:
Je constate que nous avons le quorum et je déclare donc la séance ouverte.
Soyez les bienvenus à la 19e réunion du Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes. Je vais vous rappeler quelques directives à suivre pour que les choses se passent bien. Les députés et les témoins peuvent avoir accès au service d'interprétation en activant la fonction de sélection au bas de l'écran dans la plateforme Zoom. Vous pouvez ainsi choisir entre l'anglais, le français et la diffusion du parquet sans interprétation. Ainsi, tout le monde pourra bien entendre nos délibérations.
Avant de prendre la parole, veuillez attendre que je vous l'accorde nommément. Comme vous êtes tous en vidéoconférence, assurez-vous d'activer votre microphone avant de commencer à parler. Veuillez le remettre en sourdine dès que vous avez terminé.
Je rappelle que les observations des membres du Comité et des témoins doivent être transmises via la présidence.
Notre greffier et moi-même ferons de notre mieux pour dresser une liste unique des intervenants pour tous les députés et les témoins.
Avant d'aller plus loin, il y a deux questions qu'il nous faut régler. Premièrement, j'aimerais obtenir l'approbation du Comité relativement au budget de fonctionnement dont vous avez tous reçu une copie hier. Ce budget se chiffre à 2 875 $. Il permettra de payer les dépenses associées à notre présente étude.
Est-ce que j'ai l'approbation de tout le monde?
Il semble bien que tout le monde soit d'accord. Très bien. Le budget est donc adopté.
Merci à tous.
Je veux par ailleurs vous rappeler que vous aviez jusqu'à aujourd'hui pour soumettre vos listes de témoins en prévision de notre étude à venir des répercussions de la pandémie sur le système judiciaire. Assurez-vous donc de transmettre cette liste à notre greffier ou à moi-même d'ici la fin de la journée. Je vous remercie.
Le moment est maintenant venu d'accueillir nos témoins. Nous recevons aujourd'hui les représentants de trois organisations. Nous souhaitons la bienvenue à Mmes Gaëlle Fedida et Maud Pontel de l'Alliance des maisons d'hébergement de 2e étape pour femmes et enfants victimes de violence conjugale, à Mme Mélanie Lemay et à M. Simon Lapierre qui représentent l'organisme Québec contre les violences sexuelles; et à Mme Megan Stephens du Fonds d'action et d'éducation juridiques pour les femmes.
Nous allons d'abord entendre Gaëlle Fedida et Maud Pontel.
Vous avez cinq minutes pour nous présenter vos observations préliminaires. À vous la parole.
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Bonjour, mon nom est Gaëlle Fedida et je suis avocate. Je travaille pour l'Alliance depuis cinq ans. Ma collègue, Maud Pontel, oeuvre depuis 20 ans dans le domaine de la violence familiale au Québec.
[Français]
L'Alliance des maisons d'hébergement de 2e étape pour femmes et enfants victimes de violence conjugale compte 26 membres au Québec.
On sait que 8 % des femmes qui sortent des refuges d'urgence auront besoin d'un hébergement en deuxième étape du fait de la dangerosité du conjoint. Juste au Québec, cela concerne environ 500 femmes par année, ainsi que leurs enfants, bien entendu.
À la suite d'un récent sondage d'autoévaluation, nous apprenions avec consternation que 88 % des répondantes, donc plus de 350 femmes, vivaient plusieurs formes de violence grave après une séparation, c'est-à-dire des actes criminels, concrètement. Au Québec, tous les 10 jours, une femme est victime de tentative de meurtre par son ex-partenaire.
Le coroner en chef du Québec a analysé 10 événements de violence conjugale ayant engendré la mort de 19 personnes. Dans son rapport, on apprend que huit de ces événements sont survenus après une séparation.
La violence conjugale, qui est définie dans la loi québécoise par le contrôle coercitif, ne cesse malheureusement pas après la séparation physique, bien au contraire. C'est pourquoi ce projet de loi est si important pour les victimes et toutes les personnes qui interviennent auprès d'elles.
Je cède la parole à ma collègue Mme Pontel.
Bonjour à tous.
La violence est multidimensionnelle et touche tous les aspects de la vie des femmes et des enfants qui en sont victimes, que ce soit sur le plan physique, psychologique ou émotionnel. Le fait de vivre constamment dans la peur et l'insécurité aura des répercussions plus grandes à long terme que des blessures physiques.
Récemment au Québec, il y a eu de nombreux rapports d'experts mettant en avant la nécessité absolue de mieux comprendre les enjeux entourant la violence conjugale. À l'heure actuelle, agir pour mieux accompagner les victimes et mieux encadrer les agresseurs représente donc une priorité gouvernementale.
C'est la raison pour laquelle il nous apparaît essentiel de mettre le contrôle coercitif à l'avant-plan dans le débat public et de le voir comme un acte criminel à part entière, et non plus uniquement comme un contexte à l'intérieur duquel seraient commis des actes répréhensibles aux yeux de la loi. Cela permettrait aux femmes et aux enfants qui vivent dans un tel contexte d'être reconnus par le système de justice comme des victimes ayant des droits inscrits dans la Charte canadienne des droits des victimes.
Quand les femmes arrivent en maison d'hébergement, elles sont souvent désorientées à la suite d'un épisode de violence, affolées d'avoir pris la fuite avec quelques effets personnels pour elles et leurs enfants, paniquées à l'idée d'être retracées par leur agresseur; elles sont souvent en état de choc. Il est donc fréquent qu'elles n'aient pas porté plainte à la police. La peur de représailles, la méconnaissance du système et la peur de ne pas être crues sont quelques-unes des raisons évoquées par les femmes.
Un rapport de nos consœurs de la Fédération des maisons d'hébergement pour femmes indiquait que seulement 19 % des quelque 3 000 femmes hébergées en 2018-2019 avaient porté plainte à la police. Pourtant, toutes ces femmes ont en commun d'avoir vécu sous le joug d'un agresseur, certaines pendant quelques mois et d'autres pendant plusieurs décennies.
Réaliser que l'on vit de la violence conjugale peut prendre du temps. On ne parle pas d'un épisode de violence au début de la relation, mais d'une dynamique insidieuse qui peut prendre du temps à s'établir. Dans certaines situations, la violence ne sera jamais physique. Il peut s'agir d'une multiplicité d'actes de contrôle et de manipulation, qui vont petit à petit isoler les femmes et les enfants, les enfermer psychologiquement et alimenter leur peur de représailles si la soumission n'est pas totale.
Nombreuses sont les femmes qui ont honte de parler, de dévoiler leur vécu, car, à leurs yeux, ce qu'elles vivent se rapproche de la folie. Souvent, quand les femmes parlent de leur histoire pour la première fois, elles craignent de ne pas être crues. Ainsi, le contexte entourant ces premiers dévoilements est primordial. Malheureusement, bien que l'on insiste sur la formation continue dans l'ensemble du système de justice, il arrive encore trop souvent que les femmes auprès de qui nous intervenons se heurtent à une incompréhension de leur vécu dans son ensemble, puisque l'approche privilégiée est celle basée sur des infractions reconnues dans le Code criminel canadien. Ne pas reconnaître le contrôle coercitif comme un acte criminel en soi, c'est minimiser la violence du contrôle qu'elles ont vécu et effacer leurs souffrances ainsi que celles de leurs enfants.
Notre contexte d'intervention en maison de deuxième étape nous permet de constater à quel point les techniques de contrôle de l'agresseur se diversifient afin de maintenir une emprise malgré un éloignement physique. Si ce contrôle n'est que partiellement reconnu par les autorités, alors nos actions pour soutenir ces femmes ne seront que partielles.
Intervenir auprès de femmes et d'enfants qui ont vécu de la violence n'est pas un travail anodin. Nous le faisons avec la volonté et le dessein de contribuer à améliorer la vie de personnes vulnérables. Nous préconisons l'intervention féministe, qui se base sur le potentiel de chaque femme de reprendre le pouvoir sur sa vie.
Alors que l'on veut que la violence soit reconnue, sans une intégration du contrôle coercitif dans le Code criminel canadien, encore une fois, cette reconnaissance ne sera que partielle.
Se libérer de la violence n'est pas une mince affaire. C'est d'autant plus difficile lorsque, de fait, l'ex-conjoint n'est reconnu que partiellement coupable de la violence qu'il a fait subir, ou même qu'il n'en est aucunement reconnu coupable, et que sa liberté d'être et d'agir est pleine et entière.
Tant que le contrôle coercitif ne sera pas reconnu comme une infraction, on parlera certes d'un contexte, mais aucunement des agressions vécues. La reconnaissance de l'agresseur ne pourra alors se faire ni sur la base du vécu de la victime ni sur la base des multiples traumatismes découlant de ces agressions et des effets dévastateurs sur sa vie.
Il est inacceptable qu'au Canada, en 2021, une femme qui fuit la violence de son partenaire puisse se faire dire par les autorités que son vécu ou son histoire ne sont pas des éléments suffisants pour porter plainte, alors que tous les éléments de contrôle et de domination sont présents.
Comme l'a mentionné Mme Carmen Gill dans son rapport de recherche présenté au Bureau de l'ombudsman fédéral des victimes d'actes criminels, nous avons bien conscience qu'il s'agit là d'un changement...
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Bonjour à vous, très chers élus.
C'est avec grand plaisir que je me présente devant vous.
Je m'appelle Mélanie Lemay. Je suis cofondatrice de Québec contre les violences sexuelles, mouvement que j'ai lancé en compagnie d'Ariane Litalien et de Kimberley Marin. Nous avons réussi à faire adopter une loi-cadre dans les cégeps et les universités partout au Québec.
Depuis la vague de #MoiAussi, nous nous impliquons énormément pour faire évoluer les consciences à propos de la violence sexuelle.
Compte tenu de nos nombreuses expériences, il nous apparaît évident qu'il faut améliorer à tout prix les outils accessibles aux victimes survivantes pour fuir la violence ou encore la dénoncer. Il est essentiel d'élargir les modèles. Bien que nous témoignions aujourd'hui en faveur de l'ajout de la notion de contrôle coercitif dans le Code criminel, il demeure que, dans son essence même, le droit pénal met trop souvent en échec notre vécu et notre réalité. Puisqu'il est centré essentiellement sur les droits des accusés, nous n'y jouons qu'un rôle de témoins. En nous dépossédant de nos histoires, le droit pénal reproduit des rapports de pouvoir déjà existants dans notre société.
Dans la position où je me trouve aujourd'hui, je salue votre courage et votre volonté de vous attarder à cette question difficile. Cependant, je vous invite à voir plus loin, à réfléchir à des façons d'innover, au-delà d'une boîte rigide qui nous enferme et nous contraint dans des cases qui ne cadrent pas avec nos réels besoins.
Cet été, nous avons organisé une marche à Montréal. Cet événement a encouragé plusieurs personnes à unir leurs voix pour demander des changements concrets. Il faut cesser la reproduction de la violence d'une génération à l'autre. Cette vérité fait largement consensus dans une société qui se dit égalitaire. Pourtant, dans les faits, nous avons été la cible de plusieurs groupes d'hommes violents qui voulaient nous faire taire en laissant planer la possibilité d'un attentat. Une voiture-bélier s'est effectivement présentée sur les lieux en menaçant d'attaquer la foule. Tout au long de la journée, nous avons dû faire face à des hommes venus nous crier leur hargne au visage, sous le regard amusé des policiers. Nous avions reçu des menaces en ligne, mais, comme elles ne se présentaient pas sous une forme reconnue dans le Code criminel, les policiers nous avaient abandonnés. Heureusement, nous avions pris sur nous et assuré notre propre sécurité, et il n'y a pas eu de drame cette journée-là, contrairement à d'autres événements dans le passé.
Toutefois, nous sommes restées marquées par l'indifférence de la société aux sacrifices personnels que nous faisons puisque nous devons continuellement plaider cette cause.
Aujourd'hui, c'est moi qui m'adresse à vous, mais des milliers d'autres l'ont fait hier et, si rien ne change, il y en aura tout autant demain. Je m'adresse donc à vous avec l'espoir sincère que ce sera le début d'un long dialogue sur les meilleures pratiques. Ici, en ces terres non cédées, les idées, les expertises et les propositions foisonnent et font rêver à l'international.
J'espère vous voir vous unir comme l'ont fait les différents partis politiques du Québec, qui ont su créer un comité transpartisan formé d'experts qui rapportent les réalités du terrain à la table où se prennent les décisions. De ce comité est né un rapport. J'ai d'ailleurs l'honneur d'être accompagnée de M. Simon Lapierre, professeur titulaire à l'École de service social de l'Université d'Ottawa, qui faisait partie de ce comité d'experts.
Cette capacité à s'unir et à voir au-delà de la partisanerie est un modèle et une force d'inspiration. Ce que nous, les survivantes de violence conjugale et sexuelle, souhaitons le plus sincèrement, c'est avoir un système axé sur nos droits et nos besoins, afin de développer un réel sentiment de justice exempt de victimisation.
Il y aurait même lieu de créer un tout nouveau domaine de droit axé sur les violences fondées sur le genre. En la matière, on pourrait s'inspirer des savoirs des premiers peuples et des communautés noires, qui réfléchissent depuis longtemps à ces enjeux. Ils possèdent des expertises qui mériteraient d'être entendues en ces murs. Cela créerait assurément un monde plus juste et équitable pour tous. En plus d'être adaptée aux réalités de notre genre, une telle forme de droit permettrait d'inclure les violences que subissent les communautés LGBTQ+.
Je cède la parole à mon collègue, qui reviendra au sujet principal à l'ordre du jour.
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Bonjour, tout le monde.
À la suite des nombreuses recherches réalisées au cours des 20 dernières années auprès des femmes et des enfants victimes de violence conjugale, il est maintenant évident que les auteurs de cette violence conjugale utilisent toutes sortes de stratégies pour maintenir leur contrôle sur les victimes et pour les priver de liberté. Malheureusement, à l'heure actuelle, plusieurs de ces stratégies utilisées communément par les auteurs de ces actes ne correspondent pas à des infractions aux termes du Code criminel. Ils demeurent donc impunis et privent ainsi les victimes des ressources, du soutien et de la protection dont elles auraient besoin et auxquels elles auraient droit.
La criminalisation du contrôle coercitif ou des conduites contrôlantes et coercitives permettrait donc, dans un premier temps, de valider davantage l'expérience des victimes de violence conjugale, qu'il s'agisse de femmes ou d'enfants. Cela donnerait aussi des outils supplémentaires aux policiers, aux procureurs et aux différents acteurs du système pour mieux protéger les victimes. En outre, je crois qu'une criminalisation des conduites contrôlantes et coercitives pourrait ouvrir la voie vers une meilleure formation des différents acteurs du système de justice pénale, vers des initiatives nouvelles en matière de prévention et d'intervention, et vers des changements dans le droit familial et la protection de l'enfance.
J'aimerais finalement porter votre attention sur trois éléments.
Tout d'abord, dans ce contexte, il semble extrêmement important de criminaliser les conduites contrôlantes et coercitives, et non pas des comportements isolés. Il s'agit bien ici de l'accumulation de comportements dans un contexte de privation de liberté.
De plus, il semble extrêmement important de s'assurer que ces infractions couvrent les événements de violence qui surviennent après une séparation et qu'elles s'appliquent même lorsque les conjoints n'habitent pas sous le même toit.
Finalement, j'aimerais attirer votre attention sur l'importance de bien considérer la situation des enfants dans un contexte de conduites contrôlantes et coercitives. Les enfants sont très souvent au cœur des stratégies utilisées par les auteurs de violence conjugale pour contrôler leur conjointe ou leur ex-conjointe et la priver de liberté. Les nombreuses recherches que nous avons réalisées auprès d'enfants vivant dans un contexte de violence conjugale ont démontré que leur expérience est marquée non seulement par une exposition à des incidents ou à des actes précis, mais encore plus par une exposition quotidienne à un climat de tension et de terreur causé par des conduites contrôlantes et coercitives. À ce sujet, je vous invite à envisager une approche semblable à celle adoptée en Écosse, par exemple, où les infractions en matière de conduites contrôlantes et coercitives sont considérées comme encore plus graves lorsqu'elles ciblent des enfants ou lorsque des enfants y sont exposés.
Je m’appelle Megan Stephens et je suis directrice générale par intérim et avocate générale pour le Fonds d’action et d’éducation juridiques pour les femmes (FAEJ). Je vous suis reconnaissante de me donner l’occasion de comparaître aujourd’hui depuis Tkaronto, au cœur du territoire établi suivant le concept du « bol à une seule cuillère », dans le cadre de votre étude sur les comportements coercitifs et contrôlants.
Depuis 36 ans, le FAEJ s’emploie à faire avancer les droits à l’égalité des femmes et des filles en misant sur les poursuites judiciaires, les réformes juridiques et la sensibilisation du public. Ce n’est pas d’hier que nous faisons valoir la nécessité d’améliorer le traitement judiciaire des cas de violence fondée sur le sexe et notamment de violence conjugale ou familiale.
Je tiens d’abord à vous remercier de prendre le temps d’étudier les comportements contrôlants et coercitifs. C’est une étude d’autant plus importante que la violence conjugale demeure au Canada un problème aussi insidieux qu’omniprésent.
Nous savons que le statu quo n’est pas acceptable. Au Canada, une femme sur trois est victime de violence familiale et d’autres formes de violence fondée sur le sexe. Les risques à cet égard sont encore plus grands pour les femmes devant composer avec plusieurs facteurs qui entravent leur droit à l’égalité. C’est le cas notamment des femmes autochtones, des femmes noires et membres des minorités raciales, des femmes handicapées et des migrantes.
Il y a une autre chose que nous avons observée. Parallèlement à la COVID-19 qui retient en grande partie l’attention de la planète depuis bientôt un an, il y a une pandémie qui fait rage dans l’ombre alors que des femmes en confinement se retrouvent seules avec un conjoint violent. Partout au pays, les travailleurs de première ligne dans les refuges et les maisons de transition ont noté une augmentation des cas de violence physique ainsi qu’une montée en flèche des signalements de contrôle coercitif par un conjoint.
Le contrôle coercitif est peut-être un concept relativement nouveau pour bon nombre d’entre vous, mais il est reconnu depuis longtemps par les fournisseurs de services directs et les universitaires comme un élément central de la violence conjugale. Bien que le contrôle coercitif puisse se définir de plusieurs manières différentes, il s’entend généralement d’un ensemble de manœuvres d’intimidation, d’avilissement et d’asservissement dont l’abuseur se sert pour instiller un climat de crainte et de menace dans la vie quotidienne de sa victime. Il est important de noter qu’il s’agit d’une pratique extrêmement sexiste qui vise souvent à maintenir ou élargir les privilèges dont jouit un conjoint de sexe masculin.
Je n’ai que des félicitations à vous faire pour cette étude, mais je tiens aussi à souligner à quel point il est important pour vous de procéder avec prudence. À mon sens, on ferait fausse route en s’empressant de criminaliser le contrôle coercitif sans avoir bien réfléchi aux conséquences non souhaitées que pourrait avoir cette criminalisation. Malgré toute la puissance symbolique pouvant être rattachée à un tel geste, nous avons malheureusement trop souvent dû constater que le système de justice pénale pouvait lui-même devenir une arme qui se retourne contre ces mêmes victimes qu’il cherche à protéger.
À mon humble avis, la criminalisation du contrôle coercitif que l’on propose ici entraînera d’importantes difficultés sur les plans opérationnel, policier et judiciaire qui devront être examinés soigneusement.
Du point de vue opérationnel, il ne sera pas chose facile d’intégrer au droit pénal le concept de contrôle coercitif tel qu’on le connaît dans les milieux cliniques et universitaires. Le concept englobe un large éventail d’agissements et a fait l’objet de multiples définitions — pas moins de 22 selon le décompte récent d’un chercheur. Si l’on veut criminaliser le contrôle coercitif, il faut définir clairement les éléments constitutifs de cette infraction en s’appuyant sur la terminologie et les formulations utilisées par ailleurs dans le droit pénal canadien. Si l’on se contente d’ajouter au Code criminel une nouvelle infraction trop complexe, on ne va pas aider les survivantes.
Je crains fort que le projet de loi , qui s’inspire largement de la loi britannique, soit inutilement complexe dans sa forme actuelle et nécessite certaines modifications.
Si vous parvenez effectivement à surmonter les obstacles opérationnels en créant une infraction pour le contrôle coercitif, il y a d’autres difficultés qui vous attendront. Il faudra s’assurer que les agents de police sont à même de comprendre et de détecter les signalements de contrôle coercitif. Il faudra absolument pour ce faire offrir une formation spécialisée aux policiers de tout le pays. Même avec une telle formation, l’expérience du Royaume-Uni semble indiquer qu’il demeure difficile pour de nombreux policiers de considérer que des accusations criminelles sont justifiées dans un cas de contrôle coercitif.
Il y a une autre difficulté encore plus importante du point de vue des services policiers. Ainsi, de nombreuses survivantes, surtout dans les communautés marginalisées ou vulnérables, se heurtent à des obstacles bien concrets, y compris la méfiance à l’égard des policiers, lorsque vient le temps de faire un signalement. Des efforts bien sentis s’imposent donc pour restaurer la confiance des survivantes envers la police et envers le système judiciaire d’une manière plus générale.
Enfin, j’ai travaillé pendant une dizaine d’années comme procureure de la Couronne avant de me joindre à cette organisation, une expérience qui m’amène à penser que les poursuites judiciaires seront particulièrement difficiles dans les cas de contrôle coercitif.
Je m’inquiète surtout des répercussions possibles de ces poursuites sur les plaignantes. Selon le libellé actuel, on est tenu d’établir la preuve qu’il était raisonnable de s’attendre à ce que les gestes posés par l’accusé aient un impact important sur la victime, en ce sens qu’il était objectivement raisonnable que lesdits gestes aient un tel impact. Il faut toutefois aussi démontrer qu’ils ont bel et bien eu un impact semblable, ce qui signifie que la plaignante est tenue de témoigner des effets qu’elle a ressentis des suites des comportements présumés.
Cela pourrait mener à la revictimisation des femmes lorsqu'elles doivent naviguer dans le système de justice pénale, témoigner de ce qu'elles ont vécu, voir leur crédibilité mise en doute et faire face à des demandes qui portent atteinte à leur vie privée, comme les demandes d'accès à leur dossier médical ou thérapeutique visant à mettre en doute le fait qu'elles subissent des répercussions et l'ampleur de celles-ci.
:
Je vous remercie, madame la présidente.
Je remercie les témoins.
Madame Stephens, vous avez souligné que l'ajout des comportements contrôlants et coercitifs dans le Code criminel pose des difficultés sur le plan opérationnel.
Vous avez parlé de l'expérience britannique. En Angleterre, cela fait six ans que cela a été ajouté dans la loi, mais peu d'accusations ont été portées et il n'y a pas eu beaucoup de déclarations de culpabilité, ce qui témoigne sans doute de certaines des difficultés d'ordre opérationnel que vous avez mentionnées.
M. Garrison a déposé un projet de loi, le projet de loi , auquel vous avez fait référence. Vous avez affirmé que cette mesure législative est inutilement complexe. Vous avez dit que des amendements pourraient y être apportés afin de l'améliorer.
Pourriez-vous nous dire quelles modifications pourraient être apportées à ce projet de loi pour l'améliorer ou êtes-vous d'avis que nous ne devrions pas aller de l'avant avec cette mesure législative?
:
Je pense qu'il est très important que vous vous penchiez là-dessus, car, comme je l'ai dit, le statu quo n'est pas acceptable. Ce n'est pas le genre de mesure, selon moi, qu'on doit mettre en œuvre sans un examen et une réflexion approfondie de certaines des difficultés sur les plans opérationnel, policier et judiciaire.
Je dois dire toutefois que le projet de loi , tel qu'il est rédigé actuellement, contient beaucoup de bons éléments. Il s'inspire largement de la loi britannique. Il traduit le contexte britannique et ne contient pas nécessairement le même vocabulaire que nous retrouvons dans le Code criminel canadien.
Ce qui est important en ce qui concerne la criminalisation, c'est qu'on se penche sur ces comportements dans un contexte plus large que celui des incidents isolés. À l'heure actuelle, dans le système de justice pénale, on intente des poursuites dans des cas d'incidents isolés et habituellement des incidents violents. Ce n'est pas vraiment caractéristique de la violence contre un partenaire intime ou de la violence familiale.
Il y a d'autres parties du Code criminel qui visent déjà des comportements adoptés pendant une certaine période et le contrôle exercé sur des personnes. Par exemple, en ce qui a trait au harcèlement criminel, on fait référence dans le libellé à des répercussions à répétition. Dans les dispositions visant la traite de personnes ou le proxénétisme, on parle d'exercer un contrôle ou une influence sur une personne.
Je pense qu'il est important qu'il s'agisse d'une loi canadienne qui sera comprise et appliquée dans le contexte canadien. Nous devons examiner ces autres infractions et réfléchir au fait que le libellé porte davantage sur un comportement adopté pendant un certain temps plutôt que sur un incident isolé. Nous devons penser à la façon dont ces comportements peuvent se manifester. Il est tout à fait logique de faire cette réflexion. J'ai parlé aussi des éléments de preuve objectifs qui devraient être exigés lors d'une poursuite.
Il sera difficile pour des gens qui ne subissent pas ce genre de comportements de comprendre et d'accepter que ces comportements ont des répercussions considérables sur une personne si on ne leur offre pas la formation et l'éducation nécessaires. Ce sera essentiel pour tous ceux qui œuvrent au sein du système de justice. Ce sera nécessaire pour les policiers, afin qu'ils comprennent les signalements et ce qu'entraîne un comportement adopté pendant une certaine période. Ce sera nécessaire également pour les procureurs, afin qu'ils comprennent qu'il existe une probabilité raisonnable de condamnation. Les juges devront le comprendre également. On voit dans le discours public que ce n'est pas nécessairement compris de façon générale. Il sera difficile de mettre cela en œuvre si on ne fournit pas les connaissances et la formation nécessaires.
Je pense qu'il faut prendre ces éléments en considération et se demander dans quelle mesure l'exigence de demander à la plaignante d'affirmer que ces comportements ont eu des répercussions considérables contribuera à revictimiser les témoins, les plaignantes, au cours du processus dans le système de justice pénale. Nous l'avons vu trop souvent dans le contexte de poursuites pour agression sexuelle. Je pense que c'est un véritable risque dans ce cas-ci également.
:
Je vous remercie, madame la présidente.
[Français]
Je remercie tous les témoins.
[Traduction]
Madame Stephens, je vais poser ma question en français, si vous le voulez bien.
[Français]
Vos propos sont vraiment très intéressants.
Je tiens à ce que vous sachiez que je suis tout à fait favorable à la protection des droits des victimes de violence. Je me pose toutefois des questions sur la nécessité de criminaliser les comportements contrôlants ou coercitifs, étant donné que l'article 810 du Code criminel, par exemple, couvre déjà plusieurs comportements.
Croyez-vous que cela pourrait créer un sentiment de fausse sécurité, puisque certaines personnes n'iront pas devant la cour, pour toutes les raisons que Mme Lemay a énumérées?
Par ailleurs, on pourrait faire de l'éducation et de la formation auprès des policiers et des divers intervenants.
Peut-être qu'on peut trouver une autre solution.
:
Tout d'abord, permettez-moi de dire que je ne suis pas certaine que l'article 810 sur l'engagement de ne pas troubler l'ordre public est efficace... Il ne constitue pas une solution de rechange. Les travailleurs de première ligne dans les refuges — et je tiens à dire que le FAEJ n'est pas un refuge pour femmes — vous diront que l'article 810 sur l'engagement de ne pas troubler l'ordre public n'est pas utile du tout et qu'il y a vraiment une lacune à combler.
Il y a d'autres infractions dans le Code criminel qui pourraient englober ce type de comportements. Je pense au harcèlement criminel et à la profération de menaces. Cependant, on n'y a pas recours. Je sais qu'il est difficile de prouver des accusations de harcèlement criminel dans le meilleur des cas, et il serait particulièrement difficile de le faire dans le contexte d'une relation entre des personnes habitant ensemble. Il en va de même dans le cas de la profération de menaces. Il y a aussi des difficultés à cet égard.
Je crois qu'il est important de réfléchir... et je suis ravie de voir que cela figure au programme. Je suis heureuse de voir qu'on en discute, mais je vous incite à la prudence, à ne pas aller trop rapidement et à ne pas précipiter les choses. Il y a une puissance symbolique dans... et je le reconnais.
Je dois mentionner que des travaux sont en cours. Comme vous le savez, le ministère des Femmes et de l'Égalité des genres travaille à l'élaboration d'un plan d'action national pour mettre fin à la violence contre les femmes et à la violence fondée sur le sexe. Le présent sujet à l'étude cadre bien, à mon avis, avec ce travail... la réflexion sur le fait que le système de justice pénale peut constituer une solution efficace et utile. Il faut aussi écouter les survivantes, particulièrement celles issues des communautés vulnérables. Vous devez les écouter pour savoir si la solution proposée est celle dont elles ont besoin et si elles estiment qu'elle sera efficace.
Nous savons que des communautés un peu partout au pays s'inquiètent de la capacité des services de police de répondre à leurs besoins, alors, ajouter une autre infraction au Code criminel n'est peut-être pas la bonne solution. Je ne crois pas que l'article 810 constitue une solution de rechange valable, mais il existe peut-être d'autres options qui doivent être envisagées.
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En fait, j'aimerais préciser que c'est effectivement l'intention politique qui nous intéresse ici. Je vous supplierais d'entendre l'impératif politique et le message politique que des nouvelles mesures législatives de ce genre pourraient aussi véhiculer.
Bien sûr, comme on le dit depuis des années, il faut mieux former les policiers, les juges et tout l'appareil judiciaire à propos de cette question, tout comme à propos d'autres sujets.
Pour nous, ces nouvelles mesures législatives complètent vraiment l'arsenal juridique. Il reste des détails techniques à peaufiner, et nous sommes bien d'accord là-dessus. Or, l'essentiel pour nous est qu'on vienne enfin combler la lacune qu'il y a dans la loi.
Comme Mme Stephens l'a très bien expliqué, le Code criminel prévoit actuellement certaines infractions qui pourraient faire l'objet d'accusations, mais on n'y a pas bien recours. Or, ce n'est pas parce qu'on fait mal les choses qu'on ne peut pas penser à la façon de les améliorer.
Voilà l'intérêt de la chose, pour nous. De concert avec des experts juridiques, il faut prendre le temps de regarder les tenants et les aboutissants de la question et de voir ce qui s'est fait ailleurs. En effet, cela s'est fait ailleurs. Cela existe. Nous pensons vraiment que cela constituerait un complément important, comme un outil de travail, y compris pour les policiers.
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Je ne veux pas vous bousculer, mais nous avons peu de temps. Je vous remercie.
Madame Fedida, je vous voyais réagir à cette question. J'aimerais que vous me disiez, en quelques secondes, si vous êtes favorable ou non à la création d'un tribunal spécialisé en matière de violence conjugale.
J'aimerais surtout que, à titre d'avocate, vous me donniez votre opinion sur une autre question. En effet, à la lumière de votre témoignage, je comprends que vous êtes avocate. Si des mesures particulières sont adoptées pour sanctionner les comportements contrôlants et coercitifs, ne sera-t-il pas difficile de faire la preuve de ces comportements? On parle ici de comportements répétitifs, de l'intention de l'agresseur de nuire et de l'effet que cela aurait sur la victime. La difficulté de faire la preuve ne viendra-t-elle pas miner un peu le processus?
Voilà mes deux questions. J'aimerais que vous répondiez rapidement à la question sur un éventuel tribunal spécialisé à Québec et, ensuite, à celle sur la difficulté qu'on rencontrerait lorsqu'il s'agirait de prouver des comportements contrôlants et coercitifs.
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Je vous remercie beaucoup, madame la présidente.
Je remercie tous les témoins pour leur présence aujourd'hui dans le cadre de cette étude très importante.
J'ai écouté attentivement les cinq témoins. Je pense que quatre témoins sont d'avis que nous devrions ajouter une infraction concernant les comportements contrôlants et coercitifs au Code criminel et qu'un autre témoin était aussi de cet avis, mais cette personne avait des réserves.
Je vais m'adresser d'abord à Mme Stephens, et j'aimerais poser la même question à tous les autres témoins. Je crois que les membres du Comité de la justice savent bien que les femmes victimes de violence sont confrontées souvent à des difficultés au sein du système de poursuite et de l'appareil judiciaire qui contribuent à la revictimisation et à des menaces provenant de ceux qui leur ont déjà causé du tort.
Est-ce que la situation serait différente dans le cas d'une infraction pour des comportements coercitifs et contrôlants par rapport à ces autres infractions où les femmes sont déjà confrontées à des difficultés dans le système de justice et à des problèmes avec les services de police?
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C'est une question difficile. Est-ce que la situation serait différente?
Le système en soi est très problématique, particulièrement dans le contexte des relations conjugales et de la violence contre un partenaire intime.
Demander à des témoins de dénoncer et de témoigner concernant des incidents qui se sont produits dans le contexte de leur relation n'est jamais facile, même s'il s'agit d'un incident ponctuel. Demander à des personnes de dénoncer et de parler d'un comportement coercitif et contrôlant qui a des répercussions sur leur vie ne sera pas facile non plus.
Il y aura tout un processus pour amener ces femmes à comprendre ces comportements et à les voir pour ce qu'ils sont. Il est possible qu'elles prennent du temps pour dénoncer ces comportements.
Il y a un risque, comme je l'ai souligné, en raison des éléments objectifs et subjectifs. Il peut certes se révéler difficile pour des plaignantes de décrire la mesure dans laquelle ces comportements ont eu des répercussions sur elles. Elles peuvent trouver cela difficile si elles sont issues de communautés vulnérables où elles sont confrontées à des stéréotypes racistes ou à d'autres stéréotypes discriminatoires qu'elles doivent surmonter pour faire comprendre la situation de façon objective.
Ce risque existe également dans le contexte des poursuites pour agression sexuelle, notamment. On peut demander l'accès à des dossiers qui peuvent être leurs dossiers personnels, par exemple leur dossier thérapeutique ou médical, afin d'affaiblir leur témoignage quant à la mesure dans laquelle ces comportements ont des répercussions sur elles.
Je ne pense pas que la situation sera nécessairement différente. Ces problèmes vont demeurer.
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Je vous remercie beaucoup, madame la présidente.
Je vous promets d'être bref, mais je veux quand même m'adresser à trois personnes. Je vais faire très vite.
Madame Stephens, je vous remercie d'avoir parlé de la traite de personnes. Je suis très heureux que vous l'ayez fait. Ma circonscription se trouve juste à côté du tunnel et du pont Detroit-Windsor. Elle est malheureusement un lieu pour la traite de personnes.
Mademoiselle Lemay, j'avais une question pour vous. Je ne vais pas la poser, mais je tiens à vous dire que vous avez utilisé un mot qui a attiré mon attention. Il s'agit du mot « innovation ». Nous devons penser à faire preuve d'innovation dans l'avenir.
Monsieur Lapierre, je sais qu'on vous a interrompu à deux reprises, alors, pendant le temps de parole que la présidente vous accordera, j'aimerais bien vous entendre parler un peu de la mesure dans laquelle ces comportements ont des répercussions sur les enfants.
Merci, madame la présidente.
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Je vous remercie tous beaucoup. Nous avons eu droit à une discussion captivante.
J'ai un commentaire à formuler et une question à poser, madame la présidente.
J'aimerais d'abord dire que la lettre que Mme Illingworth a adressée au portait sur la création d'un groupe de travail composé d'experts chargés d'examiner de plus près la création d'une infraction. D'après ce que j'ai entendu aujourd'hui, je crois comprendre qu'il y a un certain consensus et qu'il faudrait la participation de groupes de victimes et de femmes et non seulement d'intervenants au sein du système judiciaire.
Je tiens aussi à souhaiter un joyeux anniversaire en retard à Mme Stephens, que je connais personnellement. Mes questions s'adressent à elle.
Madame Stephens, j'ai en fait une double question. Pouvez-vous nous parler des comportements coercitifs et contrôlants dans le contexte de ce qu'on observe relativement aux messages textes, comme l'a souligné Mme Fedida, ainsi que des choses comme le contrôle exercé en ligne?
Deuxièmement, pourriez-vous nous parler de l'utilisation d'armes à feu — qu'il s'agisse d'armes légales ou illégales — par des hommes qui ont un comportement coercitif et contrôlant envers des femmes?
Merci.
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Merci, madame la présidente.
Monsieur Lapierre, j'aimerais que vous nous parliez davantage de la situation des enfants. Je comprends, d'après votre témoignage, qu'ils ne sont pas seulement témoins des actes de violence, mais qu'ils en sont également victimes. Vous nous avez donné l'exemple d'une mère victime de comportements contrôlants et coercitifs qui ne serait pas en mesure de s'occuper de ses enfants aussi bien qu'elle le voudrait. Dans ces situations, ni le père ni la mère, peu importe qui est la victime et qui est l'agresseur, ne sont en mesure d'offrir à leurs enfants une éducation qu'on pourrait qualifier de normale ou adéquate.
Voici la question que je me pose. Ne devrait-on pas travailler davantage en amont, c'est-à-dire éduquer et former les gens pour éviter que de telles choses se produisent, plutôt que d'ajouter une infraction criminelle?
Je tiens encore une fois à préciser que je ne suis pas contre cette idée. Je veux simplement que nous regardions les possibilités à l'extérieur du système traditionnel, comme le proposait Mme Lemay tout à l'heure. Ne vise-t-on pas la mauvaise cible? Ne devrait-on pas plutôt travailler en amont pour aider les enfants, les victimes et les agresseurs?
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Je tiens à souhaiter la bienvenue à tous les témoins.
Lorsque vous prenez la parole, veuillez vous assurer que votre microphone n'est pas en sourdine. Quand vous aurez terminé de parler, veuillez le mettre en sourdine. Vous devez toujours vous exprimer par l'entremise de la présidence. Je vais essayer de bien respecter la liste des intervenants.
J'aimerais présenter les témoins. Nous accueillons Kamal Dhillon, auteure, qui comparaît à titre personnel. Nous recevons également Megan Walker, du London Abused Women's Centre, ainsi que Julie Matthews, de la Sussex Vale Transition House. Elles feront toutes un exposé.
Chacune d'entre vous disposera de cinq minutes pour sa déclaration liminaire.
La parole est d'abord à Mme Dhillon. Allez-y.
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Madame la présidente, je vous remercie de votre aimable invitation à prendre la parole.
Aujourd'hui, j'utiliserai « elle » pour parler de la victime, et « lui » pour parler de l'agresseur.
Je me demande combien de fois nous avons entendu les paroles suivantes: « Si c'était si grave, pourquoi n'êtes-vous pas simplement partie? » Aujourd'hui, j'estime nécessaire de raconter mon histoire afin de faire tomber les murs du secret et de la honte qui perpétuent les actes de violence. En raison des tabous culturels, on explique rarement en quoi consiste la violence familiale, et ce sont les victimes qui, injustement, en portent l'odieux. J'espère que si les gens ont une meilleure compréhension du problème, ils ne demanderont pas à la victime pourquoi elle n'est pas partie, mais qu'ils demanderont plutôt à l'agresseur pourquoi il l'a violentée et de rendre des comptes.
Je vous invite à m'accompagner dans le récit que je vais vous raconter. Vous ressentirez parfois de la douleur. Vous éprouverez parfois de la colère. Je veux vous montrer la peur que l'agresseur sème chez sa victime. Je veux vous décrire les détails horribles de ce que j'ai vécu depuis le jour où j'ai été mariée à un homme prétendument respectable, chaleureux et charmant. J'ai été soumise à des sévices émotionnels, physiques et sexuels presque quotidiennement. Il a tenté de me tuer à de nombreuses reprises. En raison des coups et de la rage de mon mari, j'ai dû subir 10 opérations majeures à la mâchoire et je vis aujourd'hui avec une mâchoire artificielle et une douleur atroce constante. Je n'ai plus aucun nerf dans le visage.
J'ai été victime de violence familiale. J'ai été brutalement torturée pendant plus de 12 ans. Cela n'est pas arrivé dans un pays du tiers monde. C'est arrivé ici même, au Canada. En fait, c'est arrivé à Vancouver. Mon mariage a été arrangé. Les actes de violence ont commencé quelques heures à peine après mon mariage. Pour la première fois de ma vie, quelqu'un m'a demandé si j'avais été violée. Oui, j'ai été violée brutalement pendant ma nuit de noces. À partir de ce jour, mon agresseur a semé la peur en moi. L'inaction des membres de ma famille et des témoins lui a donné du pouvoir. Le système qui aurait dû me protéger semblait le protéger lui.
Les coups étaient impitoyables. Je souffrais sans cesse. Il me donnait des coups de pied, me battait et me frappait jusqu'à ce qu'il soit fatigué. Les sévices émotionnels, psychologiques et sexuels étaient constants. Il était si charmant à l'extérieur, trompant même les médecins, les professionnels, la police et la communauté. Il m'a pendu par mon sari. Il m'a aspergée de kérosène. Il a essayé sans succès de me pousser dans un océan. Il espérait que tout cela ressemblerait à un suicide. Il m'a même forcée à boire du poison.
En racontant mon histoire, en particulier le récit inimaginable des viols et des sévices, de la violence basée soi-disant sur l'« (le dés)honneur », de la dépression, des tentatives de meurtre, et des pressions constantes pour me pousser au suicide, j'espère faire savoir aux autres victimes qu'elles ne sont pas seules dans leur souffrance. Je veux leur donner le courage d'en parler et de mettre fin au cycle de la violence. J'espère sincèrement qu'en décrivant les nombreuses formes de violence que j'ai subies, et en parlant du traumatisme des survivants, je pourrai également montrer comment j'ai réussi à gérer la douleur et les souvenirs et comment j'ai trouvé la force de continuer à avancer.
Mes quatre enfants étaient si terrifiés par lui qu'ils ont fait un lit secret et ont essayé de se cacher en dessous. Ils se couvraient la tête avec des oreillers afin de ne pas voir les actes de violence.
Il y a tant d'agresseurs qui vivent parmi nous, cachés à la vue de tous, jamais dénoncés publiquement malgré les multiples sévices qu'ils ont fait subir à leurs victimes pendant des décennies. Si les victimes gardent le silence, c'est sans doute parce que notre système est malade.
Sans le savoir, mon mari et sa famille, tout aussi violente que lui, m'ont offert une tribune très publique. Aujourd'hui, je peux parler au nom des victimes qui ne peuvent pas s'exprimer, qui sont prisonnières de la peur et de la violence. Aujourd'hui, j'ai une voix plus forte, qui changera les idées fausses sur la violence familiale.
Être une survivante demande beaucoup de courage. Je vous dévoile mon histoire, mais je refuse d'être définie par la violence que j'ai laissée derrière moi. Cette violence n'est pas qui je suis. Je me suis battue pour trouver les moyens de résister, de survivre, de me rétablir, de combattre les étiquettes culturelles et de m'épanouir.
Nous continuons à voir les victimes se heurter constamment à un mur. La punition infligée à l'agresseur n'est pas proportionnelle au crime. La violence familiale est toujours considérée comme une affaire privée. La plupart du temps, nous cherchons des preuves de violence. Qu'en est-il de la violence qui ne laisse aucun signe visible?
Si une victime...
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Avant de commencer, j'aimerais saluer la force et le courage incroyables qu'il faut aux survivantes pour dénoncer la violence et parler de leurs expériences. Je vous remercie de le faire aujourd'hui. Nous devrions toujours être à l'écoute des survivantes.
Je tiens à remercier M. Garrison d'avoir proposé cette étude, car elle nous donne l'occasion d'élargir la portée de ce qui se trouve actuellement dans la loi.
En 2020, le London Abused Women's Centre a fourni des services à 8 177 femmes et filles. De ce nombre, 6 701 étaient violentées par un partenaire intime, et 1 300 étaient victimes de la traite des personnes et également violentées par leur trafiquant et acheteur de sexe.
En 1998, une enquête du coroner a été ouverte sur le meurtre d'Arlene May par son ex-partenaire, Randy Iles, qui s'est suicidé après le meurtre. Dans ses observations d'ouverture, le jury a déclaré ce qui se traduirait en français ainsi:
Les mythes liés à la violence familiale doivent être dissipés. La violence familiale est une infraction criminelle et ne doit jamais être considérée comme une « affaire privée ».
Le jury a également mentionné:
Les affaires de violence familiale sont différentes des autres affaires criminelles. Bien souvent, l'accusé et la victime ne se rencontrent plus habituellement par la suite. Dans les cas de violence familiale, toutefois, l'accusé doit souvent avoir des contacts avec la victime en raison des questions liées aux biens, à la pension alimentaire et aux enfants. Le système de justice pénale devra être modifié pour traiter efficacement ces différences.
C'était en 1998, et nous continuons à demander que le système de justice pénale soit modifié.
Nous savons que les actes de la violence familiale sont souvent des infractions criminelles. Toutefois, le Code criminel du Canada ne prévoit pas d'infraction portant précisément sur la violence familiale. Au lieu de cela, les crimes qui y sont liés sont répartis dans au moins 35 articles différents du Code criminel. Il est donc difficile de les relier au modèle de comportement d'un agresseur qui veut avoir le contrôle sur sa partenaire et la maintenir sous son emprise.
La criminalisation du contrôle ou de la conduite coercitive est assurément un outil de plus, mais encore une fois, il sera inutile si on en fait un article distinct dans le Code criminel. Si le contrôle coercitif n'est pas compris comme un modèle de comportement utilisé par les agresseurs, il sera difficile à appliquer.
Je travaille à mettre fin à la violence des hommes contre les femmes depuis plus de 25 ans, et j'ai pu constater à quel point la multitude d'articles séparés dans le Code criminel prête à confusion. Les tribunaux réduisent régulièrement les multiples accusations portées contre les hommes violents à une seule accusation, généralement celle de voies de fait. Cette accusation est ensuite souvent retirée en échange d'un engagement de ne pas troubler l'ordre public.
Lorsque les accusations sont retirées, les femmes et leurs enfants courent toujours un risque grave d'être torturés et violentés encore davantage, ou assassinés. Les hommes utilisent le retrait des accusations pour présenter les femmes comme des menteuses, tout en se présentant comme irréprochables. L'absence de conséquences pour les agresseurs qui ont commis des crimes contre leurs partenaires intimes envoie un message clair aux victimes: l'aide ne viendra pas.
Les affaires de violence familiale sont différentes des autres affaires criminelles. Les lois actuelles au Canada, en vertu desquelles les auteurs sont inculpés, ne sont tout simplement pas adaptées pour répondre à la dynamique particulière présente dans les cas de violence familiale. En 2016-2017, nous avons travaillé avec l'ancienne députée Irene Mathyssen dont le bureau a collaboré à la rédaction de dispositions législatives portant précisément sur la violence familiale dans le cadre d'un projet de loi d'initiative parlementaire. Malheureusement, le projet de loi est mort au Feuilleton lors du déclenchement des élections.
Le London Abused Women's Centre recommande au Comité d'élargir son étude afin d'inclure les modifications à apporter au Code criminel pour ériger la violence familiale en infraction. Il recommande en outre que le Comité demande l'autorisation d'examiner le processus confidentiel de Mme Mathyssen à cette fin.
Pour être clair, et pour finir, la modification que vous proposez, monsieur Garrison, est nécessaire. Toutefois, LAWC propose qu'elle soit incluse dans un article d'un texte législatif beaucoup plus vaste, un texte législatif dont nous avons grand besoin, un projet de loi portant expressément sur la violence familiale.
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Bonjour, et merci de me donner l'occasion de prendre la parole devant un comité très important comme le vôtre.
Je m'appelle Julie Matthews et je suis la directrice générale de la Sussex Vale Transition House, un refuge d'urgence pour les femmes fuyant la violence familiale dans une région rurale du Nouveau-Brunswick.
Il est encourageant pour moi, en tant que travailleuse dans le domaine de la violence familiale, de voir cette motion ajouter dans le Code criminel les comportements contrôlants ou coercitifs dans les relations intimes. La violence familiale est un crime insidieux et dangereux, parfois mortel, qui touche des gens dans toutes nos communautés, peu importe leur sexe, leur âge, leur orientation sexuelle, leur race, leur origine ethnique, leur religion, leur statut social ou leur statut d'immigrant.
La violence familiale prend de nombreuses formes: elle peut être physique, émotionnelle, économique, spirituelle et sexuelle. Il peut aussi s'agir de harcèlement, avec ou sans menace.
Les comportements contrôlants ou coercitifs peuvent inclure des menaces de préjudice à l'encontre de la victime, des enfants de la victime, des animaux de compagnie — y compris les gros animaux de ferme — et des autres membres de la famille, ainsi que des menaces de suicide si la victime quitte la maison ou n'agit pas comme le souhaite l'agresseur ou refuse de se conformer à ses exigences.
Le fait que l'agresseur possède ou garde des armes à feu dans la maison augmente non seulement le risque d'homicide, mais ces armes peuvent aussi être utilisées comme des outils psychologiques pour exercer un contrôle ou une contrainte simplement par leur présence. Cette situation est sans doute plus probable dans les zones rurales étant donné le nombre élevé de chasseurs au sein de la population.
D'autres exemples sont le contrôle des revenus ou des comptes bancaires, ou le vol des revenus de la victime, l'envoi continu de communications non désirées et la pratique forcée ou interdite de la religion.
En 2020, près de 25 % de nos clientes ont déclaré avoir subi de la violence physique ou sexuelle, tandis que plus de 75 % ont déclaré avoir subi de la violence émotionnelle, psychologique ou financière, soit toutes des formes de violence qui relèvent d'un comportement contrôlant ou coercitif. Ces résultats sont très similaires à nos statistiques de 2019.
Nous savons que la pandémie a entraîné une forte augmentation de la demande de services, mais si on compare les statistiques de 2019 à celles de 2020, on constate une diminution des appels de soutien et du nombre total de jours de soins fournis. Le seul service qui a connu une augmentation est celui où l'on aide les clientes à remplir un ordre d'intervention d'urgence.
Il arrive parfois aussi que les victimes vivant dans les régions rurales aient un accès limité au transport. Si une victime n'est pas autorisée à avoir un permis de conduire, par exemple, ou si elle n'a pas accès à une voiture, il est extrêmement difficile pour elle de quitter le domicile par ses propres moyens lorsqu'elle habite à l'extérieur de la ville.
Le fait d'être obligé de rester en isolement à la maison avec un partenaire violent augmente énormément la difficulté et le danger pour elle de tenter d'obtenir une aide quelconque, étant donné que l'agresseur surveille les appareils, tels que les téléphones ou les ordinateurs, et qu'il ne permet pas à la victime de quitter le domicile. Ce problème peut être amplifié par le manque d'accès à Internet dans nombre de nos collectivités rurales.
De plus, quand une victime vit dans une région rurale où tout le monde se connaît, il est difficile pour elle de trouver un endroit sûr où l'agresseur ne peut pas la trouver. Qui plus est, un logement sûr n'est que la première étape pour une personne fuyant la violence familiale. Pour sortir de cette situation, elle doit reprendre confiance en elle afin de pouvoir être indépendante financièrement, trouver un logement permanent — ce qui peut être difficile dans des circonstances idéales, alors on imagine ce que cela peut être dans une situation difficile de ce genre — et repartir à zéro, tout en sachant que le partenaire violent peut vivre et travailler dans la même ville qu'elle. Ce n'est que le début pour elle.
En ajoutant le comportement contrôlant ou coercitif au Code criminel, on pourrait réduire considérablement les souffrances de centaines de milliers de victimes de violence familiale. Selon un spécialiste du domaine bien connu, Lundy Bancroft, le désir de changement chez les agresseurs ayant un comportement contrôlant est toujours extrinsèque et est rarement automotivé. En outre, il note que si le système juridique ne tient pas l'agresseur responsable de ses actes, il commettrait des infractions plus graves en se disant que la loi n'est que du vent.
Ce projet de loi pourrait entraîner des conséquences réelles pour les délinquants, ce qui, espérons-le, améliorerait et modifierait leur comportement. Il pourrait donner à la police et aux agents de la GRC les outils nécessaires pour intervenir plus efficacement et permettre aux victimes de violence de demander de l'aide en sachant que cette aide peut être réellement apportée.
Je vous remercie.
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Merci, madame la présidente.
Je remercie sincèrement nos témoins. Vos témoignages sont puissants et émouvants, et nous vous sommes reconnaissants de votre contribution à notre étude.
J'aimerais avoir des précisions de Julie Matthews, directrice générale de la Sussex Vale Transition House, au sujet d'éléments mentionnés dans sa déclaration liminaire. Sussex se trouve dans ma circonscription, celle de Fundy Royal. Vous avez parlé de différents problèmes. Le Canada est un pays grand et diversifié qui abrite des communautés urbaines et rurales. Comme je représente une région rurale, j'aimerais que vous nous en disiez davantage sur les éléments auxquels nous devrions être tout particulièrement attentifs dans ces régions quand il est question de violence familiale.
Un élément qui m'a frappé dans ce que vous avez dit et que nous n'avions pas encore entendu dans notre étude, c'est l'idée que tout le monde se connaît, et c'est tellement vrai dans les villages et les petites villes. Tout le monde connaît tout le monde.
Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet? Je vous remercie de tout le travail que vous faites au sein de notre communauté.
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Oui, merci. Je peux répondre à votre question avec plaisir.
Monsieur Moore, vous savez à quel point notre ville est petite, alors il peut être difficile, par exemple, de simplement appeler un service de taxi. Nous en avons un ou deux dans notre ville et il est arrivé qu'une de nos clientes connaisse le chauffeur de taxi qui connaît l'agresseur qui... On peut difficilement se déplacer au sein de la communauté sans que quelqu'un nous voie et communique avec d'autres personnes. C'est le cas quand on se rend au travail ou offre des services de garde. C'est relativement facile pour quelqu'un de vous trouver. On constate que beaucoup de gens qui habitent dans notre communauté ne souhaitent pas y rester parfois pour cette raison. Toutefois, c'est là où se trouve le soutien. Si c'est là où votre famille se trouve, vous ne voulez pas vous en éloigner, alors c'est vraiment un dilemme de déterminer quelle sera la meilleure solution et la plus sûre pour une personne qui veut prendre un nouveau départ ou, à tout le moins, trouver un endroit sûr pour vivre avec ses enfants, etc.
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Nous savons que le foyer d'une femme est l'endroit le plus dangereux pour elle, qu'une femme sur trois est maltraitée dans ce pays et que tous les six jours, une femme est assassinée par son partenaire. C'est de la vie des femmes dont il est question. Oui, elles sont actuellement isolées dans leur foyer, où elles sont exposées aux tactiques continues et implacables qu'utilise leur partenaire pour continuer à les contrôler. Dans certains cas, cela peut signifier qu'il tue des animaux dans la maison. Parfois, cela peut signifier qu'il les tue elles.
Nous devons comprendre qu'il s'agit d'une crise dans ce pays. C'est une crise mondiale. M. Garrison nous a ouvert les portes afin de nous permettre de faire quelque chose de vraiment significatif pour sauver la vie des femmes. C'est pourquoi nous devons reconnaître que la violence masculine à l'égard des femmes est une pandémie. Nous devons nous assurer que nous disposons de lois appropriées, appelées « lois sur la violence conjugale » ou portant un autre nom qui montre ce qui se passe réellement dans la vie de ces femmes, et auxquelles on ajoute tous les articles pertinents.
Je ne pense pas que les gens comprennent vraiment que nous ne parlons pas d'hommes qui sont hors de contrôle. Nous parlons d'agresseurs qui sont très contrôlés. Ils ne se contentent pas d'exploser soudainement et d'agresser le commis de l'épicerie. Ils attendent d'être chez eux. Ils attendent et utilisent les tactiques de pouvoir et de contrôle pour s'assurer que les femmes sont des biens et qu'elles sont là pour obéir. S'ils perdent le contrôle qu'ils exercent sur elles parce qu'elles n'obéissent pas, ils changent de tactique. En fin de compte, ces femmes risquent d'être assassinées.
Pendant ce temps — c'est ce qui se passe en ce moment même pendant la pandémie de COVID —, des enfants scolarisés à la maison sont exposés chaque jour à ce niveau élevé de violence dans leur foyer. Leur angoisse atteint des sommets. C'est une période très difficile dans la vie des femmes et des enfants.
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Je vous remercie, madame la présidente.
Bonjour à mes collègues.
Merci beaucoup aux témoins pour votre présence aujourd'hui, vos remarques liminaires, le travail que vous accomplissez et le militantisme dont vous faites preuve chaque jour. Je suis vraiment honoré d'être ici aujourd'hui.
J'adresserai la plupart, sinon la totalité, de mes questions à une concitoyenne des Maritimes, Mme Matthews. Comme vous le savez, madame Matthews, au plus fort de la première vague de cette pandémie et après un incident tragique dans ma province natale, la Nouvelle-Écosse, notre gouvernement a mis en place une interdiction des armes à feu. Pourriez-vous nous dire comment cette interdiction profitera aux personnes avec lesquelles vous travaillez? Je pense à l'utilisation des armes à feu pour contraindre, par exemple. Je vous remercie.
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Nous aurions vraiment besoin de beaucoup plus de financement, honnêtement. Sans vouloir tout réduire au financement, j'ai vraiment l'impression que nous sommes grandement sous-financés. Devoir payer notre personnel 13 $ de l'heure, c'est... Je suis en situation critique en ce moment juste pour trouver du personnel pour gérer notre établissement, donc nous cherchons à obtenir un complément de financement. Un financement accru nous permettrait de former correctement notre personnel et d'offrir nos installations et nos services.
Dans les Maritimes, les villes sont généralement petites de toute façon. Nous avons quelques grandes villes. Cependant, nous constatons ici, dans ma région, que les ressources que nous pouvons offrir sont limitées, comme les services de santé mentale. Les délais d'attente du tribunal de la famille sont longs. Si le gouvernement pouvait faire quelque chose pour accélérer la procédure, même, pour les femmes qui attendent d'être entendues par le tribunal de la famille... Elles peuvent attendre trois mois pour avoir accès à des services.
Les ordonnances d'intervention d'urgence ont été un merveilleux ajout. Cependant, nous avons constaté que, depuis l'entrée en vigueur de ces ordonnances, les agents chargés du dossier ne semblent pas toujours comprendre l'importance des dangers auxquels les femmes sont exposées, et leur refusent toute forme de... Il est arrivé que les agents jugent qu'elles se trouvent en lieu sûr et n'ont pas besoin qu'on leur accorde une autre sorte d'ordonnance ou de protection parce qu'elles sont venues séjourner dans la maison de transition. Cette situation a été terriblement frustrante, difficile et décourageante pour les femmes qui perçoivent, une fois de plus, qu'il n'y a vraiment aucune aide pour elles. Elles se sentent d'autant plus piégées et en danger, de sorte qu'elles ne sont pas motivées à demander à nouveau de l'aide.
C'est ce que je dirais à ce sujet. J'espère que cela répond à votre question.
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Merci, madame la présidente.
Ma question s'adresse à Mme Dhillon. J'ai été touché par son témoignage. Je pense qu'elle a vécu des choses assez atroces. En l'écoutant parler, j'essayais d'imaginer que c'était ma sœur, ma mère ou ma fille qui racontait cela. Je trouvais cela très troublant.
Effectivement, le but du projet de loi , proposé par M. Garrison, est qu'on puisse accuser les agresseurs de ces différents comportements. Cependant, comme je l'ai souvent dit depuis le début de l'étude sur cette question, certaines dispositions du Code criminel considèrent déjà comme des infractions le harcèlement, la violence, les menaces et tout cela. Cela dit, je comprends bien le fait que la violence conjugale s'exerce dans un contexte particulier.
Pendant que je vous écoutais, madame Dhillon, une question m'est venue à l'esprit. Je cherchais à savoir non pas comment on aurait pu punir l'agresseur, mais plutôt comment on aurait pu empêcher que cela se produise.
Compte tenu de votre expérience, avez-vous des choses à nous dire sur ce qui peut être fait pour qu'une situation comme celle que vous avez vécue ne se reproduise plus jamais? Est-ce que cela passe par l'éducation et la formation des intervenants et des policiers? Est-ce qu'il devrait y avoir des visites hebdomadaires ou mensuelles de gens qui s'occupent de ce genre de questions?
Comment peut-on détecter un éventuel problème? Comment pourrais-je déterminer, en observant mes amis et mes fréquentations, qu'un individu est possiblement contrôlant et violent envers sa conjointe? Comment peut-on le savoir avant que cela n'arrive? Comment peut-on intervenir pour que cela ne se produise pas?
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Merci pour vos questions. J'ai des tonnes de choses à analyser. La première chose est que chaque victime veut être crue. S'il y a un doute... Quand les policiers sont venus me voir pour la première fois, ils m'ont posé des questions du genre: « Qu'avez-vous fait? Qu'est-ce qui s'est passé? Comment l'avez-vous provoqué? » Au lieu de poser ces questions, ils auraient dû me croire.
Une des choses que j'ai dites, c'est que parfois il n'y a pas de signe. Il n'y a aucun signe physique qui prouvera que j'ai été frappée. Si c'est ce qu'ils recherchent, ils ont raté la cible. Lors d'un incident, mon mari a braqué une arme sur ma tête. Son geste n'a laissé aucune marque, mais il m'a fait craindre de ne pas survivre la prochaine fois qu'il pointerait son arme vers ma tête.
Votre question couvre un grand nombre de points. Je vais essayer de me souvenir d'y répondre.
Nous faisons aussi de la sensibilisation. Grâce à mon histoire, à mes livres et à mes propres expériences en tant qu'assistante sociale, je ne me contente pas de partager mon expérience, mais... je m'intéresse à la façon dont nous écoutons les personnes maltraitées et nous identifions les agresseurs. Les agresseurs ne sont pas des personnes qui portent un écriteau disant « Je vais abuser ». Comme on l'a déjà mentionné, ce sont des gens vraiment charmants et très gentils. Ils attendent que vous entriez dans la pièce.
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Merci beaucoup, madame la présidente.
Je tiens à remercier les témoins d'être venus aujourd'hui, en particulier vous, madame Dhillon. Il faut un courage incroyable pour venir ici et raconter une histoire comme la vôtre. Nous ne tiendrions pas ces audiences si les femmes victimes de violence sexuelle ne s'exprimaient pas et ne s'étaient pas exprimées au fil des ans.
Je tiens également à remercier les deux représentantes des fournisseurs de services de première ligne, car vos organisations, avec des ressources incroyablement limitées, ont contribué à amplifier ces voix et à faire en sorte qu'elles soient entendues.
Mon but dans cette étude est de m'assurer non seulement que nous entendons et écoutons les voix, mais aussi que nous agissons.
Je vais poser à Mme Walker une question en quelque sorte provocante. Je sais qu'elle n'y verra pas d'inconvénient.
Vous avez parlé d'une disposition sur la violence conjugale dans le Code criminel, ce qui constitue une mesure importante qui, selon moi, prendrait un certain temps à élaborer et à mettre en œuvre. Y a-t-il un danger à mettre de côté l'ajout du comportement coercitif et contrôlant au Code criminel en attendant quelque chose de plus important? En d'autres termes, la perfection est-elle l'ennemi d'un bon outil dans ce cas?
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Je pense que c'est l'inverse. Je pense que si nous ne prenons pas le temps d'investir dans la modification du Code criminel, ce qui n'est en fait pas si difficile... Vous commencez avec un code intitulé « mettre fin à la violence masculine envers les femmes » ou tout autre code de votre choix, vous passez au crible les 35 articles et plus qui s'y rapportent, et vous y ajoutez exactement ce que vous demandez: le contrôle coercitif.
Vous, en particulier, monsieur Garrison, pourrez y accéder par l'intermédiaire d'Irene Mathyssen. Elle a rédigé un projet de loi absolument extraordinaire, que nous avons diffusé à grande échelle et qui a reçu un soutien total.
Ce n'est pas difficile à faire. La difficulté que nous rencontrons actuellement pour ajouter le contrôle coercitif est que les articles de la loi en vigueur ne sont pas appliqués, et lorsqu'ils le sont, ou que quelqu'un est accusé, on se fie à la victime pour témoigner afin d'obtenir une condamnation.
Nous devons nous éloigner de ce modèle. Nous devons également éviter que les tribunaux nous disent: « Écoutez, nous avons tellement d'affaires ici que nous allons réduire la vôtre à une seule infraction, alors plaidez coupable, obtenez un engagement de ne pas troubler l'ordre public et partez ».
Le danger pour moi est d'interrompre ce qui doit être fait, c'est-à-dire une approche juridique inclusive.
Merci à vous tous d’être là aujourd’hui. Comme nous le savons, ce sujet est très délicat. Je l’ai constaté pendant mes nombreuses années en droit de la famille où ces situations, dont nous commençons à peine à entendre parler, se sont produites.
J’ai plaidé dans beaucoup de dossiers où l’on ne tenait absolument pas compte de l’impact sur les enfants, comme s’il n’y en avait pas, ce qui est faux, comme nous le savons.
Aussi, pour répondre en partie aux questions de certains de mes collègues, je dirais simplement que les comportements violents sont progressifs. Souvent, l’harmonie règne au début, mais l’idée de la violence se résume à piéger l’autre personne. Donc, on constate beaucoup de renforcement partiel et une intensification de la violence au fil du temps. Elle ne se produit habituellement pas d’emblée, comme ce qui est arrivé à Mme Dhillon, ce qui pourrait en partie être attribuable à son mariage, qui était arrangé, et à son jeune âge.
Madame Dhillon, je suis heureuse de vous revoir. Vous êtes courageuse. J’ai lu vos deux livres, Black and Blue Sari et I Am Kamal, et je les recommande à tous ceux qui sont présents. C’est une lecture qui donne froid dans le dos, mais importante pour comprendre exactement ce qui se passe.
Madame Dhillon, dans votre premier livre, vous décrivez votre expérience d’une violence atroce, violence dont vous avez donné des exemples aujourd’hui. Je sais que vous avez subi beaucoup de chirurgies reconstructives, entre autres, afin de vous sentir un peu plus forte physiquement. J’ai remarqué, dans votre livre, que vous avez été poussée à croire que ce qui vous était arrivé ne s’était pas vraiment produit. Bref, vous étiez également sous une emprise psychologique, où on vous laissait croire que vous entendiez des voix ou que vous étiez la source du problème, que vous étiez mentalement malade et ainsi de suite. Pourriez-vous nous parler, surtout en ce qui a trait à cette violence psychologique, de l’incidence qu’ont eu sur vous tant la violence verbale que physique, de même que de la peur qu’elle suscitait chez vous?
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Heureuse de vous voir, madame Findlay.
La situation que j’ai décrite s’est produite dans le cabinet d’un médecin, où le médecin et mon mari étaient concernés. Le docteur croyait tout ce que mon mari lui racontait, car il s’exprimait plus que moi. Mon silence était perçu comme la volonté de cacher quelque chose ou de ne pas dire la vérité. Pour eux, mon silence indiquait ma culpabilité.
Je ne connaissais pas l’expression « lavage de cerveau » à l’époque, mais c’était exactement cela. Il me disait que si je l’aimais, je devais le lui dire. Si j’aimais les enfants, je devais faire ceci. J’en suis venue à un point où les seuls mots que j’entendais étaient les siens, car personne d’autre n’intervenait. J’ai commencé à croire que je ne valais rien pour lui, pour tout le monde autour de moi, pour Dieu. Il me disait que je n’étais absolument bonne à rien. Beaucoup de victimes entendent ces paroles: « bonne à rien ». C’est le but de mes conférences: démasquer ces étiquettes et dire aux victimes de les troquer contre de nouvelles, parce qu’elles en valent la peine.
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Merci, madame la présidente.
Merci à tous les témoins. Vous nous avez tous fourni des renseignements d’une importance capitale, qu’il s’agisse de Mmes Walker et Matthews sur leur travail quotidien pour aider les femmes, ou de Mme Dhillon, dont l’histoire que j’ai entendue à maintes reprises déjà continue de me glacer le sang. C’est une histoire tout à fait déchirante.
Madame Matthews, estimez-vous qu’une législation qui éviterait aux femmes d’endurer la violence, qui établirait que les comportements contrôlants et coercitifs constituent un crime, pourrait prévenir la violence de sorte que des femmes se retrouvant dans des situations de violence à l’avenir puissent se prévaloir de telles dispositions? Croyez-vous que ce serait une législation utile?
Madame Dhillon, dans votre situation, la violence a manifestement commencé sur-le-champ. Le comportement n’a pas pris un tel temps... comme vous l’avez dit.
Vous l’avez probablement étudié à fond dans votre travail social, mais croyez-vous que, pour beaucoup de femmes, il s’agit d’une législation préventive, de sorte qu’elles n’aient pas à subir ces degrés plus élevés de violence quand un comportement coercitif peut être cerné rapidement?
Nous devons faire davantage de sensibilisation. La sensibilisation doit être continue, je dirais à l’école. Tout ce que j’ai appris, je l’ai appris à la maternelle, voire dans des foyers. Voilà l’une des choses que l’on entend.
Je pense à nos lieux de culte, à nos temples et à nos églises. Ce sont des endroits qui peuvent aussi donner des ateliers du genre. Les personnes qui arrivent avec un certain état d’esprit et leurs valeurs culturelles doivent être sensibilisées aux lois. Quand ils élèvent leurs garçons et leurs filles de façon différente, nous sommes en mesure de leur montrer la façon adéquate d’élever des enfants, de leur montrer ce qu’est le respect. Le respect commence à la maison.
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Merci, madame la présidente.
Je reviens à Mme Dhillon, si vous le permettez.
Mme Matthews disait que le projet de loi serait comme un outil supplémentaire pour lutter contre la violence conjugale. Cependant, des infractions criminelles sont déjà prévues.
Par exemple, dans votre témoignage, vous parliez du fait que vous avez été menacée par votre conjoint à l'aide d'une arme. Vous compreniez que, si quoi que ce soit se reproduisait, vous pourriez mourir. Vous avez été frappée et kidnappée par votre conjoint, qui ne vous laissait pas sortir de la maison. En soi, ce sont tous déjà des actes criminels. Les voies de fait, la violence, les menaces et le kidnapping sont déjà des infractions inscrites dans le Code criminel.
Comment croyez-vous que la création d'une autre infraction correspondant à la violence conjugale pourrait changer quelque chose?
En quoi cela aurait-il pu changer votre situation, si un article du Code criminel avait dit que la violence conjugale était interdite? La situation ne se serait-elle pas quand même produite de la même façon?
[Français]
Je comprends. Je m'excuse de vous bousculer, madame Dhillon. Encore une fois, je ne veux pas être impoli, mais il ne me reste que 30 secondes.
Selon vous, qu'est-ce qui fait que votre conjoint était un homme violent? J'imagine que vous conviendrez que tous les hommes ne sont pas violents. Je l'espère, en tout cas. Pour ma part, je ne pense pas l'être. Qu'est-ce qui fait qu'un homme comme votre conjoint a eu ce comportement avec vous? Avez-vous une idée? Êtes-vous capable de mettre le doigt sur la raison pour laquelle il était ainsi?
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Merci, monsieur Fortin.
[Traduction]
C'est la fin de cette série de questions. Merci beaucoup aux témoins. J'apprécie sincèrement l'honnêteté, la candeur et la passion de vos témoignages.
Madame Dhillon, je vous remercie infiniment d'avoir partagé votre histoire. Tout le monde avait la larme à l'œil en écoutant l'incidence de tout cela sur vous et ce que vous avez affronté. Merci beaucoup. Je l'apprécie beaucoup.
Très rapidement, je dois traiter d'un point avec les membres avant de lever la séance.
Distingués membres, puisque nous sommes sur le point de conclure cette étude et d'en entamer une autre, je souhaite simplement vous aviser que le 23 février, après avoir entendu tous les témoins de cette séance, nous allons rédiger les directives des membres du Comité à l'intention des analystes pour ce rapport.
Au cours de la deuxième heure, nous allons commencer notre rapport sur les impacts de la pandémie de COVID-19 sur le système de justice. Nous allons poursuivre nos discussions sur certaines des difficultés que nous éprouvons.
J'aimerais rappeler à tous les membres que votre liste de témoins pour l'étude sur les impacts de la pandémie de COVID-19 sur le système de justice doit être soumise d'ici la fin de la journée, comme je l'ai dit au cours des dernières séances, afin de leur donner un préavis suffisant avant leur présence aux séances du Comité.
Sur ce, je remercie tous les membres pour une séance rondement menée ainsi que tous les témoins pour l'ensemble de leur contribution. Merci beaucoup.
La séance est levée.