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Je déclare la séance ouverte.
Bienvenue à la septième réunion du Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes. Nous étudions le projet de loi .
D’abord et avant tout, je crois savoir que M. Manly, du Parti vert, a demandé à se joindre à notre réunion d’aujourd’hui.
Monsieur le greffier, M. Manly est-il avec nous en ce moment?
Pour permettre à M. Manly de se joindre à nous, il faut un consentement unanime du Comité. Veuillez lever le pouce si vous êtes d'accord avec cela.
Allez-y, monsieur le greffier, laissez-le entrer. Je vous remercie.
Pour assurer le bon déroulement de la réunion, permettez-moi de vous présenter ces quelques règles. Les membres du Comité et les témoins peuvent s’exprimer dans la langue officielle de leur choix. Des services d’interprétation sont à votre disposition. Pour répondre à vos besoins particuliers en la matière, vous pouvez choisir au bas de votre écran entre le parquet, le français ou l'anglais.
Je rappelle aux membres du Comité et aux témoins que toutes leurs interventions doivent se faire par l'intermédiaire de la présidence. Lorsque vous prenez la parole, veuillez attendre que je vous aie nommé. Assurez-vous alors d'avoir désactivé le mode discrétion pour votre micro et efforcez-vous de parler lentement et clairement pour faciliter l’interprétation. Lorsque vous ne parlez pas, votre micro doit être mis en mode discrétion.
En ce qui concerne l'ordre des intervenants, le greffier et moi-même ferons de notre mieux pour tenir une liste consolidée pour tous les membres. J’ai des cartons pour vous informer à l'avance du temps qu'il vous reste pour vos observations et vos questions. J’en ai un pour signaler qu'il reste une minute et un autre pour signaler qu'il reste 30 secondes.
M. Manly a également demandé s’il pouvait avoir un peu de temps pour poser des questions. Je demande s’il y a consentement unanime du Comité pour lui accorder à cette fin deux minutes et demie lors du premier groupe d'experts et deux minutes et demie lors du second. Vous pouvez indiquer votre position à ce sujet en me montrant un pouce vers le haut ou un pouce vers le bas, selon que vous soyez d'accord ou non.
Nous n’avons pas de consentement unanime, mais sachez que les membres qui le souhaitent peuvent partager leur temps de parole avec M. Manly. Sa visite au Comité et sa participation à nos travaux sont les bienvenues.
J’aimerais maintenant souhaiter la bienvenue à nos témoins. Nous avons devant nous, à titre personnel, la Dre Jennifer Gibson, directrice et chaire Financière Sun Life en bioéthique, University of Toronto Joint Centre for Bioethics. Nous accueillons également le Dr Alain Naud, médecin de famille et professeur clinique au Département de médecine familiale et de médecine d’urgence de l’Université Laval. Nous avons aussi l’honorable André Rochon, juge à la retraite de la Cour d’appel du Québec, et M. David Roberge, de l’Association du Barreau canadien.
Chaque témoin dispose de cinq minutes pour livrer sa déclaration liminaire. C'est Mme Jennifer Gibson que nous entendrons en premier.
Madame Gison, allez-y. Vous avez cinq minutes.
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Merci beaucoup de m'avoir invitée à me joindre à vous aujourd’hui. Comme on l'a dit, je suis affiliée à l’Université de Toronto, mais en 2015, j’ai coprésidé le Groupe consultatif provincial-territorial d'experts sur l'aide médicale à mourir. En 2017-2018, j’ai été coprésidente du Comité d’experts sur l’aide médicale à mourir du Conseil des académies canadiennes, et présidente du groupe de travail sur les demandes anticipées d'aide médicale à mourir. Je comparais aujourd'hui à titre personnel et je m'appuie pour ce faire sur l'expérience que j'ai acquise grâce aux rôles que je viens de nommer et sur ma feuille de route en matière d’éthique et de politique de santé.
J’ai eu le privilège de comparaître devant ce comité au printemps 2016 dans le cadre du projet de loi . Au cours des dernières semaines, j’ai réfléchi à l’ampleur des changements survenus depuis quatre ans et demi et à la mesure dans laquelle nous sommes mieux préparés pour envisager avec une certaine confiance des modifications au cadre législatif de l'aide médicale à mourir au Canada. En 2016, nous n’avions pas d’expérience canadienne dont nous pouvions tirer parti et nous nous sommes appuyés sur celle d’autres pays. Nous n’avions pas encore les systèmes et les processus de soins nécessaires pour offrir le programme d'aide médicale à mourir aux personnes admissibles et nous devions les mettre en place. Nous ignorions l'effet concret qu'allait avoir cette nouvelle aide médicale à mourir sur les Canadiens. Cela allait-il se substituer aux soins palliatifs? Les gens allaient-ils devenir plus vulnérables plutôt que le contraire?
Avec les cinq ans ou presque d’expérience que nous avons aujourd'hui, nous avons appris que l'aide médicale à mourir peut être prodiguée en toute sécurité et avec compassion. Nous pouvons nous appuyer sur des preuves toutes canadiennes. Nous pouvons tabler sur l’expérience vécue des familles, soignants et cliniciens canadiens pour étoffer cette pratique. Nous avons entendu des groupes communautaires et des particuliers nous expliquer comment et dans quelle mesure l'aide médicale à mourir s’inscrit dans un continuum de soins destiné aux personnes qui souffrent.
Le projet de loi visait à définir un cadre législatif avec entre autres des critères d’admissibilité et des mesures de sauvegarde procédurales. Or, ce qui était recherché en fin de compte, c'était de répondre dans toute la mesure du possible aux souffrances des Canadiens tout en établissant un équilibre entre l’autonomie des personnes faisant appel au programme, d’une part, et les intérêts de la société et des personnes vulnérables ayant besoin de protection, d’autre part. Ce projet visant à trouver le juste équilibre entre ces engagements fondés sur des valeurs se poursuit aujourd’hui.
Bon nombre des observations formulées par les témoins et les organismes qui ont comparu devant ce comité ont attiré l’attention sur la pertinence et la justesse des principales mesures de sauvegarde, tant celles qui sont prévues dans le cadre législatif actuel que celles qui sont envisagées aux termes du projet de loi . Les mesures de sauvegarde actuelles, telles que le délai de réflexion de 10 jours et l’exigence du consentement final, ont été enchâssées pour veiller à ce que seuls les Canadiens qui le souhaitent reçoivent effectivement l'aide médicale à mourir, ainsi que pour protéger et promouvoir l'autonomie des patients.
L’expérience des quatre dernières années et demie a montré que l’effet des mesures de sauvegarde n’a peut-être pas été celui que l'on avait prévu. D’une part, des cliniciens nous ont parlé de certains patients qui ont renoncé aux médicaments antidouleur et enduré des souffrances évitables dans le but de maintenir leur capacité à donner leur consentement final. D’autre part, nous avons également appris des cliniciens, des familles et des soignants que la plupart des personnes qui sollicitent une aide médicale à mourir ne sont pas ambivalentes quant à leur choix. Selon les mots d’un membre du public qui m’a envoyé un courriel en décembre 2015 et qui était confronté à une maladie limitant la durée de vie, « aucun patient ne prendra une telle décision et ne demandera cette aide à la légère ». Par conséquent, la suppression des 10 jours francs et du consentement final semblait être un pas dans la bonne direction vers un nouvel équilibre approprié pour protéger les Canadiens déjà jugés admissibles au programme d'aide médicale à mourir.
Il y a peu de doutes sur l’importance des mesures visant à protéger les personnes vulnérables qui, selon le préambule original du projet de loi , pourraient être incitées à se donner la mort dans un moment de faiblesse. Une leçon que nous pouvons tirer de notre expérience des quatre dernières années et demie, c'est qu'au moment d'élaborer les mesures de sauvegarde, nous devons être particulièrement attentifs aux répercussions qu'elles peuvent avoir, nonobstant leur intention de protéger. Nous devons nous méfier tout particulièrement de mesures de sauvegarde raisonnablement susceptibles de rendre certaines personnes plus vulnérables. La protection des personnes vulnérables est axée sur la préservation de leur compétence, de leur volonté et de leur pouvoir de consentement. L’exclusion de personnes autrement compétentes peut être justifiée dans des circonstances limitées et à condition qu'il y ait de solides arguments à faire valoir du point de vue de la justice. Cependant, à défaut de cela, ces exclusions violent l’autonomie des personnes compétentes visées et obligent injustement ces dernières à rester dans un état de souffrance persistant et intolérable.
Pour ces raisons, nous pouvons nous demander si le délai de réflexion de 90 jours sera véritablement une protection ou si, au contraire, il contribuera à perpétuer la souffrance des personnes déjà reconnues comme étant admissibles à l'aide médicale à mourir.
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Merci beaucoup, madame la présidente.
Je tiens d'abord à remercier le Comité de son invitation à venir partager mon expérience avec ses membres.
Je suis médecin de famille et médecin en soins palliatifs depuis 35 ans. Je suis également professeur clinique titulaire. J'ai aussi agi comme expert médical en aide médicale à mourir et aux soins palliatifs lors du procès de Mme Gladu et de M. Truchon.
J'ai une expérience personnelle d'accompagnement de plus d'une centaine de malades qui ont reçu l'aide médicale à mourir, et de leurs proches. Après cinq ans d'expériences concrètes au Québec et pratiquement autant ailleurs au Canada, je pense qu'il est important d'ancrer nos réflexions et nos décisions dans la réalité du terrain ainsi que d'écouter les témoignages des malades, de leurs proches et des soignants impliqués.
Je vais vous présenter quelques constats.
L'aide médicale à mourir est un soin de compassion qui est prodigué par toute une équipe. Le choix pour une personne d'y recourir n'est jamais impulsif, mais plutôt l'aboutissement d'une longue réflexion ayant duré des semaines, des mois et parfois des années, ancrée dans la chair et les souffrances. Pour s'en rendre compte, il faut avoir rencontré ces malades, les avoir accompagnés, ainsi que leurs proches, et avoir été avec eux jusqu'au bout.
Il n'y a aucune opposition entre les soins palliatifs et l'aide médicale à mourir. Ce sont des options légitimes et légales de fin de vie qui sont interreliées et se complètent mutuellement. Dans toutes nos unités de soins palliatifs, l'aide médicale à mourir est parfaitement intégrée comme un choix possible et une option.
Depuis cinq ans au Québec, l'aide médicale à mourir, ou AMM, est administrée de façon très rigoureuse et en tout respect des droits. Les dérapages qui ont été observés l'ont tous été dans l'obstruction par certains soignants et certains établissements à un accès légitime à l'AMM. C'est là qu'on retrouve les véritables malades vulnérables qui ne sont pas protégés. Au Québec, cela touche 33 % des demandes, un malade sur trois.
Voici les éléments du projet de loi qui doivent être conservés. Ce dernier comporte des améliorations majeures qui sont importantes pour les malades. La première amélioration est le besoin d'un seul témoin à la signature, qui peut être un soignant. La deuxième est l'abrogation de la période d'attente obligatoire de 10 jours qui, pour la plupart des malades, n'était que de la pure cruauté. La troisième amélioration est la possibilité de renoncer à l'avance à l'obligation d'être encore apte au moment de la procédure.
Voici maintenant les éléments du projet de loi qui doivent être modifiés. L'expression « mort naturelle raisonnablement prévisible » est le plus grand écueil de ce projet de loi pour plusieurs raisons que j'aborde dans le document que vous avez déjà reçu. Cette expression ne répond à aucun concept ni aucune définition médicale. Elle n'existe dans aucun manuel de médecine. Pourtant, ce sont les médecins qui ont la responsabilité d'évaluer l'admissibilité des malades.
Le fait de retirer cette expression des critères d'admissibilité pour en faire une mesure de sauvegarde ne lui donne pas plus de sens ni de définition médicale normalisée reconnue. Le maintien de cette expression continuera de faire porter sur les épaules des médecins évaluateurs le poids intolérable et inacceptable de l'interprétation d'un critère qui n'a aucune signification médicale et pour lequel il n'y aura jamais de consensus. On devrait retirer cette expression. Les autres mesures sont largement suffisantes pour assurer la protection des malades vulnérables.
Si le législateur souhaite maintenir des mesures de sauvegarde différentes pour deux catégories distinctes, je suggère de remplacer cette expression par l'introduction d'un « pronostic de décès de moins de 12 mois » ou « de plus de 12 mois », ce qui éviterait l'aléatoire et la subjectivité de la réponse à donner. La notion de pronostic est très claire, bien définie et utilisée quotidiennement dans le monde médical.
En ce qui concerne la santé mentale et les maladies psychiatriques, j'ai détaillé mes observations dans le document. Il m'apparaît opportun de prévoir dans le projet de loi des indications qui permettraient à ces malades de voir la lumière au bout du tunnel, ce qui éviterait de nouvelles contestations juridiques de la loi et des suicides.
À mon avis, l'expression « suicide assisté » devrait être remplacée par « aide médicale à mourir par voie orale », ce dont il s'agit en réalité.
Parmi les éléments qui ne sont pas couverts dans le projet de loi se trouvent des directives médicales anticipées permettant l'accès à l'aide médicale à mourir après un diagnostic de maladie d'Alzheimer ou d'une autre démence. Dans le document, je propose des balises simples et claires qui permettraient de bien encadrer ce soin.
Enfin, en ce qui concerne l'examen des demandes d'aide médicale à mourir refusée ou non administrée, le projet de loi devrait prévoir des mécanismes beaucoup plus explicites et rigoureux pour documenter et examiner systématiquement les refus et la non-administration de l'AMM. Comme je l'ai mentionné, c'est là qu'on retrouve les dérapages et c'est là que sont les réels malades vulnérables qui ne sont pas protégés depuis cinq ans au Québec, et depuis quatre ans et demi au Canada.
Vous trouverez un sommaire de mes recommandations à la dernière page du document.
Je vous remercie, madame la présidente.
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Mesdames et messieurs, je vous remercie de votre invitation et de l'occasion qui m'est donnée de vous faire part des réflexions de notre comité sur les demandes anticipées d'aide médicale à mourir.
Au nom d'un fort consensus au pays et dans le souci de protéger l'autonomie et la dignité de la personne, je vous propose d'amender immédiatement le projet de loi dont vous êtes saisis, afin d'accorder à toute personne atteinte de troubles neurocognitifs majeurs de type Alzheimer le droit à l'aide médicale à mourir. L'urgence m'apparaît manifeste. À cet égard, permettez-moi de faire un bref rappel des éléments qui nous a conduits ici.
En 2015, l'arrêt Carter énonce la règle cardinale que, dans l'exercice de son droit à la vie, à la liberté et à la sécurité, toute personne doit être libre de prendre ses propres décisions fondamentales, sans ingérence de l'État.
En 2016, le projet de loi est adopté. Il prévoit la formation d'un conseil d'experts pour étudier trois situations, dont celle des demandes anticipées d'aide médicale à mourir.
En 2018, ce comité d'experts énonce notamment ce qui suit en ce qui a trait aux demandes anticipées:
Avoir une certaine garantie que leur demande d'AMM sera honorée pourrait leur procurer du confort et soulager leur anxiété et leur détresse en fin de vie.
L'autorisation des demandes anticipées d'AMM reconnaîtrait la valeur que la société canadienne accorde au respect de l'autonomie et de l'autodétermination des patients, surtout pour les membres de cette société qui ont perdu ou prévoient perdre leur capacité décisionnelle
Devant la souffrance et la détresse de tous ceux qui reçoivent un tel diagnostic, la question n'est plus de savoir si la compassion de la société canadienne doit nous accorder l'aide médicale à mourir. Le temps est venu de définir les paramètres pour l'octroi de cette aide et de mettre en place des balises à la fois pour assurer la protection des gens potentiellement vulnérables et pour respecter la volonté clairement exprimée de la personne affectée.
Ainsi, lorsqu'une personne reçoit un tel diagnostic, qui risque de progresser vers une démence sévère, il doit lui être permis de donner un mandat anticipé pour requérir l'aide médicale à mourir lorsque sa situation aura atteint un stade grave et irréversible, dans la mesure où cette personne remplit les critères suivants: a) elle est admissible à des soins de santé de l'État; b) elle est âgée d'au moins 18 ans; c) elle doit être en mesure d'exprimer librement sa volonté, sans contrainte externe ou influence indue, et elle ne doit pas souffrir d'un état mental qui affecte son jugement; d) un médecin doit attester que la personne satisfait aux critères ci-haut mentionnés lors de la signature du mandat anticipé.
Pour être valable, ce mandat doit être renouvelé par écrit après une période d'attente de six mois de la signature du mandat initial, en s'assurant que les quatre conditions précédentes sont toujours satisfaites. Ce délai constitue une balise importante, laquelle procure une période de réflexion suffisante pour la personne affectée et permet de s'assurer que la décision n'a pas été prise sous le coup de l'impulsivité ou sans réflexion suffisante.
Il va de soi que ce mandat pourra être révoqué en tout temps par écrit, tant que la personne sera apte à le faire. Le mandataire pourra demander à l'équipe multidisciplinaire de commencer le processus d'évaluation dès qu'elle a des raisons de croire que le stade avancé de la maladie est atteint.
Par mesure de prudence additionnelle, le mandat doit être rédigé sous une forme prescrite. J'ai annexé à mon synopsis de présentation un modèle de ce mandat.
Ce qui vous est demandé aujourd'hui est de procurer un choix à toute personne qui reçoit un diagnostic de troubles neurocognitifs de type Alzheimer. Il ne s'agit pas d'imposer une ligne de conduite, il s'agit de mettre en place les balises nécessaires à l'exercice de ce choix.
Inspiré des valeurs qui sont les nôtres, ce citoyen demande à l'État de lui venir en aide et de lui procurer les soins nécessaires pour soulager sa souffrance, préserver sa dignité et respecter sa décision.
Je vous remercie.
:
Madame la présidente, honorables membres du Comité, bonjour.
Je m’appelle David Roberge et je suis membre du Groupe de travail sur la fin de vie de l’Association du Barreau canadien, ou ABC. Je vous remercie d’avoir invité l'ABC à discuter du projet de loi aujourd'hui.
[Français]
L'Association du Barreau canadien, ou ABC, regroupe plus de 36 000 juristes de partout au pays. Les principaux objectifs de l'ABC sont l'amélioration du droit et de l'administration de la justice.
Notre mémoire a été préparé par le groupe de travail de l'ABC sur la fin de vie. Ce groupe est composé de représentants d'un grand nombre de domaines d'expertise, notamment le droit constitutionnel, les droits de la personne, le droit de la santé, le droit criminel, le droit des successions, le droit des aînés, le droit des enfants et le droit à la vie privée.
[Traduction]
Bien que nous saluions les efforts du gouvernement pour clarifier la loi sur l'aide médicale à mourir suite à la décision de la Cour supérieure du Québec dans l’affaire Truchon, nous avons plusieurs réserves au sujet du projet de loi . J’aimerais profiter de cette déclaration liminaire pour en souligner quelques-unes.
L’admissibilité au programme d'aide médicale à mourir devrait être alignée sur les critères établis par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Carter, lesquels tiennent compte de la protection des personnes vulnérables. L’ABC appuie le jugement du Québec dans l’affaire Truchon et souligne son interprétation de l’arrêt Carter, à savoir que l’essence de la décision de la Cour suprême n’est pas la proximité de la mort, mais plutôt la prévention de souffrances intolérables, ainsi que la dignité et l’autonomie de la personne, pour ceux qui sont capables de consentir clairement à la cessation de leur vie. Nous soutenons également une approche centrée sur le patient en matière de capacité et de consentement, telle qu’adoptée par le tribunal québécois dans l’affaire Truchon.
Pour en revenir au projet de loi , nous estimons que la maladie mentale ne devrait pas être exclue du champ d’application des mesures législatives proposées, surtout au vu de l’examen exhaustif de l'aide médicale à mourir initialement prévu pour juin 2020 et actuellement en cours. Cette exclusion ferme la porte à tout examen approfondi de la question et met de l’avant une conclusion qui n’a été ni débattue ni recommandée. Dans Truchon, la Cour a affirmé qu’il faut prôner une approche individualisée de la vulnérabilité en évaluant la capacité de fournir un consentement éclairé. À notre avis, l’exclusion générale de l'ensemble des personnes atteintes de maladie mentale fera l'objet de contestations fondées sur la Constitution.
Le projet de loi propose deux séries de mesures de sauvegarde à respecter avant la prestation de l'aide médicale à mourir, chacune s’appliquant selon que la mort naturelle est raisonnablement prévisible ou non. Le critère de « mort raisonnablement prévisible » — qui a été déclaré inconstitutionnel dans Truchon — a été source de beaucoup d’incertitude et de difficultés, et le projet de loi C-7 ne fournit aucune orientation quant à la façon de l’appliquer. Si le gouvernement devait maintenir différents ensembles de mesures de sauvegarde, nous recommandons que des conseils soient donnés pour éviter toute confusion au sujet des mesures qui s’appliquent selon les cas et pour garantir un accès approprié à l'aide médicale à mourir.
Sur un autre sujet, l’Association du Barreau canadien émet des réserves quant à l’exigence selon laquelle une des deux personnes procédant à l’évaluation doit posséder une expertise au sujet de la condition à l’origine des souffrances de la personne. Il faut parfois plusieurs mois avant d'obtenir un rendez-vous avec un spécialiste, et dans certaines collectivités, aucun spécialiste n'est disponible. Il n’existe actuellement aucune obligation de consulter un spécialiste lorsqu’une personne fait une demande d’aide médicale à mourir. Il appartient aux praticiens de déterminer leur propre niveau d’expertise lors de l’évaluation du consentement éclairé d'un patient et de fournir une orientation appropriée en conséquence. Même si certaines situations pourraient justifier le recours à l’opinion d’un médecin spécialiste, une obligation générale risque d'avoir un effet exagéré sur certaines personnes et de créer un obstacle important à l’aide médicale à mourir.
[Français]
Enfin, le projet de loi prévoit que la renonciation au consentement final à l'aide médicale à mourir ne s'applique que si la mort est raisonnablement prévisible. Nous sommes d'avis que la renonciation au consentement final devrait également être possible si la mort n'est pas raisonnablement prévisible, puisqu'il est possible de perdre la capacité de consentir dans les deux situations.
[Traduction]
Au nom de l’Association du Barreau canadien, je vous remercie encore une fois de m’avoir donné l’occasion de faire cette présentation aujourd’hui. Je serai heureux de répondre à toutes vos questions.
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Merci beaucoup, madame la présidente.
Merci à tous les témoins d'aujourd'hui. Il est tellement essentiel que nous continuions à entendre des témoignages de partout au pays et que nous ayons ces discussions et ce dialogue ouvert. Nous en avons bien besoin.
Mme Catherine Frazee, une universitaire de renom, elle-même handicapée, et conseillère de la Norme sur la protection des personnes vulnérables, a témoigné mardi devant notre comité. Elle a posé la question suivante: pourquoi nous? Pourquoi pas les jeunes hommes autochtones ou ceux ayant des idées suicidaires, malgré leur bon état de santé, ou d'autres personnes marginalisées? Pourquoi est-il acceptable de cibler les personnes handicapées à titre de groupe protégé en leur offrant une voie spéciale d'accès au suicide, alors que d'autres groupes obtiennent de l'aide, de la protection et des ressources?
Mme Frazee a ajouté que le fait qu'une majorité de la population canadienne souhaite que les personnes handicapées puissent recourir à l'aide médicale à mourir ne signifie pas qu'elles doivent être mises en danger et que leur voix minoritaire doit être réduite au silence et ignorée.
Lors de notre dernière réunion, le député libéral Marcus Powlowski, dans sa question au Dr Ewan Goligher, a déclaré que si jamais son fils subissait un traumatisme médullaire et s'il sentait que celui-ci voulait mettre fin à sa vie, il appuierait son choix. Le député a dit cela à un témoin non handicapé, devant trois autres témoins qui vivent avec un handicap. J'ose croire que ces femmes brillantes ont interprété ces propos comme un exemple de discrimination fondée sur la capacité physique, et c'est justement pour cette raison que les Canadiens handicapés craignent pour leur vie lorsque le Parlement envisage une mesure législative comme le projet de loi . Cela leur envoie le message que leur vie ne vaut pas la peine d'être vécue.
L'autorisation de l'aide médicale à mourir, qui est une option extrêmement peu coûteuse et rapide, en l'absence d'autres options, telles qu'un soutien financier, des spécialistes de la douleur, un bon logement et des services de soins à domicile qualifiés et suffisants, entraînera des contraintes, comme l'ont déjà signalé de nombreux témoins mardi, notamment Roger Foley et Taylor Hyatt.
Un récent communiqué publié aux Pays-Bas révèle que les personnes vulnérables, moins instruites, pauvres, isolées et solitaires s'intéressent de plus en plus à l'euthanasie, et les conclusions laissent entendre que bon nombre de ces gens ne demanderaient pas l'euthanasie si de bonnes mesures sociales étaient en place.
Ma question pour le Dr Naud est la suivante: que pensez-vous du fait que les groupes de personnes handicapées réclament unanimement des mesures de protection plutôt qu'une voie d'accès au suicide dans le projet de loi ?
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Je vous remercie de la question.
On présente souvent les choses comme un choix entre l'aide médicale à mourir et des ressources pour les groupes vulnérables ou marginalisés. Il ne s'agit pas de faire un choix entre les deux, mais plutôt d'aider les groupes marginalisés et de leur donner tous les soins et toutes les ressources dont ils ont besoin. Cela n'empêche pas que certains malades peuvent exercer le choix libre et éclairé de recourir à l'aide médicale à mourir parce qu'ils jugent que leur vie ne vaut plus la peine d'être vécue. Il faut retenir le message clair de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Carter, selon lequel le droit à la vie ne doit pas se transformer en obligation de vivre.
Tout cela tient aux concepts d'autonomie décisionnelle, de choix libre et éclairé et d'évaluation de l'aptitude à consentir d'un individu. Lejugement mettant en cause M. Truchon et Mme Gladu a mis en évidence que la vulnérabilité n'est pas intrinsèque à un groupe de personnes par leurs caractéristiques, et que cela doit être évalué au cas par cas.
Pourquoi devrait-on donner l'option de l'aide médicale à mourir à des gens qui sont lourdement handicapés? On a déjà posé la question à M. Truchon et à Mme Gladu. Le jugement rendu dans cette cause en fait état de façon très éloquente sur presque 200 pages. Ce n'est pas un choix entre l'aide médicale à mourir et l'accès à des ressources, mais bien tout cela en même temps, dans le respect du libre choix d'un individu en fonction de sa propre condition. En effet, l'individu est le seul témoin de sa souffrance et de ce qu'il est capable de tolérer ou non.
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Je vous remercie de votre question, monsieur le député.
Il faut être très prudent quand on cite des études d'autres pays. Les Pays-Bas sont une juridiction différente, une société différente. Ce n'est pas parce qu'une étude démontre quelque chose qu'elle est véridique et qu'on peut s'y fier.
La coercition que nous observons depuis cinq ans, au Québec et au Canada, n'est pas dans l'administration de l'aide médicale à mourir, mais bien, comme je l'ai mentionné, dans l'obstruction qu'opposent certains individus et certains établissements à l'accès libre et légitime à cette aide. Des gens subissent des pressions pour retirer une demande d'aide médicale à mourir ou pour ne pas en faire.
Je tiens à remercier les témoins. Docteure Gibson, merci de nous faire part de l'expertise que vous avez acquise dans ce dossier au cours des dernières années. Je suis fier de vous compter parmi les gens de ma circonscription.
Docteure Gibson, la question de l'autonomie a été soulevée, et vous avez insisté là-dessus dans votre témoignage. À la réunion de mardi, nous avons posé des questions sur l'autonomie des personnes handicapées. Des allégations de discrimination ont été formulées, car, nous a-t-on dit, une mesure législative comme le projet de loi ne fait que perpétuer la discrimination à l'encontre des personnes handicapées.
Je trouve que c'est plutôt l'inverse, comme le croient d'ailleurs la sénatrice Petitclerc et Steven Fletcher, un ancien ministre conservateur qui est lui-même une personne handicapée. Dans la décision Truchon, les juges se sont penchés sur cette idée et ils ont conclu que si vous refusez aux personnes handicapées la possibilité de prendre une décision de manière autonome quant au moment de leur décès, vous les discriminez, ce qui va à l'encontre de la Charte.
Compte tenu de votre expertise en matière de bioéthique et d'autonomie, pourriez-vous nous parler, en 60 secondes, de cet aspect de la décision Truchon et nous dire quel en est le lien avec ce que nous avons entendu au Comité mardi?
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Je crois que plusieurs facteurs entrent en ligne de compte. Tout d'abord, il faut reconnaître que nous pensons souvent à l'autonomie sur le plan individuel, mais bon nombre de nos décisions sont prises en tenant compte des gens qui nous entourent. L'autonomie est donc un concept social, et nous en faisons tous l'expérience dans notre vie quotidienne. Selon moi, il est raisonnable de craindre qu'un choix volontaire ne puisse pas être à l'abri des influences sociales.
Cela dit, l'un des constats les plus intéressants qui ressortent du premier rapport annuel sur l'aide médicale à mourir au Canada, publié assez récemment, c'est que, parmi les gens qui ont réellement besoin de mesures de soutien à l'incapacité, près de 90 % en recevaient déjà au moment où ils se sont prévalus de l'aide médicale à mourir.
À mon avis, d'une part, nous avons une question d'accès aux ressources, mais d'autre part, nous voyons aussi des personnes handicapées exercer leur autonomie et choisir l'aide médicale à mourir, tout en sachant qu'elles ont accès à des mesures de soutien. Nous devons donc tenir compte de différents éléments, au lieu d'un seul.
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Merci, madame la présidente. Je vais essayer d'abréger mes questions.
Ma première question s'adresse à Me Roberge, de l'Association du Barreau canadien, et le juge Rochon pourra peut-être intervenir.
Vous avez dit clairement que l'ABC estime que la maladie mentale ne devrait pas être exclue du champ d'application du projet de loi. D'après ce que j'ai lu dans votre mémoire, vous justifiez votre position, en partie, en affirmant que cette question n'a pas encore été entièrement débattue, ce qui, pour ma part, m'amènerait à conclure tout à fait le contraire. C'est pourquoi je m'y perds un peu.
Par ailleurs, vous avez dit qu'une telle disposition fera l'objet de contestations fondées sur la Constitution. Eh bien, si nous tenons cette discussion, c'est en partie parce que cela s'est déjà produit, et je suis sûr que cela se reproduira à l'avenir.
Vous pourriez peut-être nous expliquer un peu plus en détail pourquoi vous pensez que la maladie mentale ne doit pas être exclue.
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Voici ce que je dirais au nom de l'ABC. Nous pensons que la réponse aux questions de vulnérabilité consiste à assurer un consentement éclairé. Lorsqu'on discute du sort des personnes atteintes de maladie mentale, il est clair que la question de leur vulnérabilité finit par être soulevée.
Dans l'affaire Carter, la Cour suprême du Canada a accepté les éléments de preuve selon lesquels les médecins peuvent évaluer la vulnérabilité au cas par cas. Tout en reconnaissant que les risques « font déjà partie intégrante de notre régime médical », la Cour a souligné que ces questions sont réglées grâce à l'évaluation du consentement éclairé au cas par cas.
Selon l'ABC, le problème que pose l'exclusion des personnes atteintes de maladie mentale du champ d'application du projet de loi sur l'aide médicale à mourir, c'est que, contrairement à la conclusion formulée dans la décision Truchon, l'inférence d'une vulnérabilité collective, c'est-à-dire l'idée de considérer un groupe comme étant vulnérable, risque de ne pas refléter adéquatement la diversité des circonstances à l'intérieur de ce groupe. C'est pourquoi nous appuyons une approche plus centrée sur le patient. C'est aussi pourquoi nous estimons que l'exclusion des personnes atteintes de maladie mentale peut faire l'objet d'une contestation aux termes de la Constitution.
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Je n'aurais peut-être pas l'occasion d'entendre la réponse du juge Rochon. Je vais poser ma deuxième question parce qu'il ne me reste pas grand temps.
J'étais avocat pendant un certain temps avant mes fonctions actuelles, et j'avais l'habitude de retenir les services d'experts médicaux pour qu'ils donnent des avis. D'après mon expérience, les divergences d'opinions sont beaucoup plus importantes dans le domaine psychiatrique que dans les autres disciplines médicales. C'est pourquoi je m'inquiète de l'idée de supprimer l'exclusion de la santé mentale.
L'un des autres points que vous faites valoir dans votre mémoire, c'est l'argument selon lequel le recours à des spécialistes n'est pas nécessaire. Je comprends le contexte si vous vivez dans une collectivité éloignée, entre autres. Ayant moi-même grandi à Thunder Bay, je peux comprendre cela. Ma préoccupation est la suivante. Compte tenu des inquiétudes exprimées au sujet de la maladie mentale, êtes-vous en train de dire qu'un médecin généraliste, par exemple, pourrait donner un avis sur la maladie mentale dans une situation d'aide médicale à mourir? Les tribunaux n'autorisent pas les médecins à donner des avis en dehors de leur domaine de spécialité. Je pense que le seuil en l'occurrence serait tout aussi élevé, voire plus élevé.
Juge Rochon, je veux commencer par vous remercier de nous avoir présenté un formulaire où les termes sont précis. C'est précieux dans le contexte de notre discussion.
J'ai une inquiétude concernant le renouvellement du mandat tous les six mois. Vous préconisez un régime complètement à part pour les maladies neurodégénératives. On ne parle pas de la période de 90 jours, mais d'un régime totalement différent qui n'aurait rien à voir avec la maladie mentale.
Pourquoi parlez-vous d'une période de six mois et d'un renouvellement du mandat?
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Monsieur le député, je vous remercie de poser cette question très importante.
Quand on parle d'obstruction, on parle de gens qui ont fait une demande signée d'aide médicale à mourir tout à fait légitime, mais où quelqu'un la mettra carrément à la poubelle ou la déposera sur une tablette, et on attend que le malade décède. Comme je l'ai mentionné, certains malades subissent des pressions pour ne pas faire une demande ou pour la retirer.
Tous ces cas ne sont pas examinés. Quand cela se produit, les médecins et les établissements n'ont aucun compte à rendre. Les seuls comptes à rendre ont trait à l'administration de l'aide médicale à mourir, ce qui nous permet d'affirmer que cela est fait de façon extrêmement rigoureuse depuis cinq ans maintenant au Québec.
Quand on parle des malades vulnérables qui ne sont pas protégés, ce sont ces malades. Comme je le mentionnais, au Québec, cela représente une demande sur trois d'aide médicale à mourir formulée de manière tout à fait légale et légitime qui ne trouve pas réponse et pour laquelle nous n'avons aucune explication. Les dérapages qu'on observe depuis cinq ans ne sont pas dans l'administration, mais dans l'obstruction qui est faite de façon systématique par certains opposants pour des raisons personnelles qui leur appartiennent ou par certains établissements. Il est donc important d'examiner cela.
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Je vous remercie, monsieur le député.
Il faut savoir qu'au Québec, tous les établissements financés publiquement sont obligés d'offrir l'aide médicale à mourir. Seules les maisons de soins palliatifs, ou les hospices, avaient la possibilité de ne pas l'offrir. Il y en a 34.
Depuis que la loi est en vigueur, la moitié de ces maisons offrent maintenant l'aide médicale à mourir. Pour l'autre moitié, il y a quand même des demandes d'aide médicale à mourir, mais ces patients sont simplement congédiés de l'établissement et sont envoyés dans un établissement public pour aller mourir ailleurs parce qu'ils ont osé faire une demande d'aide médicale à mourir sur la seule base qu'ils avaient des souffrances qu'ils ne voulaient plus tolérer.
Selon moi, ce qui est honteux actuellement, c'est la façon dont ces malades sont traités.
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Merci beaucoup, madame la présidente.
Je tiens à remercier tous les témoins de leur présence aujourd'hui et de leurs observations. Je sais que certains d'entre eux nous ont remis des mémoires séparément.
Je dois toujours commencer par exprimer ma frustration à l'égard du fait que certaines des questions dont nous parlons ici dépassent largement le mandat du comité de la justice dans le cadre de l'étude du projet de loi . J'espère que nous aurons un comité spécial qui pourra s'occuper de ces questions plus vastes, parce qu'il est impossible de les régler en ajoutant une ou deux séances au calendrier du Comité.
Ma première question s'adresse à Me Roberge. Nous avons entendu des témoignages qui soulèvent des questions sur les raisons pour lesquelles la décision Truchon n'a pas fait l'objet d'un appel. J'aimerais entendre quelques observations sur le lien entre les décisions Truchon et Carter, parce que je pense que, de l'avis de certains, la décision Truchon concorde parfaitement avec les paramètres établis dans l'arrêt Carter et que certaines de ces questions fondamentales ont en fait été tranchées dans l'affaire Carter au début du litige.
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Je n'émettrai pas d'hypothèses sur les raisons pour lesquelles la décision Truchon n'a pas été portée en appel. Cela dit, je pense qu'il existe effectivement des points communs entre les deux décisions, c'est-à-dire la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Carter et celle de la Cour supérieure du Québec dans l'affaire Truchon.
Je crois que l'un des points communs, selon l'ABC, c'est, en effet, que les deux tribunaux ont reconnu la nécessité de faire en sorte que la vulnérabilité soit évaluée au cas par cas par un médecin. Bien qu'il existe des risques lorsqu'on parle d'aide médicale à mourir pour les personnes vulnérables, la Cour suprême estime que ces risques font déjà partie intégrante du régime médical dans le cadre d'autres types de prise de décisions concernant la fin de vie, et on peut les régler grâce à une évaluation appropriée du consentement éclairé.
Je ne vais pas entrer dans les détails techniques de la décision, mais je rappelle que la décision de la Cour suprême du Canada reposait sur une infraction à l'article 7, alors que la Cour supérieure du Québec a également relevé une infraction à l'article 15.
J'espère que mes remarques vous sont utiles.
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N'oublions pas qu'en fait, dans les deux volets, la souffrance a été reconnue comme la motivation première pour quelqu'un qui cherche à se prévaloir de l'aide médicale à mourir, sauf dans le cas d'une personne qui a déjà été très clairement jugée admissible et qui craint de perdre sa capacité à consentir. Selon moi, on met vraiment l'accent sur la dynamique de la souffrance, conjuguée à la perte éventuelle de la capacité à consentir. En fait, pour aborder le projet de loi sous un angle légèrement différent, le consentement préalable n'est prévu que dans un ensemble très limité de cas.
À cet égard, il y a lieu de se demander quel était le but de la période d'attente de 10 jours lorsqu'elle a été envisagée initialement. Cette période d'attente avait été principalement prévue comme une mesure de protection contre une éventuelle ambivalence, au cas où la personne changerait d'avis. Ce que nous avons appris en cours de route, à la lumière de nos entretiens avec des cliniciens — et cela a été confirmé par les soignants et les familles —, c'est que les personnes qui demandent l'aide médicale à mourir ont des préférences stables, et il existe également des preuves à l'appui de cette affirmation. Il est peu probable que ces personnes se ravisent à ce moment-là.
Éliminer la période d'attente de 10 jours permet aussi de tenir compte de la souffrance que les personnes devaient endurer pendant qu'elles attendaient la fin de cette période de 10 jours.
Nous devrions peut-être réfléchir à la manière dont ce raisonnement s'applique à l'exemple de la période d'attente de 90 jours, qui est proposée pour le deuxième volet, lequel ne porte pas sur le critère de la mort raisonnablement prévisible. Il y a également lieu de se demander si les personnes qui envisagent d'opter pour l'aide médicale à mourir, plutôt que de continuer à souffrir, n'abordent pas la question d'un point de vue réfléchi et bien fondé.
En ce qui concerne l'exigence inhérente selon laquelle les cliniciens doivent s'assurer que cette décision a été mûrement réfléchie, de nombreuses personnes qui entament une conversation sur l'aide médicale à mourir adoptent une position bien fondée. Ce n'est peut-être pas ce que leur famille et leur communauté pourraient souhaiter pour elles, mais je pense néanmoins que nous devrions d'abord présumer qu'il s'agit d'une opinion mûrement réfléchie et, par la suite, examiner les cas où certaines décisions pourraient découler de malentendus ou nécessiter des précisions pour établir clairement si la personne est, oui ou non, vulnérable dans les circonstances.
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Merci beaucoup. Je remercie nos témoins.
Je remercie aussi mes collègues députés de me permettre de poser quelques questions.
Ce projet de loi prévoit des protections et des exemptions pour la santé mentale. Des personnes handicapées de ma circonscription m'ont fait part de leurs inquiétudes pour les personnes atteintes de handicaps cognitifs, les personnes qui ne peuvent pas parler ou ont du mal à communiquer. Ces personnes vivent des souffrances, de toute évidence, mais celles-ci viennent-elles davantage de la nature des handicaps avec lesquels elles sont nées?
Je m'interroge, et je poserai la question suivante à Me Roberge: y a-t-il suffisamment de protections dans ce projet de loi pour les personnes nées avec certaines caractéristiques qui les font souffrir, mais qui n'ont pas la capacité de prendre ce genre de décision ou qui pourraient peut-être être indûment incitées à demander de l'aide médicale à mourir.
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Quand l'ABC évoquait une période de réflexion plus longue, c'était pour les patients dont la mort ne paraît pas imminente. Je pense que le projet de loi prévoit justement une période de réflexion plus longue pour les personnes dont la mort n'est pas jugée raisonnablement prévisible. Bien que l'ABC n'ait jamais exprimé d'opinion sur la durée de cette période ou la nécessité de l'allonger, je pense que le projet de loi reflète bien les observations formulées par l'Association du Barreau canadien.
Pour répondre à l'autre partie de votre question, l'ABC a évoqué la possibilité que dans certains cas, notamment lorsqu'il est plus difficile pour les médecins de bien évaluer la capacité de la personne à donner son consentement, il puisse parfois être justifié de consulter un psychiatre.
Là encore, je pense que nous hésitons beaucoup à exiger que dans tous les cas, un spécialiste de l'état médical du patient participe à la décision, puisque nous sommes conscients que les médecins peuvent toujours aiguiller le patient vers un spécialiste s'ils ont besoin d'un avis médical pointu.
Ma prochaine question, madame la présidente, s'adresse au Dr Naud.
[Français]
Je vous remercie d'être des nôtres aujourd'hui.
[Traduction]
Ce comité a entendu plusieurs groupes et personnes que ce projet de loi inquiète, qui croient qu'il pourrait être dommageable tant pour la profession médicale que pour les plus vulnérables du Canada. Nous avons reçu une lettre signée par 800 médecins de partout au pays, dont voici un extrait:
Nous observons avec consternation et horreur la façon dont la nature de notre profession médicale a été si rapidement détruite par la création de lois malavisées. Nous, soussignés, déclarons que l’adoption du projet de loi C-7, si rien n’est fait, contribuera à la destruction de bien plus que notre profession médicale, mais fondamentalement, d’une société canadienne qui apprécie véritablement et qui prend soin de ses membres les plus vulnérables.
Qu'avez-vous à dire à ces médecins, qui sont près de 800 et sont évidemment vos collègues, qui s'inquiètent de l'effet de ce projet de loi tant sur la profession médicale que sur les Canadiens vulnérables?
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Je vous remercie, madame la députée.
Ces médecins représentent moins de 1 % des médecins au Canada. Il y a un monde de différence entre les médecins qui sont au chevet des malades qui demandent l'aide médicale à mourir, qui les accompagnent, qui sont engagés, qui savent de quoi ils parlent, qui sont capables de témoigner que c'est un processus rigoureux, et les médecins qui vont parler d'aide médicale à mourir, mais qui n'ont jamais rencontré un seul malade, qui n'ont jamais été impliqués et qui, bien souvent, méprisent ces malades en refusant de les rencontrer s'ils ont fait une demande d'aide médicale à mourir. Cette proportion infime de médecins...
Comme je le disais, la sénatrice Chantal Petitclerc disait hier, à l'égard des témoignages entendus en comité mardi:
Ils ne peuvent pas représenter et parler pour toutes les personnes handicapées — en tout cas, vous savez, ils ne parlent pas pour moi.
Elle a dit qu'ils ne parlaient pas non plus au nom de Nicole Gladu ou de Jean Truchon, les deux Montréalais qui ont contesté avec succès cette disposition de la loi sur l'aide médicale à mourir — et les membres du Comité savent que ces personnes sont elles-mêmes des personnes handicapées.
J'aimerais poser une question sur la décision Truchon à l'ancien juge Rochon et à Me Roberge. Mardi dernier, un témoin a remis en question l'intégrité de la décision rendue en alléguant que la juge Baudouin était biaisée et en situation de conflit d'intérêts lorsqu'elle a rendu sa décision et qu'en fait, elle aurait dû se récuser.
Maître Rochon, en tant qu'ancien magistrat de la Cour du Québec, qu'avez-vous à dire en réaction à cette attaque contre la Cour du Québec et son indépendance?
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Merci beaucoup, maître Roberge.
Je m'adresserai maintenant à la Dre Gibson.
Il y a eu une volée de critiques à l'égard des consultations tenues sur le projet de loi . Personnellement, j'ai entendu une personne y ayant participé me dire qu'elles étaient très robustes et qu'il y avait eu des audiences dans de nombreuses villes du pays. Trois cent mille personnes ont répondu à un questionnaire pendant l'exercice, 125 spécialistes y ont participé, et je crois que vous en faites partie.
Pouvez-vous nous dire comment vous jugez la robustesse des consultations tenues à l'égard du projet de loi C-7, docteure Gibson?
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En fait, je dois admettre avoir trouvé ces consultations beaucoup plus robustes que ce à quoi je m'attendais et probablement plus robustes encore que les conversations précédentes qu'il y a eu sur l'aide médicale à mourir.
Ainsi, je pense que les gens ont eu de nombreuses occasions de faire valoir leur point de vue, et je crois aussi, quand je regarde la liste des témoins, que les personnes et les groupes qui ont été invités à cette table... Je remarque vraiment que le Comité s'efforce d'entendre une grande diversité de points de vue; je pense que cela fait la force du processus et vient ajouter à ce qui est déjà ressorti des consultations qui ont lieu au Canada.
La transparence de ces réunions, de même que les comptes rendus, permettent aux citoyens et aux membres des groupes protégés de constater dans quelle mesure leurs voix ont été entendues, selon moi. Je pense qu'on s'est assuré avec beaucoup de sérieux d'entendre les points de vue les plus diversifiés possible, à tout le moins est-ce ma perception de l'extérieur.
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Je vous remercie de votre question, monsieur le député. Elle est extrêmement importante et vous avez tout à fait raison.
L'objection de conscience est une valeur personnelle qu'un soignant ne saurait imposer à des gens malades, encore moins à des malades vulnérables. Par conséquent, tous les collèges des médecins du Canada imposent à leurs membres de transférer une demande d'aide médicale à mourir s'ils ont une objection de conscience. Cette objection est très bien protégée à l'heure actuelle par les lois et par les directives des collèges de médecins provinciaux.
Je vais établir un parallèle avec les transfusions sanguines. Si vous êtes médecin et Témoin de Jéhovah, vous êtes opposé aux transfusions sanguines. Si vous refusez de transfuser votre malade qui en a besoin ou de le transférer à un collègue, vous commettez une grave faute professionnelle et déontologique.
Il en va de même avec l'aide médicale à mourir. Un médecin a parfaitement le droit de ne pas y participer et il faut protéger ce droit, qui est très bien enchâssé dans les lois actuelles. Le projet de loi devrait plutôt imposer une obligation de transfert parce que, au bout du compte, c'est le bénéfice des malades dont il est question, et non la protection des convictions personnelles, religieuses ou autres des médecins.
Je souhaite la bienvenue à notre deuxième groupe de témoins. Nous entendrons l'Association des infirmières et infirmiers du Canada, qui est représentée par Michael Villeneuve; la Société canadienne des médecins de soins palliatifs, qui est représentée par la Dre Anne Boyle et le Dr Harvey Max Chochinov; le Réseau d'action des femmes handicapées du Canada, qui est représenté par Bonnie Brayton; puis le Collectif des médecins contre l'euthanasie, qui est représenté par la Dre Catherine Ferrier.
Chaque organisation disposera de cinq minutes. Nous commencerons par l'Association des infirmières et infirmiers du Canada.
Allez-y, monsieur Villeneuve, vous avez cinq minutes.
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Merci, madame la présidente et mesdames et messieurs les membres du Comité. Bonjour à tous.
Je tiens à souligner que je vous parle aujourd'hui depuis le territoire traditionnel des Algonquins-Anishinabe.
Nous vous remercions d'avoir donné suite à la requête de notre association en nous invitant à comparaître devant vous pour discuter du projet de loi . Nous sommes honorés et reconnaissants de pouvoir le faire en cette fin de l'Année internationale des sages-femmes et du personnel infirmier. Nul besoin de vous dire que les célébrations ne se sont pas déroulées comme prévu en 2020.
Je travaille au sein du système de santé depuis plus de 40 ans, dont 37 à titre d'infirmier autorisé. J'ai l'honneur d'être directeur général de l'Association des infirmières et infirmiers du Canada, l'AIIC, depuis 2017.
L'AIIC est le porte-parole national de la profession infirmière au Canada. Nous représentons les infirmières et infirmiers qui travaillent dans les 13 provinces et territoires et dans des centaines de communautés autochtones.
Les 440 000 infirmières et infirmiers du Canada interviennent auprès des patients à toutes les étapes de leur traitement, et sont les pourvoyeurs de soins qui ont le plus d'interactions directes avec eux lorsque vient le temps de composer avec ces enjeux humains et moraux qui sont vraiment complexes. Les modifications législatives proposées relativement aux décisions d'ordre moral à prendre dans ce contexte ont un impact considérable sur le personnel infirmier qui devra s'y adapter et les intégrer à sa pratique au quotidien.
Comme les infirmières et infirmiers font partie intégrante du processus d'aide médicale à mourir, il est essentiel que le Comité entende leur point de vue. Près de cinq années de mise en pratique de l'aide médicale à mourir nous ont permis d'acquérir suffisamment de connaissances, de perspectives et d'expérience pour pouvoir jeter un éclairage significatif sur les modifications que l'on souhaite apporter à la loi.
L'AIIC a joué un rôle actif dans les efforts déployés en matière d'aide médicale à mourir au cours des dernières années. Nous avons ainsi été l'un des intervenants clés lors de l'adoption du projet de loi en 2016 ainsi qu'à l'occasion des consultations menées au début de 2020. L'AIIC préconise la mise en place de mesures de sauvegarde pour les droits des patients et du personnel infirmier, de même que des changements touchant l'ensemble du système de santé, notamment pour améliorer l'accès aux soins palliatifs et la reddition de comptes. Je vais maintenant traiter brièvement du projet de loi .
D'une manière générale, nous estimons que le gouvernement fédéral a prêté une oreille attentive aux observations que nous avons formulées lors de la phase initiale de consultation plus tôt cette année. Nous nous réjouissons ainsi de constater que l'on a intégré au projet de loi certaines de nos recommandations, y compris la suppression de la période de réflexion de 10 jours, l'élimination de l'exigence de consentement final pour les personnes en perte de capacité et les modifications apportées à la loi pour qu'un seul témoin indépendant suffise.
Quant aux nouvelles possibilités qui s'offrent pour les cas où la mort naturelle n'est pas prévisible, des experts nous ont dit que les mesures de sauvegarde proposées sont adéquates et suffisantes. Nous insistons sur le fait qu'il sera essentiel de pouvoir compter sur une expertise juridique pour la mise à jour des directives sur l'aide médicale à mourir de telle sorte que les nouvelles dispositions de la loi soient bien comprises et acceptées par les patients et les praticiens.
Nous souscrivons de façon générale au projet de loi , mais nous croyons que des améliorations et des précisions additionnelles dans quatre domaines permettraient de renforcer la loi en assurant des soins de plus grande qualité aux patients et une meilleure protection juridique au personnel infirmier.
Premièrement, l'AIIC recommande vivement que le projet de loi prévoie un examen quinquennal additionnel de l'aide médicale à mourir par un comité parlementaire.
Deuxièmement, nous recommandons la suppression du libellé qui prévoit que le praticien exécutant la procédure d'aide médicale à mourir ne doit pas connaître le praticien qui a évalué la demande ni croire avoir des liens avec lui.
Troisièmement, il faudrait selon nous préciser qu'il est possible pour un praticien d'aborder le sujet d'une possible procédure d'aide médicale à mourir en suivant les règles prescrites.
Quatrièmement, nous recommandons que des précisions soient apportées à la disposition portant sur les évaluations préliminaires, car nous estimons qu'elle pourrait être source de confusion et de préoccupations pour le personnel infirmier.
En outre, nous ne saurions trop recommander que les parlementaires mènent dès que possible un vaste examen de l'aide médicale à mourir pour s'intéresser à d'autres enjeux importants sortant du cadre du projet de loi .
En terminant, nous voulons exprimer notre gratitude à la Société de protection des infirmières et infirmiers du Canada qui nous a été d'un grand secours dans notre travail concernant l'aide médicale à mourir. Nous vous avons soumis un mémoire écrit où vous trouverez des informations plus détaillées, et je serai ravi d'essayer de répondre à toutes vos questions.
Merci encore, madame la présidente, de m'avoir donné l'occasion de prendre la parole devant votre comité aujourd'hui.
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Merci, madame la présidente.
Je crois que les données que je m'apprête à vous transmettre seront importantes pour l'étude entreprise par votre comité. Il s'agira d'un extrait de mon mémoire écrit.
Précisons d'abord que je suis professeur distingué en psychiatrie à l'Université du Manitoba. J'ai été président du Comité externe sur les options de réponse législative à Carter c. Canada. Je réalise en outre depuis de nombreuses années des travaux de recherche qui ont mené à de multiples publications sur les considérations psychologiques liées aux soins palliatifs.
Le projet de loi propose d'éliminer toute période d'attente entre l'approbation de la demande d'aide médicale à mourir d'un patient en fin de vie et l'administration de cette procédure. Les travaux de notre groupe de recherche ont pourtant révélé que la volonté de vivre d'une personne peut fluctuer grandement dans des intervalles aussi courts que 12 à 24 heures. Ainsi, 40 % des patients qui se sont fait prescrire des médicaments létaux en Oregon ont finalement décidé de ne pas recevoir la surdose mortelle.
Le projet de loi propose également la suppression de l'exigence voulant que la mort du patient soit raisonnablement prévisible. Pour les patients dont l'espérance de vie peut se mesurer en années, voire en décennies, le projet de loi C-7 recommande une période d'évaluation de 90 jours. Pour de nombreuses maladies chroniques, le taux de suicide est très élevé. Une étude menée auprès de 496 patients ayant subi un traumatisme cérébral, un AVC ou une compression de la moelle épinière a révélé que la plupart de ceux qui songeaient au suicide au départ ont cessé d'envisager cette option de 3 à 24 mois plus tard.
Le projet de loi prévoit en outre qu'il ne sera plus nécessaire de prouver sa capacité à consentir au moment où la procédure d'aide médicale à mourir est exécutée. Les Pays-Bas autorisent les directives préalables pour euthanasie pour les personnes qui craignent de perdre leurs capacités. Parmi les 410 médecins néerlandais interrogés, seulement 3 % ont indiqué avoir déjà donné suite à une telle directive préalable. C'est presque toujours une personne autre que le patient lui-même qui demande à ce que cette directive soit suivie. Dans 72 % des cas, les proches ou les représentants du patient hésitent à aller de l'avant avec l'euthanasie, mais demandent plutôt que l'on renonce à lui prodiguer des traitements qui prolongeraient sa vie, un point de vue partagé par les médecins.
Enfin, le projet de loi précise qu'une maladie mentale ne suffit pas pour être admissible à l'aide médicale à mourir, mais les problèmes de santé qui accompagnent souvent ces maladies peuvent ouvrir la voie à cette option pour les patients touchés. Selon une étude marquante menée aux Pays-Bas, près de 60 % des patients souffrant de troubles psychiatriques que l'on avait aidé à mourir avaient d'autres problèmes de santé comme un cancer, une maladie cardiaque, un AVC ou des troubles neurologiques. Ces patients étaient aux prises avec différents problèmes (dépression, psychose, deuil et même autisme) exigeant des soins psychiatriques spécialisés et concertés.
En conclusion, les données disponibles incitent à la prudence à l'égard de différentes modifications proposées à la loi. Premièrement, les données révèlent que la volonté et le désir de mourir dans le contexte d'une maladie terminale peuvent fluctuer grandement avec le temps. Il serait donc sage de prévoir une certaine période de réflexion. Deuxièmement, il n'est pas rare que les patients souffrant de problèmes de santé ne mettant pas leur vie en danger à court terme, comme une maladie chronique ou un handicap, souhaitent mettre fin à leurs jours, un désir qui peut fluctuer au fil d'une période de quelques mois ou de quelques années. Lorsque des mesures sont prises pour atténuer les facteurs à l'origine de cette volonté de mourir chez les patients ayant une maladie chronique ou un handicap, les idées suicidaires peuvent s'estomper. Troisièmement, les recherches indiquent clairement que ni les médecins ni les proches ne sont à l'aise à l'idée d'offrir l'aide médicale à mourir aux patients incapables d'exprimer leurs volontés ou de faire savoir que leurs souffrances sont intolérables. Quatrièmement, la suppression du critère de la mort raisonnablement prévisible ouvre la porte à des patients souffrant de différentes maladies chroniques et handicaps, y compris ceux également aux prises avec une maladie mentale.
Voilà autant de faits essentiels qu'il faut absolument prendre en considération pour pouvoir bien comprendre et atténuer les souffrances de ceux qui ont perdu le désir de vivre.
Merci de votre attention.
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Merci, madame la présidente et mesdames et messieurs les membres du Comité. Je salue les autres témoins qui comparaissent aujourd'hui.
Merci de m'avoir invitée à témoigner devant vous. Je vous parle depuis le territoire non cédé des Kanyen'kehà:ka. Je rappelle à tous que l'initiative de vérité et réconciliation ne doit pas se limiter aux belles paroles; il faut que nous nous comportions comme il se doit face à cette réalité.
Je rappelle également aux membres du Comité que, selon Statistique Canada, 24 % des femmes canadiennes vivent avec un handicap. Notre réseau en est à sa 35e année d'existence, mais nous n'avons pas la tête aux célébrations.
Nous nous opposons à la suppression du critère de la mort imminente. C'est une erreur fatale dont vous devrez assumer les conséquences à titre de législateurs. Aucune donnée n'est disponible au moment où ces mesures sont proposées, mais vous allez être jugés en fonction de ces données et des morts que vous auriez pu éviter en décidant aujourd'hui de marquer une pause dans le processus. Vous êtes tous, et moi également, dans une situation relativement privilégiée.
En prévision de ma comparution, nous avons recensé plusieurs documents d'intérêt que je vais faire parvenir à votre greffier pour la suite de votre étude. Nous allons également vous transmettre, avec son autorisation, le récit de force et de courage d'une femme appelée Ruth. Cette ardente défenseure de nos droits se retrouve justement dans le genre de situation qui devrait vous inciter à faire une pause. Si les choses se passaient différemment au Canada, Mme Ruth recevrait le soutien dont elle a besoin pour mener une vie véritablement significative, y compris un logement décent où elle pourrait se sentir en sécurité. C'est une femme intelligente et articulée qui pourrait être une excellente guide et conseillère pour quiconque doit composer avec l'hypersensibilité environnementale. C'est une situation qu'elle ne connaît que trop bien, mais voyons plutôt ce qu'elle en dit elle-même:
Mes médecins savent très bien ce que je pense de l'aide médicale à mourir. Ils ont essayé de me trouver un nouveau logement de telle sorte que je ne sois pas obligée d'avoir recours à ce processus. Il n'existe toutefois pas de logement abordable sécuritaire (exempt de fumée et d'odeur) pour une bénéficiaire du Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées qui souffre comme moi d'hypersensibilité environnementale et de polysensibilité aux substances chimiques. Bien que je ne souhaite pas vraiment me prévaloir de l'aide médicale à mourir (j'ai dû faire euthanasier ma chatte le 4 octobre 2019, juste avant qu'on me confine dans mon abri, et ce fut une expérience traumatisante, car elle a mal réagi aux médicaments), je ne pourrai pas vivre indéfiniment dans des conditions semblables.
Comme vous pouvez le constater, Mme Ruth, à l'instar de bien d'autres personnes handicapées, a perdu espoir. Elle n'est pas à l'article de la mort, mais elle satisfait aux nouveaux critères pour l'aide médicale à mourir.
Compte tenu du lien évident avec nos discussions d'aujourd'hui, nous vous avons également transmis le mémoire que nous avons présenté au Comité permanent de la condition féminine quant aux répercussions de l'aide médicale à mourir pour les femmes handicapées.
Je veux de plus vous citer un extrait du guide Principes de déontologie judiciaire publié sous la direction de Beverley McLachlin en 2014. Voici ce qu'on peut lire dans la section « Commentaires » du chapitre 5 intitulé « Égalité »:
La Constitution et de nombreuses lois font état d'un engagement ferme à garantir à tous l'égalité devant la loi et sous le régime de la loi, de même que l'égalité en matière de protection et de bénéfice de la loi, sans discrimination. Il ne s'agit pas d'un engagement à un traitement identique, mais d'un engagement à assurer « ...l'égalité et la dignité de tous les êtres humains » et à donner suite au « désir de remédier à la discrimination dont sont victimes les groupes de personnes défavorisées sur les plans social, politique ou juridique dans notre société. »
L'une de nos juges les plus éminentes a ainsi décidé en toute connaissance de cause de citer dans ce chapitre l'arrêt Eldridge c. Colombie-Britannique, un jugement de la Cour suprême du Canada qui portait sur le capacitisme systémique au sein de notre système de santé. Cette décision rendue en 1997 portait sur la situation d'une femme atteinte de surdité qui revendiquait son droit à des soins de santé et à avoir elle-même un enfant.
En 2012, et à nouveau en 2020, notre association a figuré parmi les intervenants lors de décisions de la Cour suprême dans le but de défendre les droits à l'égalité des femmes handicapées en rappelant à tous que ces femmes méritent qu'on les croie.
Je vous cite un extrait de la plus récente décision, l'arrêt Slatter, qui date du 6 novembre dernier:
Le fait d'accorder une trop grande importance à des généralisations risque de perpétuer des mythes et stéréotypes préjudiciables au sujet des personnes ayant des déficiences, situation qui est peu propice au processus de recherche de la vérité et qui créé des obstacles additionnels pour les gens qui demandent accès à la justice.
Quels messages souhaitez-vous adresser à Mme Ruth, cette militante courageuse et désespérée, alors que nous sommes au coeur de la pire pandémie depuis un siècle? Allez-vous vous contenter de lui répondre: « Non, Mme Ruth, nous ne pouvons pas vous aider. Ce serait tout simplement trop difficile pour nous de le faire, mais nous pouvons vous offrir l'aide médicale à mourir. »? Vraiment?
En vertu du serment que vous avez prononcé en devenant législateurs, vous avez la responsabilité morale et juridique de faire respecter notre Constitution. Il ressort clairement des jugements du plus haut tribunal au pays que vous devez d'abord et avant tout concevoir des lois respectant les préceptes de cette Constitution et le principe de l'innocuité. Pour ce faire, vous devez vous appuyer sur un ensemble équilibré de témoignages et d'informations concernant les répercussions des mesures proposées.
Jusqu'à maintenant, vous n'avez pas été à la hauteur de cette responsabilité dans le cas du projet de loi . Vous ne disposez d'aucun élément justifiant que vous procédiez en toute hâte à l'adoption de cette mesure législative. Vous avez des comptes à nous rendre, et cela inclut tous les Canadiens. Vous nous avez donné la Loi canadienne sur l'accessibilité à la suite de consultations rigoureuses auprès de l'ensemble de la communauté des personnes handicapées pour traiter de différents enjeux relatifs aux droits de la personne. Pourquoi ne pas en faire autant maintenant?
Novembre est le mois de la sensibilisation au handicap autochtone. Je constate que vous n'avez pas jusqu'à maintenant donné pleinement voix au chapitre aux Autochtones handicapés, aux femmes handicapées et à la majorité des gens qui devraient être au coeur de ces discussions touchant les droits de la personne.
Merci.
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Je suis médecin, et je travaille à la clinique de gériatrie du Centre de santé de l'Université McGill depuis 1984. Je traite principalement des patients qui ont des troubles cognitifs. Il m'arrive souvent de faire des évaluations de la capacité et de témoigner devant les tribunaux pour mes patients. Mes collègues me consultent en matière d'évaluation de la capacité et me renvoient leurs cas les plus complexes.
Avant de voir un patient, je recueille tous les renseignements possibles auprès de sa famille, de son travailleur social et d'autres sources. On ne peut pas évaluer la capacité d'un patient sans savoir quelles décisions il doit prendre, avec quelles contraintes il doit composer et pour quels motifs les autres considèrent que certains choix peuvent lui être préjudiciables. Je passe généralement deux heures avec mes patients, et il arrive que je doive les rencontrer plus d'une fois.
Lorsque nous évaluons la capacité, nous tentons de pénétrer l'esprit du patient pour déterminer si un trouble cognitif ou mental l'empêche de bien comprendre l'information dont il a besoin pour prendre des décisions, de déterminer comment cette information s'applique à sa situation, et de justifier et exprimer un choix. Nous jaugeons également le degré de risque associé aux décisions que le patient doit prendre, ce qui peut influer sur notre conclusion. Voilà autant d'éléments qui font en sorte que des experts peuvent avoir des avis différents quant à la capacité d'un patient donné.
Il faut voir plus loin en considérant la capacité d'être en contrôle. Il est impossible de prendre une décision de façon indépendante sans qu'aucune contrainte n'entre en jeu. Il en va de même pour chacun d'entre nous. Parmi les contraintes internes, notons les différentes émotions comme la peur, les habitudes, une méconnaissance des options possibles et le désir de plaire aux autres. Les contraintes externes comprennent notamment la marginalisation, le manque d'options et la pression exercée par les autres. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle l'enquêteur correctionnel du Canada a demandé un moratoire sur l'aide médicale à mourir pour les détenus.
Une personne peut aussi être privée de sa capacité d'exercer un plein contrôle sur ses actions lorsqu'elle est victime de mauvais traitements. C'est le cas d'adultes ayant toutes leurs capacités qui demeurent dans des situations qui leur sont préjudiciables. Je vois à mon cabinet de nombreux aînés victimes de mauvais traitements. Je peux vous donner l'exemple d'une veuve en provenance de l'Europe de l'Est qui n'avait aucun parent au Canada. Une femme prétendant être sa nièce a frauduleusement obtenu une procuration et vidé son compte bancaire avant de la déménager contre son gré dans une maison de soins de longue durée. Elle s'en est enfuie au milieu de l'hiver avec sa marchette avant de m'être amenée pour une évaluation. Elle ne souffrait pas de démence profonde comme on l'avait prétendu. Elle ne parlait pas bien l'anglais, mais elle avait toutes ses capacités. Elle n'exerçait toutefois pas un contrôle suffisant sur ses actes pour pouvoir défendre ses droits sans aide.
Le suicide est un autre exemple. Le groupe d'experts du Conseil des académies canadiennes n'a pas pu dégager un consensus quant à savoir s'il existe une différence significative entre les idées suicidaires et le désir de recourir à l'aide médicale à mourir. Le taux de suicide chez les gens ayant subi un traumatisme de la moelle épinière est 20 fois plus élevé qu'au sein de la population en général, et ce, pendant une période de cinq ans. Ceux qui choisissent de se suicider ne sont pas nécessairement déprimés ou incapables de prendre une décision. C'est seulement que leurs options deviennent extrêmement limitées et qu'il leur faut beaucoup de temps pour s'adapter à leur nouvelle réalité, mais ils finissent par y arriver. Après cinq ans, leur taux de suicide est le même que celui du reste de la population. Il faut les protéger contre leur propre désespoir. C'est la raison pour laquelle notre société prend des mesures de prévention pour contrer les désirs suicidaires. C'est aussi pour cette raison que nous ne pouvons pas autoriser l'aide médicale à mourir après une réflexion de 90 jours seulement.
Le projet de loi ouvre une fenêtre d'intervention auprès de gens dont la mort naturelle n'est pas imminente en exigeant uniquement qu'on leur fournisse de l'information sur les autres moyens d'alléger leurs souffrances et qu'on leur accorde une période de réflexion de 90 jours. Il ne sert à rien de transmettre de l'information sur des services qui ne sont pas accessibles. C'est généralement le cas vu que le délai accordé est souvent insuffisant pour pouvoir consulter un spécialiste et assurément trop court pour qu'un patient retrouve l'espoir de guérir.
Le projet de loi propose une modification au Code criminel en vue d'autoriser les médecins à mettre fin aux jours de Canadiens dont les souffrances n'ont pas été traitées par d'autres moyens. On nous indique que le nombre de patients concernés sera minime. Outre les personnes vivant avec une incapacité, qui ont su vous exposer leurs arguments avec beaucoup d'éloquence aussi bien mardi qu'aujourd'hui, nous pourrions considérer quelques problèmes de santé courants que nous observons dans le cadre de notre pratique. Plus de deux millions de Canadiens ont une maladie pulmonaire obstructive chronique. Ils sont plus de 600 000 à devoir vivre avec une insuffisance cardiaque. Il y a 700 000 survivants d'un AVC et plus de cinq millions de Canadiens souffrant de l'arthrose.
Il va de soi que toutes ces personnes ne vont pas demander l'aide médicale à mourir, mais bon nombre d'entre elles y seront admissibles. Elles souffrent en effet d'une maladie grave et incurable. La question consistant à savoir si leur situation médicale se caractérise par « un déclin avancé et irréversible de [leurs] capacités » est subjective, comme c'est le cas lorsqu'il s'agit de déterminer si leur maladie leur cause « des souffrances physiques ou psychologiques persistantes qui [leur] sont intolérables ».
Toute personne aux prises avec un problème de santé aigu ou chronique lui occasionnant des souffrances et une perte d'autonomie perdra la protection du Code criminel, laquelle sera désormais réservée aux jeunes et aux bien portants. C'est ainsi que l'âgisme et le capacitisme peuvent devenir endémiques. Les aînés et les personnes handicapées se voient refuser des soins parce que l'on considère que leur vie vaut moins que celle d'autres personnes.
En laissant aux médecins le soin de déterminer s'ils doivent offrir l'aide médicale à mourir à tous ceux qui satisfont aux critères établis, on leur donne le droit de vie ou de mort sur des millions de personnes dans une position vulnérable. Comme tous les autres citoyens, les médecins ont leurs propres faiblesses qui peuvent comprendre un parti pris inconscient en faveur de l'aide médicale à mourir comme option de traitement et à l'encontre du maintien de la vie dans certaines circonstances. Personne ne devrait disposer d'un tel pouvoir.
Il faudrait préciser clairement dans la loi que l'aide médicale à mourir n'est pas un acte médical équivalent à un traitement véritable. Ce n'est pas non plus une norme de soins. Il devrait s'agir d'une solution de dernier recours lorsque toutes les autres options raisonnables n'ont pas produit les résultats escomptés.
Merci.
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Merci, monsieur Cooper.
Je crois que nous sommes tous conscients de la hiérarchie et de la différence d'expertise qui caractérisent la relation entre un médecin et son patient. On en traite d'ailleurs expressément dans la loi de l'État australien de Victoria que vous avez mentionnée.
Nous estimons important que ce soit le patient qui aborde le sujet et que les professionnels de la santé répondent ensuite à ses questions concernant l'aide médicale à mourir et les autres options à envisager, en traitant notamment des souffrances à l'origine de sa démarche. Il faut fournir au patient toute l'information nécessaire ou l'aiguiller vers quelqu'un qui pourra bien le renseigner.
Nous demandons d'ailleurs instamment au gouvernement fédéral de profiter de la révision actuelle des mesures législatives touchant l'aide médicale à mourir au Canada pour prendre des dispositions en ce sens de manière à réduire les préjudices pouvant être causés aux patients les plus vulnérables.
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Excellent. Merci pour cette réponse.
Vous soulevez également dans votre mémoire des réserves quant à la période d'attente de 90 jours dans les cas où la mort n'est pas raisonnablement prévisible. D'autres témoins nous ont fait part de leurs préoccupations dans le même sens.
Pouvez-vous nous dire en quoi une période de 90 jours est insuffisante lorsqu'il s'agit d'avoir accès à des services, comme les soins palliatifs ou le soutien psychiatrique ou psychologique nécessaire, sans compter tout le temps qu'il faut pour obtenir, par exemple, un traitement palliatif adéquat? Comment y arriver avec un décompte de 90 jours?
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Ce décompte de 90 jours, pour reprendre votre expression, est très problématique. Différentes études ont d'ailleurs été menées à ce sujet. À titre d'exemple, une étude réalisée au Manitoba a démontré que 90 jours suivant un diagnostic de handicap physique grave, les idées suicidaires des patients atteignent un sommet. Ils peuvent encore songer au suicide, bien que cette volonté fléchisse, pendant toute une année et demeurent ensuite davantage suicidaires que les membres de la cohorte correspondante. Une période d'attente de 90 jours n'est donc certes pas suffisante.
Il y a aussi le fait qu'il faut beaucoup de temps pour que ces patients puissent avoir accès à l'expertise nécessaire. Les patients les plus à risque, ceux par exemple souffrant de douleurs chroniques, peuvent devoir attendre six mois ou plus, selon la région du pays où ils résident, pour obtenir des soins. Je suis moi-même psychiatre. La liste d'attente pour des soins psychiatriques de qualité peut s'étendre sur plusieurs mois, voire une année complète, encore là selon la région.
Le délai de 90 jours est donc problématique pour toutes ces raisons qui sont pour la plupart bien documentées.
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Merci, madame la présidente.
Bonjour à tous mes collègues.
Je remercie tous nos témoins d'être des nôtres aujourd'hui. C'est vraiment un honneur et un privilège de pouvoir vous accueillir.
Je vais poser ma première question à la Dre Brayton.
L'ancien ministre fédéral et député de l'Assemblée législative du Manitoba, Steven Fletcher, qui est quadriplégique depuis l'âge de 23 ans, est récemment intervenu dans le débat relatif à la loi sur l'aide médicale à mourir. Il a fait valoir que, compte tenu du large éventail de situations de handicap possibles, personne, et pas même les groupes représentant les droits des personnes handicapées, ne peut décider pour quelqu'un d'autre ce qui est tolérable ou non. Il a qualifié d'insultantes et de condescendantes les nouvelles mesures de sauvegarde mises en place et les allégations voulant que les plus vulnérables soient ainsi à l'abri. Il a aussi fait le commentaire suivant:
Chacun de nous forme une minorité d'une personne... Dans ce contexte, chacun devrait avoir les mêmes droits et responsabilités que tous les autres. Lorsque l'on considère les choses sous cet angle, tous les autres arguments présentés perdent entièrement leur sens, car nous allons devoir protéger les droits de tout le monde, un point c'est tout.
Madame la présidente, il y a dans ma circonscription des groupes qui travaillent sans relâche pour l'inclusion des personnes ayant différentes incapacités physiques et intellectuelles. Je serais curieux de savoir ce que vous pensez, docteure Brayton, de cette volonté d'inclusion et des propos de M. Fletcher. Convenez-vous avec lui que nous devrions tous avoir les mêmes droits et les mêmes responsabilités et qu'en empêchant quiconque de se prévaloir de l'aide médicale à mourir, on ferait un pas en arrière en matière d'inclusion tout en brimant le droit à l'autonomie des personnes concernées?
Merci beaucoup. J'ai bien hâte d'entendre votre réponse à ce sujet.
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Je vais être bien franche avec vous. M. Fletcher n'est pas un expert en la matière. C'est un homme de race blanche qui accomplit son travail de son côté, mais il n'est pas un défenseur des personnes handicapées et ne s'est jamais intéressé aux recherches menées dans ce contexte. Je ne considérerais donc pas M. Fletcher comme un expert à l'égard de bon nombre des enjeux soulevés par les témoins qui comparaissent aujourd'hui.
Je respecte tout à fait les points de vue exprimés dans ce débat autant par M. Fletcher que par la sénatrice Petitclerc. Je dois seulement rappeler à tous qu'il s'agit de membres de la classe politique et non pas de représentants des communautés dont il est question ici et à l'égard desquelles nous nourrissons des inquiétudes en raison des changements proposés.
Pour que les choses soient bien claires — et j'hésite à faire cette mise en garde, même si elle est nécessaire —, je pense qu'il est particulièrement problématique de cibler dans ce contexte un groupe particulier en faisant valoir expressément que la loi va s'appliquer aux personnes handicapées. Si l'on pousse à sa limite le raisonnement de M. Fletcher, on en arrive à la possibilité que tout le monde devrait avoir accès à l'aide médicale à mourir.
Nous ne pensons bien sûr pas que c'est la bonne solution. J'estime que de nombreux experts ont su démontrer très clairement que les problèmes qui font en sorte que des gens se retrouvent dans une situation où l'aide médicale à mourir est leur seule option pourraient être réglés si on leur offrait de bons soins palliatifs et d'autres traitements améliorant leur qualité de vie, comme dans l'exemple de Ruth dont je vous ai parlé.
Je comprends bien le principe qui est mis de l'avant, mais je pense qu'il y a un véritable problème dans les faits, car il est question ici de personnes extrêmement vulnérables, ce qui n'est pas le cas de M. Fletcher.
Merci.
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Merci pour cette réponse.
Dans le même ordre d'idée, et j'allais vous appeler encore « docteure Brayton »... Je viens presque de vous décerner deux doctorats.
Les défenseurs des droits des personnes handicapées ont participé activement aux consultations, et la contribution de ces groupes nous a été vraiment utile. C'est ce qui nous amène à penser que ce projet de loi réussit à trouver le juste équilibre entre l'autonomie et la protection des plus vulnérables.
Madame Brayton, j'aimerais savoir comment vous proposeriez que nous nous y prenions pour en arriver à ce juste équilibre en protégeant les gens vulnérables tout en leur permettant de conserver leur autonomie. Je ne sais pas si vous pourriez nous en dire plus long à ce sujet.
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Selon moi, tout indique qu'il n'y a pas suffisamment de mécanismes de protection sociale pour les Canadiens vulnérables, y compris les personnes handicapées, et que nous avons manifestement sous les yeux un projet de loi plutôt ambitieux. Je comprends que certaines personnes puissent penser qu'il s'agit d'enchâsser dans la loi le droit de chacun de décider de son propre sort, mais je crois que ces gens-là sont déconnectés d'une réalité dont nous devrions tous prendre conscience. Je vous rappelle que la majorité des plaintes touchant les droits de la personne au Canada sont liées à une situation de handicap.
Aux Nations unies, on s'est dit préoccupé du seul fait que le Canada envisage de tels changements à la loi. J'ai la ferme conviction que le moment serait bien choisi pour que les législateurs marquent une pause en ralentissant le processus pour procéder à l'examen quinquennal suggéré par d'autres témoins.
Il est essentiel que nous prenions un certain recul. Comme je l'indiquais, je crois que personne ici ne souhaite avoir à regretter d'avoir pris l'épouvantable décision d'apporter des modifications à la loi qui vont coûter la vie à certains de leurs concitoyens, comme cela ne manquera pas d'arriver, j'en ai bien peur. Ce commentaire n'est bien sûr pas fondé sur des arguments ayant pu être présentés sur cette tribune, car nous n'avons pas encore eu droit à des témoignages objectifs, ce qui est aussi très problématique à mes yeux.
Merci.
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Je vous remercie, madame la présidente.
Je remercie tous les témoins de leur précieuse collaboration.
La dignité inhérente à chaque être humain n'est pas une vue de l'esprit. Cela s'incarne dans le contexte biomédical par le principe d'autodétermination de la personne. C'est pourquoi on dit souvent, en éthique clinique, que le patient est la norme et que nul ne doit porter atteinte à son consentement libre et éclairé. Le législateur doit s'assurer justement qu'il y a consentement libre et éclairé.
Docteure Ferrier, dans ce contexte, pourquoi ne devrait-on pas proposer l'aide médicale à mourir comme une option?
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Le code de déontologie a été amendé par le Collège des médecins pour ouvrir la porte à l'aide médicale à mourir. Or, selon moi et selon la tradition médicale de toujours, enlever la vie à une personne n'est pas un soin.
Pour ma part, j'adresse des patients à des gens qui vont leur donner des soins bénéfiques, pas des soins qui vont leur faire du tort. Les patients nous demandent parfois des procédures, des opérations ou des médicaments. Si nous pensons que cela va leur faire du tort, nous refusons de les leur donner. Je pourrais vous donner des milliers d'exemples, mais je pense que tout le monde en connaît.
Si un chirurgien refuse de faire une certaine opération, il ne va pas adresser le patient à un autre chirurgien qui va la faire. La démarche se finit là. Le chirurgien va dire au patient qu'il est libre d'aller consulter un autre chirurgien s'il le souhaite, mais que ce n'est pas lui qui va l'adresser à cet autre chirurgien si ce dernier va lui faire du tort.
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Merci beaucoup, madame la présidente.
Mes collègues voudront bien m'excuser, mais je ne peux pas m'empêcher de rappeler devant chaque nouveau groupe de témoins que j'ai inscrit il y a plusieurs semaines déjà une motion au Feuilleton de la Chambre des communes demandant que l'on entreprenne l'examen prévu par la loi en veillant à ce que l'on dispose du mandat et des ressources nécessaires pour étudier quelques-unes des questions très importantes qui ont été soulevées ici concernant les soins palliatifs et les personnes vivant avec un handicap.
Si nous n'adoptons pas le projet de loi , ce sont les jugements des tribunaux qui vont guider la pratique en matière d'aide médicale à mourir au Canada.
Comme il se doit, nous avons entendu de nombreux médecins nous parler d'aide médicale à mourir, mais nous avons aussi droit aujourd'hui au point de vue du personnel infirmier.
Je vais d'abord m'adresser à M. Hamza, car je crois qu'il a traité de certains éléments que l'on n'avait pas portés à notre connaissance depuis le début de notre étude. Je sais que l'une de ses recommandations portait sur les risques auxquels pourrait s'exposer le personnel infirmier, y compris les infirmières et infirmiers praticiens, en abordant le sujet de l'aide médicale à mourir avec leurs patients.
Pouvez-vous nous en dire plus long au sujet de vos préoccupations à ce sujet, monsieur Hamza?
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Non, c'est bien. Je vous le dis à titre d'information. C'est une charmante personne.
Oui, nous avons des préoccupations à un certain nombre d'égards. Toutefois, j'ai entendu les observations très intéressantes d'aujourd'hui, et je voudrais expliquer que les patients ont des conversations intimes très intenses avec le personnel infirmier, qui sont difficiles à décrire.
Au cours des 20 premières années de ma carrière, j'ai passé la plus grande partie de ma pratique clinique en neurochirurgie, auprès de personnes atteintes de lésions médullaires, de lésions cérébrales, de nombreuses choses dont nous avons parlé. Souvent, les patients et les familles diront quelque chose à une infirmière ou à un infirmier, à 3 heures, dans la tranquillité de la nuit, qu'ils ne diraient nulle part ailleurs. Nous avons souvent parlé de sujets difficiles, comme l'avortement, les décisions relatives aux traitements, les raisons pour lesquelles un patient refuse la chimio alors qu'elle pourrait l'aider.
Dans le cadre de l'étude que nous avons menée au cours des trois dernières années, en prévision de l'examen plus vaste, des infirmières et infirmiers nous ont dit qu'ils avaient l'impression d'être limités par cela, et s'il y avait des possibilités, nous conseillerions les gens sur le large éventail de services de santé, peu importe que nous soyons dans une clinique pour femmes ou une clinique neurochirurgicale.
Je crains que ce soit décrit comme si l'on disait aux patients « vous devriez ». Il s'agit plutôt de leur demander s'ils ont songé à ceci ou à cela. Très souvent [Difficultés techniques] et les gens ne le soulèveront pas avant longtemps. Nous voulons que le personnel infirmier soit protégé de sorte qu'il puisse tenir ces discussions quant à la possibilité que ce soit dans l'esprit du patient.
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C'est le cas. Nous sommes inquiets de ce qui pourrait arriver, par exemple, dans de nombreuses communautés autochtones, dans lesquelles il n'y a peut-être qu'un ou deux fournisseurs de soins de santé, souvent seulement du personnel infirmier — je ne devrais pas dire « seulement », mais plutôt qu'il n'y a pas de médecins. Cependant, c'est un peu extrême.
Par exemple, je viens de terminer mon mandat de deux ans à titre de président du conseil d'administration, ici, à l'Hôpital Winchester District Memorial dans l'Est de l'Ontario. Je vis en région rurale depuis environ 20 ans maintenant et je peux vous dire que tout le monde se connaît. Oui, nous pouvons certainement faire un appel et faire venir un évaluateur d'une autre collectivité, mais tous nos médecins se connaissent et ils connaissent les infirmières et infirmiers, etc. Nous craignons que cela alourdisse et retarde le processus.
Sur le plan éthique, les médecins et le personnel infirmier sont tenus de respecter un certain code de conduite. Le fait de connaître ou de ne pas connaître le fournisseur ne devrait pas conduire à la coercition ou à la conspiration, si c'est ce que l'on craint.
J'aimerais remercier les témoins de leur présence aujourd'hui.
J'ai une question pour le Dr Chochinov. Elle porte sur les idées suicidaires. Nous devrions examiner différents types de maladies ou le déclin de l'état de santé et les analyser pour indiquer différents délais en fonction des personnes. Pour certaines de ces maladies, il est clair qu'il y a détérioration de l'état de santé. Nous avons parlé des gens qui deviennent quadriplégiques. Évidemment, dans ce cas, on ne parle pas d'un déclin continu de leur état. Un accident ou autre chose les a paralysés.
Proposeriez-vous des amendements qui concerneraient peut-être la détérioration de l'état de santé? Quels amendements conviendraient dans ce type de situations à votre avis?
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C'est une question difficile, car nous essayons de nous attaquer au problème de la souffrance et à la façon dont nous pouvons aider le patient qui souffre, et nous utilisons un outil qui est particulièrement grossier, soit l'euthanasie ou le suicide assisté.
Les idées suicidaires ne sont pas rares dans la population générale. Une étude canadienne a révélé qu'environ 13 % des gens auront des idées suicidaires au cours de leur vie. Environ 4 % d'entre eux auront des plans à cet égard et environ 3 % d'entre eux feront une tentative de suicide. Cependant, le taux de suicide est d'environ 14 sur 100 000. Le suicide demeure donc relativement rare compte tenu du nombre de personnes qui ont des idées suicidaires.
Comme je le soulignais, et comme la Dre Ferrier l'a souligné également, dans les cas, par exemple, de lésions médullaires, d'AVC et de traumatisme crânien, nous savons que si nous suivons ces patients au fil du temps, jusqu'à 24 mois après les faits, il se peut qu'ils aient encore des idées suicidaires. Je pense que nous devrons examiner chaque maladie et la trajectoire des idées suicidaires, si c'est même possible.
Encore une fois, je dirais que la disposition portant sur la mort raisonnablement prévisible permet au moins de faire une distinction entre l'aide médicale à mourir et le suicide, auquel ont recours des gens qui ne veulent plus continuer à vivre.
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Merci beaucoup. C'est ce qui met fin à votre intervention de deux minutes et demie, monsieur Manly.
À ce moment-ci, avant que nous passions à notre deuxième série de questions, j'aimerais savoir si les membres du Comité consentent à ce que nous procédions selon l'ordre et le temps d'intervention suivant: Parti conservateur pour cinq minutes, Parti libéral pour cinq minutes, Bloc québécois pour deux minutes et demie et NPD pour deux minutes et demie. Pouvez-vous tourner votre pouce vers le haut si vous voulez que nous poursuivions de cette façon?
Monsieur Garrison, je ne vois pas votre pouce. Je veux seulement m'assurer que ça va. Très bien. Allons-y, alors.
C'est maintenant au tour de M. Moore, qui dispose de cinq minutes.
Allez-y, monsieur Moore.
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Merci, madame la présidente. Je remercie tous les témoins de leurs témoignages importants et pertinents.
Docteur Chochinov, j'ai une question à vous poser. Des témoins nous ont dit qu'ils étaient préoccupés en particulier par les répercussions que le projet de loi aurait sur les personnes handicapées. Cette semaine, des groupes qui représentent les personnes handicapées ont comparu devant notre comité. Il y a eu des discussions sur les cas où la mort n'est pas raisonnablement prévisible. Premièrement, si la mort est raisonnablement prévisible, il y a le retrait de la période d'attente de 10 jours, mais si la mort n'est pas raisonnablement prévisible, une nouvelle période de 90 jours est prévue. Plusieurs personnes nous ont dit que la période de 90 jours ne convient pas du tout, parce que certaines personnes peuvent avoir à peine commencé leur traitement.
Pourriez-vous nous éclairer au sujet de cette période de 90 jours entre le moment où une personne peut demander l'aide médicale à mourir ou être évaluée pour l'aide médicale à mourir et le moment où elle la reçoit, lorsque son décès n'est pas raisonnablement prévisible?
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Encore une fois, la période de 90 jours pose problème. Je reviens à l’étude du Manitoba dont j’ai parlé. C’est une étude qui portait sur des groupes de gens qui avaient souffert d’une maladie physique quelconque et, à partir du moment où le diagnostic a été posé jusqu’à 90 jours plus tard, on a constaté que ces gens avaient atteint leur maximum sur le plan des idées suicidaires. Nous savons qu’il y a une période d’ajustement après qu’une personne subit un changement dans son état physique découlant d’une maladie physique ou mentale qui peut se manifester par un désir de mourir.
Il y a l’autre étude que j’ai mentionnée, et je pense qu’il vaut la peine de regarder les chiffres. Dans le cadre de certaines études, on a suivi des gens qui avaient subi un AVC ou qui étaient atteints de handicaps en raison de lésions médullaires ou de traumatismes crâniens jusqu’à deux ans après les faits. Fait intéressant, lorsqu’on regarde ces gens qui étaient déprimés au départ et qui ont ensuite reçu un traitement contre la dépression, on voit qu’ils passent tous d’un état où ils sont suicidaires à un état où ils ne le sont plus.
Encore une fois, je voudrais souligner que les gens dont la mort n’est pas raisonnablement prévisible ont besoin de recevoir du soutien destiné aux personnes handicapées et il faut que l’accès aux moyens soit limité, car nous savons que plus les gens ont accès à des moyens, comme des armes à feu... En passant, le taux de suicide est deux fois plus élevé aux États-Unis qu’au Canada. On pense que c’est probablement à cause de l’accès aux armes.
Si nous limitons l’accès aux moyens et si nous offrons un traitement aux gens, nous savons que les gens reviendront sur leur décision de se suicider. En tant que psychiatre, j’ai travaillé auprès de gens qui avaient des idées suicidaires chroniques, même pendant un certain nombre d’années. Ils ont encore des difficultés, mais en offrant de bons services de soins psychiatriques, nous nous engageons résolument à être auprès de ce patient, et nous nous engageons dans une relation avec ce patient. Ces personnes ont ensuite mené une vie productive. Elles sont aimées et elles aiment. Elles ont élevé une famille et leur existence a un sens.
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Merci beaucoup, madame la présidente. Je vais essayer d’être très bref. Je vais faire deux ou trois précisions.
Il a été dit que les législateurs du Comité étaient en mesure d’apporter des modifications qui coûteraient la vie à des gens. Je pense que c’est de cette façon qu’on s’est exprimé. Je crois, en fait, que les mesures législatives permettent aux gens — comme c’était le cas dans le passé, et c’est toujours le cas — de prendre des décisions concernant leur propre vie. Les gens sont autonomes et la décision est prise par les gens concernés et non par les législateurs. C’était ma première précision.
L’autre chose que je veux préciser, c’est qu’on a cité l’ancienne juge en chef, Mme Beverley McLachlin dans les témoignages ici. Je pense que c’est important, car il était question des droits à l’égalité et des personnes handicapées. La juge en chef McLachlin a participé à la décision unanime dans l’affaire Carter. On y disait que la Constitution exige qu’on mette fin aux souffrances afin d’alléger les préoccupations des gens et de leur accorder une autonomie. Je crois qu’il est important que ce soit consigné au compte rendu.
J’ai une question que j’aimerais poser à MM. Villeneuve et Chochinov.
Soit dit en passant, monsieur Chochinov, je suis ravi que vous ayez souligné le lien entre le contrôle des armes à feu et la prévention du suicide. Je crois que tous les partis devraient être très conscients de ce lien et de la nécessité d’un contrôle des armes à feu.
Vous représentez les infirmières et infirmiers, monsieur Villeneuve, et la question vous a été posée plus tôt, docteur Chochinov. Je vais maintenant vous poser ma question. Si l’on estime que des pressions ont été exercées — coercition, influence, pressions indues —, je présume que cela doit faire l’objet d’une enquête, être signalé aux autorités et, le cas échéant, faire l’objet de poursuites judiciaires. Dans votre contexte, monsieur Villeneuve, et dans le vôtre, docteur Chochinov, êtes-vous au courant de cas où des infirmières ou infirmiers ou des médecins font l’objet de telles poursuites dans ce pays?
Monsieur Villeneuve, la question s’adresse d’abord à vous.
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Je vous remercie beaucoup, madame la présidente.
Docteure Boyle et docteur Chochinov, vous avez indiqué tout à l'heure que l'élimination de la période de 10 jours pourrait précipiter les patients vers la mort. Cette élimination concerne les patients dont la mort est imminente, on s'entend là-dessus.
Des témoins nous ont dit que, dans leur pratique médicale, c'est un long processus, surtout pour les patients en phase terminale comme les cancéreux. Le problème, c'est que les soins palliatifs ne peuvent pas contrôler complètement la douleur.
À partir du moment qu'il y a des effets indésirables liés aux soins palliatifs et que le patient se retrouve dans une situation où émerge la demande d'aide médicale à mourir, en quoi l'élimination de la période de 10 jours n'est-elle pas liée au désir de ne pas le faire souffrir davantage? Pourquoi faudrait-il considérer cela comme une précipitation vers la mort alors que, au fond, aucun praticien ne veut précipiter vers la mort quiconque, qu'il soit mourant ou pas? Vous n'avez pas l'air d'avoir confiance en vos collègues.
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Merci, monsieur Thériault.
Nous ne nions pas que les droits des gens doivent être respectés. C'est très vrai. Le problème, c'est qu'à moins que les gens aient accès à des soins palliatifs pour aider à atténuer... Et nous savons que l'accès universel aux soins palliatifs n'existe pas au Canada, et il faut s'attaquer à ce problème.
Concernant la période de réflexion, même les personnes dont la mort naturelle est raisonnablement prévisible ont parfois besoin de temps pour obtenir de l'aide pour atténuer leur souffrance et leurs symptômes, et elles peuvent changer d'idée. C'est contextuel, comme le Dr Chochinov l'a mentionné, et nous devons veiller à avoir une mesure législative qui en tient compte.
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On a l'impression d'avoir une main attachée dans le dos lorsqu'on ne peut soulever certaines questions. Par exemple, nous parlons aux patients des raisons pour lesquelles ils refusent un traitement contre le cancer qui pourrait les guérir. Certaines personnes ne prennent pas les décisions que nous souhaiterions qu'elles prennent.
Je peux vous assurer, pour avoir eu affaire à beaucoup d'infirmières partout au pays, qu'aucune personne saine d'esprit ne veut se précipiter dans une situation de ce genre pour en parler. Ce qu'ont dit les experts qui l'ont fait, c'est qu'ils avaient l'impression de ne pas être en mesure d'avoir une discussion pleine et entière et qu'ils ne pouvaient même pas soulever la question.
Les sondages révèlent que 86 % des Canadiens disent vouloir en discuter. Ils veulent une mesure législative. Cela fait l'objet de discussions depuis 30 ans. Le public ne connaît pas les détails, mais il est certainement prêt à avoir ces discussions. Pourtant, nous disons aux infirmières qui ont une maîtrise qu'elles ne peuvent pas en parler. Nous devons régler ce problème.
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Merci, madame la présidente. Je vous suis reconnaissant de m'accorder ce temps.
Nous avons vraiment appris beaucoup de choses sur divers fronts aujourd'hui. Nous avons eu de formidables témoins tant dans la première partie que dans la deuxième. Évidemment, je suis très heureux que notre collègue du Parti vert ait aussi assisté à la réunion. J'ai trouvé ses commentaires plutôt judicieux. Je crois que c'est la première fois qu'il a l'occasion de venir au Comité. Excusez-moi si je me trompe.
Je pense que M. Virani a été tout aussi impressionnant. C'est lui qui a insisté pour qu'on lui accorde une voix, ce qui a été unanime.
En outre, madame la présidente, vous avez vous-même été magnanime tout à l'heure en accordant plus de temps pour le premier tour de questions.
Ce que je veux dire, madame la présidente, c'est que je pense que le Comité a raté une occasion d'avoir une autre réunion. Je pense que ne pas le faire reviendrait à manquer énormément de respect à l'égard de la communauté des personnes handicapées autochtones et à l'égard des femmes vulnérables. C'est ce que Mme Brayton a très clairement fait savoir.
Madame la présidente, je voudrais proposer que, nonobstant la décision du Sous-comité de tenir quatre réunions, le Comité tienne une réunion supplémentaire de deux heures, et je voudrais un vote par appel nominal à ce sujet, s'il vous plaît.
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Nous reviendrons à vous après le vote, monsieur Thériault. Je vous remercie.
Monsieur le greffier, pourriez-vous procéder au vote par appel nominal s'il vous plaît?
(La motion est rejetée par 6 voix contre 5.) [Voir le Procès-verbal])
La présidente: Monsieur Thériault, avant de vous donner la parole, je vais très rapidement rendre ma décision sur le rappel au Règlement soulevé par M. Virani lors de la réunion du 10 novembre.
Lors de notre dernière réunion, dans son rappel au Règlement, M. Virani remettait en question le caractère approprié d'une intervention de M. Cooper, qui faisait alors référence à une position qu'il aurait prise lors des délibérations à huis clos à la dernière réunion du sous-comité.
Dans La procédure et les usages de la Chambre des communes, troisième édition, aux pages 1089 à 1090, on lit ce qui suit: « Le Président a jugé que la divulgation de quelque partie que ce soit des délibérations d’une réunion à huis clos d’un comité constituait une question de privilège fondée de prime abord. »
J'aimerais rappeler aux députés ce principe important et les inviter, dans leurs interventions au Comité, à prendre garde de ne pas faire référence directement, indirectement ou accidentellement à la nature et au contenu des délibérations qui ont eu lieu pendant ces réunions à huis clos. Veuillez noter, cependant, que les décisions favorables issues de ces délibérations sont considérées comme publiques.
La question étant clarifiée, je considère maintenant que l'affaire est close. Je vous remercie.
Avant de céder la parole à M. Thériault, je rappelle aux députés que la date limite pour les amendements au projet de loi est le vendredi 13 novembre à 16 heures, au plus tard. Si vous avez des questions concernant la rédaction, etc., veuillez communiquer avec notre greffier législatif. Son adresse électronique vous a été communiquée.
Cela dit, nous passons à M. Thériault.
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Avec plaisir, madame la présidente.
Les gens qui analysent les amendements soumis par les députés au projet de loi auront besoin d'environ 48 heures ouvrables pour examiner ces amendements, juger de leur recevabilité du point de vue de la procédure et les assembler en trousse qui sera distribuée aux députés afin de faciliter leur examen de chacun des articles du projet de loi.
Si le Comité décide de repousser la date limite pour soumettre les amendements à ce projet de loi à lundi prochain, il devra repousser la date du début de son examen de chacun des articles du projet de loi.
Si un tel report n'est pas souhaité par une majorité des membres du Comité, il faudra s'en tenir à la date qui a été fixée par le Comité, soit demain à 16 heures, quitte à accepter des amendements supplémentaires dans la matinée du lundi 16 novembre. Ces amendements pourraient alors être traités le plus rapidement possible pour être ajoutés à la trousse destinée aux membres du Comité aux fins de l'examen qui doit débuter mardi prochain.
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Merci de votre décision, madame la présidente.
J'ai un bref commentaire à faire. Certains députés ont fait référence à la décision du comité directeur. Ce n'est pas un problème, les décisions sont publiques. Cependant, lorsque les députés, comme l'a fait M. Virani à plusieurs reprises, parlent d'une voie à suivre pour notre comité et font référence à la réunion du comité directeur en indiquant que des députés du Parti conservateur y ont assisté, cela suppose que les décisions ont été prises à l'unanimité, ce qui revient à révéler ce qui s'est passé au comité directeur.
Si nous pouvions limiter nos discussions sur le comité directeur aux décisions, comme vous l'avez dit dans votre décision, je pense que cela aiderait tout le monde et que les choses iraient beaucoup mieux.
Merci, madame la présidente.
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Madame la présidente, mon intégrité est mise en doute par M. Moore, et j'en suis profondément vexé.
J'ai pesé mes mots. J'en ai fait un usage très judicieux ici et dans le comité précédent. S'il y a quelqu'un qui a été réprimandé au Comité, c'est bien M. Cooper, le collègue de M. Moore, comme vous l'avez fait dans votre décision, ce que j'ai trouvé très édifiant.
Je vous remercie beaucoup, mais je regrette ce que cela sous-tend. Je n'essaie pas de faire indirectement ce qui ne peut être fait directement.
Je vous remercie, monsieur Moore, pour vos efforts — en vain — à cet égard.