Bienvenue à la quatrième réunion du Comité spécial de la Chambre des communes sur les Relations entre le Canada et la République populaire de Chine.
J'ai déjà entendu dire que le ski, c'est un enchaînement de récupérations, et je pense que cela décrit ce qui nous amène à organiser ces réunions tard le mardi soir. Nous avons dû jouer un peu en cours de route, mais nous allons faire l'introduction pour les gens sur Zoom. Une fois que ce sera fait, je pense que nous allons devoir décider de ce que nous allons faire pour le vote qui doit avoir lieu un peu plus tard ce soir.
Conformément à l'ordre de renvoi du 16 mai 2022, le Comité se réunit pour étudier les relations entre le Canada et la République populaire de Chine.
La réunion d'aujourd'hui se déroule en format hybride, conformément à l'ordre de la Chambre du 23 juin 2022. Certains membres participent en personne dans la salle, et d'autres utilisent l'application Zoom. Dans l'intérêt des témoins et des membres, je vous demanderais de bien vouloir attendre que je vous nomme avant de prendre la parole. Pour ceux et celles qui participent par vidéoconférence, cliquez sur l'icône du microphone pour activer votre micro, puis veuillez vous mettre en sourdine quand vous ne parlez pas. Pour l'interprétation, dans l'application Zoom, vous avez le choix au bas de votre écran entre le parquet, l'anglais et le français. Pour les gens dans la salle, vous pouvez utiliser votre oreillette et sélectionner le canal de votre choix.
Je vais rappeler à tous les participants et à toutes les participantes que tous vos commentaires doivent être adressés à la présidence.
Pour les membres qui sont dans la salle, si vous voulez intervenir, veuillez lever la main, si cela est approprié pour cette partie de la réunion. Pour les membres sur Zoom, veuillez utiliser la fonction « lever la main ». Je vais avoir l'œil sur l'écran pour vous. Bien sûr, nous allons essayer de respecter l'ordre des interventions du mieux que nous le pourrons.
Avant d'accueillir les témoins, je crois que M. Chong souhaite intervenir.
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Dans ce cas, je vais le demander. Tout le monde est‑il d'accord? Ai‑je votre consentement unanime?
Des députés: D'accord.
Le président: Je pense que nous sommes d'accord. Merci beaucoup.
J'aimerais souhaiter la bienvenue aux témoins pour cette première heure.
Oh, il y a une autre chose, avant que j'oublie. Dans notre deuxième groupe de témoins, Mme Sophie Richardson de Human Rights Watch qui était censée témoigner, si vous regardez votre document, n'a malheureusement pas reçu le bon casque d'écoute à temps pour participer, et pour l'interprétation, nous devons nous assurer que les bons appareils sont utilisés. La greffière est en train de prendre des dispositions pour que Mme Richardson, qui est un témoin très important pour ces délibérations, puisse témoigner à notre prochaine réunion. Je voulais vous en aviser.
Bienvenue aux témoins pour cette première heure: à titre personnel, nous accueillons M. David Curtis Wright, professeur agrégé d'histoire de l'Université de Calgary; et à titre personnel, M. Guy Saint-Jacques, consultant et administrateur.
Monsieur Saint-Jacques, je crois que nous allons commencer par vous. Vous avez cinq minutes, pas plus.
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Merci, monsieur le président.
[Français]
Bonsoir, mesdames et messieurs, membres du Comité spécial sur la relation entre le Canada et la République populaire de Chine.
Je vous remercie de m'avoir invité à vous adresser la parole. Je ferai ma présentation essentiellement en anglais, mais je serai heureux de répondre aux questions en français.
[Traduction]
Je parlerai d'abord de la Chine de Xi Jinping.
Comme vous le savez, le Parti communiste chinois tient en ce moment même son 20e congrès national. Nous savons déjà que Xi Jinping sera nommé secrétaire général du parti pour un troisième mandat, et le seul suspense est donc de savoir s'il devra négocier un compromis avec les autres factions en ce qui concerne la composition du comité permanent du Politburo. Aussi, se fera‑t‑il donner un nouveau titre, comme président ou chef du peuple, ce qui lui donnerait un statut similaire à celui de Mao Zedong?
Compte tenu du discours qu'il a prononcé à l'ouverture de la session, nous savons qu'il ne compte pas faire marche arrière, et son objectif demeure de faire de la Chine la plus grande superpuissance du monde d'ici 2049. Il a averti les membres du PCC de se tenir prêts à « résister aux vents violents, aux eaux agitées et même aux tempêtes dangereuses ». Il a aussi mis l'accent sur le besoin de raconter l'histoire de la Chine, de promouvoir la vision chinoise, de présenter une Chine crédible et respectable et de mieux montrer au monde la culture chinoise.
[Français]
Nous devons aussi reconnaître que la Chine est devenue beaucoup plus influente dans les organisations internationales, où elle essaie de contrôler le débat, de changer les normes à son avantage et d'éviter toute critique sur ses pratiques et politiques. Tout récemment, cela s'est produit au Conseil des droits de l'homme des Nations unies, à Genève, où la Chine et ses supporteurs ont réussi à empêcher un débat sur le rapport de la haut-commissaire des Nations unies aux droits de la personne, Mme Bachelet, sur la situation au Xinjiang.
[Traduction]
Je vais maintenant parler de notre relation bilatérale. Malgré la libération de Meng Wanzhou et des deux Michael, il y a un an, notre relation avec la Chine est toujours très difficile et nous n'avons pratiquement aucun dialogue politique. La Chine continue de dire que le Canada doit apprendre de ses erreurs. Cela montre à quel point il est devenu difficile pour tous les pays occidentaux de discuter avec les diplomates chinois, puisqu'ils rejettent toute critique et suivent les instructions de Xi Jinping sur les ripostes.
La bonne nouvelle, c'est que la Chine a accepté la nomination de Jennifer May en tant que nouvelle ambassadrice du Canada en Chine. Diplomate de carrière, Mme May fera un excellent travail à Pékin, étant donné ses expériences antérieures pertinentes et ses compétences — elle parle, par exemple, le mandarin, et je lui souhaite la meilleure des chances.
Ottawa a eu de la difficulté à savoir comment agir avec la Chine. Il y a quelques années, le ministre Champagne nous a promis une stratégie révisée d'engagement avec la Chine, mais le processus n'a pas été mené à terme. Ensuite, on l'a retravaillé pour en faire la stratégie indopacifique, sur laquelle la travaille depuis un an maintenant. Nous avons récemment appris que, après tout, cette stratégie ne sera pas révélée avant que le n'assiste au Sommet de l'APEC le mois prochain, donc un autre retard... Le moins que l'on puisse dire, c'est que c'est déroutant.
Voici le défi d'Ottawa: composer avec une brute qui ne respecte pas le droit international tout en trouvant une façon de discuter avec ce pays et de s'y opposer quand nos valeurs et nos intérêts sont menacés. Pour cela, nous devrions normalement avoir une stratégie d'engagement beaucoup plus stratégique, qui se limite aux domaines où il est dans notre intérêt de poursuivre la coopération avec la Chine, en supposant, bien sûr, qu'elle veut une relation plus limitée.
Par exemple, en matière d'environnement, le Canada a déjà bonne réputation en ce qui concerne l'aide qu'il fournit. Nous pourrions fournir à la Chine des technologies propres, du gaz naturel liquéfié et de l'hydrogène vert ou bleu pour l'aider à réduire sa dépendance au charbon. Du côté de la santé publique et des pandémies, le Canada devrait poursuivre sa collaboration avec la Chine, surtout pour veiller à ce qu'elle n'essaie pas de prendre des raccourcis. La prolifération nucléaire est un autre domaine qui nécessite plus de discussions.
[Français]
Il est aussi crucial que le Canada travaille étroitement avec ses alliés pour développer des stratégies communes pour s'opposer au comportement odieux de la Chine. Une façon de le faire serait de renforcer le système multilatéral et de s'assurer que les organisations des Nations unies, y compris l'Organisation mondiale de la santé et l'Organisation mondiale du commerce, jouent leur rôle et peuvent être utilisées pour contrer la Chine.
À cet égard, j'ai été très encouragé par le discours prononcé la semaine dernière par la ministre devant la Brookings Institution, à Washington, où elle a souligné le besoin de réduire notre vulnérabilité face aux régimes totalitaires, et ce, tant du côté politique que commercial.
Je donne un cours sur l'histoire de Taïwan à l'Université de Calgary. Je le donne une année sur deux. Actuellement, je suis en train de terminer d'écrire un livre sur la Terreur blanche de Taïwan, c'est‑à‑dire la répression exercée par Chiang Kai-shek de 1947 à 1986 environ sur les personnes soupçonnées d'être des agents communistes.
Cela fait plus de 40 ans maintenant que je réfléchis à Taïwan et que je m'inquiète pour elle. Je suis allé à Taïwan la première fois en 1980, quand j'étais encore adolescent, et depuis, je franchis le Pacifique dans un sens et dans l'autre pour visiter cette île magnifique. J'en suis toujours aussi épris aujourd'hui que je l'étais en septembre 1980, mais à présent, je crains plus que jamais la menace militaire de la Chine continentale pour cette île.
Dans le monde libre et démocratique, nous avons une affinité facile et naturelle avec les autres pays et sociétés démocratiques, et nous voulons profondément être solidaires avec eux et les protéger, si nous le pouvons, contre les menaces des dictatures non démocratiques et antidémocratiques, mais — et c'est aussi ironique que tragique —, certaines des mesures que les pays démocratiques veulent prendre pour protéger la démocratie à Taïwan pourraient très bien donner le résultat inverse.
En ce qui concerne Taïwan, aujourd'hui, la meilleure façon de la soutenir est-elle vraiment d'envoyer de grosses pointures politiques de pays démocratiques y faire des visites très publiques? Peut-être que nous nous sentons mieux, mais peut-être aussi que cela contrarie énormément des centaines de millions de gens en Chine continentale.
Pour citer ce que j'ai écrit dans le Calgary Herald le 6 août de cette année:
En Chine continentale, une forte majorité de Chinois soutiennent l'unification avec Taïwan, y compris par la force si nécessaire, non pas par pugnacité aveugle ou par simple insolence, mais bien parce qu'ils sentent au plus profond d'eux-mêmes, jusque dans leurs os, que la perte de Taïwan par la Chine en 1895 est une grave injustice historique pour leur pays, une injustice qui doit un jour être corrigée.
La femme qui est mon épouse depuis 38 ans, et qui est avec moi ici ce soir, est née à Taïwan de parents chinois qui ont fui la Chine continentale en 1949, lorsque les communistes allaient prendre le pouvoir. Elle a une profonde aversion pour le communisme chinois et comprend en même temps très bien que l'écrasante majorité des gens qui s'identifient comme Chinois, comme elle, n'accepteront jamais que Taïwan officialise et normalise son indépendance de facto actuelle. Pour elle et pour une écrasante majorité des habitants de la Chine continentale, la perte de Taïwan par la Chine au profit du Japon en 1895 reste une grande humiliation, une humiliation qui ne s'effacera jamais tant que les effets du Traité de Shimonoseki ne seront pas entièrement annulés.
Aujourd'hui, elle craint énormément que le défaut ou le refus de nombreux Taïwanais aujourd'hui de prendre cette menace au sérieux ne mène à une tragédie inimaginable pour Taïwan.
Je suis certain que la situation en Ukraine présentement donne effectivement et énormément à réfléchir au PCC et à l'Armée populaire de libération et est une grande source de préoccupations, mais cela ne veut pas dire que le PCC va abandonner l'option d'utiliser sa force militaire contre Taïwan. La Chine va peut-être reporter son plan d'invasion de Taïwan, mais elle ne l'abandonnera jamais.
Ne vous méprenez pas: la Chine attaquera Taïwan lorsqu'elle sera convaincue que Taïwan refusera toujours toute tentative d'annexion pacifique. Les tentatives d'intimidation et les discours hargneux de la Chine contre Taïwan ont peut-être des accents guerriers ou même comiques, mais cela ne veut pas dire que la Chine bluffe. Elle ne bluffe pas.
Je n'ai pas la prétention de pouvoir conseiller le Comité sur tous les aspects des relations entre le Canada et la Chine, mais, pour gérer ces relations difficiles — et épineuses actuellement — vous devrez agir avec soin, prudence et polyvalence. Je demande seulement au Comité de tenir compte de l'engagement ferme de Pékin à l'égard de Taïwan, qu'il a récemment réitéré, pendant qu'il navigue sur les eaux troubles des relations entre le Canada et la Chine.
Pour citer l'ancien texte chinois Tao Te Ching: « Il n'y a pas de plus grand malheur que de prendre son adversaire à la légère. »
J'implore le Comité et le Parlement de ne pas sous-estimer, minimiser ou ignorer la détermination de Pékin à cet égard.
Merci.
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Merci beaucoup, monsieur Wright.
Nous allons maintenant commencer la première série de questions.
Sur ce, j'aimerais souhaiter la bienvenue à M. Seeback et à M. Kmiec, les nouveaux membres conservateurs du Comité.
Merci. Nous sommes heureux que vous soyez des nôtres.
Mme Normandin représente le Bloc, ce soir, en remplacement de M. , et Mme Kwan est ici en remplacement de Mme . À l'écran, je reconnais M. Iacono, qui ne ressemble pas du tout à Mme , mais qui va la remplacer ce soir.
Sur ce, passons à la première série de questions. Monsieur Chong, vous avez six minutes.
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Merci, monsieur le président, et merci encore à nos deux témoins d'être ici.
Je vais probablement m'adresser un peu plus à M. Saint-Jacques ce soir.
Mais j'aimerais avertir M. Wright que nous allons peut-être lui demander de revenir quand nous étudierons Taïwan de plus près, ce que nous ferons très prochainement. Je voulais seulement vous prévenir, parce que je pense que votre expertise pourrait être très utile.
Merci de vos commentaires, monsieur Saint-Jacques. Comme toujours, vous vous êtes exprimé de façon réfléchie et convaincante, en évitant le jargon ou la rhétorique, ce que vous faites très bien, et je vous en remercie.
Je voulais vous donner l'occasion de conclure votre déclaration, parce que je pense que vous avez toujours de solides conclusions. J'avais un peu l'impression, quand vous n'employez pas le jargon que le gouvernement utilise, les quatre C du ministre Garneau: coopérer, concurrencer, contester et coexister... Vous ne les avez pas utilisés, mais ils me semblent alignés sur votre approche, maintenant que nous délaissons notre ancienne approche qui était peut-être naïve à l'égard de la Chine pour adopter une approche plus lucide.
Avez-vous des commentaires à faire sur le sujet?
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Merci, monsieur Oliphant. À dire vrai, j'étais rendu à la partie de ma déclaration où je félicitais le gouvernement d'avoir adopté, en février de l'année dernière, la Déclaration contre la détention arbitraire dans les relations d'État à État, et j'allais ajouter qu'il est peut-être temps maintenant d'ajouter un peu de mordant à cette déclaration, en discutant avec nos alliés pour convenir de réponses communes, y compris des sanctions, au cas où la Chine utiliserait à nouveau ce genre de tactiques.
Je suis d'accord, comme je l'ai dit dans ma déclaration, sur le fait que nous devons entretenir des relations avec la Chine. Cela dit, je ne suis pas certain que la Chine voudra entretenir des relations avec nous. Par exemple, les messages transmis par l'ambassadeur de Chine au Canada, Cong Peiwu, ne sont pas encourageants. Il ne cesse de répéter que nous devons apprendre de nos erreurs, mais, en supposant que la Chine ne fait que jouer la comédie et que l'ambassadrice May parvient à faire avancer les choses, nous devons définir les domaines dans lesquels il est dans notre intérêt et aussi dans l'intérêt de la Chine de collaborer.
J'ai mentionné l'environnement et les changements climatiques. Le Canada a longtemps coopéré avec la Chine. Nous avons contribué à la création du ministère chinois de l'environnement, grâce à l'aide au développement fournie par l'ACDI. Nous l'avons aidée à créer son industrie laitière. Nous l'avons aidée dans de nombreux domaines et nous financions le fonctionnement du conseil chinois jusqu'à il y a quelques années.
Du côté de la santé, je ne suis pas au fait de la situation, présentement, mais il y avait auparavant une excellente collaboration entre les scientifiques et les médecins canadiens et leurs homologues chinois. Malheureusement, l'arrestation de Meng Wanzhou a fait dérailler ce genre de coopération.
Cela dit, j'ai trouvé très encourageant le discours de la , la semaine dernière à Washington, parce que je pense qu'elle comprend très clairement les problèmes auxquels nous faisons face avec la Chine. Ce pays est devenu de plus en plus agressif et insistant sur la scène internationale, et il n'est pas très réceptif aux critiques. La Chine a aussi commencé à découpler son économie du reste du monde, ce qui veut dire que le Canada doit collaborer beaucoup plus étroitement avec ses alliés dans toutes sortes de dossiers politiques et commerciaux pour convenir d'approches et de positions communes en ce qui concerne la Chine.
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Malheureusement, je pense que vous avez raison: l'importance qu'avait le Canada à l'échelle internationale a effectivement diminué. Je pense que cela a commencé lorsque le gouvernement Harper était au pouvoir et que cela s'est hélàs poursuivi sous le gouvernement de M. Trudeau.
Il faut comprendre que, dans le contexte actuel, les questions internationales sont intimement liées aux questions nationales. Si nous n'investissons pas suffisamment sur la scène internationale, cela peut revenir nous hanter.
Auparavant, la diplomatie du Canada était très active, ce qui représentait une valeur ajoutée, notamment appréciée par Washington. En effet, nous étions en mesure d'interpréter le point de vue des pays en développement grâce à notre programme d'aide au développement, et nous avions beaucoup d'influence dans certains pays d'Afrique et d'Asie également.
Le fait que nous n'avons pas été invités à nous joindre à l'alliance AUKUS ni à d'autres forums créés récemment indique peut-être que nous payons le prix après des années de négligence.
Il est clair que, sur le plan de la défense, le Canada doit investir davantage, particulièrement dans l'Arctique canadien. Là encore, il faut lier cette question à la Chine, qui s'intéresse beaucoup à l'Arctique en raison des ressources halieutiques et minérales qui s'y trouvent. Or, je dirais que nous sommes sous-équipés. Accroître nos investissements serait une façon de démontrer à l'OTAN que nous sommes sérieux quant à la défense, non seulement du continent nord-américain, mais aussi de cette organisation.
La Chine applique cette loi à Victor Ho, et je suis aussi consciente du fait que non seulement moi, mais divers parlementaires auraient effectivement violé cette loi sur la sécurité nationale, parce que nous avons fait des commentaires et avons voté à la Chambre pour dénoncer le traitement des Ouïghours en tant que génocide. Nous pourrions tous être arrêtés ou être inscrits sur la liste des personnes recherchées, rien de moins.
Nous allons revenir à ce sujet dans une minute, parce que j'en ai beaucoup à dire là‑dessus, mais je veux d'abord parler de Taïwan.
Compte tenu de la position de plus en plus menaçante de la Chine à l'égard de Taïwan, dans ce contexte, quelles mesures le Canada pourrait‑il prendre, selon vous, pour se préparer face à la situation de plus en plus tendue, et que devrions-nous faire avec nos pays alliés, monsieur Wright?
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Il serait très important de rendre le régime commercial plus fiable et plus prévisible.
Au début de nos plus récents problèmes avec la Chine, j'ai été surpris quand elle a interdit nos exportations de canola. Pourquoi n'avons-nous pas immédiatement porté plainte à l'Organisation mondiale du commerce? Nous devons utiliser ces mécanismes pour faire reculer la Chine.
Je pense aussi que nous sommes à une étape où... Comme je l'ai dit, une première bonne mesure a été l'adoption de la déclaration pour essayer d'empêcher la prise d'otages dans nos relations de nation à nation.
Du côté du commerce, nous en sommes à une étape où nous devons travailler avec nos alliés pour essayer de convenir de positions communes. Pour vous donner un exemple, il y a très peu de pays qui exportent de l'orge, du canola, du soya ou du blé vers la Chine. La prochaine fois que la Chine voudra imposer des sanctions punitives contre l'Australie, en ciblant son orge, le Canada et les États-Unis devraient s'entendre pour refuser d'augmenter leurs exportations au‑delà de leur part historique du marché chinois. Cela enverrait immédiatement à la Chine le message qu'elle ne peut plus nous diviser.
D'ailleurs, l'Union européenne est en train d'adopter un nouvel outil anticoercition. Le Congrès des États-Unis a aussi présenté sa loi bipartisane sur l'opposition à la coercition économique de la Chine. Je pense que nous devons nous inspirer d'exemples concrets comme ceux‑ci pour forcer la Chine à reculer.
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Je pense que la question de Taïwan va dépendre, au bout du compte, de la survie du régime.
Si — mais cela n'arrivera jamais — Xi Jinping disait tout simplement « D'accord, nous abandonnons Taïwan. Nous n'allons pas utiliser de mesures coercitives du tout. Nous allons tout simplement courtiser Taïwan pour qu'elle accepte de se joindre à nous », cela susciterait un peu partout le désaccord et la colère du public. Je pense même qu'une division ou plus de l'Armée populaire de libération, l'APL, pourrait s'en mêler.
La deuxième génération rouge, le principal pilier de Xi Jinping, est largement celle qui dirige l'APL aujourd'hui. L'APL ne se mêle pas de politique, mais, si quelque chose comme cela arrivait, je pense que l'APL pourrait intervenir. Xi Jinping le sait. Renoncer à Taïwan, ce serait pratiquement reconnaître la possibilité d'un renversement du régime, et si jamais c'était une possibilité, le régime serait prêt à tout.
C'est le message qui a été passé en 1989 avec le massacre de la place Tiananmen. Deng Xiaoping a déclaré, lors d'une réunion clé avec le noyau du Politburo, qu'ils paieraient n'importe quel prix et endureraient n'importe quelle épreuve pour conserver leur pouvoir politique.
Taïwan est un intérêt essentiel, c'est un élément essentiel de la survie du régime. Pour être très honnête, je doute que nous puissions faire grand-chose militairement. Nous pouvons déclarer très clairement qu'il y aurait un énorme coût, que la Chine deviendra un paria international et se verra imposer des boycotts énormes à l'échelle mondiale, mais au bout du compte, le PPC ne va pas s'en soucier.
Je remercie le Comité spécial sur la relation entre le Canada et la République populaire de Chine de m'avoir invitée à témoigner ce soir et à participer à ces discussions d'une grande importance.
Ma contribution aux discussions en cours sera ancrée dans mon expertise en relations internationales dans la région indo-pacifique et l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est, en particulier.
Mes remarques initiales vont se concentrer sur la relation ambiguë qu'entretient la Chine vis-à-vis de l'ordre international libéral, communément appelé l'ordre international fondé sur les règles. Pour ce faire, je vais prendre appui sur des considérations qui sont relativement consensuelles et assez bien établies en analyse de politique étrangère et de défense, mais qui, selon moi, méritent d'être rappelées, parce qu'elles offrent des pistes de réflexion utiles pour penser à l'avenir de nos relations avec la Chine.
[Traduction]
Les gens, y compris les décideurs politiques, ont tendance à apprendre de leurs expériences et cela éclaire généralement leur interprétation de l'information et des événements. Les gens perçoivent essentiellement ce qu'ils s'attendent à percevoir, et leurs attentes — et il est important de tenir compte de ce que nous savons de la façon dont les décideurs politiques agissent en matière de politique étrangère et de défense — ne sont pas toujours justes, surtout lorsqu'elles sont enracinées dans des analogies inexactes. La leçon que nous pouvons tirer de l'analyse des politiques étrangères aura d'importantes répercussions sur la façon dont nous abordons notre relation avec la Chine.
Par exemple, les décideurs chinois ont tendance à s'attendre à ce que la Chine soit stigmatisée ou traitée injustement par l'Occident sur la scène internationale, et ils agissent en conséquence. Cela veut dire que, parfois, les agents chinois exploitent des failles dans le système ou insistent sur certaines interprétations des règles pour défendre leurs intérêts. Cela n'est pas exactement surprenant, cependant, venant d'une grande puissance.
Nous voyons aussi que les décideurs occidentaux ont tendance à s'attendre à ce que la Chine se comporte comme d'autres États, en particulier la Russie, entre autres puissances révisionnistes, dont les valeurs se sont opposées aux nôtres au cours de l'histoire. Les décideurs occidentaux s'attendent aussi typiquement à ce que la Chine, lorsqu'elle agit d'une certaine façon dans une région donnée pour défendre ses principaux intérêts, tente d'agir de la même façon dans les autres régions du monde — par exemple, dans l'Arctique —, mais nous devrions nous méfier de bon nombre de ces analogies et vérifier si elles tiennent vraiment la route.
Une autre leçon que nous pouvons tirer de l'analyse en matière de politique étrangère est que les gens, y compris les décideurs politiques, ont tendance à voir les actions des autres comme étant davantage planifiées, centralisées et coordonnées qu'elles ne le sont vraiment. Cela est d'autant plus vrai quand l'information fiable est rare ainsi que dans le cas des États autoritaires.
Il y a une tendance à tenir pour acquis que tout ce que la Chine fait s'inscrit dans un plan cohérent à long terme ou dans une vaste stratégie, alors qu'en vérité, ses actions sont probablement le résultat d'un ensemble distinct de décisions prises de façon ponctuelle et sans coordination par des personnes et des groupes qui ont des intérêts, des préférences et des visions du monde concurrents.
Même s'il est évident que nous devrions nous préoccuper de la centralisation de plus en plus grande du pouvoir en Chine, cela ne veut pas dire que les autres groupes d'intérêt, dans l'écosystème politique chinois, n'ont pas leurs propres intérêts et leurs propres préférences en ce qui concerne la volonté de la Chine d'affirmer davantage sa position sur la scène internationale.
Les gens, y compris les décideurs politiques, craignent aussi l'inconnu. Cela est typiquement vrai lorsqu'il s'agit d'inconnues inconnues, et donc le fait que nous ignorons les véritables intentions ou les véritables motifs de la Chine va en général donner lieu à des conjectures, et on ira jusqu'à supposer le pire pour ainsi dire dans tous les domaines de la Chine, lorsque le comportement des Chinois peut être une source de préoccupation. Cela peut cependant faire en sorte qu'un biais de confirmation entache les politiques et même mener potentiellement à une prophétie autoréalisatrice, ce dont nous devrions nous méfier.
Je ne sais pas si nous connaîtrons jamais, pour être honnête, les véritables intentions de la Chine, et ce, pour de multiples raisons. Encore une fois, la Chine n'est pas une boîte noire.
Je ne sais pas non plus si les intentions des décideurs politiques sont aussi claires et cohérentes que nous le croyons. Enfin, les motifs et les intentions changent, habituellement, au fil du temps et selon l'évolution des circonstances.
Cela met donc en relief l'importance de soutenir une expertise saine sur la Chine et sur le Canada grâce à ce que nous savons de l'évolution des politiques intérieures.
Je crois savoir que, au cours des 30 à 40 dernières années, nous avons envoyé un très grand nombre de nos emplois manufacturiers en Chine, et que l'Occident a véritablement axé sa politique étrangère à l'égard de la Chine sur l'idée que plus nous développions le commerce et les relations, plus la Chine allait devenir comme nous. Je suis sûre que je ne vous apprends rien. Ce n'est certainement pas ce qui est arrivé. Nous sommes vulnérables à bien des égards face à la Chine, comme nous l'avons constaté durant l'affaire Meng Wanzhou, avec l'interdiction du canola et du porc et dans bien d'autres affaires. Donc, notre commerce est très vulnérable de certaines façons. Bien entendu, la Chine doit nourrir plus d'un milliard de personnes, alors elle a besoin de nourriture, et le Canada est l'un de ses grands fournisseurs, mais nous avons très évidemment constaté que la Chine peut profiter de la situation.
Simplement, ce qui me préoccupe, c'est que ses intentions, de façon très concrète, ne sont pas nécessairement en harmonie avec nos intérêts, mais qu'elles servent certainement les leurs.
Vous avez peut-être entendu récemment que notre chef d'état-major de la défense, le général Eyre, a déclaré qu'il croit que la volonté de la Chine est de refaire le monde selon ses besoins. C'est exactement la position de nos forces armées, bien entendu. Pouvez-vous commenter? Selon vous, cette opinion est-elle erronée, ou est‑ce que nos forces de défense doivent se préparer à affronter le problème que le général Eyre perçoit?
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Vous avez tout à fait raison de souligner que nos attentes envers la Chine, qui devait devenir davantage comme nous, ne se sont pas concrétisées, et que nous devons nous adapter à cette réalité. Absolument.
Je ne pense pas, cependant, que nous pouvons tirer de cela la conclusion que la Chine va toujours se conduire dans certains domaines précis d'une façon qui sera diamétralement opposée à nos intérêts et à nos préférences. C'est important de pouvoir cerner, d'une part, les domaines où, effectivement, il faut surveiller l'écart entre les intérêts, les valeurs et les préférences et y réagir, et, d'autre part, les domaines où nos intérêts et nos préférences peuvent s'aligner d'une façon qui pourrait nous surprendre. C'est important de garder cela à l'esprit.
Même si nos attentes de voir la Chine transitionner vers une démocratie libérale, après avoir pris place dans l'économie mondiale, ne se sont pas concrétisées, cela ne veut pas dire que nous ne devrions pas continuer d'entretenir des relations avec la Chine et de chercher des façons de la convaincre de se conduire d'une façon qui soit davantage en harmonie avec notre conception des règles qui sous-tendent l'ordre international, tout en respectant nos intérêts et nos préférences à ce chapitre.
Je ne pense pas que ce soient des choses mutuellement exclusives, mais je pense que nous devrions cesser de penser que la Chine se transformera et que sa mentalité sera en harmonie avec la nôtre dans pour ainsi dire tous les domaines. Il faut laisser tomber ces attentes et réagir en conséquence, c'est important.
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Oui, j'ai parlé de l'Arctique.
En fait, il y a beaucoup de préoccupations et de spéculations sur un éventuel accroissement de la présence chinoise dans l'Arctique, pour lequel on a tendance encore une fois à chercher des motifs ou des intentions cachées. Je parlais des inconnues inconnues tout à l'heure. Dans ce cas-ci, on craint une croissance de la présence chinoise dans l'Arctique. Ces craintes sont légitimes, puisqu'on a de la difficulté à voir où la Chine veut en venir en Arctique.
Cela dit, sur papier, la Chine est assez claire sur ses intentions en Arctique. Elle a évidemment tout intérêt à développer son accès à des ressources stratégiques en Arctique et à pousser pour une définition des passages dans cette région qui lui permettrait un accès plus libre en eaux internationales.
Je pense qu'il est sain et constructif d'observer ce que la Chine promeut. Elle ne cache pas ses intentions. Il est évident que la Chine est un acteur qui a des intérêts et qui les défend sur la scène internationale. Cependant, je pense que l'analogie voulant que la Chine ait en Arctique des motivations similaires à celles sous-tendant ce qu'elle fait en mer de Chine du Sud ne tient pas la route. En effet, ce n'est pas demain matin que la Chine va revendiquer la souveraineté sur des territoires en Arctique.
Elle a suffisamment d'intérêts qui peuvent entrer en conflit avec notre intérêt national. Si c'est le cas, il faut évidemment que le Canada réagisse. Tout cela n'est pas...
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Mes questions iront dans le même sens que celles de Mme Normandin, qui étaient très sages. Je regrette un peu que ce soit la première fois qu'elle participe aux travaux du comité et que je me trouve à poser les mêmes questions qu'elle.
[Traduction]
Je tiens à remercier la témoin de nous consacrer du temps aujourd'hui. Je pense qu'elle fait une chose importante au moment où nous débutons cette nouvelle phase de travail de notre comité. Elle nous rassure, elle est rationnelle et elle se fonde sur des preuves.
Je veux poursuivre un peu sur ce sujet. Je vais m'exprimer de manière très personnelle. Lorsque j'ai commencé à siéger au Parlement, j'avais une compréhension très solide et ouverte de la Chine. Je voulais des relations plus étroites. J'ai effectué deux voyages en Chine qui m'ont ouvert les yeux. C'était mes deux premiers voyages.
Michael Kovrig et Michael Spavor ont ensuite été détenus arbitrairement pendant plus de 1 000 jours. Cela me touche encore personnellement. C'est encore le cas pour tous les Canadiens. Je pense que nous souffrons encore de cette détention arbitraire.
Nous entrons maintenant dans une nouvelle phase, à la recherche d'une ouverture pour voir si nous devrions, ou pourrions, ouvrir une autre porte sur la Chine. La question « Devrions-nous? » a trait à l'établissement de relations meilleures et pacifiques dans notre monde et à ce genre de choses. Est‑ce dans l'intérêt du Canada? Est‑ce dans l'intérêt du monde? Est‑ce dans l'intérêt des Canadiens?
Si c'est ce que nous voulons faire, que recommanderiez-vous pour y parvenir? Parfois, je ne sais pas. Nous sommes des gens passionnés et nous avons été blessés. Maintenant, nous essayons de trouver une nouvelle voie possible.
Avez-vous des commentaires à ce sujet?
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Ma question est un peu générale. Quand deux grandes puissances, qui respectent l'ordre international fondé sur des règles, ont un différend, elles vont souvent prendre un pas de recul, réfléchir à des solutions et revenir à la table en discuter.
Quelqu'un me disait qu'on ne peut pas s'attendre à cela dans le cas d'un pays qui ne respecte pas l'ordre international fondé sur des règles. À titre d'exemple, la Russie pourrait interpréter tout pas de recul comme une occasion à saisir pour occuper l'espace.
Dans un premier temps, est-ce que cette analyse pourrait aussi s'appliquer à la Chine et à sa façon d'intervenir lorsqu'il y a un différend?
Dans un deuxième temps, quel rôle pourraient jouer de plus petites puissances, y compris le Canada, comme solution de rechange diplomatique avec la Chine, mais aussi, de façon générale, dans la région indo-pacifique?
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Nous reprenons les travaux avec notre troisième groupe de témoins.
Merci à tous d'assumer vos fonctions parlementaires démocratiques. Bienvenue à cette troisième heure de séance.
J'aimerais souhaiter la bienvenue à nos témoins dans le cadre de cette troisième heure, nous accueillons aujourd'hui, à titre personnel, Thomas Juneau, professeur agrégé de l'École supérieure d'affaires publiques et internationales de l'Université d'Ottawa, Vincent Rigby, professeur invité de l'École de politiques publiques Max Bell de l'Université McGill, lui aussi à titre personnel, et, Jonathan Berkshire Miller, directeur et agréé supérieur du programme Indo-Pacifique de l'Institut Macdonald-Laurier.
Nous accorderons un temps de parole d'une durée de cinq minutes à chaque invité, puis nous donnerons cinq minutes à chaque parti représenté ici.
Nous commencerons avec vous, monsieur Juneau; vous avez un maximum de cinq minutes.
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Merci de me donner l'occasion de vous parler aujourd'hui.
M. Rigby et moi vous parlerons des résultats et des recommandations clés figurant dans un rapport que nous avons publié avec l'École supérieure d'affaires publiques et internationales de l'Université d'Ottawa en mai cette année. Le rapport a été co‑écrit par M. Rigby et moi avec l'appui d'un groupe de travail composé d'une dizaine de fonctionnaires expérimentés à la retraite, y compris des sous-ministres des Affaires étrangères et de la Défense, quatre anciens conseillers à la sécurité nationale, deux anciens directeurs du SCRS, des anciens ambassadeurs et d'autres personnes. Le rapport est accessible en ligne, et je serais heureux de le communiquer au Comité sous forme électronique.
Le rapport aborde la menace ambiante qui pèse de plus en plus sur le Canada et, dans l'ensemble, formule 65 recommandations. De nombreuses recommandations sont pertinentes lorsqu'il est question du travail qu'effectue le Comité en ce qui concerne la Chine.
Le point de départ du rapport sera connu de tout le monde ici: c'est le fait que le Canada fait face à un nombre grandissant de menaces en raison de la compétition acharnée pour obtenir le pouvoir, y compris, bien entendu, une Chine de plus en plus agressive et une augmentation du terrorisme et de l'extrémisme, sur le plan national ou international, en plus d'être confronté à différents problèmes transnationaux, notamment les changements climatiques et les pandémies. Essentiellement, le message livré par le rapport est que nous ne sommes pas prêts, collectivement, à composer avec le nombre grandissant de menaces auquel fait face le Canada aujourd'hui.
Selon nous, les gouvernements canadiens successifs ont eu tendance à négliger les problèmes de sécurité nationale. Essentiellement, nous l'avons fait parce que nous pouvions le faire. Le Canada est chanceux sur le plan géographique; nous sommes protégés en Amérique du Nord, et nous sommes sous la protection des Américains. Cependant, le point le plus important qui a été souligné dans le rapport est le fait que cet avantage est en train de disparaître. Au fur et à mesure que ces menaces s'intensifient, notre crainte, qui est fondée sur la connaissance collective de notre groupe de travail, lequel compte des centaines d'années d'expérience aux plus hauts échelons du gouvernement, est que le prix que nous devrons payer ne cesse d'augmenter parce que nous ne sommes pas prêts à faire face aux problèmes. Je veux être clair: que la Chine n'est pas la seule menace que nous abordons dans le rapport, mais elle est, bien entendu, une menace importante qui est au cœur du rapport.
Le Comité connaît très bien cet aspect, donc je vais l'aborder rapidement. La Chine menace les intérêts canadiens: elle peut notamment mener des cyberattaques, s'adonner à l'espionnage économique, faire de l'ingérence étrangère, sans compter que sa force militaire gagne en importance dans la région indo-pacifique.
La valeur ajoutée de ce rapport réside dans la prochaine question: que pouvons-nous faire? Parmi les 65 recommandations formulées dans le rapport, un assez grand nombre d'entre elles concernent directement ou indirectement la Chine. Je vais seulement en mentionner quelques-unes plus générales, puis M. Rigby en abordera d'autres, plus précises.
Tout d'abord, j'aimerais en citer une qui est de portée générale au chapitre de notre réponse: il faut que toute la société réagisse aux diverses menaces que pose la Chine. Le milieu du renseignement ne peut pas s'attaquer seul à la plupart des problèmes que je viens de mentionner. Bien entendu, il a un rôle clé à jouer, mais il doit travailler en collaboration avec d'autres partenaires au sein du gouvernement fédéral, comme, entre autres, les ministères à vocation économique ainsi qu'avec les gouvernements provinciaux, les municipalités et le secteur privé — pensez, notamment, à l'espionnage économique —, et la société civile — pensez particulièrement à l'ingérence étrangère et à la diaspora chinoise canadienne. Le Canada doit effectuer un bien meilleur travail sur ce plan, et le gouvernement fédéral doit être apte et disposé à diriger, coordonner et transmettre des renseignements au sujet des menaces et à nous conseiller quant à la façon de composer avec elles.
Parfois, au sein du gouvernement fédéral, on n'est pas en mesure de réagir à une menace en raison d'obstacles au partage des informations entre les organismes de sécurité nationale. Le problème est encore plus important lorsqu'on va au‑delà de la collectivité de la sécurité nationale, et qu'on regarde le reste du gouvernement: je pense aux ministères à vocation économique comme, par exemple ISDE, et au‑delà d'Ottawa, à d'autres ordres de gouvernement, au secteur privé et à la société civile. Cependant, ces autres acteurs ont tous un rôle important à jouer au moment de gérer ces différentes menaces.
La deuxième recommandation que j'aimerais mentionner concerne la transparence. Notre première ligne de défense contre de nombreuses menaces que pose la Chine, et d'autres instances, d'ailleurs, n'est pas toujours le SCRS, la GRC ou l'ASFC. Dans de nombreux cas, ce l'est. Dans d'autres, c'est la résistance sociale, comme par exemple, lorsqu'il est question de lutter contre l'espionnage économique et l'ingérence étrangère. Dans la plupart des cas, la cible de ces menaces n'est pas le gouvernement fédéral lui-même. Beaucoup de facteurs jouent un rôle au moment de renforcer la résistance sociale. Nous pourrions avoir une autre discussion complètement distincte à ce sujet, mais l'un des facteurs tient à la confiance envers le gouvernement, ce qui est un défi dans les démocraties aujourd'hui, non seulement au Canada, mais ailleurs aussi. Il n'existe pas de recette magique pour favoriser la résistance sociale, mais la solution doit passer par une plus grande transparence.
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Merci beaucoup, monsieur le président, et merci de m'avoir invité ce soir. C'est un grand plaisir et un honneur.
Durant ma carrière de 30 ans au sein de la fonction publique, j'ai témoigné de nombreuses fois devant les comités parlementaires à titre de représentant du gouvernement. Comme l'a dit le président, il s'agit de ma première présence à titre de simple citoyen. Je dois dire que je me sens un peu moins stressé que lorsque j'étais représentant du gouvernement, mais je pense que nous allons voir comment se déroulera la prochaine heure. Peut-être que nous finirons par avoir une tout autre conversation.
Une des dernières tâches dont je me suis chargé avant de prendre ma retraite l'année passée en tant que conseiller à la sécurité nationale et au renseignement auprès du a été de prononcer un discours au Centre pour l'innovation dans la gouvernance internationale, le CIGI. Il s'agissait d'une des rares occasions où un conseiller à la sécurité nationale et au renseignement a parlé publiquement de problèmes de sécurité nationale.
Le thème de mon discours était la réponse du Canada, à la lumière d'un environnement mondial en évolution. J'étais d'avis que le monde était à un moment déterminant. On vivait des changements politiques et économiques majeurs et on faisait face à divers défis complexes, nouveaux et anciens, sur le plan de la sécurité nationale.
Au cœur de ce changement se trouvait une compétition géopolitique accrue. Cette compétition a fait pencher la balance du pouvoir international en faveur de la région indo-pacifique, et l'élément clé de cette transformation multipolaire était, bien entendu, la montée de la Chine.
Selon moi, la montée politique, économique, militaire et technologique de Pékin est un des éléments clés du développement international au cours de notre siècle. J'ai laissé entendre que la Chine continuerait d'être une force internationale importante au cours des années à venir, et qu'elle s'affirmerait davantage dans sa région et au-delà.
Elle a étendu son pouvoir et son influence, y compris à l'aide de l’Initiative route et ceinture. Elle a aussi tenté de nuire directement aux États qu'elle percevait comme des compétiteurs, et souvent, comme nous le savons très bien au Canada, au sein du pays lui-même. La Chine a trié parti d'outils économiques, militaires et diplomatiques bien intégrés, et elle s'est adonnée à l'espionnage et au cyberespionnage pour atteindre ses objectifs.
À la lumière de cette analyse, à ce moment‑là, soit juin 2021, j'ai conclu que la République populaire de Chine représentait une menace stratégique clé pour l'Occident et le Canada. Un an et demi plus tard, je ne vois aucune raison de modifier mon évaluation. Effectivement, le rapport de l'Université d'Ottawa, que j'ai coécrit avec M. Juneau, fait ressortir mes propos avec beaucoup d'acuité.
La Chine continue de s'affirmer à l'échelle mondiale, comme nous avons pu le constater lorsqu'elle s'est comportée de façon menaçante envers Taïwan, et a supprimé la démocratie à Hong Kong, et vu la façon dont elle continue de traiter sa minorité ouïghoure. Ses activités se poursuivent au Canada. Le dernier rapport annuel du SCRS mentionne que la Chine est active dans les domaines de l'ingérence étrangère, de l'espionnage et des cybermenaces.
Dans son discours prononcé la semaine dernière à la Brookings Institution, la a mentionné que la Chine était un des pays dictateurs du monde qui obéissent à des principes complètement différents des nôtres. Elle a mis l'accent sur la sécurité économique, affirmant que la Chine utilisait habilement et intentionnellement ses liens économiques avec nous pour atteindre ses objectifs géopolitiques.
Collectivement, ces types d'activités minent nos institutions démocratiques, nos droits fondamentaux et nos libertés, ainsi que notre cohésion sociale et notre prospérité à long terme.
Si nous admettons qu'une telle menace plane au‑dessus de notre tête, quelle devrait être la réponse du Canada? Je m'appuierai sur le rapport de l'Université d'Ottawa et les commentaires formulés plus tôt par M. Juneau pour formuler quelques suggestions rapides avant de passer aux questions.
Premièrement, nous devons concevoir une nouvelle stratégie en matière de sécurité nationale qui intègre tous les atouts du gouvernement, depuis les services de renseignement jusqu'au ministère de la Défense en passant par la diplomatie et le développement international, de façon cohérente afin de lutter contre les menaces à la sécurité nationale du XXIe siècle, y compris les acteurs étatiques. Nous n'avons pas eu une telle stratégie depuis 2004, il y a presque 20 ans. Lorsqu'il est question du Groupe des cinq, nous détonnons à cet égard. Le Groupe publie régulièrement de tels documents, et je suis sûr que vous savez tous que les États-Unis ont publié leur stratégie en matière de sécurité nationale la semaine dernière.
Deuxièmement, dans le cadre de cette stratégie, nous devons disposer d'un plan précis pour contrer les activités des acteurs étatiques hostiles; cela inclut non seulement la Chine, mais aussi la Russie, l'Iran et d'autres pays. Il faut notamment cerner des mesures précises et des outils pour lutter contre l'espionnage, l'ingérence étrangère, la désinformation, les cybermenaces et les menaces économiques.
Troisièmement, nous devons avoir un plan national et international. La sécurité nationale englobe la sécurité sur le plan national et international. À cet égard, j'ai hâte de voir la stratégie indo-pacifique qui sera mise sur pied bientôt, nous l'espérons, et qui devrait combiner nos outils en matière de politique étrangère, de défense et de développement pour que nous puissions composer avec des menaces dans la région. Selon moi, elle devrait se concentrer sur la Chine.
Enfin, nous devons travailler avec nos partenaires. Sur le plan national, comme l'a mentionné M. Juneau à l'instant, et pour le souligner une nouvelle fois, parce que je pense que c'est très important, cela veut dire d'autres ordres de gouvernement, le secteur privé, les universités et les centres de recherche qui sont menacés par des acteurs étrangers comme jamais auparavant. Il ne s'agit plus d'un pays qui en menace un autre; des citoyens canadiens peuvent être aussi touchés.
Le fait de partager de l'information avec les Canadiens de façon transparente sera primordial pour faire avancer les choses, et, bien entendu, sur le plan international, cela veut dire partager de l'information avec nos amis et nos alliés importants, y compris le Groupe des cinq et le G7. La Chine aime par-dessus tout le fait de diviser pour mieux régner. Nous devons rester unis.
Monsieur le président, nous vivons dans un monde complexe et dynamique dans lequel nous devons trouver des façons de coexister avec des compétiteurs qui ne partagent pas nos valeurs, comme l'a déclaré la . Parmi ces pays, on retrouve la Chine, avec laquelle nous pourrions peut-être nous entendre sur des questions comme les changements climatiques et la gestion des pandémies, mais nous devons le faire en étant bien conscient de ce qui se passe, et en admettant clairement son objectif stratégique, et nous devons être prêts à lutter contre ce qui menace nos intérêts et nos valeurs, sur le plan tant national qu'international.
Merci beaucoup, monsieur le président.
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Merci, monsieur le président et mesdames et messieurs les membres du Comité, de m'avoir invité à prendre la parole devant vous aujourd'hui sur un sujet aussi essentiel pour les intérêts du Canada.
Je vais être franc. Le temps n'est pas de notre côté — évidemment, je parle non seulement des cinq minutes, mais du sujet en soi.
De plus en plus, l'ordre international fondé sur des règles semble ne tenir qu'à un fil. Les grands États disposant d'armes nucléaires, comme la Russie et la Chine, continuent de faire pression sur leurs voisins — bien que de différentes manières — afin d'atteindre leurs intérêts maximalistes. Parallèlement, de plus petits pays, tels que la Corée du Nord, continuent de perfectionner leurs armes en vue de prendre les pays de la région, comme le Japon et la Corée du Sud, vulnérables au chantage nucléaire, et ce, souvent avec le soutien tacite et l'appui de Pékin.
Monsieur le président, depuis très longtemps le Canada a adopté une approche tactique plutôt que stratégique à l'égard de sa politique étrangère envers la Chine, en ne pensant qu'à des objectifs à court terme plutôt qu'à long terme. Malheureusement, il a fallu la détention injuste de deux citoyens canadiens, Michael Kovrig et Michael Spavor, pendant près de trois ans pour que les Canadiens réalisent les véritables enjeux des relations avec un acteur de plus en plus autoritaire à Pékin.
Dans ce contexte, il est grand temps que le Canada élabore une stratégie sérieuse, claire et cohérente par rapport à la Chine, qui s'inscrive dans une plus grande stratégie indo-pacifique, comme l'ont mentionné mes collègues.
Quant à savoir la forme que cela pourrait prendre, le Canada doit d'abord finaliser et mettre en œuvre une stratégie indépendante fondée sur les intérêts pour la région indo-pacifique qui mobilise ses partenaires régionaux. Des pays comme le Japon, l'Australie, l'Inde et la Corée du Sud sont tous importants d'une manière ou d'une autre, tout comme la collaboration avec Taïwan. Le Canada devrait également chercher à renforcer son engagement avec une vigueur renouvelée et en se concentrant sur des relations solides et exhaustives avec l'Asie du Sud-Est, avec des pays comme l'Indonésie, les Philippines et le Vietnam. Si nous renforçons ces liens commerciaux, augmentons la sécurité de notre coopération et améliorons nos liens diplomatiques, nous pouvons contrebalancer de manière importante certains des problèmes que pose la Chine, qui remet de plus en plus en question l'ordre fondé sur des règles.
Par ailleurs, les organisations multilatérales et les accords commerciaux, comme l'Association des Nations de l'Asie du Sud-Est et le PTPGP, de même que d'autres mini-alignements latéraux spéciaux, offrent tous des points d'ancrage potentiels pour une approche renouvelée face à cette région.
Permettez-moi d'être clair: la stratégie indo-pacifique qui est en train d'être élaborée ne devrait pas laisser de côté ni diluer les défis que pose la Chine, ni être monopolisée par Pékin ou avoir une fixation à son égard. Une approche réellement éclairée face à Pékin et aux risques qu'il représente, tant pour nos voisins que, plus globalement, pour l'ordre fondé sur des règles, doit être un élément fondamental de toute stratégie dans cette région.
À l'égard de la Chine elle-même, le Canada doit être bien plus fort et clair en ce qui concerne les questions des droits de la personne. Cela suppose de dénoncer clairement et constamment le comportement scandaleux de la Chine envers les Ouïghours au Xinjiang, les Tibétains et les autres minorités religieuses, ainsi que de dénoncer les violations flagrantes et croissantes de la Chine par rapport à la déclaration conjointe sino-britannique concernant Hong Kong. Dans tous les cas, nous devrions utiliser notre capacité d'appliquer les sanctions Magnitsky contre les auteurs connus de violations des droits de la personne. Nous devrions explorer les moyens de procurer un meilleur refuge et de faciliter la réinstallation aux personnes risquant l'emprisonnement politique.
Toutefois, nous devons aussi examiner les autres difficultés. Le désir de la Chine de dominer la chaîne d'approvisionnement en matériaux critiques et en matières premières, par exemple, est un enjeu à long terme ayant des conséquences sérieuses sur la sécurité nationale que le Canada doit aborder en tandem avec ses partenaires de la région.
En même temps, les vives tensions et les actes de provocation qui menacent la stabilité de Taïwan sont simplement les dernières en date d'une longue liste de préoccupations concernant la position militaire accrue de Pékin dans la région. En fait, la stabilité du détroit de Taïwan est directement liée aux autres mesures prises par la Chine pour s'affirmer dans le domaine maritime.
Bien franchement, la région indo-pacifique fait face à une multitude de défis conjoints en matière de sécurité, allant de la piraterie maritime à de vifs conflits territoriaux en passant par la criminalité. Dans ce vaste espace maritime qui s'étend de l'Afrique de l'Est aux chaînes d'îles du Pacifique, les fondements du commerce et de la sécurité au sein de la région sont assurés par la liberté de naviguer et la sécurité des lignes de communication maritime, pourtant cet ordre des choses est grandement menacé, et c'est la Chine qui fait planer ces menaces.
Par exemple, dans la mer de Chine méridionale, Pékin continue de recourir à la tactique du salami pour assurer son contrôle de fait sur une grande partie de cette voie navigable clé. Pendant ce temps, Pékin continue aussi de soulever des préoccupations régionales par ses incursions constantes dans l'espace aérien maritime autour des îles Senkaku du Japon dans la mer de Chine orientale.
Enfin, le Canada a besoin de diversifier son commerce en s'éloignant de la Chine pour se rapprocher de ses partenaires dans la région, en étant conscient des risques associés à une dépendance excessive envers l'économie chinoise. Cela devrait comprendre la création d'un mécanisme permettant spécifiquement aux démocraties de se soutenir mutuellement lorsque des pays tels que la Chine utilisent des pressions économiques afin d'atteindre leurs buts. Une telle action enverrait un message puissant selon lequel le fait de cibler le commerce à des fins politiques — comme l'a fait la Chine avec les exportations de canola, de bétail et de porcs du Canada — ne mènera à rien.
Fait plus important encore, et en conclusion, notre relation avec la Chine doit être mise en contexte dans la vaste région indo-pacifique. Nous devons envisager les liens bilatéraux avec Pékin non pas comme une relation exceptionnelle, mais plutôt comme une relation importante parmi tant d'autres dans une région diversifiée. Le Canada doit rééquilibrer de toute urgence sa relation avec la Chine et s'assurer que cette relation sert ses intérêts au chapitre de la sécurité nationale et de manière tout aussi importante, sa relation avec ses partenaires.
Je vous remercie, monsieur le président.
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Merci, monsieur le président, et je remercie nos témoins de comparaître.
J'ai été frappé par vos remarques préliminaires concernant la nécessité de travailler plus étroitement avec les alliés et les partenaires, non seulement dans la région indo-pacifique, mais dans le monde entier. J'ai été surpris, comme beaucoup de gens l'ont été, par la conférence de presse du 7 juillet. Il s'agissait d'une conférence de presse conjointe — sans précédent, me semble‑t‑il — réunissant le directeur du FBI, Christopher Wray, et le dirigeant du MI5 au quartier général du MI5, Thames House, à Londres, l'été dernier. Christopher Wray et Ken McCallum, le directeur général du MI5, ont donné une conférence de presse sans précédent, déclarant que la Chine présentait la plus grande menace, non seulement à l'endroit du Royaume-Uni et des États-Unis, mais également pour les alliés en Europe et ailleurs.
Ils ont aussi fait savoir que le gouvernement à Pékin s'est ingéré à coup sûr dans les élections du Congrès dans l'État de New York cette année. Je crois que de nombreux Canadiens ont conclu que Pékin a aussi influencé les dernières élections fédérales. Par conséquent, vos commentaires semblent véridiques.
Ma première question est très simple: avez-vous la moindre indication selon laquelle le BCP, d'autres organismes centraux ou ministères responsables envisagent de nouvelles stratégies de sécurité nationale pour le Canada, étant donné que nous n'en avons pas depuis 2004? Y a‑t‑il la moindre indication que le gouvernement se penche sur cette idée de présenter une nouvelle stratégie de sécurité nationale parallèlement à la stratégie indo-pacifique?
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Il y a beaucoup de choses. Je vais essayer de reprendre au moins certains aspects. Même si tout ce que nous avons vu au début au sujet de la Chine est absolument valable, lorsque je pense à l'ordre des menaces auxquelles le Canada est confronté, ou pourrait l'être, la première est, d'une certaine façon, celle des États-Unis. Quand je dis « d'une certaine façon », je veux dire en fonction de certains scénarios, qui ne sont en aucun cas garantis, où la situation dégénérerait aux États-Unis. Cela peut constituer une plus grande menace pour le Canada, en raison de notre dépendance massive envers les États-Unis.
Le scénario de la guerre civile, je pense, est très improbable, mais les scénarios d'élections contestées, d'une plus grande imprévisibilité dans leur politique étrangère, d'un plus grand unilatéralisme, d'un retrait de l'OTAN et d'autres organisations et de l'échange de renseignements au sein du Groupe des cinq, sont potentiellement très inquiétants.
Le problème auquel nous sommes confrontés, c'est que nous n'avons pas d'autres options. Cela fait 50 ans que l'on dit que nous avons besoin d'une troisième voie et que nous devons diversifier nos relations commerciales et autres. En raison de la géographie, nous ne serons jamais en mesure de le faire complètement.
Si vous ajoutez la dimension chinoise, ce que cela signifie pour moi, c'est que le Canada doit faire des efforts importants pour diversifier ses relations, y compris avec les démocraties en Asie de l'Est, la Corée du Sud, l'Inde et le Japon. Nous avons vu un nouvel accord d'échange de renseignements avec le Japon annoncé la semaine dernière. C'est une excellente chose. C'est ce que nous devons faire davantage pour lier ces deux questions, mais c'est difficile. Ce n'est pas facile, parce que culturellement, nous sommes très concentrés sur les États-Unis.
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Je peux peut-être répondre à cette question. Je veux cependant faire une remarque sur la polarisation aux États-Unis. Il y a les répercussions potentielles sur les relations canado-américaines, la vieille rengaine selon laquelle lorsque les États-Unis éternuent, le Canada s'enrhume. S'il y a une instabilité extrême au sud de la frontière en ce qui concerne le recul de la démocratie, il y aura des répercussions.
L'autre préoccupation, cependant, c'est que si les États-Unis sont en proie à l'instabilité — et le scénario de la guerre civile, encore une fois, je dirais qu'il s'agit d'un « cygne noir » et d'un scénario lointain — cela aura une incidence sur la politique étrangère des États-Unis et la capacité des États-Unis de fonctionner à l'échelle mondiale. Faire face à la menace chinoise et à toute autre menace sera potentiellement compromis, car ils seront très repliés sur eux-mêmes. C'est l'une de mes préoccupations.
En ce qui concerne la polarisation au Canada, M. Juneau et moi travaillons en ce moment même sur un document portant sur l'extrémisme violent intérieur. Nous considérons qu'il s'agit d'une nouvelle menace. Une grande partie de cette question est abordée dans les discussions sur le convoi, etc.
L'une de mes préoccupations à l'égard de la Chine concerne les ressources, pour être tout à fait honnête, car nos agences de renseignement et de sécurité nationale qui traitent de l'extrémisme violent intérieur... Le directeur du SCRS vous dira qu'il s'agit d'une nouvelle menace et de quelque chose à quoi nous devons accorder beaucoup plus d'attention, mais nos ressources sont limitées.
Encore une fois, c'est un peu comme ce que je disais à propos des États-Unis. Si, soudainement, l'extrémisme violent intérieur devient la priorité numéro un de nos agences de sécurité nationale, comment allons-nous fonctionner à l'échelle mondiale et faire face à la menace chinoise?
Il y a beaucoup d'autres dimensions à cela, et je n'ai pas le temps de les aborder, mais les ressources limitées dont nous disposons pour faire face à l'éventail des menaces actuelles seraient un élément qui me sauterait aux yeux.
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Merci beaucoup de votre question.
J'aimerais préciser que M. Juneau‑Katsuya et moi ne sommes pas parents. Nous ne nous sommes même jamais rencontrés.
Vous avez bien raison de souligner ce problème. Nous en parlons d'ailleurs beaucoup dans le rapport que nous avons publié avec l'Université d'Ottawa plus tôt cette année. La question du partage de renseignements est extrêmement complexe. Il est sûr qu'il est facile pour des gens de l'extérieur de dire qu'il faut partager plus d'informations, mais, en pratique, ce n'est pas évident.
Certaines lois existent pour de bonnes raisons. Dans une démocratie, il faut un certain contrôle sur ce partage pour assurer le respect de la vie privée et la protection des sources, entre autres. Cela dit, même en considérant toutes les restrictions qui doivent rester en place dans une démocratie, on peut arriver à la conclusion que le Canada ne fait pas du bon boulot pour le partage d'informations. Les raisons en sont culturelles, institutionnelles et, dans certains cas, technologiques, puisque les systèmes informatiques ne sont pas nécessairement compatibles.
Au bout du compte, en ce qui concerne une stratégie pour la région indo-pacifique, notre rapport affirme qu'il faut déployer de sérieux efforts pour régler le problème structurel de partage de l'information et celui des ressources humaines, qui occupe une place importante dans notre rapport même si nous n'en avons pas parlé tantôt. Sinon, notre capacité de contrer des menaces reliées à l'espionnage sera limitée.
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Je peux peut-être aborder cette question.
Nous avions toute une section sur la gouvernance dans le rapport et nous avons formulé quelques recommandations. La première était de créer un comité du Cabinet sur la sécurité nationale qui serait présidé par le premier ministre. Encore une fois, nous sommes un peu en décalage par rapport à nos alliés du Groupe des cinq et même du G7. Nous sommes le seul pays à ne pas avoir ce type de comité présidé par le premier ministre.
Nous aimerions penser que si ce comité était créé et que ses membres se réunissaient de façon périodique, le premier ministre et les principaux ministres du Cabinet chargés de la sécurité nationale et de la sécurité publique recevant régulièrement des mémoires et traitant des divers problèmes toutes les deux ou trois semaines, cela contribuerait à régler certains des problèmes liés à l'échange d'information. Vous auriez un vecteur naturel, un endroit où tous ces renseignements finiraient par atterrir sur le bureau du premier ministre et des principaux ministres. Avoir ce type de zone cible serait utile à certains égards.
Encore une fois, d'un point de vue plus stratégique, cela sera également très utile. Nous trouvons que le gouvernement a tendance à réagir de façon un peu trop ponctuelle et réactive aux questions de sécurité nationale de nos jours. Le Groupe d'intervention en cas d'incident est formidable, mais il est réactif. Il ne pense pas à long terme.
L'autre recommandation que nous présentons est de créer une fonction de renseignement au centre du BCP. Nous avons actuellement un groupe appelé le Bureau de l'évaluation internationale. Nous recommandons de prendre le CIEM, le Centre intégré d'évaluation du terrorisme, et de le consolider avec le BEI au BCP. Ce serait presque une sorte de mini-directeur du renseignement national, comme nous en avons aux États-Unis.
Je ne veux pas pousser la comparaison trop loin, mais il s'agirait d'un organe de coordination. Nous n'avons pas une grande communauté du renseignement. Nous ne devrions pas avoir ces problèmes. Il s'agirait d'un entonnoir permettant de rassembler tous les renseignements et de s'assurer qu'ils sont acheminés aux bons endroits et qu'ils sont en fin de compte acheminés vers ce comité et au premier ministre, savoir la personne clé qui a besoin de ces renseignements pour prendre des décisions éclairées.
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Je répondrais oui, absolument, mais avec un énorme « mais ». C'est quelque chose que nous avons vu clairement dans le débat sur les sanctions contre l'Iran au cours des deux dernières semaines.
Notre capacité de surveiller et d'appliquer les sanctions dans ce pays est énormément sollicitée, et le Canada a la réputation, parmi ses alliés — ainsi que parmi les méchants — de ne pas être doué pour appliquer des sanctions. Nous les déclarons et nous n'en assurons pas le suivi. À un moment donné, c'est dommageable, car cela signale aux méchants que lorsque nous imposons des sanctions, nous n'y donnons pas suite et ne les appliquons pas.
La réponse est oui, mais il est absolument nécessaire d'augmenter de façon importante les ressources de notre capacité en matière de sanctions, au ministère des Affaires mondiales, au SCRS, à la GRC, à l'ASFC et ailleurs. Les 76 millions de dollars que le gouvernement a annoncés la semaine dernière constituent un bon premier pas, mais ce n'est vraiment pas suffisant. Nous n'avons pas beaucoup de détails, mais je ne suis même pas sûr que ce soit suffisant pour faire ce qu'il a dit qu'il ferait pour l'Iran, sans parler de la Russie et d'autres pays auxquels nous n'imposons pas pleinement les sanctions que nous avons déclarées. Cela signifie des ressources humaines, mais aussi l'amélioration du processus, y compris en ce qui concerne l'échange de renseignements, mais aussi d'autres aspects.
Il y a un grand écart entre ce que nous disons et ce que nous faisons.