NDVA Réunion de comité
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STANDING COMMITTEE ON NATIONAL DEFENCE AND VETERANS AFFAIRS
COMITÉ PERMANENT DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES ANCIENS COMBATTANTS
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le jeudi 11 mai 2000
Le président (M. Pat O'Brien (London—Fanshawe, Lib.)): Je déclare ouverte la séance du Comité permanent de la défense nationale et des anciens combattants qui poursuit ses séances au sujet de la Révolution dans les affaires militaires (RAM). Pour nous aider à examiner cette question, nous sommes heureux d'accueillir aujourd'hui M. John Leggat, sous-ministre adjoint, Sciences et technologie, ministère de la Défense nationale, et M. Ingar Olav Moen, directeur des Sciences et de la Technologie (Politique), R-D pour la Défense Canada.
Je vous remercie messieurs d'être des nôtres. Bienvenue. Qui commencera? Monsieur Leggat.
M. John Leggat (sous-ministre adjoint, Sciences et technologie, ministère de la Défense nationale): J'ai un bref exposé d'une vingtaine de minutes, monsieur O'Brien, simplement pour que nous soyons tous sur la même longueur d'onde à ce sujet, si vous voulez.
[Français]
Je vais livrer ma présentation en anglais parce que je n'ai pas eu la possibilité de préparer un texte. Je serai tout disposé à répondre à vos questions dans la langue officielle de votre choix. Il m'est plus facile de m'exprimer en anglais lorsque je parle de questions techniques. De plus, mon débit est plus rapide dans cette langue.
[Traduction]
Le sujet est la Révolution dans les affaires militaires. Je pense que d'autres ont déjà présenté ce sujet au comité de différentes façons ces derniers temps. La définition vous est présentée ici. Essentiellement, il s'agit d'un changement important dans la nature de la conduite de la guerre, un changement qui provient de l'utilisation novatrice des nouvelles technologies. Je pense que l'essentiel ici est que ce changement modifie de manière fondamentale la conduite des opérations militaires.
Sur la diapositive suivante, je parle brièvement de nos révolutions passées dans les affaires militaires. Nous voyons ainsi en quoi consistent les révolutions dans les affaires militaires. Je pense que c'est assez important. Certains ont dit que des choses comme l'avènement de l'arc traditionnel ou de la mitraillette ou encore des opérations aéronavales représentaient une révolution dans les affaires militaires. Je dirais qu'il s'agissait plutôt d'éléments de révolutions déjà en cours à ce moment-là.
• 0905
Si nous jetons un coup d'oeil sur quatre événements
significatifs en termes d'opérations militaires, il y a d'abord la
création de la société moderne au XVIIe siècle et ses répercussions
majeures sur la façon dont on conduisait les opérations militaires
et la guerre. À cette époque, les forces armées ont dû adopter
littéralement les aspirations et les priorités de l'État.
Auparavant, on pouvait dire que les forces armées fonctionnaient
d'une façon plus ou moins indépendante, dans un style quelque peu
anarchique.
La Suède est le pays qui a vraiment exploité ce concept et elle a donc pu exercer une domination militaire considérable en Europe pendant une certaine période.
Avec l'avènement de la Révolution française, nous avons vu essentiellement la canalisation de l'esprit national comme moyen de soutenir les opérations militaires ainsi que les aspirations militaires. C'est arrivé à peu près en même temps que la révolution industrielle, qui a peut-être constitué le premier grand événement significatif en ce qui concerne l'application générale de la technologie aux opérations militaires.
Ensuite, nous passons à la Première Guerre mondiale, où la technologie qui était disponible en raison de la révolution industrielle a encore une fois permis aux planificateurs militaires ainsi qu'à ceux qui exécutent les plans opérationnels de travailler pour la première fois dans un contexte conjoint ou combiné, de sorte que le principe de la synchronisation des efforts sur le champ de bataille a pu se concrétiser pour la première fois d'une manière efficace.
On a dit que les commandants militaires qui étaient responsables des bataillons et régiments au début de la Première Guerre mondiale n'auraient pas compris les changements survenus pendant cette période de quatre ans, dans la mesure où les commandants militaires en poste à la fin de la guerre appliquaient des concepts opérationnels entièrement différents. Le Canada a même été l'un des chefs de file dans ce domaine. On connaît bien sir Arthur Currie et ses contributions aux concepts opérationnels et à l'application de la technologie aux opérations militaires.
Avant de passer à la diapositive suivante, je tiens à dire que les révolutions dans les affaires militaires ne viennent pas nécessairement du secteur militaire uniquement. Elles sont influencées dans une grande mesure par ce qui se passe dans la société en général. La Révolution française n'a pas été conçue par les militaires. La révolution industrielle n'a certainement pas été le fait des militaires. Et bien que la Première Guerre mondiale ait été menée par les militaires, il y avait plusieurs aspects sociaux entourant la Première Guerre mondiale qui ont eu une influence sur la façon dont on a conduit les opérations au cours de ce conflit. En effet, de tels principes sont appliqués encore de nos jours.
Pourquoi vivons-nous une révolution dans les affaires militaires actuellement? Il y a un certain nombre de principes qui entrent en jeu, à mon avis. Le premier est la globalisation. Je ne pense pas devoir parler trop longuement de cette question. Son incidence est généralisée. La révolution de l'information, qui s'est vraiment confirmée au cours de la dernière décennie, c'est-à-dire au cours des années 90, en est un exemple.
Je peux vous raconter des histoires sur ce qui s'est passé dans nos laboratoires de R-D de la Défense nationale. Lorsque nous avons amélioré nos ordinateurs au milieu des années 80, nous avons payé 1 000 $ par kilo-octet d'espace disque. Lorsque nous avons apporté ces améliorations, nous avons acheté un disque de 50 kilo-octets, et il avait à peu près la taille d'un petit réfrigérateur. Nous pensions que c'était merveilleux parce que nous n'arriverions jamais à le remplir. Et maintenant nous avons des giga-octets d'espace disque dans un appareil qu'on peut mettre dans un porte-documents. Les téléphones cellulaires, Internet, et tout le reste—il y a eu une explosion énorme dans la technologie de l'information, ce qui a une incidence sur la façon dont nous conduisons les opérations militaires.
L'existence d'une unique superpuissance—je pense que nous en avons vu les conséquences au cours de la dernière décennie, soit depuis la fin de la Guerre froide. Les États-Unis sont devenus, avec réticence si vous voulez, le gardien de la paix à l'échelle mondiale. Pendant cette décennie, ce pays a vivement recherché, à mon avis, des gens avec qui il pourrait partager le fardeau du maintien de la stabilité dans le monde.
Je veux parler des échos de la guerre du Vietnam. Ce sont vraiment nos enfants qui en sont les échos. Le Canada n'a pas participé à la guerre du Vietnam, mais le pays qui est notre voisin du sud l'a certainement fait, et les gens de mon âge aux États-Unis voient la guerre dans la perspective de leur longue participation à celle du Vietnam. Lorsque nous parlons de victimes et de la façon dont la guerre s'est déroulée, on est fermement d'avis aux États-Unis qu'une telle chose ne se reproduira pas. Cela influence réellement la façon dont les opérations militaires sont dirigées et la façon dont les armées, si vous voulez, sont déployées actuellement aux États-Unis, et cela s'applique également à l'OTAN.
Par conséquent, on ne tolère pas la perte de nos propres militaires. Il suffit de penser à l'incident qui s'est produit en Somalie, où un marine américain a été traîné dans les rues, ce qui a eu des répercussions aux États-Unis, en particulier dans les mesures prises par la suite.
• 0910
Il y a également les facteurs budgétaires. Les budgets
militaires ont baissé considérablement depuis 1990 et nous essayons
tous de parvenir à exécuter nos missions militaires efficacement,
mais à un coût moindre. Le Canada n'a certainement pas fait
beaucoup d'efforts afin de pouvoir maintenir une capacité militaire
efficace dans un régime de compressions budgétaires assez
importantes.
La question des dommages collatéraux est survenue au Kosovo—le bombardement de l'ambassade de Chine, par exemple—ainsi que dans le golfe Persique, lorsque le noyau de communications a été bombardé alors qu'il y avait beaucoup de civils dans cette installation souterraine. La notion de dommages collatéraux fait entrer en jeu des principes comme les munitions de précision et la capacité de comprendre exactement où sont les cibles et de les éliminer d'une façon efficace.
Le dernier élément est l'apparition de nouvelles menaces. Nous les appelons les menaces asymétriques. En raison des progrès de la technologie, des pays plus petits peuvent causer des dommages importants ou proférer des menaces contre un plus grand pays en appliquant simplement la technologie de façon innovatrice. Nous devons envisager par exemple une guerre de l'information ou des opérations contre les systèmes d'information, la possibilité qu'on utilise des agents chimiques et biologiques dans une opération de type terroriste, et peut-être même l'avènement futur d'un missile balistique ou d'un missile de croisière bon marché.
Le président: J'ai une question de nature technique. Est-il juste de dire que l'expression «dommages collatéraux» est peut-être un euphémisme pour parler de victimes civiles, ou est-ce qu'il y a plus encore?
M. John Leggat: Je pense que cela pourrait être un euphémisme pour parler des victimes civiles. Je me demande seulement si l'expression inclut tout. Elle en inclut certainement une partie importante. Il s'agit essentiellement de s'assurer qu'on détruit la cible visée sans faire autre chose par inadvertance. Il s'agit de toute cette question de la non-linéarité, dans les opérations militaires à l'heure actuelle, à cause des réactions des médias et des reportages qu'on y fait. Si l'on détruit par inadvertance une infrastructure civile qui n'a aucune valeur militaire, cela risque peut-être de nuire aux aspirations d'un pays en termes de perspectives globales.
Au sujet de l'armée émergente, je peux vous donner un bref historique pour expliquer son origine. Au cours du conflit entre Israël et la Syrie au début des années 80, il y a eu une bataille appelée la bataille de la vallée du Bakka. C'était en réalité une bataille aérienne. Elle a commencé lorsque les Syriens ont répondu à un vol de reconnaissance des Israéliens, mais en fin de compte, elle est devenue la plus grande bataille aérienne depuis la Seconde Guerre mondiale. Elle opposait les Mig syriens aux F-16 israéliens. Quand la bataille s'est terminée, les Israéliens avaient descendu plus de 70 Mig syriens au moyen de missiles Phoenix.
Cet événement a fait une grande impression, du point de vue de l'équilibre dans la Guerre froide et de la façon dont les gens voyaient la technologie, car on s'est rendu compte que l'un des combattants pouvait détenir un avantage aussi considérable et gagner une bataille importante grâce à un élément de technologie, soit des F-16 munis du missile Phoenix.
Peu après, on a vu un effort concerté aux États-Unis, principalement de la part du président Reagan, pour consacrer tellement d'argent à la Guerre froide que l'Union soviétique ne puisse plus tenir le coup. Il s'en est suivi un renforcement sur le plan militaire pendant les années 80, avec des investissements énormes dans la technologie non seulement aux États-Unis mais aussi au Canada et dans les autres pays de l'OTAN. À la fin de la décennie, une quantité incroyable de technologies était disponible pour la conduite des opérations militaires. La plus grande partie de cette technologie n'avait pas été éprouvée sur le terrain.
Au cours des années 80, un général russe du nom d'Orgarkov a postulé qu'il y avait une révolution technique en cours dans le secteur militaire. Nous avons vu des preuves de cette révolution technique dans la guerre du Golfe, où l'on a vu la prépondérance de cette technologie confirmée pendant cette guerre au début des années 90.
Pendant cette décennie, nous avons vu tous ces systèmes et systèmes de systèmes. Comment pouvions-nous relier nos divers systèmes militaires de manière à pouvoir essentiellement mener une opération militaire à partir de systèmes totaux? Ensuite, il y a eu la numérisation du champ de bataille, dont nous avons été témoins plus récemment dans les Balkans et le conflit au Kosovo, où il y a eu une grande intégration des éléments air, mer, terre et espace, tous conjugués pour accomplir une mission militaire. Des éléments comme la reconnaissance, le tir de précision, la logistique et l'interopérabilité entrent tous en jeu et sont favorisés par la technologie.
• 0915
Jetons maintenant un coup d'oeil à certaines des principales
caractéristiques de la Révolution dans les affaires militaires:
l'espace de combat unique, autrement dit l'atténuation des
distinctions entre les forces navales, terrestres et aériennes, car
on considère le théâtre des opérations en entier du point de vue de
l'utilisation des ressources disponibles de la manière la plus
efficace possible; les opérations interarmées, c'est-à-dire que les
forces navales, terrestres et aériennes travaillent en très étroite
collaboration, échangeant des informations, partageant des plans
d'opérations ou les élaborant ensemble; la prépondérance des
communications et des technologies de l'information entre les
centres de commandement en Europe et en Amérique du Nord, par
exemple, et le secteur des opérations, en l'occurrence le Kosovo;
nous avons parlé des opérations de précision; et enfin un degré
élevé de diversité organisationnelle.
Je pense que le Canada a fait preuve de beaucoup d'innovation à cet égard. Nous envoyons des organisations de taille différente participer à des opérations différentes. Nous mélangeons les éléments des forces navales, terrestres et aériennes. Nous organisons donc nos forces armées de manière à répondre aux besoins spécifiques des opérations.
À cette fin, il faut vraiment bien comprendre dès le départ en quoi pourraient consister les menaces potentielles au cours de l'opération en question, et il faut aussi comprendre qu'il est très important d'avoir un degré élevé d'accès à l'information que nous recueillons nous-mêmes, mais aussi à celle que recueillent nos alliés.
L'aspect humain est vraiment très important. Étant donné la prépondérance de la technologie, il est possible qu'on retire l'élément humain de la boucle de commandement et nous pourrions ainsi nous retrouver dans une situation où, à cause de la technologie, les humains n'ont plus à rendre de comptes.
Dans les opérations militaires, le principe du commandement est très important et il est très important que la technologie aide vraiment l'humain dans ses fonctions de commandement et ne lui nuisent pas, soit en lui fournissant trop d'information au point de l'embrouiller, soit en se substituant au commandant qui assume la responsabilité d'une opération particulière.
Il y a le concept des opérations simultanées, de la synchronisation non seulement en termes d'opérations militaires, mais aussi d'autres éléments qui entrent en ligne de compte.
Par exemple, au XIXe siècle, Clausewitz a énoncé le principe de la concentration des masses dans la doctrine militaire. Au XXe siècle, nous avons vu la concentration de la puissance de feu. Au XXIe siècle, je crois que nous verrons la concentration et la synchronisation des effets.
C'est ainsi que pour connaître vraiment le succès dans les opérations militaires, il deviendra nécessaire d'assurer une synchronisation très poussée de tous les éléments politiques, militaires et autres qui entrent en ligne de compte dans une opération donnée. Je pense que c'était particulièrement vrai au Kosovo où, pour appuyer les opérations militaires, l'OTAN diffusait un fléau ininterrompu d'information qui appuyait l'objectif précis de cette opération.
La transmission de l'information aux commandants presque en temps réel signifie essentiellement que les commandants sont capables d'obtenir de l'information à partir de divers capteurs, que ce soit des satellites ou des stations terrestres, quasiment en temps réel, ce qui leur permet de savoir constamment ce qui se passe dans le théâtre des opérations et de pouvoir ainsi comprendre ce qui va se passer ensuite et de réagir correctement.
Les menaces asymétriques sont une autre caractéristique de cette RAM, c'est-à-dire que la technologie permet à des pays qui n'ont pas vraiment une grande capacité militaire de menacer des pays plus puissants ou même des alliances imposantes.
La diapositive suivante présente une vision de la RAM, où l'on peut voir la convergence, si l'on peut dire, de la force de précision et de la connaissance de l'espace de bataille. Le cercle C4I signifie commandement, contrôle, communications, ordinateurs (computers) et information, c'est-à-dire tout le dispositif informatique, y compris la technologie de l'information, et l'on voit un autre cercle qui chevauche les deux autres et qui représente le renforcement de la connaissance de l'espace de bataille, l'évaluation de ce qui se passe dans les combats, et le perfectionnement des missions confiées aux combattants, afin que nous puissions essentiellement tailler sur mesure les ressources voulues en fonction des missions précises. Cela donne une bonne idée de ce que représente l'armée contemporaine.
• 0920
Je dirais que la RAM à laquelle nous assistons aujourd'hui,
comme celles qui ont eu lieu dans le passé, est dictée par ce qui
se passe dans la société. Notre société devient de plus en plus
axée sur l'information et dépendante de l'information et l'on peut
s'attendre à ce que les forces militaires suivent le mouvement.
Je vais toucher brièvement un mot des menaces asymétriques. Il s'agit ici des armes de destruction massive. À l'heure actuelle, le problème est celui des substances chimiques et biologiques, qui ne sont pas particulièrement bien encadrées dans le monde. Leur présence a été signalée dans divers théâtres d'opération, dont certains théâtres où nous étions présents.
Je dirais que les armes nucléaires ne sont pas une source de vive préoccupation à l'heure actuelle, mais nous avons quand même constaté une prolifération des armes nucléaires, et les essais nucléaires qui ont eu lieu l'année dernière en Inde et au Pakistan ne nous ont pas tellement réconfortés quant à l'évolution future dans ce secteur.
Pour ce qui est des opérations dans le domaine de l'information, certains d'entre nous ont eu la chance de ne pas recevoir le virus «I love you» la semaine dernière, mais cela donne une assez bonne idée de l'assez grande facilité avec laquelle une personne ou une organisation peut provoquer passablement de perturbations dans un système d'information. Quand il s'agit d'opérations militaires, où il y a une forte dépendance envers les systèmes d'information, il faut aussi un degré très poussé de sécurité afin de protéger ces systèmes contre les menaces de ce genre.
Par ailleurs, quand on examine toute la question de la sécurité nationale, l'aspect sécurité de l'information ne préoccupe pas seulement les militaires. Cela concerne tout l'éventail des questions de sécurité nationale.
Pour ce qui est des attaques contre le «territoire national» ciblant les infrastructures ou la volonté, je pense que cela s'est manifesté avec force aux États-Unis. On en entend beaucoup parler ces jours-ci. Au Canada, le problème ne se pose pas avec autant d'acuité, mais il n'en demeure pas moins que nous partageons l'Amérique du Nord avec notre grand voisin du Sud et ce qui se passe au sud de la frontière a parfois de répercussions chez nous.
Le dernier point concerne la guérilla et les attaques terroristes. Ce problème ne se posera pas nécessairement au Canada, mais nos soldats pourraient se buter contre de telles attaques périodiquement dans le cadre de leurs opérations.
Je voudrais maintenant vous parler du contexte canadien. La diapositive suivante exige quelques explications, mais elle est intéressante à plusieurs égards.
Je vais commencer par la flèche diagonale entre dissuasion et opérations. Cela nous ramène à l'époque de la Guerre froide quand nous avions une solide capacité opérationnelle de type conventionnel, tout en maintenant une forte dissuasion dans le cadre d'une alliance.
La dissuasion comporte deux aspects: le nucléaire et les armes classiques. Comme des gens me le disaient durant les années 80, la raison d'être des Forces canadiennes était à 50 p. 100 de dissuader l'Union soviétique de passer aux actes quant aux éventuelles aspirations qu'elle pouvait avoir en Europe sur le plan des armes classiques.
Cela résume assez bien le modèle dans lequel nous avons vécu pendant probablement 45 ans. C'était un modèle très commode pour faire de la R-D, parce que beaucoup de paramètres qui déterminaient notre action étaient bien connus. Nous savions qui était l'adversaire, si l'on peut dire, et nous avions une assez bonne idée de l'évolution technologique de l'adversaire. Nous pouvions prédire exactement quelle serait la menace à l'avenir et nous élaborions nos programmes de R-D en fonction de ces menaces, afin de donner aux Forces canadiennes la capacité de les contrer en temps voulu.
Voyons maintenant la flèche qui relie les opérations et le soutien de la paix. Pendant cette période, le Canada était un chef de file pour ce qui est d'utiliser sa capacité opérationnelle à l'appui de la paix. Je pourrais dire que nous avons mis au monde le maintien de la paix; nous avons créé ce domaine et en avons établi les principes et les normes et les avons ensuite diffusés dans le monde entier. Mais cela a commencé à étendre le spectre des opérations.
Depuis l'effondrement du mur de Berlin et tout ce qui a suivi, nous avons vu peut-être deux ou trois choses émerger. Premièrement, nous avons vu des fuites technologiques qui se sont échappées de la case dissuasion dans le contexte de la prolifération, ce qui a résulté en ces menaces asymétriques dont on a parlé tout à l'heure. Par conséquent, alors que la technologie qui entourait les armes de destruction de masse et tout le reste était généralement l'apanage des deux superpuissances, en raison d'un certain nombre de changements depuis la chute du mur de Berlin, nous avons vu que la technologie se répand davantage dans le monde entier, donnant naissance à des menaces asymétriques.
• 0925
Cela nous amène à nous demander comment nous nous positionnons
par rapport aux opérations. Il y a un certain nombre de ces
technologies, de menaces auxquelles nous n'aurions peut-être pas
été confrontés dans certains théâtres, mais elles peuvent
maintenant nous menacer.
Par ailleurs, dans le cadre d'opérations comme celle du Kosovo et les opérations de maintien de la paix en général, tout se passe comme si les démocraties occidentales disaient à ceux qui pourraient être tentés de se comporter d'une manière, disons, désagréable, «si vous vous en prenez à vos minorités, si vous attaquez de petits États voisins, alors les démocraties occidentales ne vont pas le tolérer, elles interviendront et passeront à l'action». Chose certaine, c'est le message qu'on semble avoir transmis dans les Balkans. La question est de savoir si ce message est également diffusé dans d'autres régions du monde.
Je pense que le message qu'il faut retenir, c'est que le spectre des opérations potentielles s'est assurément étendu depuis une décennie. Nous savons que le rythme des opérations s'est accru également. Mais aussi, pour être capable de faire tout cela, il faut posséder une solide capacité opérationnelle. Si l'on s'occupe exclusivement de soutien de la paix, on ne sera peut-être pas capable d'assumer les tâches des trois autres cases. C'est pourquoi c'est vraiment important de maintenir une capacité suffisante dans la case inférieure droite, pour pouvoir réagir correctement aux problèmes auxquels notre pays pourrait être confronté à l'avenir.
C'est vraiment le défi qui nous attend, d'après moi, à la suite de la Révolution dans les affaires militaires: comment maintenir des Forces canadiennes capables d'être un partenaire utile et apprécié dans toute opération à laquelle nous pourrions juger bon de participer à l'avenir aux côtés de nos alliés ou dans une coalition?
J'ai déjà évoqué certains de ces défis. Pour l'interopérabilité avec nos alliés, il y a une importante composante technologique. Les Américains foncent à toute vapeur dans le domaine technologique. Ils savent que le reste du monde est incapable de suivre et cela nous pose quelques difficultés. Et à nous aussi d'ailleurs. Comment peuvent-ils éviter de trop creuser l'écart avec leurs alliés, sur le plan technologique?
Pour l'interaction avec le secteur civil, la ligne de démarcation devient floue entre la technologie civile et militaire, mais en même temps, les responsabilités civiles et militaires ont également tendance à se confondre. Quand on parle de toute la question de la protection contre d'éventuelles attaques chimiques ou biologiques au Canada, ce n'est pas une responsabilité militaire, ce n'est pas la responsabilité du ministère de la Défense nationale, mais bien de Santé Canada. Nous devons donc travailler ensemble afin de garantir que l'on exploitera pleinement toutes les facettes de notre capacité technologique, dans la santé, l'informatique, etc. Tout cela ne peut pas être considéré seulement comme des menaces militaires.
La conduite de la guerre axée sur la technologie—je pense que nous en avons suffisamment parlé.
L'évaluation de nouveaux concepts technologiques deviendra vraiment nécessaire à mesure que nous progresserons. Les concepts technologiques comportent deux aspects: il y a la technologie elle-même, et puis il y a les aspects opérationnels. Comment concilier ces deux aspects? Cela nous amène à l'établissement de liens entre technologie, doctrine et concepts opérationnels—tout un défi!
J'ai dit tout à l'heure que ce n'était pas une révolution dans les affaires militaires quand on a commencé à faire décoller des avions à partir de porte-avions. C'est vrai que ce ne l'était pas, mais cela mettait en cause toute cette question des liens entre la technologie, la doctrine et les concepts opérationnels. Il est certain qu'avant la Seconde Guerre mondiale, on n'avait pas vraiment beaucoup réfléchi à cette possibilité d'assurer la supériorité aérienne à partir du pont d'un navire.
Je n'aurais pas voulu être le pilote qui a atterri pour la première fois sur le pont d'un navire. De même, beaucoup de concepts qui apparaissent aujourd'hui comportent un certain risque, des dangers, etc. Nous avons aujourd'hui une technologie qui nous permet de faire cela, par exemple en faisant des simulations.
J'ignore si vous avez eu l'occasion de visiter les installations de CAE à Montréal et de vous installer aux commandes d'un simulateur, mais on peut prendre les commandes d'un hélicoptère simulé, décoller du pont d'un navire, se promener, faire du rase-mottes au-dessus des vagues et quand on arrive pour se poser sur le navire, on sent les rafales de vent et tout le reste. C'est vraiment époustouflant. Nous pouvons donc explorer ces concepts grâce à la simulation, et c'est l'une des voies que nous explorons dans l'organisation de R-D du ministère de la Défense nationale.
• 0930
J'ai parlé de la dimension humaine. La simulation nous permet
également d'intégrer la dimension humaine et de comprendre, sans
avoir besoin de risquer la vie des gens, comment l'être humain
réagira dans un environnement de stress assez intense. Et puis il
y a bien sûr les menaces asymétriques, dont nous avons déjà assez
parlé.
Alors la réponse du ministère, si l'on veut, à tout ce nouvel environnement, c'est la Stratégie de défense 2020. Je n'entrerai pas dans les détails parce que je pense que le comité a déjà eu des séances d'information là-dessus, mais je rappelle seulement que chacun de ces huit objectifs que l'on voit ici comporte des dimensions technologiques et que l'organisation de R-D de la Défense nationale s'affaire activement à explorer les dimensions technologiques de chacun d'eux. Nous avons parlé de la dimension humaine; cela cadre tout à fait avec la capacité des chefs de prendre des décisions. Les partenariats stratégiques, c'est une question clé mettant en cause le partage de notre technologie avec nos alliés et la position que nous défendrons sur la scène internationale pour ce qui est de travailler de concert à l'élaboration de la technologie et de comprendre dans un contexte international comment la technologie influe sur les opérations. Comme on peut le voir, chacun d'eux comporte des aspects techniques assez importants.
Passons maintenant aux défis en matière de science et de technologie. Comment faire face à cette révolution dans les affaires militaires? Comment pouvons-nous prévoir où cela va nous mener? Et comment s'assurer que les Forces canadiennes soient technologiquement prêtes à affronter l'avenir? La révolution de l'information et des connaissances ne va pas se ralentir. Quelqu'un m'a demandé il y a deux ou trois semaines si, à mon avis, nous arrivions à la fin de ce mouvement, et j'ai répondu non, je pense que nous en sommes seulement au début. Les années Internet ne comptent que trois mois. Que va-t-il se passer au cours des dix prochaines années? Je n'en sais rien, cela représente une échéance de 40 années Internet. Et c'est vraiment l'un des grands défis que nous devons relever.
L'interopérabilité pose tout un défi. Il est clair que les États-Unis établissent les normes en matière d'interopérabilité et notre capacité de fonctionner avec nos alliés ou dans le cadre d'une coalition est tout à fait liée à notre capacité de partager l'information et de communiquer, de planifier en collaboration et de mettre en oeuvre concrètement des opérations dans un contexte de collaboration.
Je pense que les deux derniers éléments sont assez clairs.
Nous voyons ici certains aspects techniques qui sont les moteurs de la Révolution dans les affaires militaires et je ne vais pas entrer dans les détails, mais comme vous pouvez le voir, cela couvre le spectre entier, depuis l'ingénierie biomoléculaire jusqu'aux communications à large bande passante et réseaux, en passant par ce que nous appelons la «gestion des connaissances», c'est-à-dire comment créer et stocker les connaissances, si vous voulez, la neuro-intelligence, les systèmes robotiques, la nanotechnologie. En gros, on peut les grouper en trois catégories: les sciences des matériaux, les sciences de l'information, et les sciences de la vie.
Si je vous avais montré un graphique comme celui-ci il y a une vingtaine d'années, on y aurait trouvé des choses comme les explosifs, les agents propulseurs, les avions, les navires, etc. On aurait donc eu des technologies militaires spécialisées. La plupart des technologies que l'on voit ici sont le fruit d'investissements commerciaux ou civils. Il y a 20 ans, nous aurions eu une très bonne compréhension de l'avenir de la technologie, nous savions quelles seraient les prochaines percées et quelles en seraient les répercussions sur les opérations militaires. Aujourd'hui, nous n'avons pas la même compréhension, parce que beaucoup de ces technologies sont mises au point chez Microsoft, chez Newbridge, dans des compagnies de ce genre. Et il n'est pas aussi facile qu'avant de discerner l'avenir de la technologie et ses futures répercussions sur les opérations militaires.
Nous avons reconfiguré le programme de R-D à la Défense nationale. Le 1er avril, nous avons créé une entité ministérielle appelée Recherche et développement de Défense Canada qui regroupe toute la fonction de R-D. Et nous avons essentiellement configuré le programme selon les activités suivantes de R-D de défense. Je n'entrerai pas dans les détails, mais on peut probablement diviser cela en trois domaines clés que nous considérons importants pour l'avenir des opérations militaires. Il y a d'abord les systèmes humains, l'aspect du commandement humain dont j'ai parlé. Les activités de R-D seront utiles à ce chapitre en matière de protection, de médecine, de comportement et de soutien des décisions. Et puis il y a les systèmes de combat.
• 0935
En fin de compte, on a beau parler beaucoup d'informatique,
d'octets et de tout le reste, il n'en demeure pas moins qu'il faut
amener l'obus ou son équivalent jusqu'à la cible; c'est un fait
incontournable des opérations militaires. Il faut avoir la capacité
de le faire ou encore s'assurer que l'adversaire est pas mal
convaincu que vous avez la capacité de le faire, au point de
reculer ou de s'abstenir d'attaquer le moment venu.
Donc, dans le contexte des systèmes de combat, il y a les matériaux, les systèmes d'armement, les plates-formes, toute la question de la signature, les observables, toute la question de la technologie furtive, et puis les armes chimiques et biologiques.
Le cercle le plus grand est celui qui exige les investissements les plus importants, les capteurs et la technologie de l'information, ce qui nous permet de comprendre à l'avance ce qui se passe afin de pouvoir prendre les mesures voulues, d'avoir la compréhension voulue et de graduer la réponse en fonction de la menace perçue.
Le programme est organisé de la façon suivante. Je ne passerai pas beaucoup de temps là-dessus, parce que cela devient quelque peu machinal. Je dirai seulement que nous sous-traitons 50 p. 100 du programme à l'industrie canadienne, qui est un élément important de la R-D de défense au Canada depuis de longues années.
Notre programme couvre tout le spectre, depuis la recherche appliquée jusqu'aux recherches de pointe. On a généralement une image linéaire du spectre technologique: on fait de la recherche, ensuite de la recherche appliquée, ensuite du développement exploratoire, ensuite du développement plus poussé, ensuite la mise au point technique, et enfin on passe à la production. Ce processus linéaire entraîne généralement des cycles d'acquisition très longs. Mais quand on a affaire à la technologie de l'information et à des années Internet de trois mois, il faut trouver de nouveaux moyens de mettre la technologie entre les mains des troupes sur le terrain beaucoup plus rapidement. C'est ce que nous permettent de faire les éléments que vous voyez ici, par exemple la démonstration de technologie; nous élaborons un concept, le mettons en pratique sur le terrain, nous permettons aux responsables de le mettre en pratique et de nous faire parvenir leurs commentaires, on retourne au laboratoire pour recommencer le cycle, et finalement la technologie est insérée dans l'élément opérationnel.
La démonstration de technologie est donc quelque chose de nouveau. Le fonds d'investissement en technologie est tourné vers des technologies très nouvelles qui pourraient être utiles pour répondre aux besoins militaires.
La veille technologique consiste à surveiller tout ce qui se passe dans le secteur civil et à essayer d'anticiper les prochaines percées.
Le programme de recherche industrielle de la Défense est un programme partagé moitié-moitié avec l'industrie, qui nous fait part de ses idées tandis que nous cofinançons la recherche.
Pour rendre tout cela possible, aujourd'hui et à l'avenir, il faudra faire appel davantage à la modélisation et à la simulation, dont j'ai déjà parlé, et à l'élaboration et la mise à l'essai de concepts. En fait, les éléments opérationnels et les éléments scientifiques doivent travailler ensemble pour élaborer de nouveaux concepts et les transformer en réalité concrète utile pour la capacité militaire.
En terminant, je voudrais vous faire part de certaines idées quant à l'avenir des opérations militaires. Premièrement, l'espace de bataille sera de densité variable, non linéaire et plus dispersé. Par non linéaire, je veux dire que certains éléments qui, dans le passé, n'auraient probablement pas eu beaucoup d'importance pour la conduite des opérations militaires pourraient très bien à l'avenir avoir de très profondes répercussions.
Je pense que nous pouvons tous comprendre l'importance de l'information fournie par les médias au public et son influence sur la conscience du public. La moralité et toutes les questions qui en découlent peuvent avoir une incidence énorme sur la conduite des opérations militaires, car l'adversaire ne s'attaque jamais aux points forts, mais toujours aux points faibles et il est susceptible d'exploiter les lacunes à cet égard.
Les progrès technologiques changent la nature des conflits et par conséquent la stratégie et les opérations militaires. Je pense que nous avons parlé de tout cela.
La doctrine, les organisations et les concepts seront dynamiques et itératifs. Cela veut dire que les choses continueront de changer, mais que l'évolution sera progressive et ne se fera pas à coup de nouveaux départs dans des directions complètement différentes. Les opérations militaires sont par nature conservatrices et il y aura donc une évolution et non pas un changement draconien.
• 0940
Nous avons parlé du comportement humain et organisationnel et
de l'importance véritable de veiller à ce que les aspects humains
continuent d'être pris en compte dans tout ce processus.
L'information joue un rôle clé.
Je n'ai pas beaucoup parlé de l'espace. L'espace prendra une importance croissante. Chose certaine, le débat que nous avons pu suivre ces derniers mois montre que la supériorité de l'information et la numérisation constitueront le nouveau terrain dominant.
L'environnement urbain sera le plus exigeant, car on a tendance à mener les opérations plutôt en territoires urbains, qui posent des défis beaucoup plus grands que les territoires non urbains.
Les lacunes dans l'interopérabilité, autrement dit l'écart entre nous et la seule et unique superpuissance, continueront de représenter un défi. Comme je l'ai dit tout à l'heure, c'est un défi non seulement pour nous, mais aussi pour les États-Unis.
La lenteur de la logistique est un problème. Les Américains déploient pas mal d'efforts actuellement pour reconfigurer leur appareil militaire de manière à réduire considérablement l'inertie de la logistique nécessaire pour appuyer les opérations.
Et les menaces asymétriques sont plus probables.
Voici maintenant les implications clés pour le Canada.
Premièrement, nous devons expérimenter. Tout le dossier de la création de concepts et de leur mise à l'essai est très important pour l'avenir des Forces armées canadiennes.
Nous devons établir des engagements avec nos alliés. Au Canada, dans l'ensemble du domaine technologique, nous produisons moins de 5 p. 100 de la technologie mondiale. Le volet militaire en représente probablement moins de 3 p. 100. Si nous voulons bénéficier de la technologie militaire qui existe dans le vaste monde, nous devons aussi multiplier les engagements avec nos alliés. Cela fait certainement partie de notre stratégie.
Quant à nos propres aspirations sur le plan technologique, nous devons cibler nos efforts. Nous devons investir dans des domaines clés, ce que nous appelons des créneaux. Et après avoir décidé quels créneaux nous voulons occuper, nous devons être parmi les meilleurs au monde, car il n'existe pas de nos jours de R-D de deuxième catégorie. Si l'on ne fait pas de la R-D de première classe, on perd ses clients. C'est un gros problème.
La qualité du personnel est importante, non seulement parmi les militaires, mais aussi dans nos laboratoires de recherche. Nous devons pouvoir recruter les meilleurs et les conserver à notre service. Nous ne faisons pas si mal de ce côté-là, mais je dois dire que c'est beaucoup plus difficile qu'avant.
La sensibilisation à la technologie est importante. Des audiences comme celle-ci sont très importantes pour sensibiliser davantage les gens à l'importance de la technologie. Celle-ci paraît souvent mystérieuse et parfois même menaçante pour bien des gens qui ne travaillent pas dans le domaine technologique. Plus nous pourrons rendre les gens à l'aise avec la technologie, l'avenir qu'elle nous réserve et la façon dont nous l'utilisons pour répondre aux besoins de notre société, mieux ce sera pour nous tous.
Et le dernier point que je veux soulever est l'équilibre entre la compréhension et l'intervention. Cela revient à dire qu'en matière d'opérations militaires, nous devons toujours avoir une compréhension approfondie de ce qui se passe. Si l'on se penche sur l'histoire de la guerre, en remontant jusqu'à notre ami Clausewitz qui parlait du brouillard de la guerre, on s'aperçoit qu'il a toujours été difficile de savoir exactement ce qui se passe en un endroit donné. La technologie nous permet vraiment de mieux comprendre. Ce n'est pas parfait et nous n'avons pas toujours raison, mais nous faisons quand même beaucoup mieux qu'avant.
Il faut donc un équilibre entre cet investissement qui nous donne la capacité de comprendre et d'agir, en ayant des forces militaires vraiment capables de faire quelque chose. Inutile de dire que ce ne sont pas deux éléments séparés. Ils sont tout à fait liés. Quand on décide d'intervenir, il faut continuer de tout comprendre afin d'avoir l'agilité et la souplesse voulues pour réagir au fur et à mesure que la situation évolue.
Mesdames et messieurs, je vous remercie pour votre patience et de m'avoir écouté tout au long de cet exposé. J'espère que je vous ai donné une idée des défis qui se posent actuellement et de ce que nous faisons au ministère de la Défense nationale pour relever ces défis.
Le président: Merci beaucoup, monsieur Leggat. C'était une vue d'ensemble très intéressante pour notre comité.
Monsieur Moen, avez-vous préparé un exposé?
M. Ingar Olav Moen (directeur, Sciences et Technologie politiques, R-D pour la Défense Canada, ministère de la Défense nationale): Non.
Le président: Bon, très bien.
Avant de passer aux questions, je voudrais une précision. Dans vos conclusions, votre premier point était l'espace de bataille de 2020 et vous avez mentionné les médias. Des membres de notre comité sont allés à Cheyenne Mountain, à Colorado Springs, en janvier. Je me rappelle qu'on a évoqué cet aspect qu'on appelait le facteur CNN. Est-ce l'expression courante, ou bien y a-t-il autre chose?
M. John Leggat: Oui, je présume que c'est ce qu'on appelle là-bas le facteur CNN.
Le président: Ici, c'est le facteur CBC.
M. John Leggat: Oui. Il s'agit simplement de la façon de présenter les choses qu'ont les médias. C'est, par exemple... Je n'aime pas tomber dans le morbide, mais si les médias sont là quand un Casque bleu se fait tirer dessus en service, et qu'ils ont la chance de le filmer, ils le montrent immédiatement au reste du monde, y compris à la famille de ce soldat. Il y a donc de vrais problèmes, qui ne se rapportent qu'aux faits, qu'à la présentation des faits.
Je ne veux pas laisser entendre que quiconque, dans la hiérarchie, a intérêt à modifier la présentation des faits, ou quoi que ce soit d'autre. Il s'agit simplement des faits diffusés autour du globe, en temps réel. Dans ces conditions, comment s'assurer qu'il n'y a pas d'exagération, comment faire comprendre les aspects très humains liés à la transmission de ces faits?
Peut-être qu'une compagnie canadienne est engagée dans un échange de tirs, et que les médias sont sur place. Évidemment, tout le monde veut savoir ce qui se passe et qui fait quoi. Quelle est la réaction du gouvernement? Quelle est la réaction du ministère? Quelle est la réaction du commandant militaire sur le terrain? Tous ces éléments doivent être rassemblés très rapidement, parce que le public s'attend à une réponse immédiate à ce genre de questions.
Le président: Je me souviens que c'est au Vietnam qu'on a vu cela pour la première fois, n'est-ce pas, à la télévision?
M. John Leggat: Oui.
Le président: Bien. Merci beaucoup pour votre exposé. Nous passons maintenant aux questions.
[Français]
Monsieur Laurin, je vous accorde sept minutes.
M. René Laurin (Joliette, BQ): Je veux d'abord féliciter M. Leggat de son magnifique exposé qui était clair et qui résumait bien la situation, même s'il a duré 20 minutes. C'est un sujet qui est tellement immense qu'il aurait pu en parler pendant des heures.
Ma première question a trait à la révolution dans les affaires militaires. Lorsqu'on parle de révolution dans les affaires militaires, on pense surtout aux très grands changements qui sont survenus dans la nature de la conduite de la guerre, dans la façon de faire la guerre. Est-ce qu'à la base même, on ne devrait pas parler de changements importants dans la définition même de la guerre?
M. John Leggat: Oui.
M. René Laurin: Il me semble qu'on ne peut pas aujourd'hui parler de la guerre de la même façon qu'on en parlait il y a 15 ou 20 ans. Quand on parle de la guerre, ce n'est plus la même chose.
M. John Leggat: Oui.
M. René Laurin: Est-ce que cela ne devrait pas influencer non seulement la façon de faire la guerre, mais aussi notre façon d'aborder le problème? Si la guerre n'est plus la même, les autres choses vont aussi changer, n'est-ce pas?
M. John Leggat: C'est exact. Certains de nos citoyens peuvent avoir l'impression que dans le le contexte mondial, on peut participer à une guerre sans qu'il y ait de morts ou de blessés. Ils peuvent se poser des questions. Sommes-nous dans le contexte d'une guerre virtuelle ou d'une guerre réelle? Est-il possible de participer à une opération sans qu'il y ait de blessés? Est-ce un signe des temps que nous traversons à l'heure actuelle, alors que les nations de l'Ouest sont très puissantes face aux pays dans lesquels nous menons des opérations, comme le Kosovo ou les pays du golfe? Est-ce que c'est une question de changement réel, une question de changement dans la nature de la guerre?
M. René Laurin: Monsieur Leggat, lorsqu'on parle de guerre, est-ce qu'il est encore réaliste de penser en fonction d'une guerre mondiale plutôt que de théâtres régionaux?
M. John Leggat: Je ne crois pas qu'on puisse parler de la menace d'une guerre mondiale, mais plutôt de guerres régionales, comme celle qui risque d'éclater entre l'Inde et le Pakistan. Il y a plusieurs hot spots dans le monde où il y a possibilité qu'une guerre régionale éclate. À mon avis, la possibilité d'un guerre mondiale est très mince parce qu'il n'existe qu'une seule grande puissance mondiale, les États-Unis.
M. René Laurin: Compte tenu de cette grande révolution dans la définition même de la guerre et dans la façon de la faire, est-ce que le Canada est en mesure de faire face à cette nouvelle situation? On sait que la politique du Canada en matière de défense nationale avait été énoncée en 1994, au moment où le gouvernement avait déposé un Livre blanc dans lequel il nous communiquait sa conception de la défense nationale. À votre avis, est-ce que cette politique est encore d'actualité ou si elle devrait être révisée de fond en comble, compte tenu des changements très importants qui sont survenus?
M. John Leggat: Je crois pouvoir dire qu'à la lumière des opérations que nous avons menées et de leur portée, la politique de 1994 nous semble toujours satisfaisante aujourd'hui. Elle nous donne la flexibilité nécessaire pour nous engager dans des opérations du maintien de la paix, comme celles auxquelles nous avons participé au Kosovo, ainsi que pour assurer la défense de l'Amérique du Nord et du Canada. Le Livre blanc nous donne une telle flexibilité.
Si on entend maintenir les grands principes énoncés dans le Livre blanc pendant encore plusieurs années, il serait sans doute utile de revoir certains de ses éléments afin de s'assurer qu'on y reflète les aspirations actuelles du gouvernement du Canada.
M. René Laurin: Je ne vous demande pas de porter un jugement politique, mais de faire une évaluation réaliste de choses. Pourriez-vous me dire quels aspects du Livre blanc sur la défense nationale risquent de devenir le plus rapidement désuets?
M. John Leggat: Ce n'est pas une question de risque, mais plutôt d'occasion favorable. S'il y a un nouvel aspect que devrait contenir le Livre blanc, c'est à mon avis la notion de concertation afin que nous disposions d'une force solidaire qui participe à des opérations communes et qui ne soit pas scindée en une armée de terre, une marine et une force aérienne. Nous devrions adopter une doctrine selon laquelle nous sommes une force canadienne réunie qui dispose d'un commandement, d'un contrôle et de processus qui nous permettront de nous assurer que nous puissions participer à des opérations dans un contexte de concertation.
Au ministère de la Défense nationale, il y a un sous-chef de la Défense nationale pour le commandement et le contrôle des opérations réunies. Je crois que nous avons maintenant besoin d'un nouveau concept qui nous assurera que nous pourrons continuer à participer pleinement à des opérations avec nos alliés.
[Traduction]
Le président: Merci.
La parole est maintenant à M. Clouthier, s'il vous plaît.
M. Hec Clouthier (Renfrew—Nipissing—Pembroke, Lib.): Merci beaucoup, monsieur le président.
Monsieur Leggat, j'ai écouté votre exposé avec grand intérêt. Vous avez déclaré que beaucoup de ces révolutions étaient menées par le société, que ce soit la révolution industrielle, la Révolution française ou la Première Guerre. Je suis certainement d'accord avec vous. Avec la nouvelle technologie qui fait des pas de géant, depuis cinq, dix ou quinze ans, pensez-vous qu'une menace terrible pourrait venir des militaires, pas nécessairement de l'un des grands pays, mais d'un petit État sans foi ni loi ou pire encore, d'un individu?
Quand on nous présentait les scénarios des films de James Bond, on pensait rêver en couleur, mais il semble désormais que ce soit chose possible. Si vous pensez que c'est vrai, avez-vous une idée d'où pourrait provenir cette menace, que ce soit un pays ou un individu, et de la façon dont on pourrait se protéger contre elle?
M. John Leggat: Pour commencer, permettez-moi de dire qu'il s'agit vraiment d'hypothèses. Permettez-moi d'ajouter qu'il ne faut pas réagir de manière exagérée, devant cette possibilité, surtout compte tenu de toute la publicité que cela susciterait chez nos voisins du Sud.
Je me demande parfois si cette attention n'est pas encouragée par l'intérêt personnel, mais nous avons vu des choses se produire dans le monde. Par exemple, l'incident du métro de Tokyo. Des gens y sont morts. Comme vous l'avez dit, c'est un groupe, et non un État sans foi ni loi qui a commis ce crime, pensant sans doute que c'était dans son intérêt.
Quels sont les risques que cela se produise? Je pense que c'est fort possible. Je ne voudrais pas laisser croire qu'il y a un tas de gens qui complotent contre le Canada ou les pays de l'OTAN en général, mais nous sommes des États démocratiques, plutôt ouverts, et nous jouissons d'une grande liberté. Il y a donc un risque de prêter le flanc à ce genre d'agressions.
Je ne pense pas qu'on puisse opprimer la société, imposer toutes sortes de contrôles, de systèmes de surveillance et tout le bataclan, mais il faut être prêt à réagir à ce genre de choses si elles se produisent. Il nous faut comprendre ce qui est du domaine du possible, le genre de choses que les gens pourraient être capables de faire.
Bien honnêtement, il n'est pas difficile de mettre au point des armes simples et même banales, pour attaquer une population d'une manière limitée, qui ne causeront pas beaucoup de dégâts, mais qui pourront certainement bouleverser toute une nation, très rapidement.
Ingar peut peut-être vous en dire quelques mots, du point de vue de la technologie.
M. Hec Clouthier: Étant donné que ça pourrait arriver, et je ne sais pas si vous pouvez vous exprimer à ce sujet, que pensez-vous de la possibilité que les États-Unis aillent de l'avant avec leur initiative de bouclier de défense antimissile? Avez-vous une opinion à ce sujet et pouvez-vous nous en faire part?
M. John Leggat: Il me serait difficile de vous donner une opinion personnelle, ici, vous comprenez.
Je peux vous parler des aspects techniques. Du point de vue technique, c'est très exigeant. Je ne pense pas qu'on puisse déployer un parapluie vraiment imperméable au-dessus de l'Amérique du Nord. Du point de vue technique, vous auriez de la chance si vous bloquiez plus de deux ou de trois attaques concertées contre l'Amérique du Nord. Ça, c'est l'aspect technique.
Si le Royaume-Uni avait su qu'il pouvait être la cible de bombardiers non montés en 1925, de bombes-robots, de V-1 et de V-2, serait-on resté là, les bras croisés? J'en doute.
On doit donc se poser de graves questions et le rôle du Canada est bien entendu l'une d'entre elles, actuellement.
On doit réfléchir à la sécurité de l'Amérique du Nord, étant donné le risque que quelqu'un puisse faire justement cela. C'est une réelle possibilité. Il faut penser à toute la question de la dissuasion, soit l'environnement dans lequel nous vivons depuis la fin des années 40, une dissuasion qui nous a très bien servis.
Est-ce qu'un bouclier de défense antimissile nuirait à la dissuasion ou la renforcerait? C'est un débat de fond, théorique, auquel je ne puis participer, faute de compétence. Et bien entendu, on ne sait pas. Ce sont de graves questions. Je ne pense pas pouvoir vous aider davantage.
M. Hec Clouthier: J'aimerais passer à autre chose. Dans la partie de votre exposé qui portait sur le virus «I Love You»... Je suis loin d'être un expert en informatique. Pourriez-vous me résumer la situation, en termes simples?
M. John Leggat: Je dois avouer que je n'ai pas étudié la question.
Connaissez-vous bien l'incident?
M. Ingar Olav Moen: Allez-y.
M. John Leggat: Essentiellement, votre ordinateur reçoit un message électronique. Il vient de quelqu'un que vous connaissez, ou d'une source de confiance, si vous voulez, et comporte comme pièce jointe un fichier intitulé «I Love You». Si vous l'ouvrez, un programme s'exécute qui entre dans votre ordinateur et envoie immédiatement le même message à toutes les adresses de votre carnet informatisé. Il est donc expédié à tous vos amis, par exemple, et vous perdez immédiatement tous vos amis.
Ensuite, il commence à étendre sélectivement certaines fonctions de votre ordinateur. Je ne sais pas exactement quelles fonctions sont totalement supprimées, mais je sais que le virus élimine les fichiers Jpeg et Mpeg, soit les images et les vidéos.
Ainsi, si vous êtes de ces personnes qui gardent toute une collection de photos numérisées sur ordinateur, vous venez de perdre toute votre collection. À tout le moins, il vous faudra recharger la collection à partir des disquettes de votre caméra numérique.
M. Hec Clouthier: Et cela faisait partie intégrante du virus «I Love You».
M. John Leggat: Cela aurait été intégré à ce virus, mais on aurait pu y mettre n'importe quoi d'autre. Le virus aurait pu effacer tout le contenu du lecteur C, vidant ainsi en pratique votre ordinateur. La question se pose donc. Est-ce qu'on ne pourrait pas classer cette bombe dans une boîte, en l'empêchant de nuire à l'extérieur de la boîte, en cas d'explosion?
Nous venons de lancer un programme de R-D pour la division de l'information à notre laboratoire du Centre de recherches pour la défense d'Ottawa, sur toute cette question de la sécurité de l'information, dans ce contexte. Le programme est exécuté en collaboration avec d'autres secteurs du gouvernement canadien qui travaillent sur le sujet. Voilà certaines des questions sur lesquelles nous nous penchons. Comment réagir devant des petites choses aussi simples qui peuvent causer des milliards de dollars de dommages, en quelques instants? C'est tout un défi.
Le président: Merci, monsieur Clouthier.
La parole est maintenant à M. Earle, s'il vous plaît.
M. Gordon Earle (Halifax-Ouest, NPD): Je vous remercie pour votre exposé sur la RAM. C'est un sujet qui est très intéressant pour nous tous, et un sujet très complexe, comme vous l'avez signalé.
Sur votre diapositive où vous parlez des raisons pour lesquelles il y a une RAM maintenant, vous parlez notamment du manque de tolérance vis-à-vis de nos propres pertes. Vous avez donné l'exemple d'un soldat de la Marine américaine qui a été traîné dans les rues, en Somalie. Ne devons-nous pas aussi être préoccupés des pertes des autres, et pas seulement des nôtres? Je pense au jeune adolescent somalien qui a été battu à mort par nos propres soldats. Cela ne devrait-il pas faire partie des considérations en faveur d'une RAM, et pas seulement notre préoccupation quant à nos pertes? Ne faut-il pas penser aux pertes en général, à l'échelle mondiale?
M. John Leggat: Je vous dirai que notre préoccupation envers nos propres pertes est plus forte que celle qui se rapporte aux pertes d'un adversaire potentiel. Je ne dis pas que ces choses n'ont pas d'importance à nos yeux. Michael Ignatieff a récemment écrit un livre intitulé Virtual War où il présentait l'idée qu'à l'avenir, avec les technologies de l'information, la guerre pourrait se faire de manière virtuelle. J'ai tendance à accepter certaines de ses conclusions, mais il reste que dès qu'on lâche une bombe ou qu'on appuie sur la gâchette, on parle de mort ou de blessé grave.
Les militaires, le ministère de la Défense nationale et les Canadiens en général prennent la chose très au sérieux, que nous parlions de nos propres citoyens ou de ceux d'un autre pays. Alors qu'en général, on a tendance à faire peu de cas de la mort des autres, ces morts sont englobés dans les dommages collatéraux.
Je me souviens que pendant la guerre du Golfe, les Américains ont bombardé un centre de communications où se trouvaient bon nombre de civils. Beaucoup de gens sont morts. Un peu partout dans le monde, on a trouvé cela scandaleux.
• 1005
Il faut donc se demander si un conflit peut avoir lieu sans
pertes humaines. M. Laurin y a un peu fait allusion. Est-ce que la
nature des combats a changé au point où on peut livrer bataille
sans causer de tort à la population de l'autre pays, ni à son
infrastructure? J'en doute. Je pense que cet aspect répugnant de la
guerre, qui tue des personnes, continuera d'exister. Dans les
démocraties occidentales, toutefois, et peut-être dans d'autres
pays du monde qui partagent nos valeurs, on hésitera davantage à
adopter ce genre de mesure.
Je crois qu'on l'a constaté au Kosovo, particulièrement au sujet du lancement de la campagne terrestre. On ne voulait pas se lancer dans cette aventure, sachant qu'on ferait ainsi augmenter le nombre de morts de manière exponentielle.
M. Gordon Earle: C'était précisément ma question suivante. Lorsqu'on parle de dommage collatéral, on peut penser aux dommages environnementaux causés par ce genre de bataille, même quand il y a des bombes intelligentes ayant une précision chirurgicale, il y a toutes les conséquences qui suivent et les désastres causés par les erreurs. Il en résulte donc beaucoup de pertes, peut-être indirectes ou à long terme.
C'était mon autre question, mais je crois que vous y avez déjà répondu. Je ne crois pas que la révolution dans les affaires militaires mettra fin à ce genre de pertes.
M. John Leggat: Quant au rôle de l'armée, j'en ai parlé à la fin, au sujet de l'équilibre à atteindre entre la compréhension de ce qui se passe et la réaction qu'il faut avoir. La réaction, c'est d'appuyer sur la gâchette, dans bien des cas. Il peut s'agir aussi de grossir son arsenal, tout en sachant qu'à l'avenir, il faudra peut-être travailler davantage du côté de la diplomatie, sans qu'il y ait vraiment de conflit militaire.
Il faut toutefois avoir le poids des armes. Comme nous l'avons déjà constaté, il faut pouvoir convaincre de notre sérieux un État qui se conduit mal. On peut peut-être recourir à une combinaison de démarches diplomatiques et de frappes militaires sélectives. C'est ainsi qu'on a commencé au Kosovo, mais malheureusement, il a fallu aller plus loin.
M. Gordon Earle: Vous avez encore une fois parlé de l'une de mes préoccupations. En effet, vous avez fait allusion à la compréhension de ce qui se passait. Il me semble parfois que nous nous lançons dans ces conflits, en tant que gardiens de la paix ou de pacificateurs, sans bien comprendre la situation et la dynamique en jeu dans le pays en question. Je pense par exemple au Sierra Leone, où actuellement, des Casques bleus sont pris en otage, dans une situation de ce genre.
Si la RAM fait du progrès, est-ce une situation où nous pourrions mieux comprendre ce qui se passe dans un pays, le genre de situation où nous envoyons nos Casques bleus et les incidences possibles? Il me semble que dans ce cas-là, on a gravement sous-estimé l'intensité du conflit et le risque pour les soldats.
M. John Leggat: La semaine dernière, j'ai prononcé une allocution au Conseil Atlantique du Canada et Janet Stein a présenté une communication sur l'écart entre le mandat et les moyens. Aux Nations Unies, il y a un mandat, et il faut avoir les moyens de l'assumer. S'il y a un écart, on peut mettre en danger la vie des Casques bleus, mais aussi, celle des personnes que les Casques bleus sont censés protéger.
Je ne sais pas si nous nous lançons dans ces situations sans bien connaître les paramètres. Je dirais que parfois, nous prenons un risque. Nous connaissons les paramètres, mais nous sentons qu'il faut faire quelque chose et nous agissons. Mais je suis tout à fait d'accord avec vous, et il nous faut employer la technologie, nos systèmes de renseignements et de surveillance, nos réseaux internationaux, pour bien comprendre quels sont les risques lorsque nous menons ce genre d'opérations. Mais les opérations ne seront jamais sans risque.
M. Gordon Earle: Rapidement, au sujet de l'interopérabilité avec nos alliés: Vous avez parlé de la dimension humaine, de la nécessité de comprendre la situation, etc. Revenons au concept du bouclier antimissile. On a dit que si les Canadiens n'appuyaient pas ce concept, cela pourrait ruiner toute notre relation au sein de NORAD.
Il me semble qu'une relation ne devrait pas tabler sur une seule question, mais si nous avons une bonne relation de travail, comme dans un mariage ou dans un autre type d'alliance, elle ne doit pas s'écrouler à cause d'un seul problème. Est-ce que nous comprenons bien cette situation, pour évaluer l'opportunité de notre participation?
• 1010
Peut-être n'êtes-vous pas en mesure de me répondre, mais
peut-on vraiment craindre que NORAD soit mis en rade simplement à
cause d'un de ces aspects, même si nous collaborons de nombreuses
autres façons, dans le cadre de NORAD? Est-ce que nous comprenons
parfaitement la situation; et n'est-ce qu'une menace servant à nous
pousser à agir dans un sens ou dans l'autre?
M. John Leggat: Il m'est difficile de vous répondre. Je ne comprends pas parfaitement cette situation, du point de vue politique, quant aux conséquences qu'une décision pourrait avoir dans un sens ou dans l'autre. Il ne convient peut-être pas que j'exprime une opinion ici. Je ne pense pas pouvoir vous aider beaucoup. D'autres pourraient sans doute le faire mieux que moi.
M. Gordon Earle: Merci.
Le président: Merci, monsieur Earle.
Monsieur O'Reilly, s'il vous plaît.
M. John O'Reilly (Haliburton—Victoria—Brock, Lib.): Merci beaucoup, monsieur le président.
Merci beaucoup pour votre exposé. Il était très intéressant et donnait matière à réflexion, et on en vient à se demander si nos militaires sont capables d'accomplir les tâches qu'on exige d'eux, dans les circonstances. Devons-nous garder une force armée sur un pied de guerre ou en vue d'opérations pour le maintien de la paix? Quel devrait être le rôle du Canada? Je pense qu'au bout du compte, c'est la question à laquelle il nous faut répondre.
Quelle orientation faut-il recommander à nos forces armées? Voulons-nous une force armée qui soit dotée de chars, d'artillerie, de puissance aérienne, de fantassins et de frégates? Je sais que mon collègue, le constructeur naval de la côte Est, y reviendra sans doute. Dans une certaine mesure, notre gouvernement ne sait plus si l'armée devrait être autonome ou être rattachée aux secteurs de la santé, de l'industrie et de la technologie. L'armée, autrefois autonome, est maintenant intégrée à d'autres ministères. Nous constatons que c'est parfois positif et parfois, négatif. Par exemple, les anciens combattants n'aiment pas que le ministère du Patrimoine gère leurs affaires; ils préféreraient que cette tâche incombe au ministre de la Défense nationale.
Quand on retire à nos forces militaires leur autonomie pour les intégrer aux autres ministères gouvernementaux, nous constatons parfois une dilution des programmes. Qu'en pensez-vous?
Par ailleurs, la technologie a-t-elle une longueur d'avance sur la planification militaire ou est-ce que vous devez la suivre? Les militaires sont-ils en retard, technologiquement, ou en avance? Par ailleurs, j'ai l'impression que le haut commandement militaire, c'est-à-dire le ministère, se sente menacé par la technologie. Il s'agit là d'une observation de nature politique à laquelle vous ne voulez peut-êre pas répondre, mais je suis convaincu que vous êtes au courant.
Lorsque vous parlez au sens large de notre engagement auprès de nos alliés, je pense que cela se rapporte aussi au programme de défense antimissile dont nous discutons actuellement, que nous fassions ou non partie de NORAD. Les États-Unis voudraient que nous nous déclarions prêts à faire partie d'un programme de défense antimissile, même s'ils ne nous ont pas encore transmis d'invitation formelle. Ils n'ont même pas décidé s'ils allaient eux-mêmes l'adopter. Mais ce n'est certainement pas l'impression que j'ai eue, lorsque j'ai visité Cheyenne Mountain et la base des Forces aériennes Shriver. Je pense qu'ils iront certainement de l'avant. Même leur slogan le dit, un slogan un peu dérangeant: «In your face from outer space». C'est comme s'ils disaient: «Préparez-vous, on arrive». J'aimerais avoir vos commentaires sur mes observations.
M. John Leggat: Bien. Votre question comportait divers volets. La première partie de votre question portait sur la puissance militaire dont doivent être dotées nos Forces canadiennes, et sur la question de savoir si nous l'avons ou non. Cela revient un peu à la question de M. Laurin, qui voulait savoir si la configuration du Livre blanc nous permet de continuer nos activités militaires.
• 1015
Le Livre blanc est plutôt orienté, même si ce n'est peut-être
pas complètement, en fonction de la séparation traditionnelle entre
la marine, l'armée et l'aviation, soit la façon traditionnelle de
considérer les Forces canadiennes. À l'avenir, il nous faut voir
notre puissance militaire d'une façon plus intégrée, pour ce qui
est du déploiement, de l'interopérabilité, de la préparation
d'opérations de précision, du blocage de l'accès à l'information à
un adversaire et de notre capacité d'influencer ce dernier au sens
large. Il nous faut voir notre potentiel en fonction de ce que nous
devons vraiment faire.
Quand on considère la puissance militaire de nos Forces canadiennes, nous nous débrouillons assez bien dans certains secteurs. Dans des documents comme Stratégie 2020, nous avons reconnu que dans d'autres secteurs, il nous fallait investir.
Pour l'interopérabilité, ce n'est pas si mal. La marine a un degré élevé d'interopérabilité avec les États-Unis et au sein de l'OTAN, dans le cadre de la Force navale permanente de l'Atlantique. Elle est assez bonne pour les communications, notamment la capacité d'échanger et de transmettre l'information dans toute la flotte. Les éléments canadiens sont des éléments clés au sein des formations alliées et tout va assez bien de ce côté-là.
Pour ce qui est des forces aériennes, au Kosovo, le Canada faisait partie d'une poignée de nations, trois ou quatre, capables de mener des opérations aériennes au Kosovo dans diverses conditions atmosphériques. Tout ne s'est pas fait sans difficulté, je le reconnais; beaucoup d'information a été fournie dans les comptes rendus après action.
Du côté de l'aviation, c'est assez bien pour l'interopérabilité des communications, mais il y a un urgent besoin de modernisation et je pense qu'on l'a bien souligné dans le Guide de planification de la Défense ainsi que dans le rapport Stratégie 2020 lui-même.
Du côté de l'armée, il y a une nette amélioration, mais il y a beaucoup de rattrapage à faire pour ce qui est de la technologie, de l'interopérabilité et de l'adoption de la technologie de l'information. Les capacités consacrées au Kosovo montraient l'avant-garde de ce mouvement de l'armée consistant à réinvestir dans la technologie.
Pour la mobilité, nous avons des problèmes. Personne ne le conteste. Pour ce qui est du déploiement de grands nombres de Canadiens ailleurs dans le monde, nous n'avons pas d'accès sûr au transport par bateau, par exemple. Notre capacité de transport par avion est bonne, mais pas notre capacité de transport par bateau. On parle dans le Guide de planification de la Défense de la logistique de flottaison, de la capacité de transport par bateau, qui nous permettrait de déployer l'avant-garde dans des délais fixés. De côté-là aussi, nous faisons des progrès.
Sous l'angle de la capacité, je dirais que nous n'avons pas actuellement tout ce dont nous avons besoin, mais on a adopté des plans pour combler les lacunes dont nous sommes conscients. Il va sans dire qu'il faudra investir dans le matériel et les immobilisations et les Forces canadiennes ont besoin de cet investissement pour pouvoir demeurer des alliés fiables à l'avenir.
Donc, voilà la réponse à cette question. Je vais maintenant regarder quelques...
M. John O'Reilly: J'ai posé toutes mes questions d'un seul coup, parce que je sais que le président vous donnera le temps...
M. John Leggat: Oui.
M. John O'Reilly: ...mais il ne m'interrompra, c'est pourquoi j'ai posé toutes mes questions d'un coup...
[Note de la rédaction: Inaudible]
Le président: ...monsieur Leggat, je vous donnerai donc encore une minute, environ...
M. John Leggat: Je pense que vous avez demandé si le haut commandement était à l'aise avec la technologie.
M. John O'Reilly: Oui.
M. John Leggat: Je pense que le haut commandement vit une transition. Traditionnellement, il y a eu des... Je ne dirais pas que le haut commandement n'était pas conscient de la technologie, mais cette dernière fait de plus en plus partie des discussions au sein du ministère. C'est précisément pourquoi on a créé mon poste—sous-ministre adjoint, Science et technologie. Il fallait que les niveaux supérieurs prennent conscience de la dimension technologique.
Je ne pense pas que nous puissions avoir le niveau de perfectionnement technologique actuel, dans les forces armées, sans une bonne compréhension de la technologie au sein du haut commandement—il faut se rappeler que ces personnes n'ont pas toujours été des commandants supérieurs. Il y a 15 ans, ils étaient majors, capitaines de corvette, ou autres, dirigeant certains éléments des Forces canadiennes et employant une technologie qui à l'époque, était différente de celle d'aujourd'hui. Beaucoup d'entre eux sont responsables de l'importance maintenant accordée à la technologie, au ministère.
M. John O'Reilly: Bien.
Non seulement on m'interrompt, mais on me prend mon micro.
Des voix: Oh, oh!
Le président: Ça lui apprendra à poser des questions qui n'en finissent pas. On va fermer son micro à tout jamais.
Vouliez-vous dire quelque chose sur le commentaire de M. O'Reilly au sujet de la Révolution dans les affaires militaires qui intimiderait ou du moins inquiéterait l'armée? Ou la question est-elle trop insidieuse?
M. John Leggat: Non, je pense qu'elle est honnête. Est-ce quelque chose que l'armée... Je dois dire que c'est un sujet difficile pour nous.
Il y a un certain nombre de dimensions envisagées, et j'en ai parlé, l'idée principale est que les gens qui sont derrière cette Révolution investissent de 50 à 100 millions de dollars par an en technologie, selon la façon dont on calcule les choses. Et nous investissons combien... Peut-être deux, trois milliards et ce n'est pas dans les innovations technologiques. Pour ce qui est du progrès technologique, c'est beaucoup moins que cela. L'ampleur de ces investissements est donc quelque peu intimidante, et il est important de savoir comment s'y prendre.
C'est le genre de questions qui sont difficiles. Ce ne sont pas des questions intimidantes mais délicates. Au ministère, nous avons eu une conférence sur cette fameuse Révolution—il y a un an et demi. Certains membres du comité y ont assisté, si je ne m'abuse. Il y a quelques semaines, nous avons eu la Conférence sur l'élaboration et l'expérimentation du concept. Cela signale au ministère que non seulement on aimerait comprendre ce qui se passe mais qu'on veut bien aussi y participer.
Je conclurai donc en disant qu'à mon avis il n'y a pas d'intimidation au ministère. Je crois que l'on comprend très bien qu'il ne s'agit pas de quelque chose de simple et qu'il nous faut envisager la situation dans son ensemble et de façon structurée.
Le président: Merci beaucoup.
Madame Wayne, s'il vous plaît.
Mme Elsie Wayne (Saint John, PC): Merci beaucoup, monsieur le président.
J'ai vu notre collègue M. O'Reilly passer près de moi et regarder mes notes, c'est là qu'il a trouvé...
Des voix: Oh, oh!
M. Hec Clouthier: Quelqu'un l'a finalement devancée.
Mme Elsie Wayne: Monsieur Leggat, je dois dire que certaines de mes grosses préoccupations ressemblent beaucoup à celles de mes autres collègues. J'ai remarqué que 1994 à 1997, vous avez dirigé un programme sur les systèmes radar, la guerre électronique et les systèmes de communications spatiales.
Un certain nombre de témoins nous ont parlé des missiles balistiques, soit le système que l'on examine aux États-Unis. Lorsque j'étais à Bruxelles il n'y a pas si longtemps, j'ai déjeuné avec l'un de nos amiraux canadiens là-bas. Il dit qu'il faudra encore au moins cinq ans pour que les États-Unis mettent au point le système qu'ils examinent en ce qui concerne les missiles balistiques.
J'estime que nous avons un rôle à jouer. Cela ne fait aucun doute. Nous devons nous y intéresser car, comme il me l'a expliqué, il est très possible qu'un missile soit dirigé sur le Canada et il faudrait évidemment, m'a-t-il dit, que «quelqu'un l'attrape avant qu'il n'atteigne sa cible, ainsi».
Cela me semble très important. Parce que si les États-Unis vont dans ce sens, nous devons collaborer avec eux pour nous assurer que nous protégeons également toute notre population.
M. John Leggat: Oui. Voudriez-vous que je donne mon avis à ce sujet?
Mme Elsie Wayne: Certainement.
M. John Leggat: Tout d'abord, la défense antimissile est en soi un secteur assez vaste. On pourrait parler de certains aspects de la chose sans aucun problème et sans entrer dans les considérations politiques...
Mme Elsie Wayne: Absolument.
M. John Leggat: ...domaine où, très franchement, je ne suis pas certainement expert, et je préférerais m'abstenir.
Mais si nous parlons de défense contre les missiles de théâtre, par exemple, ou il nous faudrait pouvoir protéger nos troupes sur le terrain contre la possibilité d'attaque par le système de missiles d'un adversaire, en effet, je dirais que c'est nécessaire. Nous devons travailler à ce genre de moyens de défense et il y a certainement des systèmes tactiques aux États-Unis qu'on est en train de mettre au point à cette fin, pour pouvoir intercepter un missile tactique ou courte portée.
Mme Elsie Wayne: En effet.
M. John Leggat: Il est facile de discuter de ce genre de choses car cela ne pose de sérieuses questions politiques pour le gouvernement. Le débat sur la défense nationale antimissile ne comporte pas beaucoup de dimensions techniques. On peut parler de faisabilité ou non-faisabilité et de recherches opérationnelles sur le nombre de charges militaires qui seraient détruites avant qu'un nombre donné de missiles ne touchent les États-Unis ou le Canada. Mais ce genre d'étude ne sert pas à grand-chose dans le débat politique, à mon avis, parce que la question n'est pas de savoir combien on en détruit ni combien la protection est perméable. Ce qui compte, c'est la position de notre pays en ce qui concerne tout le monde de la dissuasion, qui régit la sécurité internationale depuis tant d'années, et si la défense nationale antimissile va dans le sens ou à l'encontre de la dissuasion. Il y a des arguments pour et contre.
Mme Elsie Wayne: Je crois toutefois que vous constaterez que la majorité d'entre nous ici, quel que soit le parti auquel nous appartenons... Lorsqu'il s'agit de défense, nous formons un groupe assez homogène. Nous considérons nos militaires, hommes et femmes et nous voulons les servir et servir aussi le pays. C'est ainsi que nous fonctionnons, monsieur Leggat. J'ai constaté, avec mes collègues ici, que nous avons réussi à nous entendre assez bien là-dessus. Je voulais simplement que vous le sachiez.
M. John Leggat: En effet.
Mme Elsie Wayne: Nous avons ici probablement le groupe le moins politisé que je connaisse. C'est une bonne chose, une très bonne chose.
M. John O'Reilly: C'est pourquoi nous partageons nos notes.
Des voix: Oh, oh!
Mme Elsie Wayne: C'est vrai.
M. John Leggat: Permettez-moi d'être très clair. Je partage ce sentiment et je ne voudrais pas donner l'impression que j'évite de répondre mais le débat sur la défense nationale antimissile touche à mon avis l'ensemble du pays.
Mme Elsie Wayne: Oui, certainement.
M. John Leggat: Ce n'est pas simplement une question qui regarde les Forces canadiennes.
Lorsque l'on parle de défense contre les missiles de théâtre, c'est une question qui touche les troupes sur le terrain d'une façon ou d'une autre et il ne fait aucun doute, dans le contexte du Livre blanc ou autre, que nous pouvons nous doter de technologies nécessaires à la défense contre les missiles de théâtre. En fait, nous sommes en pourparlers avec nos alliés à ce sujet.
Mme Elsie Wayne: J'ai remarqué que, lorsque vous parliez de votre ministère et du rôle que vous jouez, vous disiez qu'il y avait des contrats qui représentaient environ 50 p. 100 de vos opérations. Cela concerne l'industrie canadienne, ce qui est très bien et que nous devrions encourager.
Je ne sais pas si nous avons régler la question de l'ITAR, Pat, car, comme vous le savez—et certaines industries sont venues nous voir—ITAR vient d'être totalement annulé par les États-Unis. Nous en avons parlé. Nous sommes allés aux États-Unis et nous avons parlé aux représentants au Congrès qui semblaient tous très surpris car ils n'étaient même pas au courant. Nous espérions toutefois que la question serait réglée.
Ce qui est important, c'est ceci. Je suis vraiment désolée pour les militaires; c'est vrai, parce que les Canadiens... Ce n'est pas une question politique. C'est ce que je disais tout à l'heure. On ne fait pas assez attention aux militaires. On sait combien ils sont et quand on considère les compressions budgétaires imposées à nos forces armées et le nombre de militaires que nous avons actuellement en exercice et dans les Réserves, etc...
J'étais avec eux la semaine dernière dans ma circonscription et à bord du HMCS Brunswicker que nous avons là-bas. C'est dur. C'est difficile. Ils ne comprennent pas ces compressions. Or, s'il y a ces compressions, c'est parce qu'ils ne sont pas ici à manifester avec des pancartes, parce qu'ils portent un uniforme. Ils ne peuvent pas venir ici avec des pancartes sans risquer de perdre leur uniforme. C'est ça la raison.
Nous devons donc représenter au mieux nos militaires, nos Réserves, etc. Il nous faut en quelque sorte essayer de convaincre le gouvernement d'accroître sensiblement le budget du ministère de la Défense. Il a été quelque peu majoré mais il doit l'être encore.
Il faut que je dise quelque chose et je vais le dire. Nous aurions dû avoir les vieux EH-101. Nous ne les avons pas. Peu importe qu'il s'agisse de EH-101 ou d'autres hélicoptères. Si nous ne mettons pas hors service très vite tous ces Sea King—et, Robert, je veux que vous vous occupiez de ça pour nous et que vous vous assuriez que cela se fasse...
Des voix: Oh, oh!
Mme Elsie Wayne: Je vous dis que tous et chacun de ces ministres... Robert, quand vous devrez faire un de ces petits voyages, nous allons vous mettre dans un Sea King. Cela ne prendrait pas longtemps, ils seraient tous mis hors service dans la semaine. Vous n'en reprendriez jamais un, cher ami, et personne d'autre non plus. Mais je dois vous dire...
M. John O'Reilly: J'en ai pris un.
M. Robert Bertrand (Pontiac—Gatineau—Labelle, Lib.): Moi aussi.
Mme Elsie Wayne: Écoutez, nous avons la technologie de pointe et nous avons encore ces Sea King qui sont tellement désuets que c'est une honte. Il y en a encore un qui a été mis hors service dans la région de l'Atlantique.
C'est toutes ces choses. Ça veut beaucoup dire. Je sais que l'on parle de l'Internet et de tout ce qui se passe et de tout ce qui se transporte par ondes d'un point à l'autre, mais il y a d'autres choses qui comptent également.
M. John Leggat: C'est vrai.
Mme Elsie Wayne: Vous devez vous occuper de cela aussi car la technologie de pointe touche également les hélicoptères et les sous-marins. Écoutez, nous achetons des sous-marins d'occasion et ensuite nous ne réussissons même pas à les faire flotter. Je suis désolée, mais cela ne marche pas.
Oh, j'espère que tout cela n'est pas télévisé.
Le président: Malheureusement, si, mais ce qui est bien c'est que je dois vous interrompre, madame Wayne.
Mme Elsie Wayne: D'accord.
Le président: Merci beaucoup. Votre temps est écoulé.
Nous partageons, je crois, tous le sentiment de Mme Wayne. Nous attendons tous impatiemment—y compris mon ami le secrétaire parlementaire—l'annonce concernant les hélicoptères.
Deuxième tour de questions, cinq minutes chacun.
[Français]
Monsieur Laurin, je vous accorde cinq minutes.
M. René Laurin: Monsieur Leggat, je voudrais revenir au rôle du Canada, que j'ai abordé lorsque j'ai posé mes premières questions. Puisque le Canada est un des alliés des États-Unis d'abord, puis des pays membres de l'OTAN et des Nations Unies, est-ce qu'il pourrait arriver qu'on sollicite son aide dans le cas d'un conflit à l'étranger sans passer par l'OTAN ou l'ONU? Est-il possible qu'on demande au Canada d'aller défendre un pays qui est engagé dans un théâtre régional de guerre, compte tenu de ses valeurs quant à la défense des droits de la personne, à la liberté et à la démocratie? Selon vous, le Canada pourrait-il être appelé à intervenir dans un théâtre de guerre comme celui-là?
M. John Leggat: Est-ce que vous supposez qu'il serait appelé à intervenir seul dans le cas d'un conflit régional?
M. René Laurin: Oui.
M. John Leggat: Bien que ce soit possible, je crois que notre politique a jusqu'ici fait en sorte que nous avons participé à des opérations à l'étranger au sein d'une coalition ou aux côtés de nos alliés, dans une approche de défense collective. C'est un des fondements de notre politique de la défense que de participer à des opérations à l'étranger dans un sens collectif.
M. René Laurin: Dois-je comprendre que tant que notre politique actuelle sera maintenue, le Canada ne sera jamais un leader dans la résolution d'un conflit dans le monde, voire même d'un conflit régional?
M. John Leggat: Je ne dirais pas que nous ne pouvons pas être un leader, un chef de file, mais nous avons jusqu'ici cherché à intervenir en compagnie d'alliés, comme nous l'avons fait lorsque nous nous sommes rendus à Haïti. Nous avons assumé un rôle de leader, mais il y avait d'autres pays à nos côtés.
M. René Laurin: Selon vous, il serait impensable que le Canada accepte de jouer un rôle à Cuba dans l'éventualité où ce pays serait attaqué, ou même en Haïti, qui est aussi un bon exemple.
M. John Leggat: C'est de la spéculation. Vous me demandez ce que nous ferions dans l'éventualité d'une telle situation.
M. René Laurin: Je vous pose cette question parce qu'il me semble que le rôle du Canada est aujourd'hui différent de ce qu'il était lors de la dernière guerre mondiale, alors que nous suivions les alliés. Le Canada devait s'équiper pour jouer un rôle de soutien à côté ou en arrière de ses alliés.
Il me semble que puisque les guerres se font différemment et qu'il existe une nouvelle conception de la guerre, le Canada pourrait avoir un rôle différent à jouer. Si tel est le cas, il ne devrait pas s'équiper de la même façon.
M. John Leggat: Oui.
M. René Laurin: C'est dans ce sens-là que je pose la question.
M. John Leggat: Tout dépend de la situation, mais il n'y a aucune raison pour que le Canada ne puisse pas adopter un rôle de leader dans une situation internationale. Comme je l'ai dit, si le Canada était le leader, il voudrait que les autres pays soient avec lui dans de telles opérations. Je pense que c'est la même chose dans le cas des États-Unis. Même s'ils ont la capacité de monter seuls les opérations, ils vont chercher l'appui d'autres pays. Il est nécessaire que d'autres pays soient avec les États-Unis lors de telles opérations. Il s'agit d'assurer la sécurité du monde dans une approche collective plutôt qu'unilatérale.
M. René Laurin: J'aimerais poser une question technique au sujet de votre présentation. À la page qui porte le titre «Vision de la RAM», on trouve dans l'un des cercles l'inscription C4I. Que signifie cette expression?
M. John Leggat: Le commandement, le contrôle, les ordinateurs, ou computers, les communications et l'information.
M. René Laurin: Ce sont les quatre C.
M. John Leggat: C'est exact.
M. René Laurin: Merci.
[Traduction]
Le président suppléant (M. John O'Reilly): Je suis désolé, votre temps est écoulé, monsieur Laurin.
Monsieur Bertrand, cinq minutes, s'il vous plaît.
[Français]
M. Robert Bertrand: Avant de poser ma question à nos témoins, j'aimerais prendre quelques secondes pour dire à ma collègue de Saint John que
[Traduction]
J'ai plusieurs fois pris un Sea King. Je n'ai pas peur de monter à bord. Ces hélicoptères nécessitent beaucoup d'entretien, j'en conviens. Avons-nous besoin des nouveaux? Oui, certainement. Mais les Sea King qui sont utilisés sont des appareils sûrs.
L'hélicoptère qui s'est écrasé n'était pas un Sea King. Je crois que c'était un Bell 216, un hélicoptère assez récent qu'avait acheté la Défense nationale.
Quant aux quatre sous-marins que nous avons achetés, je me trompe peut-être, mais je crois que le quatrième, le dernier, n'avait servi qu'environ trois ou quatre mois avant que les Britanniques ne le mettent en disponibilité armée. Je conviens qu'il s'agit de matériel d'occasion mais c'est du très bon matériel.
J'espère que cela n'aura pas été déduit de mes cinq minutes.
Une voix: Oh, certainement.
Le président suppléant (M. John O'Reilly): Avant de nous lancer dans un débat, monsieur Bertrand, cela compte sur vos cinq minutes mais je suis sûr que vous trouverez le temps de poser une question si vous arrêtez ce débat avec votre collègue.
[Français]
M. Robert Bertrand: Certainement, monsieur le président. Mes questions porteront principalement sur votre enveloppe budgétaire. Je suppose que le ministère de la Défense finance entièrement les activités de recherche-développement pour Défense Canada.
M. John Leggat: Oui, bien qu'à titre d'agence du ministère, nous puissions avoir d'autres sources de revenus.
M. Robert Bertrand: Quel pourcentage de votre enveloppe budgétaire représentent ces autres sources de financement?
M. John Leggat: Il s'agit d'un faible pourcentage, soit environ 5 p. 100.
M. Robert Bertrand: Votre réponse m'amène à ma prochaine question. Qui finance le fonds d'investissement en technologie? Est-ce votre ministère?
M. John Leggat: Non, ce fonds fait partie de notre propre programme de recherche-développement. Nous sommes l'entité qui assure son financement.
M. Robert Bertrand: Comment ces fonds sont-ils dépensés? Est-ce que les universités vous présentent des demandes que vous approuvez, après quoi les fonds leurs sont versés?
M. John Leggat: Nous signons des contrats avec les industries. Les universités peuvent se joindre à une industrie canadienne qui nous présente une demande. Il s'agit habituellement de partenariats regroupant l'industrie, les universités et nos laboratoires où l'on fait de la recherche-développement.
M. Robert Bertrand: À la page 50 de votre rapport annuel, vous traitez de projets générateurs de revenus. Vous avez dressé une liste de programmes qui rapportent de l'argent au ministère, dont le centre de recherche à Valcartier, que je connais un peu. Je crois comprendre que les revenus que rapportent ces programmes font partie des 5 p. 100 dont vous m'avez parlé tout à l'heure.
M. John Leggat: Oui. Nos prévisions budgétaires indiquent que ces programmes devraient nous rapporter 10 millions de dollars. Il s'agit de projets que nous faisons nous-mêmes pour le compte de clients externes, de clients autres que le ministère de la Défense nationale. Par exemple, nous travaillons pour le compte de la firme Produits chimiques Expro inc. en vue de la production de...
M. Robert Bertrand: ...coussins gonflables.
M. John Leggat: C'est exact. C'est un exemple d'une application civile d'une technologie créée pour la défense.
M. Robert Bertrand: Lorsque vous parlez des moteurs de changement technologique de la révolution dans les affaires militaires, vous faites allusion aux sciences des matériaux et aux sciences de l'information, ce que je comprends bien. Vous parlez également des sciences de la vie, ce qui m'intrigue. Pourriez-vous préciser ce que vous entendez par génie génétique et systèmes humains?
M. John Leggat: Dans le domaine de la technologie biogénétique, on peut parler de la modification génétique de substances, par exemple d'agents chimiques ou biologiques dont on peut modifier les caractéristiques par des moyens génétiques. Ainsi, les mesures que nous mettons au point contre les agents ne seront pas efficaces s'il y a eu une modification génétique.
Les aspects humains ont trait à l'interaction entre un humain et les systèmes de commandement et de contrôle plus ou moins dirigés par les ordinateurs. Nous analysons cette interaction et cherchons à savoir de quelle façon les ordinateurs peuvent, entre autres, nous aider au niveau de la prise de décisions. Nous étudions l'interaction d'un humain avec les différents types de hardware dont disposent les forces canadiennes.
M. Robert Bertrand: Merci beaucoup.
[Traduction]
Le président suppléant (M. John O'Reilly): Monsieur Bertrand, votre temps est écoulé. Je vous ai donné d'ailleurs une minute de plus pour cette longue dissertation.
C'est maintenant le tour du NPD. Monsieur Earle.
M. Gordon Earle: Lorsque nous parlons de la Révolution dans les affaires militaires, il devient très clair qu'il s'agit pour une bonne part de technologie et de mondialisation et de l'importance des communications, etc. Vous signalez aussi l'importance du facteur humain, du fait que les humains doivent conserver le contrôle. Dans votre conclusion, vous parlez de comportement humain et organisationnel et dites que c'est extrêmement important.
Je me demandais simplement si tout ce concept tenait compte du genre de problèmes qui toucheraient les humains, tels que la qualité de vie de nos soldats, la question des conjoints maltraités, la question de l'exploitation sexuelle, la question de l'équité et de l'emploi. Pensez-vous que l'on sacrifie ces sujets sur l'autel de la technologie dans cette Révolution dans les affaires militaires?
M. John Leggat: Il ne faut pas oublier que vous parlez au spécialiste de la technologie au ministère. C'est donc mon point de vue que vous allez avoir.
• 1045
Nous avons parlé tout à l'heure de la réserve. J'y ai passé 33
ans. J'étais traité avec des gens de tout le pays et je me suis
occupé de formation et de travailler avec eux partout au pays. Je
crois que je connais très bien l'armée.
L'un ne va pas sans l'autre. Cela revient toujours à l'être humain. Il faut avoir des gens bien. Il faut avoir des gens instruits, motivés. Si l'environnement ne le permet pas, peu importe le degré de technologie que vous atteignez, vous n'en tirerez pas le maximum.
Aussi, un élément important est-il les systèmes humains. Un de nos programmes dans ce secteur est ce que nous appelons «la performance psychologique». Il s'agit de toute la question de commandement, de prise de décisions, de leadership qui sera nécessaire, non seulement dans un nouvel environnement technique mais également, et c'est tout à fait probable, dans les nouvelles sociétés... avec des valeurs différentes, peut-être, ou qui ont évolué.
Ce programme traite de toute cette question du facteur humain dans l'environnement technologique. Il traite aussi des aspects humains du commandement, du leadership, de l'éthique, des valeurs et de la nécessité d'entretenir un milieu de travail très positif et attirant dans les Forces canadiennes et au ministère pour nous assurer que nous pouvons continuer à attirer et à conserver les gens très compétents qu'il nous faut.
M. Gordon Earle: J'aimerais revenir un peu là-dessus car vous avez insisté dans votre exposé sur la qualité du personnel en disant qu'il était essentiel que nous insistions là-dessus au Canada.
Je dois dire que je suis très impressionné par la qualité du personnel de l'Armée canadienne, en particulier dans la réserve. J'ai eu le plaisir d'assister à une journée de la réserve en Nouvelle-Écosse il y a peu de temps et de parler à beaucoup de réservistes tout en parcourant les stands. On voit combien ces jeunes sont fiers de faire partie de tout ce mouvement.
Il semble que toutefois le gouvernement, actuellement, ait tendance à vouloir diminuer leur nombre et à mettre hors service certaines milices. Il me semble que tout cela va à l'encontre d'un bon concept de Révolution dans les affaires militaires parce que s'il doit y avoir révolution, comme vous le dites, il faut des gens pour la mettre en oeuvre. J'aimerais donc que vous me disiez ce que vous en pensez dans le contexte du rôle de la réserve. Ce rôle est-il très important dans ce processus?
Deuxièmement, comment nous comparons-nous avec les autres pays, pas nécessairement les États-Unis, parce que nous savons qu'il s'agit là d'une superpuissance, mais avec la Grande-Bretagne, la France et d'autres pays, pour ce qui est de tout ce concept de la Révolution dans les affaires militaires?
M. John Leggat: Pour ce qui est du rôle de la réserve, je ne sais pas s'il est prévu d'en réduire le nombre. Je sais par contre que l'on projette d'examiner de nouveaux rôles à leur confier.
Je répète, que je suis devenu réserviste en 1967. J'étais là durant cette période qui a pris fin en 1990, pendant laquelle nous faisons essentiellement partie de ce que l'on appelait les «Forces constituées». À mon avis, la meilleure chose qui soit arrivée, c'est quand on a commencé à en envoyer dans les missions de maintien de la paix. Les premiers réservistes ont été envoyés à Chypre. Cela a eu un effet formidable sur le moral des troupes. On nous utilisait finalement à quelque chose d'utile.
Pour ce qui est de la situation actuelle, depuis 1990, la réserve a servi de plus en plus non seulement dans les opérations de maintien de paix mais également dans les opérations d'imposition de la paix. La réserve est donc beaucoup plus près de l'action que par le passé. On ne considère plus du tout la réserve comme auparavant. Le niveau d'entraînement a dû être relevé. La qualité des réservistes aussi. Nous devons nous assurer qu'ils sont bien préparés avant de les envoyer en mission. Je crois que nous l'avons fait.
Nous devons également considérer les différents rôles. Sont-ils appropriés? Ont-ils aujourd'hui les mêmes rôles qu'il y a 40 ans? Mon rôle, en tant que scientifique, aujourd'hui, est très différent de ce qu'il était il y a 40 ans. Nous portions tous des lunettes épaisses et des blouses blanches de laboratoire il y a 40 ans. Aujourd'hui, nous avons des bottes et des casques de combat et nous sommes sur le terrain avec l'armée. Le rôle a donc changé.
Si nous voulons entretenir une armée viable... Il ne s'agit pas ici du concept européen de la réserve, qui consiste à porter l'uniforme une fois par an pour être déclaré réserviste. Ici, les réservistes sont au manège militaire deux ou trois fois par semaine, deux fins de semaine par mois, trois semaines l'été. Le paradigme est donc totalement différent. Il faut à mon avis réexaminer les rôles.
Il ne faut pas abandonner la capacité de combat de la réserve parce que, essentiellement, lorsque nous envoyons des gens à l'étranger, c'est le potentiel de combat que nous développons. Par contre, peut devoir changer.
Voilà ce que je voulais dire sur la réserve.
• 1050
Deuxièmement, que font les autres pays qui pourraient se
comparer à ce que nous faisons avec la Révolution dans les affaires
militaires.
Je dirais que les Américains semblent vouloir s'en tenir à trois alliés sûrs. Ils sont prêts à collaborer avec n'importe qui mais, les seuls à qui ils font suffisamment confiance pour échanger des renseignements sont le Canada, le Royaume-Uni et l'Australie.
Comment nous comparons-nous par rapport à eux, je dirais que nous ne sommes pas aussi avancés que le Royaume-Uni. Nous sommes probablement à égalité avec les Australiens. Quelquefois, il est difficile de comparer le Canada et l'Australie parce que nous travaillons un peu différemment. Ils investissent environ deux fois plus que nous en R-D mais nous avons une bien meilleure base industrielle qu'eux. Il est donc difficile de savoir s'ils sont en avance ou en retard par rapport à nous.
Le président suppléant (M. John O'Reilly): Merci beaucoup, monsieur Earle. Votre temps est écoulé.
Monsieur Peric.
Je rappellerais au comité qu'un autre comité arrive ici à 11 heures et qu'il me reste Mme Wayne et M. O'Brien.
M. Janko Peric (Cambridge, Lib.): J'ai donc mes cinq minutes?
Le président suppléant (M. John O'Reilly): Oui, monsieur.
M. Janko Peric: Merci, monsieur le président, vous êtes bien aimable.
Monsieur Leggat, votre vision est très impressionnante. Pourriez-vous préciser un peu votre pensée? Vous développez vos activités et votre coopération avec les universités. Je vois que vous comptez multiplier le nombre de chaires, préparer les scientifiques de l'avenir... et que vous coopérez avec le secteur privé.
Étant donné que nous avons de nouveaux membres de l'OTAN de l'ancien bloc de l'Est, je m'inquiète un peu. Les renseignements de sécurité sont-ils à l'abri? Notre technologie est-elle à l'abri? Plus précisément, puisqu'il vous faut coopérer avec de nouveaux membres, combien d'informations leur communiquez-vous et celles-ci leur sont-elles précieuses pour faire progresser leur technologie? Y a-t-il un risque que cette technologie tombe entre de mauvaises mains? Comme nous le savons, il est arrivé que des terroristes volent du matériel militaire pour l'utiliser.
M. John Leggat: C'est une question majeure. Je dirais tout d'abord que je suis tout à fait convaincu que nous pouvons protéger notre technologie, tant pour ce qui est de notre sécurité nationale que pour ce qui est de la propriété intellectuelle. Nous sommes très conscients, nous avons au sein de notre organisation de bonnes pratiques qui nous permettent de garantir la sécurité de notre technologie. Très franchement, la propriété intellectuelle que nous créons appartient au gouvernement canadien.
Il y a la question des échanges d'informations, évidemment. Nous partageons notre technologie avec les pays qui la protègent aussi bien que nous au Canada. Les accords que nous signons avec d'autres pays, qu'il s'agisse d'accords bilatéraux ou d'accords multilatéraux, contiennent des clauses très claires sur la façon de protéger cette technologie.
Tous les pays ont évidemment des préférences, si vous voulez, quant à ceux avec qui ils sont prêts à partager leur technologie. Ces préférences reposent essentiellement sur ce qu'on sait de la façon dont un pays en particulier protège la technologie. Donc, pour ce genre de choses, nous considérons le bilan de ces pays. Nous ne voyons pas d'inconvénient à traiter avec les pays qui peuvent protéger la technologie que nous leur confions ou qui en ont fait la preuve.
Tout cela dit, un petit pourcentage de ce que nous faisons est effectivement considéré comme confidentiel. Je ne sais pas exactement quel est ce pourcentage, mais c'est probablement moins de 20 p. 100. Une grosse partie de ce que nous faisons a une valeur de propriété intellectuelle.
• 1055
Nous avons parlé de production de recettes. Une des stratégies
que nous suivrons pour ce qui est de la production de recettes est
d'assurer que nous tirons quelque chose de la propriété
intellectuelle que nous créons quand nous la transférons au secteur
privé.
M. Janko Peric: Merci.
Le président: Monsieur Peric, merci beaucoup.
Madame Wayne, s'il vous plaît.
Mme Elsie Wayne: Je serai très brève.
Je voulais simplement dire que je suis bien heureuse que M. Bertrand n'ait pas été au Timor oriental lorsque l'on n'a pas pu utiliser le Sea King et qu'il a fallu aller emprunter un hélicoptère à l'Australie. Mais, peu importe. Non, on ne le voit plus à la télévision. Les Sea King vont être remplacés d'une façon ou d'une autre, et, mon chou, je ne voudrais surtout pas que vous continuiez à y mettre votre petit derrière. Un point c'est tout.
Monsieur Leggat, envisagez-vous un programme à long terme? Faites-vous cela dans le cadre de la R-D? Qu'il s'agisse de sous-marins ou d'hélicoptères, l'armée est nécessaire. Nous avions un contrat pour les frégates mais tout d'un coup, vingt ans après, toutes les frégates vont devoir être remplacées en même temps, parce qu'il y a un contrat important. Est-ce que vous dites que ceci doit être remplacé cette année et que dans cinq ans, il faudra remplacer autre chose de sorte que tout ne devienne pas désuet en même temps?
M. John Leggat: Oui. Un des principes que nous essayons d'invoquer en R-D, c'est un financement stable de sorte que l'on puisse faire certaines de ces projections à long terme. Lorsque les budgets augmentent ou baissent, en particulier lorsqu'ils baissent, il est difficile d'avoir un programme stable à long terme.
Il en va de même pour les investissements en matière de défense en général. Il est très important d'avoir des investissements stables à long terme pour que les plans arrêtés puissent se réaliser. Nous avons des plans à long terme pour donner aux Forces canadiennes les moyens de défense nécessaires. Les programmes de science et technologie du ministère sont intégrés ou compris dans cette stratégie. Mais, pour que cette stratégie soit réalisable—parce qu'il ne s'agit pas d'une question à court terme, mais de cinq ou dix ans—il faut un financement stable et un engagement, si vous voulez, à la mettre en oeuvre.
Mme Elsie Wayne: Ma dernière question concerne le nombre de nos soldats chargés du maintien de la paix. Nous n'avons pas été capables de donner suite à certaines demandes des pays en difficulté car nous n'avions pas suffisamment de réservistes pour toutes les opérations de maintien de la paix qu'il aurait fallu assurer. Il y a eu des compressions draconiennes. Nous en voyons les effets chez nous. Votre ministère devrait reconnaître, comme nous tous, que des besoins existent et qu'il faut les satisfaire. Le Canada a un rôle à jouer à l'échelle mondiale.
M. John Leggat: Je suis d'accord. Reste à savoir combien le Canada doit y investir. Ce qu'on peut faire est directement proportionnel à ce qu'on est prêt à payer.
Mme Elsie Wayne: En deux mots, je dirais que si nous avions les effectifs suffisants dans l'armée et dans la réserve, tout le pays en ressentirait un changement positif. Il y a aujourd'hui des milliers de jeunes diplômés qui ont besoin d'emploi. Ils n'en ont pas, mais s'ils pouvaient entrer dans l'armée, ils pourraient jouer un rôle très positif. Voilà ce qu'il faudrait faire, leur ouvrir les portes. C'est ce que chacun d'entre nous devrait dire.
Le président: Bob, avez-vous une courte question à poser? Vous voulez faire un commentaire.
M. Robert Bertrand: J'ai au moins un commentaire sur ce que vient de dire Mme Wayne.
En ce qui concerne le Sea King utilisé pour le chef d'état-major de la Défense au Timor oriental, il n'y a pas eu de problème technique. Il n'a pas pu utiliser l'appareil à cause des limites d'altitude. Sa destination l'obligeait à franchir certaines montagnes, et le Sea King n'est pas conçu pour atteindre de telles altitudes. Ce n'était pas un problème mécanique. Je tenais à l'indiquer à l'intention de ma collègue de Saint John.
Le président: Merci.
Vous voyez que nous procédons ici à de bons échanges en dehors de tout esprit partisan.
Monsieur Leggat, je voudrais vous soumettre une question et formuler un commentaire, en vous demandant d'envoyer à ce sujet une note au comité, si vous le pouvez. Il s'agit de cette notion de Révolution dans les affaires militaires, qui pourrait constituer un créneau pour le Canada. Est-ce que nos alliés, notamment les États-Unis, sont prêts à nous confier une mission dans ce domaine? Sommes-nous appelés à y jouer un rôle important?
• 1100
Mon autre question concerne les effectifs. Certains membres
des forces armées craignent que cette révolution n'entraîne de
nouvelles compressions des effectifs. J'espère qu'ils se trompent.
Je pense qu'ils se trompent, mais j'aimerais savoir ce que vous en
pensez.
Je tiens à vous remercier pour votre exposé, que j'ai trouvé remarquable. Je vous remercie tous les deux de votre présence aujourd'hui.
M. John Leggat: Merci, monsieur le président, de nous avoir accueillis.
Le président: Chers collègues, nous reprendrons l'étude sur les approvisionnements mercredi prochain, mais nous accueillons M. Bland mardi. Merci beaucoup.
La séance est levée.