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Je déclare la séance ouverte et souhaite la bienvenue aux membres du Comité. C'est la cinquième réunion du Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes.
La séance d'aujourd'hui se déroule dans un format hybride, conformément à l'ordre adopté par la Chambre le 23 septembre 2020. Sachez, si vous participez virtuellement à la séance, que la diffusion Web ne montre que la personne qui parle plutôt que l'ensemble du Comité.
Voici quelques règles à suivre. Les députés comme les témoins peuvent s’exprimer dans la langue officielle de leur choix. Assurez-vous simplement de choisir, au bas de votre écran, la langue d'interprétation qui vous convient.
Je vous invite à attendre que je vous donne nommément la parole avant de la prendre. Veuillez cliquer sur l’icône du microphone pour l'activer. Quant aux participants dans la salle, votre microphone sera contrôlé par le personnel, comme d'habitude. Lorsque vous parlez, veuillez vous exprimer lentement et distinctement. Quand vous ne parlez pas, mettez votre micro en sourdine.
En ce qui a trait à la liste des intervenants, le greffier et moi ferons de notre mieux pour respecter l'ordre établi pour tous les membres du Comité, qu’ils soient présents en personne ou participent virtuellement à la réunion. Vous verrez que j'ai deux cartons, dont un qui sert à vous indiquer qu'il vous reste une minute et l'autre, 30 secondes. Je les montrerai aux députés comme aux témoins afin que chacun sache combien de temps il lui reste pendant la période de questions.
Comme cette question s'est déjà présentée lors de séances antérieures, j'aimerais rappeler aux députés les motions de régie interne que nous avons adoptées lors de nos séances précédentes. Les voici.
Concernant le temps accordé pour les allocutions d'ouverture et l'interrogation des témoins:
Que sept minutes et demie, à la discrétion de la présidence, soient accordées aux témoins pour leur allocution d’ouverture; et que pendant l’interrogation des témoins, à la discrétion du président, le temps alloué à la première ronde de questions soit de six minutes pour le premier intervenant de chaque parti, dans l'ordre qui suit : Parti conservateur, Parti libéral, Bloc québécois, Nouveau Parti démocratique; que pour la deuxième ronde de questions et les rondes subséquentes, l'ordre et le temps alloué à chaque intervenant soient comme suit : Parti conservateur, cinq minutes, Parti libéral, cinq minutes, Bloc québécois, deux minutes et demie, Nouveau Parti démocratique, deux minutes et demie, Parti conservateur, cinq minutes, Parti libéral, cinq minutes.
Je vous remercie de me permettre d'exercer mon pouvoir discrétionnaire pour présider la réunion de manière équitable, j'espère que nous pourrons continuer ainsi. Je le mentionne compte tenu des difficultés que nous avons connues dans le passé en ce qui concerne les questions et le temps accordé à chacun, mais surtout, parce que l'un de nos témoins d'aujourd'hui a demandé qu'on lui accorde du temps supplémentaire pour prendre la parole, étant donné que nous accordons habituellement cinq minutes aux témoins. J'exercerai donc mon pouvoir pour permettre à M. Foley de prendre sept minutes et demie pour présenter son allocution lors de la première ronde de questions.
Sur ce, j'aimerais souhaiter la bienvenue à nos témoins. Nous entendrons Julie Campbell, infirmière praticienne au service provincial de coordination des soins, qui comparaît à titre personnel. Nous accueillons aussi M. Roger Foley, qui est accompagné de son avocat, Ken Berger. Nous recevons des représentants de l'Association for Reformed Political Action Canada, soit John Sikkema, conseiller juridique, et André Schutten, conseiller juridique et directeur du droit et des politiques. Enfin, nous entendrons une représentante d'Inclusion Canada, soit Krista Carr, vice-présidente à la direction.
Je vous remercie tous et toutes d'être ici aujourd'hui. Nous passerons directement aux questions. Nous commencerons par la première personne figurant sur ma liste, Julie Campbell.
Madame Campbell, vous avez cinq minutes pour nous présenter votre allocution. Je vous remercie beaucoup. La parole est à vous.
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Merci, madame la présidente et bonjour à tous.
Je m'appelle Julie Campbell. Je suis ici pour vous parler aujourd'hui à titre d'évaluatrice du Programme d'aide médicale à mourir et de prestataire de soins, et aussi en raison de mon expérience en matière de coordination, de gestion et de leadership à cet égard. Je tiens à féliciter le gouvernement pour l'étude réfléchie qu'il a entreprise pour comprendre ce travail et surtout, nos patients. Je suis également très heureuse de l'inclusivité dont font preuve les ministres dans leur choix de mots en reconnaissant le travail important à la fois des infirmières praticiennes et des médecins.
Chaque mois, je parle à plus de 140 nouveaux patients et à leur famille, en plus de faire des présentations à des groupes communautaires. Les plus grandes préoccupations qui me sont exprimées sont de loin celles concernant l'absence de consentement préalable et la période de réflexion de 10 jours, donc je suis contente que ces questions soient prises en compte. Je vous suis également reconnaissante des modifications concernant les demandes de témoins. Les patients qui réclament l'aide médicale à mourir devraient bénéficier de la même protection de la vie privée que tout autre patient. Le fait de permettre à des professionnels de la santé de signer les documents est un pas dans la bonne direction pour assurer cette confidentialité. Il serait également bon d'ajouter une disposition afin de permettre la présence virtuelle de témoins.
Je fais ce travail, comme la plupart de mes collègues, parce que nous pouvons faire une différence en réduisant la souffrance des patients qui estiment que c'est le bon choix personnel pour eux dans les circonstances, selon leurs valeurs et leurs expériences. J'aimerais vous faire part de quelques grandes réflexions qui me semblent importantes pour la mise en oeuvre de cette loi en première ligne.
Les patients des régions rurales sont les plus susceptibles de bénéficier de la possibilité de s'administrer soi-même, oralement, l'aide médicale à mourir. C'est que l'évaluation de ces patients peut se faire virtuellement et que nos connaissances en la matière et la sûreté de la chose ont été testées pendant la pandémie. Je pense à un patient en particulier qui a pu s'administrer lui-même l'aide médicale à mourir par voie orale dans une communauté éloignée, alors que le prescripteur se trouvait à grande distance. L'intervention s'est faite sous la supervision de médecins et d'infirmières locaux en constante communication avec le prescripteur. Cette mesure permet aux cliniciens d'exercer leur droit de conscience et aux patients, de recevoir de l'aide médicale à mourir en région éloignée. Je crois toutefois qu'il conviendrait de modifier le projet de loi pour exiger la présence d'un professionnel de la santé réglementé autorisé à prononcer la mort du patient, plutôt que de simplement exiger la présence physique du prescripteur sur les lieux.
Dans la région de l'Ontario où je travaille le plus souvent, j'ai calculé le nombre de prestataires uniques de l'aide médicale à mourir au cours des 12 derniers mois. J'en ai compté 49. Cependant, 84 % des 307 personnes qui ont reçu de l'aide médicale à mourir cette année l'ont reçue des mêmes 12 évaluateurs sur 49. Ainsi, la majorité des services d'aide médicale à mourir sont offerts par un petit nombre de prestataires ayant acquis de l'expertise en la matière par expérience. Cela montre qu'il faut continuer de favoriser des évaluations attentives, réfléchies, axées sur le patient, pour lesquelles l'évaluateur consulte ses collègues de différents champs de compétence lorsqu'il en sent le besoin. Si le libellé de la loi était tel que la même personne devrait être une spécialiste du problème médical de la personne et de l'évaluation de l'admissibilité au PAMM, certains de nos patients aux profils les plus complexes n'auraient certainement pas accès à ces soins en raison de la complexité de leurs problèmes et du nombre d'évaluateurs qualifiés dans leur région. Cette exigence ne fait que prolonger leurs souffrances, alors que la possibilité de consulter des collègues au besoin pourrait nous offrir les protections nécessaires sans compromettre l'égalité d'accès aux soins.
Il est impératif de conserver tel quel le libellé définitoire de « problèmes de santé graves et irrémédiables », puisque les évaluateurs du PAMM comprennent ces critères. Ainsi, les souffrances pourraient toujours être liées soit à la maladie ou handicap, soit à l'état avancé du déclin, mais pas nécessairement aux deux.
J'aimerais également m'assurer que le projet de loi offre les mêmes protections et la même aide aux patients ayant consenti aux soins à l'avance. Ainsi, un signataire autorisé pourrait signer le consentement préalable écrit, sur instructions du patient, lorsque celui-ci n'est pas en mesure de signer et de dater lui-même le document le moment venu.
Enfin, je m'en voudrais de ne pas mentionner que la mise en oeuvre de cette loi fédérale se fait en collaboration avec les gouvernements provinciaux. Les patients n'ont pas tous équitablement accès au PAMM de la même façon d'une région à l'autre, d'une province à l'autre ou partout au pays, à cause de ces différences. Ainsi, les provinces ou les employeurs n'offrent pas tous la même couverture du sécobarbital oral ou n'imposent pas toutes les mêmes limites aux champs d'activité, ils n'offrent pas tous de l'aide au déplacement dans les régions éloignées, ni la même rémunération aux infirmières praticiennes. La loi ne pourra donc offrir de choix aux patients canadiens que si elle est pleinement mise en oeuvre.
Je vous remercie de votre attention ainsi que de tout votre travail.
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Je m'appelle Roger Foley. J'ai 45 ans. Je suis né avec une ataxie spinocérébelleuse, qui est une maladie neurodégénérative grave.
Malgré mes handicaps, j'ai obtenu deux diplômes de l'Université Carleton, en économique et en histoire. J'ai pris soin de mon père, qui a souffert du cancer, de troubles cardiaques et de problèmes rénaux. Je l'ai aidé à vivre pendant huit ans après son diagnostic initial. C'était un ancien combattant de première ligne de la Seconde Guerre mondiale. J'ai travaillé à la Banque Royale du Canada comme directeur du commerce électronique et j'ai reçu plusieurs prix de la RBC pour mes excellents résultats. J'étais indépendant et actif dans ma communauté et dans le sport, ainsi que comme musicien et écrivain.
Malheureusement, mes handicaps ont empiré avec le temps, et je suis désormais devenu totalement dépendant. Je ne peux plus marcher, j'ai une aptitude très limitée à bouger et encore plus à avaler, tout simplement. J'ai besoin d'aide pour tout, y compris pour aller à la selle, prendre mon bain et mes médicaments. J'ai investi beaucoup de temps et d'argent afin de rendre mon appartement accessible, mais le système de santé a refusé de financer directement des soins à domicile pour que j'aie accès aux préposés aux soins personnels dont j'ai besoin pour continuer de vivre chez moi.
En raison du régime d'aide médicale à mourir en vigueur au Canada, je n'arrive pas à recevoir les soins et l'aide dont j'ai besoin pour vivre. Je me suis vu refuser de la nourriture et de l'eau. Je n'ai pas reçu l'aide nécessaire pour me déplacer, prendre mes médicaments et aller à la toilette. J'ai subi des abus et essuyé des reproches à cause de mes handicaps, et on m'a dit que mes besoins représentaient trop de travail. Ma vie est dévalorisée.
On me pousse vers l'aide à mourir à force d'abus, de négligence, de manque de soins et de menaces. Par exemple, quand j'ai réclamé de l'aide pour pouvoir vivre chez moi et y recevoir des soins à domicile autogérés, l'éthicien et les infirmières de l'hôpital ont essayé de me pousser vers l'aide à mourir en menaçant de me facturer 1 800 $ par jour ou de me forcer à quitter l'hôpital sans avoir accès aux soins dont j'ai besoin pour vivre. J'ai senti des pressions de la part du personnel pour me convaincre d'opter pour l'aide à mourir plutôt que de voir mes souffrances allégées grâce à des soins dignes et empreints de compassion.
Le personnel de l'hôpital a manqué à son devoir de me fournir ce qu'il faut pour vivre. On m'a refusé de la nourriture et de l'eau pendant une vingtaine de jours. Je suis devenu gravement acidique. Une spécialiste chargée d'examiner mon dossier a conclu à un manquement au devoir de me fournir ce qu'il faut pour vivre et à un cas de grossière négligence.
Confronté à ces attaques constantes, j'ai commencé à faire mes recherches sur les raisons pour lesquelles une telle chose est possible au Canada. Je me suis rendu compte que tout le régime de l'aide à mourir se fonde sur une fausse propagande, des biais, des conflits d'intérêts, un aveuglement, l'abdication complète du système de santé et du système judiciaire et l'incapacité de la loi à me protéger. Des juges totalement biaisés, en situation de conflit d'intérêts, ont rendu des décisions sur des affaires d'aide à mourir. Ils étaient censés être justes et impartiaux, mais ont laissé tomber notre pays en manquant à leur devoir de protéger les plus vulnérables d'entre nous.
Le sort réservé aux personnes vulnérables au Canada est si cruel. Il est plus facile d'avoir accès à l'aide à mourir qu'à de l'aide sûre et appropriée pour vivre avec son handicap. Vous, qui faites partie du Comité, ne pouvez pas laisser cela m'arriver, à moi ou à d'autres. Vous tournez le dos aux personnes handicapées et aux Canadiens âgés. Un jour, vous, vos proches et vos amis vous retrouverez tous dans ma situation. Vous ne pouvez pas laisser ce régime continuer de dégénérer ainsi.
La décision Truchon est une décision illégitime rendue par une juge biaisée et corrompue. Christine Baudouin a rendu cette décision parce que les travaux de son propre père ont été utilisés en preuve par l'avocat du demandeur. Elle aurait dû se récuser et se déclarer en conflit d'intérêts. Le même genre de biais, de conflit d'intérêts et de leurre des Canadiens sur l'aide à mourir s'est répété dans les affaires Carter, Lamb et dans la situation d'Audrey Parker.
Ces erreurs graves de notre système judiciaire et de notre système de santé et cette incapacité à protéger les plus vulnérables d'entre nous doivent cesser.
J'ai lu un courriel écrit par Jean Truchon avant sa mort révélant que tout ce dont il aurait eu besoin était de 70 heures de soins à domicile par semaine pour vivre. Au lieu de cela, notre système de santé et notre système judiciaire ont choisi à tort de l'aider à mourir.
J'ai porté plainte aux Nations unies. La rapporteuse spéciale a effectué une visite au pays. Son rapport est très sévère. Elle est extrêmement inquiète pour les personnes handicapées à qui on demande d'envisager l'aide à mourir.
J'ai présenté une plainte à la rapporteuse spéciale sur l'indépendance des juges concernant le manque d'indépendance et d'impartialité de nos tribunaux dans les cas d'aide à mourir. Je prévois également appuyer la motion afin que le jugement Truchon soit annulé au Québec, puisque je ne le considère pas comme légitime, étant donné qu'il place en grave danger toutes les personnes handicapées.
Vous êtes tous des personnes extrêmement intelligentes ayant à cœur la fonction publique. Vous n'êtes pas si crédules, n'est-ce pas? Êtes-vous vraiment convaincus par la propagande, la désinformation et le manque d'objectivité des décideurs? Vos électeurs s'attendent à ce que vous examiniez en profondeur ce qui s'est vraiment passé concernant les pratiques dangereuses d'aide à mourir et ce que vous devez faire pour protéger tous les citoyens. Je vous prie d'éviter le dogmatisme et de voir les choses telles qu'elles sont.
Voulez-vous aider les personnes vulnérables désireuses de redonner à la société et d'en faire partie, des héros comme Terry Fox, ou voulez-vous simplement vous laisser tromper et avoir du sang sur les mains? Vous aurez mon sang sur les mains si vous permettez au jugement Truchon illégitime de briser nos lois. Je ne survivrai pas, et il y aura des milliers de morts injustifiées.
Aidez le Canada à être le pays qu'il devrait être et non ce qu'il est en train de devenir.
Je vous remercie de votre attention.
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Merci. Je suis heureux d'être parmi vous.
Il y a quelques jours à peine, ma femme a donné naissance à notre fille. Pendant son travail assez long, les médecins lui ont présenté différentes options qui étaient nouvelles pour moi, soit l'administration de misoprostol ou d'oxytocine, pour accélérer les choses. Ils avaient besoin d'accélérer les choses. Pour accélérer les choses, ils avaient besoin d'une épidurale, de forceps ou d'une ventouse. Ils ont également envisagé une césarienne à un moment donné. Dans l'état de vulnérabilité dans lequel nous nous trouvions, nous avons fait confiance aux médecins pour nous présenter de bonnes options. Nous voulions aussi savoir quelle était la meilleure option selon le médecin et honnêtement, c'est l'option que nous avons choisie chaque fois.
L'aide médicale à mourir — ou le suicide assisté, l'homicide consensuel, peu importe le terme qu'on utilise — n'est pas une forme de soins de santé. En tout cas, elle diffère profondément de toute autre forme de service médical. Le fait de conseiller à une personne d'avoir une césarienne, une chimiothérapie ou de prendre des médicaments contre la douleur n'est pas un crime, contrairement au fait de l'inciter à mettre fin à sa vie.
Si l'aide médicale à mourir était simplement un service de santé parmi d'autres, nous ne serions pas ici aujourd'hui pour discuter de modifications de fond à apporter au Code criminel. Les services médicaux ne sont pas régis par le Code criminel. Nous sommes en train de débattre des circonstances dans lesquelles nous, comme société, permettrons à certaines personnes d'en tuer d'autres. C'est la raison pour laquelle le Parlement est saisi de la question.
Le problème fondamental de ce projet de loi, selon nous, c'est qu'il ne prend pas la chose assez au sérieux. Il est presque irrévérencieux dans la façon dont il traite...
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Toutes mes excuses aux interprètes.
La loi en vigueur, telle que modifiée par le projet de loi , est déjà interprétée de manière à permettre aux médecins d'euthanasier des patients qui ont encore une décennie ou plus à vivre. Cette loi n'empêche pas les médecins de proposer l'aide médicale à mourir sans qu'on le leur demande, ou tout au moins de la citer parmi les options possibles, ce qui peut fort bien amener une personne malade et handicapée à penser que quelqu'un n'estime pas que sa vie vaut la peine d'être vécue.
Non seulement le projet de loi ne permet-il pas de régler ces problèmes mis au jour notamment par le rapporteur spécial des Nations unies, mais il va les exacerber. Si le projet de loi est adopté, une personne gravement malade pourra se rendre à un rendez-vous pour se faire offrir l'aide médicale à mourir comme option par son médecin, voir la secrétaire de celui-ci servir de témoin pour une demande écrite et être euthanasiée dès qu'un second avis médical est obtenu. Le médecin devra bien sûr mentionner les autres options qui s'offrent, mais ce sera simplement en application des règles de base pour obtenir le consentement éclairé.
C'est donc la voie rapide et facile. La voie plus lente n'est guère préférable. Pour ceux se retrouvant dans la situation ambiguë d'une mort naturelle non raisonnablement prévisible, le projet de loi prévoit que d'autres options doivent être envisagées et que des consultations doivent être offertes, un strict minimum que l'on s'attendrait à trouver également pour les personnes aiguillées vers la voie rapide.
Quant à la période d'attente de 90 jours, des médecins spécialisés dans les soins palliatifs ont déjà indiqué qu'elle était insuffisante, car il faut souvent plus de temps pour aider ces patients à gérer leurs symptômes et à trouver un traitement adéquat, entre autres mesures. Nous sommes du même avis. Nous voulons de plus souligner que cette période d'attente de 90 jours crée elle-même une certaine ambiguïté du fait qu'elle débute, non pas le jour où la demande écrite est signée et datée, comme c'est le cas pour la période de réflexion de 10 jours qui serait supprimée, mais le jour où le médecin commence à évaluer l'admissibilité d'un patient, ce qui peut survenir des mois auparavant.
Bien des gens jugent inévitable l'assouplissement des règles en matière d'euthanasie. Ce n'est pourtant pas le cas. Le jugement Carter était très limité dans sa portée comme la Cour l'a elle-même indiqué au début et à la fin de ce jugement. Il s'applique à Mme Taylor et aux personnes se retrouvant dans la même situation. Elle était à l'article de la mort avec une maladie incurable diagnostiquée et la Cour a apporté la précision suivante: « Nous ne nous prononçons pas sur d'autres situations où l'aide médicale à mourir peut être demandée » à la fin de son jugement. Le tribunal a fixé les limites de sa décision avec des indications semblables.
La juge seule qui a rendu la décision dans l'arrêt Truchon n'a pas tenu compte de ces limites, pas plus que des objectifs établis par le Parlement en restreignant l'aide médicale à mourir aux situations de fin de vie. Il incombe au Parlement et à votre comité d'entendre les préoccupations de toutes les parties en cause, y compris les défenseurs des droits des personnes handicapées et les spécialistes des soins palliatifs, de fixer des objectifs très clairs, de défendre ceux-ci face aux décisions que peut prendre un juge ou un autre, et de mettre en œuvre des politiques plus responsables.
Merci beaucoup.
Je m'appelle Krista Carr et je suis vice-présidente à la direction d'Inclusion Canada, une organisation autrefois connue sous le nom d'Association canadienne pour l'intégration communautaire. Nous représentons les personnes ayant un handicap intellectuel et leurs proches partout au Canada.
Nous plaidons en faveur de mécanismes de protection relatifs à l'aide médicale à mourir depuis notre intervention concernant l'arrêt Carter. Notre plus grande crainte a toujours été de voir une situation de handicap devenir un motif acceptable de suicide assisté par l'État. Le projet de loi est notre pire cauchemar.
Inclusion Canada joint sa voix à celle de tous les organismes nationaux de défense des personnes handicapées pour réclamer que l'aide médicale à mourir demeure limitée aux situations de fin de vie. La communauté des personnes handicapées est consternée par le fait que le projet de loi permettrait à une personne handicapée de demander que l'on mette fin à ses jours alors qu'elle souffre, mais n'est pas à l'article de la mort. Nous nous y prenons autrement pour répondre à la souffrance de n'importe quel autre Canadien, et c'est d'autant plus vrai lorsqu'il fait partie d'un groupe protégé par la Charte.
On nous dit que l'examen accéléré de ce projet de loi par le Parlement a été rendu nécessaire par la décision de la Cour supérieure du Québec, mais il ne semble pas y avoir de précédent. Il n'est en effet jamais arrivé que des modifications soient apportées au Code criminel pour donner suite à un jugement rendu par une cour supérieure. On nous répète que c'est ce que veulent les Canadiens, mais toutes les organisations nationales représentant les personnes handicapées s'y opposent.
Si les Canadiens appuyaient le suicide assisté pour les Autochtones ou les citoyens LGBTQ2S+ qui souffrent du fait d'être autochtones ou en raison de leur identité de genre, nous ne serions pas ici aujourd'hui. Les Canadiens sont conscients que le suicide est plus répandu parmi ceux d'entre eux qui sont victimes de racisme systémique ou de dévalorisation sociale. Ils reconnaissent donc que la prévention est nécessaire et que chaque perte de vie est une tragédie. Pourquoi serait-ce une tragédie moins grave pour un Autochtone qui vit avec un handicap ou une personne handicapée ayant une identité de genre différente? J'ose espérer que votre comité pourra entendre le point de vue des organisations autochtones dans le cadre de la présente étude.
Les droits fondamentaux d'un groupe protégé par la Charte ne devraient jamais être une affaire d'opinion publique. Assimiler le suicide assisté à un droit à l'égalité est un affront moral.
Il y a trois points que je souhaiterais aborder.
Premièrement, pourquoi nous? Comme le projet de loi ne met en péril la vie d'aucun autre Canadien protégé par la Charte, il n'y a qu'une seule réponse possible à cette question: la vie des Canadiens handicapés n'a pas la même valeur. Les termes utilisés et les perceptions qui s'en dégagent sont sans équivoque. Inclure le handicap parmi les conditions justifiant le suicide assisté équivaut à déclarer que certaines vies ne valent pas la peine d'être vécues, une horrible prémisse sans précédent dont les conséquences devraient tous nous terrifier, et terrifier assurément les personnes handicapées et leurs proches.
Deuxièmement, les personnes vivant avec un handicap intellectuel et leurs familles doivent sans cesse lutter pour l'inclusion, laquelle n'est pas encore chose faite au Canada. Dans un contexte où les personnes ayant un handicap intellectuel souffrent de leur exclusion et de leur marginalisation généralisées, les proches doivent désormais craindre que l'on encourage ces personnes à mettre fin à leurs jours. Plutôt que de chercher à les aider, comme on le fait pour tous les autres Canadiens désirant mettre fin à leurs souffrances en se suicidant, on juge maintenant que leur vie ne vaut pas la peine d'être sauvée.
Pour dire les choses comme elles sont, une vie socialement inclusive demeure un objectif insaisissable pour la majorité des adultes atteints d'une déficience intellectuelle. Il n'existe pas au Canada de droit à un soutien adéquat. Pas moins de 75 % des adultes ayant un handicap intellectuel sont sans emploi. Ils sont quatre fois plus susceptibles de vivre dans la pauvreté et risquent quatre fois plus d'être victimes de violence. En outre, un nombre impressionnant de personnes atteintes d'une déficience intellectuelle sont encore hébergées dans des institutions et des établissements de soins de longue durée.
Le Canada ne respecte pas ses engagements de défendre les droits et la dignité de toutes les personnes handicapées en vertu de la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées. Au Canada, ces personnes souffrent en raison d'un ensemble disparate de mesures de soutien assorties de longues listes d'attente pour l'accès aux services. Une mort sanctionnée par l'État n'est pas la solution.
En troisième et dernier lieu, l'aide médicale à mourir a été limitée jusqu'à maintenant aux circonstances de fin de vie. Cette exigence de fin de vie était le seul moyen d'éviter que le handicap soit l'unique critère pris en considération. Comme le projet de loi ferait en sorte que la présence d'un handicap deviendrait en soi une justification pour mettre fin aux jours d'une personne, les bases mêmes de la Charte des droits et libertés seraient ébranlées. La discrimination fondée sur le handicap serait ainsi à nouveau enchâssée dans le droit canadien.
De tout temps, les personnes handicapées ont été dévaluées et marginalisées au Canada, et nous avons encore du chemin à faire en la matière. Le projet de loi dévalorise encore davantage la vie des personnes handicapées et opère une transformation en profondeur en nous faisant passer de l'aide médicale à mourir en fin de vie à l'assistance médicale au suicide en raison d'un handicap. La vie des personnes handicapées est tout aussi nécessaire à l'intégrité de l'humanité que celle de toutes les autres composantes de la race humaine, et cette menace qui pèse sur leur vie est une menace pour nous tous.
Nous exhortons le Comité à apporter des amendements à ce projet de loi de telle sorte que l'aide médicale à mourir demeure accessible uniquement aux personnes en fin de vie et qu'il soit interdit sans équivoque à quiconque est atteint d'un handicap de demander que l'on mette fin à ses jours si sa mort naturelle n'est pas imminente.
Merci.
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Merci, madame la présidente.
Merci à tous nos témoins. Vous éclairez tous ce débat d'un point de vue différent, et je vous suis vraiment reconnaissant pour vos exposés très étoffés.
Je suis inquiet de voir le peu de temps que nous allons pouvoir consacrer à cet enjeu crucial, littéralement une question de vie ou de mort. Nous allons en débattre pendant seulement quatre jours de séance. Les différents partis n'auront qu'une occasion chacun de vous poser leurs importantes questions. Lorsque j'entends la représentante d'Inclusion Canada, une organisation qui défend les droits des personnes handicapées partout au pays, indiquer que ce projet de loi est son « pire cauchemar », je me dis sérieusement qu'il faudrait que nous puissions en discuter davantage. Le gouvernement essaie pour sa part de nous convaincre que le dossier est pour ainsi dire clos et qu'il y a un fort consensus à ce sujet parmi les médecins.
Je vais adresser ma première question à Krista Carr d'Inclusion Canada.
Je sais que votre organisation ne ménage pas ses efforts auprès des personnes vulnérables, et il y a le groupe « Physicians Together for Vulnerable Canadians » qui nous a écrit. Cette lettre a été signée par 800 médecins de toutes les provinces. Ce sont ceux et celles qui travaillent auprès des personnes qui sont vulnérables.
Je sais qu'Inclusion Canada a fait valoir que la décision du tribunal aurait dû être portée en appel, et ce, même jusqu'à la Cour suprême. C'est aussi ce que croit le parti conservateur. Le projet de loi que nous avons sous les yeux va cependant beaucoup plus loin que ce qui est établi dans le jugement du tribunal québécois.
Voici donc ma question à laquelle je vous saurais gré de bien vouloir répondre brièvement. Est-ce que Inclusion Canada est d'avis que ce projet de loi exige un examen plus approfondi qui nous permettrait d'en analyser toutes les répercussions, y compris celles qui ont été évoquées aujourd'hui, quant aux mesures de protection à prévoir pour les personnes handicapées?
Nous sommes bien sûr de cet avis, et nous avons la ferme conviction que la seule façon de rendre ce projet de loi non discriminatoire est de continuer à en limiter l'application aux situations de fin de vie. Il faut que toutes les personnes qui sont en fin de vie et qui ont des souffrances intolérables puissent y avoir accès.
Lorsqu'on assouplit les critères en les fondant sur des motifs comme une incapacité, on s'engage sur une pente extrêmement dangereuse. C'est d'autant plus le cas qu'il s'agit d'une population déjà très vulnérable au sein de notre société où elle est victime d'un capacitisme systémique très marqué dans notre système de santé. Cette forme de discrimination s'est d'ailleurs manifestée à grande échelle depuis le début de la pandémie, des protocoles de triage jusqu'au déclassement dans l'ordre de priorité des vies à sauver, en passant par toutes sortes d'autres mesures.
Je pense que nous devrions marquer une pause pour pouvoir vraiment réorienter nos actions en nous assurant de bien consulter la communauté des personnes handicapées. Nous nous exprimons; nous ne manquons pas de le faire en parlant tous d'une même voix. Nos propos sont cependant étouffés par des gens qui ne sont pas victimes de la marginalisation systémique, de la pauvreté et du criant manque de soutien au quotidien, comme c'est le cas des personnes handicapées qui peuvent ainsi se retrouver dans une situation où on leur vante les mérites de l'aide médicale à mourir et où ils peuvent en venir à avoir l'impression que c'est la seule option qui s'offre à eux.
C'est tout de même...
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Tout d'abord, je tiens à souligner que M. Jean Truchon demandait l'aide médicale à mourir parce qu'il ne pouvait pas avoir une bonne vie, et cela a été exprimé très clairement dans la procédure. Il a été obligé de vivre dans un établissement de soin, mais il ne voulait pas y vivre. Il n'avait pas une bonne vie. Il a multiplié les tentatives pour aller vivre ailleurs et avoir ainsi une vie meilleure, mais personne ne semblait pouvoir le faire sortir de cet endroit. C'est ce qui l'a amené là pour commencer, et c'est l'élément qui se perd beaucoup lorsque nous parlons de la décision Truchon.
La deuxième chose est la question des droits. Nous disons que tout cela est une question d'autonomie, de choix et de décision individuels, mais il s'agit d'un équilibre entre les droits à l'autonomie et les droits à l'égalité. C'est à cela que sert l'article 1 de la Charte. Nous disons que nous pouvons violer les droits à l'autonomie si c'est pour le bien public.
Nous devons garder à l'esprit que pour les personnes handicapées, ce n'est pas un choix. Chaque jour de leur vie, elles souffrent parce que la vie qu'elles sont obligées de vivre est rendue difficile à cause des mesures de soutien insuffisantes, de la pauvreté et de la société qui les prive de la possibilité de s'intégrer. Il serait possible de remédier à cette souffrance par de nombreux autres moyens, mais comme nous ne réagissons pas et que les gouvernements ne fournissent pas les mesures de soutien nécessaires, et que les collectivités et la société n'incluent pas les personnes, elles sont contraintes à des situations qui leur donnent le sentiment de ne pas avoir le choix.
Bien sûr qu'on leur présente des options. Par exemple, le projet de loi dit que nous devons informer les gens des services disponibles, mais informer les gens des services disponibles ne leur permet pas d'obtenir des services et du soutien; cela ne leur permet pas de retirer leur nom des listes d'attente; cela ne leur permet pas de quitter les établissements de soins; cela ne rend pas leur vie meilleure. Tant que nous ne nous engageons pas à donner à tout le monde la possibilité — une chance égale — de vivre une bonne vie, l'aide médicale à mourir en raison d'un handicap n'est pas la solution.
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Je remercie tous les témoins de leurs témoignages ce matin.
Monsieur Foley, votre témoignage est assez touchant et troublant.
Dans un débat comme celui-ci, il ne doit absolument pas y avoir de confusion dans les concepts. Or, le critère de mort naturelle raisonnablement prévisible causait des problèmes aux praticiens.
Au Québec, dès 2015, un patient en phase terminale qui recevait des soins palliatifs pouvait décider de faire une demande d'aide médicale à mourir. Les soins palliatifs doivent encore être améliorés, certes. C'est une chose de revendiquer de meilleures conditions pour les patients, c'en est une autre de se substituer à leur libre arbitre et de leur retirer leur liberté de choisir. Il ne faut pas être paternaliste.
La dignité d'une personne ne repose pas sur son autonomie physique ou psychique, à savoir sur ses capacités cognitives; ce sont là des facteurs favorisant l'autonomie. La dignité repose sur le respect de l'autonomie morale d'une personne, et le respect de l'autonomie morale d'une personne réside dans le respect de son libre choix et de sa capacité d'exercer son autodétermination. En situation biomédicale, cela s'appelle le consentement libre et éclairé.
M. Foley ne s'est pas retrouvé dans une situation de consentement libre et éclairé, et il est devant les tribunaux. Je vais m'arrêter ici parce que je ne veux pas commenter cette situation en particulier. Ce n'est pas ce dont il est question ce matin. Il s'agit plutôt d'offrir un choix à des individus qui sont déjà dans un processus irréversible ou en phase terminale. Je pense à des personnes comme Mme Gladu, laquelle n'a pas encore exercé son droit à mourir dans la dignité. Cependant, lors d'une entrevue, elle se disait déjà soulagée et un peu moins souffrante parce qu'elle avait maintenant ce choix, qui lui avait auparavant été enlevé.
Par ailleurs, il ne faut pas confondre les choses. D'une part, il y a les patients qui se trouvent dans un état suicidaire. Il s'agit d'un état réversible et, de fait, la société doit mener une lutte contre le suicide. D'autre part, il y a les demandes d'aide médicale à mourir provenant d'êtres humains qui ont vécu une vie pleine et entière. M. Foley nous a dit vivre une vie pleine et entière, même s'il est maintenant un peu plus limité. Puisque le patient est la norme, c'est au patient et à lui seul que revient la décision.
Madame Carr, êtes-vous contre ce principe?
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Non. Nous sommes contre la discrimination systémique qui consiste à permettre l'euthanasie ou la mise à mort de personnes sur la base de leur handicap, alors qu'elles ne peuvent pas obtenir le soutien dont elles ont besoin pour bien vivre au sein de leur collectivité.
Ces personnes peuvent très bien se retrouver dans le système médical, avec les souffrances qu'elles endurent à cause de la vie qu'elles mènent, alors qu'elles ne peuvent pas obtenir l'aide dont elles ont besoin pour vivre la vie qu'elles veulent vivre. Le système médical ne peut pas à lui seul leur apporter cette aide, ce qui fait qu'avoir la possibilité de mettre fin à ses jours, au lieu de pouvoir vivre une bonne vie...
Si quelqu'un est déjà en train de mourir, c'est déjà prévu dans la loi; si la personne éprouve déjà des souffrances intolérables et que sa mort est raisonnablement prévisible, elle peut quand même avoir accès à l'aide médicale à mourir. Tout le monde peut le faire. Avec ce deuxième volet, le projet de loi , nous ciblons un groupe particulier de Canadiens qui sont protégés par la Charte et nous disons que leur vie doit être si terrible que nous allons les aider à y mettre fin lorsqu'ils se présenteront dans le système et auront besoin de soutien pour vivre. Je sais que nous ne le faisons pas nécessairement intentionnellement, mais c'est ce qui se passe. Nous avons de multiples exemples que je serai ravie de vous transmettre.
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Merci beaucoup, madame la présidente.
Je veux remercier tous les témoins qui comparaissent devant le Comité aujourd'hui.
Je remercie également les personnes handicapées et ceux qui les défendent de nous avoir présenté des exposés passionnés, aujourd'hui, ou de nous avoir transmis des mémoires. Je pense que nous devons en entendre davantage sur ces questions. C'est pourquoi, comme je l'ai déjà dit, je suis déçu que nous n'ayons pas encore commencé l'examen prévu par la loi de l'aide médicale à mourir, qui doit traiter, je crois, de certaines des grandes questions soulevées aujourd'hui.
La décision de la Cour a éliminé la norme de prévisibilité raisonnable, que cela nous plaise ou non. Si cette décision était portée en appel, je pense que les tribunaux supérieurs la confirmeraient probablement. Il ne nous reste plus qu'à essayer de vivre avec cette décision et de nous occuper de certaines autres questions urgentes en matière d'aide médicale à mourir.
Je voudrais revenir à Mme Campbell, qui a soulevé des questions dont j'ai beaucoup entendu parler dans ma circonscription, notamment le soulagement des souffrances causées par la période d'attente de 10 jours ainsi que par l'impossibilité de renoncer au consentement final. Je pense que ce sont des questions urgentes que nous devons traiter et que cela justifie un examen rapide du projet de loi . Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur ces questions, madame Campbell?
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Je vous remercie beaucoup, madame la présidente, et je remercie nos témoins de leurs témoignages fort utiles.
J'aimerais poser ma première question à M. Sikkema et à M. Schutten, ainsi qu'à M. Berger.
Dans l'arrêt Carter de la Cour suprême, la Cour a adopté la déclaration du juge de première instance, dans laquelle celui-ci a déclaré que les risques de l'aide médicale à mourir « peuvent être reconnus et réduits considérablement dans un régime soigneusement conçu » qui impose des limites strictes.
Nous avons entendu des témoignages assez convaincants sur la manière dont les personnes vulnérables pourraient être mises en danger à cause du retrait d'importantes mesures de sauvegarde adoptées dans le projet de loi . Pouvez-vous nous parler des enjeux liés à la Charte que vous voyez dans ce contexte, monsieur Sikkema, monsieur Schutten ou monsieur Berger?
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Peut-être pourrais-je répondre à cette question très intuitive.
La Charte comporte également « le droit à la vie... et à la sécurité de sa personne », ce qui semble avoir été oublié. Il est clair, d'après moi, que le juge de première instance, dans l'affaire Truchon, n'a pas accordé une attention suffisante à cela. Comme vous l'avez mentionné, le fait est qu'il faut des limites strictes. Le problème, comme je le mentionnais précédemment, est qu'il s'agit d'une décision subjective fondée sur la possibilité d'une influence et de contraintes. Tout ce que nous avons ici, ce sont des questionnaires gouvernementaux contenant des questions suggestives.
Quant aux personnes qui prennent une décision — les évaluateurs de l'AMM —, il y a un risque de biais de confirmation. Si elles pensent que l'aide à mourir est une bonne chose, elles sont plus susceptibles de ne pas voir les problèmes de capacité, de ne pas voir de problèmes de consentement et de ne pas voir de contraintes, parce qu'elles pensent que ce qu'elles font est humain et juste. Il est donc nécessaire de mettre en place des mesures de protection solides et rigoureuses comprenant non seulement des mesures de protection substantielles, comme de ne le faire que vers la fin de la vie, mais aussi de confier ces décisions à des comités, et non au médecin qui va poser le geste, car ce dernier est plus susceptible d'estimer que ce qu'il fait est correct. Il faut des mesures de sauvegarde substantielles et des mesures de sauvegarde procédurales qui sont strictes et rigides.
Merci.
Nous avons utilisé tout le temps dont nous disposions.
Si j'ai bien compris, une petite partie de l'interprétation des propos de M. Zuberi n'a pas pu être entendue. Cependant, je pense que l'interprétation a pu reprendre. Si quelqu'un a eu des difficultés liées à cela, veuillez l'indiquer au greffier, qui vous transmettra le texte.
J'aimerais maintenant remercier de leurs témoignages toutes les personnes qui ont comparu aujourd'hui. Merci encore d'avoir été là.
Nous allons suspendre la séance afin d'accueillir notre deuxième groupe de témoins.
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Merci, monsieur le greffier.
Bienvenue aux témoins qui forment notre deuxième groupe.
Je vais rapidement parcourir les règles avant que nous commencions.
Vous pouvez parler dans la langue officielle de votre choix. Assurez-vous simplement de choisir la bonne langue d'interprétation au bas de votre écran. Veuillez parler lentement et clairement, et mettre votre microphone en mode discrétion quand vous ne parlez pas.
En ce qui concerne la liste des intervenants, le greffier et moi ferons de notre mieux pour bien la tenir à jour. J'ai un carton que je soulève quand il vous reste une minute, et un autre, quand il vous reste 30 secondes, ce qui nous permet de garder du temps pour les questions.
Je vais maintenant souhaiter la bienvenue à nos témoins. Nous accueillons aujourd'hui, à titre personnel, Mme Catherine Frazee et le Dr Ewan Goligher. Représentant le Conseil des Canadiens avec déficiences, nous avons Mme Heidi Janz et Mme Taylor Hyatt. Enfin, nous avons Michel Racicot, qui représente Vivre dans la dignité.
Je crois comprendre qu'Ewan Goligher, qui avait des difficultés à se rendre ici, se trouve maintenant dans la salle virtuelle. Bienvenue.
Je suis ravie de vous avoir tous. Je crois savoir que certains des témoins ont des enregistrements audio. Nous allons donc commencer et essayer d'en faire le plus possible.
Madame Catherine Frazee, c'est à vous. Vous êtes la première, et vous avez cinq minutes.
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Je me trouve dans le Mi'kma'ki, territoire ancestral non cédé du peuple micmac. Je suis un colon ici, et je suis liée par des traités de paix et d'amitié et je n'oublie pas que nous sommes tous visés par les traités.
Madame la présidente, je suis désolée du malaise que mes mots pourraient provoquer, mais puisque j'ai peu de temps, je dois parler franchement et sans réserve.
Le projet de loi nous amène à nous poser des questions. Pourquoi nous? Pourquoi seulement nous? Pourquoi seulement les gens dont le corps a subi une transformation, cause de la douleur ou se détériore? Pourquoi pas toute personne qui vit en dehors des marges d'une vie décente? Pourquoi pas toute personne qui a recours à une surdose, qui monte sur un pont élevé ou qui emporte un fusil dans les bois? Pourquoi pas toute personne qui décide qu'elle n'a plus de qualité de vie?
Nous connaissons certainement tous la réponse. Ce n'est pas ce que nous sommes. Nous composons le 911, nous vous ramenons en bas du pont et, oui, nous vous retenons dans votre moment de crise — au diable l'autonomie. Nous irons au cœur du problème qui vous a poussé à aller dans les bois et nous vous attirerons vers une vie supportable, à moins que vos souffrances ne soient liées à un problème médical ou à un handicap. C'est seulement dans ce cas qu'une voie spéciale d'accès à l'aide à mourir s'ouvrira.
L'universalité est le fondement des engagements que nous avons pris en matière de santé. Pourquoi alors le projet de loi s'en éloigne-t-il aussi radicalement, en abaissant le seuil d'admissibilité à l'aide médicale à mourir pour un groupe social dont le taux de suicide est catastrophique, mais pas pour d'autres qui souffrent et meurent avant leur heure?
Qu'est-ce qui, dans le cas d'un handicap, rend cela acceptable? Pourquoi croit-on à ce point que le projet de loi ne causera pas de tort aux personnes handicapées? Honnêtement, je ne le sais pas, mais au moment où nous rassemblons nos données probantes en prévision des contestations judiciaires qui suivront si le projet de loi est adopté, je vais vous dire les réponses que nous entendons.
Certains disent que la souffrance causée par un problème de santé invalidant est différente des autres souffrances, qu'elle est en quelque sorte plus cruelle que la douleur accablante de toute personne saine et non handicapée qui se tourne vers une mort prématurée par suicide. Mais il n'y a aucune preuve à cet égard.
Certains disent que la souffrance causée par un handicap fait perdre tout espoir, comme cela a été le cas, selon eux, pour Jean Truchon, mais les privations liées à la vie en établissement qui ont étouffé sa volonté de vivre ne constituaient pas une conséquence inévitable d'un handicap. N'avons-nous rien appris de la lutte pénible d'Archie Rolland et de son dernier cri du cœur avant qu'il reçoive l'aide médicale à mourir? Il disait que ce n'était pas la SLA qui le tuait.
Certains disent que les souffrances liées à des affections incapacitantes relèvent du domaine de la médecine, mais la quête agonisante de Sean Tagert nous apprend le contraire. N'oublions pas qu'il a qualifié de « condamnation à mort » le fait que le gouvernement refusait de lui fournir les soins dont il avait besoin, à peine quelques jours avant de recevoir l'aide médicale à mourir.
Certains se rabattront sur le mantra du choix. Ils disent que tout le monde ne veut pas vivre de cette façon, mais tout le monde ne veut pas non plus vivre avec l'humiliation causée par la pauvreté. Personne ne veut vivre sous la menace de la violence raciale, sexiste ou coloniale. Personne ne veut vivre affamé, incarcéré, misérable ou seul.
Madame la présidente, nos législateurs prévoient-ils d'autres raccourcis vers l'aide à mourir pour ceux qui vivent dans de telles conditions, ou vont-ils défendre les droits de la personne? Dans ce deuxième cas, je vous invite respectueusement à commencer par nous, car notre droit à l'égalité est en jeu en ce moment.
Merci.
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Madame la présidente, honorables membres du Comité, je vous parle en tant que médecin-scientifique universitaire et intensiviste qui fournit souvent des soins de fin de vie. Je vous parle également en tant que père d'un enfant qui a un handicap physique et en tant que citoyen canadien très inquiet. Je souhaite vous parler des aspects éthiques de l'objection d'ordre moral à l'euthanasie.
Le tout premier patient qu'on m'a demandé d'examiner pendant mes études en médecine était un jeune homme atteint d'un handicap grave lié à la sclérose en plaques progressive primaire. Je l'appellerai Nathan, bien que ce ne soit pas son vrai nom. Nathan était paralysé du cou jusqu'aux pieds, cloué au lit et aveugle. Pendant que je l'interrogeais, il s'est mis à parler de son expérience en tant que personne atteinte d'un handicap grave. Il a parlé en particulier de la profonde solitude qu'il ressentait, de son isolement du reste du monde, de l'absence d'amitiés véritables. Sa douleur n'était pas d'abord physique. Elle était plutôt liée au désespoir profond qu'il ressentait à l'idée de ne jamais pouvoir avoir de véritables contacts humains ou créer une intimité relationnelle.
Aujourd'hui, toutes ces années plus tard, je me demande si Nathan aurait envisagé de demander à un médecin de l'aider à se suicider. Je vous invite tous à vous imaginer que c'est vous qui devez réaliser ce souhait pour quelqu'un comme lui. Vous installez le cathéter intraveineux. Vous administrez le sédatif pour l'endormir, puis l'agent paralysant pour arrêter sa respiration. En quelques minutes, son cœur cesse de battre et il meurt. C'est la fin de sa solitude et de son désespoir, et de sa vie aussi.
Nous devons tous convenir que la solitude et le désespoir de ce patient sont tragiques. Nous convenons tous qu'il mérite les meilleurs soins et une grande compassion, que nous devons nous efforcer de préserver sa dignité et sa qualité de vie. Néanmoins, en ce qui concerne les aspects éthiques de l'acte qui cause sa mort, beaucoup de gens, comme moi, ont diverses raisons importantes de refuser de participer à un tel acte. Premièrement, nous soutenons que l'euthanasie dévalorise le patient parce qu'on le traite comme un moyen de parvenir à une fin. Pour faire disparaître la souffrance de Nathan, nous le ferions disparaître. Nous visons intentionnellement sa personne et mettons fin à sa vie afin de résoudre son problème de solitude et de désespoir. Ce faisant, nous le traitons — sa personne — comme un moyen de parvenir à une fin, plutôt que comme une fin en soi. Le véritable respect de la valeur intrinsèque et incalculable des personnes exige qu'elles soient toujours considérées comme une fin en soi. Nous ne détruisons pas ce que nous considérons comme ayant une valeur profonde et intrinsèque.
Deuxièmement, puisque respecter les gens est le fondement moral du devoir de respecter l'autonomie, en les traitant comme des moyens de parvenir à une fin, nous minons le fondement même du respect de leur autonomie. Si des personnes peuvent être intentionnellement rendues non-personnes, alors qu'est-ce qui rend leur autonomie inviolable?
Troisièmement, en participant au suicide du patient et en causant sa mort, nous déclarons de façon implicite que nous convenons que sa vie ne vaut pas la peine d'être vécue. Nous confirmons le sentiment qu'il éprouve que son existence n'est plus souhaitable, nous affirmons que nous sommes favorables à son inexistence. La solitude et le désespoir de Nathan montrent que même si nous sommes autonomes, nous sommes aussi profondément dépendants des autres pour ce qui est de la reconnaissance et de la valeur.
Le projet de loi déclare que le suicide est acceptable pour une catégorie de gens — les personnes ayant un handicap physique —, que leur vie ne vaut peut-être pas la peine d'être vécue. En effet, si ce n'était de leur handicap, nous ne serions pas prêts à mettre fin à leur vie. Je ne peux pas imaginer un message plus dégradant et plus discriminatoire que notre société puisse communiquer à nos concitoyens handicapés.
Ensuite, des gens raisonnables peuvent ne pas être d'accord au sujet des aspects éthiques de l'euthanasie. Compte tenu des préoccupations qui sont soulevées ici, il est compréhensible et tout à fait logique qu'un grand nombre de médecins et d'infirmières s'opposent à la pratique de l'euthanasie en général, en particulier lorsqu'il s'agit de personnes handicapées. Contrairement à ce que certains prétendent, leur opposition à l'euthanasie ne se fonde pas sur un souci égoïste lié à des susceptibilités morales personnelles, mais plutôt sur un souci moral profond de respecter la valeur du patient et de continuer à lui offrir des soins médicaux de grande qualité.
De plus, l'expérience canadienne a montré que protéger la liberté de conscience ne constitue pas un obstacle à l'accès des patients. Le projet de loi devrait être modifié pour garantir clairement que les libertés fondamentales de conscience des Canadiens soient respectées et soutenues d'une manière que n'a pas permis le projet de loi .
En terminant, si le projet de loi est adopté, je vous prie de veiller à ce qu'on y exige que les besoins physiques, sociaux, psychologiques, existentiels et spirituels de patients comme Nathan soient examinés minutieusement et systématiquement avant qu'on les juge admissibles à l'euthanasie. Lui et d'autres gens comme lui méritent la meilleure chance de vivre avant qu'ils concluent que leur existence est inutile et qu'il faut y mettre fin.
Je vous remercie de votre attention.
(par logiciel de synthèse de la parole):
Mesdames et messieurs, je comparais devant votre comité à titre de présidente du Comité de l'éthique en fin de vie du Conseil des Canadiens avec déficiences, une organisation nationale dont le mandat est de protéger et de promouvoir les droits de la personne des personnes handicapées.
Je me sens obligée de prendre quelques précieux instants de mon temps de parole pour exprimer mon inquiétude, voire ma vive inquiétude, devant la vitesse effrénée à laquelle ce comité réalise ses travaux. Il a été convoqué pour étudier les répercussions que pourrait avoir l'élargissement de l'admissibilité à l'aide médicale aux personnes malades et handicapées qui ne sont pas en train de mourir. Les responsables de ce comité se dépêchent d'accomplir ses travaux importants et complexes. Tout cela se passe en pleine pandémie mondiale, pendant que notre pays ne ménage pas ses efforts pour protéger la vie de ses citoyens les plus vulnérables. Au mieux, c'est extrêmement ironique; au pire, c'est hypocrite, irresponsable et extrêmement contraire à l'éthique.
En tant que personne qui a besoin de la suppléance à la communication, j'ai dû demander qu'on m'accorde plus que les deux minutes et demie allouées pour mon témoignage. Cette situation illustre le capacitisme systémique dans une société conçue par et pour des personnes qui fonctionnent normalement. Le capacitisme fait en sorte que les besoins de soutien des personnes handicapées sont considérés comme étant excessifs. Cela a des conséquences énormes et très dangereuses pour l'élargissement du régime d'aide médicale à mourir.
En tant que spécialiste des handicaps, Veronica Chouinard définit le capacitisme comme des idées, des pratiques, des institutions et des relations sociales structurées sur la base de la présomption de la possession de corps capables et qui, ce faisant, construisent les personnes handicapées comme des « autres » marginalisés... et largement invisibles. Comme le racisme et le sexisme, le capacitisme définit des groupes entiers de personnes comme des « êtres inférieurs » et perpétue des stéréotypes, des idées fausses et des généralisations néfastes sur les personnes handicapées. Cependant, contrairement au racisme et au sexisme, le capacitisme demeure, comme le dit le spécialiste des handicaps, Gregor Wolbring, l'un des mots se terminant en « isme » le mieux ancré et accepté dans la société.
Les personnes handicapées risquent davantage de se suicider en raison du capacitisme systémique et intériorisé, mais elles se heurtent à des obstacles majeurs lorsqu'elles essaient d'accéder à des services de prévention du suicide. Les professionnels de la santé ne prennent pas en considération les sources de stress habituelles. Des problèmes causés par une rupture amoureuse, la dépression et l'isolement sont attribués à tort au handicap. La suppression du critère d'admissibilité à l'aide médicale à mourir voulant que la mort naturelle d'une personne soit « raisonnablement prévisible » fera en sorte que des personnes handicapées chercheront à bénéficier de l'aide médicale à mourir comme solution ultime, après avoir été opprimés par le capacitisme toute leur vie. Dans une société véritablement juste et progressiste, les mesures de prévention du suicide devraient être appliquées de la même manière à tous.
De plus en plus de Canadiens handicapés sont en détresse financière, car la pandémie fait grimper les coûts et les mesures de soutien du revenu provincial qui sont déjà faibles ne changent pas. De plus, certaines provinces ont déjà dit publiquement qu'elles songeaient à réduire, voire à carrément supprimer, leurs programmes de soutien du revenu destinés aux personnes handicapées. Les médias ont rapporté récemment que certaines personnes handicapées vivant dans la pauvreté sont poussées à mettre fin à leur vie au moyen de l'aide médicale à mourir parce qu'elles n'ont pas les moyens de survivre. Des médecins signalent que des patients handicapés demandent l'aide médicale à mourir lorsqu'ils apprennent qu'ils doivent attendre au moins 10 ans pour avoir accès à un logement avec le soutien dont ils ont besoin.
Compte tenu de la présence avérée du capacitisme au Canada, le Conseil des Canadiens avec déficiences recommande des amendements au projet de loi dans l'espoir de restreindre sa capacité à transformer le capacitisme en arme dans ce pays.
Premièrement, l'accès à un logement adéquat, à un soutien au revenu, à des soins palliatifs et à des services à domicile devrait être une condition préalable à l'admissibilité à l'aide médicale à mourir. La responsabilité de fournir ce soutien au niveau requis doit incomber aux gouvernements. Une personne handicapée ne devrait jamais devoir assumer le fardeau de devoir militer pour recevoir un soutien adéquat.
Deuxièmement, il faudrait soumettre à l'examen de la Cour suprême du Canada, par un renvoi constitutionnel, les mesures de protection contenues dans le projet de loi qui limitent l'accès à l'aide médicale à mourir au cas où la mort naturelle d'une personne est raisonnablement prévisible.
Troisièmement, toute modification aux dispositions législatives sur l'aide médicale à mourir doit répondre de manière significative aux observations préliminaires qu'a faites la rapporteuse spéciale des Nations unies sur les droits des personnes handicapées, Mme Catalina Devandas-Aguilar, l'an dernier. Elle y a exprimé de sérieuses préoccupations concernant « d'importantes lacunes dans la façon dont [tous les paliers de gouvernements du Canada] respectent, protègent et réalisent les droits des personnes handicapées ». Plus particulièrement, elle a mentionné le manque de « protocole [...] pour démontrer que les personnes handicapées ont reçu des solutions de rechange viables lorsqu'elles sont admissibles à l’aide médicale à mourir ». De plus, elle a indiqué qu'elle avait reçu « des plaintes inquiétantes concernant des personnes handicapées dans des institutions qui subissent des pressions pour obtenir de l'aide médicale à mourir, et des praticiens qui ne signalent pas officiellement les cas impliquant des personnes handicapées ».
Quatrièmement, les mesures législatives sur l'aide médicale à mourir devraient respecter la directive qu'a donnée la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Carter, qui exigeait un « régime soigneusement conçu qui impose des limites strictes scrupuleusement surveillées et appliquées ».
Cinquièmement, on doit retirer du projet de loi la disposition qui permet au fournisseur de soins de santé ou de soins personnels d'une personne handicapée d'agir à titre de témoin pour la demande d'aide médicale à mourir de cette personne.
Sixièmement, il faut conserver l'exigence relative à la période d'attente de 10 jours contenue dans le projet de loi , dans sa forme actuelle, et l'exigence voulant qu'il y ait, pour toutes les demandes d'aide médicale à mourir, une vérification indépendante par deux témoins.
Septièmement, en raison de la présence importante du capacitisme dans le milieu médical, on doit ajouter au projet de loi un passage qui garantira que toutes les discussions sur l'aide médicale à mourir seront menées par le patient et non pas amorcées prématurément par le médecin.
Huitièmement, les dispositions du projet de loi qui annulent les exigences importantes et nécessaires du projet de loi relatives au consentement final doivent être supprimées.
Le projet de loi inscrirait dans la loi canadienne une forme légale de capacitisme en faisant de l'aide médicale à mourir un substitut légalement sanctionné à la prestation de services de soutien communautaire pour aider les personnes handicapées à vivre. Le Conseil des Canadiens avec déficiences, ainsi que l'ensemble des défenseurs des droits des personnes handicapées au Canada, implore donc les décideurs de revoir le projet de loi C-7 compte tenu de l'existence du capacitisme systémique. Vous devez vous assurer que l'aide médicale à mourir ne transforme pas le capacitisme systémique en arme au Canada.
Merci.
Nous craignons surtout de voir la discrimination fondée sur la capacité physique émerger dans le système médical.
J’aimerais vous donner un exemple d’une telle situation.
Il y a près de trois ans, en janvier 2018, j’ai attrapé une mauvaise grippe. Je suis allée dans une clinique sans rendez-vous et on m’a renvoyée à la maison avec les consignes habituelles, c’est-à-dire repos, Advil et bouillon de poulet.
Contrairement à ce qu’on m’avait dit, mon état s’est aggravé et quelques jours plus tard, j’ai commencé à avoir de la difficulté à respirer. J’ai appelé Télésanté Ontario et on m’a conseillé de me présenter aux urgences. J’ai téléphoné à quelques amis pour leur demander de m’y conduire, mais personne ne pouvait m’aider avant le lendemain. J’ai pris un taxi pour me rendre à l’hôpital, où j’ai été immédiatement admise. Deux heures plus tard, le médecin n’avait toujours aucune idée de la cause de mon état. Lorsqu’elle est venue me voir, elle m’a dit que la seule chose certaine, c’est que cette infection affectait ma respiration et que je pourrais avoir besoin d’oxygène. Elle m’a ensuite demandé si je voulais en recevoir, le cas échéant. J’ai répondu « bien sûr ». Elle a eu l’air surprise et peu convaincue, et elle a répété sa question. J’ai répondu la même chose.
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J’ai répondu la même chose, c’est-à-dire « bien sûr ».
À ce moment-là, j’aurais pu refuser le traitement et me laisser mourir ou, dans un moment de faiblesse, j’aurais pu croire le stéréotype selon lequel ma vie ne vaut pas la peine d’être vécue et demander et recevoir une injection létale. L’assistance respiratoire aurait été considérée comme un traitement standard pour une personne non handicapée qui se serait trouvée dans ma situation, surtout une personne dans la mi-vingtaine, comme c’était mon cas. N’est-ce pas la fleur de l'âge? Mais tout ce que les médecins semblaient voir, c'était une femme seule, malade, fatiguée et qui en avait probablement assez de vivre. Il n’y a rien là de nouveau.
Une étude menée par Carol Gill, de la University of Illinois, à Chicago, révèle que les médecins perçoivent souvent la qualité de vie des personnes handicapées comme étant nettement inférieure à la perception des personnes handicapées elles-mêmes. Qu’ils soient handicapés ou non, les Canadiens se tournent vers ces professionnels pour les guider. Les médecins ont le pouvoir d’influencer le point de vue des autres et ils devraient faire preuve d’une grande prudence dans l’exercice de ce pouvoir.
Toutefois, mon âge et les effets de mon handicap m’ont donné un avantage à ce moment-là. En effet, j’ai été en mesure de défendre mes intérêts sans soutien et d’être prise plus au sérieux que le seraient un grand nombre d’autres personnes par les observateurs non handicapés. Pourtant, cela m’est arrivé bien avant que l’élargissement de la portée de la loi ne soit proposé.
Voici la fin de mon histoire. J’ai reçu un diagnostic de pneumonie et je n’ai heureusement jamais eu besoin d’oxygène. J’ai pris des antibiotiques, je suis revenue à la maison au bout d’une semaine et je suis ici aujourd’hui.
Si ce projet de loi était adopté, combien d’autres personnes handicapées pourraient, dans leurs pires moments, voir leur histoire se terminer de manière radicalement différente et certainement non souhaitée?
Je vous remercie.
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Je vous remercie beaucoup, madame la présidente.
J'aimerais également remercier les témoins. C'est très émouvant d'être ici avec vous et d'entendre vos nombreux récits.
J'aimerais poser ma première question aux représentantes du Conseil des Canadiens avec déficiences qui sont avec nous aujourd'hui.
Madame Janz, vous avez dit que, d'un côté, le gouvernement et la société s'efforcent activement de mettre en œuvre des mesures de confinement pour sauver des vies en cette période de pandémie, mais que de l'autre côté, le gouvernement semble précipiter l'adoption de ce projet de loi. Je suis très inquiète à l'idée de précipiter ce processus, car il accroît la capacité de mettre fin à la vie plutôt que d'offrir des ressources supplémentaires pour le soutien à la vie et, en même temps, les soins palliatifs.
Le gouvernement affirme avoir mené de vastes consultations au sujet de ce projet de loi. J'aimerais savoir si le Conseil des Canadiens avec déficiences est d'avis que ces consultations étaient suffisamment vastes et j'aimerais savoir si elles ont tenu compte, selon vous, des préoccupations des Canadiens handicapés.
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Je vous remercie, madame Janz.
Madame Frazee, vous avez déjà soulevé des préoccupations liées au fait que les personnes gravement handicapées n'ont pas accès aux soins dont elles ont besoin.
Nous avons entendu des témoignages selon lesquels 70 % des Canadiens n'ont pas accès à des soins palliatifs. Ce matin, nous avons également entendu un témoignage dans lequel on a parlé d'un « ensemble disparate de mesures de soutien ». Avez-vous l'impression que le projet de loi répond à ces préoccupations?
De plus, êtes-vous d'accord avec l'idée selon laquelle l'aide médicale à mourir devrait seulement être offerte en dernier recours, comme c'est le cas dans de nombreux pays ou, autrement dit, seulement lorsque toutes les autres possibilités de traitement ont été épuisées?
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Madame la présidente, si vous me permettez de répondre à la question de la députée, oui, l'aide médicale à mourir devrait certainement représenter une intervention de dernier recours, mais seulement lorsque la mort naturelle d'une personne est raisonnablement prévisible.
Je suis donc certainement d'accord, et je pense que toutes les données probantes montrent qu'un nombre beaucoup trop élevé de Canadiens handicapés et souffrant d'une affection entraînant incapacité n'ont pas accès non seulement à des soins palliatifs, mais aussi à une série de soutiens à domicile qui leur permettraient de vivre de façon autonome, de contrôler leur propre vie, en quelque sorte, et de s'intégrer activement dans des communautés dans lesquelles ils peuvent s'épanouir.
Mais les Canadiens handicapés sont privés de toutes ces choses. Par conséquent, je crois qu'on a commencé à observer une nette tendance vers le recours à l'aide médicale à mourir — oui, c'est un choix de dernier recours, mais c'est l'un de deux choix, à savoir continuer de vivre en étant privé de tout cela ou mourir. Je crois que c'est essentiellement ce que les membres de la communauté des personnes handicapées tentent de communiquer dans ce cas-ci, c'est-à-dire que les choix offerts ne permettent pas d'appuyer les efforts en vue de vivre de façon autonome.
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Je comprends que les personnes handicapées soient préoccupées, pour de bonnes raisons, par l'élimination de la disposition exigeant que la mort naturelle soit raisonnablement prévisible. Toutefois, je tiens à préciser que cela ne vient pas du gouvernement, mais de la décision Truchon. Comme j'ai entendu d'autres personnes l'affirmer, l'exigence voulant que la mort naturelle soit raisonnablement prévisible est essentiellement exclue de la discussion, mais c'est le tribunal, par l'entremise de la décision Truchon, qui l'a exclue. Notre gouvernement est d'avis que la Cour suprême ne ferait que confirmer la décision Truchon. C'est donc l'un des problèmes.
L'autre problème, c'est que même si je suis d'accord avec presque tout ce qu'ont dit les personnes handicapées, il y a des gens qui insistent — et j'ai parlé à de nombreuses personnes qui trouvent cela très important — pour avoir la capacité de faire ce choix fondamental au besoin.
Nous sommes maintenant saisis de ce projet de loi. La décision Truchon a été rendue. Existe-t-il une façon de modifier le projet de loi pour qu'il soit plus acceptable pour vous? Il contient certainement de nombreuses mesures de protection, notamment le paragraphe (3.1)g), qui exige que le médecin ou l’infirmier praticien s'assure:
que la personne a été informée des moyens disponibles pour soulager ses souffrances, notamment, lorsque cela est indiqué, les services de consultation psychologique, les services de soutien en santé mentale, les services de soutien aux personnes handicapées, les services communautaires et les soins palliatifs et qu’il lui a été offert de consulter les professionnels compétents qui fournissent de tels services ou soins;
Ainsi, on exige que les personnes qui pourraient envisager d'avoir recours à l'aide médicale à mourir soient informées des autres moyens disponibles pour améliorer leur qualité de vie.
Ne pourrions-nous pas amender ces dispositions? Avez-vous des suggestions, ou la seule façon de régler cette situation est-elle d'interjeter appel de la décision Truchon ou d'avoir recours à la clause dérogatoire?
Tous les témoins peuvent répondre à cette question.
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Merci, madame la présidente.
À titre d'avocat et d'ex-président du réseau Vivre dans la dignité, je vous remercie de nous offrir cette possibilité de partager quelques observations. Je serai très bref, puisque tout le reste est contenu dans notre mémoire.
Le réseau Vivre dans la dignité a été fondé en 2010. Il s'agit d'un réseau citoyen de plus de 5 000 alliés qui suit attentivement l'évolution des soins de fin de vie au Québec et au Canada. Nous avons été présents à toutes les étapes, y compris dans les dossiers plus récents de Lamb et de Truchon.
Malheureusement, depuis l'entrée en vigueur des dispositions sur l'aide médicale à mourir en 2015 au Québec et en 2016 dans le reste du Canada, on voit de plus en plus d'assouplissement des mesures de sauvegarde, que cela découle de décisions de tribunaux ou de l'interprétation de ceux qui pratiquent l'aide médicale à mourir.
Nous comprenons que le gouvernement du Canada doit maintenant modifier ses mesures législatives, mais le projet de loi va beaucoup plus loin en apportant de nombreuses modifications aux mesures de sauvegarde qui avaient pourtant été jugées nécessaires en juin 2016. Il me semble vraiment dangereux et précipité de faire cela en ce moment, pendant une pandémie, alors qu'on n'a pas analysé les conséquences des mesures de sauvegarde actuelles dans le cadre de l'examen des dispositions législatives en vigueur, lequel devrait débuter prochainement. Nous demandons donc de maintenir ces mesures de sauvegarde pour tous les gens qui sont en fin de vie.
En ce qui concerne les dispositions touchant les personnes qui ne sont pas en fin de vie, nous avons entendu le message de toute la communauté des personnes souffrant d'un handicap et de leurs groupes de défense. Ils avaient soulevé la même question au sujet du projet de loi , quand le Sénat avait proposé d'enlever le critère de fin de vie. Ils sont largement ignorés maintenant, compte tenu des modifications proposées.
On comprend mal comment le Parlement fédéral peut adopter les mesures proposées, qui feraient du Canada le pays le plus permissif au monde dans ce domaine, tout en faisant de belles déclarations de principe dans le préambule du projet de loi , comme cela avait été fait dans le préambule du projet de loi .
Enfin, devant certaines décisions des tribunaux qui ont mis à mal l'objection de conscience du personnel soignant, particulièrement en Ontario, il serait souhaitable que les dispositions législatives actuelles soient renforcées pour clairement stipuler que rien dans ce projet de loi ne peut forcer quiconque non seulement à pratiquer l'aide médicale à mourir ou à assister quelqu'un dans cette pratique, mais aussi à diriger une personne qui demande l'aide médicale à mourir vers un collègue qui pratique ce geste.
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Merci, madame la présidente.
Je vais être rapide, parce que je ne dispose que de six minutes.
Je voudrais d'abord dire à tous les témoins que je suis très sensible à leur plaidoyer pour de meilleurs soins. Il est essentiel de continuer à le revendiquer. Comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire à plusieurs reprises, la déficience, quelle qu'elle soit, ne doit pas conduire à un handicap. Un handicap est d'ordre social, mais pas la déficience. Je suis donc très sensible à cette lutte et à ce que vous venez nous dire aujourd'hui.
Toutefois, il faut pouvoir définir les termes. Monsieur Racicot, j'aime bien le nom de votre réseau: Vivre dans la dignité. En effet, il me semble que vivre dans la dignité, c'est d'abord et avant tout avoir la capacité de faire valoir à tout moment son libre choix, son libre arbitre, sa capacité d'autodétermination, notamment dans le cas de décisions médicales; c'est pouvoir donner son consentement libre et éclairé sans que personne y porte atteinte.
Cela dit, je vois deux problèmes dans la conclusion de votre mémoire, dont je vous fais la lecture de l'avant-dernier paragraphe:
Ce projet législatif, comme ceux qui ont pavé la voie à l’euthanasie au pays, donne la fausse impression que la dignité d’une personne repose essentiellement sur son autonomie. En administrant l’aide médicale à mourir à la personne qui en fait la demande, on respecterait soi-disant sa dignité (dignité qui est pourtant inhérente à chaque personne, sans égard à son autonomie). Dans un tel discours, on sous-entend que pour mourir dignement on doit forcément mourir plus tôt, d’une mort administrée, choisie et surtout devancée. Quelle tristesse.
Effectivement, c'est d'une grande tristesse. Le problème, cependant, c'est que la Cour supérieure du Québec a elle-même invalidé les mesures législatives actuellement en vigueur découlant de l'ancien projet de loi , en évoquant les mêmes raisons, c'est-à-dire qu'elles forçaient la personne à se suicider, à mettre un terme à sa vie avant même qu'elle ait atteint son propre seuil de tolérance, ce qui portait atteinte au droit à la vie de la personne.
Il faut préciser que l'autonomie dont il est question ici n'est pas d'ordre physique. J'espère que ce n'est pas ce à quoi vous faites référence. En fait, l'autonomie physique n'est qu'une condition favorisant l'autonomie morale. C'est l'autonomie psychique qui est une condition nécessaire. En effet, lorsqu'on n'a plus de capacités cognitives, on ne peut pas porter de jugement moral, pratique et adéquat, donc on ne peut pas donner son consentement libre et éclairé.
Vous serez d'accord avec moi sur le fait que la déficience physique n'a rien à voir avec l'autonomie, celle que l'on défend ici, dans ce projet de loi. J'espère que vous ne confondez pas tout cela.
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Je vous remercie beaucoup, madame la présidente.
J'aimerais d'abord remercier les témoins et rendre hommage aux représentants et aux défenseurs des droits de la communauté des personnes handicapées. Pas un seul changement au profit des groupes désavantagés n'a été obtenu sans le travail acharné et les prises de positions adoptées par les membres de cette communauté et leurs défenseurs.
Évidemment, j'espère encore que les grandes questions qui ont été soulevées seront traitées dans le cadre de l'examen prévu par la loi auquel sera soumise la loi sur l'aide médicale à mourir, car je pense que leurs répercussions dépasseront largement le cadre restreint du projet de loi .
Cela dit, j'aimerais poser quelques questions précises. Ma première question s'adresse à M. Racicot.
Étant donné que l'offre de services médicaux est souvent très réduite dans les collectivités rurales et éloignées, la question de l'aiguillage devient une question d'accès aux services pour de nombreux Canadiens. Vous avez indiqué très clairement que selon vous, l'obligation d'aiguiller les patients ne devrait pas s'appliquer dans le cas de l'aide médicale à mourir. Est-ce votre avis pour tous les services médicaux ou seulement pour l'aide médicale à mourir? Autrement dit, en fonction de leurs croyances, les médecins peuvent-ils refuser d'aiguiller les patients vers d'autres services médicaux ou cela s'applique-t-il seulement à l'aide médicale à mourir?
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Je vous remercie infiniment, madame la présidente.
Il y a eu beaucoup de discussions sur les consultations qui ont été menées. Puisque j'y ai participé, je trouve important de mentionner que 125 spécialistes et intervenants ont été rencontrés dans une série de tables rondes partout au pays, auxquelles des ministres et des secrétaires parlementaires ont participé. Par ailleurs, 300 000 personnes ont livré leurs commentaires en réponse à un questionnaire.
Je trouve aussi important de préciser que les témoignages d'aujourd'hui sont vraiment importants et déterminants. Les groupes de défense des droits sont entendus et écoutés. Leurs déclarations officielles à la Chambre et au Comité devraient permettre à la population et aux parlementaires de comprendre que toutes les vies sont précieuses, surtout celles des personnes handicapées. Nous devons également retenir qu'il n'est jamais acceptable d'exercer des pressions et de forcer un choix. Si jamais une pression est malvenue, elle doit faire l'objet d'une enquête, voire donner lieu à des poursuites, au besoin.
Je vais poser une question au Dr Goligher, après quoi je m'adresserai à M. Racicot.
Docteur Goligher, je pense que vous avez employé l'expression « être complice » de la mort. J'aimerais toutefois rappeler qu'il y a en réalité quatre mesures de protection relatives à la liberté de conscience qui se trouvent dans le préambule et le libellé du projet de loi ; au sixième paragraphe avant la fin de l'arrêt Carter, si je me souviens bien; et à l'article 2 de la Charte des droits et libertés. Aussi, le régime de renvoi approprié a été contesté devant la Cour d'appel de l'Ontario, qui l'a jugé conforme à la Constitution.
J'aimerais vous demander de commenter un autre élément puisque vous avez aussi mentionné les droits à l'égalité des personnes handicapées, qui est un enjeu fort important. J'ai trouvé un autre paragraphe où la cour a été saisie de cette question dans l'affaire Truchon. Le tribunal conclut que si le régime n'est pas modifié, il porte atteinte aux droits à l'égalité des personnes handicapées et viole l'article 15.
La citation suivante est tirée du paragraphe 678 du jugement:
L’exigence en cause expose un schéma législatif à l’intérieur duquel la souffrance cède le pas au lien temporel avec la mort. Si leur mort naturelle n’est pas raisonnablement prévisible, le consentement et la souffrance des personnes handicapées ne méritent que la sympathie du législateur qui adopte une politique protectionniste à l’égard de toutes ces personnes sans tenir compte de leur situation propre. Dès que leur mort approche, l’État est cependant prêt à reconnaître leur droit à l’autonomie. Il s’agit d’une contradiction flagrante au niveau des principes fondamentaux quant au respect de l’autonomie des personnes aptes et c’est cette absence d’égalité dans la reconnaissance du droit à l’autonomie et de la dignité qui se révèle discriminatoire en l’espèce.
Il ne fait aucun doute que la discrimination est une question brûlante dans ce contexte. Pourtant, la conclusion de l'affaire Truchon était exactement contraire à certains des témoignages que nous avons entendus aujourd'hui.
J'aimerais que vous commentiez la situation, docteur Goligher.
Tout d'abord, quand je parle du régime le plus permissif, prenons l'exemple des Pays-Bas. Là-bas, la loi exige non seulement que certains traitements soient mis à la disposition du patient, comme dans le projet de loi , mais aussi que tout ait été essayé. Ce critère ne figure pas dans le projet de loi .
Je vais en deuxième lieu parler de l'autre question. Je ne dis pas que nous tentons d'interjeter appel, mais je dois dire que le raisonnement de la Cour faisait fi de deux objectifs de la loi, qui se trouvent toujours dans le projet de loi : le droit intrinsèque de chaque vie humaine à la dignité et à l'égalité, et le fait que le suicide constitue un problème de taille.
Quant aux propos du tribunal — j'ai la version française du jugement —, la juge affirme ne pas pouvoir tenir compte des deux premiers objectifs pour déterminer la valeur puisque leur formulation est trop vague. Elle a choisi d'en faire abstraction et de considérer, comme le tribunal l'a fait dans l'affaire Carter, que le seul objectif du projet de loi était de protéger les personnes qui pourraient demander l'aider médicale à mourir dans un moment de faiblesse. Je pense que nous devons revenir à ce jugement et...
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Monsieur Racicot, vous venez de dire que, selon vous, l'aide médicale à mourir n'est pas un soin de fin de vie.
La loi québécoise a réussi à inscrire dans un continuum de soins une demande de mort qui émane du seul désir et de la seule volonté d'un patient, lorsque le processus de la mort est déjà amorcé et irréversible. Cela devrait se produire dans un contexte total et global de soins palliatifs.
Pensons à Cicely Saunders et à Elisabeth Kübler-Ross. Les soins palliatifs sont un accompagnement global vers la mort. C'est un soulagement des souffrances psychologiques et physiologiques. Ce sont des soins, et il arrive qu'un patient en soins palliatifs prenne du mieux. Les soins palliatifs peuvent induire un ralentissement du processus de la mort, qui est irréversible, et causer des effets indésirables qui sont parfois liés aux médicaments antidouleur.
Considérez-vous que l'aide médicale à mourir demandée par un patient en soins palliatifs dits globaux, dans le meilleur des cas, n'est pas un soin de fin de vie?
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Merci, madame la présidente.
Merci encore à tous les témoins. Nous avons entendu des témoignages mûrement réfléchis et très pertinents aujourd’hui. Ils me font grandement douter de la suffisance du temps que le gouvernement consacre à cette mesure législative. J’estime que notre comité devrait tenir d’autres réunions, car nous entendons maintenant de nouveaux points de vue de la part des témoins.
On a avancé que la question fait l’unanimité ou qu’elle jouit d’un grand appui dans le milieu médical, mais, madame Frazee, nous avons vu une lettre signée par près de 800 médecins qui ont exprimé de graves préoccupations à propos de la façon dont le projet de loi élargit la portée de l’aide médicale à mourir au Canada. Je veux que vous parliez plus précisément d’une chose.
Le projet de loi prévoyait un certain nombre de mesures de sauvegarde. Après la décision Truchon, le gouvernement a répondu au moyen du projet de loi , mais en procédant ainsi, il a supprimé inutilement un certain nombre de mesures de sauvegarde: la période de réflexion de 10 jours, l’exigence voulant qu’il y ait deux témoins — des mesures qui peuvent accorder une protection aux personnes qui ont entamé les démarches. J’aimerais vous entendre à ce sujet, car je trouve profondément troublant de voir des mesures mises en place très récemment être supprimées à la première occasion.
Je suis naturellement peu enthousiaste au sujet de l'aide médicale à mourir, après avoir tenté pendant 35 ans de faire l'opposé, soit maintenir les gens en vie. C'est certainement une des raisons.
J'ai beaucoup travaillé dans des pays en développement. Il me semble discutable sur le plan éthique d'investir tout cet argent pour aider les gens à mourir alors que tant de personnes partout ailleurs dans le monde meurent pour quelques dollars.
Cela dit, le projet de loi a été rédigé après de vastes consultations, y compris auprès des personnes handicapées.
Plus précisément à propos de l'élimination dans la loi du critère de la mort raisonnablement prévisible, nous avons entendu beaucoup de monde aujourd'hui s'y opposer. Je leur demande ce qu'ils disent à un jeune qui a subi un traumatisme médullaire supérieur et qui se retrouve tétraplégique.
Docteur Goligher, en tant que collègue urgentologue, je suis certain que vous avez vu des blessures horribles: des brûlures, des mutilations. J'espère certainement que toutes ces personnes les gèrent, et nous avons au moins vu des cas de traumatisme médullaire, et nous espérons certainement que leur vie vaut encore la peine d'être vécue, mais il est possible que ce ne soit pas toujours le cas. Même si nous leur offrons toute l'aide possible, elles peuvent néanmoins décider qu'elles ne veulent pas vivre handicapées. Si, par malheur, cela arrivait à un de mes six enfants — et je ferais sans aucun doute mon possible pour que sa vie vaille la peine d'être vécue —, et qu'il décidait à un moment donné qu'il ne voulait plus vivre, par amour, ne devrais-je pas lui permettre, s'il le souhaite, de mettre fin à ses jours?
Que proposez-vous alors? Si l'option ne leur est pas donnée?
Je pose la question à tout le monde.
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Je serai heureux de répondre.
Il ne fait aucun doute que ces patients souffrent énormément, mais ce qui ne cesse de m'étonner, c'est la résilience de l'esprit humain. J'ai vu de nombreux patients ayant subi des lésions médullaires, et ce qui est bien documenté, et comme d'autres témoins l'ont déjà dit, c'est que nous sous-estimons souvent, presque toujours, la mesure dans laquelle ces patients tiennent à leur vie et à d'autres personnes.
J'ai donné les raisons pour lesquelles je ne serais pas disposé à contribuer à mettre fin à la vie d'un patient dans cet état, car cela reviendrait à les traiter comme... un moyen pour parvenir à une fin.
Cela dit, nous vivons dans une société libre et des médecins sont disposés à le faire, mais si vous adoptez cette mesure législative, elle doit garantir qu'on s'est penché sur tous les facteurs potentiellement réversibles qui influent sur les tendances suicidaires de la personne, comme un enfant, dans le scénario terrible que nous craignons tous et que vous avez présenté.
Dans le cas d'un patient comme celui dont j'ai parlé, qui était tout simplement profondément seul et isolé, nous veillons à donner suite à ces besoins et à ces préoccupations. Cette mesure législative doit garantir que les processus et l'infrastructure nécessaires sont en place pour répondre aux besoins des patients avant qu'ils n'en arrivent à penser que le recours à l'euthanasie est la seule option possible.
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Je suis sincèrement désolée. Je comprends les contraintes de temps. Si les témoins souhaitent offrir des réponses plus détaillées à certaines questions, je leur demanderais de les transmettre par écrit au greffier du Comité. Nous en serions reconnaissants.
Sur ce, comme nous avons terminé nos deux séries de questions, je tiens à remercier nos témoins du temps qu'ils nous ont accordé aujourd'hui. Je vais préciser que le temps accordé aux témoins pour faire leur exposé devant le Comité est établi en fonction de témoignages déjà entendus. Nous avons tenté de nous adapter aux besoins en fonction de ce qui était possible. Je vous remercie sincèrement du temps que vous nous avez accordé et d'avoir respecté les contraintes du comité de la justice.
Merci.
J'ai deux choses à signaler aux députés.
Tout d'abord, les amendements ou les amendements que vous proposez doivent être remis d'ici le vendredi 13, à 16 heures. Si vous avez besoin d'aide pour rédiger les amendements, veuillez communiquer avec le greffier législatif qui pourra répondre à vos questions.
Enfin, nous avons une plage horaire libre jeudi prochain en fonction des listes de témoins que nous avons finalement établies. L'Association des infirmières et infirmiers du Canada a demandé à comparaître. Par conséquent, si vous êtes d'accord, nous allons donner suite à leur demande et transmettre l'invitation.
Je vois qu'on acquiesce de la tête. Veuillez tout simplement tourner le pouce vers le haut pour que je puisse voir.
Très bien. Sur ce, je vous remercie encore une fois pour cette excellente réunion...
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Je suis désolé, monsieur Thériault.
[Français]
C'était juste un problème de microphone.
[Traduction]
Je vais poursuivre.
Je remercie M. Moore de son intervention, et je vous suis également reconnaissant, madame la présidente, d'avoir été capable de piloter la réunion d'aujourd'hui, d'avoir répondu aux besoins des témoins, lorsque c'était nécessaire, et d'avoir eu recours à votre pouvoir discrétionnaire pour que nous ayons suffisamment de temps à consacrer à ces témoignages importants. Je crois aussi qu'il est important de maintenir les décisions déjà prises par le Comité. J'hésite beaucoup à revoir, d'une réunion à l'autre, des décisions déjà prises. Le comité de direction s'est déjà prononcé sur la procédure. C'est pour cette raison qu'il a été mis sur pied, afin que tous les partis puissent s'entendre sur la façon d'étudier un projet de loi donné.
La cour nous a imposé un délai pour ce projet de loi. Il est important de le respecter. Nous nous sommes entendus, y compris avec la contribution des conservateurs, sur la façon de structurer le projet de loi, sur le nombre de jours à consacrer à l'étude et sur le nombre de jours à consacrer à l'étude article par article. Ce sont des décisions importantes qui ont déjà été prises, et je crois que nous devrions nous en tenir à ce qui a été décidé. S'il est nécessaire de nous prononcer sur la motion impromptue de M. Moore, nous devrions peut-être alors la mettre aux voix.
Merci.
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Merci, madame la présidente.
Tout d'abord, j'appuierais la motion. Compte tenu de la façon dont les comités sont structurés, ils sont maîtres de leur destinée. Nous pouvons revenir sur ce que nous voulons. D'entrée de jeu, il y a eu une certaine confusion par rapport à ce qui s'est fait au sous-comité, si je me souviens bien, lorsque nous sommes allés de l'avant lors d'une réunion antérieure. Même si cette décision a été prise, rien ne nous empêche de la revoir.
Je trouve très difficile, lorsqu'il s'agit d'un projet de loi aussi important, de voir les témoins s'enchaîner aussi rapidement. Il y a peu de temps pour poser de bonnes questions. Lorsque nous parlons à des témoins handicapés, nous devons parfois leur donner un peu plus de temps. Nous ne devrions pas procéder ainsi lorsqu'il s'agit d'une mesure législative aussi importante.
Nous pourrions quand même respecter amplement l'échéance de la cour. J'exhorte le Comité à en tenir compte pour éviter que les Canadiens nous voient examiner à la hâte un projet de loi aussi important, pour que nous y accordions le temps nécessaire.
Merci.
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Je vous remercie beaucoup, madame la présidente.
Permettez-moi simplement de dire, en tant que représentant des conservateurs qui a participé à la réunion du sous-comité, que je n'ai jamais été d'avis qu'il était convenable que nous tenions quatre réunions suivies de deux séances pour l'étude article par article. Je pense que, compte tenu des témoignages que nous avons entendus aujourd'hui, il devient de plus en plus clair que ce n'est pas suffisant et que nous avons besoin de davantage de temps.
Ayant siégé au Comité mixte spécial sur l'aide médicale à mourir et ainsi qu'au comité de la justice avec vous, madame la présidente, durant l'étude du projet de loi , je sais que le processus a été très rigoureux. Il y a eu non seulement davantage de réunions, mais aussi davantage de témoins.
Le processus actuel est très condensé. Il s'agit de l'un des domaines les plus complexes dans lequel le Parlement doit légiférer. Je pense que la motion de M. Moore, qui vise à simplement ajouter deux réunions, permettrait au Comité de faire preuve de la diligence voulue sans avoir à faire une course contre la montre, comme le craint le gouvernement.
Parlant de cette course contre la montre, le gouvernement ne serait pas dans cette situation s'il n'avait pas décidé de proroger le Parlement. Merci.
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Je vous remercie pour ces précisions, monsieur le greffier.
Je vous remercie pour ce rappel au Règlement, monsieur Virani.
J'aimerais maintenant que nous fassions une pause de 30 secondes, le temps que je consulte le greffier au sujet de deux éléments.
Je vous remercie beaucoup.
Comme il ne nous reste pas beaucoup de temps, je vous demanderais, monsieur le greffier, de procéder au vote, et ensuite, nous allons faire part d'une décision plus détaillée en ce qui a trait aux propos formulés et au rappel au Règlement de M. Virani.
Monsieur le greffier, puis-je vous demander de consigner le vote au sujet de la motion de M. Moore?
Avant de procéder au vote, voudriez-vous lire la motion de M. Moore?