:
Je déclare la séance ouverte.
Bienvenue à cette 32e réunion du Comité spécial de la Chambre des communes sur les relations entre le Canada et la République populaire de Chine. Conformément à l'ordre de renvoi du 16 mai 2022, le Comité se réunit pour étudier les relations entre le Canada et la République populaire de Chine, en mettant l'accent sur la Stratégie du Canada pour l'Indo-Pacifique.
Permettez-moi d'abord de rappeler quelques consignes à l'intention des témoins et des membres.
La réunion d'aujourd'hui se déroule en format hybride, ce qui signifie que les membres assistent à la réunion en personne ou à distance en utilisant l'application Zoom. Avant de prendre la parole, veuillez attendre que je vous désigne par votre nom. Pour ceux qui assistent à la réunion par vidéoconférence, cliquez sur l'icône du microphone lorsque vous vous apprêtez à prendre la parole et mettez-vous en sourdine lorsque vous ne parlez pas.
Pour l'interprétation, les participants qui utilisent Zoom ont le choix entre le parquet, le français et l'anglais. Les réglages sont au bas de l'écran. Les personnes présentes dans la salle peuvent quant à elles utiliser leur oreillette et sélectionner le canal souhaité. Je vous rappelle que toutes les interventions doivent se faire par l'intermédiaire de la présidence.
Les membres dans la salle qui souhaitent prendre la parole n'ont qu'à lever la main; ceux qui sont sur Zoom doivent activer la fonction « Lever la main ». La greffière et moi gérerons l'ordre des interventions du mieux que nous pourrons. Nous vous remercions de votre patience et de votre compréhension à cet égard.
Je vous signale que ce soir, nous avons un remplacement. En effet, à la place de , c'est M. Serré qui sera avec nous, en mode virtuel.
Avant d'entendre les témoins de notre premier groupe d'experts, je vais demander à la greffière de nous dire si nous avons reçu une correspondance d'intérêt pour la séance d'aujourd'hui.
:
Monsieur le président, membres du Comité, merci de m'avoir invitée à comparaître.
Comme le Comité se penche sur la Stratégie du Canada pour l'Indo-Pacifique, je me propose de focaliser mes observations sur les liens qui existent entre l'économie et la sécurité, en particulier en ce qui concerne les intérêts commerciaux internationaux du Canada dans cette région.
Il est vital pour le Canada de s'engager dans la région indo-pacifique, car il s'agit de la zone économique qui connaît la croissance la plus rapide et la plus dynamique au monde. Cette région abrite 60 % de la population mondiale et est responsable de 40 % de la production économique de la planète. Cependant, une certaine correction de trajectoire s'impose. Conscient d'un contexte international de plus en plus dangereux et menaçant, le Canada doit travailler avec ses alliés pour relier ses intérêts économiques dans cette région à ses objectifs en matière de politique étrangère et de défense. Plus important encore, le Canada doit modifier ses intentions de diversification sur le plan commercial pour tenir compte de ses intérêts fondamentaux.
Nos efforts de diversification dans la région indo-pacifique sont souvent présentés comme une réduction de notre dépendance à l'égard des marchés américains, mais cette approche n'est tout simplement pas étayée par la théorie ou par les faits. En réalité, si les entreprises canadiennes font du commerce international, elles le font d'abord avec les États-Unis. Cela est tout à fait logique puisque les États-Unis sont le seul voisin terrestre du Canada, la plus grande économie du monde et un pays qui a des cadres culturels, juridiques et réglementaires très similaires à ceux Canada.
Ce n'est que lorsque les entreprises canadiennes se sentent à l'aise dans leurs échanges avec les États-Unis qu'un sous-ensemble d'entre elles se tourne vers d'autres marchés. Selon la version 2023 du rapport « Le point sur le commerce international du Canada » d'Affaires mondiales Canada, 46 % des grandes entreprises canadiennes n'exportent que vers les États-Unis, 50 % exportent vers les États-Unis et d'autres pays, et 4 % n'exportent qu'en dehors des États-Unis.
Le recadrage de notre stratégie indo-pacifique sur les bases du commerce avec les États-Unis pourrait nous permettre de simplifier et de rationaliser notre approche pour l'avenir. Le Canada ne devrait rechercher des débouchés économiques dans les pays de cette région que s'ils sont compatibles avec ses intérêts commerciaux avec les États-Unis. Cela signifie que nous devons avoir une approche beaucoup plus stratégique et délibérée en ce qui a trait au commerce avec la Chine, tout en reconnaissant que la Chine est le partenaire commercial principal de l'ensemble des pays de cette région. Dans cette optique, je recommande au gouvernement de se focaliser sur quatre domaines.
Premièrement, alors que les États-Unis agissent avec véhémence pour réduire les risques liés aux chaînes d'approvisionnement, le Canada se contente de réagir. Il est essentiel que le Canada travaille de manière plus proactive pour comprendre l'environnement des menaces et les conséquences potentielles que ces dernières peuvent avoir sur nos chaînes d'approvisionnement. Il faut que le Canada consacre davantage de ressources à la surveillance active et à l'application des lois canadiennes relatives à la sécurité et aux violations du travail forcé survenant dans la production des produits importés.
Deuxièmement, le Canada a la possibilité de jouer un rôle de chef de file dans cette région, en particulier là où les États-Unis sont absents. Cette année, le Canada préside le Partenariat transpacifique global et progressiste, ou PTPGP. Un certain nombre de pays ont demandé à en faire partie, notamment Taïwan et la Chine. Lors de l'examen de ces demandes, j'ai recommandé aux membres du PTPGP d'appliquer un ensemble de critères clairs, et de considérer notamment les antécédents des postulants en matière d'ouverture économique, de libéralisation des échanges et de réciprocité: l'entrée dans le PTPGP doit être conditionnelle à un bilan positif à ces égards. Il s'agit là de l'application d'une leçon que la Chine elle-même nous a enseignée quand, en 2021, elle s'est jointe à l'Organisation mondiale du commerce sans avoir réformé son économie.
Troisièmement, le Canada ne doit pas hésiter à faire des choix difficiles en matière de politique étrangère par crainte de perdre l'accès au marché chinois. La Chine recherche l'autosuffisance depuis des décennies déjà et, tant que cela servira ses intérêts, elle continuera d'importer des produits agricoles, de la viande et des ressources naturelles du Canada. Toutefois, la Chine n'hésitera pas à fermer ses marchés aux produits canadiens pour les mêmes raisons, comme elle l'a fait en 2019 pour notre canola. L'Australie est beaucoup plus exposée aux mesures commerciales de la Chine à cet égard, mais elle continue de souscrire à l'alliance de sécurité AUKUS et de résister à la Chine lorsque cela est justifié.
Enfin, le Canada doit être pertinent dans la région indo-pacifique, et je pense qu'il n'y parvient pas. Les pays de la région sont principalement intéressés par nos exportations énergétiques, en particulier par le gaz naturel liquide, ou GNL. Or, le gouvernement canadien actuel les a envoyés paître, ignorant les problèmes de sécurité très réels que cela pose pour des alliés tels que la Corée du Sud et le Japon. Parallèlement, les États-Unis sont devenus le premier exportateur mondial de GNL en 2023, contribuant dès lors à fournir aux alliés des solutions de rechange aux exportations d'énergie russes. Les États-Unis sont peut-être notre partenaire commercial le plus proche, mais nous sommes aussi des concurrents en matière d'énergie, et ils sont en train de nous enlever le pain de la bouche.
Après avoir mal géré le dossier du pétrole et du gaz, le gouvernement ne peut pas répéter ces échecs dans le domaine des minéraux essentiels. Le gouvernement fédéral doit s'efforcer de rétablir la confiance des investisseurs étrangers à l'égard des produits énergétiques canadiens et utiliser ses pleins pouvoirs législatifs pour collaborer avec les provinces afin d'accélérer les processus réglementaires d'autorisation nécessaires et de prioriser leur adoption.
Il n'y a pas de temps à perdre. Nous devons adapter nos efforts à la lourde conjoncture dans laquelle nous vivons.
Monsieur le président, je serai heureuse de répondre aux questions des membres du Comité.
:
Merci beaucoup, monsieur le président.
Oui, il n'y a pas de chasse-neige à Tokyo; on utilise de l'eau pour enlever la neige.
Je vous remercie de me donner l'occasion de vous exposer ces idées et de parler de la paix et de la sécurité dans le cadre de la Stratégie du Canada pour l'Indo-Pacifique. Mes observations porteront sur trois éléments particuliers. Je parlerai d'abord des contradictions, puis des priorités de la Stratégie pour l'Indo-Pacifique et je terminerai avec la question de l'engagement minilatéral.
J'aimerais donc souligner ce que je considère comme les nombreux aspects contradictoires de l'engagement du gouvernement actuel en ce qui concerne la façon dont nous envisageons la paix, la sécurité et les ressources dans la région indo-pacifique.
En 2022, le gouvernement Trudeau a présenté sa stratégie tant attendue pour l'Indo-Pacifique, promettant que la mise en œuvre de cette dernière serait assurée par une enveloppe d'au moins 2,3 milliards de dollars canadiens sur cinq ans. Cette annonce a été faite au moment où notre ministre de la défense nationale de l'époque, , promettait que le Canada allait consacrer 4,9 milliards de dollars à la modernisation de notre défense aérienne nord-américaine. Parallèlement à cela, notre gouvernement a engagé des fonds pour ses objectifs en Europe, dont 2,6 milliards de dollars pour renouveler et étendre l'opération Reassurance, qui fait partie des mesures de défense et de dissuasion de l'OTAN en Europe de l'Est. Nous avons également annoncé des réductions dans le domaine de la défense. Ces positions contradictoires ont soulevé des questions gênantes: comment le Canada va‑t‑il maintenir sa politique étrangère et de défense dans la région indo-pacifique alors que les ressources sont réduites dans tous les domaines ou affectées à l'Ukraine?
Comment pouvons-nous concrétiser nos priorités dans la région indo-pacifique en matière de politique étrangère et de défense? En fait, ces priorités sont vraiment remises en question. Je pense que ces positions contradictoires suscitent de vives inquiétudes chez nos alliés et partenaires quant à ce que nous tentons de faire dans la région indo-pacifique, au type de ressources qui y seront déployées et à notre capacité à assurer une présence diplomatique soutenue, significative et fructueuse.
Mon deuxième point concerne nos priorités en Indo-Pacifique. Là encore, je pense très sincèrement que nous avons un peu trop dilué notre engagement dans cette région. Quelles devraient être les priorités du Canada en matière de défense dans le cadre de sa politique étrangère et de ses politiques de défense dans la région?
Je suis particulièrement favorable à une limitation ou à un retrait de notre engagement dans l'océan Indien occidental et à une concentration de notre engagement en mer de Chine méridionale, en mer de Chine orientale et dans le Pacifique. Ces zones sont essentielles pour le Canada. Les lignes de communication maritimes qui traversent la mer de Chine méridionale, qui passent à l'intérieur et autour de Taïwan et qui traversent la mer de Chine orientale représentent un volume d'échanges commerciaux d'environ 4 500 milliards de dollars américains.
Les principales économies de la région, qu'il s'agisse de la Corée du Sud, du Japon, de la Chine, de Taïwan ou des pays d'Asie du Sud-Est, sont vraiment les acteurs qui comptent le plus pour le Canada. Nous devons nous assurer que les lignes de communication maritimes restent sécuritaires et stables, et que le Canada peut circuler librement dans cette région.
Le troisième point qui me semble important est la stabilité des chaînes d'approvisionnement, en particulier de celles des semi-conducteurs. Cela concerne les relations entre les deux rives du détroit. Il est crucial que nous trouvions des moyens efficaces de favoriser la paix et la stabilité dans le détroit de Taïwan afin de garantir que les semi-conducteurs puissent continuer à être exportés vers le Canada et, subséquemment, à employer des Canadiens.
La Corée du Nord est également un acteur avec lequel nous devons trouver des moyens de travailler. J'y reviendrai, car la Corée du Nord continue de produire des armes de destruction massive, tant en quantité qu'en qualité.
J'aimerais aussi parler de la Chine. Après tout, il s'agit du comité Canada-Chine. Je pense que nous sommes sur la même longueur d'onde. La Chine souhaite remodeler l'environnement et l'architecture de la sécurité dans la région, ainsi que la manière dont les règles y sont mises de l'avant. Il est dans notre intérêt le plus profond que l'ordre dans cette région soit fondé sur des règles. Nous avons un intérêt profond à nous opposer à la désinformation et à d'autres tactiques de remodelage de la région qui seront défavorables aux intérêts canadiens, notamment en ce qui concerne le commerce. Dans cette optique, nous devons soutenir nos partenaires clés tels que le Japon, la Corée du Sud, Singapour et d'autres.
Quels sont les principaux outils de notre engagement? Je plaide ici en faveur de « partenariats minilatéraux ». Cela n'exclut pas les partenariats multilatéraux. Les partenariats minilatéraux sont des partenariats beaucoup plus ciblés et fonctionnels avec quatre ou cinq autres pays qui ont les mêmes idées que nous. Leur fonction particulière est de traiter d'enjeux précis susceptibles de permettre au Canada d'apporter une valeur ajoutée significative dans la région.
Un bon exemple, bien sûr, est la participation aux discussions quadrilatérales sur la sécurité. Cela signifie que nous participons, selon les besoins, aux exercices maritimes des discussions quadrilatérales sur la sécurité — il pourrait s'agir d'exercices de recherche et de sauvetage, ou d'exercices d'aide humanitaire et de secours en cas de catastrophe — afin d'apporter une valeur ajoutée en fonction de nos ressources limitées.
Un autre bon exemple est la participation à l'accord de l'AUKUS. Je pense que la partie de l'accord de l'AUKUS relative aux sous-marins nucléaires est éloignée des intérêts canadiens, mais ses composantes relatives à l'intelligence artificielle et à l'informatique quantique sont des domaines où le Canada pourrait assurément contribuer, étant donné que nous avons déjà obtenu un budget pour la coopération dans ces domaines.
Nous devons plaider pour...
:
Merci, monsieur le président.
Merci à vous deux de partager votre expertise avec nous ce soir.
Madame Lilly, j'aimerais vous donner l'occasion de m'aider à comprendre l'idée selon laquelle nous de devons pas avoir peur de la Chine en tant que partenaire commercial, et d'expliquer votre commentaire sur l'utilisation du commerce comme une arme, comme l'a fait la Chine dans le passé. Vous n'avez pas utilisé ce mot, mais ce pays a utilisé le commerce comme une arme à plusieurs reprises dans ses interactions avec le Canada pour un certain nombre de produits, principalement des produits de l'Ouest canadien, mais pas seulement.
Pourriez-vous me parler de l'idée d'ouvrir les marchés en reconnaissant la réalité de la Chine, tout en admettant que nous avons un passé problématique, et aborder toutes les autres questions que vous avez mentionnées, comme le travail et le travail forcé.
:
Merci pour votre question.
Ce que je voulais dire en affirmant que la Chine est le principal partenaire commercial, c'est que le Canada n'est pas le seul pays à devoir penser à ses propres intérêts commerciaux avec la Chine. La Chine est le principal partenaire commercial de tous les pays de la région indo-pacifique. Tout comme le Canada est très dépendant de son partenaire commercial bilatéral, les États-Unis, tous ces pays sont très dépendants de leurs relations commerciales avec la Chine.
Il en va de même pour un accord comme le PTPGP. La position du Canada et du Mexique est très différente dans cet accord, car tous les autres pays du PTPGP ont des liens commerciaux très forts avec la Chine d'abord, et avec les États-Unis ou d'autres marchés en second lieu. Nous devons donc être conscients de la manière dont nous commerçons avec ces autres pays. Ils se comportent à notre égard de la même manière que nous nous comportons lorsque nous commerçons avec les États-Unis. Nous pensons tous à nos propres enjeux, et nous devons nous assurer que nos règles et comportements commerciaux en tiennent compte. Voilà pour le premier point.
Deuxièmement, nous ne devons pas avoir peur de nous opposer à la Chine, en particulier lorsque l'intérêt national du Canada est en jeu. Nous savons que la Chine utilisera le commerce comme une arme contre le Canada. Je pense que la Chine continuera d'importer des produits canadiens lorsqu'elle le voudra, lorsqu'il sera dans son intérêt de le faire. Certains éléments indiquent que lorsque la Chine a interdit le canola canadien, ce n'était pas seulement à cause de la détention des deux Michaels. Il se trouve qu'à la même époque, la Chine a connu une récolte record de canola. Il était donc tout à fait opportun de réduire la quantité de canola canadien exportée vers la Chine à ce moment‑là.
Je pense que nous devons agir de manière intelligente à cet égard et que nous ne devons pas sacrifier les objectifs de notre pays par crainte que la Chine ne réduise l'accès à son marché.
:
Merci, monsieur le président.
Madame Lilly et monsieur Nagy, merci d'être des nôtres ce soir. Je pense que vos commentaires sauront nous éclairer pour la suite des choses.
Madame Lilly, ce que je vais soulever ici sera utile pour M. Nagy, qui n'a manifestement pas été en mesure d'entendre votre témoignage. D'entrée de jeu, vous avez décrit la situation de dépendance économique du Canada à l'égard des États‑Unis. Dans bien des cas, cette dépendance découle du fait qu'il est facile pour les entreprises canadiennes de faire affaire avec les États‑Unis. On choisit la voie de la facilité, même si, par le fait même, on tend à mettre tous ses œufs dans le même panier. Par conséquent, lorsque les États‑Unis adoptent des politiques plus protectionnistes, cela a nécessairement un impact sur notre économie et nos entreprises. Pour paraphraser un adage, quand les États‑Unis éternuent, le Canada est alité.
Je ne sais pas si vous êtes tous deux d'accord avec moi, mais j'ai l'impression qu'un des objectifs non avoués de la Stratégie du Canada pour l'Indo‑Pacifique est de diversifier notre économie. Il y a eu plusieurs tentatives en ce sens dans le passé, d'abord pendant le règne de Pierre Elliott Trudeau, ensuite pendant celui de Jean Chrétien, puis pendant celui de Stephen Harper. Or, tous ces efforts n'ont pas été couronnés de succès, ou, du moins, du succès escompté.
Madame Lilly, vous avez abordé en partie la question qui suit lorsque vous avez parlé de la nécessité de faire affaire avec divers pays signataires de l'Accord de partenariat transpacifique global et progressiste. Ma question s'adresse néanmoins à vous et à M. Nagy. Selon vous deux, comment cette stratégie indo‑pacifique peut-elle nous permettre de réussir là où nous avons si souvent échoué par le passé?
:
Je vous remercie de la question.
[Traduction]
Comment la Stratégie pour l'Indo-Pacifique nous permettra‑t‑elle de réussir? Pour être honnête, je ne suis pas certaine que notre situation actuelle va changer. Plus de 75 % des exportations canadiennes sont aujourd'hui destinées aux États-Unis. Je ne suis pas sûre qu'il y aura beaucoup de changements à cet égard.
Je suis d'accord avec vous pour dire que la Stratégie pour l'Indo-Pacifique est présentée comme quelque chose qui est censé aider le Canada à diversifier ses échanges commerciaux. La réalité, comme je l'ai dit dans ma déclaration liminaire, c'est que les entreprises envisagent d'exporter vers la région indo-pacifique, l'Europe ou ailleurs seulement une fois qu'elles se mettent à exporter vers les États-Unis. Une petite minorité d'entre elles exportent ailleurs qu'aux États-Unis. À mesure que nous diversifierons nos marchés, nous ferons également plus de commerce avec les États-Unis. Voilà ce que feront nos entreprises.
Ce n'est pas que le Canada soit paresseux, à mon avis. Cette situation se produit partout dans le monde. Dans toutes les régions du monde, on est plus susceptible de commercer avec ses voisins et les grandes économies. Il se trouve que notre voisin immédiat est la plus grande économie du monde. Il est donc tout à fait logique que nous procédions ainsi.
Il est important que nous ayons des échanges commerciaux avec d'autres économies. Cela peut nous aider dans nos relations avec les États-Unis, car nous pouvons ainsi mettre en valeur le rôle que nous jouons ailleurs et montrer aux Américains en quoi nous pouvons leur être utiles.
Je vais être honnête. Envisager le commerce avec la région indo-pacifique comme un moyen de prendre nos distances par rapport aux États-Unis n'est pas la bonne voie à suivre, et je doute que cela fonctionne.
:
Je vous remercie de la question.
[Traduction]
Je suis d'accord avec Mme Lilly en ce qui concerne la Stratégie du Canada pour l'Indo-Pacifique. À mon avis, l'effort de diversification ne vise pas à nous amener à prendre nos distances par rapport aux États-Unis. Il vise plutôt à réduire la dépendance excessive envers le marché chinois. Nous avons vu des investissements en Asie du Sud-Est. Paul Thoppil, qui se trouve actuellement en Indonésie, est notre représentant commercial là‑bas. Nous avons ouvert un bureau à Manille. Nous allons probablement investir davantage de ressources à Singapour.
Ce sont des éléments clés pour diversifier notre économie et prendre nos distances par rapport à la Chine. Cela ne signifie pas une séparation. Je tiens à être très clair à ce sujet. Cela signifie plutôt une diversification pour éviter la militarisation et la monopolisation potentielles du commerce par la Chine, ce qui pourrait nuire aux intérêts canadiens.
Dans le contexte de la Stratégie du Canada pour l'Indo-Pacifique, c'est très clair. Comment gérer notre relation avec les États-Unis et notre dépendance économique excessive à leur égard? Nous devrions nous servir du marché pour accroître notre compétitivité et pour comprendre comment diversifier nos activités, non seulement avec les États-Unis, mais aussi à l'intérieur des États-Unis, afin de créer plus de débouchés économiques pour les Canadiens.
Je vais m'arrêter là. Merci.
:
Merci beaucoup, monsieur le président.
Je remercie les deux témoins d'être des nôtres aujourd'hui et de nous faire profiter de leur expertise.
Votre discussion ou vos commentaires sur la diversification m'intéressent. La semaine dernière, des témoins nous ont dit que même lorsque nous diversifions nos marchés, même lorsque nous faisons affaire avec d'autres pays de la région, nous continuons en fait de travailler avec la Chine en raison des relations étroites qu'elle entretient.
J'examine ce contexte. Je pense aussi aux États-Unis, notamment à notre dépendance excessive à l'égard du commerce avec les États-Unis et à une éventuelle présidence de Trump, ce qui pourrait être extrêmement difficile pour nos relations commerciales à l'avenir.
Que doit faire le Canada pour accroître cette diversification? Franchement, nous avons cette stratégie pour l'Indo-Pacifique depuis un certain temps déjà. À votre avis, cela a‑t‑il mené à une quelconque diversification jusqu'ici?
Madame Lilly, je vais commencer par vous.
Y a‑t‑il eu une diversification jusqu'ici? C'est difficile à dire. La difficulté tient en partie au fait que la Stratégie pour l'Indo-Pacifique a été officiellement lancée il y a un an. Bien que la et d'autres se plaisent à dire que le commerce canadien a atteint des sommets inégalés et que nous faisons des échanges commerciaux plus que jamais, la réalité est que nous savons pertinemment que l'augmentation des échanges commerciaux du Canada depuis 2020, c'est‑à‑dire depuis la pandémie, est le résultat de l'inflation, et non de l'accroissement du volume des échanges. C'est dans le rapport publié en 2023 par Affaires mondiales Canada — le rapport du ministère lui-même.
Nous savons que la hausse des prix stimule l'augmentation des échanges commerciaux du Canada avec les États-Unis et d'autres pays. Lorsqu'on examine des chiffres, même pour une hausse de 2 milliards de dollars ou de 20 milliards de dollars, il faut d'abord se demander si c'est le résultat des prix ou de la multiplication des échanges commerciaux. Nous savons que le volume des échanges a diminué et ne s'est pas rétabli.
Il y a deux ou trois mesures importantes que nous pouvons prendre. Premièrement, ce n'est pas parce que nous ne faisons pas beaucoup de commerce avec l'Indo-Pacifique que ces exercices ne sont pas importants, surtout s'ils nous aident à établir des relations à long terme pour d'autres raisons.
Nous parlons de vouloir conclure un accord de libre-échange avec l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est, ou ANASE, mais selon les évaluations d'Affaires mondiales Canada, si nous devions signer un accord, cela augmenterait les exportations commerciales du Canada de 2,7 milliards de dollars par année. C'est franchement une somme bien modeste quand on pense à la relation avec les États-Unis. Ces 2,7 milliards de dollars sont formidables, mais il ne s'agit tout de même pas d'un énorme volume d'échanges commerciaux. Si cela nous permet d'améliorer nos relations et si cela aide les deux parties — chacune aux prises avec un gros problème — à réfléchir à des façons de collaborer ensemble sans toujours penser à la Chine ou aux États-Unis, alors j'estime que c'est une bonne chose.
Les puissances moyennes trouvent des façons de maintenir l'unité du système commercial mondial, où les deux grandes puissances ne sont pas nécessairement présentes ou ne sont pas aux commandes. Je pense que nous pouvons apporter une contribution très positive.
:
En général, je pense que des enjeux comme le travail forcé sont des questions d'ordre moral, mais je crois que les risques réels pour les entreprises canadiennes mettent en cause les chaînes d'approvisionnement, les voies de communication maritimes et, advenant un conflit cinétique dans la région, cela perturbera l'exportation de technologies essentielles, comme les semi-conducteurs, vers les secteurs manufacturiers au Canada.
Permettez-moi de vous donner un exemple. Bien entendu, les semi-conducteurs sont à la mode, mais en réalité, ils sont destinés aux usines d'automobiles qui fabriquent des voitures au Canada et qui emploient des Canadiens. Si un problème dans le détroit de Taïwan ou dans la mer de Chine méridionale perturbe ces voies de communication maritimes, cela aura une incidence sur l'industrie automobile au Canada et sur les perspectives économiques des citoyens canadiens.
Je pense que nous devons examiner la question plus en profondeur. Toutes les entreprises au Canada qui utilisent des produits de la région — minéraux critiques, lithium, semi-conducteurs ou petites pièces — seront touchées par un conflit quelconque à l'intérieur de la région.
Je ne veux pas minimiser la question du travail forcé, car je suis d'avis que c'est vraiment important, mais malheureusement, je pense qu'il s'agit d'une question d'ordre moral que nous ne pouvons pas régler. Je le répète, nous devons réfléchir aux défis liés aux voies de communication maritimes et à la militarisation des chaînes d'approvisionnement.
Je vous remercie beaucoup de cette question fort judicieuse.
:
Merci, monsieur le président.
J'aimerais poser une question à Mme Lilly.
Étant donné que vous avez conseillé l'ancien premier ministre dans le dossier des affaires étrangères et du commerce international, j'aimerais vous poser une question sur les exportations de gaz naturel liquéfié.
Comme vous le savez, il y a 15 ans, les États-Unis n'exportaient pratiquement pas de gaz naturel liquéfié. J'ai vérifié, et l'an dernier, ils en ont exporté environ 4 500 milliards de pieds cubes. Il n'est pas inconcevable que le Canada puisse en exporter autant, ce qui ajouterait près d'un demi-point de pourcentage au PIB, voire plus.
Si vous travailliez dans le cabinet d'un premier ministre, quels changements législatifs, réglementaires et administratifs, c'est‑à‑dire liés à l'appareil gouvernemental, faudrait‑il apporter pour que nous puissions exporter 4 500 milliards de pieds cubes de gaz naturel liquéfié? Commençons peut-être par l'appareil gouvernemental.
:
Certaines de ces questions dépassent mes compétences. Je peux certainement parler de l'aspect commercial des choses et de certains des éléments réglementaires.
Il est utile que tout le monde soit au même diapason. Cela concerne l'ensemble des ministères et des partenariats fédéraux-provinciaux, de même que les municipalités et les populations autochtones, car il faut veiller à ce que les Autochtones puissent également en bénéficier. Il est vraiment impératif que tout le monde rame dans la même direction. À mon avis, ce n'est pas ce qui se passe actuellement.
Par ailleurs, je ne sous-estimerais pas l'importance du discours tenu aux plus hauts échelons. C'est vraiment important. Lorsque les premiers ministres reçoivent la visite de chefs d'État étrangers qui demandent du gaz naturel liquéfié et qu'ils affirment que nous avons abandonné cette exploitation et que ce n'est pas rentable, c'est incroyablement dommageable non seulement pour cette relation, mais pour le reste du monde, qui nous regarde aussi.
Je sais que votre question porte précisément sur le gaz naturel liquéfié, mais l'autre préoccupation que j'ai à ce sujet, c'est que la même expérience et la même mentalité de tous ceux qui nous regardent seront alors transférées à l'approche actuelle du Canada en matière de minéraux critiques. Ils se disent: « Eh bien, ils ne peuvent pas construire ce pipeline et ils ont dû le vendre au gouvernement, en plus d'avoir annulé plusieurs projets de gaz naturel liquéfié. Maintenant, ils prétendent s'intéresser aux minéraux critiques parce que c'est le bon type d'énergie, mais nous sommes à peu près certains qu'ils ne pourront pas faire adopter tous ces processus réglementaires. » Il ne semble pas y avoir de sentiment d'urgence quant à la nécessité d'agir bien plus rapidement. Il est important que tous ces éléments aillent de pair.
Ce sont là deux ou trois choses que je dirais du point de vue du commerce.
:
Je vous remercie pour votre question, madame Yip.
Tout d'abord, je crois que nous devons reconnaître Taïwan pour ce qu'elle est, c'est‑à‑dire une entité politique. Le Canada respecte la « politique d'une seule Chine », il me semble important de le rappeler. Taïwan, étant située en première ligne de la désinformation du régime chinois, et possédant de l'expérience en la matière, s'est dotée d'institutions pour y faire face. Ainsi, Taïwan est tout à fait en mesure de nous aider à contrer les campagnes de désinformation auxquelles nous sommes confrontés dans le cadre de nos relations avec la Chine.
J'ai également parlé de la Corée du Sud, qui est confrontée à une entreprise de désinformation menée par son voisin du Nord.
Je pense que le Canada aurait tout à fait avantage à tirer parti des différentes expériences vécues par ces pays qui doivent régulièrement faire face à de la désinformation. Nous devons nous en inspirer pour identifier les sources de désinformation et nous doter de moyens efficaces pour nous protéger. J'inclus l'Australie, car ce pays a dû bâtir sa propre stratégie de gestion de la désinformation en raison de relations difficiles avec la Chine au cours des dernières années. En résumé, voilà pourquoi je préconise la mise en place d'un partenariat entre le Canada, Taïwan, la Corée du Sud, le Japon, l'Australie et les États-Unis. Nous devons mettre en commun trois éléments: les stratégies de désinformation que nous avons identifiées, les processus de protection face à la désinformation, ainsi que la manière de sensibiliser nos populations à la désinformation présente sur le Web.
En résumé, c'est ainsi que j'envisage la mise en place d'un partenariat minilatéral avec les pays et les entités politiques dont j'ai parlé.
:
Merci beaucoup, monsieur le président.
Monsieur Nagy, j'aimerais commencer avec vous.
Vous avez affirmé que le travail forcé est une question d'ordre moral. Je me permets de revenir sur ce point. Je pense qu'il s'agit également d'une question d'ordre économique, car le reste du monde considère de moins en moins que notre pays est capable de défendre ses propres principes, comme vous l'avez dit.
Madame Lilly, vous avez parlé du rôle que le Canada doit jouer au sein de l'ordre mondial. Je pense qu'il serait très dangereux pour nous d'abandonner nos responsabilités sur la question du travail forcé et des droits de la personne en général. Alors que la Chine continue de s'implanter de manière agressive en Afrique subsaharienne et en Amérique du Sud, le Canada ne cesse d'y perdre de l'influence. Cette situation n'est pas seulement problématique sur le plan éthique, mais pose un risque économique considérable pour notre pays.
J'aimerais d'abord entendre Mme Lilly à ce sujet. Si le temps nous le permet, je serais heureuse de céder ensuite la parole à M. Nagy.
Permettez-moi de m'adresser à M. Nagy.
La semaine dernière, monsieur Nagy, nous avons reçu un autre témoin venant de la Paterson School, M. Hampson, qui nous a dit de ne pas nous inquiéter à propos des pays BRICS. Il s'agit du Brésil, de la Russie, de l'Inde, de la Chine et de l'Afrique du Sud, évidemment. L'alliance, si on peut l'appeler ainsi, a pris un peu d'expansion récemment. Il a dit de ne pas s'en inquiéter maintenant, mais que le Canada pourrait devoir s'en inquiéter dans cinq ans et planifier en conséquence. C'était son argument de base.
Que pensez-vous d'un tel argument? Je pense que nous devons garder ces questions à l'esprit pour la suite des choses.
:
Je vous remercie beaucoup de la question.
Je pense que l'élargissement du comité des BRICS vise à créer des solutions de rechange à la devise américaine, qui est l'une des monnaies de réserve mondiales, et à peut-être l'internationaliser un jour par l'entremise de l'amendement B.
En réalité, cependant, si on examine l'hétérogénéité des BRICS et l'élargissement de ses membres, je ne pense vraiment pas qu'ils offrent le genre de fondement économique qui serait une solution de rechange viable au dollar américain comme monnaie de réserve mondiale dans 5 ou 10 ans. Peuvent-ils apporter des changements substantiels dans chacun de ces pays pour qu'ils soient plus fiables et plus stables afin de pouvoir créer une solution de rechange viable à la monnaie de réserve des États-Unis? C'est possible, mais il faut que beaucoup d'étoiles s'alignent pour que cela se produise.
Alors que le Canada se tourne vers les BRICS et leur capacité d'être une solution de rechange viable à un système financier mondial dirigé par l'Occident ou les États-Unis, je pense que nous devrions être plus conscients de la manière dont les BRICS représentent l'hémisphère Sud ou les pays en développement, et du fait qu'ils pourraient avoir une position sur l'orientation de certains choix au sein des institutions internationales comme les Nations Unies.
Je suis un peu plus pessimiste quant à la possibilité que les BRICS constituent une solution de rechange financière viable à l'ordre financier actuel dirigé par les États-Unis, tout en admettant qu'ils ont une influence accrue et qu'ils peuvent façonner l'hémisphère Sud, ce qui peut avoir une incidence sur l'engagement du Canada à l'échelle internationale.
:
Nous reprenons nos travaux.
Je souhaite la bienvenue à tous alors que nous accueillons notre deuxième groupe de témoins.
Nous avons reçu un témoin de Tokyo dans le premier groupe, et maintenant, dans le deuxième groupe, nous accueillons une témoin de la Grande-Bretagne. Nous étirons beaucoup le calendrier et les fuseaux horaires ce soir.
Nous recevons, par vidéoconférence, Cleo Paskal, chercheuse associée de la Chatham House du Royal Institute of International Affairs, à Londres, au Royaume-Uni; Ann Fitz-Gerald, directrice de la Balsillie School of International Affairs; ainsi que Deanna Horton, membre émérite de la Munk School of Global Affairs and Public Policy de l'Université de Toronto, qui témoigne à titre personnel par vidéoconférence.
J'espère que les personnes qui témoignent par Zoom ont reçu les informations concernant l'interprétation si elles en ont besoin, ainsi que sur la fonction « Lever la main » et tout le reste. Vous êtes prêtes à commencer. Excellent.
Madame Paskal, nous commencerons par vous. Vous disposez de cinq minutes.
:
Monsieur le président, distingués vice-présidents et membres du Comité, je vous remercie de m'avoir invitée à témoigner aujourd'hui. Je vous remercie également de servir la démocratie. Vous formez un excellent comité, qui est fort inspirant.
Je commencerai par expliquer de façon très générale comment, selon moi, le Parti communiste chinois, ou PCC, perçoit le monde. Avec cela à l'esprit, je formulerai quelques suggestions sur la façon dont le Canada pourrait s'impliquer dans un domaine précis.
Pour comprendre les stratégies du PCC, il est utile de comprendre deux termes couramment employés dans les groupes de réflexion de la République populaire de Chine, ou RPC. Le premier est le pouvoir national global, abrégé sous la forme de PNG.
Le groupe de réflexion de ce qui est l'équivalent d'un ministère de la Sécurité d'État en Chine décrit le PNG comme étant « la somme totale des pouvoirs ou des forces d'un pays dans les domaines de l'économie, des affaires militaires, des sciences et de la technologie, de l'éducation et des ressources, et de son influence ». C'est une définition très large adoptée par Pékin dans les années 1990. Les chercheurs de la RPC calculent obsessivement la note PNG de chaque pays. Comme l'a expliqué le capitaine Moreland, qui a servi d'agent de liaison de la Garde côtière américaine avec Pékin: « pour le Parti communiste chinois, le pouvoir national global exprimé sous la forme de note PNG est un objectif en soi et la poursuite du PNG justifie pratiquement tout ».
Outre sa survie continue, le PCC veut principalement que la Chine soit le premier pouvoir national global du monde. Comme les notes sont relatives, il peut atteindre son objectif soit en surpassant ses concurrents, soit en réduisant leur pouvoir pour être comparativement en meilleure position.
Pour accroître son propre pouvoir national global tout en diminuant celui des autres, la RPC recourt à une guerre sans restriction. C'est le deuxième terme de la RPC dont il faut se souvenir. En 1999, deux colonels de l'Armée populaire de libération, ou APL, ont écrit un livre portant le même nom. Ils y décrivent en détail une approche voulant qu'« aucune règle ne s'applique » quand on cible un ennemi. Cela ne signifie pas que les combats réels soient négligés. Les combats réels ne sont que l'une des nombreuses armes que la RPC utilise, guidée par des perceptions d'efficacité plutôt que par la moralité ou le droit.
Le livre des colonels décrit en détail 24 guerres différentes, y compris la guerre juridique, que nous appelons guerre du droit, la guerre des médias et la guerre de la drogue. Par exemple, la guerre de la drogue peut consister à prendre le contrôle des chaînes d'approvisionnement médicales pour accroître son pouvoir national global par rapport à un pays qui dépend de nous pour ses produits pharmaceutiques, ou à inonder des pays cibles de fentanyl pour les affaiblir et réduire leur pouvoir national global de l'intérieur.
Le Parti communiste chinois recourt à une guerre sans restriction pour accroître son pouvoir national global relatif. C'est le concept qui relie tout, que ce soit les îles artificielles de la mer de Chine méridionale, les nouvelles routes de la soie ou les efforts pour rendre les adolescents canadiens accros à TikTok.
Qu'est‑ce que cela signifie pour l'engagement mondial du Canada? Premièrement, il faut admettre que tout bon plan, tout ce qui renforce la résilience et la sérénité d'un pays, sera perçu par Pékin comme une diminution de la note PNG de la RPC et sera probablement attaqué. Cela signifie que tout ce qu'on essaie de bâtir devrait inclure un plan pour le protéger et bloquer l'influence malveillante. Nous avons besoin d'une approche « bloque et bâtit ».
Pour ce qui est de l'engagement du Canada, penchons-nous sur une région géographique précise, l'Océanie, y compris les îles du Pacifique. Il s'agit de la ligne de front stratégique contestée entre l'Asie et les Amériques. Si la Chine en prend le contrôle, elle peut isoler Taïwan, le Japon, la Corée du Sud et l'Australie, et repousser les États-Unis à Hawaï, comme le Japon impérial a tenté de le faire en contrôlant ses îles pendant la Seconde Guerre mondiale. À l'inverse, si les démocraties s'épanouissent, la région indo-pacifique demeurerait libre et ouverte. Les enjeux ne pourraient être plus élevés.
Dans ce contexte, il y a essentiellement trois façons pour le Canada de s'engager à l'échelle internationale. Premièrement, il doit s'associer à des forums multilatéraux existants, comme le Forum des îles du Pacifique. Deuxièmement, il doit se joindre à un nouveau consortium assez tôt pour en façonner le développement dès le départ. Par exemple, c'est ce qui se serait passé si nous nous étions joints au Quad ou à l'AUKUS. Troisièmement, il faut agir bilatéralement, de peuple à peuple, en misant idéalement sur les forces propres au Canada.
Bien que les trois aspects soient importants, il pourrait être utile de consacrer plus de temps aux relations bilatérales, même si elles sont souvent les dernières sur la liste. Cela montrerait aux partenaires que le Canada n'est pas seulement une version faible de l'Australie, mais qu'il a quelque chose de spécial à offrir.
Par exemple, il existe des liens culturels et historiques entre les Polynésiens et certaines Premières Nations, en particulier les Haïdas. Les dirigeants des Premières Nations et des Inuits connaissent et comprennent les défis auxquels font face les communautés tissées serrées qui vivent dans des endroits relativement isolés, bien souvent avec des lois foncières communautaires complexes. Un programme d'échange de connaissances entre ces nations et les peuples de l'Océanie serait avant-gardiste et renforcerait la confiance et la résilience, ce que peu de gens, pas même le PCC, peuvent offrir.
Le Canada a également l'avantage potentiel de la langue. Certaines îles du Pacifique parlent anglais et d'autres, français. Il y a peu de recoupements entre les analyses anglaises et françaises. Le Canada, en particulier le Québec, pourrait mettre sur pied un centre mondial d'excellence d'analyse océanienne bilingue qui pourrait accueillir des chercheurs invités de la région, ainsi que des États-Unis, du Japon, de l'Inde et d'ailleurs. En prime, les citoyens francophones pourraient étudier aux cycles supérieurs au Québec en payant le même taux que les Québécois. Des étudiants de la Polynésie française et de la Nouvelle-Calédonie étudient déjà au Québec. La proximité du Québec avec Washington et les Nations Unies à New York constitue également un avantage. C'est le genre d'approche qui peut expliquer au monde pourquoi on peut compter sur le Canada.
Le PCC ne cessera pas de tenter d'accroître son pouvoir national global, notamment en recourant à une guerre sans restriction. Pour que la démocratie continue de s'épanouir dans la région indo-pacifique et au‑delà, nous devons bloquer et bâtir, idéalement en utilisant les outils qui sont typiquement et merveilleusement canadiens.
Je vous remercie, vous et les excellents interprètes.
:
Merci, monsieur le président.
[Traduction]
Distingués membres du Comité, je vous remercie de m'offrir l'occasion de comparaître devant vous ce soir.
J'aimerais traiter principalement de trois grands thèmes.
Premièrement, même si l'annonce de la Stratégie du Canada pour l'Indo-Pacifique a été bien accueillie par de nombreuses parties prenantes, le Canada devrait déployer tous les efforts nécessaires pour assurer sa mise en œuvre et même aller plus loin afin de retrouver sa réputation de partenaire fiable qui a perdu de son lustre.
Deuxièmement, l’activité croissante des États asiatiques, y compris la Chine, dans l’Arctique signifie que cette région fait de facto partie de l’Indo-Pacifique. Le Canada devrait donc intensifier ses efforts pour y soutenir le développement et la sécurité.
Troisièmement, le Canada devrait miser sur ses relations avec les principaux alliés des États-Unis dans le Pacifique Nord, soit le Japon et la Corée, et travailler avec eux non seulement dans l'Arctique, mais aussi en Asie du Sud-Est, où ils sont d'importants investisseurs, et tirer parti de leur longue expérience des relations avec la Chine.
Mon premier point, c'est que le Canada a une longue histoire d'allées-venues en Asie. La Stratégie pour l'Indo-Pacifique pourrait effectivement être un changement générationnel, mais son budget est modeste, et il peut être difficile de continuer d'obtenir du financement dans une ère de compressions budgétaires. Le Canada devrait maintenir le cap et tirer parti d'autres relations pour avoir une plus grande incidence.
Dans ce contexte, j'aimerais souligner que le Canada en fait très peu pour exploiter un de ses atouts les plus importants en Asie, soit son importante diaspora asiatique et les anciens étudiants des universités canadiennes. Ces bassins de capital humain se révéleraient sans doute inestimables si nous leur demandions de s'impliquer et de nous faire bénéficier de leurs connaissances sur les marchés, les normes commerciales, la culture et les politiques locales de l'Indo-Pacifique. Nos représentants à l'étranger sont probablement déjà en contact avec certaines de ces personnes talentueuses, mais le gouvernement du Canada devrait encourager et soutenir ces démarches.
Mon deuxième point, c'est que de nombreux Canadiens seraient surpris de savoir à quel point les pays asiatiques s'intéressent à l'Arctique. La Chine s'est déclarée un État quasi arctique ayant comme priorité le développement de ce qu'on appelle la route de la soie polaire. Le Japon est actif depuis longtemps dans l'Arctique, notamment sur les plans des activités scientifiques, de la recherche polaire et de l'innovation. Compte tenu des changements climatiques et de la possibilité d'utiliser davantage le passage du Nord-Ouest, la Corée du Sud mettra également l'accent sur la construction navale. Tous s'intéressent à l'exploitation des minéraux, y compris les minéraux critiques.
Comme l'a déclaré la directrice et fondatrice de la Munk School, Janice Stein, lors d'une conférence l'an dernier, l'Arctique sera « le prochain grand objet d'investissement du Canada ». Cependant, bien que cette région soit au centre des intérêts canadiens, les investissements nécessaires dans les infrastructures et la sécurité dans l'Arctique n'ont pas encore été faits de façon significative. À mon avis, il serait avantageux à long terme pour le Canada d'investir davantage dans des technologies comme la reconnaissance spatiale et les drones, et de s'associer à l'OTAN et à d'autres partenaires pour renforcer la défense et la résilience économique dans l'Arctique.
Mon troisième point, c'est que les stratégies pour l'Indo-Pacifique sont sans doute apparues pour contrer l'influence croissante de la Chine en Asie. Le Canada s'est joint à la lutte après de nombreux autres acteurs. Je crois que pour obtenir un impact maximal de façon durable, le Canada devrait s'allier à d'autres pays démocratiques, en particulier à des alliés des États-Unis comme le Japon et la Corée du Sud. Le sommet trilatéral qui a réuni les États-Unis, le Japon et la Corée du Sud en août 2023 était vraiment sans précédent. Il ne fait aucun doute que ce degré accru de collaboration est en partie motivé par la volonté non seulement d'améliorer la communication et l'interopérabilité, mais aussi de partager davantage le fardeau.
Les États-Unis font face à des défis sur tous les fronts et aimeraient sans doute que le Canada assume sa juste part du fardeau dans l'Arctique, car cela pourrait libérer des ressources essentielles pour d'autres entreprises dans l'Indo-Pacifique. En outre, le Canada devrait profiter de l'innovation technique et de l'expertise commerciale du Japon et de la Corée pour élargir les possibilités dans l'Arctique et l'Indo-Pacifique, particulièrement en Asie du Sud-Est.
Le Canada possède une expérience substantielle dans le cadre de ses relations avec les États-Unis, le Japon, la Corée et la Chine. Dans le contexte de changements potentiels dans le leadership des États-Unis en Asie, le Canada serait bien avisé de renforcer ces relations avec le Pacifique Nord.
Je vous remercie beaucoup. Ce sera avec plaisir que je répondrai à vos questions.
:
Merci beaucoup, monsieur le président et honorables membres du Comité.
Le monde a profondément changé. Le modèle de multilatéralisme axé sur l'ordre fondé sur des règles auquel le Canada a adhéré au fil des ans a été miné par la rivalité géopolitique et un ensemble de règles selon lesquelles le vainqueur rafle tout. La question est donc la suivante: quelle est la nouvelle stratégie pour les économies moyennes? À mon avis, puisqu'il ne peut pas s'agir du même modèle de multilatéralisme, c'est un point qui demeure indéterminé et indéfini.
Il y a une deuxième guerre froide, qui découle d'une intrication plutôt que du découplage observé pendant la guerre froide. Nous vivons dans un monde où le pouvoir va à celui qui possède et contrôle les données et la propriété intellectuelle, où les gens se battent pour la propriété intellectuelle et les données dans une arène définie par un marché intangible plutôt que tangible et où la démocratie s'effrite en raison du gain privé. Nous avons donc besoin d'une stratégie et d'une orientation politique adaptées à cette réalité, en particulier dans le cadre des relations futures entre le Canada et la Chine.
Pendant le temps qui m'est accordé, j'aimerais souligner que cette position exige à la fois qu'on réduise les risques dans les domaines où nous pouvons intervenir et qu'on se découple dans les domaines où, en raison des règles, des valeurs et des normes, on doit limiter son intervention. La nécessité de continuer à commercer avec la Chine et à dialoguer avec elle dans le cadre de forums internationaux signifie que notre capacité d’atténuer les risques dépend entièrement de notre capacité à les comprendre.
Lorsque nous pensons à la Chine, nous devrions, à mon avis, penser à la propriété intellectuelle, aux données, à l'intelligence artificielle, à la démographie et aux corridors maritimes et terrestres. Malgré les défis démographiques que rencontrent les modèles économiques et politiques actuels de la Chine, ce pays a foncé tête baissée dans le domaine de la propriété intellectuelle liée à la technologie et a imposé ses propres normes de gestion de données afin de tirer profit des avantages à long terme d'autrui. Le Canada doit être concurrentiel dans ce domaine très complexe en ajoutant de la valeur à la chaîne d'approvisionnement mondiale grâce à ses propres progrès technologiques protégés par la propriété intellectuelle. Il pourrait ainsi ouvrir le dialogue et négocier avec force avec la Chine, et demeurer un acteur économique sérieux dans ce nouveau contexte mondial.
Les puissances mondiales ont admis les risques associés aux corridors maritimes étroits comme le détroit d'Ormuz et la mer Rouge. On s'emploie à établir d'autres corridors. Les États-Unis cherchent à obtenir le soutien de l'Arabie saoudite dans le cadre d'un nouveau partenariat concernant un corridor maritime et terrestre entre l'océan Indien et la Méditerranée, tandis que la Chine investit des milliards de dollars dans un nouveau corridor commercial médian la reliant à l'Europe. La concurrence relative au corridor transcontinental se poursuit également sur le continent africain.
À mesure que ces nouvelles routes se développeront, et compte tenu des défis auxquels la Chine sera inévitablement confrontée dans le cadre de la négociation de son corridor médian avec l'Europe, la Chine surveillera la manière dont les tendances climatiques rendront certaines parties de l'Arctique habitables au cours des 25 prochaines années et, forte de ses navires et de ses brise-glaces, elle planifiera en conséquence. La Chine viendra donc au Canada avec ses propres idées de gouvernance des océans dans l'Arctique et négociera en fonction de ces idées. Par ailleurs, la Chine conservera sa capacité de perturber considérablement l'Amérique du Nord au moyen des données, de l'intelligence artificielle, de la propriété intellectuelle, du cyberespace et même d'algorithmes sur TikTok.
Le fait que nous devions travailler avec la Chine, lui acheter des choses et collaborer avec elle dans des dossiers comme le climat rend le contexte géopolitique difficile et complexe. La situation est encore plus grave pour les économies moyennes comme le Canada, qui sont plus vulnérables face aux tactiques géopolitiques d'autres pays.
Sun Tzu disait qu'en cas de doute, il fallait s'élever. Maya Angelou a dit que lorsqu'on est mieux informés, on agit mieux. En ce qui concerne la relation du Canada avec la Chine, je pense que toutes les routes mènent à une considération prioritaire: le renforcement des capacités nationales. Voilà qui nous oblige à être honnêtes quant à la capacité de notre fonction publique de fonctionner dans un marché intangible et à nous demander si nous avons ou non les institutions nécessaires pour défendre nos intérêts dans ce monde intangible. Cette priorité, à mon avis, est une condition préalable à la mise en œuvre de la Stratégie pour l'Indo-Pacifique du gouvernement.
Nous avons besoin de bilinguisme intellectuel au sein de la fonction publique nationale et du secteur de la sécurité afin que la science des données, les mégadonnées, les algorithmes, l'intelligence artificielle, les TIC, les grands modèles langagiers, les capteurs et les appareils — qui sont tous, selon moi, les principaux catalyseurs qui font fonctionner les technologies émergentes et transformatrices — constituent le langage et les connaissances normalisés dans l'ensemble du gouvernement. Cela permettrait au Canada de plaider fortement en faveur d'une fonction publique internationale dans ce domaine multidisciplinaire.
Dans le cadre des affectations que j'ai effectuées en Europe, en Asie du Sud-Est et au Moyen-Orient au cours des 18 derniers mois, il m'est apparu évident que nous avons du travail à faire pour rattraper notre retard à l'égard des réalités mondiales. Nous devons également disposer d'un solide cadre de gestion des océans afin d'être en position de force pour négocier avec la Chine quand elle commencera à construire des infrastructures et à instaurer des corridors maritimes dans l'Arctique. Enfin, nous devons faire tout ce que nous pouvons pour optimiser la force de notre réseau d'enseignement supérieur — lequel demeure, selon moi, l'un des instruments de pouvoir nationaux les plus puissants ici, au Canada — et protéger ce mécanisme central de leadership éclairé et de propriété intellectuelle en adoptant des stratégies efficaces, pertinentes et convenues par les pouvoirs centraux, comme un solide cadre de sécurité de la recherche.
En conclusion, j'admets qu'il s'agit d'un terrain complexe et d'un problème épineux. En qualité de professeure et de chercheuse en sécurité internationale, j'ai dû apprendre et adapter mes connaissances, mes recherches et ma pédagogie d'enseignement à ces réalités. Je terminerai en disant que nous devons tous apprendre, élaborer des mécanismes pour le renforcement des connaissances et des capacités, et chercher à nous améliorer.
Merci beaucoup.
:
Oui, je crois que, dans bien des cas, il met la charrue avant les bœufs. En ce qui concerne la stratégie en matière de politiques, différentes choses sont pertinentes pour différents pays et différentes cultures stratégiques. Pour établir des priorités et disposer de cadres, de stratégies et de documents conceptuels réalisables plutôt que relevant de simples aspirations, nous devons déterminer ce qui est à la base de toutes ces stratégies. Voilà pourquoi nous avons plaidé dans cet article en faveur de l'énonciation et de la codification des intérêts nationaux. Par exemple, une politique de défense vise essentiellement à protéger, à préserver, à promouvoir et à défendre ces intérêts.
La codification et l'énonciation d'un intérêt national peuvent aussi renforcer le tissu social d'un pays, ce qui est terriblement important pour un pays diversifié comme le Canada. Il est extrêmement puissant de se rendre dans n'importe quelle région du pays et faire en sorte que les communautés puissent dire ce qui forme le cœur de la société canadienne. Je l'ai constaté en contribuant à l'élaboration des stratégies de sécurité nationale de nombreux autres pays.
Je pense que le cadre de sécurité nationale est ce à quoi les autres cadres du gouvernement sont subordonnées. La sécurité nationale, comme le groupe de témoins précédent l'a souligné, va de pair ces jours‑ci avec la sécurité économique. La sécurité nationale, c'est presque tout. C'est l'outil macro-stratégique le plus important du gouvernement. Au cœur de tout cela, il y a quelque chose qui ne change pas et qui ne devrait pas changer au fil des différentes administrations politiques, quelque chose qui constitue l'ancre qui retient le navire dans les flots déchaînés: les intérêts nationaux. Il est important de tenir un dialogue à leur sujet, de les définir et de leur permettre de constituer les fondations des stratégies subséquentes.
À l'heure actuelle, je pense que la Stratégie pour l'Indo-Pacifique, le programme d'aide internationale féministe et d'autres initiatives — si on veut aller un peu plus loin — sont des rouages très importants du système, mais ce sont des rouages. Il devrait y avoir un système qui énonce les priorités et qui indique très clairement ce que le Canada ne fera pas actuellement.
Madame Paskal, je m'attendais peut-être à vous entendre dire quelques mots dans la langue de Molière dans votre présentation d'ouverture, mais nous aurons probablement l'occasion de vous entendre parler français plus tard.
Comme vous le savez sans doute, les membres du Comité se sont rendus à Washington il y a de cela quelques semaines pour échanger avec leurs homologues américains. Je pense que nous en sommes venus à la conclusion qu'il fallait poursuivre le dialogue avec eux et qu'ils viendront un jour ici, à Ottawa.
Bien que chacun, selon moi, devrait garder chez lui les dossiers qui lui sont propres, un certain arrimage de nos stratégies indo-pacifiques est nécessaire. Sur la base des points de convergence et des points de divergence, diriez-vous que les deux stratégies indo-pacifiques sont complémentaires ou se font concurrence?
Je vais faire de mon mieux pour vous répondre en français. En fait, ça fait tellement longtemps que je n'ai pas eu la chance de parler en français que je manque de vocabulaire. Ça me gêne un peu, mais je vais faire de mon mieux, en vous présentant d'avance toutes mes excuses.
Présentement, je suis en fait à Miami, à cause de la tempête qui a lieu à Londres, d'où je regrette de ne pas pouvoir vous parler.
Vous posez une très bonne question. Il est évident qu'il y a beaucoup de synchronicité entre ces deux stratégies. Toutefois, tant le Canada que le Québec — qui est représenté partout dans la région indo-pacifique — peuvent prendre d'autres mesures qui sont complètement différentes pour offrir une sécurité aux pays de cette région, ce qui aiderait tout le monde dans le contexte.
Lors du dernier tour, vous avez posé une question sur le siège que voulait le Canada au Conseil de sécurité des Nations unies, ce qui est un très bon exemple du problème qui nous préoccupe. Nous avons travaillé avec les Australiens et les Néo‑Zélandais pour essayer d'obtenir les votes des îles du Pacifique. Or, ces dernières ne veulent pas suivre les ordres de Canberra ou de Wellington, mais veulent plutôt que nous allions chez elles en personne pour dialoguer de manière amicale et leur expliquer qui nous sommes, ce qui est important pour nous et ce que nous entrevoyons de commun dans notre avenir.
Il serait vraiment important de se rendre dans cette région, comme Canadiens ou comme Québécois, pour mieux comprendre la réalité de ses habitants et pour qu'ils voient en quoi le Canada diffère des États-Unis ou de la France. Il n'y a aucune raison valable de prendre un raccourci: il faut se rendre sur le terrain dans ces pays pour parler aux gens qui y habitent et les écouter.
:
Merci beaucoup, monsieur le président.
Je remercie toutes les témoins. La discussion est fort intéressante.
Madame Paskal, j'aimerais donner brièvement suite aux propos de mon collègue, M. Bergeron.
Ce que je retiens de votre témoignage, lorsque vous avez parlé des accords bilatéraux et de leur importance, c'est qu'il serait très utile que les parlementaires visitent la région et s'investissent dans la diplomatie parlementaire. Je suppose que ce serait très utile, et je sais que le Comité en parlera plus tard. Je vous remercie d'avoir soulevé ce point.
Je voudrais aussi vous interroger toutes les trois sur l'idée des établissements postsecondaires et du rôle qu'ils jouent. Je pense que vous avez toutes abordé le sujet d'une manière ou d'une autre. En fait, j'ai rencontré plus tôt aujourd'hui les présidents des 15 plus grandes universités du Canada, et ils ont exprimé de réelles préoccupations au sujet de la Stratégie pour l'Indo-Pacifique et de ses répercussions sur eux.
Bien sûr, nous avons le concept que nous devons bloquer et bâtir. Mme Paskal en a parlé. Il y a l'idée du découplage par opposition à l'atténuation des risques, mais il y a aussi l'idée que nous voulons établir des relations lorsqu'elles sont utiles et nous aident à renforcer notre capacité nationale. Nous voulons établir des relations en travaillant avec les diplômés universitaires, en recrutant pour nos établissements postsecondaires et en effectuant de la recherche.
Comment gérons-nous les relations? Comment pouvons-nous nous assurer que nos établissements postsecondaires sont en mesure de faire le travail que nous avons besoin qu'ils fassent, sans pour autant mettre en péril les intérêts de la population canadienne?
Je commencerai par vous, madame Fitz-Gerald.
Je suis d'accord avec tout ce qui a été dit, mais je noterais également que des universités et des collèges communautaires se retrouvent souvent intégrés à des missions commerciales. Je pense que de nombreuses universités ont une présence forte dans la région indo-pacifique.
J'ai donné la semaine dernière à l'Université de Toronto un cours où les étudiants se trouvaient en Inde. Grâce aux outils numériques à notre disposition et à un soutien accru du gouvernement — et je suis consciente qu'il s'agit d'une compétence provinciale —, il est facilement possible d'accroître le nombre de Canadiens qui étudient en Asie et de bonifier le soutien offert à cette fin.
Il y a tellement d'Asiatiques qui étudient au Canada, alors que très peu d'étudiants canadiens optent pour l'Asie. Je pense qu'il serait préférable que les étudiants, plutôt que de se diriger vers l'Europe pour leur première année à l'étranger, aillent quelque part en Asie, car c'est là que se trouve l'avenir.
J'estime pertinent de préconiser la publication de l'Examen de la politique de la défense, un processus qui est censé suivre son cours, pour dégager certaines priorités. Je pense que nous devons être plus prévisibles pour nos alliés. Nous ne pouvons pas nous éparpiller dans différents secteurs liés à notre capacité conventionnelle, car celle‑ci a désormais une utilité limitée.
Qui plus est, la capacité conventionnelle dont nous pouvons observer le déploiement au Moyen-Orient, en Afrique et dans d'autres parties du monde est fondée sur un modèle d'insurrection. C'est le même modèle d'insurrection que celui qu'on a pu voir dans les campagnes de Doha et de Malaisie, mais il s'agit ici de suivre le courant et de composer avec l'insurrection numérique.
Notre capacité doit donc évoluer. Nous pouvons grandement contribuer à cette capacité du point de vue de la diplomatie militaire. À ce titre, vous vous souviendrez peut-être que cette capacité de diplomatie militaire nous a permis d'exercer une énorme influence à l'échelle planétaire à la fin des années 1990 et au début des années 2000. Cette façon peu coûteuse d'avoir un impact colossal pourrait occuper une place de choix dans notre stratégie. Si cette capacité diplomatique pouvait être orientée vers l'intelligence artificielle et la cybernétique, nos alliés de l'AUKUS s'empresseraient de s'en prévaloir.
:
Il aurait été formidable que nous nous joignions à Quad et à l'AUKUS. Cela nous aurait permis d'avoir un profil très différent dans la région.
J'aimerais également soulever une considération dont nous n'avons pas encore traité, mais qui a une grande incidence sur notre profil de sécurité dans la région. Je parle de la relation du Canada avec l'Inde. La réunion du G20 en Inde a été très fructueuse. L'Inde entretient des relations de plus en plus étroites avec le Japon. Nous avons évidemment nos problèmes avec l'Inde, des problèmes qui ont une forte résonance... Au sein de la région indo-pacifique, l'Inde se retrouve en grande partie sur son terrain, ce qui est loin d'être le cas pour le Canada. Si notre pays a des problèmes avec l'Inde, ils vont forcément se répercuter sur ce théâtre également.
J'ajouterais une chose au sujet de la sécurité. Comme je l'ai mentionné dans ma déclaration préliminaire, une grande partie des problèmes actuels sont liés à la guerre politique et à la corruption. Bon nombre de ces pays ont davantage besoin d'avocats que de navires de guerre. Il leur faut des spécialistes capables de s'en prendre au crime organisé chinois, d'analyser des dossiers financiers et de contribuer à cibler ceux qui bénéficient financièrement de tout cela.
C'est le genre de choses que nous pourrions faire assez facilement. Nous pourrions dépêcher des experts de divers organismes et ministères du gouvernement canadien pour aider ces pays‑là à assainir leurs systèmes. Si nous ne le faisons pas, si nous ne pouvons pas nous débarrasser de la corruption ou du moins annihiler le plus possible la corruption chinoise, tout sera paralysé... et nous ne pourrons pas mettre en place quelque mesure constructive que ce soit.
:
Comme il est toujours bon de confronter nos idées, je vais vous présenter un portrait peut-être un peu différent concernant l'ANASE. Je vais m'attarder davantage à l'aspect sécurité, plutôt qu'aux considérations économiques.
Du point de vue de la sécurité, l'ANASE ne peut pas être plus solide que son maillon le plus faible, et certains de ses États membres ont déjà grandement mis cette sécurité en péril. Ainsi, le Cambodge a pour ainsi dire aidé la Chine à établir une base là‑bas.
Des diplomates français m'ont décrit la situation comme étant le brouillard de l'ANASE. On se rend dans la région, on ne sait pas au juste ce qui se passe et on ne peut pas vraiment entrevoir l'avenir ou la voie à suivre. Cela ne veut pas dire qu'il faut carrément y renoncer. Cela signifie simplement que, si nos ressources sont limitées, nous ne serions pas nécessairement bien avisés de consacrer beaucoup de temps à l'ANASE en croyant qu'il va ressortir une formidable stratégie de tout cela. Je dirais la même chose au sujet du Forum des îles du Pacifique.
Les opérations chinoises visant la pénétration, l'infiltration et l'ingérence sont très avancées dans la région. J'estime pour ma part qu'il serait logique de procéder — en plus de tout le reste — à une évaluation à partir de la base. Il faut parler aux gens sur le terrain et écouter ce qu'ils ont à dire pour savoir ce qui se passe réellement. Les bureaucrates qui finissent par se retrouver à l'ANASE ou au Forum des îles du Pacifique ne sont pas nécessairement représentatifs de leurs gouvernements nationaux respectifs ou encore de la politique et de la dynamique qui façonnent les réalités de ces pays à l'interne.
:
Je vous remercie beaucoup de cette excellente question.
Je pense que le Canada et les États-Unis ont accepté le fait qu'ils sont en désaccord au sujet de certaines questions de souveraineté. Nous semblons capables de collaborer et de coopérer sans nous être entendus sur les limites territoriales proprement dites.
Sauf erreur, les États-Unis ne sont pas signataires de la Conférence des Nations unies sur le droit de la mer. Cependant, j'aimerais réitérer ce que j'ai dit plus tôt. La contribution des États-Unis est évidemment essentielle pour la protection de l'Arctique. Nous reconnaissons l'importance du NORAD. Nous commençons enfin à en faire plus pour soutenir le NORAD, mais nous devons vraiment intensifier notre collaboration non seulement avec les États-Unis, mais aussi avec les autres partenaires que j'ai mentionnés. En effet, même si ces autres pays ne revendiqueront aucun territoire, ils sont en mesure de contribuer au développement de l'Arctique.
Nous devons aussi contrer... N'oubliez pas que la Russie s'intéresse également de près à l'Arctique, et ce, pour des raisons évidentes. Il en va de même de la Chine. Ce sont les autres États comme nous qui devront veiller à ce que l'Arctique soit protégé et mis en valeur lorsque cela est justifié.
C'est non seulement une question juridique, mais aussi une question d'application de la loi.
[Traduction]
C'est la grande question. Vous pouvez avoir toutes les lois que vous voulez, mais si vous êtes incapable d'en assurer l'application, elles ne servent à rien. Comme je l'ai mentionné, la Chine livre la guerre du droit en s'efforçant de mettre à mal les règles et les régimes internationaux, comme nous avons pu le constater dans l'affaire de l'atoll de Scarborough.
On ne peut pas se contenter d'avoir une loi pour protéger la souveraineté. Nous devons avoir les moyens de la faire respecter. La flotte de brise-glaces américains patrouillant dans l'Arctique est en très piteux état.
[Français]
Comme vous l'avez mentionné, le Canada n'a vraiment pas ce qu'il faut pour se défendre. La Russie et la Chine, ensemble, sont beaucoup plus puissantes, et elles vont se servir de cet avantage si c'est dans leur intérêt de le faire.
:
C'est une excellente question.
Selon moi, les bonnes stratégies s'articulent autour d'objectifs clairs et réalisables, de préférence à une longue liste de visées idéalistes. La Stratégie du Canada pour l'Indo-Pacifique se distingue positivement des autres de par sa portée plus étroitement définie et sa teneur plus approfondie. Je pense qu'il persiste toutefois une grande incertitude quant aux moyens à utiliser pour mettre en œuvre cette stratégie. C'est pour cette raison que je disais que la réalisation de certains des objectifs de la Stratégie pour l'Indo-Pacifique doit absolument passer par un effort national de renforcement des capacités visant notamment à nous rendre mieux aptes à bien saisir ces nouveaux vecteurs de menace qui entrent en jeu au sein d'un environnement numérique fortement axé sur les données.
En ce qui concerne la défense, l'ancien chef d'état-major de la défense a lui-même récemment affirmé à Ottawa que les Forces armées canadiennes n'ont pas la capacité voulue pour répondre aux menaces auxquelles le pays est confronté en ce moment. Les résultats de l'Examen de la Défense nous guideront grandement quant à la façon de mettre en œuvre les dispositions de la Stratégie pour l'Indo-Pacifique qui sont liées à la défense et à la sécurité.
Cette stratégie nous offre un ouvrage de synthèse fort précieux pour combiner les différents leviers socioéconomiques et de sécurité, mais j'estime qu'il convient de peaufiner davantage les divers outils de mise en œuvre, comme l'enseignement supérieur, l'évolution de notre défense et les priorités commerciales.
:
Si je me souviens bien, il s'agissait des priorités dans l'Arctique.
Mon avis repose sur les bases industrielles militaires en Extrême-Orient et sur l'équipement de brise-glace que nous y voyons. Je prévois que des pays comme la Chine auront des négociations difficiles avec l'Europe sur l'extension du corridor médian... La Chine sera à notre porte, et ne tardera pas à essayer de négocier un accès à l'Arctique.
Je pense que le Canada est très bien placé pour jouer un rôle de chef de file en matière de gouvernance des océans. Si nous disposions au minimum d'un cadre de gouvernance des océans — au mieux d'une stratégie pour l'Arctique, qui serait suivie d'un cadre de gouvernance des océans —, non seulement nous serions prêts pour ces négociations probablement difficiles, mais en plus, nous aurions de l'influence pour que ce cadre de gouvernance obtienne plus d'appui dans le cercle arctique. Je pense que c'est là que le Canada peut réellement changer la donne.
La relation avec le Commandement de la défense aérospatiale de l'Amérique du Nord, ou NORAD, est très forte et sous-estimée. Même en mettant de côté les questions de souveraineté, je pense que si nous pouvons utiliser la technologie et la propriété intellectuelle pour surveiller chaque kilomètre carré de notre région arctique, cela peut apporter de nombreux avantages économiques au Canada, surtout si nous parvenons à un accord plus large sur un cadre de gouvernance des océans.
Je pense que le premier point à l'ordre du jour, pour cette partie de notre réunion, est le plan de travail.
Nous venons de terminer la troisième réunion. Nous pourrions avoir jusqu'à sept réunions au total. Les documents distribués ces derniers jours contiennent de nombreuses informations sur ce qui pourrait constituer ces réunions. Nous savons que le 12 février, dans une semaine, nous recevrons l'ambassadeur du Japon, les groupes d'entreprises indo-pacifiques, et ainsi de suite.
Il s'agit simplement d'une prise de température pour s'assurer qu'au cours des réunions à venir, nous avons la possibilité d'obtenir des réponses aux questions auxquelles nous devons répondre afin d'élaborer un rapport valable et utile.
Y a‑t‑il des commentaires sur le plan de travail? Sommes-nous prêts à tenir sept réunions au total?