Bienvenue à la 8e séance du Comité spécial de la Chambre des communes sur la relation entre le Canada et la République populaire de Chine.
Conformément à l'ordre de renvoi du 16 mai 2022, le Comité se réunit pour étudier les relations entre le Canada et la République populaire de Chine, en mettant l'accent sur les relations entre le Canada et Taïwan.
Conformément à l'ordre de la Chambre du 23 juin 2022, la réunion d'aujourd'hui se déroule en format hybride. Des députés y participent en personne dans la salle et d'autres le font à distance au moyen de l'application Zoom.
Voici maintenant quelques consignes à l'intention de nos témoins qui seront autant de rappels pour les membres du Comité.
Veuillez attendre que je vous nomme avant de prendre la parole. Si vous participez par visioconférence, vous devez cliquer sur l'icône du microphone pour ouvrir votre micro et ne pas oublier de le mettre en sourdine lorsque vous ne parlez pas.
Pour l'interprétation sur Zoom, vous avez le choix au bas de votre écran entre le parquet, le français et l'anglais. Les membres présents dans la salle peuvent se servir de l'oreillette et sélectionner le canal désiré. Je vous rappelle que tous les commentaires doivent être adressés à la présidence.
Si vous voulez prendre la parole, veuillez lever la main. Si vous êtes sur Zoom, servez-vous de la fonction « Lever la main ». La greffière et moi-même allons gérer de notre mieux l'ordre des interventions, et nous vous remercions de votre patience et de votre compréhension à cet égard.
Je crois que les tests de son ont été effectués et que tout fonctionne bien, tout au moins pour notre premier témoin.
Cela dit, j'ai un vieil ami qui définissait le ski comme étant une série de reprises en main de la situation, et c'est un peu l'histoire de notre comité. Nous avions prévu recevoir certains fonctionnaires pour la première heure de notre séance et avions pris les dispositions nécessaires à cette fin. À la dernière minute, ils ont été convoqués à une réunion de direction et ne pouvaient plus participer à la nôtre, pas plus d'ailleurs en mode virtuel qu'en personne. Nous avons dû réajuster notre ordre du jour en conséquence.
Je crois comprendre qu'il y a quelques députés qui souhaitent intervenir.
Écoutons tout d'abord M. Chong.
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Merci, monsieur le président.
Je tiens à dire à quel point je suis déçu de voir ces deux témoins, Weldon Epp et Jennie Chen, du ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement, annuler ainsi leur participation moins d'une heure avant la séance, et j'aimerais, monsieur le président, que vous fassiez part, par l'entremise de notre greffière, de mon désappointement à ces deux témoins.
Je dois ajouter que j'ai pu observer au sein d'autres comités des cas semblables où des témoins se désistent à la dernière minute. J'ose espérer qu'il ne s'agit pas d'une nouvelle tendance avec laquelle les comités parlementaires devront désormais composer. Nos séances ont lieu en soirée, et je crois que les témoins en question ont été invités il y a au moins une semaine. Je suis donc très déçu de la tournure des événements et je voudrais bien, monsieur le président, que vous le fassiez savoir à ces témoins par l'entremise de notre greffière.
Merci, monsieur le président.
Mesdames et messieurs les élus, membres du Comité spécial sur la relation entre le Canada et la République populaire de Chine de la Chambre des communes, c'est un honneur et une responsabilité de m'exprimer devant vous.
De plus, alors que le 18e Sommet de la Francophonie a eu lieu ce week-end en Tunisie, c'est évidemment un plaisir de pouvoir m'exprimer en français.
Au mois d'août 2022, comme vous le savez, la Chine a délibérément provoqué une nouvelle crise dans le détroit de Taïwan sous prétexte de la visite de la présidente de la Chambre des représentants américaine, Nancy Pelosi. Les instruments utilisés de la coercition chinoise étaient connus: exercices militaires, cyberattaques, déformation du droit international, désinformation à grande échelle et sanctions économiques.
Cette nouvelle crise a cependant été remarquable par son intensité et s'intègre dans une stratégie plus ancienne depuis l'élection de la présidente Tsai Ing‑wen, en 2016. Cette stratégie chinoise vise à accroître la pression sur l'île, qu'elle soit militaire, économique et informationnelle, et à l'isoler sur la scène internationale.
Les exercices militaires sans précédent ont été réalisés du 4 au 15 août 2022 et ils ont été préparés bien en amont. L'Armée populaire de libération, ou APL, a réalisé des exercices visant à simuler un blocus afin d'asphyxier l'île et d'empêcher tout soutien étranger, y compris le soutien américain. Pékin a cherché à démontrer des capacités en matière de frappe de précision, de déni d'accès et de zone, de supériorité aérienne, de guerre sous-marine, ou encore de soutien logistique.
Alors que les avions militaires chinois ne franchissaient la ligne médiane dans le détroit de Taïwan qu'à de très rares exceptions, soit quatre fois depuis le début de l'année, ce sont plus de 400 avions qui l'ont franchie au mois d'août et au mois de septembre. Pékin utilise également des drones civils pour survoler les îles taïwanaises de Matsu et Jinmen, situées le long des côtes chinoises.
Ces opérations hybrides viennent tester la réponse de Taipei et me permettent de rappeler l'utilisation par la Chine de capacités civiles dans le cadre d'opérations militaires. D'ailleurs, il en est de même avec des exercices de grande envergure qui ont récemment démontré que la marine chinoise pouvait utiliser de grands traversiers civils pour lancer une invasion amphibie massive de Taïwan.
Alors que les parallèles se multiplient entre l'invasion russe de l'Ukraine et le risque d'une invasion chinoise de Taïwan, il faut rappeler que l'enjeu n'est pas seulement l'influence d'un État sur un autre ou l'expansion territoriale d'un État au détriment de l'autre. Il s'agit surtout de l'ambition d'un membre permanent du Conseil de sécurité de faire disparaître Taïwan en tant qu'entité politique souveraine et indépendante. L'enjeu n'est donc pas entre le statu quo et le sécessionnisme, comme l'annonce Pékin, mais bien entre l'annexion, sous couvert de réunification, et le statu quo. La détermination de Pékin est encore plus claire dans le dernier livre blanc sur Taïwan publié en août 2022, le troisième après ceux de 1992 et de l'an 2000.
Les motivations du Parti communiste chinois pour prendre le contrôle de l'île sont au moins triples. Politiquement, le Parti communiste entend mettre un terme aux derniers vestiges de la guerre civile, qui avait vu le Parti nationaliste se recroqueviller sur Taïwan. Idéologiquement, le Parti communiste entend imposer son argument qu'il n'existe aucune solution de remplacement à son leadership sur le continent et cherche à éliminer le contre-modèle que constitue Taïwan, c'est-à-dire une société de culture chinoise, multiethnique, qui s'est démocratisée de l'intérieur après une période de dictature brutale et qui connaît, depuis, une croissance économique très forte. Enfin, militairement, l'Armée populaire de libération entend être en mesure d'installer ses forces armées sur l'île afin d'accroître sa profondeur stratégique et de se projeter sans entrave vers l'océan Pacifique, ce qui permettrait notamment de renforcer la composante océanique de la dissuasion nucléaire chinoise.
Avant de conclure, je tiens à rappeler que les scénarios de conflit dans le détroit de Taïwan ne se limitent pas à la caricature largement répandue d'une invasion massive de Taïwan par la Chine. Ils pourraient impliquer toute une série d'actions de la part de Pékin, notamment la prise de contrôle des îles Dongsha en mer de Chine méridionale, la violation de l'espace aérien ou même un blocus, partiel ou total, maritime autour de l'île.
Rappelons que, loin de rester local et limité à la Chine et à Taïwan, tout conflit dans le détroit serait d'une ampleur mondiale. Il impliquerait au moins les États‑Unis et potentiellement le Japon, ainsi que d'autres alliés conventionnels des États‑Unis, tous des pays qui sont des partenaires économiques et de sécurité essentiels pour l'Europe et pour le Canada. Bien que le traité de l'OTAN ne couvre pas la région indopacifique, la solidarité transatlantique serait évidemment mise à l'épreuve.
Alors que les Taïwanais voteront en janvier 2024 pour élire leur prochain président, le risque d'une nouvelle crise initiée et instrumentalisée par Pékin est grand.
Les Occidentaux ont cessé d'invisibiliser Taïwan dans leurs communications officielles, comme en témoignent la déclaration commune du G7, en juin 2021, qui mentionne Taïwan, et la déclaration commune du G7, en août 2022, qui est entièrement dédiée à Taïwan, ce qui est une première.
Pour conclure, prendre conscience des enjeux et des risques est la meilleure chose à faire pour éviter que les pires scénarios se réalisent. Comme je l'explique régulièrement à vos collègues parlementaires en Europe, nous avons, dans ce cadre, un rôle clé à jouer, bien qu'il soit limité, celui de contribuer à maintenir la stabilité dans le détroit.
Merci.
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Je vous remercie de votre question.
La visite de la présidente de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, a évidemment été instrumentalisée et a été utilisée par Pékin comme un prétexte.
Il y a plusieurs raisons à cela.
Premièrement, Pékin s'était préparé à cette visite qui devait avoir lieu au printemps 2022 et qui a été décalée du fait que la présidente avait eu la COVID‑19. Elle avait donc dû annuler sa première visite.
Deuxièmement, le mois d'août est un mois extrêmement chargé en Chine en matière d'exercices militaires. Il y avait donc deux facteurs: une préparation militaire classique, mais également une attente de la part du leadership chinois à ce que cette visite ait lieu.
Les exercices ont pu être réalisés extrêmement rapidement parce qu'ils avaient été préparés. De la même façon, la publication d'un livre blanc sur Taïwan, quelques jours après la visite de Nancy Pelosi, était évidemment préparée. Comme vous le savez, aucun gouvernement, même le plus rapide, n'est capable de produire un livre blanc en quelques jours. Ce livre blanc était préparé et le gouvernement attendait, en quelque sorte, une excuse pour qu'il soit publié en amont du 20e Congrès national du Parti communiste chinois, qui a eu lieu au mois d'octobre.
Il y a donc eu instrumentalisation de la part de la Chine d'un événement que les autorités chinoises attendaient. C'est d'ailleurs pour cela que certains ont pu critiquer en amont cette visite en expliquant que Pékin allait évidemment s'en servir pour réaliser cet exercice et pour essayer de changer le statu quo dans le détroit de Taïwan.
Encore une fois, il faut être clair. C'est une instrumentalisation au prétexte de cette visite et, surtout, plus précisément, au prétexte d'un changement de la politique américaine envers Taïwan. Or il n'y a pas eu de changement de la politique américaine à l'égard de Taïwan. L'administration Biden l'a répété à plusieurs reprises. La présidente de la Chambre, Nancy Pelosi, l'a souligné elle-même.
Il y a donc du côté de la Chine une volonté évidente d'instrumentaliser une visite et de pouvoir réaliser ces exercices qui visent non seulement à entraîner les forces armées chinoises, mais aussi à modifier le statu quo. Je pense que ce dernier point est encore plus inquiétant.
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Je vous remercie de votre question.
Je pense que le risque est d'avoir une logique purement binaire, en lien avec l'invasion illégale russe de l'Ukraine, et de penser que la seule option possible dans le détroit est soit une forme de paix précaire, soit une invasion à grande échelle de la part de la Chine.
L'objectif de la Chine est de prendre le contrôle de Taïwan, un territoire — il faut le rappeler — qui n'a jamais fait partie de la République populaire de Chine depuis sa fondation, en 1949. Évidemment, son objectif est de prendre le contrôle de ce territoire sans avoir à recourir à la force. L'objectif de Pékin est donc de faire pression sur la société, d'essayer de démoraliser la population, de lui faire perdre confiance dans son gouvernement et de l'affaiblir pour potentiellement prendre le contrôle de l'île.
Une opération militaire de grande envergure serait une situation de dernier ressort pour la Chine, et ce n'est évidemment pas le scénario privilégié. Cela étant dit, ce scénario ne peut pas être exclu. D'autres scénarios militaires pour faire pression sur Taïwan ne peuvent pas être exclus non plus.
Comme je l'évoquais très rapidement, des questions se posent, par exemple, sur une violation de l'espace aérien de Taïwan par des avions de chasse chinois. Cela n'a pas, pour l'instant, été le cas. Cela pourrait être la question de la prise de contrôle des îles de Matsu et de Jinmen, qui se trouvent à seulement quelques kilomètres de la côte chinoise et qui sont extrêmement difficiles à défendre de la part de Taïwan. La question pourrait se poser à l'égard d'exercices militaires de grande envergure qui, cette fois, pourraient constituer un blocus partiel de l'île. L'ensemble de ces scénarios militaires ne viserait pas forcément à envahir l'île, mais à exécuter une pression énorme sur l'île pour essayer peut-être, par le truchement d'une option négociée et politique de la part de Pékin, de prendre le contrôle de l'île.
La situation n'est donc pas binaire entre la paix précaire et une invasion, et la Chine dispose de toutes les options militaires pour essayer encore une fois de faire pression et d'isoler Taïwan sur la scène internationale.
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Merci, monsieur le président.
J'aimerais, de manière virtuelle, souhaiter aussi un joyeux anniversaire à M. Chong.
Monsieur Bondaz, je vous remercie d'être avec nous aujourd'hui et d'avoir modifié votre horaire.
La première question que je voulais vous poser est sensiblement la même que celle qui vous a été posée par mon collègue M. Chong. Je me demandais si la visite de Mme Pelosi était un prétexte à l'utilisation de ces manœuvres militaires.
Je passerai donc aux autres questions.
Plus tôt, vous avez dit que nous avions tous un rôle clé à jouer sur le plan de la stabilité mondiale, et probablement sur le plan de tous nos échanges, qu'ils soient diplomatiques, commerciaux ou autres.
Quand vous parlez d'un rôle à jouer, vous parlez certainement des députés, des parlementaires. Cela dit, vous parlez certainement aussi de tous les gens qui font affaire avec ces pays.
Que faut-il faire pour préserver cette stabilité dans un avenir rapproché?
Beaucoup de bouleversements vont certainement se produire en cas de conflit entre la Chine et Taïwan. On n'a qu'à regarder ce qui s'est passé en Ukraine.
De quelle manière peut-on préserver cette stabilité, selon vous?
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Je vous remercie de votre question.
Vous l'avez rappelé, la stabilité est fondamentale, aujourd'hui, puisque tout conflit dans le détroit de Taïwan aurait des conséquences considérables, allant bien au-delà des conséquences actuelles, déjà dramatiques, de la guerre en Ukraine.
Il existe plusieurs façons de contribuer à maintenir ce statu quo et surtout de faire comprendre aux autorités chinoises et de les convaincre que tout changement unilatéral et par la force du statu quo dans le détroit serait non seulement trop risqué, mais surtout trop coûteux pour Pékin.
Il faut être bien clair, nous entrons maintenant de plus en plus dans une logique de dissuasion par les coûts plutôt que par le déni. Je m'explique. Dans les années à venir, la Chine aura un jour les capacités militaires nécessaires pour prendre l'île de Taïwan. La question qui se pose n'est donc pas si la Chine est capable ou non militairement, à terme, de prendre le contrôle par la force de l'île, mais de savoir si le coût prohibitif de cette prise de contrôle est acceptable pour les autorités chinoises.
Évidemment, si la prise de contrôle par la force de Taïwan se traduisait par une instabilité politique en Chine du fait des difficultés ou des coûts qu'elle entraîne, alors, évidemment, les autorités chinoises y réfléchiraient à deux fois avant de se lancer dans cette entreprise.
Il y a donc un rôle à jouer non seulement de la part de nombreux pays, mais aussi directement de la part des parlementaires, ne serait-ce qu'en matière de diplomatie déclaratoire. Le fait de parler de Taïwan est déjà, en soi, un message envoyé aux autorités chinoises, l'objectif n'étant pas, encore une fois, de changer le statu quo, mais bel et bien d'appeler à son maintien. L'objectif n'est donc pas d'inciter les autorités taïwanaises à telle ou telle politique, mais de dissuader les autorités chinoises d'accroître encore un peu plus la pression sur l'île.
Je dirais que, en matière de diplomatie déclaratoire, ce qui a été fait au G7 depuis 18 mois est déjà une bonne chose. Les visites parlementaires sont également positives. Ces visites ont toujours eu lieu, quels que soient les gouvernements en place à Taïwan ou dans les pays qui envoient des parlementaires. Le fait de poursuivre ces échanges parlementaires est évidemment une excellente chose.
L'ambassade de Chine en France a exercé des pressions explicites pour empêcher des visites de sénateurs français, par exemple. Ces visites ont eu lieu. La provocation serait, en réalité, d'arrêter ces visites, bien plus que de les continuer. Ces visites ont existé de tout temps et sont utiles pour rappeler que, même s'il n'y a pas de relations diplomatiques entre nos différents gouvernements et la République de Chine, à Taïwan, il y a des coopérations et des échanges économiques, notamment, qui sont extrêmement poussés.
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Effectivement, le rapport de force a énormément évolué dans le détroit de Taïwan au bénéfice de Pékin et au détriment de Taipei.
Aujourd'hui, les chiffres se situent entre 250 milliards et 300 milliards de dollars de dépenses militaires du côté chinois et plutôt aux alentours de 15 milliards à 20 milliards de dollars du côté taïwanais. Donc, nous sommes actuellement dans un rapport de 1 à 15, ce qui force Taïwan à développer des systèmes d'armement et des stratégies de plus en plus asymétriques.
Cela va se traduire, au cours des mois et des années qui viennent, par une évolution de la politique d'acquisition d'armement américain ou, plus largement, par un développement de capacités le plus asymétriques possible à Taïwan dans le cadre, notamment, d'une évolution, y compris de la doctrine d'emploi de ces systèmes d'arme de la part de Taïwan depuis maintenant quelques années.
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Merci, monsieur le président.
Lorsque j'ai commencé à faire de la politique, j'ai toujours prétendu que personne ne réussirait jamais à me faire chanter. Cependant, pour la toute première fois, aujourd'hui, et une fois n'est pas coutume, compte tenu de l'anniversaire de M. Chong, je chanterai: « Mon cher Michael, c'est à ton tour de te laisser parler d'amour ».
Alors, voilà, on pourra maintenant dire publiquement qu'on m'a fait chanter. Cela dit, je suis très heureux d'être des vôtres, ce soir.
Je remercie M. Bondaz, d'une part, de ses commentaires fort éclairants et, par ailleurs, d'avoir accepté d'accommoder les membres de ce comité qui se sont retrouvés un peu pris de court à la dernière minute.
Dans votre article intitulé « La France, une puissance d'initiatives en Indo-Pacifique », vous soulignez que le navire français de collecte de renseignements Dupuy-de-Lôme a transité par le détroit de Taïwan en 2021. Dans une entrevue au sujet de cette traversée, vous avez déclaré que cette opération illustre la cohérence de la stratégie indopacifique de la France et sa volonté de maintenir le cap dans la défense de la liberté de navigation malgré les menaces de la République populaire de Chine.
J'aurais quelques questions à vous poser à cet égard.
Cet été, j'ai eu l'occasion, de rencontrer le député européen Raphaël Glucksmann. Celui-ci me disait que, pour les Européens, les Français en particulier, Taïwan était quelque chose qui regardait davantage les États-Unis. Évidemment, il s'inscrit en faux contre cette perception.
Or vous dites que le passage dans le détroit de Taïwan du navire Dupuy-de-Lôme constitue une illustration de la cohérence de la stratégie indopacifique de la France et sa volonté de maintenir le cap dans la défense de la liberté de navigation malgré les menaces de la République populaire de Chine.
Jusqu'à quel point ce point de vue traduit-il la réalité?
D'un point de vue strictement politique, on nous dit que les Européens s'intéressent peu à Taïwan, trop peu d'ailleurs, et semblent considérer que c'est quelque chose qui relève davantage des États-Unis.
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Je vous remercie de votre question.
Je pense qu'il y a une dichotomie à faire pour ce qui est des acteurs qui ont le plus grand rôle à jouer. Dans ce cadre, les États‑Unis sont évidemment les acteurs de premier plan, notamment par l'entremise de garanties de sécurité apportées dans le cadre de la Taiwan Relations Act, qui avait été adoptée par le Congrès en 1979.
Cela ne veut pas dire que les Européens n'ont pas de rôle à jouer ou que les Européens ne s'intéressent pas à ce qui se passe dans le détroit de Taïwan. Il est clair qu'il y a un intérêt croissant en Europe à contribuer au maintien de la stabilité dans le détroit.
Les Européens ont commencé à cesser d'invisibiliser Taïwan. C'est une critique que je faisais régulièrement, c'est-à-dire que, pendant très longtemps, nous ne mentionnions jamais Taïwan dans nos communications officielles. En ce sens, même en France, dans certains documents officiels, les tensions dans le détroit de Taïwan n'étaient même pas mentionnées. Elles le sont désormais, notamment dans la nouvelle Revue stratégique nationale stratégique annoncée par le président, il y a quelques semaines. Les tensions dans le détroit de Taïwan y sont explicitement mentionnées. Il y a donc une prise de conscience en Europe de l'importance de ce maintien de la stabilité dans le détroit de Taïwan. Les Européens s'y expriment de plus en plus à cet égard.
La question ensuite est celle de l'asymétrie entre l'intérêt que nous avons à maintenir la stabilité et les moyens, y compris militaires, que nous avons pour nous assurer que cette stabilité est maintenue.
Pour ce qui est de la France, le transit de notre navire de collecte de renseignements, le Dupuy-de-Lôme, ne visait pas tant à s'intégrer dans la question du détroit de Taïwan qu'à rappeler à la Chine que la liberté de navigation et de survol dans les eaux internationales, y compris dans le détroit de Taïwan, est extrêmement importante. C'est pour cela que la France, tout comme d'autres pays, que ce soit le Canada, l'Australie, les États‑Unis ou le Japon, fait régulièrement transiter des navires dans les eaux internationales du détroit de Taïwan.
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Je vous remercie de votre question.
Comme vous le savez, le gouvernement français souhaite mettre en avant le concept d'autonomie stratégique. L'alliance avec les États‑Unis ne signifie pas pour autant un alignement à 100 %. La France n'est évidemment pas équidistante et neutre, mais elle ne souhaite pas s'aligner totalement sur certaines coopérations qui peuvent avoir lieu dans la région, par exemple la coopération quadrilatérale entre les États‑Unis, le Japon, l'Inde et l'Australie appelée Quad. D'ailleurs, soyons très clairs; ces quatre pays n'invitent la France ni à participer au Quad ni à s'y joindre.
Pour la France comme pour le Canada, la question de se joindre à certains groupes de travail au sein du Quad pourrait se poser, puisque les travaux de ces groupes vont bien au-delà des questions de sécurité et des questions militaires. Toutefois, pour ce qui est de se joindre au Quad en tant que tel, la question ne se pose même pas. Par ailleurs, en ce qui concerne AUKUS, la France étant exclue à la base de cet accord d'industriels trilatéral, il n'y a évidemment aucune raison qu'elle s'y joigne. Encore une fois, il faut faire la différence entre la participation pleine et entière à certains formats de coopération sécuritaire et militaire et le rôle que peut jouer la France. Cette dernière a joué un rôle extrêmement proactif dans la région, et ce, en lien avec l'ensemble de ses partenaires, y compris le Canada.
Comme vous l'avez rappelé, la France est une nation indopacifique. Il y a 7 des 13 territoires et collectivités d'outre-mer français dans l'Indo‑Pacifique et plus de 1,6 million de Français y vivent. Nous y déployons 7 000 militaires de façon permanente et nous y comptons cinq théâtres d'opérations et de commandement militaires. La France est donc une nation ainsi qu'une puissance de l'Indo‑Pacifique et elle joue évidemment son rôle avec des moyens limités pour contribuer au maintien des équilibres. J'emploie cette expression au pluriel, puisque le terme même de « puissance d'équilibres » avec un « s » est celui que le président français a choisi d'utiliser pour essayer d'expliquer la politique de la France dans la région et, plus largement, dans le monde.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Mon cadeau pour M. Chong, c'est que je ne chanterai pas aujourd'hui. Je ne lui offrirai pas un tel présent. Je descends d'une lignée de personnes qui font semblant de chanter à l'église. Nous n'avons donc pas l'oreille musicale dans notre famille.
J'aimerais remercier le témoin de son témoignage d'aujourd'hui. C'est très intéressant. Bien sûr, il a beaucoup parlé du changement du statu quo et du danger que cela représente.
Je pense que ce que j'ai compris de votre témoignage, c'est que vous ne vous attendez pas nécessairement à une invasion massive — sans exclure cette possibilité bien sûr —, mais plutôt à une prise de contrôle progressive de Taïwan par la Chine.
Voici ce sur quoi j'essaie de me faire une idée. Comment le Canada peut‑il s'assurer de réagir à ces petits progrès, de ne pas attendre que les mesures s'accumulent, mais de pouvoir réagir — et de savoir à quel moment et comment le faire — à ces changements graduels que la Chine tente d'imposer à Taïwan?
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Je vous remercie beaucoup de la question.
Comme vous l'avez mentionné, la Chine mène ses efforts de façon très progressive, ce que certains pourraient appeler la tactique du salami.
Il est certain que nous devons soutenir Taïwan et nous assurer que chaque fois que la Chine tente de modifier le statu quo par la force, elle est confrontée à une réponse coordonnée, au moins au sein du G7, car c'est l'une des organisations clés qui a été choisie ces dernières années pour veiller à ce que nous fassions front commun et, plus largement, à ce qu'il y ait une unité transatlantique lorsqu'il s'agit de réagir à ce qui se passe dans le détroit de Taïwan.
La Chine continuera à changer le statu quo. Son objectif ultime, bien sûr, est de modifier complètement le statu quo en prenant le contrôle de Taïwan. Encore une fois, je pense qu'il est très important de souligner que chaque fois que les Chinois tentent de façonner le récit, de s'assurer que leurs éléments de langage sont diffusés, nous devons nous y opposer.
Je pense qu'il y a également une bataille de l'information dans laquelle nous devons veiller à ce que les mots que nous utilisons ne soient pas ceux que Pékin a choisi d'utiliser, mais soient ceux qui peuvent le mieux présenter et décrire la situation de la manière la plus exacte. C'est pourquoi, lorsqu'il s'agit de l'idée de « reprendre » Taïwan, ce mot ne doit pas être utilisé. Il est question de « prendre le contrôle » de Taïwan. Le concept de réunification n'est même pas un vrai concept. Il s'agit d'une unification, car Taïwan n'a pas fait partie de la République populaire de Chine depuis 1949.
Je pense que nous devons résister chaque fois que la Chine tente de modifier le statu quo, sur le terrain, bien sûr, mais aussi dans les mots utilisés, le discours. Dans ce que l'on appelle la bataille des récits, nous devons nous assurer que nous ne commençons pas à utiliser le discours chinois et que nous continuons à décrire et à analyser ce qui se passe dans le détroit de Taïwan de la manière la plus précise et la plus neutre possible.
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Je dirais que les risques sont limités. En clair, ce qui constituerait une provocation, ce ne serait pas que ces visites se poursuivent comme elles se sont déroulées pendant des décennies, mais qu'elles cessent. Quel message enverrait‑on aux Taïwanais si, soudainement, les fonctionnaires parlementaires et les élus français, canadiens, européens ou même américains cessaient de visiter Taïwan?
Ce qui se passe, c'est que la Chine essaie de changer le statu quo en nous empêchant... en menaçant les élus étrangers afin qu'ils ne se rendent pas à Taïwan. Je pense que le cas de la Présidente de la Chambre des représentants était assez spécifique, car il s'agissait, bien sûr, d'une visite majeure ayant une grande importance sur le plan politique. La Chine s'en est servie, bien sûr, pour tenter de modifier le statu quo. Pour ce qui est de toutes les autres visites, même si la Chine s'y est opposée et les a critiquées, elle n'a pas réagi de manière excessive et n'a pas essayé d'utiliser ce genre de visites régulières pour tenter de modifier le statu quo.
Encore une fois, je dirais que ce qui constituerait une provocation, ce serait de cesser de visiter Taïwan, de cesser de faire ce que nous faisons depuis quatre décennies. Toutes ces visites parlementaires ne remettent pas en question la politique d'une seule Chine que chacun de ces États démocratiques a mise en œuvre au cours des dernières décennies. Ces visites parlementaires sont un moyen de nous assurer que nous pouvons renforcer et approfondir la coopération et les échanges avec la société taïwanaise, avec l'économie taïwanaise, etc.
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Je vous remercie beaucoup de la question.
Je dirais que l'aide publique au développement taïwanaise a été assez limitée ces dernières années. Comparativement à celle du Royaume-Uni, de la Suède ou même du Canada, elle représente toujours une très faible part du PIB de Taïwan. Taïwan pourrait en faire encore plus. Et Taïwan ne le fait pas seulement avec ses « alliés diplomatiques », terme que Taipei utilise pour désigner les 14 pays qui entretiennent des relations diplomatiques avec la République de Chine. Le régime politique de Taïwan tente bien sûr d'accroître le soutien.
Je pense qu'il faut souligner que la région indopacifique offre un énorme potentiel pour les projets de coopération multilatérale, auxquels les Taïwanais pourraient participer. Comme vous le savez peut-être, le Canada, avec la France, l'Australie, la Nouvelle-Zélande et l'Union européenne, dans le cadre de l'Initiative Kiwa, a un énorme projet de coopération dans le Pacifique Sud pour promouvoir la biodiversité, et les pays, les ONG peuvent y participer. Pourquoi ne pas proposer à Taïwan de s'y joindre s'il peut financer, comme nous le faisons, ce type d'initiatives?
Encore une fois, l'idée n'est pas de changer la politique d'une seule Chine que chacun de nos pays applique, mais de nous assurer que nous pouvons faire participer Taïwan autant que possible, y compris et surtout lorsque nous nous attaquons tous ensemble à des problèmes mondiaux et, bien sûr, les problèmes liés aux changements climatiques, à la biodiversité et à l'environnement dans l'Indopacifique en font partie.
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Merci, monsieur le président.
Je voudrais moi aussi souligner l'anniversaire de mon collègue, M. Chong. Tanti auguri.
J'aimerais également remercier le témoin de sa présence.
J'ai eu le plaisir de me joindre à la récente délégation canadienne qui s'est rendue à Taïwan le mois dernier. C'était ma deuxième visite et, une fois de plus, j'ai pu constater à quel point Taïwan embrasse les valeurs de la démocratie, de la liberté, du respect de la primauté du droit et de la diversité culturelle, comme le Canada. Tout comme nous l'avons fait récemment, le gouvernement taïwanais a investi beaucoup d'efforts pour réparer les injustices passées envers les communautés autochtones, créer une société sûre et inclusive, protéger l'environnement et développer les énergies vertes. Il est certainement rafraîchissant de voir ce type de démarche et de gestes de la part d'un gouvernement en Asie-Pacifique, qui fait contrepoids à certains régimes dont les valeurs et l'approche tranchent nettement avec nos valeurs occidentales.
À votre avis, quel rôle le Canada doit‑il jouer pour appuyer Taïwan dans la région de l'Asie-Pacifique en tant que havre de démocratie et de liberté?
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Je vous remercie de votre question.
Je pense que vous avez parfaitement raison. Taïwan, aujourd'hui, est souvent un acteur un peu sous-estimé en matière d'aide au développement et, pourtant, Taïwan a non seulement des capacités financières, mais elle a surtout une expérience relativement unique pour les pays de l'Indo‑Pacifique. Dans ce cadre, il est évidemment possible de multiplier les projets de coopération et de s'assurer que des acteurs taïwanais, qu'ils soient gouvernementaux ou non, peuvent contribuer à certains projets dans la région en matière de transition énergétique et à certains projets plus largement maritimes. Par exemple, Taïwan joue un rôle important en matière de promotion de la biodiversité et de lutte contre les plastiques en mer. Je pense qu'il devrait y avoir, par l'entremise de ces projets, des coopérations les plus concrètes possible entre Taïwan et les partenaires internationaux pour essayer de dépolitiser cette coopération et d'éviter de réduire au maximum le risque de critiques de la part de la Chine.
Pour que l'on puisse affronter avec succès les enjeux mondiaux, notamment le réchauffement climatique et autres, la société taïwanaise est indispensable, comme toutes les sociétés au monde. Les Taïwanais ont donc leur place, et il faut simplement trouver les formes de coopération les plus pratiques et techniques et les moins politiques possible, pour que cette coopération puisse avoir lieu.
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Merci, monsieur le président.
Monsieur Bondaz, dans un article paru récemment dans le magazine Esprit, vous soutenez que la République populaire de Chine mène une campagne de réinterprétation de la résolution 2758 de l'Assemblée générale des Nations unies de 1971, qui s'appuie sur le concept d'une seule Chine. La nouvelle interprétation de la République populaire de Chine tendrait à convaincre les États de la communauté internationale que Taïwan fait partie de la République populaire de Chine.
Doit-on comprendre, monsieur Bondaz, que les membres de la communauté internationale se sont, en quelque sorte, laissés piéger dans ce nouveau narratif que la République populaire de Chine essaie d'imposer?
Si oui, comment peut-on en sortir?
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Je vous remercie de votre question.
Comme vous le soulignez, l'objectif de la Chine est d'imposer ces éléments de langage et de faire en sorte que la position chinoise soit présentée comme étant la position universellement reconnue. Or ce n'est pas le cas.
La résolution 2758, adoptée en 1971, ne mentionne pas le statut de Taïwan, tout comme, par exemple, les États‑Unis dans la Taiwan Relations Act. Ils prennent note de la position chinoise, mais ne la reconnaissent pas à proprement parler.
L'objectif est donc de rappeler qu'il y a une différence fondamentale entre ce qu'on appelle le principe d'une seule Chine, qui est le concept utilisé par Pékin, et la politique d'une seule Chine, qui est le concept que le Canada, la France et les États‑Unis utilisent. Dans le premier cas, Pékin considère évidemment que Taïwan fait partie de la République populaire de Chine, alors que, dans le second, différents pays, comme le Canada et les États‑Unis, ne se prononcent pas sur le statut spécial de Taïwan.
Il y a donc une volonté de la Chine d'imposer ces éléments de langage et d'utiliser ce qu'on appelle une puissance discursive. Au sein des organisations internationales, ce concept est fondamental.
Ces dernières années, la Chine, par notre propre négligence, a pu intégrer certains éléments de langage chinois dans certains documents internationaux, notamment des documents techniques de procédure au sein du Secrétariat général des Nations unies. Il s'agit de points sur lesquels nous n'avions pas été prudents, il y a une dizaine d'années. Ces points sont désormais utilisés par la Chine pour essayer, encore une fois, d'imposer ces éléments de langage et de répandre l'idée que la position chinoise serait une position universellement reconnue. Or ce n'est pas le cas.
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Merci, monsieur le président.
Je tiens à remercier le témoin. Vous avez été extrêmement généreux de votre temps et bien sûr, nous vous avons interrogé pendant presque une heure, alors je vous remercie de votre générosité.
Vous nous avez dit à quels égards le Canada peut tirer des leçons de Taïwan, à quels égards nous pouvons établir ces liens. Nous avons déjà parlé un peu du développement international. Nous savons que Taïwan a assumé un véritable rôle de chef de file en ce qui concerne les objectifs de développement durable, les droits des Autochtones, la réponse à la COVID et à d'autres dossiers de soins de santé et, comme vous l'avez mentionné, les changements climatiques.
Je veux vous donner une dernière occasion de nous dire tout ce que vous aimeriez ajouter sur ce que des pays comme le Canada, qui ont les mêmes valeurs démocratiques, peuvent faire pour montrer leur solidarité et leur appui envers Taïwan.
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Je vous remercie beaucoup.
Je pense que nous devons nous faire entendre et nous assurer que Taïwan est mentionné dans nos communications officielles, non pas parce que nous voulons changer notre politique d'une seule Chine, mais parce que nous voulons nous assurer que le statu quo est maintenu.
Nous devons également nous assurer de nous adresser directement à la société civile taïwanaise, sans toujours tout politiser, mais en veillant à ce que tous les changements, les changements interpersonnels et les projets de coopération concrets puissent être encouragés au sein des sociétés civiles et entre ces sociétés.
Je dirais, enfin et surtout, que nous devons dépolitiser une partie des efforts de coopération que nous déployons avec les Taïwanais. Il ne s'agit pas de la Chine, mais de Taïwan. Il ne s'agit pas non plus de provoquer la Chine. Il s'agit plutôt d'approfondir notre coopération sur les plans économique, technologique, culturel et éducatif avec Taïwan et de nous assurer, par l'entremise de nombreux projets de coopération dans la région indopacifique, que Taïwan peut être inclus dans ces projets et y participer. À cet égard, bien entendu, les Français et les Canadiens publieront bientôt une stratégie indopacifique.
Nous avons beaucoup à faire ensemble. Nous faisons déjà beaucoup de choses dans la région du Pacifique. Ottawa et Paris peuvent collaborer à de nombreux autres projets à cet égard, afin de faire en sorte que Taïwan, comme tout autre pays de la région, puisse être pleinement intégré.
J'aimerais remercier nos deux témoins et leur souhaiter la bienvenue au Comité spécial sur la relation entre le Canada et la République populaire de Chine. Nous accueillons donc M. Robert Huebert, professeur agrégé à l'Université de Calgary, et M. Yeh-Chung Lu, professeur et président, Département de la diplomatie, National Chengchi University. Ces deux messieurs auront chacun cinq minutes pour faire une déclaration préliminaire.
Monsieur Huebert, vous nous avez prévenus que vous n'aviez rien préparé. Je vous ferai donc signe lorsqu'il sera temps de conclure votre déclaration, et nous poursuivrons les délibérations. Ensuite, nous passerons aux questions.
Cela dit, monsieur Huebert, vous avez la parole pour les cinq prochaines minutes.
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Je vous remercie beaucoup, monsieur le président.
Je dois apporter une légère correction. Je n'ai pas dit que je n'avais rien préparé. Je n'ai tout simplement pas préparé de notes officielles dans ce contexte, mais j'ai préparé ce que je voulais dire depuis un certain temps, car il s'agit d'un sujet très important.
Tout d'abord, je salue les efforts du Comité en vue de comprendre une situation très complexe. J'ai vu dans votre liste que vous aviez entendu de nombreux grands spécialistes canadiens et de nombreux spécialistes d'ailleurs.
Je vais concentrer ma déclaration sur le Canada, la Chine et l'Arctique pour déterminer comment nous pouvons comprendre ce qui nous attend.
Bien entendu, l'une des choses que nous devons comprendre — et cela revient aux témoignages d'un grand nombre de vos témoins précédents —, c'est qu'il circule beaucoup d'idées fausses sur ce que fait la Chine.
La Chine s'intéresse depuis longtemps aux deux régions polaires, c'est‑à‑dire depuis 1984. En fait, au Canada, nous nous en sommes rendu compte pour la première fois en 1999, lorsque le navire de recherche polaire de la Chine, le Xue Long, s'est présenté à Tuktoyaktuk. Les Chinois avaient d'abord demandé notre consentement, mais cela a tout de même causé quelques remous.
Lorsqu'il s'agit de la Chine et de l'Arctique, nous devons considérer cinq grands domaines prioritaires. Ils sont liés aux efforts de la Chine dans les domaines de la science, de la gouvernance, de la navigation commerciale — dans le contexte de la route de la soie polaire —, des ressources et des considérations en matière de stratégies et de sécurité.
Les quatre premiers domaines sont ceux dont tout le monde parle, et ils sont donc assez bien documentés. Les considérations stratégiques de la Chine dans l'Arctique représentent un enjeu que les gens hésitent un peu plus à aborder, mais à mon avis, c'est celui qui sera le plus important pour le Canada à l'avenir.
Nous nous penchons sur les enjeux à venir, et j'aimerais vraiment les aborder plus en détail, mais je vais me contenter de souligner certains des enjeux les plus importants.
Sur le plan scientifique, nous savons maintenant que la Chine est l'un des pays les plus actifs en matière de cartographie des fonds marins de l'océan Arctique. La Chine est autorisée à mener ces travaux en vertu de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer et jusqu'à présent, elle a concentré ses efforts sur les zones pouvant être considérées comme des zones de haute mer. Nous pensons que la Chine effectue ces travaux de cartographie pour préparer le passage de sous-marins dans la région, mais encore une fois, il s'agit seulement de conjectures.
En ce qui concerne l'exploitation des ressources, nous avons fait face à au moins trois enjeux avec les Chinois dans l'Arctique. Le premier est bien entendu l'exploitation de l'or, comme nous le savons, avec la mine Holt, et la question de la participation étrangère dans cette région. Il y a aussi la question des minéraux critiques, toujours d'actualité dans la région, et celle de la pêche. D'une part, les Chinois ont accepté d'adhérer à l'accord de pêche en haute mer dans l'Arctique. D'autre part, tout observateur connaît le problème des flottes fantômes et le fait que les Chinois pêchent réellement avec deux facettes de leur compréhension pour voir ce qui va arriver.
La gouvernance est le point le plus important, et j'espère que nous pourrons consacrer du temps à cette question.
Nous ne sommes pas tout à fait sûrs de ce qui va se passer avec la suspension de la participation au Conseil de l'Arctique en raison de la deuxième phase de l'invasion russe en Ukraine en février dernier. La Chine a fait des déclarations selon lesquelles elle s'opposera fermement à toute considération de ce qui arrive à la Russie en matière de gouvernance. Nous devons donc tenter de comprendre la relation entre la Chine et la Russie dans l'Arctique, ce qui n'est pas du tout évident, mais cela pourrait représenter un problème pour nous après les événements en Ukraine.
La dernière question que je soulèverai est celle des enjeux stratégiques. Il faut savoir que les États-Unis viennent de publier leur politique nucléaire et leur politique en matière de défense la plus récente, à la fin du mois d'octobre dernier. Ils soulignent que la Chine représente leur « principal sujet d'intérêt » à long terme — un ennemi, pourrait‑on dire, si on lit entre les lignes — et cela aura des répercussions dans l'Arctique.
La plupart des gens ne savent probablement pas qu'en octobre dernier, les Chinois et les Russes ont, pour la première fois, lancé une opération conjointe de flotte de surface dans les îles Aléoutiennes. Il y avait environ huit navires — quatre navires chinois et quatre navires russes — et nous n'avions jamais rien vu de tel auparavant.
Nous soupçonnons aussi fortement les Chinois de tenter de préparer le terrain pour leurs sous-marins de nouvelle génération qui pourront évoluer sous la glace, ce qui, bien sûr, va considérablement compliquer notre compréhension de la dimension géopolitique maritime de la situation dans l'Arctique.
Bref, un très grand nombre d'enjeux sont en train de se produire et ils auront tous des répercussions importantes dans l'Arctique canadien, et à mon avis, l'un d'entre eux ne reçoit pas l'attention qu'il mérite.
Je vous remercie beaucoup.
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Je vous remercie beaucoup, honorable comité, de m'avoir invité à participer à cette discussion importante.
Je crois que les honorables membres du Comité connaissent bien les relations actuelles entre Taïwan et le Canada et entre le Canada et la Chine. Je vais donc aborder brièvement ces deux questions en guise de mise en contexte, puis je me concentrerai sur les relations entre Taïwan et la Chine.
De manière générale, le gouvernement canadien a toujours soutenu la participation active de Taïwan à la communauté internationale, y compris aux institutions spécialisées des Nations unies, par exemple l'OMS et l'OACI, ainsi qu'aux partenariats commerciaux régionaux comme le PTPGP. Taïwan a déjà présenté sa candidature et nous espérons que nous pourrons participer à ce partenariat le plus tôt possible.
Sur le plan géopolitique, Taïwan est un centre stratégique essentiel en Asie de l'Est, et le détroit de Taïwan, la mer de Chine orientale et la mer de Chine méridionale représentent des routes maritimes importantes entre l'Asie du Nord-Est et l'Asie du Sud-Est. La paix dans cette région est donc essentielle pour le commerce et la stabilité à l'échelle mondiale.
Face à l'intensification des relations entre Taïwan et la Chine au cours des dernières années, les représentants canadiens ont exprimé leurs inquiétudes quant à l'intention de la Chine de modifier unilatéralement le statu quo, et les passages de navires de guerre canadiens, qui visent à protéger cette région, sont très appréciés.
Lorsque nous examinons de près les relations commerciales bilatérales entre le Canada et Taïwan, nous constatons que Taïwan est le cinquième partenaire commercial en importance du Canada en Asie, pour un volume total de 8,2 milliards de dollars américains en 2021. Des arrangements comme celui qui vise à éviter les doubles impositions entre Taïwan et le Canada — il a été signé en 2016 — ont contribué à ouvrir la voie à la création d'un environnement propice à la promotion des investissements.
En ce qui concerne les relations entre la Chine et le Canada, la Chine est l'un des principaux partenaires commerciaux du Canada dans le monde, car elle arrive au troisième rang après les États-Unis et l'Union européenne. Les relations commerciales entre la Chine et le Canada se sont développées rapidement, mais des incidents récents ont jeté une ombre sur la perspective de cette relation commerciale bilatérale.
Cette année, le Canada s'est joint à ses partenaires du Groupe des cinq pour interdire Huawei et ZTE de ses réseaux 5G en raison de préoccupations liées à la sécurité. De nombreuses affaires très médiatisées ont présenté certaines des pratiques commerciales les plus préoccupantes de la Chine. Ainsi, même si le commerce avec la Chine reste essentiel dans une certaine mesure, il convient d'examiner attentivement cet enjeu.
En ce qui concerne les relations de part et d'autre du détroit de Taïwan, la Chine considère Taïwan comme une province renégate depuis la guerre civile chinoise et comme faisant partie intégrante de l'entreprise de grand renouveau national du président chinois Xi Jinping, qui considère même l'unification nationale comme un élément de la rédemption après un siècle d'humiliation. Les jeux de guerre et les propres paroles de Xi Jinping, qui a déclaré « nous ne promettrons jamais de renoncer à l'usage de la force et nous nous réservons la possibilité de prendre toutes les mesures nécessaires » à l'égard de Taïwan, montre à quel point Pékin est sérieux et déterminé à récupérer cette démocratie.
De temps à autre, la Chine a également eu recours à des ouvertures pacifiques pour attirer Taïwan dans son giron. La politique de la « carotte » la plus évidente consiste à attirer des gens d'affaires, des artistes de la scène et des étudiants taïwanais pour qu'ils investissent, travaillent et étudient en Chine continentale dans le cadre d'une politique qualifiée de « développement intégré ».
De l'autre côté du détroit de Taïwan, cependant, au fil des ans, les gens ont trouvé cette politique de moins en moins attrayante lorsqu'ils ont été interrogés sur l'unification avec la Chine. En effet, le Mainland Affairs Council de Taïwan a révélé qu'en octobre 2022, seulement 8,7 % des personnes interrogées étaient favorables à l'unification, que ce soit aujourd'hui ou plus tard. Ce chiffre a considérablement baissé comparativement à la proportion de 26,8 % enregistrée après le sondage mené en août 1996, soit seulement cinq mois après la première élection présidentielle directe à Taïwan. La politique intérieure a donc joué un rôle important dans la formation de l'identité des Taïwanais, et un nombre toujours plus grand de citoyens considèrent de facto Taïwan comme un pays indépendant de la Chine continentale.
L'insistance de la Chine sur la stratégie « un pays, deux systèmes » n'est pas du tout populaire à Taïwan, surtout après la façon dont la Chine a dirigé Hong Kong d'une main de fer en 2019.
Après la visite de la présidente de la Chambre des représentants des États-Unis, Nancy Pelosi, du 4 au 7 août, l'APL a effectué un essai de tir réel de 72 heures dans six régions autour de Taïwan, et a effectué des manœuvres d'avions et de navires de la marine sur la ligne médiane du détroit de Taïwan. Taïwan a considéré qu'il s'agissait d'une simulation de blocus. En réaction, l'opinion négative de la population taïwanaise à l'égard de la Chine s'est grandement intensifiée, faisant ainsi écho aux sentiments de l'autre côté du Pacifique, aux États-Unis. Du point de vue de Taïwan…
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Je vous remercie, monsieur le président.
Je remercie les témoins d'être avec nous aujourd'hui.
Mes questions s'adressent à M. Huebert. C'est merveilleux de vous revoir, monsieur, et je vous remercie encore une fois d'avoir comparu devant le Comité permanent de la sécurité publique et nationale au début du printemps dernier, afin de nous parler de la position du Canada en matière de sécurité face à l'agression russe et à l'invasion de l'Ukraine. C'est merveilleux d'entendre votre point de vue aujourd'hui.
J'aimerais vous répéter certaines choses que vous avez partagées avec nous aujourd'hui, puis vous donner la parole pour vous permettre d'étoffer vos réflexions. Tout d'abord, vous avez mentionné que lorsque nous examinons la situation de la Chine et de l'Arctique canadien, nous devrions tenir compte de quatre domaines. Vous avez mentionné la science et le fait que les Chinois font de l'exploration scientifique dans l'Arctique depuis les années 1980. Vous avez aussi mentionné les ressources et l'intérêt de la Chine pour l'or et les minéraux critiques dans cette région. Vous avez parlé de la pêche. Vous avez également abordé la gouvernance dans le contexte de la suspension de la participation au Conseil de l'Arctique et de ce que cela signifie pour la structure de gouvernance que nous avions établi avec ce conseil, et vous avez mentionné la façon dont la Chine semble s'être rapprochée de la Russie depuis ce moment‑là. C'est ce que je comprends de vos propos. Vous avez terminé en parlant des considérations stratégiques, et vous avez encore une fois insisté sur le fait que la Chine et la Russie semblent désormais travailler en étroite collaboration. D'après ce que vous avez dit, il semble que ces pays aient effectué des missions conjointes dans l'Arctique avec divers navires.
Compte tenu de tout cela, pouvez-vous nous donner votre avis d'expert sur ce que la Chine souhaite accomplir dans l'Arctique, en particulier dans ce que nous considérons comme notre territoire arctique? Que cherche à accomplir ce pays? Pourriez-vous résumer cela dans un langage simple?
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Somme toute, la Chine prépare ses coups très longtemps d'avance. Elle a des ambitions hégémoniques. En termes de politologie, ça signifie essentiellement qu'elle veut dominer la scène internationale, c'est‑à‑dire pouvoir aller n'importe où et profiter de cette capacité, y compris dans l'Arctique.
Contrairement à la Russie, elle ne s'intéresse pas à l'Arctique à cause de sa position stratégique centrale pour elle. La position de cette région est stratégique et centrale pour la Russie et les États-Unis. Si la Chine s'occupe de n'importe quelle autre question comme Taïwan, Hong Kong ou toutes les autres qui l'intéressent directement, elle tient à pouvoir toujours prendre ses ennemis au dépourvu. À long terme — ce dont sa stratégie ne dévie jamais —, elle cherche donc d'abord à bien être un joueur qui maîtrise les événements, qui peut profiter de toutes les occasions économiques qui se présentent, mais, et c'est capital, à ne pas laisser l'Arctique devenir un lieu où les Américains et les Russes n'ont rien à craindre.
Je tiens à souligner que les rapports que la Chine entretient actuellement avec la Russie sont simplement utilitaires et, à plusieurs titres et à long terme, la Russie, comme les États-Unis, disons, ont autant à craindre, l'une et l'autre, que la Chine ne devienne la première puissance régionale. Actuellement, en raison de la guerre en Ukraine depuis, vous le savez bien, 2014, nous constatons que la Chine en tire avantage, mais, à long terme, elle aspire à l'hégémonie, y compris à être présente dans l'Arctique.
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Sur la voie à suivre, le gouvernement semble sérieux. J'attends toujours de voir si elle aboutira à quelque chose, parce que, d'après les déclarations sur la modernisation nécessaire du NORAD, toute l'attention du Canada semble se focaliser sur la menace russe. C'est approprié, vu que c'est le centre de l'attention.
Mais nous ne semblons pas comprendre ce que ça signifie vraiment à long terme pour la Chine, particulièrement sur le plan maritime. Dans les promesses de modernisation du NORAD, il faut reconnaître que les 4,9 milliards proviennent des 8,1 milliards du budget. Autrement dit, comme Mercedes Stephenson et Murray Brewster ont pu le révéler de manière si brillante dans leur reportage, on n'a pas annoncé d'argent frais en juin, mais l'emploi que nous ferions de ce qui proviendrait du budget de la défense.
Le pactole, les 36,8 milliards, bien sûr, sera accessible dans six ans, et en ma qualité d'assez vieil observateur de la scène politique, je peux vous assurer que l'histoire se souvient de très peu d'exemples d'un gouvernement ayant poursuivi la politique grandiose d'un gouvernement antérieur. L'exception, bien sûr — et j'y reconnais le mérite des libéraux et des conservateurs — est la décision affichée comme bipartite de construire le navire de patrouille extracôtier pour l'Arctique. Voilà un exemple de financement décidé par deux partis, mais ça n'aboutit pas. Chaque fois qu'un gouvernement, conservateur ou libéral, annonce que le gros d'un projet à venir se concrétisera pendant le prochain mandat, ça m'inquiète, parce que l'histoire nous enseigne que ça n'arrive pas vraiment.
À long terme, le véritable problème que posera la Chine sera sa capacité maritime. La plupart des gens auront oublié que la Chine possède la première marine du monde. La marine américaine demeure la plus forte et la meilleure. Elle a une meilleure capacité de transport, mais, par le nombre d'unités, la marine chinoise a dépassé l'américaine en 2014 ou 2015. Elle possédera cette capacité. Elle se focalisera sur ses capacités sous-marines. Elle redonne actuellement du tonus à toute sa force sous-marine et, d'après les publications scientifiques étrangères, la Chine examine les conséquences des déplacements de ses sous-marins sous la glace, ce qui signifie dans l'Arctique. Et…
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C'est un peu des deux. À propos, c'est une excellente question.
C'est une relation assez mal comprise. Actuellement, nous avons tendance à simplement supposer que, parce que les deux sont des États autoritaires, ils seront alliés dans le même sens que les États-Unis et la Grande-Bretagne le sont, en partageant globalement les mêmes intérêts. C'est une erreur en ce qui concerne précisément la relation qui se développe dans l'Arctique.
Actuellement, la Russie obtient le soutien de la Chine. Rappelez-vous qu'elle est isolée par les sanctions occidentales, tandis que nous ne ménageons pas notre aide militaire à l'Ukraine dans sa lutte contre la Russie, qui s'adosse en quelque sorte sur la Chine. C'est tout ce que la Russie en retire.
La Chine, elle, en retire de l'énergie russe à vraiment bon marché. Elle n'a jamais révélé la nature de l'entente conclue avec la Russie après les sanctions imposées à la suite de l'invasion commencée en 2014. On se rappellera que même le Canada s'en était mêlé, puisqu'il essayait de punir l'État russe. Après une série de sanctions, la Chine est intervenue en offrant d'acheter le pétrole russe, pour qu'il continue de couler, mais sous réserve d'une entente en bonne et due forme, dont nous ignorons la teneur, mais que nous savons avantageuse pour elle.
Je voudrais aborder un point soulevé par le professeur Lu, relativement au « siècle d'humiliation ». Un aspect de ce thème central de la politique chinoise à long terme est que certains traités inégaux ont été signés avec la Russie. Si nous dirigeons de nouveau notre regard vers l'histoire, au moment même où notre attention est tournée vers Taïwan et Hong Kong, les Chinois n'ont jamais oublié les immenses territoires perdus aux mains des Russes pendant cette période. D'après les témoignages d'aujourd'hui et ceux d'autres témoins, les Chinois sont encore très sérieux quand ils laissent entendre qu'ils y remédieront quand ils se sentiront prêts. Je crois que les Russes en sont conscients.
Le troisième élément à envisager est ce qui adviendra après le vide créé par l'éventuelle implosion de l'État russe. Ça semble de plus en plus probable. La Chine ne tolérera pas de vide à sa frontière. La question est donc… Si l'implosion était très violente ou, même pis, si la Russie s'en prenait militairement aux voies d'approvisionnement de la Pologne ou de n'importe quel pays membre de l'OTAN, ce qui étendrait considérablement le théâtre régional de la guerre, la Chine saisira l'occasion. Il s'ensuit que nous savons que les Russes, bien que conscients de leur partenariat actuel avec la Chine, savent que ce pays, s'ils font un faux pas, est bien capable d'entrer dans cette région, que désormais elle considère évidemment comme sienne et non comme russe.
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Le gros problème… Je suis si heureux de votre question, une question qui reste négligée. Le groupe russe est l'Association russe des populations autochtones du Nord, l'ARPAN. Vers 2014, précisément au moment où les Russes pénétraient en Ukraine, au début de la guerre, alors que Poutine s'occupait bien sûr de centralisation, il en a également orchestré la prise de contrôle.
L'ARPAN n'est plus, comme son nom le sous-entend, la voix des peuples autochtones russes. Essentiellement, on l'a plutôt peuplée de créatures ou d'alliés du gouvernement russe. Dans une déclaration qu'elle a publiée sur la deuxième phase de la guerre en Ukraine, en février 2022, elle a dit appuyer absolument l'intervention russe, accusant — en répétant les termes de la propagande russe — l'Ukraine d'être un État fasciste et reprenant à son compte les mêmes prétextes que les Russes.
Avons-nous vu quoi que ce soit qui donnerait à penser que la Chine a essayé d'en profiter? À ma connaissance, rien ne le prouve. Dans ce contexte, ce serait difficile, mais peut-être pas impossible. Encore une fois, vu le contrôle qu'exerce maintenant l'État russe sur toutes les organisations non gouvernementales, faisons abstraction de celles qui sont présentes chez les Autochtones, ça se rapprocherait bien d'une difficulté de taille. Bien sûr, nous, l'Occident, nous avons eu tendance à le négliger quand nous discutons de ce qui est survenu dans l'Arctique. À mes yeux, l'ARPAN ne parle plus au nom des peuples russes autochtones du Nord, mais au nom de l'État russe.
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Merci, monsieur le président.
Je remercie également nos témoins. Il est tard pour tout le monde, alors je vous remercie d'être des nôtres pour nous éclairer.
Monsieur Huebert, je dois dire que je trouve votre présentation sur l'Arctique absolument fascinante.
On retrouve certains de vos écrits dans un ouvrage intitulé Debating Arctic Security, selected writings, 2010-2021, dont les auteurs sont vous-même et P. Whitney Lackenbauer. La thèse des auteurs semble être que la République populaire de Chine accordera plus d'importance aux régions situées à proximité et qu'elle verrait le monde comme une série de cercles concentriques dont la proximité diminue à mesure qu'on s'en éloigne.
En conséquence, les auteurs soutiennent que la République populaire de Chine risque d'entreprendre des actions provocatrices plus près de chez elle, mais qu'elle évitera de le faire dans des régions plus éloignées, comme l'Arctique. Cependant, lorsqu'on vous écoute, on a tendance à penser que la Chine, non seulement s'intéresse de près à ce qui se passe en Arctique, mais qu'elle est en train de se donner la capacité opérationnelle d'intervenir dans cette région.
Comment réconciliez-vous cette vision des cercles concentriques évoquée par MM. Dean et Lackenbauer, dans cet ouvrage où l'on retrouve certains de vos écrits, par rapport à celle que vous nous exposez où l'on semble plutôt mettre en évidence la menace que constitue la Chine pour une région comme l'Arctique?
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Je vous remercie pour cette excellente question.
Je lève mon chapeau à mes deux coauteurs, d'anciens étudiants à moi. M. Lackenbauer, notamment, et moi, nous ne voyons pas du même œil le sens dans lequel la menace chinoise est dirigée. M. Whitney se focalise beaucoup plus sur la thèse d'un effort géopolitique chinois privilégiant des questions géographiquement centrales pour la Chine — Taïwan et la mer de Chine méridionale —, ce qui signifie que son intérêt pour l'Arctique, particulièrement du point de vue stratégique, ne présentera peut-être pas autant de danger que ce que j'ai souligné.
À long terme, je perçois la Chine comme très désireuse de s'introduire dans l'Arctique, ce qui lui permettra de défier les Américains, puis, à plus long terme encore, les Russes. Nous ne sommes plus d'accord sur notre interprétation relative à l'éventuelle création d'une force qui corroborera ses dires, c'est‑à‑dire que la composition de ses forces aérospatiales et marines sera strictement de haute mer, ou les miens, c'est‑à‑dire ayant davantage une capacité fondamentalement sous-marine.
Actuellement, impossible pour nous de trancher ce débat très vigoureux entre nous et d'autres membres de notre confrérie. Ma franche opinion est que, à long terme, nous pouvons nous attendre à ce que la Chine devienne un joueur stratégique majeur dans l'Arctique.
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Votre question s'écarte un peu du sujet de la Chine, mais si nous regardons ce que font tous nos partenaires du Nord au sein de l'OTAN, nous devons accepter que la Turquie, à un moment donné, permettra à la Suède et à la Finlande de se joindre à l'OTAN. Il reste à voir quel prix elle va exiger pour cela. Une fois que la Finlande et la Suède auront adhéré… Tous les pays du Nord participent activement à la création de ce que j'appellerais un NORAD nordique. Ils ont un espace aérien commun. Ils ont également une compréhension commune de l'espace maritime. Ils collaborent tous avec les États-Unis.
Nous courons un risque en ce moment, car nous ne collaborons pas activement avec eux à presque tous les égards relativement aux questions liées à l'OTAN. Le réel problème, à mon avis, compte tenu de la doctrine stratégique américaine annoncée récemment par les États-Unis et de la menace lancée par Poutine de recourir à des armes nucléaires, c'est que nous sommes en train d'entrer dans une ère où on ne parle pas uniquement de la dissuasion nucléaire dans l'Arctique, mais aussi de la possibilité d'une guerre nucléaire.
Le fait que nous ne collaborons pas activement avec les autres pays nordiques pose un problème, et le fait que nous soyons encore moins actifs auprès de nos amis dans la région indopacifique est encore plus problématique.
Je vais vous donner un exemple qui démontre, à mon avis, dans quelle mesure nous ne portons pas attention. En 2017, la Chine a demandé l'autorisation d'envoyer un brise-glace dans le passage du Nord-Ouest. Vous vous souviendrez que selon notre politique officielle, le passage du Nord-Ouest, en vertu de notre souveraineté dans l'Arctique, nous appartient. Je ne comprends pas pourquoi nous avons donné cette permission à la Chine, car nous savons qu'elle en profitera pour cartographier les grands fonds marins. Elle cherchera à repérer des passages sous-marins. Je ne sais pas pourquoi, si en effet le Canada prétend que le passage du Nord-Ouest est sous sa souveraineté, nous n'avons tout simplement pas dit à la Chine que nous ne pouvions pas autoriser cela parce que ce n'est pas dans notre intérêt sur le plan de la défense. Nous avons donné notre autorisation, alors je ne crois pas que nous réfléchissons d'une manière stratégique.
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Je vous remercie, monsieur le président.
Je remercie tous les témoins. Il est très tard, alors je vous remercie d'être présents et de nous faire profiter de votre expertise.
Bien sûr, monsieur Huebert, vos commentaires ne sont pas nécessairement étonnants, mais ils sont très inquiétants. Vous venez de parler à mon collègue, M. Bergeron, de nos alliés et de la nécessité de collaborer avec ces alliés des pays nordiques. Vous avez mentionné la dissuasion nucléaire, la possibilité d'une guerre nucléaire et ce que nous devrions faire avec nos alliés.
Est‑il trop tard? Est‑ce que la puissance militaire de la Chine et de la Russie…? Avons-nous trop attendu pour agir? Vu la situation dans laquelle nous nous trouvons actuellement, quelle devrait être la priorité du Canada? Compte tenu de nos limites, de nos limites sur le plan de nos capacités d'approvisionnement, et de ce que nous n'avons pas réussi à faire pour développer l'Arctique, si vous étiez à la place du gouvernement canadien, quelles seraient vos priorités?
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Il n'est jamais trop tard. Nous ne sommes pas encore dans le type de conflit où il y a une possibilité directe, et j'oserais dire que nos alliés sont devenus très attentifs à ce genre de chose, particulièrement après le début de la guerre en Ukraine en 2014. Nous observons cela dans les pays nordiques. Nous voyons également comment nos amis dans la région indopacifique réagissent.
Je rappelle toujours à mes étudiants que, si on examine la détermination à agir… Je leur fais remarquer qu'à l'époque des événements de la place Tiananmen, le budget de la défense du Canada était plus important que celui de la Chine. Notre budget de la défense s'élevait à environ 21 milliards ou 22 milliards de dollars, en dollars de l'époque. Si nous nous fions aux chiffres du SIPRI, même s'il est toujours difficile de le savoir avec certitude, nous pensons que le budget de la défense de la Chine s'élevait à environ 17 milliards de dollars. Nous voyons donc dans quelle mesure la détermination politique fera ultimement toute la différence. Ceci dit, l'économie de la Chine est bien sûr beaucoup plus importante que la nôtre, et c'est un sujet que nous pouvons aborder.
Quelle serait ma recommandation? D'abord et avant tout, pour faire face à la menace russe, nous devons donner suite avec beaucoup plus de sérieux aux initiatives que nous annonçons. Autrement dit, le plan de modernisation du NORAD et de la défense nord-américaine est solide, mais reporter la dépense de 38,6 milliards de dollars au moment des prochaines élections, c'est chercher, à mon avis, à faire des tours de passe-passe dans le contexte actuel. Nous devons être sérieux. Nous devons affirmer que cette situation est aussi sérieuse que les changements climatiques et la pandémie, et cela signifie que nous devons procéder à cette dépense le plus tôt possible.
En ce qui a trait à la Chine, nous devons adopter une attitude aussi sérieuse que nous l'avons fait dans le passé avec nos alliés européens et américains et faire de nos amis de la région indopacifique des alliés. Je pense que la seule façon de répondre à tous les types de menaces que pose la Chine à long terme… La seule façon dont nous pouvons répondre à ces menaces, c'est en formant une alliance semblable à l'OTAN, non seulement une amitié, mais bien une alliance, avec des pays aux vues similaires aux nôtres.
Sur le plan politique, nous devons essayer de favoriser cela. Nous n'allons pas prendre les devants — personne ne nous prendra au sérieux à ce sujet — mais nous pouvons à tout le moins offrir notre soutien et nous pouvons certes commencer à consacrer les sommes nécessaires. Nous devons également — et cela donne froid dans le dos —nous pencher sur les pires menaces géopolitiques auxquelles nous faisons face. Nous ne sommes pas dans la science-fiction.
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Merci pour votre excellente question.
Je dirais que la Chine en ce moment cherche à obtenir le statut de grande puissance, non seulement dans l'Arctique, mais aussi dans la région indopacifique, bien sûr. Si nous suivons ce raisonnement, nous pouvons constater qu'au cours des dernières années, particulièrement entre 2014 et 2022, la Chine s'est immiscée dans les relations de Taïwan avec ses amis internationaux et dans la participation de Taïwan à des organismes internationaux. Je dirais que la Chine joue un rôle de perturbateur dans une certaine mesure lorsque Taïwan tente de collaborer activement avec la communauté internationale.
Dans le passé, en ce qui a trait aux relations bilatérales, on a pu voir que la Chine a tenté… Je ne dirais pas « soudoyer », mais elle a augmenté la mise pour obtenir la faveur de nos alliés diplomatiques. Au sein d'organismes internationaux, la Chine a déployé beaucoup d'efforts pour en exclure Taïwan.
Au cours des dernières années, Taïwan s'est adapté à cette situation. Taïwan a essayé très fort de collaborer avec des pays aux vues similaires, par exemple grâce au FMLT. À l'heure actuelle, le Canada fait aussi partie de ce cadre de coopération. C'est une très bonne occasion pour Taïwan de se faire voir et pour la communauté internationale d'avoir la possibilité de gérer des enjeux mondiaux comme les secours en cas de catastrophe et l'aide humanitaire. Ce sont là des enjeux très importants dans la région indopacifique.
Je dois dire que je suis entièrement d'accord avec le professeur Huebert, car la Chine a toujours une perspective à long terme sur ce genre de choses. Quel statut la Chine convoite‑t‑elle? Je pense qu'ultimement elle veut devenir la première puissance mondiale.
Du point de vue de Taïwan, je dois dire que, pour l'instant, nous devons travailler ensemble pour façonner les désirs de la Chine et lui faire savoir que sa décision aura des conséquences. Nous devons aussi tenir parole et respecter notre engagement. Ensuite, nous pourrons contribuer à façonner les intentions de la Chine dans l'avenir.
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Merci, monsieur le président.
Je remercie nos deux témoins de comparaître devant nous ce soir.
Ma première question concerne la coopération militaire entre la Russie et la Chine en ce qui a trait aux capacités sous-marines. J'ai lu avec une vive inquiétude les articles portant sur l'explosion du gazoduc Nord Stream 1 dans la mer Baltique, créant un trou de 50 mètres dans ce gazoduc, car on a laissé entendre que c'est la Russie qui avait commis cet acte de sabotage. J'ai donc immédiatement pensé aux capacités sous-marines de la Russie.
Cela m'a ensuite amené à penser à la situation dans l'Arctique canadien en ce qui a trait à la Chine et à la Russie et à notre vulnérabilité dans l'espace sous-marin, non seulement dans l'Arctique, mais aussi au large de nos côtes atlantique et pacifique. J'ai également pensé à la myriade de câbles Internet qui transmettent les communications numériques entre l'Amérique du Nord et l'Europe, et entre l'Amérique du Nord et la région indopacifique. Un grand nombre de ces câbles partent d'Halifax, en Nouvelle-Écosse, et d'autres régions de cette province, ainsi que de la côte de la Colombie-Britannique.
Dans quelle mesure est‑ce important que le Canada augmente ses capacités sous-marines, afin de surveiller non seulement l'espace de surface de ses eaux côtières, mais aussi l'espace sous-marin de ces eaux, professeur Huebert?
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Je vous remercie pour votre excellente question. C'est important au plus haut point.
Pour ajouter à votre liste russe… Nous pensons que les Russes ont conçu un sous-marin spécial. Il s'agit essentiellement d'un sous-marin typique SSN, le Belgorod, mais il a aussi la capacité de transporter un mini sous-marin de plongée profonde. Nous soupçonnons que c'est ce mini sous-marin qui a été utilisé pour couper un câble.
Non seulement le gazoduc de Nord Stream a été attaqué, mais — et peu de Canadiens sont au courant — avant le début de la deuxième phase de la guerre, en février, les Russes ont également coupé le câble de fibre optique entre les îles du Svalbard et la Norvège, par lequel passe un nombre considérable d'informations en matière de sécurité.
Les Russes nous ont démontré qu'ils disposent de cette capacité. Le Canada n'a pas la capacité de répondre. Nous avons quatre sous-marins, qui sont très performants, mais comme tout le monde le sait, ils ne peuvent pas être utilisés sous la glace. Cela signifie que toute la région est exposée.
Même si le ministre a promis en juin de remédier à un grand nombre des problèmes aérospatiaux, je pense que rien n'a été prévu pour moderniser notre capacité d'écoute sous-marine, et cela a été brillamment souligné dans le récent rapport de la vérificatrice générale, qui nous a permis de constater notre inaction à l'égard de la protection de notre souveraineté et de notre sécurité dans l'Arctique.
Nous ne parlons pas du travail que nous effectuons avec les Américains et nous ne parlons pas non plus de ce que nous pourrions vouloir faire. Il y a eu un programme scientifique, Surveillance du Nord, mais il n'a pas donné grand-chose. Donc, nous ne faisons rien, monsieur.
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Merci, monsieur le président.
Ma question s'adresse à M. Lu.
Lors de ma récente visite à Taïwan, les membres de notre délégation ont eu des conversations enrichissantes avec les parlementaires taïwanais. Aussi, lors de nos multiples visites de sites et d'entreprises, nous avons pu échanger au sujet des meilleures pratiques dans de multiples domaines. Le savoir-faire des Taïwanais et l'expertise scientifique et technologique qu'ils possèdent peuvent certainement être un avantage.
Par des ententes avec nos partenaires, comme l'Italie et la France, les échanges d'étudiants et la mobilité des jeunes permettent d'enrichir l'esprit de ces jeunes, de stimuler le partage de connaissances et de combler des besoins en expertise et en main-d'œuvre, parfois.
Comment peut-on développer ce type de collaboration entre le Canada et Taïwan de façon à ce que nos deux gouvernements en bénéficient?
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Oui, je vous remercie pour cette excellente observation. Il est très important que Taïwan continue de forger des amitiés avec d'autres pays dans le monde, et le Canada est bien entendu l'un de ces pays très importants avec lesquels Taïwan devrait approfondir ses relations.
Au cours des dernières années, Taïwan, et particulièrement la société taïwanaise, a fait preuve d'une grande ouverture et résilience. Les gens talentueux de partout dans le monde sont les bienvenus et notre pays est disposé à leur transmettre son expérience et ses connaissances de ces hautes technologies et même à les former. En ce moment, en ce qui concerne les relations bilatérales, le Canada a beaucoup investi dans l'éducation, et Taïwan a bénéficié de ces genres de programmes et d'initiatives.
Je crois que, dans l'avenir, les deux pays, les deux gouvernements, devraient continuer de développer ces types de collaborations. Par exemple, au cours des derniers mois, le programme Fulbright aux États-Unis a investi largement dans ce genre de programmes d'échange. Dans les années à venir, j'espère que Taïwan et le Canada vont investir davantage dans ces programmes d'échange.
Merci.
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Oui. Je vous remercie pour la question.
C'est très important pour Taïwan d'entretenir un réseau diplomatique, car c'est ce qui nous permet en grande partie d'affirmer notre souveraineté.
Depuis plusieurs années, la Chine exerce des pressions sur les alliés diplomatiques de Taïwan pour qu'ils changent leur reconnaissance. Cela nuit à Taïwan. Tant que nous avons un réseau diplomatique, nous pouvons nous dire et dire au monde entier que Taïwan est un État souverain. Aux Nations unies, nos alliés diplomatiques, y compris le Canada et l'OACI, expriment de temps à autre leur soutien pour Taïwan. C'est très important. À l'heure actuelle, notre participation à des activités internationales est complémentaire à notre présence sur la scène internationale, mais à long terme, je ne crois pas que ces deux choses soient mutuellement exclusives. Les deux sont essentielles au maintien du réseau diplomatique de Taïwan à l'échelle mondiale.
J'espère que le Canada et nos alliés partout dans le monde pourront continuer à soutenir la place de Taïwan sur la scène internationale.
Merci.
Il y a trois éléments déclencheurs potentiels.
Comme je l'ai dit tout à l'heure, l'élément déclencheur immédiat serait la chute de la Russie. Si la guerre s'avère épuisante et l'État russe — c'est‑à‑dire l'administration Poutine — s'effondre, rien ne viendra combler le vide ainsi créé. Une telle situation entraînera une réponse immédiate de la Chine puisqu'elle fera peser une menace sur sa frontière.
À plus long terme, l'élément déclencheur sera l'atteinte de son objectif de devenir la puissance dominante. À l'heure actuelle, la Chine sait qu'elle est toujours en deuxième position, après les États-Unis. Elle déploie tous les efforts nécessaires pour tenter d'égaler les capacités militaires américaines. Lorsqu'elle se sentira prête à affronter les États-Unis d'égal à égal, c'est ce qui la poussera à prendre les mesures qui s'imposent pour réparer les traités injustes et le siècle d'humiliation, ainsi que pour s'emparer du territoire russe.
L'autre élément déclencheur à long terme dépend de la croissance de la population en Sibérie, près de la frontière sino-russe. Nous savons que la région russe de l'Arctique se dépeuple. Les gens partent parce qu'ils éprouvent des difficultés. Or, il ne sera peut-être pas possible d'empêcher la population chinoise de s'installer dans cette région, ce qui pourrait devenir un élément déclencheur. Je ne pense pas que le gouvernement chinois maîtrise complètement cette situation.
Bien entendu, le dernier élément déclencheur est lié à l'avenir de l'État américain. Nous n'avons pas abordé ce sujet, mais malheureusement, le fait est que les luttes politiques qui secouent actuellement les États-Unis pourraient provoquer une crise politique intérieure majeure qui risque d'affaiblir considérablement la position des États-Unis comme dirigeant du monde libre. Si une telle crise devait survenir, disons juste en théorie, parce qu'un candidat à la présidence refusait d'accepter la primauté du droit et la procédure... Je plaisante un peu, mais cette possibilité est bien réelle. Si les États-Unis perdaient leur titre de dirigeant mondial et sombraient dans l'isolationnisme, cette situation serait aussi un élément déclencheur.