:
Merci, monsieur le président.
Bonjour à tous.
Mesdames et messieurs, je vous remercie de m'avoir invitée à témoigner devant vous aujourd'hui.
Je tiens d'abord à dire que la GRC prend très au sérieux toute allégation signalée d'activités et d'incidents criminels et s'engage à continuer d'offrir des services axés sur la sécurité de nos collectivités.
[Français]
De telles allégations peuvent porter sur la stérilisation forcée de femmes.
[Traduction]
À la suite d'une consultation auprès des divisions contractantes de la GRC, les commandants divisionnaires ont constaté que, jusqu'ici, aucune allégation de stérilisation forcée n'a été signalée directement à la GRC. J'ai aussi fait des démarches auprès du président de l'Association canadienne des chefs de police pour qu'il m'aide à sensibiliser les autres services de police. L'Association a envoyé un bulletin à ses organismes membres, et un rapport devrait paraître sous peu. Les organismes membres étant pas mal nombreux, l'Association attend encore des résultats.
Il est important de savoir que l'enquête sur une allégation de stérilisation forcée relèverait du mandat du service de police compétent. Par conséquent, il faut remettre toute preuve d'activité criminelle au service de police local compétent, là où l'infraction aurait été commise, pour qu'une enquête soit menée en bonne et due forme.
[Français]
La GRC travaille de façon proactive avec les collectivités pour cerner les problèmes, établir les priorités parmi ceux-ci et les résoudre, de même que pour instaurer une confiance envers la GRC à titre de service de police.
[Traduction]
Cette approche collaborative repose sur la philosophie selon laquelle la prévention est une fonction essentielle des services de police, grâce à des décisions fondées sur des données probantes et à des interventions qui sont durables, souples, dirigées par la collectivité et appuyées par la police. La GRC participe à ces efforts dans de nombreuses collectivités partout au pays et elle continuera de tendre la main avec professionnalisme et compassion afin d'accroître la confiance des collectivités qu'elle sert.
Je dois ajouter que la compassion est l'une de nos valeurs fondamentales, mais honnêtement, je ne pense pas que ce soit suffisant dans le cadre de notre processus de modernisation. Je crois que nous devons miser plutôt sur l'empathie. Cette valeur correspond non seulement à la réconciliation, mais... Si nous pouvions tous — et quand je dis « nous », je parle de mon organisation — apprendre à nous mettre à la place d'autres personnes, nous comprendrions mieux leurs circonstances et, par conséquent, nous les traiterions différemment. Pour y arriver, il faut notamment offrir la formation nécessaire aux agents de la GRC dès leur arrivée au sein de l'organisation et continuer à le faire tout au long de leur carrière. À cet égard, nous avons instauré, à l'académie de formation, par exemple, l'exercice des couvertures de Kairos. C'est là une façon d'enseigner l'empathie et l'histoire.
En plus de contribuer à bâtir des collectivités autochtones plus sûres et plus saines, c'est l'une des principales priorités de la GRC. Protéger la population canadienne contre les activités criminelles est primordial. Nous tenons à protéger nos collectivités et à parvenir à la réconciliation avec les collectivités et partenaires autochtones grâce à une relation renouvelée fondée sur la reconnaissance des droits, le respect, la confiance mutuelle, la collaboration et le partenariat.
[Français]
Je répondrai avec plaisir à vos questions.
:
Il est difficile de répondre à cette question. Lorsque, en ma qualité de commissaire, j'ai eu vent de ce problème, nous avons évidemment effectué toutes les recherches nécessaires, en plus d'examiner le rapport de l'autorité sanitaire régionale de Saskatoon.
Cependant, il reste du travail à faire. J'ai remarqué que, lors d'une séance — je crois que c'était quelque part dans la transcription des délibérations —, on a mentionné plusieurs victimes, ainsi que le nom des défendeurs. Ces cas n'ont jamais été portés à notre attention; nous devrons donc faire des recherches à ce sujet. Bien sûr, nous pourrions faire face à des questions de protection des renseignements personnels dans le domaine des soins de santé, au moment d'essayer d'obtenir de l'information par l'entremise du système de santé. Dans le cas d'un crime commis contre une personne, les règles semblent toujours un peu plus difficiles, car il s'agit d'un type de crime très personnel. Vouloir faire une dénonciation n'est pas chose facile pour les gens, mais nous devons absolument pousser nos recherches pour voir si nous pouvons obtenir le nom des victimes et déterminer si elles veulent aller de l'avant.
J'ai constaté, toujours à la lecture de la transcription des délibérations, que Mme Francyne Joe a parlé de choix éclairé. Cette notion s'applique également aux victimes d'actes criminels, parce que tout le monde n'est pas prêt à se manifester lorsqu'il s'agit d'un crime de nature si personnelle. C'est probablement la raison pour laquelle ces incidents ne sont pas signalés.
Je serai honnête. Un autre facteur qui entre en jeu — et, là encore, c'est mentionné dans le rapport —, c'est le degré de confiance à l'égard de la police quand vient le temps de dénoncer un crime d'une telle nature. Certaines personnes ne pourraient même pas se rendre compte qu'il s'agissait d'un crime, selon les circonstances de l'incident. Nous devons maintenant examiner le tout et nous demander: « D'accord, y a-t-il une liste de victimes à qui nous pouvons parler et tendre la main, pour voir si elles sont disposées à fournir des déclarations? »
:
Je vous remercie de votre invitation. Il y a beaucoup de rouge dans mes notes, parce que je me rends compte que je devrai abréger beaucoup.
Je vous parlerai de l'expérience vécue par des femmes autochtones qui se sont senties forcées de subir une ligature des trompes dans la région sanitaire de Saskatoon. La Dre Yvonne Boyer et moi-même avons uni nos forces pour étudier la question.
Je ne vous parlerai pas des cas qui ont fait les manchettes. Vous en avez entendu parler. Nous avons lancé ce projet, parce qu'on nous l'avait demandé, à l'automne 2016. La région sanitaire de Saskatoon avait déjà tenté d'étudier la chose, mais le chercheur choisi n'avait pas la confiance des communautés, donc aucune femme n'a osé lui parler.
Nous avons donc opté pour une approche axée sur les communautés et avons organisé des rencontres préalables avec les Autochtones et les professionnels de la santé, pour les inviter à participer à la conception de l'étude et obtenir leur accord pour participer à l'analyse des données une fois qu'elles seraient recueillies. Il s'agit là d'une approche collective particulière que j'utilise dans mes recherches.
Nous avons effectué une revue de la littérature, bien sûr, puis avons examiné tous les outils internationaux, de même que les documents institutionnels et les lois en vigueur. Un moment donné, nous nous sommes rendu compte que nous devions également étudier les lois sur la protection de l'enfance, parce qu'elles avaient des effets.
Dix-huit femmes autochtones ont utilisé notre ligne téléphonique confidentielle. Nous en avons interrogé sept: six en personne et une par téléphone. Les sept autres ont pris rendez-vous avec nous, mais pour diverses raisons, n'ont pas pu s'y présenter. Certaines ont fait quelques tentatives, mais elles n'étaient tout simplement pas prêtes.
Nous avons également interrogé neuf professionnels de la santé et quelques travailleurs sociaux du domaine de la protection de l'enfance.
Nos entrevues avec les femmes autochtones ont révélé que toutes se sont senties vraiment stressées et contraintes de subir une ligature des trompes, pendant qu'elles étaient en travail, ce qui s'ajoutait au stress que ressentent déjà normalement les femmes pendant l'accouchement. Notre étude expose l'ampleur des pressions ressenties par ces femmes. Les thèmes abordés révèlent que ces femmes autochtones vivaient pour la plupart des vies complexes et accablantes lorsqu'elles ont fait l'objet de cette coercition et que cette complexité était intimement liée au contexte historique négatif du colonialisme.
Parmi les principaux thèmes récurrents, il s'avère que ces femmes autochtones se sentaient invisibles, impuissantes et victimes de profilage racial. Elles subissaient toutes sortes de formes de coercition. Je n'ai pas le temps de vous en parler en détail, mais vous trouverez l'information dans le rapport. Elles nous ont parlé de l'incidence de tout cela sur leur image d'elles-mêmes, leurs relations et leur accès aux soins de santé ultérieurement.
C'est ce genre d'expérience qui fait que les femmes autochtones n'osent pas aller chercher des soins de santé. Elles sont conscientes des risques supérieurs auxquels elles sont exposées, mais ne peuvent tout simplement pas se résigner à aller consulter, ce qui a des conséquences sur leurs enfants aussi, de même que sur le reste de leur famille.
Compte tenu de toute la détresse qu'elles vivaient et de leur peur de participer à ces entrevues, le simple fait qu'elles aient raconté leur histoire à de parfaites inconnues est assez incroyable.
Les professionnels de la santé étaient renversés d'entendre parler de toute la coercition vécue par les femmes autochtones. Ils parlaient constamment des difficultés liées aux politiques et à l'équipe de travail. Ils se sont rendu compte qu'il y avait une attitude négative à l'égard des femmes autochtones et qu'elle nuisait aux soins internes et externes.
L'analyse des données a révélé que les professionnels de la santé travaillent dans des systèmes et des milieux hospitaliers vastes, complexes et en constante transformation. La plupart d'entre eux avaient l'impression que les politiques et les pratiques s'étaient améliorées au cours des dernières années, mais que les femmes autochtones étaient toujours laissées pour compte. Tout comme les femmes elles-mêmes, ils ont soulevé la question des services à l'enfance et à la famille. En plus d'avoir été forcées de subir une ligature des trompes, beaucoup de femmes avaient souffert du fait que leur enfant leur ait été enlevé quelques jours après sa naissance. C'est l'un des grands problèmes qui est ressorti. Elles ont toutes fait des recommandations, que vous pourrez voir dans le rapport, en plus des détails de cette étude.
Nous avons formulé des recommandations. Nous n'arrivions pas à trouver d'information dans les dossiers médicaux. Il y a trois dossiers médicaux que nous avons pu obtenir, mais les autres avaient été détruits au bout de 10 ans. C'est là qu'on pourrait trouver des réponses sur la ligature qu'ont subie ces femmes, mais quand leur histoire remonte à 20 ans, il n'y a pas moyen de trouver l'information.
La Saskatchewan, comme toutes les provinces à l'époque, a connu beaucoup de bouleversements dans le domaine de la santé. Nous avions l'impression que la décision impulsive des autorités d'arrêter immédiatement toute ligature des trompes après l'accouchement, à moins que la patiente n'en ait discuté au préalable avec son médecin de famille ou un obstétricien, ne cause de graves problèmes. Les professionnels de la santé et les femmes croyaient eux aussi que ce serait un problème. Nous avons recommandé, d'abord et avant tout, de revoir cette politique. Nous croyions aussi qu'il fallait utiliser les ressources existantes. Il y a, en Saskatchewan, un conseil autochtone de la santé, des services de santé exclusivement pour les Métis et les membres des Premières Nations et à l'époque, il y avait un genre de comité de direction chargé de réviser les politiques provinciales. Dans nos recommandations, nous avons rappelé aux autorités qu'il y avait des obligations dans la loi canadienne, qu'il faudrait une stratégie de mobilisation des Autochtones en matière de santé, puis que la loi canadienne prescrit des consultations et des accommodements.
Concernant la formation culturelle, nous avons recommandé qu'il y ait une formation culturelle obligatoire sur les peuples autochtones, leurs cultures et les droits de la personne. Il faut nous attaquer franchement aux faux stéréotypes selon lesquels les femmes autochtones ne seraient pas capables de s'occuper de leurs propres enfants et éviter de prendre ce genre de décisions à leur place.
En éducation, nous avons recommandé l'acquisition de compétences culturelles par les infirmières, les médecins et tous les autres professionnels de la santé. Cela doit aller bien au-delà de la formation culturelle. L'apprenant doit également faire preuve d'introspection pour comprendre son propre degré de privilège dans la société. Il y a beaucoup d'articles sur le sujet. Cela s'apprend.
Par ailleurs, on parle de restructuration en Saskatchewan. Nous croyons qu'il doit y avoir des modifications en profondeur et pas seulement une autochtonisation de la santé. Cela ne suffira pas. Il faut commencer à prendre des mesures extraordinaires. Cela fait probablement 20 ou 25 ans (je ne m'en souviens plus) qu'il y a un centre de santé des Autochtones et du bien-être à Winnipeg. Il y a aussi une vaste population autochtone à Saskatoon, mais elle n'a pas encore son propre centre.
Avant d'aborder les points qui nous intéressent aujourd'hui, au nom du Réseau d'action des femmes handicapées du Canada, nous souhaitons rappeler que nous sommes présentement sur des territoires algonquins non cédés et souligner la période de vérité et de réconciliation dans laquelle nous nous trouvons actuellement. Saisissons donc cette occasion pour examiner plus particulièrement les besoins de nos sœurs autochtones et la façon dont nous pouvons réparer les torts causés afin d'améliorer la vie des générations actuelles et futures.
Nous remercions le Comité permanent de la santé d'avoir invité notre organisme à témoigner et saluons également les autres témoins ici présents.
Notre communication se fera dans les deux langues officielles.
Au sein du Réseau d'action des femmes handicapées du Canada, nous avons à cœur de dénoncer les oppressions de façon intersectionnelle. Ainsi, nous abordons les oppressions découlant du capacitisme, un système qui entrave les droits et les libertés des personnes dont les capacités ne correspondent pas aux normes, au même titre que le racisme, le colonialisme, le sexisme et d'autres systèmes d'oppression.
En ce qui concerne les stérilisations forcées, nous considérons qu'elles sont une conséquence directe d'une société capacitiste. En ce sens, elles ont des répercussions particulières sur les filles et les femmes en situation de handicap. Mme Jihan Abbas mettra en évidence ce douloureux constat.
Rappelons que la stérilisation forcée est étroitement liée à une vision eugénique visant à déterminer et à hiérarchiser les individus ainsi que leurs possibilités d'existence. Elle s'appuie sur la logique d'oppression du capacitisme, qui a établi des notions de déviance, en ciblant ce qui manque, ce qui est contre nature et ce qu'on peut oppresser et limiter. Par conséquent, nous considérons que la stérilisation forcée, en étant une expression concrète du système capacitiste, ouvre la porte notamment aux pratiques racistes, colonialistes et sexistes.
Nous savons que le racisme et le capacitisme sont solidement imbriqués l'un dans l'autre. Il est fort utile de rappeler que le mouvement eugénique, tant aux États-Unis qu'au Canada, était lié aux idées suprémacistes des Blancs tournant autour de la dégénérescence de la race blanche. Un nombre criant de femmes noires ont subi et subissent encore des stérilisations non consenties.
La chercheuse Shatema Threadcraft, dans son œuvre de 2016 portant sur la justice intime et le corps des femmes noires aux États-Unis, démontre la prévalence de ces pratiques.
À cet égard, le Canada n'est pas en reste. Devant le Comité sénatorial permanent des droits de la personne, la professeure d'université Josephine Etowa a en effet révélé que, durant une étude menée sur l'état de santé des femmes noires en Nouvelle-Écosse, on avait constaté que l'hystérectomie avait été pratiquée dans une proportion inquiétante. Je cite les propos de Mme Etowa:
On nous a raconté qu’à toutes les fois qu’une femme, surtout si elle a la peau foncée, consulte son médecin, même si elle est au début de la vingtaine, l’hystérectomie faisait toujours partie des solutions proposées à son problème de santé.
On comprend donc comment s'articulent le racisme et le capacitisme, et l'on constate que c'est un enjeu important dans le dossier de la stérilisation forcée.
C'est également un problème que vivent les personnes trans et intersexuées.
M. Alexandre Baril, qui est professeur adjoint à l'Université d'Ottawa, indique dans sa thèse de 2013 que l'État canadien oblige les personnes trans souhaitant accéder à un état civil à « subir des modifications de leurs organes génitaux impliquant une suppression de la capacité de se reproduire “naturellement” ».
La sociologue et anthropologue canadienne Morgan Holmes, qui représente le groupe Egale Canada, rapporte également les effets concrets du cisgenrisme menant à la stérilisation forcée des personnes intersexuées, surtout des enfants. Elle a également comparu devant le Comité sénatorial permanent des droits de la personne, le 15 mai 2019. Durant son allocution, elle a dénoncé le paradoxe du paragraphe 268(3) du Code criminel, qui, tout en interdisant la mutilation génitale féminine, autorise les opérations chirurgicales d'enfants intersexués, à qui l'on retire impunément et sans consentement leurs capacités reproductives.
Dans un autre registre, qui continue néanmoins à éclairer la situation de façon intersectionnelle, la question de la stérilisation touche également, et en grand nombre, les femmes en prison. Une étude américaine de 2016 parle effectivement des pressions subies par les femmes incarcérées pour les amener à subir des opérations chirurgicales visant à leur enlever leurs capacités reproductives. Cette même étude confirme que ces injonctions visent toujours à répondre à un système eugénique et capacitiste.
Les faits que je vous rapporte ici ne sont que la pointe de l'iceberg. Il est important de savoir que de nombreuses autres femmes se trouvant à l'intersection de multiples oppressions sont sujettes à la stérilisation forcée. C'est pourquoi il nous semble aussi important, dans le contexte de notre allocution, d'insister sur la dimension intersectionnelle de ce problème et de démontrer que les solutions ne peuvent se trouver à l'extérieur d'une telle analyse.
Je vais maintenant céder la parole à Mme Abbas.
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Au Canada, les femmes handicapées ont toujours été vulnérables à la stérilisation forcée, et elles le demeurent encore aujourd'hui.
Bien sûr, le Canada a subi l'influence du mouvement eugénique tout au long du XXe siècle. En fait, tant l'Alberta que la Colombie-Britannique avaient des lois permettant la stérilisation de quiconque avait un diagnostic de « maladie mentale » ou de « déficience ». Selon les données de l'Alberta Eugenics Board, 1 154 femmes handicapées ont ainsi été stérilisées, et près de 40 % d'entre elles l'ont été après 1955.
Les lois de l'Alberta sur la stérilisation n'ont pas été abrogées avant 1972, et malheureusement, en Colombie-Britannique, les dossiers faisant foi de stérilisation forcée ont été perdus ou détruits. Dans les autres provinces, même s'il n'y avait pas de loi officielle sur la stérilisation, d'innombrables femmes handicapées ont probablement été stérilisées, puisque ces opérations étaient souvent effectuées sur de jeunes femmes handicapées avec le consentement de leurs parents. De même, on peut dire que la stérilisation au Canada a toujours été sexiste, raciste et impérialiste, de sorte qu'elle touche démesurément les femmes autochtones.
Il y a deux exemples dans la jurisprudence, qui témoignent de la vulnérabilité des femmes handicapées à la stérilisation forcée, de même que de la possibilité d'une protection juridique. En 1995, Leilani Muir, une femme atteinte d'une déficience intellectuelle, a poursuivi le gouvernement de l'Alberta pour stérilisation forcée et obtenu gain de cause. Muir, qui avait été admise à la Provincial Training School for Mental Defectives en 1955, avait été stérilisée à l'âge de 14 ans. Sa démarche a poussé le gouvernement de l'Alberta à présenter des excuses officielles et à offrir une indemnité à des centaines d'autres personnes.
Il y a aussi un arrêt de la Cour suprême du Canada, qui remonte à 1986, l'arrêt Eve. Eve était une femme de 24 ans ayant une déficience intellectuelle. Sa mère soutenait, à titre de mandataire de sa fille, qu'elle voulait être autorisée à soumettre sa fille à la ligature des trompes. Or, la Cour suprême a tranché en défaveur de la mère parce qu'elle jugeait la procédure « non thérapeutique ».
Cette décision phare marque un point tournant dans la bataille pour la reconnaissance des droits des personnes ayant une déficience intellectuelle. Elle est venue mettre un terme à la pratique de longue date de stérilisation non thérapeutique des personnes ayant une déficience intellectuelle ou d'autres troubles mentaux, en établissant que quelles que soient leurs compétences cognitives, toutes les personnes ont un droit fondamental ne pouvant pas être annulé.
Malgré cette jurisprudence, l'influence parentale continue de jouer sur l'avenir des femmes handicapées, puisque leurs parents exercent sur elles un pouvoir pouvant avoir une incidence sur leur accès à la santé reproductive ou leurs décisions à ce sujet.
Pendant nos recherches en vue du rapport More Than a Footnote, qui vient d'être publié, au moins une femme qui nous a parlé nous a dit que ses parents avaient fait des choix en matière de santé reproductive en son nom, sans son consentement et contre sa volonté. La plupart des études existantes visent les femmes ayant une déficience intellectuelle, puisqu'elles semblent particulièrement vulnérables à cela. Elles n'ont pas suffisamment accès à l'éducation et sont les plus susceptibles de vivre une mauvaise expérience en matière de santé reproductive.
Nous tenons aussi à souligner que les jeunes femmes et filles handicapées peuvent être soumises à des formes problématiques de pouvoirs, comme la coercition reproductive, et que les décideurs adultes qui s'en occupent peuvent, de par le rôle qu'ils jouent dans leur vie, avoir emprise sur leur santé reproductive. Bien sûr, cela se situe à la jonction du paternalisme et du capacitisme.
Une étude menée récemment au Canada présente ces formes de coercition persistante comme de la violence envers les jeunes femmes handicapées et attire l'attention sur les formes les plus courantes qu'elle peut prendre. Il y a les efforts pour saboter les méthodes de contraception, la coercition entourant la grossesse et le contrôle de l'issue d'une grossesse.
Il y a des dynamiques uniques aux jeunes femmes handicapées qui méritent notre attention. À ce propos, il convient de faire preuve de vigilance à l'égard de l'utilisation continue du Depo-Provera, qui est courante de nos jours. Le Depo-Provera demeure une substance controversée, dont les effets secondaires peuvent être graves et sont souvent mal compris. Il y a des preuves attestant qu'il a été prescrit à des femmes handicapées avant même d'être approuvé pour la contraception au Canada. De même, une étude canadienne révèle qu'il est souvent prescrit aux jeunes femmes ayant une déficience intellectuelle parce que les membres de leur famille et leurs soignants craignent qu'elles ne tombent enceintes ou pour des raisons liées à l'hygiène menstruelle.
L'une des interventions les plus choquantes que nous ayons vues consiste à soumettre des enfants atteints d'un handicap complexe ou d'une maladie grave à des traitements invasifs d'atténuation de la croissance, ce qu'on appelle communément le traitement Ashley. Ce traitement vise à ce que ces personnes restent petites, vraisemblablement pour qu'il soit plus facile pour les soignants de leur prodiguer des soins. Ces traitements peuvent comprendre l'administration d'estrogène à dose élevée, l'hystérectomie ou le retrait du bourgeon mammaire. Bien que cette opération semble plus courante aux États-Unis, elle se répand à d'autres pays, et il est difficile de jauger ce qui se fait au Canada. Nous aurions besoin d'un espace consacré à l'étude de tout cela.
Enfin, les études du Réseau des femmes handicapées du Canada illustrent à quel point la coercition reproductive est répandue envers les femmes handicapées. Les femmes handicapées nous disent que même si elles ne sont plus victimes de stérilisation forcée, comme avant, elles continuent d'être fortement dissuadées d'avoir des enfants. Leurs proches, leurs amis et leurs médecins leur font continuellement des rappels qui influencent leurs décisions.
Bien sûr, il y a plusieurs facteurs qui augmentent la vulnérabilité au sein de ce groupe. Ainsi, les méthodes de contraception à leur disposition sont limitées, et les fournisseurs de soins de santé comprennent souvent mal la réalité des personnes handicapées.
Nous avons des recommandations à faire pour réduire leur vulnérabilité. Ainsi, nous croyons qu'il faut les aider à se défendre elles-mêmes, pour que les femmes et les filles handicapées deviennent des partenaires dans les soins qui leur sont fournis, tout comme il faut sensibiliser les professionnels de la santé à la réalité des personnes handicapées pour éviter l'ignorance et le capacitisme. Il faut aussi approfondir la recherche et analyser les politiques pour comprendre toutes les façons insidieuses dont les femmes handicapées et leur corps sont sous l'emprise de leurs soignants, de leurs parents et des travailleurs de soutien.
Enfin, de manière plus générale, le Réseau des femmes handicapées du Canada rappelle le potentiel porteur des principes de Nairobi, qui visent à affirmer les droits sexuels et reproductifs dans une perspective intersectionnelle qui comprennent à la fois une analyse comparative entre les sexes et une analyse des effets tangibles du capacitisme sur l'expérience vécue par les femmes et les filles handicapées. Ces principes nous mènent collectivement vers l'affirmation à la fois de la nécessité d'avoir accès à l'avortement en toute sécurité et du besoin d'évaluer comment le capacitisme affecte l'autonomie et l'accès à la santé reproductive.
Merci.
:
Je vous remercie de me recevoir ici au nom du Collège royal. Je suis présidente du Comité sur la santé des Autochtones au Collège Royal et l'une des rares médecins autochtones à l'Université de Toronto. Je pratique la médecine interne générale en plus d'être très active sur la question des études en médecine chez les Autochtones. Je souhaite axer ma déclaration d'ouverture sur le rôle de l'éducation et les mesures à prendre après ces activités terribles et très troublantes. En tant que médecin et femme autochtone moi-même, je suis extrêmement touchée par cet enjeu sur le plan personnel, et je dois dire que je trouve très difficile d'en parler.
J'aimerais vous fournir un peu de contexte pour expliquer notre perspective de l'expérience des Autochtones en général dans le système de santé. Les preuves ne cessent de s'accumuler pour attester du fait que les membres de nos peuples sont maltraités dans le système de santé. Les Autochtones sont confrontés au racisme et à l'une des formes les plus épouvantables que peuvent prendre les mauvais traitements, soit la stérilisation forcée. Nous en avons amplement de preuves: les rapports du Conseil canadien de la santé, le rapport de notre propre conseil de la santé, le rapport intitulé « First Peoples, Second Class Treatment », en plus de toutes les histoires que nous entendons tous les jours à titre de défenseurs de la santé autochtone.
Par exemple, j'ai reçu un appel de l'un de mes collègues urgentologues, qui me disait: « Vous devez venir vous occuper de tel patient, qui vient tout juste d'avoir un infarctus aigu du myocarde, mais n'a pas reçu le traitement qui aurait pu lui sauver la vie pendant six heures parce que le personnel croyait qu'il était en état d'ébriété. » C'est la réalité à laquelle sont confrontés les membres de nos peuples dans le système de santé.
Ensuite, il y a tout le fait d'être une femme autochtone qui s'ajoute à cela. Pour les femmes qui ont subi la stérilisation forcée, c'est évidemment un autre facteur d'intersectionnalité. J'aime bien l'approche de ma collègue pour aborder l'intersectionnalité, parce que nous savons à quel point la vulnérabilité d'une personne autochtone est extrême dans le système de santé. Ajoutez à cela le fait d'être une femme autochtone, tout ce que nous savons du rapport sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, et l'incarnation de la violence coloniale pour comprendre ce qui se passe quand une femme autochtone entre dans le système de santé. C'est le contexte dans lequel nous devons réfléchir à une solution.
L'une de nos grandes recommandations serait que le gouvernement s'engage fermement à investir dans l'éducation des professionnels de la santé sur la sécurité culturelle. C'est ce vers quoi s'est activement engagé le Collège royal. En fait, le Conseil du Collège royal a adopté une résolution en 2017, pour faire de l'éducation sur la sécurité culturelle et le racisme une composante obligatoire de tout programme d'enseignement d'une sous-spécialité au Canada pour obtenir une accréditation. Cette formation devra aussi être offerte à ceux qui exercent déjà. Ils doivent comprendre non seulement les besoins particuliers de ces personnes, mais aussi comment l'ensemble des professionnels peuvent avoir des conversations importantes d'une manière sécuritaire sur le plan culturel. Ils doivent aussi prendre conscience des pratiques coloniales et historiques et du fait qu'elles continuent de jouer dans les interactions entre les patients et les professionnels.
Par notre travail avec l'équipe fantastique du Collège royal, nous essayons de rassembler l'information pour la diffuser, et ce qui m'amène à ma deuxième recommandation, qui consiste à mettre en place des mécanismes de reddition de comptes. Nous avons besoin de données. Je suis médecin. Je suis chercheure scientifique. Nous avons besoin de données, mais je crois qu'il faut réfléchir à ce qui est considéré comme une donnée, parce que nous n'avons pas besoin d'un essai clinique comparatif randomisé pour voir qu'il y a un problème. Nous avons déjà les histoires de toutes les personnes qui dénoncent la situation. Il faut donc faire en sorte qu'il devienne plus facile pour elles de signaler les problèmes. Il faut rassurer les femmes qui sont passées par là et qui ont peur de toute interaction avec des professionnels de la santé. Il faut leur fournir un lieu de parole sûr et leur dire qu'elles seront écoutées, que leur expérience en tant que personne autochtone sera reconnue et valorisée.
Quels sont les moyens que nous pouvons prendre pour cela? J'aimerais vous donner quelques exemples d'angles sous lesquels on pourrait aborder ce genre de travail. Je connais très bien certains des mécanismes qui existent en Ontario. Nous pourrions tabler sur les mesures de la qualité et les normes de qualité des autorités sanitaires provinciales et régionales, notamment sur la Loi sur l'excellence des soins pour tous, en Ontario, qui nous oblige à élaborer des plans d'amélioration de la qualité, des questionnaires sur la sécurité des patients, etc.
Comment pouvons-nous utiliser l'expérience vécue par les patients autochtones et les femmes autochtones, en particulier, pour comprendre les politiques et les procédures en place qui favorisent la stérilisation? Comment est-elle possible dans les structures existantes?
À plus grande échelle, comment l'Agence de la santé publique du Canada, par exemple, s'appuie sur le travail remarquable qui est accompli dans la crise des opioïdes pour recueillir des données et en faire rapport? Ce que j'aime de l'Agence et de l'intervention concernant les opioïdes, c'est qu'on peut aller sur le site Web et voir les données et les chiffres. Ce degré de transparence est très important dans la collaboration avec nos communautés.
L'autre chose que je veux dire, c'est que dans notre pratique au Collège royal, nous reconnaissons qu'il s'agit d'une institution coloniale. Nous travaillons très fort à la décolonisation, mais nous sommes conscients de l'existence de cette tension. Des professionnels autochtones extraordinaires y travaillent, mais notre pratique se fonde toujours sur l'autodétermination et l'alliance. Même si je suis une Autochtone qui travaille au Collège royal, je travaille tout de même dans un établissement non autochtone. Nous appuyons nos collègues et les organismes autochtones nationaux dans leurs appels à la criminalisation de ce comportement et de cette pratique.
Je crois, en fait, et j'ai écouté les témoignages précédents, que le système actuel ne fonctionne pas. Comment pouvons-nous modifier le Code criminel pour nous assurer que ces situations font l'objet d'une enquête et d'un suivi appropriés? Merci.
Je suis la présidente-directrice générale de la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada, qu'on appelle communément SOGC. Je suis obstétricienne-gynécologue. Je suis également professeure auxiliaire d'obstétrique et de gynécologie à l'Université d'Ottawa et à l'Université de Toronto. Auparavant, j'ai été chef de l'unité d'obstétrique-gynécologie et directrice de l'unité de santé des femmes du centre des sciences de la santé Sunnybrook; chef de la gynécologie pédiatrique à l'hôpital pour enfants; et doyenne des études de premier cycle à la faculté de médecine de l'Université McMaster. J'ai beaucoup d'années d'expérience.
Permettez-moi tout d'abord de dire que lorsqu'on m'a contactée pour la première fois au sujet de la stérilisation forcée, j'ai supposé que nous parlions d'une pratique très ancienne. J'ai été renversée d'apprendre que nous parlions de quelque chose d'actuel. J'ose espérer qu'à partir d'aujourd'hui, en fait, cela appartiendra à l'histoire.
Je dois dire également que je parlerai des femmes. Ce n'est pas parce que nous ne tenons pas compte des besoins de tous les gens, mais bien parce que la mission fondamentale de la SOGC, c'est l'avancement de la santé des femmes. Comme nous l'avons entendu abondamment aujourd'hui, je crois, il reste du travail à faire.
La SOGC est une société professionnelle qui représente des obstétriciens, des gynécologues, des médecins de famille, des infirmières et des sages-femmes — de nombreux professionnels. Elle défend le droit des femmes de recevoir des soins de qualité tout au long de leur vie sexuelle et reproductive, y compris, toujours, le droit de recevoir des soins sûrs respectueux et adaptés à la culture. Chaque année, plus de 380 000 enfants naissent au Canada. Dans chaque cas, nous croyons que les fournisseurs de soins sont extraordinairement bienveillants et professionnels et qu'ils sont conscients de la situation de vulnérabilité dans laquelle nous nous trouvons, les femmes, lorsque nous sommes enceintes et que nous sommes en travail; nous pouvons en parler. Nous guidons également les femmes tout au long de leur vie sur leurs besoins gynécologiques intimes. Ces besoins doivent toujours être satisfaits avec un professionnalisme et un respect sans compromis.
La SOGC promeut les soins de santé par l'éducation, la défense des droits, le leadership et la collaboration. Nous n'avons aucun pouvoir d'examen, d'autorisation ou de réglementation à l'égard des fournisseurs de soins de santé. Nous présentons des guides de pratique clinique — de 10 à 17 chaque année — qui sont fondés sur des recherches approfondies et qui sont élaborés dans le cadre d'une collaboration interprofessionnelle. J'attire votre attention sur le guide de 2013 sur la compétence culturelle, qui a été élaboré par notre comité sur la santé des femmes autochtones en consultation avec de nombreux groupes de femmes autochtones.
Cela fait partie de notre rôle éducatif important, qui consiste à offrir du perfectionnement professionnel à des membres qui ont le droit d'exercice, le tout fondé sur une philosophie qui respecte la santé sexuelle et génésique en tant que droit de la personne. Ces droits ont été bien décrits par les Nations unies. Le droit d'une personne de décider librement et avec discernement du nombre de leurs enfants et de l’espacement de leurs naissances, ainsi que de disposer des moyens et de l'information nécessaires pour ce faire, est un droit fondamental. Nous cherchons également à reconnaître et à corriger les inégalités en matière d'accès et de résultats auxquelles sont confrontées les femmes autochtones et les femmes vulnérables au Canada et dans le monde. C'est aussi dans l'appel à l'action no 19 du rapport de la Commission de vérité et réconciliation.
Je suis ici aujourd'hui pour parler des expériences de stérilisation présentées par des femmes autochtones et décrites dans le rapport Boyer et Bartlett. Je dois dire que dans toute intervention chirurgicale, la coercition n'a pas sa place. En tant que médecins, nous comprenons pleinement la primauté éthique de l'autonomie et, par conséquent, du consentement donné librement et en toute connaissance de cause, mais le consentement est influencé par le contexte. Je dois aborder certains de ces contextes et facteurs.
Premièrement, la barre du consentement éclairé est beaucoup plus élevée pour les personnes vulnérables et pour les interventions non urgentes que pour les situations où la vie d'une personne est en danger dans une salle d'urgence, par exemple, et particulièrement pour les situations irréversibles. Pour un choix aussi important que la stérilisation définitive, il est préférable de tenir ces discussions bien avant l'accouchement, pour des raisons que je peux expliquer. Il est toujours plus difficile d'obtenir un consentement éclairé lorsqu'une personne souffre, est en crise ou est loin de chez elle et de sa communauté. Le processus d'obtention du consentement est beaucoup plus complexe que la simple obtention d'une signature. Il s'agit d'une discussion réfléchie sur les risques et les avantages de l'intervention, mais aussi sur les solutions de rechange. Par exemple, un DIU hormonal offre une bien meilleure contraception que la stérilisation et est réversible, et une vasectomie comporte beaucoup moins de risque chirurgical qu'une stérilisation tubaire.
Il peut y avoir des circonstances qui mènent à une demande tardive. La Dre Bartlett a fait allusion au fait qu'un moratoire peut aussi être néfaste. Cependant, nous devons être conscients du fait que pour certaines d'entre elles, comme une complication mettant la vie en danger qui survient lors d'une grossesse subséquente, il se peut qu'on ne le sache que lors de l'accouchement, et c'est donc à ce moment que cette discussion a lieu. C'est un problème, et il faut être extrêmement prudent. Cela peut faire en sorte qu'on recommande fortement d'éviter des grossesses ultérieures. La communication est essentielle, mais c'est toujours à la femme de faire un choix éclairé. C'est à elle de décider si elle veut ou non une stérilisation et de comprendre les risques associés à l'un ou l'autre de ces choix. Il y a des risques, dans un cas où l'autre.
Pour aucune autre intervention, nous ne nous inquiétons autant du risque de regret que pour la stérilisation tubaire. Nous devons toujours nous soucier que la femme n'ait pas de raison de regretter par la suite. La capacité de porter un enfant est si fondamentale. La stérilisation tubaire est toujours considérée comme un choix permanent et irrévocable. Il existe différentes méthodes, et certaines d'entre elles sont potentiellement réversibles, mais elles comportent un risque de grossesse tubaire, ce qui peut être une complication mettant la vie en danger, surtout si l'on vit dans une communauté éloignée.
Le consentement repose fondamentalement sur une alliance thérapeutique entre la patiente et son fournisseur de soins de santé. Si cette relation thérapeutique n'existe pas, il est beaucoup plus difficile de s'assurer qu'il y a bel et bien consentement. Les circonstances qui minent la confiance, ce sont la perception de déséquilibre des pouvoirs et l'expérience du racisme et de l'isolement. Tous ces stress intersectionnels dont nous avons parlé peuvent faire en sorte qu'il est très difficile de s'assurer que le consentement a été donné librement. L'assentiment peut être là, la signature peut être là, mais il n'y a pas de véritable test du consentement. C'est l'un des problèmes.
En tant que médecin, on ne sait pas ce qui s'est passé avant. On ne sait pas si les conversations qui ont eu lieu ont pu influencer la décision. On ne connaît pas les traumatismes antérieurs qui ont pu mener à un consentement donné avec les facultés affaiblies. Si une femme est incarcérée, a-t-elle des enfants à charge? A-t-elle été menacée de perdre ses enfants? Y a-t-il d'autres pressions en jeu qu'elle pourrait ne pas divulguer? Est-elle aux prises avec des problèmes de dépendance? Est-elle victime de la traite des personnes? Toutes ces choses nous rendent vulnérables. Le contexte crucial peut ne pas être révélé par crainte ou en raison d'un sentiment d'impuissance ou de désespoir. Cela peut être difficile à déterminer dans les meilleures circonstances, mais si une personne est en situation de crise ou dans une situation critique, on ne le sait vraiment pas.
La sécurité et la littératie culturelles sont des compétences importantes qui, nous l'espérons, permettront d'améliorer les relations thérapeutiques. Nous savons bien que notre façon de communiquer est liée à la culture. Il ne s'agit pas seulement de la langue. Mille autres influences culturelles pour ce qui est de notre capacité à communiquer et à nous comprendre les uns les autres.
Nous appuyons les recommandations des appels à l'action no 23 et 24 de la Commission de vérité et réconciliation. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous avons publié notre guide en 2013. Nous pensons que c'est crucial. Nous croyons que la formation sur la sécurité culturelle actuellement offerte ne traite pas spécifiquement ou adéquatement des questions relatives à la santé des femmes. Il y a des besoins particuliers que cela soulève et qui doivent être mis de l'avant. Ils sont beaucoup plus complexes et ne font qu'ajouter des nuances à ce qui doit être enseigné.
Les décisions concernant la fertilité ou la stérilisation sont beaucoup plus complexes qu'une procédure technique relativement simple. J'ai vu des femmes refuser des traitements contre le cancer pour ne pas courir de risque concernant la possibilité d'avoir un enfant, et elles sont décédées en sachant qu'elles avaient pris la bonne décision même si, en fait, elles n'avaient jamais été capables de concevoir. La fertilité est quelque chose de très important pour les gens.
Bien que les cas qui ont été mis au jour concernent des femmes autochtones, nous croyons, à la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada ou SOGC, que ces facteurs entrent en jeu pour toutes les personnes, sans égard à leur identité. Dans toute relation, la confiance, la communication et la compréhension sont primordiales. Aucun médecin ne veut apprendre qu'un patient qu'il a traité de bonne foi a donné son consentement sous la contrainte. Nous travaillerons avec toutes les parties concernées — nous nous réjouissons de cette audience — pour nous assurer qu'un processus est en place pour protéger la liberté de choix en matière de reproduction dont toutes les femmes devraient jouir.
Nous appuyons les recommandations des appels à l'action 23 et 24 de la Commission de vérité et réconciliation d'offrir de la formation en matière de compétences culturelles, mais nous demandons en particulier des modules supplémentaires traitant des questions relatives à la santé des femmes. Nous croyons que toutes les options contraceptives doivent être pleinement accessibles à toutes les Canadiennes, sans obstacle. Nous savons que le coût est un obstacle pour bien des personnes. Cela va de l'éducation à l'accès gratuit. Nous savons que la contraception réversible à longue durée d'action est la méthode de contraception supérieure, mais nous n'avons pas encore d'implants au Canada qui sont faciles à insérer, à retirer et qui offrent une contraception efficace. Ils sont disponibles dans presque tous les autres pays. Ce ne sont pas toutes les femmes qui veulent un dispositif intra-utérin.
Enfin, une grossesse et un accouchement en santé sont au cœur d'une communauté en santé. La chose la plus importante que nous avons tous, c'est notre famille. Nous savons qu'une multitude de préjudices transgénérationnels peuvent être transmis pendant la grossesse et, inversement, être atténués par une grossesse en santé, et il y a tellement de preuves à ce sujet. Cela signifie une bonne nutrition, de l'air pur, de l'eau saine et des soins de santé appropriés dans une collectivité solidaire et bienveillante. Nous demandons au gouvernement du Canada d'aider vraiment à faire en sorte que chaque Canadien ait le meilleur départ possible dans la vie.
Merci.
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Merci, monsieur le président.
Je vous remercie de votre présence.
Madame Abbas, vous avez visé juste. Au cours des témoignages, l'un des mots de ma formation médicale, qui m'est venu à l'esprit, c'est « paternalisme ». Lorsque j'étais étudiant en médecine, j'entendais par hasard des conversations entre des praticiens ayant plus d'expérience. « Cette femme de 23 ans en est à sa huitième grossesse; je vais faire une césarienne. » « Pourquoi ne lui demandes-tu pas si elle veut une ligature quand tu fais cela? » La plupart du temps, il s'agissait de femmes autochtones, mais essentiellement, c'était des personnes pauvres. Encore une fois, les Autochtones sont surreprésentés parmi les personnes qui vivent dans la pauvreté.
Je crois que je connais la réponse à la question, mais si une femme est dans cette situation, qu'elle est sur le point de subir une césarienne et que le médecin lui dit qu'il est là de toute façon, qu'elle a déjà huit enfants et qu'il lui demande si elle veut subir une ligature des trompes, diriez-vous que c'est de la coercition?
Je vous vois hocher la tête, docteure Bartlett.
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Vous parlez de l'autorité réglementaire et des collèges provinciaux, dont je ne fais pas partie, mais j’ai abordé cette question avec la médecin en chef de notre Collège, l'Ordre des médecins et chirurgiens de l'Ontario.
Dès qu'une enquête approfondie a été menée et dès qu'elle révèle la possibilité qu’un cas relève du domaine criminel, les choses commencent à bouger. Malheureusement, nous avons de nombreux cas d'agression sexuelle et de violence sexuelle de ce type; il y a donc des précédents et ces gens ont beaucoup d'expérience dans ce domaine. La médecin en chef a dit qu'elle voulait entendre parler de ces cas, mais qu'on ne les lui signalait pas.
Vous parlez du signalement des cas, et c’est un gros problème, car en général, les patients ne veulent pas signaler leur cas. La documentation laisse croire que seulement 20 % des incidents liés à la sécurité d’un patient qui entraînent la mort, qui accroissent la morbidité ou qui prolongent le séjour à l'hôpital sont signalés.
Cette proportion est beaucoup plus élevée chez les patientes autochtones. Lorsque nous leur parlons, elles nous disent qu'elles craignent de signaler leur cas à cause des répercussions potentielles. Si elles font un signalement anonyme, l'établissement ne prendra aucune mesure, car c'est un signalement anonyme. Si elles produisent un rapport signé, elles deviennent soudainement des dénonciatrices dans un environnement hostile, etc.
Je crois qu'il est essentiel de déterminer à quoi ressemble un signalement fait en toute sécurité. Il s'agit peut-être d'avoir recours à une tierce partie qui n'a pas à divulguer tous les renseignements liés aux patients et son identité, et il s'agit idéalement d'une personne autochtone ou d’une personne qui comprend l’expérience des Autochtones. Ensuite, il faut mener une enquête plus approfondie. Je crois que le signalement de ces cas est un élément essentiel lorsque nous tenons compte de… Nous avons beaucoup d'expérience dans le milieu de la sécurité des patients et dans nos institutions de soins de santé.