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NDVA Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON NATIONAL DEFENCE AND VETERANS AFFAIRS

COMITÉ PERMANENT DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES ANCIENS COMBATTANTS

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le jeudi 4 mai 2000

• 0900

[Traduction]

Le président (M. Pat O'Brien (London—Fanshawe, Lib.)): La séance du Comité permanent de la défense nationale et des anciens combattants est ouverte. Le témoin que nous allons entendre aujourd'hui est le professeur Jim Fergusson. Il est directeur adjoint du Centre for Defence and Security Studies de l'Université du Manitoba.

Monsieur Fergusson, ce fut un plaisir de vous rencontrer lors de notre voyage à Washington et je vous souhaite la bienvenue parmi nous aujourd'hui. Nous avons hâte de vous entendre.

M. Jim Fergusson, professeur (témoignage à titre personnel): Merci, monsieur le président.

Je resterai très bref et je m'en tiendrai à quatre points dans mon exposé.

Tout d'abord, il faut bien voir que le Canada est à la croisée des chemins sur la question du projet de défense antimissiles national. Il s'agit probablement, à mon avis, de la décision stratégique la plus importante qu'ait à prendre d'un point de vue politique notre pays, parce que sa décision, qu'il choisisse ou non d'y prendre part, va avoir des répercussions dans un sens ou dans l'autre sur la politique étrangère ou la politique de défense du Canada.

Le deuxième point que je tiens à souligner s'appuie sur un article que j'ai rédigé en 1995. C'était à la suite de la publication du Livre blanc de 1994 sur la défense, qui comportait deux paragraphes sur la défense contre les missiles balistiques au chapitre de l'Amérique du Nord. Cet article a été publié en mars 1995 dans le Financial Post et je pense qu'il peut servir utilement de base à notre discussion d'aujourd'hui.

Je vais vous en citer certains passages. Il s'intitulait: «Le débat à venir sur la défense contre les missiles balistiques» et le texte en était le suivant:

    On aurait tendance au départ à orienter le débat en fonction de l'initiative de défense stratégique de Reagan des années 80, mieux connue sous le nom de «Guerre des étoiles». Cette tentation devra être évitée. La guerre froide est terminée. La Russie et les États- Unis ne sont plus des adversaires politiques et militaires. Les préoccupations selon lesquelles une défense contre les missiles stratégiques risque de déstabiliser la dissuasion nucléaire entre les deux puissances ne sont plus de mise, ne serait-ce que parce que ces deux puissances ne pratiquent plus une dissuasion mutuelle.

    Les arguments que l'on va vraisemblablement avancer, selon lesquels la mise au point et le déploiement d'un système de défense antimissiles balistiques par les États-Unis risque de relancer la guerre froide sont tout simplement erronés. Les systèmes militaires ne sont qu'un symptôme et non pas une cause des conflits politiques. De plus, les États-Unis comme la Russie étudient la possibilité de collaborer en matière de DAN, même s'il faut bien reconnaître qu'il existe des divergences entre ces deux puissances sur cette question.

    Par ailleurs, les considérations liées à la DAN ne sont plus stratégiques aujourd'hui au sens où on l'entendait au temps de la guerre froide. Elles résultent plutôt des signes de plus en plus évidents de la prolifération des moyens de lancer des missiles balistiques de la part d'États qui se sont montrés diversement intéressés à acquérir aussi des armes de destruction de masse... L'intérêt commun est de mettre au point un système devant permettre de s'opposer à un pays n'ayant que des capacités très faibles et limitées en matière de missiles balistiques. L'idée, c'est qu'un tel système puisse être dissuasif et limiter la prolifération.

    Cet intérêt commun aura aussi des incidences sur un faux débat potentiel au sujet du traité MASC de 1972, jugé sacro-saint par la politique canadienne. D'une part, il n'est pas question de remettre en cause le principe fondamental du traité. Pour l'instant, rien n'indique que les États-Unis veuillent vraiment aller plus loin que le site unique comportant 100 engins d'interception au maximum pour les besoins de la défense stratégique dans le cadre du traité. Même si le traité est abrogé unilatéralement...

Comme certain l'ont préconisé aux États-Unis

    ... cela ne signifie pas que les États-Unis vont se lancer dans une dynamique de Guerre des étoiles. Au contraire, il est vraisemblable que les États-Unis vont rester dans le cadre fondamental du MASC, comme c'est le cas pour tout ce qui entoure l'accord SALT II de 1979, que les États-Unis n'ont jamais ratifié.

    ... En ce qui concerne le Canada, il s'agit d'adopter une position canadienne en matière de révision du traité MASC, et non pas de considérer la DAN comme une menace fondamentale pour le traité.

    Dans ce cadre, il faut que le débat soit exclusivement canadien. Trop souvent, les débats qui ont lieu au Canada sont largement tributaires de ceux qui ont lieu ailleurs, notamment au sud de notre frontière. Nombre des enjeux et des préoccupations qui entourent la DAN intéressent à la fois le Canada, les États-Unis, et l'Europe. Toutefois, il y a des enjeux propres au Canada qui devraient être au coeur du débat canadien en ce qui a trait à la politique étrangère, à la défense et aux intérêts économiques du Canada dans la conjoncture politique et financière actuelle.

    Les problèmes posés par la DAN sont extrêmement complexes et techniques par nature. Il n'y a pas aujourd'hui qu'un seul système de DAN qui est envisagé

—et c'est en 1995—

    mais plutôt de nombreux systèmes et projets concurrents aux États- Unis et en Europe. Chaque système et chaque projet doit être examiné de près par le Canada pour que sa politique soit menée en toute connaissance de cause. Les antécédents du Canada dans ce domaine ne sont pas très bons. Le problème vient en partie du fait que le Canada s'engage généralement trop tard. Le livre blanc a pavé la voie à l'examen d'un problème de défense qui prendra une très grande importance dans un avenir rapproché. Il est temps aujourd'hui d'engager le débat, sans attendre que les décisions aient été prises par d'autres, afin de ne pas obliger le Canada à réagir devant le fait accompli.

• 0905

Je vous le répète, cet article a été rédigé en 1995. Nous sommes maintenant en l'an 2000. En fonction des arguments que je vous avais présentés à l'époque, je vais vous exposer la situation actuelle et vous rappeler les quatre critères, que vous connaissez tous, qu'applique l'administration actuelle des États-Unis en ce qui a trait au déploiement de la force de défense antimissiles nationale.

L'administration a énoncé quatre critères devant décider du déploiement éventuel d'un système de défense antimissile national. Ce sont les menaces, les coûts, la faisabilité et les risques pour la sécurité internationale. Ces quatre domaines ont été dernièrement au coeur de nombreux débats publics, notamment dans les médias, au sujet de la politique canadienne, l'accent étant mis avant tout sur les menaces ainsi que sur les risques que posent en matière de sécurité internationale le traité MASC, la Russie, la Chine de même que les craintes liées à la course aux armements et à la remise en cause du régime de non-prolifération.

Malheureusement pour les Canadiens—et cela ne veut pas dire pour moi qu'il ne faut pas en parler, notamment en ce qui concerne les risques pour la sécurité internationale, et j'espère pouvoir en discuter avec vous aujourd'hui—en réalité toutes ces questions sont en grande partie réglées aux États-Unis; en l'occurrence, le débat est clos. Le risque a été accepté par l'administration des États-Unis.

Au départ, en janvier 1999, le secrétaire de la Défense, M. Cohen, a bien précisé que le risque se profilait, que le critère était bien rempli, que la chose allait vraisemblablement se passer en 2005 et que la date du déploiement allait être fixée à partir de maintenant si une décision était prise cet été.

Pour ce qui est des coûts, les crédits ont été autorisés l'année dernière par le Congrès, et autorisés à nouveau cette année afin d'englober les coûts du déploiement dans les budgets de la défense de l'an 2000 et désormais de l'an 2001.

Le test de faisabilité se fera en juin. S'il est positif et si rien n'a changé par ailleurs, le président donnera son accord au déploiement.

Enfin, pour ce qui est de la sécurité internationale, il ressort très clairement de la législation bipartisane votée l'année dernière à la Chambre et au Sénat et signée par le président Clinton que ce n'est pas un sujet de préoccupation ni une condition en soi du déploiement. Dans la pratique, si le test est positif ou si les résultats des contrôles sont suffisamment bons pour que l'on puisse conclure à la faisabilité, l'administration actuelle des États-Unis de même que la prochaine administration s'engageront à déployer cet armement.

Il m'apparaît que le problème fondamental auquel est confronté le Canada, c'est que la chose semble inévitable. Par conséquent, l'essentiel pour le Canada, à mon avis, c'est de savoir quels sont ses intérêts ainsi que les coûts et les avantages que cela va supposer pour lui lorsque les États-Unis vont décider de donner le feu vert au projet et, comme on peut s'y attendre, inviteront le Canada à y prendre part.

Enfin, je veux attirer votre attention sur l'état du monde dans 10 ou 15 ans. Je pense que l'on a perdu de vue, notamment dans les médias publics, cette question de l'orientation des États-Unis et de la défense antimissiles nationale. Il est certain qu'entre 2010 et 2015, les États-Unis posséderont un système limité de défense antimissiles au sol à partir d'un et éventuellement de deux sites.

Les États-Unis ne seront pas les seuls à posséder une défense antimissiles. Nos alliés européens auront au minimum une défense antimissiles navale du premier niveau venant s'ajouter à la défense antimissiles au sol de premier niveau que possède déjà l'Allemagne et les Pays-Bas. L'OTAN se sera doté de nouveaux moyens à partir de son architecture largement intégrée de défense aérienne. Son but est de mettre au point des moyens de défense de premier et de dernier niveaux, ce qui conférera ostensiblement à l'Europe un début de défense antimissiles stratégique.

Israël aura déployé le système Arrow. Elle l'a déjà fait. Elle possédera une défense stratégique pour les territoires israéliens.

Il est vraisemblable que le Japon, éventuellement Taiwan, éventuellement la Corée du Sud... sans parler de la Russie elle- même, se seront dotés, grâce à des accords de collaboration avec les États-Unis, de moyens de défense antimissiles plus perfectionnés accompagnant les systèmes actuels déployés autour de Moscou, qui comportent 100 engins d'interception.

Autrement dit, je suis convaincu que nous entrons dans un monde dans lequel la défense antimissiles est une réalité stratégique. Je pense que la politique canadienne et les décisions qui seront prises ne doivent pas manquer d'en tenir compte.

Je vous remercie.

• 0910

Le président: Merci, professeur Fergusson.

Avant de passer aux questions des membres du comité, puis-je vous demander une précision, parce qu'il s'agit d'un point important sur lequel nous avons entendu de nombreux témoignages. Ce système que se propose de mettre en oeuvre les États-Unis, nous avez-vous dit qu'il était autorisé ou non dans le cadre du traité passé entre la Russie et les États-Unis?

M. Jim Fergusson: Les détails précis des déploiements proposés... en l'occurrence, le fait que les États-Unis souhaitent ou préfèrent déployer le système lui-même en Alaska, en même temps que le radar basé au sol non installé sur le même site que les engins d'interception en Alaska, enfreint les dispositions de l'article 3 du traité MASC et de l'article 1 du protocole de 1974.

Le traité interdit par ailleurs—et l'on peut jusqu'à un certain point en discuter—une protection nationale, ce qui ostensiblement... Les 100 engins d'interception déployés en Alaska protégeront à 100 p. 100 le pays ou sont censés le protéger à 100 p. 100, de sorte que l'on ne respecte pas la lettre du traité. Toutefois, l'esprit du traité—puisqu'il s'agit en l'occurrence d'un traité visant à maintenir un équilibre stratégique stable pour éviter que chacun investisse dans des systèmes stratégiques offensifs et défensifs, pour éviter une course aux armements—ne sera aucunement remis en cause par le déploiement de ce système. Il est important de ne pas oublier par ailleurs que l'on ne s'inquiète nulle part dans les médias publics de l'existence de 100 engins d'interception conformes au traité qui défendent Moscou et qui sont en place depuis le début des années 70.

Le président: Je vous remercie de cette précision. Je pense qu'il était important qu'elle soit consignée dans notre procès- verbal.

Nous allons passer aux questions de mes collègues. M. Hart va commencer, il dispose de sept minutes.

M. Jim Hart (Okanagan—Coquihalla, Alliance canadienne): Merci, monsieur le président.

Je tiens à remercier pour commencer le Centre for Legislative Exchange, qui a organisé il y a trois semaines notre visite des installations de sécurité et de défense de Washington, D.C. Ce fut très instructif. Le professeur Fergusson nous accompagnait lors de cette visite. Nous avons entendu plusieurs sénateurs et représentants du Congrès des États-Unis. Tous semblaient appuyer très résolument le système de défense antimissiles.

Parmi les personnalités les plus intéressantes que nous ayons rencontrées et auxquelles nous avons pu parler, nous avons rencontré son excellence Raymond Chrétien, l'ambassadeur du Canada à Washington. Il nous a parlé lui aussi du système de défense antimissiles. Je lui ai demandé directement ce qu'il adviendrait des relations politiques du Canada avec les États-Unis si nous décidions de ne pas participer à la défense antimissiles. Il s'est montré très franc avec moi, je pense. Il m'a répondu que cela porterait un coup aux relations entre le Canada et les États-Unis et qu'il s'agirait là probablement de la première fois au cours de notre histoire où le Canada et les États-Unis ne décideraient pas de participer conjointement à un accord bilatéral en Amérique du Nord.

Quelle impression avez-vous retirée de cette rencontre?

M. Jim Fergusson: C'est aussi l'impression que j'ai retirée pour l'essentiel de cette rencontre, soit le fait que l'ambassadeur s'est dit préoccupé par les conséquences d'un refus du Canada de participer à un système de défense avec les États-Unis. Je suis d'accord avec lui. Il m'apparaît que cette question des répercussions sur les relations en matière de défense entre le Canada et les États-Unis est éventuellement le principal élément à prendre en compte par le gouvernement du Canada et la Chambre des communes.

Voilà trop longtemps dans notre pays, notamment depuis la fin de la guerre froide, que l'on part du principe que les relations entre le Canada et les États-Unis ne risquent pas de se détériorer. Je ne veux absolument pas dire par là qu'il faut que le Canada soit à la remorque de Washington sur toutes ces questions, mais nous devons être sensibles au fait qu'il y a certaines questions aux États-Unis qu'au Canada... En ce qui concerne le Canada, il y a bien entendu l'exemple des préoccupations canadiennes touchant la question de la réglementation du trafic international des armements, alors que les États-Unis nous ont dans une large mesure opposé unilatéralement un véto, ce qui a eu des répercussions dans notre pays et ce qui fait que nous cherchons à inciter les États- Unis à modifier leurs politiques. À cet égard, par la même occasion, il arrive que le Canada subisse le contrecoup de ces politiques, mais il faut aussi parfois qu'ils prennent en compte certaines questions susceptibles de remettre sérieusement en cause les relations entre le Canada et les États-Unis, ce qui amènerait le Canada à en payer sérieusement les conséquences.

M. Jim Hart: Doit-on s'inquiéter en particulier des questions se rapportant à NORAD?

M. Jim Fergusson: Oui, en particulier NORAD. Je pense qu'il faut soigneusement éviter d'en faire un débat au sujet de l'avenir de NORAD en tant qu'institution—et ce n'est pas mon intention—et il est important que NORAD soit considéré comme l'institution de base ou ce que j'appellerais la clé de voûte des relations entre le Canada et les États-Unis en matière de défense. Les répercussions directes sur NORAD seraient vraisemblablement une marginalisation de cette institution ou, comme j'aime à le dire, NORAD sécherait sur pied si le Canada n'y prenait pas part.

• 0915

M. Jim Hart: On peut considérer que NORAD est un accord bilatéral qui apporte une valeur ajoutée au Canada parce que nous en retirons probablement davantage que ce que nous lui apportons en fait étant donné que les Américains en assument quelque 90 p. 100 des coûts. Peut-on penser que le Canada aurait autant à gagner en ce qui concerne la défense antimissiles?

M. Jim Fergusson: Il est difficile de dire combien nous aurions à gagner du déploiement d'une défense antimissiles. Il est évident que pour ce qui est du maintien des avantages tirés de cette relation—le faible coût de la participation du Canada à la surveillance conjointe du territoire de l'Amérique du Nord, en matière de défense aérienne comme en matière de défense antimissiles; la poursuite de notre rôle sur les questions aérospatiales, d'alerte avancée et de déclenchement des attaques; la conservation de notre statut ou de la rentabilité de nos programmes, qui permettent aux Canadiens de jouer un rôle dans l'exploration de l'espace, rôle qui dépend des relations étroites que nous maintenons dans le cadre de NORAD avec le commandement spatial des États-Unis; enfin, les intérêts civils et militaires du Canada dans le maintien de cette relation en toute indépendance—ce sont là de toute évidence de gros avantages pour le Canada qui, à mon avis, sont obtenus à un coût relativement faible.

Je pense que si vous revenez sur les arguments qui ont été présentés lors de la négociation et de la signature de l'accord NORAD au cours des années 50 et si vous faites une étude comparative de ce qu'il en aurait coûté au Canada pour mettre au point un système national de contrôle de son espace aérien ou, si vous voulez, de surveillance de son territoire, le coût aurait été prohibitif pour notre pays.

M. Jim Hart: Vous avez dit dans votre exposé qu'il y avait effectivement une collaboration entre les États-Unis et la Russie en matière de technologie. J'imagine qu'il s'agit là d'une mise en commun de la technologie s'appliquant à la défense antimissiles. L'un des arguments qu'avancent systématiquement les adversaires des systèmes de défense antimissiles nationaux, c'est qu'ils vont porter préjudice aux relations entre le Canada, les États-Unis et la Russie. J'aimerais que vous nous donniez quelques précisions à ce sujet. Pouvez-vous nous indiquer comment ces systèmes opèrent et pourquoi cette collaboration va être mise en place?

M. Jim Fergusson: Il faut remonter au début des années 90, lorsque l'administration Bush a révisé l'initiative de défense stratégique et en a fait ce que l'on a appelé le système GPALS, soit un système de protection globale contre des frappes limitées. Cela s'est fait en consultation étroite et après en avoir longuement discuté avec le président de la Russie de l'époque, M. Yeltsin. On semblait devoir déboucher à ce moment-là sur une première étape de coopération en vue de mettre au point un système d'alerte mondial, ne serait-ce que pour régler un certain nombre de difficultés qu'éprouvait la Russie à la suite de l'effondrement de l'Union soviétique et pour combler certaines grandes lacunes de ses systèmes d'alerte avancés.

Ce devait être à l'époque la clé de voûte d'une relation empreinte de collaboration, ou cela s'y apparentait. Bien évidemment, les États-Unis ont aussi entrepris à l'époque, en collaboration avec la Russie, d'échanger davantage d'information. C'est ainsi qu'ont été signés les traités START I, puis START II, qui comportaient d'importantes modalités de vérification. Les États-Unis et la Russie ont aussi entrepris, dans le cadre des amendements Nunn-Lugar, d'appuyer le démantèlement par la Russie de ses têtes nucléaires.

Sur le théâtre plus précis de la défense antimissiles, la Russie et les États-Unis, à différents niveaux de collaboration, notamment pour ce qui est de la défense antimissiles localisée, ont entamé des échanges d'information. Des responsables militaires russes ont assisté aux essais de White Sands. J'ajouterais aussi que les Russes ont effectivement fourni des fusées-sondes dans le cadre de diverses expériences essentielles à l'interception des missiles, plus précisément pour ce qui est des interceptions à haute altitude en dedans et en dehors de l'atmosphère.

En dépit de la rhétorique stratégique des pouvoirs publics, si l'on peut dire, la collaboration entre les États-Unis et la Russie ne date pas d'hier. Depuis le mandat du président Reagan, les États-Unis ont d'ailleurs toujours affirmé qu'une fois que la technologie aura été mise en place, ils étaient disposés à la partager avec les autres pays. Le président Reagan, le président Bush et le président Clinton ont tous dit la même chose: une fois que cette technique serait davantage au point, la Russie, comme les États-Unis, avait intérêt à disposer d'une défense stratégique. Reportez-vous d'ailleurs à notre voyage d'il y a deux semaines et considérez l'argument du représentant Curt Weldon, qui est absolument convaincu qu'il s'agira là d'un élément très important de collaboration avec la Russie à l'avenir.

• 0920

Le président: Merci, monsieur Hart.

[Français]

Monsieur Laurin, vous avez sept minutes, s'il vous plaît.

M. René Laurin (Joliette, BQ): Jim, je veux d'abord m'excuser d'avoir manqué votre exposé. J'ai été un peu en retard, mais il me fait quand même plaisir de vous retrouver après avoir eu le privilège d'être en votre compagnie lors de notre voyage à Washington et même celui d'échanger avec vous quelques propos que j'ai trouvés fort enrichissants. Alors, il me fait plaisir de vous retrouver aujourd'hui.

J'espère que je ne vous poserai pas des questions que vous avez couvertes dans votre exposé. Si cela se produit, vous m'en aviserez.

Un général de l'armée américaine a déclaré hier que si une bombe était lancée sur Ottawa, la capitale, les États-Unis ne se sentiraient pas nécessairement obligés de défendre le Canada, ce à quoi le ministre des Affaires étrangères a répondu que le Canada n'allait pas se laisser impressionner par du chantage. C'est une opinion que je partage.

Il semble bien, dans cette affaire, que le Canada tienne deux langages. Le ministre des Affaires étrangères, M. Axworthy, semble plutôt s'opposer à ce que le Canada participe au système de défense antimissiles, alors que le ministre de la Défense, lui, et tous les représentants militaires que nous rencontrons, autant au Canada qu'à l'étranger, semblent plutôt favorables à la participation du Canada à ce système. Donc, on en conclut que le Canada n'a pas fait son nid de façon définitive.

Je pense qu'on oublie peut-être trop souvent, dans ces débats, que les États-Unis sont nos amis et qu'ils sont des partenaires très importants, mais que nous sommes aussi des partenaires très importants pour les États-Unis. Lorsque les États-Unis nous font certaines menaces, je me demande dans quelle mesure ils devraient, eux, craindre la non-participation du Canada au déploiement d'un tel système antimissiles, car nous représentons pour eux une certaine sécurité. Nous sommes un véritable tampon entre les États-Unis et leurs ennemis potentiels ailleurs dans le monde.

Dans cette perspective, est-ce que le Canada peut, diplomatiquement et même commercialement parlant, compte tenu des enjeux, maintenir une position de neutralité ou même, s'il ne peut pas maintenir une position de neutralité, aller jusqu'à s'opposer à l'établissement de ce système antimissiles aux États-Unis? Est-ce qu'on peut faire cela tout en évaluant les risques et les inconvénients et espérer que les dommages ne soient pas aussi importants qu'on le craint?

[Traduction]

M. Jim Fergusson: Vous venez de soulever, je pense, l'une des questions qui fait l'objet de plus de conjectures sur le plan commercial, et que je considère très importante.

Je suis tout à fait d'accord avec vous pour dire que le Canada et les États-Unis, sur un plan économique et commercial, sont dans une relation de dépendance mutuelle. Nous tirons tous deux parties de cette relation et il est très peu probable, étant donné l'importance de chacune de nos économies pour l'autre, que les États-Unis cherchent, disons, à sanctionner le Canada sur le plan commercial si nous décidons de ne pas participer. Nous devons être très prudents en évaluant les coûts commerciaux d'une non- participation.

Cela dit, toutefois, je pense qu'il nous faut être sensibles aux coûts potentiels. Sur le plan commercial, il y a deux types de coûts directs potentiels. L'un a trait directement aux relations industrielles en matière de défense et à l'évolution de la capacité industrielle du Canada en cette matière et, par contrecoup, celle de ses secteurs de haute technologie en aérospatiale, qui en grande partie marche main dans la main, si l'on peut dire, avec celle des États-Unis dans le cadre des accords de partage de la production de défense et d'autres accords similaires, cette relation étant dans certains domaines mise à mal, je l'ai dit tout à l'heure, par la décision prise récemment par le département d'État au sujet des ventes d'armes internationales.

• 0925

Par le passé—et je citerai cet exemple—il y a eu un certain nombre de frictions entre le Canada et les États-Unis dans le secteur de l'industrie de la défense, notamment du fait de l'adoption de certaines lois par le Congrès ayant remis en cause l'esprit des ententes ou même effectivement écarté les sociétés canadiennes même si elles sont censées être traitées sur le même pied que les sociétés américaines dans les appels d'offres du ministère de la Défense. Il y a aussi d'autres dimensions à ce problème dans le cadre de ces relations.

Toutefois, ces problèmes ont toujours pu être réglés par le passé grâce aux pressions exercées conjointement par les entreprises canadiennes auprès des entreprises américaines—il y a des liens étroits—par les agents de l'ambassade à Washington, et surtout par le Pentagone et le département d'État, qui à maintes reprises ont oeuvré de concert pour essayer de rappeler au Congrès que les relations avec le Canada étaient particulières et tout à fait exceptionnelles.

Il faut tenir compte de cette situation et reconnaître l'importance de cette relation particulièrement étroite avec les États-Unis et savoir que si le Canada dit non à la défense antimissiles nationale, on peut se demander alors quelles seront les incidences sur les esprits au sein du Pentagone, du département d'État et de l'industrie américaine.

Les États-Unis ne vont pas se faire violence et porter préjudice à leur propre économie, mais sur des questions qui peuvent avoir beaucoup d'importance dans certains secteurs de l'industrie aérospatiale canadienne, qui est étroitement liée au secteur de la défense, lorsque le Congrès peut se prononcer d'une manière qui pénalise le Canada ou tout simplement ne pas tenir compte de nos liens privilégiés, il faut être conscient de la possibilité que le Pentagone et le département d'État ne viennent plus à la rescousse du Canada. Cela ne veut pas dire pour autant que les relations économiques vont retomber à zéro ou que nos ententes économiques plus larges vont être sérieusement remises en cause, mais je pense qu'il nous faut être conscient de cela si nous refusons notre participation, et d'autant plus conscient si le Canada dit non et cherche ensuite à rameuter la communauté internationale pour s'opposer aux États-Unis et les faire condamner. C'est quelque chose que je juge important et dont on doit tenir compte.

Le président: Merci beaucoup.

Nous avons de ce côté trois membres qui veulent poser des questions. M. O'Reilly pour commencer, puis M. Pratt, suivi de M. Bertrand.

Monsieur O'Reilly.

M. John O'Reilly (Haliburton—Victoria—Brock, Lib.): Merci, monsieur le président, et merci, professeur Fergusson, d'être venu.

Je pense que vous avez abordé nombre de questions que souhaitait vous poser notre comité lorsque vous avez évoqué les coûts, tant industriels que militaires, et l'état des relations entre le Canada et les États-Unis. Lorsque je suis allé visiter Cheyenne Mountain et le site NORAD, Schriever, etc., j'ai eu le sentiment que cette marginalisation était déjà en cours, qu'elle avait effectivement commencé, parce que même si le Canada n'a pas été invité à participer et si les États-Unis ont convenu de donner le feu vert au projet, les hauts gradés de la hiérarchie militaire des États-Unis hésitent à faire participer dès maintenant le Canada à certaines opérations de planification qui ont lieu dans le secteur de la défense de NORAD.

Nombre de Canadiens m'ont posé les questions suivantes et il me faut aussi les poser: dans la situation actuelle, y a-t-il une menace? Est-ce que l'on perçoit une menace ou est-ce qu'il s'agit d'un programme de dépenses conçu pour les États-Unis que le Congrès juge nécessaire afin que la population des États-Unis se sente plus en sécurité? Quels sont les risques que posent les États renégats, et quels sont les États renégats contre lesquels on se défend ou on cherche à se défendre? On fait observer par ailleurs que le Canada est placé sur la route des missiles. Nous ne sommes plus à l'abri des missiles. C'est le ciel canadien qui va être le théâtre des manoeuvres s'appliquant aux missiles.

• 0930

Je m'intéresse aussi à ce que vous avez dit du livre blanc de 1994, parce que c'est à cette date que nombre d'entre nous ont été élus au Parlement et en ont pris connaissance au Comité de la défense. Si vous pouviez aussi aborder cette question, je vous en serais reconnaissant.

M. Jim Fergusson: Pour ce qui est des menaces, on peut légitimement débattre de la nature des menaces posées par ceux que vous avez appelé les «États renégats» en reprenant le qualificatif américain. Les habituels suspects sont dans l'ordre la Corée du Nord, l'Iran, l'Iraq puis, en poussant un peu plus loin, la Syrie et éventuellement la Libye. Ce sont essentiellement ce que j'appelle «les suspects habituels».

On peut légitimement discuter de la nature exacte de cette menace, mais particulièrement chez ceux qui discutent de cette question aux États-Unis ainsi que parmi nos alliés européens, on s'entend au sein de l'OTAN sur la prolifération des armements de destruction de masse et des missiles balistiques. On s'est entendu là-dessus au sommet de Washington. L'un des éléments clés du sommet, la doctrine stratégique révisée, porte sur la question de la prolifération.

Le véritable débat ne porte pas sur la menace en soi mais sur le moment auquel cette menace va se produire. Les États-Unis ont plus particulièrement été aiguillonnés par l'essai d'une fusée à trois étages effectué en août 1998 par la Corée du Nord, ce qui a amené une évolution rapide de la position qui était jusqu'alors celle de l'administration américaine, à savoir que cette menace ne se matérialiserait qu'en 2010 ou en 2015. Elle a repris la thèse de la Commission Rumsfeld selon laquelle cette menace pouvait se matérialiser bien plus rapidement que prévu et pouvait aussi se produire sans que nous le sachions. Les Services de renseignement pouvaient faillir à leur tâche.

L'essai d'une fusée à trois étages par la Corée du Nord a pris en défaut les services de renseignement. Tout le monde a été pris par surprise. Cela a confirmé en quelque sorte la thèse de la commission Rumsfeld. C'est l'événement qui a permis de ramener à environ 2005 la date la plus probable ou la plus proche à laquelle les nord-Coréens étaient susceptibles de se doter d'une capacité opérationnelle, s'accompagnant probablement de l'installation d'une tête nucléaire très grossière.

Les Européens ne sont pas d'accord avec cette thèse. Nombre d'Européens, les Français en particulier, soutiennent que la capacité opérationnelle n'a rien à voir avec les essais et que la menace est bien plus éloignée. Je pense qu'il y a largement matière à débattre de la date à laquelle cette menace va véritablement se matérialiser, mais je vous rappelle cependant que tout le monde s'accorde à dire qu'elle va effectivement se matérialiser si rien n'est fait.

Quant à contester aux États-Unis le principe même d'une défense antimissiles nationale, c'est une cause qui me paraît perdue... Tout le monde peut comprendre que lorsqu'on déploie des missiles de défense—des missiles tactiques pour les forces déployées sur le terrain, des engins Patriot, des missiles de défense sur le théâtre des opérations dans le cadre des expéditions ou des opérations d'intervention des forces alliées, et la défense antimissiles nationale pour l'Amérique du Nord—que cela ne peut servir que d'appui au régime de non-prolifération. En l'occurrence, cela renchérit, pour les responsables éventuels de la prolifération, le coût des investissements dans la technologie et restreint leurs ressources financières à la mise au point de techniques et de mécanismes de lancement de missiles grossiers et rudimentaires qui, dans la pratique, pourront ne pas fonctionner, d'où une modification des calculs politiques étant donné le risque de non-fonctionnement.

Nous cherchons, dans le cadre du régime de non-prolifération lui-même, du traité de non-prolifération, par l'intermédiaire des différentes composantes du régime, y compris celle qui a trait au contrôle de la technologie des missiles, à empêcher la dissémination des techniques portant sur les missiles balistiques. La défense antimissiles, telle que je la conçois, renforce ce régime parce qu'elle fait augmenter les coûts d'une prolifération et devient donc un élément dissuasif.

Quant au livre blanc, je l'ai dit dans mon exposé, j'ai considéré qu'il était le signe d'un changement de politique caractérisé. Lorsque je l'ai lu dès sa publication, j'ai été stupéfait par les deux paragraphes consacrés à la défense antimissiles. Je ne pouvais pas y croire. C'était à mon avis le changement le plus considérable qui ait été apporté à la politique de défense canadienne parce que l'on s'écartait—non pas résolument, mais légèrement—de la politique fixée antérieurement en 1985 par le gouvernement Mulroney. On s'écartait d'une simple collaboration non officielle au niveau des entreprises pour paver la voie effectivement à une collaboration officielle entre les gouvernements en matière de recherche et de consultation dans le cadre d'une interprétation stricte du traité MASC.

• 0935

Je m'attendais par la suite à ce que les choses bougent dans notre pays et à ce que l'on s'intéresse davantage à la défense antimissiles. Avec le recul, je ne suis pas surpris aujourd'hui qu'il ne se soit rien passé étant donné qu'il s'agit d'une question particulièrement délicate.

Le président: Merci, monsieur O'Reilly.

Nous allons maintenant accorder la parole pendant sept minutes à M. Earle.

M. Gordon Earle (Halifax-Ouest, NPD): Merci, monsieur le président.

Comme M. Laurin, je vous prie de m'excuser d'être arrivé un peu tard. J'assistais à une autre séance où d'ailleurs on a en partie abordé le sujet que nous évoquons ici. Je vous remercie bien sûr d'être venus et de nous avoir fourni toute cette information.

Vous avez évoqué le traité MASC et indiqué qu'une participation au système de défense antimissiles national ne remettrait pas nécessairement en cause l'esprit de ce traité. Vous avez évoqué la nécessité d'éviter une course aux armements. J'ai tendance à ne pas vous suivre sur ce point. J'estime que la DAN fait effectivement partie de la course aux armements, et je vais vous en donner un exemple.

Je vais faire une analogie avec un sport que je connais, le karaté, dans lequel on enseigne l'art de la défense, qui consiste cependant en partie à bloquer puis à contre-attaquer. Il s'agit donc d'un système d'armement complet. Lorsqu'on parle ici de défense, on parle en fait d'un système d'armement complet parce que, bien évidemment, lorsqu'on est mieux placé que son adversaire pour se défendre, on a aussi l'avantage pour ce qui est de la capacité globale à lancer une offensive. Je comprends donc bien les inquiétudes des Russes, des Chinois et d'autres pays en ce qui a trait à ce système.

Vous avez mentionné par ailleurs le démantèlement des têtes nucléaires. Ne serait-il pas préférable que nous consacrions tous nos efforts, notre énergie et notre argent à un projet visant au démantèlement des armements plutôt que de nous doter de nouvelles armes par l'intermédiaire de la DAN?

M. Jim Fergusson: Je suis heureux que vous ayez posé cette question parce que pendant trop longtemps, ou du moins jusqu'à tout récemment, on a opposé le désarmement à la défense dans le cadre de ce débat. On a tendance à oublier que les deux choses sont étroitement liées.

Il ne s'agit pas pour moi de dire que le Canada, qu'un pays de l'alliance occidentale ou que toute autre nation, ne devrait pas s'efforcer résolument d'oeuvrer en faveur d'un bien meilleur régime de désarmement ainsi que de la poursuite de la réduction en particulier du nombre de têtes nucléaires, et j'insiste sur la question nucléaire. Souvenez-vous, toutefois, que l'on a largement réduit le nombre de têtes nucléaires.

Il me semble que votre argument revient à dire qu'il faut se demander dans quelle mesure la défense antimissiles nationale va inciter certains pays, plus particulièrement la Russie, la Chine ou d'autres encore, à se doter effectivement de systèmes d'armement plus offensifs et donc de remettre en cause la probabilité d'un désarmement ou de fortes réductions.

Lorsque nous examinons sur le terrain les conditions ayant présidé à la réussite des opérations de désarmement, nous constatons que c'est le résultat de la combinaison d'initiatives diplomatiques réussies qui se sont appuyées sur des valeurs communes entre les différents États au sein de la communauté internationale, mais toujours cependant accompagnées soit de l'absence d'utilité militaire, soit de la capacité à contrer des armements militaires donnés.

Je me réfère ici en particulier à la Convention sur les armes chimiques. On s'accorde de manière générale au sein de la communauté internationale pour dire que les armes chimiques sont horribles. Elles sont répréhensibles sur le plan moral. La plupart des membres de la communauté internationale appuient résolument la convention qui vise à les interdire, à les supprimer purement et simplement, en établissant des régimes d'inspection appropriés, etc.

Toutefois, cette possibilité existe parce qu'elle s'appuie sur deux autres secteurs importants. Le premier, c'est qu'il y a un moyen de défense contre les armes chimiques. On peut se défendre. On peut défendre notre population et nos troupes sur le terrain contre l'utilisation de cette arme grâce au port de masques et par d'autres moyens.

• 0940

La question qui se pose alors est la suivante: quelle est l'utilité militaire de cette arme? La valeur de ce type d'arme disparaît ou en est largement diminué. Par conséquent, lorsqu'il existe des moyens de défense pour renforcer la position adoptée, il est possible d'établir un régime de désarmement de manière suffisamment résolue et en toute confiance dans le domaine des armes chimiques.

Sur la question de la défense antimissiles nationale et de la prolifération, deux éléments me paraissent très clairs. Tout d'abord, lors de la signature du traité MASC en 1972, nombre de gens ont déclaré que la signature de ce traité allait être la clé de voûte de la réduction des armements stratégiques. Pourtant, lorsque ce traité a été signé, il n'y a eu en fait aucune réduction des armements stratégiques. Les arsenaux stratégiques des États- Unis et de l'Union soviétique ont continué à se développer tout au long des années 70 et jusqu'aux années 80. Une réduction n'est intervenue que lorsqu'une évolution fondamentale des relations politiques s'est produite à la fin de la guerre froide.

La question qui se pose alors est de savoir dans quelle mesure l'acquisition d'un nombre très limité d'engins incite à la reprise des arguments stratégiques de la guerre froide en l'absence des facteurs politiques présidant à ce type de conflit stratégique. Je ne vois pas quels peuvent être les éléments incitatifs.

Tout d'abord, même si nous envisagions de ramener le nombre de têtes nucléaires susceptibles d'être lancées à 500 pour chacun des pays, la capacité de la Russie à menacer les États-Unis avec son arsenal stratégique si elle avait à le faire—et je ne vois pas quelle raison politique pourrait bien exister—resterait grande contre 200 engins d'interception et même 300. Je ne vois donc pas selon quelle logique la Russie refuserait en fait de continuer à négocier une baisse des armements.

En fait, lorsqu'on en arrive à des seuils vraiment faibles—et c'est pourquoi nous avons besoin de repenser un peu les défenses antimissiles—la capacité à se défendre devient un excellent atout pour se protéger contre le risque que les autres trichent.

On change par ailleurs le fondement moral des relations stratégiques, parce que l'on peut ainsi passer d'une relation s'appuyant sur l'incapacité à défendre sa sécurité contre une destruction garantie, à la possibilité éventuelle, à long terme—et je parle ici du très long terme, dans 50 ou 100 ans—que le système se fonde désormais sur des éléments moraux axés sur la survie et la défense mutuelles.

M. Gordon Earle: Je suis d'accord en partie avec ce que vous venez de dire, mais je ne suis pas convaincu que nous n'ayons pas dès maintenant la capacité de nous défendre contre tout risque d'attaque. Je pense que cette menace est exagérée. Mais laissons là ce sujet.

Vous avez évoqué les relations entre le Canada et les États- Unis et l'idée selon laquelle les États-Unis pourraient ne plus vouloir aider le Canada, ce qui ferait que nous nous inquiétons. Je suis frappé par le fait que l'on a toujours l'impression que les États-Unis nous font une faveur et que l'on s'inquiète à leur sujet. On n'évoque jamais le cas contraire, lorsque nous venons en aide aux États-Unis sur certaines questions, tant économiques que militaires.

J'ai l'impression que sur toute cette question les États-Unis nous forcent la main et nous menacent, nous obligeant à participer, que nous le voulions ou non. Qu'en pensez-vous?

Le président: Très rapidement, professeur.

M. Jim Fergusson: [Note de la rédaction: Inaudible]

Le président: Non, non. C'est simplement qu'il y a d'autres collègues qui attendent et que M. Earle a dépassé le temps qui lui était imparti.

M. Jim Fergusson: Ah, très bien.

Je suis très heureux que vous ayez évoqué la déclaration faite hier par le commandant adjoint de l'U.S. Space Command. Je pense qu'elle a été mal interprétée. Je n'y vois pas un chantage. Il répondait vraisemblablement à une question précise, du genre: si le Canada participe, quelles seront les obligations des États-Unis?

Il n'a fait qu'exprimer une réalité. Légalement, les États- Unis n'auraient aucune obligation dans le cadre de NORAD de défendre le Canada. Les États-Unis ne seraient tenus de défendre le Canada qu'au titre de l'article 5 du traité de l'OTAN, mais l'article 5 ne précise pas exactement ce que les États-Unis devraient faire ou s'engager à faire pour défendre le Canada. Ce n'est pas fixé. Je pense donc qu'il ne faisait qu'exprimer une réalité laquelle, j'en conviens, n'a pas manqué d'avoir des répercussions dans notre pays.

Quant à votre question clé concernant le fait que le Canada aide les États-Unis, oui, c'est un point important—et nous l'oublions souvent dans notre débat—il y a une relation qui profite aux deux parties. Le Canada aide effectivement les États- Unis dans différents domaines, non seulement en Amérique du Nord mais sur le plan international.

Je me plais à citer l'exemple du maintien de la paix. L'une des grandes raisons pour laquelle le Canada a obtenu tant de succès dans les opérations de maintien de la paix pendant la guerre froide et qui explique qu'il a été si sollicité, c'est le fait que le Canada pouvait s'en charger alors que les États-Unis en étaient dans l'impossibilité. On a ainsi aidé la communauté des nations occidentales, nos alliés dans leur ensemble. Bien évidemment, pendant la guerre froide aussi, le Canada a contribué à la défense des États-Unis en raison de l'importance de notre territoire et des sites radars au Canada.

• 0945

Le président: Je vous remercie. Merci, monsieur Earle.

Nous allons maintenant passer à un deuxième tour de questions de cinq minutes. Monsieur Hart.

M. Jim Hart: Je vous remercie.

Il y a deux choses que je veux évoquer. Mon collègue, M. Earle, nous a dit qu'il s'intéressait au karaté. Voilà qui me paraît intéressant, parce qu'il n'est pas favorable à la défense antimissiles nationale. On pourrait penser que lorsqu'on s'intéresse au karaté, on ne pousse pas à la confrontation. Sur le plan de la défense antimissiles nationale, cela veut dire que l'on s'intéresse au karaté parce que l'on veut pouvoir se défendre, ce qui est exactement le but de la défense antimissiles nationale.

Je tiens à dire simplement qu'il ne faut pas que le Canada s'implique pour la seule raison qu'il craint des représailles économiques de la part des États-Unis. Ce n'est pas la bonne raison de s'impliquer dans le programme de défense antimissiles national. Nous devrons participer à la défense antimissiles nationale si nous avons reconnu l'existence d'une menace et si la prolifération des missiles balistiques entraîne véritablement des risques, parce que le Canada, qui est un pays souverain, est responsable de la protection de son sol.

Je ne peux pas comprendre les arguments de nos adversaires qui disent que le Canada ne devrait pas y prendre part. Je ne vois pas comment ils peuvent penser que les Canadiens ne doivent pas défendre leur sol. Voilà qui me paraît un argument oiseux. Depuis quand est-ce devenu un crime que de défendre une nation souveraine?

Par extension, comment procéder? Si nous devions le faire tout seuls, en aurions-nous les moyens? La réponse est bien simple, c'est non. La seule façon pour nous d'y parvenir, c'est de nous associer à notre allié le plus proche, les États-Unis. C'est une chose qui me paraît tout à fait logique.

Il y a cet autre argument au sujet des interventions non militaires, et j'aimerais que vous nous en parliez. Notre ministre des Affaires étrangères nous répète constamment que la guerre froide est terminée et qu'il nous faut procéder à des interventions non militaires. Si j'ai bien compris ce genre d'intervention, elle ne donne de résultat que lorsqu'elle s'appuie sur une puissance militaire. Qu'en pensez-vous?

M. Jim Fergusson: Il est évident que Joseph Nye, qui a défini cette notion d'intervention non militaire dans un débat sur la politique étrangère américaine lors des années 80, a justement précisé à ce sujet qu'il y avait un lien intrinsèque entre les interventions non militaires—la voie diplomatique; le recours, si vous voulez, à des méthodes non traditionnelles pour promouvoir les intérêts de l'État—et la puissance militaire pure et dure qui devait finalement venir les appuyer.

Ce qui nous manque, cependant—et c'est l'un des reproches que je ferais au recours aux interventions non militaires dans la politique canadienne—c'est la deuxième composante des interventions non militaires dont ont parlé Joseph Nye et d'autres intervenants. C'est le pouvoir exercé par la culture et la société américaines, la capacité à l'exprimer et l'envie que ressentent de nombreux peuples du monde lorsqu'ils constatent la richesse de l'Amérique du Nord. C'est cet autre élément qui est important. Cet élément est en fait plus utile aux États-Unis qu'au Canada.

M. Jim Hart: J'aimerais que l'on se penche sur l'argument selon lequel le système ne donnera pas de résultats en raison des contre-mesures qui rendront le système de défense antimissiles inefficace. Avez-vous des précisions à me donner sur ce point précis?

M. Jim Fergusson: C'est un élément intéressant. Il y a une certaine confusion, parce que d'un côté on va nous dire que des pays comme la Corée du Nord n'ont pas la capacité d'agir ainsi. Très bien. Nous ne savons pas exactement quand ils en auront les moyens. D'autre part, nous dit-on, même s'ils ne sont pas en mesure d'y parvenir, ils peuvent en quelque sorte mettre au point des contre-mesures perfectionnées, sous la forme de leurres ou de supports de pénétration. Un pays qui n'est pas suffisamment avancé en matière d'attaque ne peut pas se doter de contre-mesures perfectionnées, parce que ce n'est pas chose facile. Il n'est pas évident d'installer des leurres, des ballons, etc., sur une tête de fusée pour la cacher ou pour tromper un radar de guidage. Il a fallu beaucoup de temps aux Américains et aux Russes pour maîtriser cette technique.

Est-ce que cela peut empêcher un système de défense antimissiles potentiel d'être efficace? C'est certainement un problème pour tout système de défense antimissiles faisant appel à des moyens de destruction cinétiques par opposition à des moyens de destruction nucléaires, ce qui est le cas du système russe actuel et ce qui était le cas du système américain au cours des années 70. Il sera bien difficile pour le radar de guidage au sol, puis pour le radar situé à bord des engins d'interception de faire la distinction entre une tête de fusée et, disons, trois ou quatre leurres, et il y a une limite concernant le nombre de leurres que l'on peut utiliser.

• 0950

C'est l'une des raisons pour lesquelles la stratégie actuelle des États-Unis est de conserver de nombreux missiles en réserve. Lorsqu'ils nous disent «Nous avons 100 engins d'interception nous permettant d'arrêter 20 têtes de fusée», cela veut dire en fait: «Nous avons 100 missiles et nous allons en affecter cinq à chaque tête de fusée de façon à pouvoir finalement les arrêter toutes au cas où il y ait des leurres.» C'est difficile sur le plan technique, mais c'est possible.

Le président: Merci, monsieur Hart.

On va plus vite avec des interventions de cinq minutes, nous le savons, et nous allons maintenant donner la parole de ce côté à M. Pratt.

M. David Pratt (Nepean—Carleton, Lib.): Merci, monsieur le président.

Je vous remercie d'être venu, professeur Fergusson. Je pense que vous avez étalé devant notre comité une connaissance presque encyclopédique de cette question et votre contribution est bien sûr très appréciée.

Vous semblez être enclin à faire des prédictions depuis 1995, et je me demande ce que vous avez à dire de la prochaine rencontre entre M. Putin et M. Clinton. Je pense que l'on s'attend à ce que l'on discute de la défense antimissiles nationale et des modifications apportées éventuellement au traité MASC. Êtes-vous prêt à parier qu'il y aura ou non un accord?

J'ai aussi d'autres questions à vous poser, de sorte que...

M. Jim Fergusson: Je vous répondrai très brièvement en vous disant qu'un de mes anciens professeurs m'a averti de ne pas faire de prédictions parce que généralement les spécialistes des sciences politiques se trompent lorsqu'ils essaient de prévoir ce qui s'est passé il y a 20 ans.

Pour répondre à votre question, je ne suis pas sûr qu'il y aura un véritable accord, mais je pense qu'à l'issue du sommet on fera vraisemblablement une déclaration conjointe semblable à celle qui a eu lieu lors du sommet de février ou mars 1997 entre Yeltsin et Clinton, qui a servi de base aux accords de démarcation de septembre de cette année-là. Je pense qu'il y aura une déclaration indiquant pour l'essentiel que les Russes acceptent le principe du système, de sorte qu'au bout du compte, le président Clinton pourra annoncer le déploiement, sans toutefois engager irrévocablement la Russie ou les États-Unis. Il pourra alors pour l'essentiel confier à l'administration suivante le soin de régler les questions vraiment épineuses, dont personne ne parle à l'heure actuelle.

M. David Pratt: Ma deuxième question porte sur ce que certains organes des médias ont qualifié d'opposition européenne à la défense antimissiles nationale. On entend dire dans certains médias que les Français, les Allemands et certains éléments du Parti travailliste au pouvoir en Grande-Bretagne sont opposés à la DAN. Quelle est la vérité dans tout cela? Peut-on nuancer ces positions?

D'après ce que j'ai pu comprendre de vos observations antérieures sur le sujet, et corrigez-moi si je me trompe, j'ai l'impression que le message que vous avez fait passer—il se peut que ce soit lors de la réunion de l'Institut canadien des études stratégiques—c'est que les alliés européens sont essentiellement en train de mettre sur pied leur propre système de défense antimissiles et qu'il s'agit davantage d'un problème de calendrier que d'un désaccord de fond sur le bien-fondé de la décision des États-Unis. Qu'en pensez-vous?

M. Jim Fergusson: Il y a une grande diversité dans les positions européennes. Les Italiens sont les plus déchirés sur la question, et le fait que leur territoire ait été attaqué joue un grand rôle. La Libye a lancé au cours des années 80 deux missiles SCUD sur une île que possèdent les Italiens. Bien entendu, ce sont eux qui selon le cours des choses vont subir les premières menaces.

Les Français y sont les plus opposés pour diverses raisons. Il est intéressant de constater qu'ils s'inquiètent particulièrement de la possibilité d'un accord entre les Russes et les Américains, qui pourrait remettre en cause leurs intérêts stratégiques.

Les Allemands s'inquiètent au sujet de la Russie. Très rapidement et sans entrer dans les détails, si l'on se ménage les Russes, il n'y aura plus de problème pour les Allemands.

• 0955

En ce qui concerne la Grande-Bretagne, ils s'agit d'un problème de gestion de l'alliance. Les Britanniques sont les plus avancés sur le plan des accords de coopération technique avec les États-Unis en matière de programmes de défense antimissiles dans le cadre de l'étude de préfaisabilité effectuée en 1997 et du programme d'accès aux techniques.

Les Européens, très lentement et avec des investissements très limités, s'efforcent de suivre l'évolution de la technique, de s'assurer que les industries européennes soient impliquées à l'avenir et d'être en mesure d'élaborer de nouveaux programmes, notamment des programmes navals—et pour passer rapidement en revue les différents pays, il s'agit de la Grande-Bretagne, de la France, de l'Italie, de l'Espagne, des Pays-Bas, de l'Allemagne et d'autres—principalement concernant l'intervention des frégates, qui commencent à disposer de moyens de défense antimissiles, de programmes de défense antimissiles susceptibles d'évoluer. L'OTAN a procédé à ses propres études de défense aérienne intégrée, qui ont été publiées cette année, des projets et des études de faisabilité portant sur une architecture de défense antimissiles relativement perfectionnée—si tout se passe bien à l'avenir.

Si vous me permettez d'aborder rapidement un dernier point, je considère—et c'est mon point de vue personnel; il est quelque peu hérétique—que les Européens sont très préoccupés par les pressions exercées par les États-Unis, sur la question des menaces en particulier, et craignent que les États-Unis ne fassent quelque chose qui donne lieu à un débat public en Europe et amène à se demander pour quelle raison les gouvernements ne défendent pas l'Europe. Il leur faudrait alors faire de gros investissements dans ce secteur alors qu'ils ont d'autres impératifs.

M. David Pratt: Très bien. Très rapidement, quel est à votre avis l'état de l'opinion publique canadienne sur la question et, s'il vous fallait mettre le doigt sur l'argument le plus convaincant contre la DAN au Canada, quel serait-il?

M. Jim Fergusson: Je dirais en ce qui concerne l'opinion publique que j'ai pris connaissance d'un ou deux sondages qui nous montrent que la grande majorité de la population est en faveur aussi bien de NORAD que de la défense antimissiles. Il est difficile de savoir dans quelle mesure l'opinion publique comprend bien ce que cela signifie en réalité.

L'exemple que je donne est qu'en 1985, et je n'aime pas soulever la question de l'IDS parce qu'elle évoque trop de choses, la majorité des Canadiens étaient favorables à ce que le Canada participe pleinement à l'IDS et cela est conforme avec la façon dont la population conçoit nos besoins en matière de défense. Je pense que la population est tout à fait favorable à une participation canadienne.

Quel est le problème essentiel? Je ne sais pas comment répondre à cette question parce que je ne vois guère de problème, à l'exception des problèmes de nature politique, ce que j'appelle le dilemme politique qui vient du fait que nous sommes voisins des États-Unis.

Le président: C'est peut-être l'explication. Merci.

Monsieur Pratt, à titre d'information, je fais un sondage auprès de mes électeurs sur ce sujet. Je n'ai pas encore reçu toutes les réponses, en fait je n'en ai reçu que quelques-unes, mais elles indiquent que mes électeurs de la circonscription de London—Fanshawe appuient à 65 p. 100 ce système de missile. Je voulais simplement vous le signaler.

[Français]

Monsieur Laurin, vous avez cinq minutes.

M. René Laurin: J'aimerais déborder un peu du cadre du système de défense antimissiles américain pour revenir à la politique de défense du Canada. Monsieur Fergusson, la politique du Canada en matière de défense nationale repose sur un Livre blanc qui a été rédigé en 1994. Compte tenu de la révolution dans les affaires militaires, est-ce que vous croyez que la politique du Canada en cette matière devrait être révisée ou si elle répond encore aux besoins de l'heure dans le monde?

[Traduction]

M. Jim Fergusson: J'aurais tendance à dire qu'elle est conforme aux conditions de base, compte tenu des investissements effectués depuis quelques années et des capacités de l'armée canadienne. Je crois que l'on insiste un peu trop sur l'idée que l'équation militaire est complètement transformée, pour ce qui est de l'effet de ces facteurs sur le Canada. Je pense néanmoins que si le Canada ne participe pas...

[Français]

M. René Laurin: Monsieur le président, il y a un problème de microphone. J'entends vraiment peu l'interprète. Je ne sais pas si l'interprète parle trop loin du micro, mais j'ai de la difficulté à l'entendre. J'entendais bien l'interprète précédent.

[Traduction]

Le président: Très bien. Vous leur avez signalé.

[Français]

M. René Laurin: Excusez-moi, monsieur Fergusson.

[Traduction]

Le président: Nous allons poursuivre et nous verrons si cela est possible, monsieur Laurin.

M. Jim Fergusson: Voulez-vous que je continue?

Le président: Oui.

M. Jim Fergusson: Si le Canada n'y participe pas, il va falloir revoir tout cela, certainement le livre blanc, et réviser notre politique. D'après moi, cela vient du fait que le livre blanc ainsi que le rapport du comité mixte du Parlement sont très réalistes...

• 1000

[Français]

M. René Laurin: Excusez-moi. Vous dites que si le Canada ne participe pas, il faudra revoir le Livre blanc. Est-ce que la révision du Livre blanc, selon vous, est liée à la participation du Canada au système antimissiles des États-Unis?

[Traduction]

M. Jim Fergusson: Ce n'est pas relié au DAN mais si l'on se réfère au livre blanc, et je sais que les gens de la Défense nationale qui l'ont rédigé refuseront de le reconnaître, si l'on examine l'ordre dans lequel cela est présenté, il y a d'abord la souveraineté et la défense du Canada; en deuxième lieu, la coopération bilatérale pour la défense de l'Amérique du Nord et numéro trois, la sécurité internationale. Si cela risque de porter gravement atteinte à nos rapports en matière de défense, il va falloir repenser complètement cet élément pour voir ce que le Canada est prêt à faire, ce qui va avoir des répercussions sur notre capacité d'investir dans la sécurité nationale et la défense de la souveraineté nationale.

C'est ce que je voulais dire lorsque j'ai dit... Si nous ne participons pas à ce système, cela va toucher un élément essentiel de notre politique en matière de défense, telle qu'énoncée dans le livre blanc, et il va falloir repenser tout cela, ce qui va avoir un effet sur nos investissements dans d'autres domaines.

[Français]

M. René Laurin: Monsieur Fergusson, il semble qu'actuellement, la pensée politique du Canada en matière de défense nationale soit intimement liée à l'hypothèse d'une attaque contre les États-Unis, ce qui est très particulier au Canada. Il est rare qu'un pays évalue sa propre sécurité en fonction de la menace qui pèse sur un pays voisin. Il me semble, en tout cas, que c'est très particulier au Canada. C'est une question de géographie, si vous voulez. Pourquoi le Canada devrait-il se sentir plus menacé par un pays étranger si ce pays est un ennemi des États-Unis? Est-ce que l'amitié des autres pays envers les États-Unis fait en sorte que le Canada devrait craindre ou non pour sa propre sécurité? Habituellement, notre sécurité est plutôt basée sur les relations que nous entretenons avec les pays étrangers. Il semble qu'ici, au Canada, on croie que notre sécurité repose davantage sur les relations qu'entretiennent les États-Unis avec les autres pays, ce qui m'apparaît un petit peu aberrant. Qu'en pensez-vous?

[Traduction]

M. Jim Fergusson: C'est une excellente remarque mais cela soulève plusieurs problèmes. Tout d'abord, le Canada fait partie du système d'alliances occidental depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, sans parler des rapports qu'il entretenait avec le Royaume-Uni, dans le cadre de l'Empire britannique et du Commonwealth avant la Deuxième Guerre mondiale. Les gens pensent en général que les autres pays, les adversaires des États-Unis, par exemple, font une nette différence entre les États-Unis qui constituent une menace et le Canada qui n'est pas pour eux une menace ou un adversaire.

Je dirais que bien souvent ces adversaires considèrent que le Canada fait partie de ce groupe et donc, qu'une menace contre les États-Unis est dans cette perspective, par définition, également une menace contre le Canada. Je ne vois pas pourquoi nous devrions penser qu'il est impossible que des États puissent prendre le Canada pour cible, à cause de sa participation aux missions d'intervention lancées par l'ONU. Il est dangereux de croire que tout le monde pense que nous sommes gentils et que personne ne veut attaquer le Canada.

Le troisième point que je veux souligner est que notre situation géographique fait en sorte que sur le plan de la technologie des missiles, si les systèmes de guidage des missiles qui sont lancés contre nous sont imprécis et qu'il y ait une erreur de quelques degrés, il est bien possible que cet adversaire n'ait pas l'intention de frapper le Canada mais qu'il le fasse quand même. Cet aspect géographique est également à l'origine de la relation que nous avons avec nos voisins pour ce qui est des bombardiers et de la défense aérienne.

Le dernier aspect est que notre sécurité, notre bien-être et la prospérité de notre nation dépendent du bien-être, de la prospérité et du pouvoir des États-Unis. Les États-Unis ont mis sur pied un système international qui dans l'ensemble profite au Canada. La stabilité du système international, dans lequel les États-Unis jouent un rôle essentiel, est conforme aux intérêts du Canada. C'est pourquoi nos valeurs et nos intérêts sont liés à ceux des États-Unis; c'est pourquoi nous pensons que, lorsque les États- Unis sont menacés, le Canada l'est également, tout comme l'est la stabilité du système international.

• 1005

Le président: Merci.

Nous allons maintenant entendre le secrétaire parlementaire du ministre de la Défense nationale, M. Bertrand.

M. Robert Bertrand (secrétaire parlementaire du ministre de la Défense nationale): Merci beaucoup, monsieur le président.

Vous avez mentionné quatre facteurs qui incitaient les États- Unis à vouloir mettre en place une DAN. Vous avez mentionné la menace, le coût, la faisabilité, et les aspects de sécurité internationale. J'aimerais revenir sur le premier élément, la menace.

Vous avez mentionné que la Corée du Nord, l'Iran et l'Iraq pouvaient être des dangers potentiels. Pour reprendre votre expression, quelle est la gravité de la menace que représente la Corée du Nord, par exemple?

M. Jim Fergusson: Cette menace est assez faible à l'heure actuelle, mais si je peux vous poser une question à mon tour, et je n'aime pas répondre à une question en posant une question, qu'entendez-vous par menace grave?

M. Robert Bertrand: J'ai oublié à quelle réunion on nous a dit qu'il était possible que d'ici cinq à sept ans, la Corée du Nord dispose d'un missile qui pourrait frapper l'Amérique du Nord. Pensez-vous que cela soit possible?

M. Jim Fergusson: Oui, cela est possible. Est-ce probable? Permettez-moi de replacer cela dans son contexte, lorsque les Coréens du Nord se sont retirés unilatéralement du Traité de non- prolifération et de l'Agence internationale de l'énergie atomique et ont laissé entrevoir la menace d'une arme atomique nord- coréenne, les pays occidentaux sont intervenus. Les États-Unis ont conclu une entente avec les nord-Coréens en vertu duquel les États- Unis s'engageaient à fournir une aide pour l'énergie nucléaire civile de base pour remédier au problème énergétique de la Corée du Nord et à fournir une aide alimentaire pour soulager la misère de la population nord-coréenne, en échange de quoi la Corée du Nord autoriserait des inspections et reviendrait au régime antérieur.

En août 1998, la Corée du Nord a testé un missile à trois étages, ce qui a montré que ce pays possédait une capacité rudimentaire en matière de missile balistique intercontinental. Les États-Unis ont réagi en entamant des discussions avec la Corée du Nord pour amener ce pays à accepter de mettre fin à ces tests et à ne plus fabriquer de missiles. En retour, les États-Unis étaient prêts à leur fournir une aide alimentaire et de l'argent.

Pour revenir à ce qui est paru dans les journaux, la Corée du Nord fait un chantage très raffiné. Les États-Unis, dans ce cas-ci, sont amenés, sous la menace, et parce que nous craignons le gouvernement de la Corée du Nord, à appuyer et à renforcer ce régime. La Corée du Nord va utiliser tous les moyens, étant donné le genre de gouvernement qui est au pouvoir, pour tenter de faire chanter les États-Unis, et les pays occidentaux.

Pour ce qui est de la défense antimissiles, il ne s'agit pas tant de savoir si ces États auront la capacité de nous menacer que de savoir si les États-Unis et leurs alliés vont déployer des systèmes qui vont affaiblir la position de la Corée du Nord pour qu'elle comprenne qu'elle n'est plus en mesure de placer les pays occidentaux dans une situation où ils sont obligés d'appuyer un régime aussi répressif.

M. Robert Bertrand: Quelle menace peut représenter un individu ou une organisation, par opposition à un État renégat? Savons-nous si cela pourrait se produire?

M. Jim Fergusson: Il y a toujours la possibilité que des fanatiques terroristes, des organisations terroristes, agissant de façon isolée, utilisent leurs propres ressources, leur propre capital essaient de nuire à la société nord-américaine. Ce n'est pas une chose que feraient des États, d'après moi, parce que si l'on se procure des armes, c'est dans un but politique. Cela ne sert pas à grand-chose d'avoir ensuite à les cacher.

Pour ce qui est des bombes dans les valises, je ne suis pas convaincu de la réalité de ce danger, notamment si l'on tient compte de ce qui s'est passé jusqu'ici en Amérique du Nord. Il est très rare que l'Amérique du Nord ait été la cible d'agressions terroristes. Il y a d'autres façons de régler ce genre de problème. D'une façon générale, il n'y a rien à faire contre les fanatiques, à moins d'accepter de vivre dans une société dans un État militaire, un État policier, ce qui ne serait pas acceptable ici, ni aux États-Unis.

• 1010

En fin de compte, c'est un autre problème. Il ne s'agit pas de choisir entre la défense contre les missiles ou la défense du territoire. Il est possible de faire les deux, pour la bonne raison que la défense du territoire est principalement une question de renseignement de sécurité et de services de police et non pas un problème de défense antimissiles.

[Français]

M. Robert Bertrand: J'ai une dernière question, professeur Fergusson. Si jamais le Canada donnait son accord et que les États-Unis nous demandaient de participer à la création de ce nouveau système, selon vous, quelle serait la contribution canadienne à ce nouveau système? Est-ce que ce serait une contribution monétaire, technologique ou autre?

[Traduction]

M. Jim Fergusson: La contribution canadienne consisterait à participer à ce projet. En fin de compte, ce serait notre participation. Nous allons continuer à collaborer avec les États- Unis pour défendre conjointement l'Amérique du Nord.

D'après ce que je sais du programme américain, les États-Unis ne vont pas demander au Canada de fournir une contribution financière pour ce système. D'après la formule de financement NORAD, ce sont les États-Unis qui assument intégralement toutes les infrastructures reliées à NORAD et déployées aux États-Unis. Les États-Unis ne demandent pas que l'on construise des sites radar ou d'interception sur le sol canadien, même si je signalerais en passant que le Canada devrait demander si nous pouvons contribuer à renforcer l'efficacité du système, en construisant un site radar sur le territoire canadien. Mais c'est une question que nous ne pourrons pas poser tant que le Canada n'aura pas décidé s'il allait participer ou non à ce programme.

Sur le plan de la technologie, il pourrait y avoir des retombées technologiques industrielles par la suite. L'industrie canadienne pourrait occuper certains créneaux non pas dans le système actuel mais lorsqu'il aura évolué et sera plus sophistiqué. Je pense à la mise au point de nouvelles générations de systèmes spatiaux de poursuite, aux dispositifs à infrarouge qui doivent être déployés dans l'espace à diverses fins, dont la défense antimissiles.

Dans l'ensemble, les États-Unis vont s'adresser au Canada pour trouver la technologie, la capacité, que celui-ci participe ou non au programme, à moins que leur gouvernement ne décide d'interdire aux entreprises canadiennes d'y participer. Finalement, les États- Unis veulent que le Canada y participe parce que les États-Unis ont toujours pensé que la défense de l'Amérique du Nord est une entreprise conjointe et qu'ils se sont battus pour cette idée. Il est important pour les États-Unis, sur le plan symbolique, que leur allié le plus proche, le Canada, participe à ce programme.

Le président: Merci, monsieur Bertrand.

Nous allons maintenant donner la parole à M. Earle, pour cinq minutes.

M. Gordon Earle: Merci, monsieur le président.

Les commentaires qu'a faits mon collègue M. Hart indiquent qu'il n'a manifestement jamais fait de karaté, ou que s'il en a fait, il n'a pas bien compris ce sport, parce que tous ceux qui ont pratiqué cet art martial savent que le point essentiel est d'éviter le combat. Je fais du karaté depuis plus de 20 ans et je n'ai jamais cherché la bataille. Les seuls combats auxquels j'ai participé, je les ai livrés dans des tournois. Le but recherché est l'autodiscipline, la paix intérieure, le contrôle de soi et la force de caractère, ce sont là des éléments que l'on ne retrouve pas toujours chez les politiciens et les militaires américains.

Je fais cette comparaison avec le karaté dans le seul but de montrer qu'il ne faudrait pas croire que ce DAN est uniquement un système défensif, comme on le dit parfois. C'est un système qui offre de très grandes possibilités offensives et qui doit être examiné de cette façon. C'est, je crois, ce qui inquiète les autres pays.

J'aimerais mentionner un autre aspect de ce système qui n'est pas souvent discuté, à savoir l'aspect commercial. Vous en avez parlé lorsque vous avez mentionné les rapports existants entre la défense et l'industrie. Il est bien évident qu'il est beaucoup plus profitable de participer à l'élaboration de ce système, avec la nouvelle technologie, que de désamorcer des ogives nucléaires. L'aspect commercial joue donc un rôle très important dans cette initiative et les gens n'en parlent pas; il est certain qu'il est dans l'intérêt des industries de la défense qu'un tel programme démarre.

• 1015

J'aimerais avoir vos commentaires sur ces aspects parce qu'il me paraît très important d'en parler pour que les gens sachent exactement de quoi il s'agit et qu'ils ne pensent pas seulement que nous sommes menacés et que nous devons nous protéger à tout prix.

M. Jim Fergusson: Je dirais d'abord que je ne suis pas du tout d'accord avec l'idée que la défense antimissiles comporte des aspects offensifs et défensifs, ne serait-ce que parce que je trouve cet argument très ésotérique et que la guerre froide est terminée, c'est là mon argument essentiel.

Mais pour ce qui est de la remarque concernant l'aspect commercial, il est évident que si j'étais une entreprise, j'aimerais avoir des contrats dans certains domaines connexes qui me permettraient, à cause de ma nature de société commerciale, de faire des bénéfices pour mes actionnaires et bien sûr de créer des emplois et de faire progresser les technologies. Je suis tout à fait d'accord avec vous. Cependant, cela ne représente qu'une partie, et une très petite partie, de l'ensemble des forces politiques qui favorisent les États-Unis un consensus général non partisan favorable à ce programme de défense antimissiles nationale.

Il est intéressant de noter ici que l'on retrouve au Pentagone, et chez les militaires, de nombreuses personnes qui s'opposent à ce que l'on investisse des sommes énormes pour la défense antimissiles, en particulier au cours des années précédentes où le budget de la défense diminuait constamment, parce que ces personnes voyaient là une menace à la mise en place de capacités militaires beaucoup plus importantes et d'intérêt plus immédiat. En ce sens, il me semble que sur un budget de la défense de 300 milliards, compte tenu du coût, et je n'ai pas tous ces chiffres en tête, d'un porte-avions nucléaire américain, le coût du projet F-22, et du projet conjoint d'avions de chasse, tous ces programmes... Les entreprises qui participent à ces projets sont toutes les mêmes, dans l'ensemble, et participent également à la défense antimissiles nationale. Si vous leur demandez ce qui serait le plus rentable pour elles, je crois qu'elles vous répondraient que ce n'est pas la défense antimissiles mais les autres projets dont je viens de parler.

Il y a bien entendu également le fait que le programme de défense antimissiles comporte de nombreux éléments, et non pas seulement l'aspect national mais la défense antimissiles en général, notamment les systèmes de commandement et de contrôle, la surveillance, les capacités de poursuite, la gestion des données, tout cela va jouer un rôle dans la défense antimissiles nationale ainsi que pour la défense antimissiles de théâtre. Mais ce sont également des capacités importantes qui, pour revenir à la remarque qui a été faite au sujet de la révolution qu'ont connu les affaires militaires, va jouer un rôle essentiel pour remodeler complètement la conception américaine des questions militaires. Les systèmes spatiaux pour la défense antimissiles vont également renforcer la capacité opérationnelle des forces américaines sur le terrain, et par conséquent, celle des forces canadiennes et alliées. Ce sont des systèmes polyvalents de sorte que pour les investissements... De la même façon, les entreprises vont en profiter qu'il s'agisse de la défense nationale antimissiles... et elles ne s'intéressent pas, de toute façon, suffisamment à certains aspects précis de la défense antimissiles pour être prêt à se battre pour qu'il soit accepté.

Mais je suis d'accord avec vous, ces entreprises défendent leurs intérêts commerciaux et pourquoi n'appuieraient-elles pas les initiatives qui leur sont profitables?

Le vice-président (M. David Pratt): Merci, monsieur Earle.

Monsieur O'Brien.

M. Pat O'Brien: Merci, monsieur le président, j'ai demandé au vice-président de présider la séance parce que je voulais faire quelques commentaires et poser quelques questions.

Pour ce qui est de la prétendue capacité offensive de ce programme, je dois dire que je ne comprends pas cet argument. Monsieur Fergusson, n'est-il pas vrai qu'à l'heure actuelle, les États-Unis ont, dans leur arsenal nucléaire, toute la capacité offensive dont ils ont besoin et même davantage?

M. Jim Fergusson: Certainement.

M. Pat O'Brien: C'est pourquoi je ne comprends pas l'argument selon lequel ce programme cache la volonté de renforcer la capacité offensive de ce pays. Les États-Unis n'ont pas besoin d'augmenter leur capacité offensive.

Quant à la déclaration de l'amiral Browne, un homme que j'ai déjà rencontré et avec qui j'ai eu le plaisir de converser, j'aurais préféré qu'il s'abstienne de faire une telle déclaration, mais il l'a faite. Il convient toutefois, je crois, d'être prudent, et je me réfère au commentaire qu'a formulé tout à l'heure mon collègue M. Laurin, et je ne vois pas là une menace de la part des États-Unis d'Amérique. C'est un amiral qui pense que nous devrions participer à ce programme et qui a fait une déclaration qu'il aurait peut-être été préférable de ne pas faire. Je ne sais pas.

Je vous demande si vous ne pensez pas que cela n'était pas un rappel aux réalités pour le Canada de la part de l'amiral Browne?

• 1020

M. Jim Fergusson: C'est ce que je pense. C'est un rappel aux réalités, et j'estime que cela est bon pour le Canada parce que cela touche l'aspect défensif de l'équation.

Le débat a porté en réalité sur les paramètres des essais. Ce que l'on oublie à l'heure actuelle c'est que pendant que l'on teste le système, les informaticiens conçoivent les logiciels pour la planification des missions et c'est en fait de cela qu'il parle. C'est une réalité; il faut préparer les missions en sachant quelles seront les cibles défendues ainsi que les priorités en matière de défense.

M. Pat O'Brien: Merci.

Pour ce qui est de la capacité du Canada d'assurer sa propre sécurité, puis-je rappeler à mes collègues, et je vous prie de me corriger si je me trompe, que je crois que 90 p. 100 des Canadiens ou même plus habitent à moins de 200 kilomètres de la frontière américaine. Est-ce bien exact?

Lorsque l'on réfléchit aux conséquences de cette situation, il ne faut pas longtemps pour comprendre pourquoi nous avons appuyé les États-Unis pendant les deux guerres mondiales et nous sommes devenus officiellement un partenaire en matière de défense depuis les années 40, et certainement, depuis les années 50 avec NORAD, mais au cours des années 40, il y a eu des accords sur la collaboration en matière de défense, par exemple. N'est-il pas littéralement impossible que le Canada puisse assurer sa sécurité nationale sans que les États-Unis y participent étroitement? Partagez-vous cet avis?

M. Jim Fergusson: Tout à fait.

Vous avez abordé un point très intéressant qui remonte au débat sur le NORAD et cela concerne la différence qu'il faut faire entre l'obligation qu'assume l'amiral et ce que feront ou ne feront pas les États-Unis pour défendre le Canada, si ce dernier ne participe pas à ce programme. Et cela remonte, comme je l'ai dit, au NORAD dont l'argument central, sur lequel nous sommes encore tous d'accord, était que les États-Unis défendront le Canada, avec ou sans l'accord de ce dernier, à cause de sa situation géographique. Mais ce qui est important, c'est de veiller à ce que les États-Unis nous défendent de la façon dont nous le souhaitons et non pas de la façon dont ils le feraient eux-mêmes.

M. Pat O'Brien: Merci.

Ma dernière question, s'il me reste un peu de temps, monsieur le président, porte sur ce dernier point. Franchement, en tant que député, je suis très favorable à ce que le Canada participe à ce projet si nous arrivons à régler la situation du système ABM. Voilà l'opinion d'un député canadien.

Cela commence à m'agacer lorsque j'entends dire que nous ne sommes pas responsables de notre propre sécurité. Sincèrement, je ne voudrais pas me retrouver dans une situation embarrassante dans laquelle je refuserais ce système antimissiles et attendrais ensuite que les États-Unis interviennent en cas de besoin, parce que ce sont nos voisins. Je trouverais une telle attitude très choquante et tout à fait irresponsable; ce n'est pas une position que je pourrais appuyer.

Voici ma dernière question. Est-ce que la question du coût de notre participation, cet argument du coût, selon lequel nous allons devoir assumer automatiquement 10 p. 100 des fonds investis dans ce programme, parce que c'est là le rapport que nous avons avec les États-Unis, sur le plan de la population et du reste, et c'est un argument que j'entends de plus en plus pour montrer que nous ne devrions pas y participer, est-ce bien là une exagération?

M. Jim Fergusson: Je ne dispose d'aucun élément indiquant que, pour ce qui est du partage 90-10 p. 100 des coûts opérationnels, les coûts relatifs à l'intégration des systèmes de commandement, de contrôle et des opérations de ce que préférerait appeler la défense antimissiles nord-américaine au quartier général de NORAD coûterait quoi que ce soit aux États-Unis ou au Canada. L'augmentation porterait uniquement sur l'infrastructure et ce sont les États-Unis qui absorberont ces coûts.

M. Pat O'Brien: Cela vient confirmer d'autres témoignages, monsieur le président, que nous avons entendu, depuis celui du commandant adjoint de NORAD, un Canadien, le général Macdonald, selon lequel la contribution qui nous serait probablement demandée serait de participer de façon asymétrique à NORAD, en d'autres termes, en faire davantage à Cheyenne Mountain de façon à libérer les Américains pour qu'ils travaillent à ce système. Il me paraît tout à fait exagéré de dire que ce projet est beaucoup trop coûteux pour nous et qu'il grèverait lourdement le budget de la défense.

Ne pensez-vous pas que cet argument est pratiquement dépourvu de valeur?

M. Jim Fergusson: Il me paraît sans grande valeur, en fait, je dirais qu'il ne tient pas. J'aimerais faire remarquer au comité que, d'après les recherches que j'ai effectuées, j'en suis arrivé à la conclusion que l'idée d'une participation asymétrique à la défense nationale antimissiles, que cela prenne la forme d'un projet spécial conjoint ou de libérer les Américains de Cheyenne Mountain, est en fait une idée canadienne. Ce n'est pas une demande américaine et il s'agit là de domaines dans lesquels nous avons l'intention d'investir de toute façon pour d'autres raisons.

M. Pat O'Brien: Merci beaucoup et merci d'être venu ici aujourd'hui.

Le vice-président (M. David Pratt): Merci, monsieur O'Brien, d'avoir posé ces questions.

Je vais maintenant donner la parole à M. Hart.

• 1025

M. Jim Hart: Monsieur Fergusson, notre gouvernement affirme que les Américains ne nous ont pas encore officiellement demandé de participer à ce système de défense nationale antimissiles mais est- ce bien vrai? N'est-il pas exact que les Américains ont clairement indiqué qu'ils voulaient que le Canada participe à ce programme?

M. Jim Fergusson: Je crois que les États-Unis ont donné des indications suffisantes au Canada, au gouvernement, au ministère de la Défense et, je crois, à celui des affaires étrangères aussi, pour faire savoir qu'ils souhaitaient que le Canada participe à ce programme.

La meilleure preuve que je puisse vous fournir est la décision officielle prise en 1996 par le Joint Requirements Oversight Council of the Joint Chiefs of Staff des États-Unis, qui indiquait clairement leur préférence pour que le système de commandement, de contrôle et des opérations soit confié à NORAD, ce qui constitue une indication claire. Le problème est qu'il y a toujours ce que j'appelle le pas de danse canado-américain, parce qu'il faut toujours être très prudent. Le Canada craint toujours que les États-Unis interviennent chez eux sans y être invités et les États- Unis craignent beaucoup qu'on puisse penser qu'ils se mêlent de la politique intérieure du Canada. Alors nous faisons des pas de danse.

Ils ne nous poseront pas la question tant qu'ils ne seront pas relativement certain d'avoir envoyé des signaux suffisamment clairs pour connaître notre réponse. Nous n'essayerons pas de leur envoyer une réponse sans savoir s'ils vont vraiment nous présenter une demande. Alors nous faisons beaucoup de détours en attendant que quelqu'un se décide.

M. Jim Hart: Pour ce qui est du pas de danse, il va y avoir bientôt des essais, au mois de juin. Cela est purement hypothétique, mais pensez-vous que le président actuel des États- Unis va prendre une décision à ce sujet ou est-il plus probable qu'il laisse cette décision à l'administration qui va lui succéder?

M. Jim Fergusson: C'est une question très importante. Si les essais sont positifs, tous les éléments, tous les indicateurs que je surveille montrent que le président sera obligé de donner son approbation. Il est toutefois important de rappeler, parce que c'est là un élément clé pour le moment choisi pour lancer l'invitation à participer, que le président va approuver un site, qui sera l'Alaska, et le début des opérations contractuelles pour la construction du site. C'est ce que le Comité Welch a appelé l'année dernière une décision en matière de faisabilité et non pas de déploiement. En fait, cette décision sera confiée à la prochaine administration qui aura pour tâche de mettre en oeuvre un programme qui aura tout juste démarré.

Le Comité Welch a soutenu qu'il suffisait d'obtenir un bon résultat avec un système intégré. Dans ce cas-là, si les essais sont concluants, le président ne peut que se faire du capital politique en décidant d'aller de l'avant.

Je devrais peut-être signaler au comité que la période prévue par le Pentagone pour présenter une recommandation... Le délai accordé pour le déploiement a été ramené de 60 à 30 jours, ce qui veut dire que la décision du président serait prise vers la fin du mois d'août ou en septembre, époque où les deux candidats seront en pleine campagne électorale. Je crois même que si les essais sont un échec, il est possible que le président dise quand même oui parce que les risques politiques sont très faibles.

M. Jim Hart: Enfin, ma dernière question sera la suivante: si vous deviez donner un conseil au premier ministre ce matin sur ce qu'il faut faire en matière de défense antimissiles, quelle serait votre recommandation pour le Canada?

M. Jim Fergusson: Je dirais au premier ministre que tout retard pris dans la décision de participer à ce programme entraînera des coûts de plus en plus lourds pour le Canada. Il est dans l'intérêt national du Canada de veiller à établir une relation très importante et peu coûteuse en matière de défense avec les États-Unis. Cette relation revêt une importance vitale pour le Canada sur le plan international.

Il est vrai que le Canada n'a pas le même point de vue que les États-Unis sur la nature véritable des menaces potentielles mais il peut néanmoins comprendre la façon dont les États-Unis évaluent cette menace ainsi que leur point de vue et leurs préoccupations.

Enfin, je conseillerais fortement au gouvernement canadien de déclarer publiquement aux États-Unis et à Moscou que le système national de défense antimissiles tel que prévu ne porte aucunement atteinte au traité ABM, et que le Canada ne voit là aucune difficulté.

M. Jim Hart: Merci beaucoup d'être venu témoigner aujourd'hui.

• 1030

Le président: Merci, monsieur Pratt, d'avoir assuré la présidence pendant un moment.

M. Hart a terminé. Y a-t-il d'autres questions de ce côté-ci? S'il n'y en a pas, alors,

[Français]

Monsieur Laurin, s'il vous plaît.

M. René Laurin: J'avais une question qui ressemblait à celle qu'a posée mon collègue Hart. Puisque j'ai manqué votre exposé, monsieur Fergusson, je suis tenté de vous demander comment vous résumeriez en deux ou trois phrases votre témoignage de ce matin. Comment le feriez-vous?

[Traduction]

M. Jim Fergusson: Tout d'abord, c'est une des grandes questions stratégiques que doit résoudre le Canada, et c'est même peut-être la plus importante. Je crois que le Canada se trouve à la croisée des chemins, il va devoir décider s'il reste sur le chemin qu'il suit depuis 40 ou 50 ans ou s'il va bifurquer carrément et se lancer dans l'inconnu.

Deuxièmement, le débat qui se tient aujourd'hui au Canada porte principalement sur des questions qui touchent la situation américaine ou la situation internationale, notamment la course aux armements, le contrôle des armements, le désarmement, la stabilité stratégique. Il faut recentrer le débat pour qu'il porte sur les intérêts du Canada.

Troisièmement, c'est ce qui va arriver.

[Français]

M. René Laurin: Je vous remercie d'être très clair, mais ça m'amène à vous poser une autre question sur ce que vous avez dit juste avant la réponse que vous venez de me donner. Vous avez dit qu'il fallait que le Canada, dans la position qu'il va prendre, évalue le prix de sa non-participation au système américain. Que penser alors du prix que le Canada devrait payer pour la paix mondiale s'il décidait d'y participer? Il y a un prix à cela aussi. La réputation du Canada a un prix. Le Canada a toujours été reconnu comme un pays pacificateur. Est-ce que le prix que risque de payer le Canada relativement à sa réputation de pacificateur est moins grand que le prix qu'il risque de payer s'il ne paraît pas être un allié des États-Unis dans l'établissement d'un système antimissiles?

[Traduction]

M. Jim Fergusson: Je ne partage absolument pas l'opinion selon laquelle cela aurait un effet sur la réputation internationale du Canada. J'ai une opinion sur l'idée selon laquelle les Canadiens ont une image de pacificateur, de pays neutre, et que c'est ainsi que les autres pays nous voient. Je pense que le reste du monde, y compris la Russie, y compris Beijing, savent très bien que le Canada est un des membres clés du groupe des pays occidentaux, de l'alliance des pays de l'Ouest, centrés autour de l'OTAN et, sur le plan bilatéral, de NORAD.

Je crois que le Canada réussira à conserver sa réputation dans le domaine des codes régissant l'usage des armes, plus précisément en matière de désarmement et de maintien de la paix, si le Canada participe à ce projet. Il me paraît plus dangereux pour le Canada, en fait pour notre réputation et pour notre influence, de refuser d'y participer, parce que je crois que, si le Canada peut avoir une voix indépendante dans les divers conseils européens, et sur le plan international, c'est grâce à notre relation privilégiée avec Washington.

Il serait peut-être utile de se demander pourquoi des pays importants qui ne sont pas situés en Amérique du Nord sont prêts à parler de sécurité internationale avec une puissance relativement prospère mais d'importance assez faible alors que tout le monde sait que les principales grandes puissances sont les États-Unis, la Russie, la Chine, les Européens, etc. Si les autres pays parlent au Canada, c'est qu'ils pensent, à tort ou à raison, qu'en parlant à ce pays, ils parlent en fait également aux États-Unis. Le Canada peut utiliser cette relation pour renforcer son influence sur la scène internationale.

• 1035

Je pense personnellement, ce qui va à l'encontre de l'argument que l'on fait en général et que vous avez présenté... Je reconnais le bien-fondé de certains aspects de cet argument mais j'estime qu'en réalité, si nous ne participons pas à ce programme, cela risque de nuire davantage à notre réputation et à notre influence sur la scène internationale que si nous y participons.

[Français]

Le président: Monsieur Laurin, s'il vous plaît.

M. René Laurin: Je comprends mal votre position, professeur Fergusson. Vous dites que la réputation de pacificateur du Canada n'est pas en danger. Si elle n'est pas en danger, pourquoi le Canada n'utiliserait-il pas sa réputation pour se porter à la défense de la non-prolifération des armes, pour interdire qu'il y ait des changements au traité ABM de 1972? En fait, pourquoi le Canada n'utiliserait-il pas sa réputation pour rendre les relations internationales plus harmonieuses si on a la conviction que la menace appréhendée par les États-Unis n'est pas réelle?

Si notre réputation n'est pas en danger, comme vous le dites, pourquoi ne l'utilisons-nous pas pour dire à la Russie que nous ne sommes pas d'accord sur ce que veulent faire les États-Unis et pour dire à la Chine que nous ne sommes pas d'accord sur ce que les États-Unis veulent faire avec leur système antimissiles? Nous serions de meilleurs amis pour ces pays-là. Je m'arrête ici.

[Traduction]

M. Jim Fergusson: Pour répondre à la dernière partie de votre question, je dirais que si le Canada participe à ce programme, il n'aura pas moins ou plus d'ennemis. Si le Canada n'y participe pas, il n'aura pas non plus moins ou plus d'ennemis. Je crois qu'il faut être très prudent au sujet des initiatives que le Canada peut prendre sur la scène internationale et des résultats qu'il peut obtenir.

Lorsqu'il s'agit de grandes questions de sécurité comme le traité ABM, le Canada ne réussira jamais à influencer les décisions de Washington et de Moscou. Je ne vois pas pourquoi cela aurait des répercussions sur le traité de non-prolifération. Si c'est effectivement le cas, le Canada pourra toujours monter sur ses grands chevaux et parler de moralité et de décision inacceptable mais en fin de compte, il faut savoir que sur les grandes questions de sécurité, les États-Unis n'écouteront jamais ce que disent des petits pays pacifiques comme le Canada.

Le dernier commentaire que j'aimerais faire sur cette question est que lorsque l'on regarde les domaines dans lesquels le Canada a obtenu les meilleurs résultats sur le plan international, dans le domaine du désarmement et de la non-prolifération, on constate que ces résultats ont souvent été obtenus sur des questions qui ne touchent pas les aspects essentiels de la sécurité des grandes puissances, mais plutôt les aspects secondaires. Les mines terrestres en sont un bon exemple. Le Canada peut exercer une influence sur cette question. Le Canada peut obtenir des résultats dans ce domaine pour différentes raisons, que je ne vais pas évoquer ici. Mais lorsqu'il s'agit de grandes questions stratégiques, la seule influence que le Canada peut avoir est d'essayer d'influencer Washington.

Voilà quelle est ma position sur cette question.

Le président: Merci.

Monsieur Pratt, vous avez la parole.

M. David Pratt: Merci, monsieur le président.

Pour en revenir à vos premiers commentaires, monsieur Fergusson, au sujet de la capacité de différents pays, j'ai réussi à prendre rapidement des notes sur Israël, le Japon, la Corée du Sud et la Russie mais je suis sûr qu'il y en a d'autres. Pourriez- vous donner au comité une idée de l'étape à laquelle en sont arrivés les différents pays pour ce qui est de leurs capacités en missiles tactiques et de théâtre?

M. Jim Fergusson: Mettons de côté les États-Unis et je vais commencer par les alliés, si vous me le permettez. J'utilise ce mot de façon assez large. Les Israéliens sont les plus avancés. Arrow, un programme conjoint entre Israël et les États-Unis, a permis le déploiement opérationnel des premières batteries Arrow au début de l'année. Le déploiement de ces missiles va se poursuivre jusqu'en 2002 ou 2003, je crois. Israël et les États-Unis coopèrent également sur un système de défense en phase de propulsion utilisant un véhicule aérien télépiloté qui permettrait de détruire les missiles au cours de la phase de lancement.

• 1040

Dans l'ensemble, les programmes européens en sont à leur tout début. Ces pays vont probablement disposer d'une certaine capacité de base. Ils ont pris un peu de retard à cause de...

M. David Pratt: Excusez-moi de vous interrompre, mais pouvez- vous préciser s'il s'agit de défense contre des missiles tactiques ou de théâtre?

M. Jim Fergusson: L'Arrow est une défense contre les missiles de théâtre. Les premiers programmes européens visaient, si vous me le permettez,... Je ne devrais peut-être pas dire cela, mais le programme européen, c'est-à-dire l'Aster franco-italien, est un système tactique de portée limitée. Une fois déployé, il pourrait défendre une ville.

La Grande-Bretagne étudie également l'Aster pour leur système de frégates. Les Allemands, les Hollandais ainsi que peut-être les Norvégiens et les Espagnols, sont en train de mettre au point des plates-formes de frégates qui pourront loger l'intercepteur standard antimissiles IVB qui sera l'élément central tout d'abord d'une défense antimissiles tactique et ensuite d'une défense antimissiles de théâtre et qui vient des programmes de la marine des États-Unis.

Les programmes de l'OTAN en sont au début des études de faisabilité. Ils sont conçus pour s'intégrer aux capacités existantes et pour centraliser les systèmes de commandement et de contrôle. Les Russes ont déployé le système Galosh, un système de défense de théâtre exo-atmosphérique qui emploie des ogives nucléaires. Ils ont déployé le S-300, qui est comparable au Patriot, un système de défense de missiles tactiques et sont en train de mettre au point le système S-400, qui doit fournir une défense antimissiles de théâtre pour le flanc sud de la Russie.

Enfin, le Japon et Taiwan s'intéressent principalement à des plates-formes navales d'utilisation d'abord tactique et qui pourraient ensuite, à mesure qu'évolue la technologie, servir sur un théâtre d'opérations.

M. David Pratt: Vous avez mentionné une date dans votre exposé mais si vous deviez prédire le moment auquel l'Union européenne disposera d'un système général de défense antimissiles, quelle serait cette date? Êtes-vous disposé à émettre une hypothèse sur le moment où elle possédera cette capacité?

M. Jim Fergusson: Je suis toujours prêt à émettre des hypothèses. En fait, j'ai formulé trop d'hypothèses ces dernières années, ce qui m'a valu quelques problèmes.

Permettez-moi de placer un avertissement. En 1995, lorsque j'ai écrit cet article, j'ai parié avec un ami que le premier intercepteur national de défense antimissiles serait déployé et opérationnel d'ici le 31 décembre 2000. Je me suis trompé de cinq ans.

La date cible pour le système de défense aérienne élargi et intégré de l'OTAN se situe entre 2015 et 2020. Je devrais ajouter au sujet de l'OTAN que cet organisme va également moderniser son système de commandement et de contrôle aériens. Des radars de la nouvelle génération vont être installés sur le flanc sud, ce qui va fournir un soutien à la défense antimissiles de théâtre. Les choses évoluent donc lentement.

L'alliance, les Européens, pour diverses raisons... Les hommes politiques ne vont jamais aussi vite que les universitaires le souhaiteraient. Je pense qu'en 2010, il y aura des systèmes tactiques de portée limitée mais assez sophistiqués qui seront utilisés à partir de navires de guerre. Ces systèmes, selon l'endroit où ils sont déployés, peuvent assurer une protection assez efficace, par exemple pour les capitales et certaines régions précises.

Pour les systèmes à haute altitude, les systèmes utilisés sur les théâtres d'opérations qui seraient au centre d'un système général de défense pour l'ensemble de l'Europe, il faudra attendre sans doute 2015 à 2020, en supposant que les choses évoluent comme je le pense.

Le président: Merci, monsieur Pratt.

Monsieur Earle.

M. Gordon Earle: J'aimerais dire, tout d'abord, que je trouve vraiment choquante l'idée que les autres pays n'acceptent de parler au Canada que lorsqu'il s'agit de questions essentielles. Selon ce point de vue, les autres pays ne parlent au Canada que parce qu'ils pensent qu'ils parlent en fait aux États-Unis. Vous dites que c'est ce qui se passe en réalité mais d'après mon expérience personnelle, je sais que le Canada est un pays très respecté sur le plan international.

Les étudiants qui voyagent avec un sac à dos dans des pays éloignés prennent bien soin de coudre un drapeau canadien sur leur sac parce qu'ils sont bien mieux traités de cette façon que s'ils étaient américains. En fait, ils seraient même parfois en danger s'ils se présentaient comme des Américains dans ces pays.

Le Canada mérite d'être traité avec beaucoup plus de respect lorsqu'il s'agit de ces questions. Il me paraît faux de dire que la seule influence que peut exercer le Canada sur les grandes questions de stratégie est celle qu'il peut exercer sur Washington. Il suffit de regarder ce qui s'est déjà produit dans différents pays. Je pense à Nelson Mandela, par exemple, quelqu'un qui a changé le destin de ce pays alors qu'on aurait bien pu dire au départ qu'il ne servait à rien de s'occuper de cette personne.

• 1045

Cela dit, j'ai peut-être manqué cette partie de votre exposé parce que je suis arrivé en retard, mais je veux parler du fait que tout ce système de défense semble être basé sur l'idée que nous sommes vraiment en danger. Vous avez peut-être décrit ce danger avant que je n'arrive et je vous demande de m'excuser si je vous oblige à vous répéter. D'après moi, un danger peut être réel, il peut être appréhendé ou bien souvent, il peut être inventé dans un certain but. Nous savons que le ministre français de la Défense a déclaré qu'il pensait qu'on avait exagéré ce danger et je crois qu'il y a d'autres personnes qui partagent ce sentiment.

Pouvez-vous m'expliquer davantage pourquoi vous êtes si sûr qu'il est absolument nécessaire de se munir d'un tel système de défense pour nous protéger contre certains pays? Notre président a déclaré il y a un instant qu'il estimait que les États-Unis avaient une capacité offensive suffisante pour faire ce qu'ils voulaient. Avec une telle capacité offensive chez les États-Unis, comment justifier ce système de défense s'il n'y a pas de véritable menace ou s'il s'agit d'une menace apparente?

M. Jim Fergusson: Je suis d'accord avec vous pour ce qui est de votre première remarque. J'ai répondu à la question qui a été posée tantôt comme je l'ai fait parce que nous avons tendance à oublier cet aspect de la réalité.

J'ai beaucoup de respect pour les gouvernements canadiens qui se sont succédé; ils ont réussi à se servir de la relation étroite que nous avons avec Washington pour renforcer nos relations avec les autres pays, pour ensuite utiliser ces nouvelles relations pour renforcer nos relations avec Washington. C'est un triangle très utile. Il y aurait beaucoup de choses à dire au sujet de l'habileté qu'ont déployée les gouvernements canadiens qui se sont succédé, quelle que soit leur couleur politique. Mais lorsqu'il s'agit des grandes questions de sécurité, je crois qu'il faut concevoir différemment ce que le Canada peut faire et ce qu'il ne peut pas faire.

Pour ce qui est de la question du danger, je peux vous fournir des éléments qui concernent non pas un danger actuel mais un danger futur, si l'on examine la prolifération des armes. Nous avons tendance à oublier, même si cela ne remonte qu'à 10 ans, que l'Iraq avait adhéré au traité de non-prolifération ainsi qu'à d'autres accords de contrôle des armements mais que cela ne l'a pas empêché d'acquérir une bonne capacité nucléaire, ainsi que des armes chimiques, que l'Iraq a utilisé, ainsi que la capacité de fabriquer des armes biologiques. Ce pays a également construit des missiles à moyenne portée qu'il a utilisé non seulement pendant la guerre du Golfe mais aussi contre l'Iran.

L'Iran possède des missiles à moyenne portée qui ont été testés. L'Inde a fait des essais sur des missiles à portée intermédiaire et grâce à sa capacité dans le lancement de fusée possède une technologie rudimentaire en matière de missiles intercontinentaux. Le Pakistan a fait des essais de ses missiles à portée moyenne. La Corée du Nord a fait des essais sur des missiles à trois étages.

Je suis donc d'accord avec le ministre français. Il s'agit d'États qui, dans l'ensemble, possèdent des missiles et qui ont démontré que, malgré tous les efforts de la communauté internationale, ils étaient prêts à violer leurs engagements juridiques pour mettre au point des armes de destruction de masse. La difficulté vient du fait que nous ne savons pas si ces capacités vont devenir opérationnelles. L'argument français est qu'il faudra beaucoup de temps pour que ces armes deviennent opérationnelles; la France a peut-être raison mais il est également possible que les États-Unis aient raison de penser que ces armes pourraient devenir opérationnelles assez rapidement.

Le fait est que quel que soit le moment où ces armes seront opérationnelles, si cela se produit, il faut commencer dès maintenant à ériger ces systèmes de défense parce qu'il faut beaucoup de temps pour mettre au point cette technologie. Il faut aller de l'avant, si l'on se base sur diverses hypothèses, notamment la crainte que la menace de représailles nucléaires ne suffise pas à dissuader ces États d'utiliser leurs armes, hypothèse avec laquelle je ne suis pas nécessairement d'accord mais qui est retenue par les États-Unis. Il faut attendre cinq ans entre le moment où la décision est prise et le déploiement d'un système opérationnel. Si les États-Unis ne prennent pas cette décision aujourd'hui et s'ils ont finalement raison, et qu'un autre pays mette au point un missile intercontinental avec une ogive nucléaire, commette un acte d'agression puis dise aux États-Unis et au Canada: «Ne vous mêlez pas de cela parce que si vous le faites, nous allons lancer des missiles contre vous», il sera trop tard pour s'attaquer à ce problème.

Le président: Merci, monsieur Fergusson.

• 1050

Est-ce qu'il y a un député qui veut poser une dernière question? Ce sera donc vous monsieur Earle.

M. Gordon Earle: Je veux poursuivre cette discussion. Nous fonctionnons à partir de l'hypothèse qu'à un moment donné, quelque part, un de ces États renégats va lancer une attaque et que, par conséquent, nous devons mettre en place ce système de défense. Il est facile de faire des hypothèses sur ce qui pourrait se produire.

Le fait est que, si cet État renégat ou un État quel qu'il soit est décidé à attaquer, ce système de défense ne servira pas à grand-chose parce que ces États vont trouver le moyen d'agir sans utiliser un missile balistique pour tromper ce système de défense. Ils vont envoyer un missile de croisière ou utiliser d'autres méthodes terroristes. Ce genre de menace existe donc toujours.

Je pense qu'à l'heure actuelle, le vrai danger et le plus immédiat est de mécontenter les Russes, les Chinois, et les personnes qui s'inquiètent de ce système. Le démarrage de ce projet pose donc un danger beaucoup plus réel et plus immédiat que la décision de ne pas le faire, si l'on se base sur un événement purement hypothétique.

C'est pourquoi je reviens sur cet aspect: ne serait-il pas préférable de déployer davantage d'effort pour éviter que les États ne s'attaquent? Je ne dis pas qu'il faut choisir entre les deux. Je pense que nous avons une capacité défensive suffisante et offensive suffisante pour empêcher toute manoeuvre immédiate. Le problème qui se pose aujourd'hui est qu'en allant de l'avant avec ce système, nous allons déclencher un conflit inutile qui ne se serait pas produit si nous n'avions pas pris cette décision.

M. Jim Fergusson: J'aimerais faire quelques remarques rapides sur cette question.

Les systèmes de défense sont conçus pour réagir à certains types d'attaques. Aucun système ne peut faire face à tous les types d'attaques. Si votre hypothèse est exacte, c'est-à-dire si les États-Unis mettent sur pied un système de défense antimissiles et que ces États choisissent la voie des missiles de croisière, une voie qui exige une technologie beaucoup plus complexe que l'on ne le pense généralement ou le terrorisme, et nous pourrions avoir un autre débat sur ce sujet, je serais d'accord avec vous... Mais il faut se demander s'il serait préférable que ces États choisissent cette voie plutôt que celle des missiles balistiques en leur laissant la possibilité de se servir de cette arme à des fins politiques? Je crois qu'il faut penser à toutes ces choses. Les systèmes de défense antimissiles doivent s'apprécier en fonction d'un type de menace militaire et de ses répercussions politiques. Tout le reste est pratiquement sans intérêt.

Pour ce qui est des répercussions de ce projet sur la course aux armements, vous avez parlé de la Chine et je suis très heureux que vous l'ayez fait. Je crois que cela ne les poussera pas à agir. Les Russes n'ont pas les moyens de construire d'autres missiles. Leur capacité va diminuer qu'ils acceptent ou non de négocier START III. Ils ont tout intérêt à négocier START III et DAN au niveau de START III ou à un niveau inférieur ne va pas nuire à leur capacité stratégique. La technologie n'est pas la cause des conflits politiques. Ce sont les conflits politiques qui font évoluer la technologie.

J'aimerais faire un dernier commentaire au sujet de la Chine parce que la Chine est devenue le sujet central. Ce projet a été conçu pour la Chine. Ce pays a menacé de renforcer ses capacités nucléaires. J'aimerais dire deux choses au sujet de la Chine. Premièrement, ce pays modernise ses armes nucléaires depuis 30 ans et il va continuer à le faire peu importe ce que fait l'Ouest. Défense antimissiles ou non, il va continuer à le faire. La deuxième chose au sujet de la Chine est que pendant la guerre froide elle a eu une relation très... [Note de la rédaction: Inaudible]... avec Moscou, qui vous préoccupe. Le système de défense antimissiles de Moscou a été conçu pour faire face au problème chinois. Est-ce que les Chinois ont investi davantage dans leurs programmes stratégiques et d'armement nucléaire pendant les années 70 et 80? Non. Ils ont procédé de façon progressive. Ils vont continuer à le faire quels que soient les choix faits par les États-Unis.

Le président: Merci.

Je vais donner à M. Laurin le temps de poser une question très brève.

[Français]

Monsieur Laurin, s'il vous plaît.

M. René Laurin: J'ai une courte question. La sécurité des autres pays dans le monde repose sur la vulnérabilité des États-Unis en matière de défense.

Dans la mesure où on va permettre aux États-Unis de se rendre invulnérables avec ce système, la sécurité des autres pays sera en danger. Cela me paraît inacceptable pour ces gens-là.

[Traduction]

M. Jim Fergusson: C'est une très bonne remarque. Je suis d'accord avec vous. J'ai déjà soutenu que l'un des problèmes que nous connaissons dans ce monde de l'après-guerre froide, et il ne s'agit pas là de technologie militaire, auxquels font face de nombreux États est qu'ils ne sont plus défendus ou protégés comme ils l'étaient auparavant à cause de la chute de l'Union soviétique. Les États-Unis se trouvent dans une situation où quelle que soit leur capacité militaire et leur défense antimissiles, ils ont la liberté d'intervenir quand ils le veulent, ce qui compromet la sécurité de tous les autres pays. Mais ce n'est pas le système de défense antimissiles qui changera cette situation. C'est pourquoi je ne pense pas que l'on doive établir un lien entre ces deux choses.

• 1055

Le président: Merci, monsieur Laurin.

Monsieur Fergusson, je vous remercie beaucoup au nom du comité. Nous avons entendu des témoins qui nous ont présenté un autre point de vue. Je crois cependant que vous nous avez présenté d'excellents arguments démontrant que notre gouvernement devrait examiner très soigneusement cette décision. Vous avez répondu à des questions très importantes et corrigé des perceptions erronées; c'est du moins comment certains d'entre nous les considèrent. Je vous remercie donc beaucoup d'être venu nous faire profiter de vos connaissances. Nous serons heureux de vous entendre à nouveau à l'avenir.

M. Jim Fergusson: Merci beaucoup de m'en avoir donné l'occasion. N'hésitez pas à me contacter si je puis vous être utile.

J'ai apporté quelques copies d'une étude sur la défense antimissiles du Canada dans le cadre de NORAD que j'ai obtenue au cours d'une réunion tenue à Washington. Si des membres du comité souhaite en avoir une copie, je serais heureux de leur en remettre.

Le président: Très bien. Merci.

Un petit rappel, chers collègues. Lundi à 15 h 30, il y aura une réunion spéciale avec des représentants du gouvernement bosniaque. Je pense que nous serons tous à Ottawa lundi, même si nous n'y sommes d'habitude, à cause des votes. Vous avez sans doute été informés de la tenue de cette réunion spéciale lundi. Merci beaucoup.

La séance est levée.