:
Merci, madame la présidente. Mesdames et messieurs, je vous remercie de m'avoir invitée à comparaître.
Je m'appelle Josette Roussel. Je suis infirmière autorisée et la responsable du programme Pratiques et politiques infirmières de l'Association des infirmières et infirmiers du Canada. Je suis accompagnée par ma collègue, Mme Isabelle St-Pierre, qui est infirmière autorisée et professeure agrégée à l'Université du Québec en Outaouais. Mme St-Pierre a aussi un doctorat en sciences infirmières, lequel s'articule autour de la violence horizontale en milieu de travail.
[Français]
L'Association des infirmières et infirmiers du Canada est la voix professionnelle nationale et mondiale des soins infirmiers au Canada. Elle représente un peu plus de 135 000 infirmières et infirmiers dans les 13 provinces et territoires du Canada.
L'AIIC fait progresser la pratique et la profession infirmières afin d'améliorer les résultats pour la santé et de renforcer le système de santé public et sans but lucratif du Canada.
[Traduction]
Le système de santé du Canada ne pourrait pas fonctionner sans les infirmières. Le cadre de travail des infirmières varie et comprend notamment les hôpitaux, les maisons de soins infirmiers, les centres de réadaptation, les cliniques, les organismes communautaires, les centres de détention, les établissements de soins de longue durée et les soins à domicile.
Le problème de la violence dans le milieu de la santé n'est pas nouveau. La violence peut être non déguisée, par exemple, la violence physique, verbale, financière ou sexuelle, ou elle peut être déguisée, par exemple la négligence, la brutalité ou l'humiliation devant autrui. La violence peut régner entre les employés d'une même organisation, par exemple, entre collègues infirmiers, ou entre employés et non-employés, par exemple entre patients et infirmières.
En fait, la violence est un problème mondial largement reconnu, le tiers des infirmières dans le monde étant victimes d'agressions physiques, les deux tiers étant exposées à la violence non physique au travail, et 80 % étant victimes d'une forme quelconque de violence au travail. Bien que ces chiffres révèlent une situation alarmante, en fait, elle est bien pire. Seulement 19 % des infirmières déposent une plainte officielle pour violence en milieu de travail.
Une analyse statistique montre que 60 % des nouvelles infirmières qui subissent la violence au travail démissionnent de leur premier emploi dans les six mois suivant leur embauche et que 50 % d'entre elles choisiront de quitter la profession complètement. Les infirmières sont celles qui risquent le plus d'être agressées dans leur milieu de travail, après les policiers.
Bien que toutes les infirmières soient susceptible d'être victimes d'actes de violence en milieu de travail, les infirmières qui travaillent dans les établissements de soins de longue durée, les services d'urgence et les établissements psychiatriques sont les plus exposées, de même que les travailleurs de nuit et les infirmières débutantes.
Les auteurs d'actes de violence en milieu de travail sont notamment les patients, leurs familles ou les visiteurs. Il peut s'agir des médecins, des gestionnaires, d'autres infirmières ou d'autres employés. On sait aussi que les conditions de travail favorisent la violence en milieu de travail. Parmi les facteurs organisationnels qui contribuent au problème, mentionnons la surcharge de travail, le manque de personnel, le recours excessif aux heures supplémentaires obligatoires ou volontaires, le manque de soutien de la direction lorsqu'il y a dénonciation de la violence en milieu de travail et le manque de conscience des conséquences par l'auteur des actes de violence.
Parmi les conséquences de la violence en milieu de travail les plus souvent signalées, mentionnons les blessures physiques, les troubles post-traumatiques, l'épuisement professionnel, les problèmes de gestion de la colère et la peur tenace et l'anxiété, pour n'en nommer que quelques-unes. Les données statistiques de la Commission de la sécurité professionnelle et de l'assurance contre les accidents du travail de l'Ontario indiquent qu'en 2016, les accidents avec perte de temps attribuables à la violence en milieu de travail dans le secteur des soins de santé étaient beaucoup plus nombreux que dans d'autres secteurs, avec plus de 800 accidents, comparativement à 138 dans le secteur manufacturier, trois dans la construction et aucun dans l'exploitation minière.
Les répercussions de la violence en milieu de travail dans le secteur des soins de santé sont significatives, et leurs retombées sont réelles. La violence compromet le sort des patients, des infirmières et des organisations.
L'Association formule quatre recommandations.
La première, c'est que le gouvernement fédéral initie une stratégie pancanadienne visant à expliquer pourquoi la violence en milieu de travail demeure un problème et pourquoi les actions mises en oeuvre continuent d'avoir un succès limité. Cette étude pourrait prendre la forme de consultations, de tables rondes et d'une enquête publique visant à demander l'avis des politiciens, des hauts dirigeants, des professionnels de la santé, des patients et des familles. Cette étude du gouvernement fédéral mènerait également à des définitions plus claires et plus ciblées de la violence afin de cheminer vers un langage commun qui permettra une comparaison des données.
La deuxième, c'est que le gouvernement fédéral crée un centre de diffusion des pratiques d'avenir et fasse naître des occasions de partage d'informations afin que les organisations se penchent sur les pratiques exemplaires et tirent des leçons des incidents et des quasi-incidents.
Troisièmement, nous recommandons que le gouvernement fédéral appuie le financement nécessaire pour évaluer les programmes existants et les stratégies fructueuses et qu'il dirige un programme de recherche longitudinale sur la violence en milieu de travail. Ces évaluations devraient mettre l'accent sur les leçons à tirer des incidents et des quasi-incidents, sur ce que les professionnels de la santé jugent efficace dans leur organisation et sur les moyens de s'assurer que les politiques donnent les résultats escomptés sur le terrain.
Enfin, nous recommandons que le gouvernement fédéral élabore, de concert avec les ministères provinciaux et territoriaux de la Santé et les organismes de soins de santé, des stratégies de prévention qui tiennent compte des caractéristiques personnelles, des relations interpersonnelles et des facteurs organisationnels. Ces stratégies pourraient consister, par exemple, à améliorer minimalement les systèmes de gestion des ressources humaines de la santé, les communications et les conditions de travail.
Conjugué à ces recommandations, j'aimerais aussi faire remarquer que le problème s'explique en partie du fait que la définition de ce qui constitue de la violence en milieu de travail varie. On emploie indifféremment un mot pour l'autre et il n'y a pas une typologie normalisée qui classe les formes de violence en milieu de travail. Le mémoire de notre Association donnera un meilleur aperçu des complications résultant de différentes définitions. Toutefois, il faut trouver un langage plus normalisé pour exposer le problème. On se demande encore si l'intention doit être un élément de définition également.
Finalement, compte tenu de la tendance à la hausse du nombre d'incidents violents dans le milieu des soins de santé, l'Association est d'avis qu'il est urgent que le gouvernement fédéral intervienne, notamment en offrant du soutien aux victimes. L'adoption des recommandations formulées aujourd'hui permettra au Comité permanent de répondre au besoin grandissant de mesures de prévention, d'évaluation et d'intervention dans le domaine de la violence en milieu de travail dans le secteur des soins de santé.
Il faudra un effort soutenu et concerté pour réaliser ce que nous voulons tous, soit des milieux de travail sans violence et, en conséquence, l'amélioration du sort des patients, des infirmières et des organisations. De plus, étant donné que différents facteurs contribuent à la violence exercée par les familles des patients ou les professionnels de la santé, il faudra des stratégies diverses et multidimensionnelles pour calmer la situation. Il n'y a pas d'approche ou de solution universelle.
J'aimerais encore une fois remercier le Comité d'avoir donné à l'Association des infirmières et infirmiers du Canada l'occasion de partager son point de vue et ses recommandations. Travaillons tous ensemble pour offrir un avenir meilleur aux travailleurs et aux infirmières du secteur des soins de santé.
Il nous fera plaisir de répondre à vos questions. Merci.
Je pratique la médecine de première ligne à Brampton et à Milton, en Ontario, j'enseigne la médecine et je suis la cofondatrice et présidente de l'organisme Concerned Ontario Doctors.
Je vous remercie de me donner l'occasion de prendre la parole devant le Comité permanent de la santé de la Chambre des communes qui se penche sur la violence subie par les médecins de première ligne au Canada. Je vous parle au nom de Concerned Ontario Doctors, un organisme populaire sans but lucratif qui représente près de 11 000 médecins de famille et spécialistes qui oeuvrent au niveau communautaire et dans le milieu universitaire en Ontario. Nous préconisons un système de santé axé sur les patients, durable, accessible et de grande qualité.
Le système de santé du Canada a déjà été une source de grande fierté pour notre pays. Il est inconcevable que nous soyons maintenant le deuxième avant-dernier des pays les plus riches au monde pour ce qui est de l'accessibilité aux soins. L'Ontario est en pleine crise historique dans le domaine des soins de santé, les médecins subissant une huitième année de compressions budgétaires sans précédent de milliards de dollars dans les soins essentiels aux patients de première ligne, ce qui laisse plus d'un million d'habitants ontariens sans médecin de famille, crée des engorgements dans les salles d'urgence partout dans la province et fait exploser les temps d'attente, les délais pour consulter certains spécialistes pouvant atteindre trois ans. Les patients épanchent de plus en plus leur frustration et leur colère face au système de santé défaillant sur les médecins de première ligne.
Pour l'Organisation mondiale de la Santé, la violence en milieu de travail désigne « la menace ou l'utilisation intentionnelle de la force physique ou du pouvoir [...] contre autrui ou contre un groupe [de personnes], qui entraîne ou risque fortement d'entraîner un traumatisme, un décès, des dommages psychologiques, un maldéveloppement ou une carence ».
On sait que le secteur des soins de santé a la plus forte incidence d'actes de violence en milieu de travail. En Ontario, près de 29 000 médecins fournissent des soins médicaux de base à 14 millions d'habitants et prodiguent des soins tous les jours à plus de 300 000 patients. Il est essentiel que les gouvernements s'attaquent à la violence contre les médecins de première ligne à tous les niveaux de prestation de soins, depuis les hôpitaux jusqu'aux centres de soins de longue durée, en passant par les centres de santé communautaires et les soins à domicile.
Les médecins canadiens qui travaillent dans les hôpitaux, les services d'urgence psychiatrique et dans les cliniques après fermeture risquent plus qu'avant de tomber sur un patient agressif et violent, tout comme les médecins qui font des visites à domicile ou qui traitent un grand nombre de patients atteints de maladie mentale et de toxicomanie.
La majorité des médecins de première ligne de l'Ontario font face à des risques accrus de violence lorsqu'ils prodiguent des soins dans des cliniques médicales et sans rendez-vous dans la collectivité. Lorsque les tentatives de désescalade échouent, la seule option qui reste — souvent après qu'il y ait eu violence et brutalité —, c'est de prévenir la police. Les médecins de première ligne ont signalé des cas de violence allant des injures à la violence physique, en passant par le racisme et le harcèlement sexuel, sans oublier le crachat, la morsure, les coups de pied, la caresse agressive, les coups, les coups de couteau et l'agression tout court.
Lors d'un sondage mené en 2010 auprès des médecins de famille du Canada, environ le tiers ont déclaré avoir toléré le comportement agressif d'un patient ou d'un membre de sa famille au cours du mois précédent. Au cours de leur carrière, 98 % ont signalé au moins un incident de violence. De ce nombre, 75 % étaient des incidents majeurs, comme le harcèlement sexuel, tandis que près de 40 % étaient graves, comme les agressions sexuelles ou le harcèlement criminel. Les résultats ont varié chez les femmes médecins d'astreinte. Leur sentiment de sécurité a chuté de façon spectaculaire, passant à 7,2 % pendant les heures de garde par astreinte, comparativement à 75 % chez les médecins de sexe masculin. Sur le nombre de médecins ayant été confrontés à un événement violent au cours du mois précédent, 55 % n'étaient pas au courant de l'existence de politiques visant à les protéger, 76 % n'ont pas demandé d'aide et 64 % n'ont pas signalé l'événement violent.
Les médecins subissent de plus en plus de cyberharcèlement et de cyberintimidation de la part des patients. Dans un récent sondage mené par Medscape auprès de médecins en Amérique du Nord, près de 40 % ont déclaré avoir été victimes de violence en ligne. Une plus grande hostilité des patients a été associée à l'anonymat en ligne.
Le rapport de l'étude sur les femmes publié en 2018 par The National Academies of Sciences, Engineering and Medicine a révélé, chose terrible, que, de tous les domaines STIM, c'est en médecine que le harcèlement sexuel des femmes est le plus répandu, car, en médecine, les harceleurs sont des collègues, des superviseurs, des subalternes et aussi des patients. On a relevé quatre facteurs de risque élevé de harcèlement sexuel en médecine, soit le fait que ce sont des hommes qui sont en position de pouvoir ou en situation d'autorité, la tolérance organisationnelle à l'égard du harcèlement sexuel, une structure hiérarchique et des environnements qui isolent.
Jusqu'à 50 % des étudiantes en médecine disent avoir été victimes de harcèlement sexuel. Monographies et journaux décrivent une culture du harcèlement en médecine, ce qui a des répercussions à long terme sur la profession, y compris d'importantes contractions de la santé psychologique et physique au sein de la profession. Au Canada, la plupart des étudiants en médecine sont de sexe féminin et la part des personnes de couleur en médecine est supérieure à celle constatée dans la population générale. Cependant, les femmes et les personnes de couleur n'occupent qu'une infime partie des postes de direction. C'est cette culture délétère en médecine qui évince les femmes et les gens de couleur des postes de direction et qui crée des plafonds de verre.
La violence envers les médecins de première ligne est associée à une augmentation du stress, de l'épuisement professionnel, de la dépendance et du risque de maladie mentale, y compris la dépression, l'anxiété et les idées suicidaires. Cela peut aussi entraîner un manque de personnel ou le refus de travailler dans les secteurs à risque élevé et de moins bons résultats pour les patients. C'est très préoccupant, car le taux d'épuisement professionnel signalé par les quelque 87 000 médecins du Canada est maintenant de 50 %, et les médecins de l'Ontario ont un taux d'épuisement professionnel historique de 63 %.
La médecine accuse le taux de suicide le plus élevé de toutes les professions. Cette crise de santé publique est très préoccupante. Le taux de suicide chez les médecins est plus du double de celui dans la population en général, le taux chez les médecins de sexe masculin étant 40 % supérieur à celui des hommes dans la population générale, et le taux chez les médecins de sexe féminin dépassant de 130 % le taux des femmes en général.
Ironiquement, les organismes provinciaux et territoriaux de réglementation et de délivrance des permis ne traitent pas sur le même pied la santé mentale et la santé physique des médecins. L'un des plus grands obstacles à la prestation de soins de santé mentale aux médecins demeure l'obligation d'en informer ces organismes. La majorité des médecins de première ligne souffre en silence, craignant de perdre leur permis de pratique et leur gagne-pain.
Le Canada pénètre en terrain inconnu, la part de personnes âgées dans sa population devant augmenter de 68 % au cours des 20 prochaines années. Étant donné que notre système de soins de santé est déjà poussé au-delà de ses capacités en raison des compressions importantes subies et de la forte limitation des soins de première ligne, la violence à ce niveau ne peut qu'empirer.
Le gouvernement du Canada a l'occasion de jouer un rôle de premier plan dans l'instauration de changements dans l'ensemble des provinces et des territoires. L'organisme Concerned Ontario Doctors formule 11 recommandations clés.
La première, c'est l'adoption d'une politique de tolérance zéro à l'égard de la violence et du harcèlement en milieu de travail aux premières lignes du système de santé du Canada.
La deuxième, c'est une définition universelle de la violence en milieu de travail.
La troisième consiste à veiller à ce que soient manifestes l'existence de mesures de sécurité et la surveillance visant à lutter contre la violence en milieu de travail dans les hôpitaux, les établissements de soins de santé mentale et les centres de soins de longue durée, et qu'une procédure officielle de signalement protège contre les représailles.
Quatrièmement, il faut élaborer des stratégies globales pour assurer la sécurité des médecins qui pratiquent dans les cliniques communautaires ou sans rendez-vous, qui font des visites à domicile ou qui sont d'astreinte de nuit, et qu'une procédure officielle de signalement protège contre les représailles.
Cinquièmement, les écoles de médecine et le cursus des résidents doivent offrir une formation obligatoire sur les moyens d'assurer une désescalade en cas de sexisme, de racisme, de harcèlement, de violence verbale ou de violence physique de la part des patients.
Sixièmement, le collège des médecins des provinces et des territoires devrait élaborer des politiques pour s'attaquer au sexisme, au racisme, au harcèlement, à la violence verbale et à la violence physique des patients envers les stagiaires en médecine et les médecins et s'assurer que ces politiques sont conformes aux codes provinciaux et territoriaux des droits de la personne.
La septième consiste à veiller à ce que les médecins de première ligne jouissent d'une représentation démocratique dont on peut rendre compte et qui est transparente. Selon les experts de l'OCDE, le harcèlement et la corruption se généralisent et créent un climat toxique lorsque le pouvoir est monopolistique. L'Ontario est la seule province à avoir autorisé un ordre de médecins à recevoir des cotisations fixées par le gouvernement et versées par tous les médecins. Cela a créé une situation intenable. Les gouvernements ont la responsabilité de protéger les patients et les médecins et de s'attaquer à cette mesure délétère et au manque de représentation démocratique en abrogeant ces lois et en mettant en oeuvre un examen judiciaire indépendant.
La huitième consiste à mettre en place une mesure législative de protection des médecins et des travailleurs de la santé qui dénoncent les actes répréhensibles qui ont une incidence sur la sécurité en première ligne et sur celle des patients.
La neuvième consiste à créer un poste d'ombudsman des soins de santé de première ligne qui soit semblable à celui d'autres pays comme l'Australie, afin que le titulaire reçoive les dénonciations en toute confidentialité et soit chargé de protéger les travailleurs de première ligne.
La dixième, c'est que tous les ordres de gouvernement devraient s'attaquer au problème préoccupant de l'épuisement professionnel et des tendances suicidaires des médecins.
La onzième demande que l'on modifie le Code criminel pour que ses dispositions s'appliquent aux médecins, aux infirmières et aux travailleurs de la santé qui sont victimes de violence en milieu de travail, comme c'est le cas pour les travailleurs du transport et les policiers.
Enfin, la violence envers les médecins, les infirmières et les travailleurs de la santé en première ligne est un problème sociétal complexe à multiples facettes qui exige une approche globale à plusieurs volets, ce qui n'est possible que si nous travaillons tous ensemble.
:
Merci, monsieur le président, mesdames et messieurs, de me donner l’occasion de vous parler aujourd’hui de la violence en milieu de travail dans le secteur de la santé.
Je m’appelle Thomas Hayes. Je suis directeur de la Sûreté, de la Sécurité, du Stationnement et de la Santé du personnel à l’Hôpital d’Ottawa. Je travaille à l’hôpital depuis plus de 16 ans. C'est l’un des plus grands hôpitaux de l’Ontario, avec près de 16 000 employés, dont 4 400 infirmières, 1 400 médecins et sages-femmes et 1 100 bénévoles. C'est un hôpital universitaire qui accueille des milliers d’étudiants chaque année. Il compte 19 sites à Ottawa. Nous recevons plus de 174 000 visites d’urgence par an et près de 1,2 million de visites en soins ambulatoires; de plus, l’an dernier, nous avons accompagné l'accouchement de 6 211 bébés. L'hôpital compte plus de 2 000 chercheurs et se classe au troisième rang au Canada pour le financement approuvé par les pairs fourni par les Instituts de recherche en santé du Canada.
L’an dernier, 58 membres du personnel ont subi des blessures au travail à la suite d’actes de violence suffisamment graves pour qu’ils doivent s'absenter ou consulter un médecin. L’équipe de sécurité de l’hôpital a répondu chaque jour à une moyenne de sept codes blancs, c'est-à-dire des interventions physiques urgentes, et de trois appels préventifs.
Je dois dire que la violence dans le secteur de la santé est un sujet difficile à aborder. Je vais vous raconter deux incidents, dont j’ai modifié certains aspects pour protéger la vie privée des intéressés.
Premièrement, imaginez que vous êtes infirmière. Vous travaillez dans un service d’urgence. C’est la nuit. On est en train d'évaluer et de traiter plusieurs patients susceptibles d'être hospitalisés, dont l’un est accompagné d'un visiteur. Le quart de service est long, et le gardien de sécurité demande s’il peut aller prendre un café. Vous dites bien sûr. Tout est calme, et tout le monde a besoin d’une pause de temps en temps.
Maintenant, vous êtes seule. Au bout de quelques minutes, l’un de vos patients commence à marcher de long en large dans le couloir et à essayer d’entrer dans les chambres des autres patients. Vous allez lui parler, et il reprend le chemin de sa chambre.
Mais, tout à coup, il se jette sur vous, vous saisit, remonte votre chemise par-dessus votre tête et vous donne des coups de poing pendant que vous glissez au sol pour vous protéger. Le visiteur, qui entend le vacarme, arrive dans le couloir, voit ce qui se passe et court appuyer sur un bouton d'alarme. Heureusement, le bureau de la sécurité est juste de l’autre côté du couloir, et, quelques secondes plus tard, quatre gardiens arrivent et commencent à maîtriser le patient qui vous frappait, mais qui semble maintenant avoir perdu toute envie de continuer à vous agresser. Une infirmière et un médecin arrivent également sur place pour aider, pendant que vous vous traînez jusqu’au poste de soins infirmiers verrouillé, où vous pouvez commencer à reprendre votre souffle. Et si le visiteur n’avait pas été là? Et s'il était parti quelques minutes plus tôt? Vous n’auriez eu aucun moyen d’obtenir de l’aide. Il n’y avait pas de système ou d’horaire en place pour remplacer ce gardien qui avait besoin d’une pause.
Avançons de quelques années. Vous êtes une infirmière en dialyse qui travaille le soir pendant que plusieurs patients terminent leur traitement d’une journée. Vous savez, d’après les renseignements fournis au début du quart de travail par le comité de sécurité, qu’un des patients a déjà eu un comportement violent et perturbateur au cours de visites antérieures. Votre gestionnaire avait invité un agent de sécurité et un membre du comité mixte de santé et de sécurité à donner une séance de recyclage sur la prévention de la violence à votre dernière réunion d’équipe et il avait rappelé l'importance de signaler les incidents et de demander de l’aide en cas de besoin. On vous a dit que cela pouvait se produire n’importe où dans l’hôpital, pas seulement à l’urgence ou dans les départements de soins en santé mentale, et que, en fait, dans l’un des autres campus, un patient en dialyse était récemment arrivé à sa séance de traitement avec un gros couteau dans son sac.
Vous remarquez que le patient commence à être très fâché contre une autre infirmière qui essaie de le calmer et de lui faire baisser le ton. Vous demandez au commis de signaler un code blanc, et vous l’entendez faire l'appel, posément, presque aussitôt. Moins d’une minute plus tard, plusieurs agents de sécurité et la superviseure des soins infirmiers de nuit arrivent. Ils vous demandent ce qui se passe, puis, ensemble, ils s'approchent du patient pour discuter de ses préoccupations et peuvent désamorcer la situation.
Vous déposez un compte rendu dans le système de suivi de la sécurité, qui vous invite à signaler les problèmes concernant aussi bien la sécurité du personnel que celle des patients. Le lendemain, votre gestionnaire prend de vos nouvelles après avoir lu le compte rendu pour s'assurer que tout va bien. Elle vous remercie de votre intervention et vous fait savoir qu'elle examinera l'incident avec le groupe de travail sur la prévention de la violence pour voir s’il y d'autres leçons à tirer de cet événement et les partager avec d’autres ministères.
À l’Hôpital d’Ottawa, nous avons compris il y a plusieurs années que nous ne savions pas vraiment à quel point la violence à l’égard de nos employés était généralisée et que c’était beaucoup plus grave que nous le pensions. Nous avons décidé que, pour arriver à offrir à chaque patient les soins de première qualité, le service exceptionnel et la compassion que nous voudrions pour nos proches, il fallait offrir ces mêmes soins et cette même compassion à notre personnel. Nous avons élargi notre stratégie globale pour y inclure un objectif quadruple. En plus d'une meilleure qualité de soins à moindre coût, d'une meilleure santé de la population et d'une meilleure expérience de l'hôpital pour les patients, elle comprend maintenant une meilleure qualité de vie professionnelle pour le personnel. Nous avons appris que, en collaborant avec des groupes syndicaux comme l’Association des infirmières et infirmiers de l’Ontario et avec notre personnel de première ligne, médecins compris, nous créons un environnement plus sécuritaire.
Nous savons que nous avons encore beaucoup de chemin à faire, comme dans tous les autres milieux de travail du secteur de la santé, pour lutter contre la violence, mais nous sommes au moins plus rassurés de savoir que notre personnel n’a pas peur de signaler les problèmes pour qu'on puisse les régler dans le respect des besoins des patients, des visiteurs et du personnel.
Merci.
:
Bonjour aux membres du Comité.
D'abord, nous tenons à vous remercier de cette invitation et à vous dire que notre participation à cette étude est extrêmement importante pour nous, puisqu'elle traite d'une question cruciale pour les 76 000 membres qui composent la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec.
Je suis Linda Lapointe, vice-présidente de la FIQ et responsable du secteur de la santé et de la sécurité du travail. Nous représentons plus de 90 % des infirmières, des infirmières auxiliaires, des inhalothérapeutes et des perfusionnistes cliniques au Québec. Quatre-vingt-dix pour cent de nos membres sont des femmes, et elles subissent au quotidien diverses formes de violence.
Je suis accompagnée aujourd'hui par M. Laurier Ouellet, président du Syndicat des professionnelles en soins de Chaudière-Appalaches. Ce syndicat est affilié à la FIQ et représente 3 500 infirmières, infirmières auxiliaires et inhalothérapeutes dans cette région.
La violence que vivent les professionnelles en soins prend diverses formes. Elle peut être physique, psychologique, sexuelle ou organisationnelle. Elle peut être active ou passive, directe ou indirecte. Nous savons que la violence psychologique est sept fois plus susceptible de survenir que la violence physique.
L'accès à de l'information précise sur les professionnelles en soins est difficile, notamment parce que les données disponibles regroupent l'ensemble du personnel du secteur des affaires sociales. Il est difficile d'avoir un portrait exact des cas de violence en milieu de soins de santé, notamment dans les centres d'hébergement de soins de longue durée et à domicile. De plus, en raison d'un important phénomène de sous-déclaration, sur lequel nous reviendrons, les chiffres dont nous vous faisons part aujourd'hui ne sont que la pointe de l'iceberg.
Selon les statistiques sur la violence, le stress et le harcèlement en milieu de travail pour les années 2014 à 2017 de la Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité au travail, la CNESST, on constate une hausse générale de 27 % des lésions acceptées. Parmi celles-ci, 32 % sont attribuables à la violence physique et 12 % à la violence psychologique. Il y a également une hausse générale de 11 % en matière de harcèlement sexuel et psychologique. Finalement, on constate qu'une forte proportion de femmes subissent cette violence. Seulement pour l'année 2017, les femmes ont été victimes de 73 % des lésions attribuables à la violence physique et de 68 % des lésions attribuables à la violence psychologique.
Le milieu de la santé représente à lui seul 61 % des lésions acceptées attribuables à la violence physique, bien que le personnel de la santé ne représente que 10 % de l'ensemble des établissements couverts par la Commission. Le nombre de réclamations acceptées pour blessures causées par la violence en milieu de travail a augmenté de presque 25 % entre 2015 et 2017.
Les conséquences sont extrêmement sérieuses et causent beaucoup de douleur et de détresse dans la vie des professionnelles en soins, ce que vous expliquera davantage M. Ouellet.
Je tenais à témoigner des conditions de violence quotidienne vécue en milieu de santé dans toutes les installations, que ce soit en soins de longue durée, en milieu hospitalier ou même au domicile des patients. Cette violence est omniprésente et quotidienne. On parle ici de violence faite par les patients, sous forme de menaces, d'attaques verbales, de coups, de crachats, d'égratignures, et j'en passe. C'est le lot de notre travail de tous les jours. En plus de la violence de certains patients, la hiérarchie médicale et le peu de prise des établissements de santé comme le mien sur les médecins font que des écarts de langage, du harcèlement psychologique ou du mépris sont des choses avec lesquelles les travailleuses doivent jongler tous les jours.
De temps à autre, dans les médias, on peut lire la tragédie d'une femme enceinte qui a perdu son enfant à naître à la suite de la violence subie en milieu de travail. C'est ce qui est arrivé à Ariel Garneau, qui a perdu son enfant à naître à la suite d'un coup de poing dans le ventre, l'hiver dernier. Même si ce genre de coup arrive tous les jours, quand cela touche les femmes enceintes, cette violence est tellement insupportable qu'elle est nommée comme telle. À d'autres moments, elle n'est pas nommée clairement. Bien peu de mesures sont prises pour l'éviter. Pire encore, nos employeurs souhaitent que les femmes enceintes demeurent au travail encore plus longtemps qu'avant, dans des milieux toujours plus dangereux.
Nous sentons que nos gestionnaires sont bien peu tenus de rendre des comptes. La seule chose qui semble compter, c'est le respect du budget, peu importe les conséquences sur les travailleuses.
C'est là une forme particulièrement insidieuse de la violence vécue dans le milieu de la santé. Il s'agit de la violence organisationnelle, celle qui nous semble venir de deux causes principales, soit l'augmentation marquée de la charge de travail en raison des compressions budgétaires, de même que la hiérarchie médicale et son mépris pour les travailleuses de la santé. L'omerta et les menaces de sanctions étouffent les dénonciations.
La violence organisationnelle est une violence qui cause des dépressions, des maladies et du stress. Plusieurs travailleuses quittent le milieu de la santé. Dans une petite région comme la mienne, plus de 40 millions de dollars sont payés en raison d'absences au travail. C'est énorme.
On force les travailleuses à faire des heures supplémentaires obligatoires, même si elles n'en peuvent plus, physiquement et mentalement, et même si cela détruit leur vie de famille. Toutes les semaines, le syndicat est témoin de pleurs, de crises et de la détresse vécue par les professionnelles en soins qui doivent rester en heures supplémentaires sous la pression et les menaces.
Les gestionnaires sont au courant de cette violence. Bien souvent, ces femmes étaient elles-mêmes des professionnelles de la santé auparavant et l'ont vécue. La banalisation fait son œuvre. La violence finit par être vue comme une banalité, personne ne se préoccupe vraiment de la situation et les travailleuses de la santé finissent par trouver normal d'être violentées. Bien souvent, elles ne dénoncent même plus la situation. Le manque de temps et la surcharge de travail contribuent aussi au faible taux de déclaration. Dans ma région, nous estimons que seulement 10 % des cas sont déclarés. Il y a encore énormément de choses à comprendre et à faire.
:
En ce qui concerne les facteurs qui contribuent à la violence, M. Ouellet vient de faire référence à plusieurs d'entre eux, comme la surcharge de travail et les compressions budgétaires. On ajoute à cela l'introduction d'outils de la nouvelle gestion publique et la multiplication des indicateurs de performance qui y sont rattachés.
Cette obsession liée à l'efficience déshumanise les soins et a des répercussions sur nos professionnelles en soins. La série de réformes du réseau de la santé au Québec a mobilisé toutes les énergies vitales et créé des établissements toujours plus gros. On obtient alors un secteur de la santé essoufflé, voire épuisé, au sein duquel la violence augmente. Ces mégastructures ne favorisent pas une gestion de proximité.
Parmi ces réformes, la désinstitutionnalisation des patients en santé mentale rend plus complexe l'offre de soins sécuritaires. Les équipes se déplacent dans des lieux non sécurisés et non contrôlés en vue de donner les services, par exemple en soutien à domicile. De plus, fermer des urgences en santé mentale n'a pas fait diminuer le nombre de patients.
Les obstacles et les facteurs de risques sont importants. Devant une telle ampleur, les moyens de protection sont insuffisants. Nous sommes cependant convaincus qu'il s'agit d'un enjeu pour lequel chaque brique compte en vue de bâtir une culture de prévention.
Tout d'abord, la FIC revendique que le secteur de la santé soit reconnu comme un groupe prioritaire au sens de la Loi sur la santé et la sécurité du travail. Une telle mesure obligerait les employeurs à respecter quatre obligations qui découlent de cette loi: établir un programme de prévention, établir un programme de santé propre à un établissement, établir un comité de santé et de sécurité au travail et désigner un représentant à la prévention.
Au Québec, en matière de santé psychologique, nous pouvons compter notamment sur les dispositions de la Loi sur les normes du travail. Toutefois, il existe un écart entre l'existence d'un droit et l'exercice de ce droit.
Nous disposons également de la Norme nationale du Canada sur la santé et la sécurité psychologiques en milieu de travail. Cette norme est un excellent outil, mais son application est volontaire et très peu répandue.
Nous avons parlé de la taille grandissante des établissements, qui crée une distance avec les gestionnaires. Il y a aussi un écart important entre le pourcentage de femmes professionnelles en soins et le nombre de femmes gestionnaires. En fait, 6 % des gestionnaires en santé sont des hommes, alors qu'ils forment environ 10 % de la profession, et seulement 6 % des femmes sont en gestion, alors qu'elles représentent près de 90 % de la profession. Il faudrait se demander pourquoi il y a si peu de femmes en gestion. Leur présence pourrait-elle améliorer la situation en ce qui concerne la violence subie par nos membres?
En ce moment, et depuis plusieurs années, la Fédération déploie des efforts prioritaires afin que soient mis en place de nouveaux ratios entre les professionnelles en soins et les patients. L'état des connaissances, les expériences internationales et la mise en place de projets de ratios par la FIQ confirment que, en nombre suffisant, les professionnelles en soins pourront offrir des soins sécuritaires et plus humains. Elles pourront le faire dans le cadre d'une charge de travail adéquate, dans un environnement qui contribuera à leur santé et leur sécurité au travail.
Le réseau doit davantage tenir compte des besoins des professionnelles, que ce soit ceux de la travailleuse enceinte, qui doit être réaffectée à un milieu sécuritaire, ou les besoins de celles qui vivent différentes formes de violences. La prévention doit primer et la violence doit cesser.
La FIQ est très préoccupée par le taux de violence sous toutes ses formes au sein du réseau de la santé. Nous souhaitons ardemment qu'une collaboration patronale-syndicale puisse enfin s'implanter au sein de nos établissements afin que nous nous attaquions à ce fléau sans cesse grandissant.
J'aimerais porter à votre connaissance le fait que nous avons reçu, aujourd'hui même, le rapport du vérificateur général du Québec, dans lequel plusieurs constats et recommandations rejoignent les préoccupations de notre fédération. Parmi les constats, mentionnons le fait que le Québec accuse des retards importants par rapport à d'autres administrations et que des iniquités persistent entre les travailleuses en matière de prévention.
Je vous remercie de votre écoute.