui qui contient les définitions des termes utilisés dans le projet de loi. Il n'y a pas de procédure standard à ce sujet.
Je propose de réserver cet article jusqu'à ce que nous ayons vu les autres car ces définitions, bien entendu, s'appliquent aux articles suivants et il pourrait être nécessaire de les modifier si nous amendons certains des articles. Cela semble fonctionner assez bien ordinairement.
Je propose cela. La volonté du comité est-elle de faire cela et de passer à l'article 3?
Madame DeBellefeuille, vous avez une question ou un rappel au Règlement.