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Nous reprenons nos travaux.
J'aimerais faire quelques observations à l'intention des témoins et des membres du Comité.
La réunion d'aujourd'hui se déroule sous forme hybride. Des députés y participent en personne dans la salle et d'autres y participent à distance au moyen de l'application Zoom.
Veuillez attendre que je vous nomme avant de prendre la parole. Ceux qui participent à la réunion par vidéoconférence doivent cliquer sur l'icône du microphone pour activer leur micro et se mettre en sourdine lorsqu'ils ne parlent pas.
Nous avons des services d'interprétation. Ceux qui utilisent Zoom ont le choix de sélectionner, au bas de leur écran, le parquet, l'anglais ou le français. Ceux qui sont dans la salle peuvent utiliser l'oreillette et sélectionner le canal désiré.
Je vous rappelle que tous les commentaires doivent être adressés à la présidence. Les membres présents dans la salle doivent lever la main s'ils souhaitent prendre la parole. Bien sûr, nous avons l'ordre des intervenants, alors tout se déroulera très bien.
J'aimerais maintenant souhaiter la bienvenue à nos témoins qui discuteront de la Stratégie du Canada pour l'Indo-Pacifique.
Nous accueillons, par vidéoconférence, Dominique Caouette, professeur et titulaire de la Chaire d'études asiatiques et indo-pacifiques de l'Université de Montréal, et Claude Vaillancourt, de l'Association pour la Taxation des Transactions financières et pour l'Action Citoyenne. Nous recevons également Carlo Dade, directeur du Centre pour le commerce et les infrastructures commerciales de la Canada West Foundation.
Chacun d'entre vous disposera de cinq minutes pour prononcer une déclaration préliminaire.
Monsieur Caouette, nous allons commencer par vous.
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Je tiens d'abord à remercier le Comité de son invitation. C'est une occasion de discuter d'un dossier dont nous ne parlons tout simplement pas encore assez au Canada.
Je vais m'exprimer en français, mais je suis prêt à répondre aux questions en français et en anglais.
[Français]
Ce soir, j'aimerais présenter cinq réflexions sur le dossier de la Stratégie du Canada pour l'Indo‑Pacifique et sur les relations entre le Canada et la Chine.
La première, c'est l'impact mondial de l'émergence de la Chine sur les dynamiques de puissance. La deuxième, c'est les dynamiques de puissance dans une région sur laquelle je travaille, soit l'Asie du Sud‑Est, qui, à mon avis, représente bien les défis et les possibilités qui existent étant donné que c'est la région voisine la plus rapprochée de la Chine. Elle a donc une longue expérience de la présence chinoise. Troisièmement, j'aimerais parler du rôle des diasporas chinoises en Asie du Sud‑Est. Quatrièmement, je vais faire un lien avec le rôle des diasporas asiatiques et chinoises au Canada. Enfin, si j'en ai le temps, j'aimerais parler des intentions de la Stratégie du Canada pour l'Indo‑Pacifique, et je présenterai peut-être un premier bilan.
Quelles sont les dynamiques de puissance sous-jacentes à l'émergence de la Chine et, parfois, aux tensions entre le Canada et la Chine? C'est ce dont il est beaucoup question aujourd'hui. Je pense qu'on vit un moment intéressant, soit la fin du système de San Francisco.
Ce système a été mis en place en 1951, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, à la suite d'un traité signé entre les Alliés et le Japon. Ce système a façonné la coopération régionale des acteurs asiatiques, canadiens et américains. Ce système a fait que les zones asiatique et indo‑pacifique étaient sous le multilatéralisme américain, sous l'influence américaine. Ce système alliait un bilatéralisme des relations entre les États‑Unis et certains pays dirigé par les États‑Unis, et permettait à ses alliés un accès à son marché et un multilatéralisme international — je pense notamment aux institutions de Bretton Woods —, puisqu'il encourageait les pays asiatiques à participer aux organisations et aux forums internationaux. Dans le contexte de la guerre froide, cette structure dominait les relations internationales en Asie, produisant un impact direct et parfois négatif, comme cela a été le cas dans la guerre d'Indochine, sur le développement d'autres initiatives régionales.
Aujourd'hui, à mon avis, nous sommes maintenant au-delà du système de San Francisco. Nous sommes dans une période de déclin de la domination américaine dans la région. On voit maintenant un bilatéralisme commercial, financier, foisonnant. Il y a donc des relations de pays à pays ou entre une région et la Chine, par exemple, qui va bien au-delà des États‑Unis. Cette remise en question du multilatéralisme du système de San Francisco remet également en question le pouvoir d'influence des Américains et du Canada dans cette région. Cette remise en question du traité de San Francisco par les pays de l'Asie de l'Est et du Sud‑Est a généré une série de nouvelles initiatives, et la Chine est souvent au centre de celles-ci.
J'aimerais parler non pas du multilatéralisme américain, mais du multilatéralisme chinois et de la façon dont la Chine le pratique. Celui-ci se manifeste par une augmentation et une intensification de la participation de la Chine aux différents programmes multilatéraux. On peut penser au groupe de Shanghai, à l'Organisation de coopération de Shanghai ou les pourparlers à six, dans lesquels la Chine joue un rôle de plus en plus important. Elle a joint les organismes internationaux, mais elle a aussi joint les organismes régionaux en Asie. Ensuite, elle a créé ses propres organismes internationaux. Elle pratique une forme de multilatéralisme flexible, par lequel elle cherche la participation et la collaboration de différents États, sans nécessairement s'ingérer dans leurs politiques intérieures, ce qui caractérise la Chine.
On a également assisté à de difficiles tentatives de rapprochement avec le Japon qui n'ont pas fonctionné jusqu'à maintenant. Cependant, ce qui est clair, c'est que l'approche de la Chine est de plus en plus assertive dans la région de l'Asie du Sud‑Est ou la région indo-pacifique. Dans plusieurs situations, elle semble faire concurrence aux États‑Unis.
Quels types de tensions vont émerger? Que cela peut-il signifier? Cela fait l'objet d'un grand débat actuellement au sein des spécialistes de la région.
Pour de nombreux chercheurs, la Chine est l'élément catalyseur à l'aune duquel on doit évaluer les choix de politiques étrangères faits par les pays de la région. Les tendances observées dans les relations multilatérales seraient déterminées par cette dualité États‑Unis—Chine.
D'autres auteurs sont plus optimistes. Malgré l'effet négatif de cette émergence, ils la voient comme la multiplication des espaces de dialogues. Ils voient donc d'un bon œil le fait que des organismes soient dominés par l'Occident, ou le bloc américain, et que d'autres le soient par l'Asie.
Comment doit-on comprendre le mouvement actuel? Il y a deux grandes visions. La première est inspirée par le réalisme, qui dit que cette émergence de la Chine va inévitablement mener à une confrontation ou à une rivalité entre la Chine et les pays associés au bloc américain. Certains auteurs ont dit de cette région qu'elle était mûre pour la rivalité.
Il existe un deuxième courant qui, lui, est plus positif et met en avant l'idée selon laquelle cette montée en puissance de la Chine se produit par l'intermédiaire du commerce et de différents organismes internationaux, qui constituent des espaces de coopération.
La Chine a besoin de marchés extérieurs pour son développement interne, tout comme les pays ont également besoin de la Chine pour obtenir des produits importants.
Il serait donc possible de créer une communauté de sécurité.
Pour conclure cette première partie de mon intervention, je dirais qu'il est important: premièrement, d'être sensible aux questions explorant cette perspective chinoise sur son émergence; deuxièmement, de voir que les espaces de socialisation et d'interaction sont positifs et préférables aux espaces d'isolement qui ont tendance à créer des murs; troisièmement, de comprendre que le Canada serait bien placé pour jouer un rôle important dans cette dynamique.
Je pense que la Stratégie du Canada pour l'Indo‑Pacifique vise à aider le Canada à jouer ce rôle, mais elle comporte certaines limites, dont nous pourrons discuter par la suite.
D'abord, je remercie le Comité de m'avoir invité à comparaître.
En tant que citoyen engagé, je m'intéresse depuis près de 25 ans au commerce international, principalement par l'intermédiaire des accords de libre-échange et selon les préoccupations liées à la justice sociale au sein de l'Action citoyenne pour la justice fiscale, sociale et écologique, ou ATTAC‑Québec.
Je classe les liens commerciaux avec les autres pays en trois catégories: ceux avec les pays ayant une économie équivalente à la nôtre, ceux avec les pays en développement, et ceux avec les pays où le travail forcé est présent à grande échelle.
Ce dernier cas pose un double problème. D'abord, il crée un avantage concurrentiel pour ces pays, dont la production se fait à moindre coût en exploitant la main-d'œuvre. Toutefois, le pire problème, et de très loin, demeure la catastrophe humanitaire que cette exploitation implique.
Les offenses commises à l'encontre des Ouïghours et des autres peuples turciques en Chine ont été reconnues par le Canada. On parle de génocide, de travail forcé, de camps de rééducation politique où on pratique, entre autres, la torture. Tout cela se passe dans un contexte où la capacité de surveillance aidée par les technologies et l'intelligence artificielle atteint des niveaux insoupçonnés, et c'est sans oublier que les Ouïghours sont harcelés, même hors de la Chine, y compris au Canada.
Cette situation devrait inciter le Canada à réagir vivement, parce que la Chine impose, entre autres, de nouveaux standards de répression qui peuvent être reproduits dans d'autres pays.
Certes, devant un pays aussi puissant et influent que la Chine, les moyens d'agir sont limités. Cependant, le Canada peut au moins réagir en refusant sur son territoire les produits du travail forcé dans le Xinjiang. Or, sur ce plan, le Canada est loin d'être exemplaire.
Au cours des dernières années, 2 547 cargaisons de produits qu'on soupçonne être issus du travail forcé des Ouïghours ont été interdites d'entrée aux États‑Unis. Pendant cette période, une seule cargaison en provenance de la Chine a été arrêtée au Canada avant d'être finalement autorisée à y entrer.
On observe donc, ici, un réel laxisme et une flagrante nécessité de resserrer les critères de blocage des marchandises produites dans des conditions plus que douteuses.
Des pays comme la France, l'Allemagne, la Norvège et les États‑Unis ont adopté des politiques allant dans ce sens. Le Canada pourrait au moins aller aussi loin que ces pays pour créer son propre modèle, qui pourrait à son tour devenir exemplaire.
Par le passé, le Canada ne s'est pas distingué par une forte volonté d'agir contre les situations d'exploitation et de répression des populations. En 2014, il a signé un accord sur la protection des investissements avec la Chine, malgré les inquiétudes clairement exprimées par des défenseurs des droits de la personne et l'absence de réciprocité qu'implique cet accord. Pour se justifier, il a toujours invoqué les mécanismes de règlement des différends entre investisseurs et États, même si ceux-ci ont notamment favorisé l'expansion des compagnies minières aux dépens de l'environnement dans les pays du Sud.
Le libéralisme économique mis en avant par les accords de libre-échange négociés par le Canada pendant de longues années a favorisé l'expansion de zones d'exploitation des travailleurs et des travailleuses comme les Maquiladoras au Mexique.
Le Canada semble avoir mis un peu de côté la logique voulant que les bas prix offerts à la population canadienne et le profit des grandes entreprises vaillent mieux que le sort des nombreux travailleurs et travailleuses et la protection de l'environnement. La reconnaissance de la situation génocidaire dont sont victimes les Ouïghours, entre autres peuples turciques, mais aussi d'autres minorités en Chine, nous force à repenser certains aspects du commerce avec ce pays. Il faut mettre en place des mesures vraiment efficaces pour empêcher que les produits du travail forcé se retrouvent sur les étagères de nos magasins. Mentionnons, en particulier, l'adoption d'une loi sur la prévention du travail forcé des Ouïghours à l'image de celle des États‑Unis; la mise en place d'une législation obligatoire sur la diligence raisonnable des entreprises en matière de droits de la personne et d'environnement; et la transformation du Bureau de l'ombudsman canadien de la responsabilité des entreprises en un bureau indépendant doté de solides pouvoirs d'enquête.
Il faut aussi revoir le paradigme libre-échangiste qui a marqué notre économie ces trente dernières années, et mettre en place des politiques de relocalisation industrielle et de substitution des exportations.
Non seulement cela permettrait-il de réduire la production de gaz à effet de serre causé par le déplacement de marchandises sur de très longues distances, mais, en limitant également la quantité de produits en provenance de la Chine, cela rendrait plus facile l'identification des produits importés et limiterait le risque de faire entrer des produits du travail forcé. Il s'agirait aussi d'un ensemble de décisions, quand même significatives, qui permettraient de montrer notre profonde désapprobation de la façon dont sont traités les Ouïghours et leurs semblables par le gouvernement chinois.
Je vous remercie de votre attention.
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Merci, monsieur le président.
Je remercie aussi les membres du Comité de leur invitation. Je suis heureux d'être ici à nouveau. Plus de trois ans se sont écoulés depuis notre dernier passage devant le Comité.
[Traduction]
Ce fut également un plaisir d'entendre le travail de la Canada West Foundation être mentionné durant les travaux du Comité. J'aimerais remercier les membres du Comité qui ont porté cette mention à notre attention, ainsi que les témoins qui ont souligné notre travail.
Aujourd'hui, vous connaissez bien le travail de Canada West. Nous publions le seul mémoire sur les relations de l'Ouest canadien avec l'Indo-Pacifique et la Chine. Nous avons également analysé la Stratégie indo-pacifique et convoqué un sommet des ministres du Commerce des Prairies pour discuter d'une stratégie.
J'aimerais me concentrer sur un autre sujet aujourd'hui et faire une analyse comparative de la stratégie, fondée sur mon expérience antérieure en tant que directeur général du groupe de réflexion du Canada sur l'Amérique latine au moment de la mise en œuvre de la Stratégie pour les Amériques. Si j'avais su que le ministre responsable de la stratégie serait dans la salle, je m'y serais peut-être préparé un peu. Je vais prendre des risques et quand même tenter de faire quelques commentaires.
Je ne parlerai pas de gaz naturel liquéfié, ou GNL. Le gouvernement a déjà été fustigé à ce sujet par des témoins précédents, ce qui me permet d'adopter une approche un peu différente.
Pour vous représenter la Stratégie pour les Amériques, imaginez un fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères à l'administration centrale de son pays ou de sa capitale, ou un représentant d'un pays étranger affecté au Canada pour suivre la Stratégie pour l'Indo-Pacifique. L'une des premières étapes de ces représentants pour comprendre et analyser la stratégie actuelle consisterait à examiner les tentatives précédentes du Canada pour établir un cadre. Je vais adopter cet angle et souligner trois éléments dans l'élaboration de la Stratégie pour les Amériques qui, je l'espère, pourront être utiles à votre étude et à vos recommandations. Je ferai aussi deux ou trois observations à prendre en considération au moment de formuler des recommandations.
La première différence entre la Stratégie pour les Amériques et la Stratégie pour l'Indo-Pacifique est la notion du temps. Vous avez entendu l'ambassadeur McKay et le sous-ministre adjoint Epp décrire la stratégie comme une réponse générationnelle à un défi générationnel. C'est une formulation que nous n'avons pas entendue dans le cadre de la Stratégie pour les Amériques et que nous n'entendons habituellement pas dans la politique étrangère canadienne. Je peux vous dire, pour avoir parlé à des représentants étrangers et à des groupes de réflexion de la région, que cette déclaration a vraiment attiré l'attention. Le décalage dans le temps a été un énorme signal.
Le deuxième signal concernait les ressources qui ont été mises de côté. Il était très important de mettre de côté des sommes importantes.
La troisième chose que la stratégie abordait était le caractère incontournable de la Chine. Je vais consacrer quelques secondes à cet élément.
La Stratégie pour les Amériques était en quelque sorte considérée comme facultative pour le Canada, mais la Chine ne l'est pas. L'Inde n'est pas optionnelle. Je n'entends pas par là que la Chine est incontournable parce qu'elle est notre deuxième partenaire commerciale en importance; ce n'est pas de là que vient son caractère inévitable. D'autres témoins vous ont dit que la Chine est la deuxième plus importante économie du monde. Ce pays est le principal partenaire commercial de 120 pays, non seulement dans la région indo-pacifique, mais aussi du Brésil, de l'Argentine, du Chili, du Paraguay, de l'Uruguay, du Pérou et du Panama. Dans notre propre hémisphère, quand on fait du commerce, on se heurte inévitablement à la Chine.
La Chine a dépensé un billion de dollars pour construire une infrastructure qui reçoit et transporte nos marchandises lorsque nous les expédions à l'étranger. Nous avons du mal à bâtir une infrastructure commerciale. Depuis la porte d'entrée de l'Asie-Pacifique, qui a été un fait saillant pour le Canada et la période où nous avons atteint notre meilleur classement en matière d'infrastructure commerciale, nous éprouvons des difficultés. La Chine est responsable de l'infrastructure, à l'autre bout de la chaîne, qui transporte nos marchandises. Ainsi, même si vous essayez de vous enfuir de la Chine, vous allez vous heurter à la Chine, et vous la rencontrerez probablement sur des routes qu'elle a elle-même construites.
Le dernier point concerne la capacité. Dans la Stratégie pour les Amériques, il n'y avait pas beaucoup d'argent destiné aux nouvelles capacités pour les Canadiens — pas seulement pour les entreprises, mais aussi pour tout l'éventail d'intervenants canadiens voulant se tailler une place dans la région. La Stratégie pour l'Indo-Pacifique prévoit ces investissements, non seulement pour des délégués commerciaux et un centre universitaire, mais aussi pour mettre à niveau l'ensemble des intervenants canadiens. Encore une fois, si on se heurte à la Chine, même si on essaie de l'éviter, il faut que tous les intervenants canadiens qui composeront avec la Chine soient mieux préparés. Nous avons tendance à faire appel à l'expertise des États-Unis pour ce faire, et je pense que la Stratégie indo-pacifique peut rectifier le tir. Nous avons besoin de notre propre expertise, de notre propre analyse et de nos propres experts qui analysent la situation du point de vue canadien.
Le dernier point porte sur les négociations commerciales nord-américaines. Les Américains tentaient de nous faire craindre de faire du commerce avec la Chine alors même qu'ils négociaient leur propre accord commercial avec ce pays. Cet accord les positionnait pour priver les producteurs de l'Ouest canadien d'argent et de parts de marché.
Nous coopérons avec les Américains en matière de sécurité et de renseignement. Or, si de l'argent est en jeu, nous devons avoir la capacité de défendre nos propres intérêts auprès d'eux, et c'est certainement le cas pour la Chine. Nous l'avons vu auparavant, et le passé pourrait être garant de l'avenir avec l'Inde.
Je vais m'arrêter là et répondre à vos questions. J'espère que mon exposé vous a été utile.
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Merci, monsieur le président.
Je vais d'abord signaler que la ne comparaît pas aujourd'hui, contrairement à ce qu'elle avait dit il y a bien des semaines. Il y a des mois, ce comité lui a demandé de comparaître au sujet de la Banque asiatique d'investissement pour les infrastructures.
Je tiens à dire publiquement à quel point les conservateurs sont déçus qu'elle ait choisi de ne pas se représenter encore une fois. Elle devait savoir à l'avance qu'elle devrait se rendre ailleurs et elle n'a pas fourni de nouvelle date à laquelle elle témoignerait devant le Comité pour nous expliquer ce qui se passe exactement au sujet de la participation du Canada à la Banque asiatique d'investissement pour les infrastructures.
Monsieur Dade, je vais devoir vous demander de fustiger le gouvernement au sujet du GNL. En décembre 2022, le dirigeant de la Canada West Foundation, Gary Mar, et vous-même avez dit, dans un article d'opinion, que du point de vue de l'Ouest canadien, il manque deux éléments importants dans la stratégie. Vous dites qu'il n'y est aucunement question d'exportation de GNL. Vous ajoutez qu'au lieu de cela, la stratégie s'oriente vers les énergies renouvelables et l'hydrogène.
D'autres témoins ont fustigé le gouvernement. Je viens de l'Ouest du pays et je dois vous donner la chance de le faire aussi.
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J'espérais vraiment utiliser ce temps pour d'autres choses.
Notre position est ferme. Je pense que tout le monde connaît la logique. Les problèmes que cela pose ont été décrits par d'autres. Mme Lilly est une citoyenne honoraire de l'Ouest et je pourrais donc lui attribuer cela dans une certaine mesure. Or, en effet: trop souvent, des alliés de la région nous disent que le Canada prétend vouloir aider et apporter sa contribution dans la région, alors pourquoi, dans ce cas, stockons-nous ce dont elle a le plus besoin? Pourquoi stockons-nous de l'énergie?
Nous essayons d'expliquer aux gens que ce n'est pas le cas, qu'il y a simplement des difficultés politiques. Des gens disent: « Nous achetons votre gaz au Mexique, Costa Azul a été mis place en Basse-Californie, au Mexique, alors si le Mexique peut nous envoyer votre gaz, pourquoi ne pouvez-vous pas le faire? »
C'est une position vraiment difficile à défendre. Nous trouvons que c'est préoccupant sur le plan de la sécurité et de la concurrence. Une fois de plus, nous voyons les Américains nous damer le pion. Si nous ne produisons pas, quelqu'un d'autre le fera.
Nous allons aggraver les émissions de gaz à effet de serre en faisant en sorte que des pays comme le Sénégal, qui vient de trouver 11 billions de pieds cubes de gaz, exportent du gaz au lieu que ce soit le Canada. Nous ne rendons service à personne. Nous nuisons probablement à l'environnement.
Pour quelqu'un qui ne voulait pas fustiger le gouvernement, ce n'est pas si mal, non?
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Je vous donnerais plus de temps, en tant que Canadien de l'Ouest, et vous pouvez continuer à le faire.
En janvier 2023, dans le Globe and Mail, vous avez également critiqué la Stratégie du Canada pour l'Indo-Pacifique, en particulier parce qu'on n'y fait pas de l'élargissement du PTPGP, soit l'Accord de partenariat transpacifique global et progressiste, une priorité. Toutefois, en 2024, le Canada assumera la présidence de la commission du PTPGP.
J'aimerais connaître votre avis, en tant que Canadien de l'Ouest. À la fin de cette année, qu'est‑ce qui fera en sorte que ce sera un échec et qu'est‑ce qui fera en sorte que ce sera un succès? Quels sont les indicateurs? Selon vous, qu'est‑ce que le gouvernement doit bien faire et qu'est‑ce qui, autrement, constituera un échec à la fin de l'année?
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Merci, monsieur le président.
Comme M. Kmiec l'a fait, je veux signaler quelque chose. Je veux m'assurer que les gens qui nous regardent — et il y en a peut-être des milliers — savent que la n'a pas pu assister à la réunion de ce soir parce qu'elle a dû se rendre en Ukraine et en Pologne. Je ne peux pas confirmer si la Lettonie figure aussi à l'ordre du jour, mais j'ai cru comprendre que c'est possible. C'est le deuxième anniversaire de l'invasion illégale du territoire souverain de l'Ukraine par la Russie.
La , le et le sont totalement solidaires des Ukrainiens. La lutte qu'ils mènent est aussi la nôtre.
Je suis très fier de notre , qui parle couramment l'ukrainien, ce qui constitue un atout important pour que les Ukrainiens comprennent que le Canada continuera à les appuyer. Nous sommes nous aussi déçus qu'elle n'ait pas pu être présente aujourd'hui. Cependant, elle a très clairement dit qu'elle comprenait qu'elle devait rendre des comptes au Parlement. Elle participera à une prochaine réunion lorsque nous pourrons la planifier.
Je veux simplement m'assurer que c'est bien compris, car les Canadiens s'interrogent sur le soutien des conservateurs à l'Ukraine étant donné qu'ils n'ont pas soutenu l'Ukraine en votant contre un accord de libre-échange, un accord demandé par le gouvernement et le peuple ukrainiens. On nous dit maintenant qu'une brève présence à une réunion de ce comité a plus d'importance que de soutenir le peuple ukrainien, ce que notre gouvernement ne manquera jamais de faire. Je suis ravi de pouvoir le signaler pour les gens qui nous regardent.
J'ai une brève question à poser à M. Dade.
Vous avez dit que des témoins avaient fustigé le gouvernement du Canada au sujet du GNL. Savez-vous que l'ambassadeur du Japon a témoigné devant notre comité il y a deux semaines et qu'il a parlé de manière très positive de l'avenir des exportations de GNL, auxquelles pourrait avoir accès la région de l'Asie-Pacifique, en particulier le Japon, et qu'il se réjouit de cette possibilité pour le Canada de fournir de l'énergie au Japon?
Je veux maintenant m'adresser à M. Caouette.
Monsieur Caouette, merci beaucoup de votre témoignage. Il m'a rappelé le cours d'histoire économique que j'ai suivi en première année d'université avec le professeur John Munro, où nous avons étudié les fluctuations du pouvoir économique et de l'importance de divers pays au cours des siècles. Dans votre analyse du glissement de pouvoir vers la Chine, et des énormes défis auxquels le Canada est confronté en raison de l'évolution de la dynamique économique — où se trouve l'argent —, vous reconnaissez que la place occupée par la Chine est bien réelle.
J'aimerais vous donner l'occasion de nous parler plus en détail de l'émergence de la Chine, à la fois des dangers et des défis qu'elle présente pour le Canada, mais aussi des occasions qu'elle pourrait nous offrir à l'avenir. Comment pouvons-nous nous préparer au mieux pour un monde qui sera en constante évolution au cours des 50, 100 ou 150 prochaines années?
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C'est une grande question, mais elle est pertinente.
Dans le domaine des sciences politiques, nous parlons du mouvement des plaques tectoniques. Je crois que c'est ce qui se passe en ce moment. La Stratégie du Canada pour l'Indo-Pacifique a constitué un pas en avant en définissant plus clairement ce que le Canada peut faire. On l'attendait depuis des années dans la région. À une certaine époque, le Canada avait une présence importante dans la région, mais c'était une époque très différente. Dans les années 1980, il s'est parfois retiré. Puis, on a mis en place la Stratégie du Canada pour l'Indo-Pacifique avec l'objectif d'assurer un engagement continu du Canada dans cette région.
[Français]
Le Canada doit comprendre son rôle dans ce changement de puissance. Le Canada était vu comme une puissance intermédiaire, comme une puissance moyenne. Il doit prendre conscience du fait que ce rôle est de moins en moins reconnu. Dans la région, certains pays sont en pleine émergence. Des pays de l'Asie du Sud‑Est, les voisins immédiats de la Chine, ont dû apprendre à négocier avec cette émergence. Je pense que nous avons beaucoup à apprendre du modèle de Singapour, de la Malaisie ou de l'Indonésie, qui sont en dialogue constant avec la Chine.
Je pense aussi aux standards dont mon collègue M. Vaillancourt a parlé. Il y a eu des cas, comme au Myanmar, où il y a eu des atteintes aux droits de la personne, des camps de travail forcé et des mauvais traitements contre des groupes ethniques. Des sanctions ont été appliquées, mais les dialogues se sont maintenus. Le plus important est que le Canada mette en avant des axes autour desquels il entend travailler, et la Stratégie du Canada pour l'Indo‑Pacifique le fait. La question du développement durable, par exemple, est importante. Or, à l'heure actuelle, la Chine est la première productrice de véhicules électriques au monde. Elle est aussi la première productrice de panneaux solaires au monde. Il y a donc des possibilités de coopération.
Par ailleurs, il est important de travailler avec des alliés, plutôt que de confronter la Chine directement. Ce travail se fait dans des contextes culturels distincts. L'Association des nations de l’Asie du Sud-Est, par exemple, fonctionne selon le mode du consensus. Or, beaucoup ont eu tendance à adopter la même approche avec les organisations régionales de l'Asie qu'avec l'Union européenne ou l'Accord de libre-échange nord-américain, où on travaillait en fonction de certaines autres normes. Ce qui est primordial, c'est d'être présent et de participer à ces dialogues en évitant les remontrances générales et en évitant de faire perdre la face aux représentants de la région.
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Je ne le ferai pas nécessairement, mais je vais quand même permettre à M. Caouette de poursuivre, parce que je vais lui poser une question qui a un lien avec la question précédente.
Monsieur Caouette, dans un article que vous avez corédigé pour une édition spéciale du Canadian Foreign Policy Journal, intitulé « Canada and Southeast Asia in the new Indo-Pacific era », vous faites état de quatre défis qui attendent le Canada dans cette volonté de renforcer ses relations en Asie du Sud‑Est. Le quatrième défi — je reviens, justement, à l'Association des nations de l’Asie du Sud-Est — est le fait que les pays d'Asie du Sud‑Est ne souhaitent pas prendre position dans les rivalités opposant les grandes puissances. Autrement dit, personne ne considère qu'un alignement inconditionnel et global avec les États‑Unis ou avec la Chine constitue une stratégie souhaitable. Certains de ces pays sont plus proches de la Chine, alors que d'autres le sont un peu moins.
Vous parlez, comme premier défi, d'un problème de réputation pour le Canada. Serait-ce lié au fait, par exemple, que le Canada, un peu comme les États‑Unis, identifie la République populaire de Chine comme une puissance mondiale de plus en plus perturbatrice?
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C'est une bonne question.
Je pense que les gens d'Affaires mondiales Canada ont réfléchi longtemps avant de trouver le mot « perturbatrice » et qu'ils voulaient trouver un adjectif adéquat. Il serait adéquat de dire que nous traversons une période de changements et de turbulences à l'égard des dynamiques de puissance. De plus, on ne sait pas ce qui va arriver en novembre prochain.
Le Canada a longtemps misé sur sa réputation de pays ami ou de pays avec lequel on pouvait dialoguer. Cela remonte à l'époque du père du actuel. Le Canada était respecté, parce qu'il était vu comme une puissance capable d'avoir sa propre politique étrangère et ses propres idées, tout en étant capable de rassembler les gens autour d'une même table. Ce qui était aussi particulier et qui a changé, c'est que les représentants des pays d'Asie savaient que, lorsque des gens du ministère des Affaires étrangères venaient les voir, peu importe si le gouvernement était libéral ou conservateur, le Canada avait une réputation à protéger. Il y avait donc une constance, au-delà des affinités partisanes, dans la position du Canada à l'égard de cette région.
Le premier défi pour le Canada est de travailler avec ses partenaires de l'Asie du Sud‑Est, dont les Japonais, qui ont été constamment présents dans la région. Il s'agit aussi d'assurer cette présence constante en jouant un rôle de facilitateur de dialogue. On a essayé de le faire entre 1982 et 2002, alors que le Canada permettait et appuyait les dialogues régionaux. Il est important de souligner qu'il n'y a pas eu de conflit entre les pays de la région voisine de la Chine. Bien sûr, il y a eu la guerre du Vietnam, mais les pays de la région ne se sont pas fait la guerre. L'Association des nations de l'Asie du Sud‑Est, l'ANASE, fonctionne sur une base distincte, et nous gagnons à travailler avec nos alliés.
C'est la même chose pour ce qui est de l'Inde. Il est important d'être un État sollicité, respecté pour ses positions et capable de rassembler les gens autour d'une même table, comme nous l'avons fait par le passé. Nous devons retrouver un rôle permettant de restaurer notre réputation de puissance douce misant sur son pouvoir de persuasion. On peut penser à la doctrine de la sécurité humaine, qui a été mise en place par M. Axworthy, ou aux interventions militaires des Casques bleus.
La Stratégie du Canada pour l'Indo‑Pacifique est un premier pas, mais le grand défi réside dans sa mise en œuvre. Au cours de la dernière année, différents efforts ont été faits, mais on s'est parfois mis les pieds dans les plats, plutôt que de rétablir la réputation du Canada à titre de puissance capable de réunir les gens autour d'une même table et d'agir sur des thèmes précis. On n'a qu'à penser à la Convention sur l'interdiction des mines antipersonnel, que le Canada avait mise de l'avant. Sur la question des Ouïghours ou de l'exploitation des travailleurs issus de la traite des personnes, par exemple, je pense que le Canada a une expertise. Nous devrions miser sur ce qui fait notre force plutôt que d'essayer d'aller dans toutes les directions, comme on semble parfois le faire dans la Stratégie du Canada pour l'Indo‑Pacifique.
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Merci, monsieur le président.
Je pense que vous touchez à un point important.
Au lieu de miser sur notre expertise, qui est d'appuyer les organisations de la société civile, les mouvements de consommateurs qui cherchent à avoir des produits plus sécuritaires et les mouvements économiques, en négociant des accords de libre-échange plus équitables, on mise sur la dimension militaire, qui n'est certainement pas la spécialité ou la marque de commerce du Canada.
On essaie de tout faire, mais, en essayant de couvrir plusieurs champs, on oublie ce qui nous distingue des autres pays et ce qui est la valeur ajoutée du Canada. Il est surtout important d'être modeste à l'égard de celle-ci, dans le monde actuel.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Comme certains de mes collègues, je vais me permettre une petite remarque préliminaire.
Une des plus grandes exportations du Canada dans la région indo‑pacifique a longtemps été le charbon bitumineux, le charbon thermique. En 2021, le Parti libéral a promis de mettre fin aux exportations du Canada de ce charbon thermique. C'est même dans la lettre de mandat du ministre de l'Environnement. L'année suivante, les exportations de charbon thermique augmentaient de 60 %. C'est huit fois plus élevé que nos exportations en 2018, alors que c'est extrêmement polluant et que cela contrevient à tous nos engagements en matière de lutte contre les changements climatiques. Je tenais à le préciser, parce que je trouve cela absolument incohérent et contradictoire. Je suis d'autant plus fier du projet de loi de ma collègue de Victoria, Laurel Collins, qui veut mettre fin de manière légale à l'exportation du charbon thermique alors que le gouvernement libéral continue malheureusement de le faire.
Monsieur Vaillancourt, j'ai beaucoup aimé vos propos, un peu plus tôt, sur les droits de la personne, sur les droits des travailleurs et sur le travail forcé. Vous avez beaucoup parlé, avec raison, de la situation dramatique du peuple ouïghour. Vous avez aussi parlé des responsabilités des entreprises canadiennes. Si j'ai le temps, j'y reviendrai.
Le gouvernement fédéral est responsable de s'assurer que nos chaînes d'approvisionnement et les sous-traitants qui sont engagés ne sont pas impliqués dans le travail forcé. Or le journaliste Joël‑Denis Bellavance de La Presse révélait, en 2021, que des contrats totalisant 221 millions de dollars avaient été accordés à une entreprise de Malaisie qui, à l'époque, était soupçonnée par les États‑Unis et le Royaume‑Uni d'utiliser du travail forcé dans sa production.
À votre avis, comment le gouvernement fédéral pourrait-il mettre des mesures en œuvre dans cette région du monde pour éviter de telles situations alors que le fédéral lui-même ne donne pas l'exemple?
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C'est un élément très important. Dans mon exposé, j'ai proposé trois mesures intéressantes sur lesquelles j'aimerais revenir.
La première mesure, c'est l'adoption d'une loi sur la prévention du travail forcé. Nos voisins américains en ont une qui est intéressante. La preuve, c'est qu'ils bloquent beaucoup plus de marchandises en provenance d'entreprises faisant appel au travail forcé que ce que fait notre propre gouvernement. Il semble que les produits fabriqués par les Ouïghours dans des conditions absolument épouvantables entrent très facilement au pays sans être bloqués. Nous avons donc un modèle, celui de nos voisins, qui pourrait servir d'inspiration.
La deuxième mesure dont j'ai parlé, c'est l'adoption d'une législation sur la diligence raisonnable des entreprises. C'est demandé par plusieurs personnes et organismes du Canada. Ce serait donc important de le faire.
La troisième mesure que je demandais, c'est la transformation du Bureau de l'ombudsman canadien de la responsabilité des entreprises en un bureau indépendant doté de solides pouvoirs d'enquête. Le problème, c'est que l'ombudsman travaille avec les données que les entreprises veulent bien lui accorder, alors qu'il devrait avoir la possibilité d'exiger des entreprises des données beaucoup plus significatives et beaucoup plus importantes. Cela permettrait alors de faire de véritables enquêtes et d'avoir une meilleure évaluation du stock qui nous arrive de Chine, celui qui est produit par du travail effectué dans des conditions vraiment éprouvantes.
En effet, le fait que les entreprises puissent fournir elles-mêmes les données et les rapports sur leur comportement et leur respect des règles me semble assez absurde. Il faut avoir plus d'objectivité que cela. Les pouvoirs d'enquête seraient donc une bonne chose. Le partenariat transpacifique a changé de nom et est devenu l'Accord de partenariat transpacifique global et progressiste, ou PTPGP. Vous avez déjà écrit dans un article en collaboration avec Mme Sujata Dey que l'utilisation du terme « progressiste » était assez ironique. Vous êtes poli. Moi, j'aurais dit que ce n'est pas parce qu'on met du rouge à lèvres à un cochon que cela change la nature de la bête.
Entre autres choses, vous avez écrit ceci:
Malgré des engagements en matière d’égalité des sexes et de droits des Autochtones de la part du gouvernement Trudeau, cet accord ne contient pas de clauses à ce sujet. Seul le préambule mentionne ces questions, mais celui-ci, symbolique, n’est pas juridiquement contraignant.
À votre avis, de quelle façon le Canada, alors qu'il est président de la commission PTPGP en 2024, pourrait-il mettre davantage en avant ses propres engagements en matière d'égalité des sexes et des droits des Autochtones?
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Je pense que ces éléments doivent être inscrits dans l'accord. À mon avis, les accords de libre-échange, surtout ceux que le Canada a négociés depuis longtemps, comprennent souvent des chapitres distincts, un chapitre sur l'environnement et un autre sur le travail, par exemple, dans lesquels on trouve une série de bonnes intentions. Cependant, celles-ci ne sont absolument pas contraignantes.
Selon moi, lors de la révision des accords de libre-échange, il est très important de mentionner dans le texte de l'accord toutes les dimensions progressistes, afin qu'on y retrouve des applications concrètes. À mon avis, l'accord entre le Canada et l'Ukraine a permis une certaine progression sur le plan de l'intégration des préoccupations environnementales. Cela prouve que le Canada a la possibilité de le faire. Cela dit, je pense qu'il faut aller encore plus loin lors de la renégociation des accords de libre-échange.
À mon avis, tous les accords de libre-échange négociés par le Canada pendant les grandes années du libre-échange sont des accords de libéralisation dans lesquels les considérations environnementales et celles concernant les droits des personnes étaient secondaires par rapport aux droits qu'on accordait aux entreprises.
En ce moment, là où nous en sommes, nous avons la possibilité de transformer les choses et d'inscrire des éléments beaucoup plus importants dans les accords de libre-échange.
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Merci, monsieur le président.
En 2023, le charbon bitumineux se classait au deuxième rang des exportations vers la République populaire de Chine. Lorsque nous examinons le bilan de la Chine en matière de changement climatique et d'utilisation du charbon, nous constatons que ce qu'elle dit est diamétralement opposé aux approches des gouvernements occidentaux sur ces questions.
Il y a 10 ans, je pense qu'il était raisonnable pour les gouvernements occidentaux de proposer une coopération avec la Chine dans le domaine de la lutte aux changements climatiques et de la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Beaucoup de gens, y compris les gouvernements occidentaux — et je pourrais ajouter l'Agence internationale de l'énergie —, pensaient que la demande pour le charbon atteindrait son maximum en 2013, pour ensuite décliner.
Ils pensaient que la République populaire de Chine travaillerait de bonne foi avec la communauté internationale pour réduire les émissions. Cependant, selon un rapport publié l'année dernière par le Centre for Research on Energy and Clean Air, une organisation non gouvernementale basée en Finlande, et le Global Energy Monitor, une deuxième organisation sans but lucratif qui surveille les infrastructures des combustibles fossiles, en 2022, la Chine a approuvé le plus important projet de construction de centrales au charbon depuis 2015. Dans sa hâte de construire ces nouvelles centrales au charbon, la Chine a accordé des permis pour 106 gigawatts de capacité de production dans 82 nouveaux sites dans l'ensemble du pays. C'est la quantité la plus importante depuis 2015, et elle est quatre fois plus élevée qu'en 2021.
En conséquence, la Chine brûle désormais plus de charbon que tout le reste du monde, et cette année, on brûle plus de charbon que jamais dans le monde. Il s'agit d'une quantité record. L'année dernière, on a brûlé une quantité record de charbon dans le monde, comme l'année précédente. Nous sommes dans cette situation, car la Chine est déterminée à augmenter dramatiquement la combustion du charbon, qui est l'une de nos plus importantes exportations vers la République populaire de Chine.
En novembre 2021, le Canada a annoncé son intention d'interdire les exportations de charbon thermique vers la République populaire de Chine dans à peine six ans. Je me demande donc si ces deux objectifs sont compatibles.
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Le concept de la puissance douce a été développé par le politologue américain Joseph Nye. Selon ce concept, un pays peut exercer une influence sans toutefois user de sa force militaire. La puissance douce tire parti du pouvoir de persuasion, du pouvoir d'attraction et du pouvoir de la réputation. Elle est un atout considérable, et l'a été dans le passé, comme je l'ai mentionné, pour le Canada.
Je pense que cette puissance douce dont disposait le Canada — son pouvoir d'attraction — s'est affaiblie au fil des ans, et, selon moi, cela est en partie attribuable au manque de continuité dans les politiques. À l'époque, le Canada pouvait se prononcer sur des questions difficiles plus facilement. Qu'il s'agisse de questions environnementales ou du travail forcé, son engagement était bien accueilli. Aujourd'hui, la position du Canada à l'égard de l'Asie du Sud-Est, de l'Asie et de l'Asie-Pacifique est, sinon difficile à suivre, à tout le moins pas tout à fait ciblée.
Ce que j'essaie de faire valoir, c'est que nous avons plus de chances d'exercer une influence sur les questions environnementales ou les conditions de travail si nous participons aux discussions en tant que partenaires égaux dans la région.
En ce moment, les gens se concentrent beaucoup sur la Chine. Il y a une obsession pour la Chine à bien des égards. Comme j'essayais de le souligner, il existe d'importantes diasporas chinoises en Asie du Sud-Est. Ces diasporas comprennent de grandes entreprises qui peuvent être de bons alliés pour exercer une influence sur les politiques qui ont trait à la Chine.
Je pense que le Canada doit être plus modeste dans ses revendications et participer aux discussions d'égal à égal avec les membres de la région indo-pacifique. Un autre changement — et nous le voyons dans d'autres régions du monde — est que l'on n'a pas besoin, ou on ne réclame pas l'aide du Canada, et ce pour différentes raisons. Les pays peuvent se tourner vers d'autres États. Les temps ont changé, et cela s'inscrit dans l'évolution dont je parlais au début de ma déclaration liminaire. Nous devons comprendre la position que nous occupons, comprendre ce que le Canada peut apporter et dans quelles régions il sera respecté et écouté.
Comme je le disais, il est essentiel de favoriser l'établissement d'un consensus. Il faut repenser notre approche en la matière. Nous devons nous doter d'une stratégie clairement définie qui ne disparaîtra pas après les prochaines élections. Ce sera essentiel pour parvenir à adopter des mesures qui seront plus conformes aux objectifs que nous voulons atteindre, comme un environnement sain, de meilleures conditions et régimes de travail, un monde où les gens peuvent migrer dans de bonnes conditions, et le respect des droits des peuples autochtones, qui est un défi auquel nous sommes également confrontés au Canada.
Si nous travaillons en tant que partenaires ou homologues dans ces domaines, l'influence de la puissance douce du Canada sera beaucoup plus grande et ne sera pas basée sur une influence politique puissante. Je ne pense pas que ce soit notre puissance militaire qui nous démarquera, du moins pour les prochaines années ou la prochaine décennie.
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On l'oublie parfois, mais il est important de se rappeler que le Québec a été le premier à lancer une stratégie pour l'Indo‑Pacifique, ce qu'il a fait un an avant le Canada.
Je pense aussi qu'il n'est pas le seul à l'avoir fait. Il existe actuellement plus d'une douzaine de stratégies pour l'Indo‑Pacifique, dont celles du Québec, du Canada et du Japon. D'ailleurs, l'Université de Montréal offrira une école d'été uniquement sur ce thème.
La Stratégie territoriale pour l'Indo‑Pacifique du Québec a démontré l'intention du Québec de prendre sa place. Déjà, le Québec fait de la « paradiplomatie », que ce soit à l'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture, ou UNESCO, ou à l'Organisation internationale de la Francophonie.
Or cette stratégie a permis de franchir un pas en avant, parce qu'elle met l'accent sur la diversification des partenaires, donc de réduire la dépendance envers la Chine, ce qui donne au Québec un levier plus important pour négocier avec elle.
Si la Chine sait qu'elle est la seule à pouvoir offrir certains biens, il est évident qu'elle va en profiter, alors que si d'autres partenaires sont prêts à le faire, la situation ne sera pas la même. On oublie souvent que la région de l'Asie du Sud‑Est et du Sud, et l'Inde, entre autres, offrent des produits similaires et qu'ils font partie des mêmes chaînes de valeur.
Les stratégies pour l'Indo‑Pacifique démontrent, premièrement, que l'économie mondiale s'est déplacée vers l'Asie. Le XXIe siècle sera celui de l'Asie‑Pacifique ou de l'Indo‑Pacifique.
Par ailleurs, elles démontrent qu'il faut développer des expertises. Il faut absolument renforcer l'expertise, à la fois québécoise et canadienne, ainsi que celle de l'Ouest, nécessaire pour faire affaire avec la région de l'Indo‑Pacifique.
On doit être présent dans cette région et mettre l'accent sur le développement de cette expertise, parce qu'on oublie souvent l'existence, en Asie du Sud‑Est, de longues traditions intellectuelles. Il y a aussi des philosophes asiatiques dont on lit peu les ouvrages. Cela peut paraître loin de nos propos, mais cela nous aide à comprendre la région avec laquelle on fera affaire.
De plus, il faut créer des liens entre les diasporas et les organismes non gouvernementaux et ceux de la société civile.
Cela dit, la Stratégie territoriale pour l'Indo‑Pacifique représente un pas en avant, et je salue cette initiative. Je pense qu'il en faut d'autres aussi.
La stratégie canadienne doit être constante dans le temps. On ne peut pas se contenter de lancer de telles stratégies et les oublier. Il faut absolument assurer un suivi.
Le pragmatisme est une valeur centrale dans les pays d'Asie.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Je vais poursuivre avec vous, monsieur Vaillancourt.
En 2016, vous avez parlé du partenariat transpacifique devant le Comité permanent du commerce international et évoqué vos préoccupations concernant les mécanismes de règlement de différends entre les investisseurs et les États.
À l'époque, on voyait que ces mécanismes accordaient des droits incroyables à des compagnies privées quant à la volonté locale et aux démocraties.
Quelques années plus tard, voyez-vous encore ces mécanismes comme un problème, une menace, un défi?
Comment les choses ont-elles évolué sur ce plan?
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Encore aujourd'hui, nous voyons cela comme une menace, car cela donne beaucoup trop de pouvoirs aux entreprises.
Il faut quand même mentionner un progrès intéressant: on a exclu ce mécanisme de l'accord de libre-échange entre le Canada, les États‑Unis et le Mexique. Cela veut donc dire qu'on peut très bien conclure des accords de libre-échange sans intégrer ces mécanismes. À l'échelle internationale, on critique beaucoup ces mécanismes, parce qu'ils donnent aux entreprises la possibilité de poursuivre des gouvernements sans qu'il y ait de réciprocité; ainsi, la poursuite va dans un seul sens et a un effet paralysant. Vu l'existence de ce processus, les compagnies peuvent menacer les gouvernements de poursuites et arriver à faire changer ou à limiter un projet de règlements. Nous l'avons observé de nombreuses fois. Pour toutes ces raisons, et compte tenu de la profonde inutilité de ces mécanismes sur le plan de la préservation de la démocratie, nous prônons que ces mécanismes soient toujours exclus de tous les accords de libre-échange signés par le Canada.
Tout à l'heure, j'ai parlé d'un accord de ce type, soit l'Accord sur la promotion et la protection des investissements étrangers conclu entre le Canada et la Chine. Nous avions beaucoup protesté contre cet accord, parce que la Chine respecte très peu les droits, mais aussi parce que, d'une certaine manière, il donnait à la Chine un droit de regard sur une réglementation. Cet accord est non réciproque, dans la mesure où la capacité du gouvernement canadien d'intervenir auprès de la Chine est très limitée dans le cadre de cet accord. Pour toutes ces raisons, cela reste extrêmement problématique.
Je rappelle que notre position est aussi celle de nombreux groupes du Québec, dont l'Action citoyenne pour la justice fiscale, sociale et écologique ainsi que le Réseau québécois pour une mondialisation inclusive. Nous voulons que ce genre de règlement des différends entre investisseurs et États soit retiré de tous les accords signés par le Canada.