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NDVA Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON NATIONAL DEFENCE AND VETERANS AFFAIRS

COMITÉ PERMANENT DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES ANCIENS COMBATTANTS

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le jeudi 23 mars 2000

• 0901

[Traduction]

Le président (M. Pat O'Brien (London—Fanshawe, Lib.)): La séance du Comité permanent de la défense nationale et des affaires des anciens combattants est ouverte. Chers collègues, vous savez que cette réunion sera consacrée aujourd'hui à la RAM et au programme antimissile (NMP). Vous vous souviendrez aussi que nous nous réunissons deux fois—encore une fois cet après-midi avec les ministres Eggleton et Axworthy.

Ce matin, nous accueillons M. Paul Heinbecker des Affaires étrangères. Nous avons plaisanté avant la réunion, mais je crois que ce n'est un secret pour personne que les avis sont partagés quant à ce projet de système de défense antimissile. Il est donc très important que nous examinions tous les points de vue, les arguments pour et les arguments contre si nous voulons, à terme, faire des recommandations au ministre de la Défense nationale.

Je rappellerais à ceux qui ne le savent pas que l'essai qui était prévu pour le mois d'avril vient d'être reporté d'un mois. C'est au mois de mai que les Américains feront leur prochain essai.

Sur ce, permettez-moi d'accueillir M. Heinbecker. Peut-être pourriez-vous nous présenter vos collègues. C'est avec plaisir que nous vous entendrons.

M. Paul Heinbecker (sous-ministre adjoint, Politique mondiale et Sécurité, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international Canada): Merci beaucoup, monsieur le président. Je suis accompagné de Paul Meyer, directeur général pour la sécurité internationale au ministère des Affaires étrangères. Dans les rangées derrière moi se trouvent d'autres fonctionnaires des Affaires étrangères et de la Défense.

J'espère vous présenter une analyse équilibrée de la question même si j'insiste sur les défauts de certains points de vue.

[Français]

Je vous remercie de m'avoir invité à la séance d'aujourd'hui. Je voudrais, en tant que fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères, partager avec vous quelques perceptions qui, je l'espère, vous seront utiles.

Permettez-moi de préciser que je ne parle pas au nom du gouvernement du Canada, ni au nom du ministre des Affaires étrangères. Tout d'abord, il faut se rappeler que le programme de défense antimissile nationale, le NMD, est un programme américain que les États-Unis n'ont pas encore décidé d'adopter et que le gouvernement des États-Unis n'a pas formellement invité le gouvernement du Canada à y participer.

Le programme NMD soulève de très grandes questions pour le Canada. Un appui ou un manque d'appui de notre part pourrait avoir des conséquences d'une très grande portée. En temps et lieu, le gouvernement prendra une décision au sujet du programme NMD en tenant compte de plusieurs facteurs.

Avant d'examiner certains de ces facteurs, il serait peut-être utile que je fournisse certaines données sur le NMD à l'intention de ceux qui n'ont pas eu le temps d'étudier ce dossier.

• 0905

[Traduction]

Le président: Excusez-moi, monsieur Heinbecker. Je pensais que c'était un rappel au Règlement.

Maintenant que je vous ai interrompu, c'est avec plaisir que nous entendrons tout ce que vous voudrez nous dire. Comme vous le savez probablement, le général George Macdonald, le commandant en second du NORAD, nous a déjà fait un excellent exposé sur la question. Certains d'entre nous ont eu l'occasion de visiter le quartier général du NORAD et comme il était là, il nous a fait un très long exposé sur la manière dont fonctionnerait le système de défense. Je n'étais pas sûr que vous le saviez et comme j'ai mal interprété la main levée par mon collègue, je me permets de vous dire tout cela.

Quoi qu'il en soit, monsieur, vous avez la parole. C'est avec plaisir que nous vous écoutons.

M. Paul Heinbecker: J'ai lu le témoignage du général Macdonald.

Le président: Merci.

M. Paul Heinbecker: Je n'ai pas l'intention de vous répéter ce qu'il vous a dit, tout au moins pas sous le même angle.

Le président: Très bien.

M. Paul Heinbecker: Les partisans du déploiement de ce système estiment que l'acquisition par des États potentiellement «sans foi ni loi» de missiles balistiques intercontinentaux équipés de charges biologiques, chimiques ou nucléaires pose une menace croissante à la sécurité territoriale des États-Unis; que la politique étrangère des États-Unis est sapée en conséquence; et que c'est un nouveau facteur stratégique. Selon eux, le déploiement d'un tel système de défense offrirait aux États-Unis une solution de rechange aux représailles nucléaires en cas de lancement d'un missile, par inadvertance, voire de manière intentionnelle, contre les États-Unis.

Deux événements récents viennent appuyer leur théorie. Le premier est le rapport bipartisan Rumsfeld qui concluait qu'il ne faudrait pas plus de cinq ans à un État sans foi ni loi après qu'il ait décidé d'acquérir une telle arme pour pouvoir menacer les États-Unis avec un missile intercontinental. En fait, selon le rapport Rumsfeld, le délai d'alerte sur lequel pourrait compter les Américains après la mise au point et le déploiement de nouveaux missiles balistiques menaçants était tellement réduit qu'il en devenait pratiquement inexistant.

Le deuxième événement, bien entendu, ce sont les essais auxquels ont procédé les Nord-Coréens pendant l'été 1998 des missiles de type Taepo Dong 1, et le fait qu'ils travaillent apparemment sur les Taepo Dong 2 qui ont une portée plus longue.

Un État sans foi ni loi équipé de missiles intercontinentaux pourrait paralyser les options américaines de politique étrangère en tenant effectivement certaines villes américaines en otage. En fait, le conseiller américain au contrôle des armements et négociateur du Traité ABM, John Holum, a dit récemment à l'université Stanford que les États-Unis ne croyaient pas que des États comme la Corée du Nord ou l'Iran utiliseraient leurs missiles comme des armes de guerre opérationnelles mais plutôt comme des armes de coercition diplomatique pour limiter la liberté d'action des Américains en cas de crise.

En ratifiant la Loi sur le programme de défense nationale antimissile, le président Clinton a fixé quatre critères pour la prise de décisions. Premièrement, la réalité de la menace. Deuxièmement, la disponibilité de la technologie. Troisièmement, le coût du système—à savoir s'il est abordable ou non et c'est ce dont je vous parlerai le plus aujourd'hui. Et, quatrièmement, savoir si les implications pour la sécurité nationale, y compris les régimes de désarmement et de contrôle des armements, les relations avec la Russie et les répercussions de cette décision sur les alliés sont également supportables.

Chacune de ces considérations est importante et je crois pouvoir ajouter que cette décision de déploiement n'a pas encore été prise, et il est tout à fait possible que cette décision ne soit pas prise ni par cette administration ni par les administrations suivantes. Il ne faut pas oublier que c'est la troisième fois qu'un système de défense antimissile est discuté à Washington—la première fois, à la fin des années 60 sous l'administration du président Johnson et du secrétaire McNamara, et ensuite dans les années 80 sous l'administration du président Reagan.

Bon nombre des arguments, surtout des arguments favorables, sont les mêmes aujourd'hui qu'ils l'étaient alors. De plus, alors qu'il est notoire que le gouverneur Bush est très favorable au déploiement d'un système de défense antimissile, la position du vice-président Gore est beaucoup plus réservée. Ce déploiement n'est donc pas inévitable.

[Français]

Où le système NMD serait-il situé? Les plans actuels des États-Unis prévoient le déploiement initial de 100 fusées d'interception sol-air à un seul emplacement en Alaska. À partir de cet emplacement, le système pourrait, en théorie, protéger l'ensemble des États-Unis.

Les États-Unis ont apparemment besoin de renforcer et d'utiliser des radars se trouvant dans deux autres pays afin de déceler des missiles s'approchant du territoire américain et de guider l'intercepteur. Or, selon nos informations, aucun de ces deux pays n'a encore consenti à l'utilisation de son territoire à cette fin. D'après nos prévisions actuelles, aucun des éléments du NDM, dispositifs de lancement ou radars, ne serait basé au Canada.

• 0910

À ce stade-ci, les États-Unis n'ont pas besoin du territoire canadien pour la mise en oeuvre du programme. À Washington, on envisage une seconde phase de la mise en oeuvre du système NMD, comportant une plus grande capacité et éventuellement l'établissement d'un site additionnel abritant des intercepteurs supplémentaires, possiblement sur la côte est des États-Unis ou dans le Dakota du Nord. À Washington, les partisans du programme NMD parlent aussi de phases supplémentaires.

[Traduction]

Je devrais, je crois, rectifier une petite chose dans ce que vous avez dit tout à l'heure, à savoir que la décision avait été prise cette semaine de reporter l'examen du calendrier de déploiement à la fin du mois de juillet. L'essai se fera à la fin du mois de juin...

Le président: Je demanderais à tous les possesseurs de téléphone cellulaire, y compris moi-même, de bien vouloir couper la sonnerie pendant la réunion. Merci.

Excusez-moi, monsieur Heinbecker. Je suppose que ce sont les inconvénients de la nouvelle technologie. Il n'y a pas que ce système de défense antimissile qui mérite d'être discuté, il y a aussi les téléphones cellulaires.

M. Paul Heinbecker: Lorsque nous négociions la résolution des Nations Unies sur le Kosovo à la réunion du G-8 à Bonn, pratiquement chaque délégation avait des téléphones cellulaires et ils étaient branchés. Il n'y avait plus aucune sécurité. Les téléphones ne cessaient de sonner.

Quoi qu'il en soit, le nouvel essai a été reporté à la fin du mois de juin, ce qui repousse l'examen du calendrier de déploiement à la fin du mois de juillet; aucune décision du président ne devrait être prise avant la fin de l'été. Il importe de ne pas oublier qu'aucun des essais n'est mené dans ce qu'on pourrait appeler des conditions opérationnelles. Les autorités américaines aimeraient disposer d'au moins deux essais réussis avant de prendre la décision de déploiement.

D'aucuns ont réclamé dernièrement à l'administration américaine de retarder la décision de déploiement surtout pour des raisons technologiques. Un comité du Pentagone a recommandé en novembre 1999 que des essais supplémentaires soient menés avant qu'une décision de déploiement ne soit prise. Des deux côtés du Sénat américain... Par exemple, le sénateur Leahy du Vermont et le sénateur Hagel du Nebraska ont évoqué la possibilité d'un report de la décision.

Le système NMD soulève de grosses questions. Pour commencer, le Traité ABM signé par l'Union soviétique et les États-Unis interdit tout système de défense antimissile, d'où les discussions actuellement en cours. J'ai lu certains des témoignages et j'ai eu l'impression que certaines personnes ne comprenaient peut-être pas exactement l'importance du système de défense antimissile russe qui entoure Moscou et je crois qu'il serait préférable que j'en dise un mot ou deux.

Conformément au Traité ABM, tel qu'il a été modifié en 1974, chaque camp a le droit de protéger soit sa capitale soit un site de missiles balistiques intercontinentaux, pas les deux et pas le territoire national. L'Union soviétique a choisi Moscou et les États-Unis ont choisi un site de missiles près de Grand Forks. L'Union soviétique a installé son système de défense. Les États-Unis devaient le faire mais ont abandonné cette idée. Il y a de sérieux doutes quant à l'efficacité du système soviétique défendant Moscou.

L'objectif du Traité sur les missiles antimissiles est d'assurer le fonctionnement de la dissuasion. La dissuasion se fonde sur la vulnérabilité mutuelle. La prémisse en est qu'étant donné que chaque camp peut détruire l'autre, même après avoir subi une première frappe dévastatrice, aucun des deux camps ne voudra courir le risque d'attaquer.

La négociation du Traité ABM avait été motivée à la fin des années 60 et au début des années 70 par la crainte que si un des deux camps avait un système de défense antimissile efficace, il pourrait alors procéder à une première frappe sans une crainte aussi grande de représailles puisque son système de défense lui permettrait d'intercepter tout ce qui pouvait rester d'engins nucléaires à l'autre camp. Il y avait de plus la crainte qu'un système de défense antimissile déclencherait une spirale de développement d'armes offensives, chaque camp voulant se donner les moyens de surpasser les défenses de l'autre.

• 0915

Une telle course aux armements était considérée à juste titre à la fois comme onéreuse et dangereuse. Il était et il demeure marginalement plus rentable de construire des systèmes offensifs que des systèmes défensifs. Les deux camps ont donc convenu que c'était la vulnérabilité mutuelle qui offrait la base d'une stabilité stratégique entre les États-Unis et la Russie.

Qu'en est-il aujourd'hui? Comme les deux camps sont d'accord pour le dire, un système de défense antimissile serait incompatible avec le Traité ABM. Les États-Unis ont engagé des pourparlers avec les Russes pour modifier le traité. Les Américains essaient de persuader les Russes, primo, que la menace des États sans foi ni loi est une réalité qui doit être contrée et que, secundo, l'importance et le caractère du système de défense antimissile que les États-Unis déploieraient contre cette menace ne diminueraient pas la dissuasion russe.

Les Russes acceptent que la prolifération des missiles et des armes de destruction massive crée une nouvelle situation. D'ailleurs, bien qu'ils l'admettent moins volontiers, l'exportation de la technologie russe a contribué matériellement à cette prolifération. Cependant, les Russes maintiennent qu'ils sont plus près des États sans foi ni loi que les États-Unis et que, par conséquent, de manière potentielle, le danger est plus grand pour eux que pour les États-Unis.

Si on se met à la place des Russes, on attend d'eux qu'ils acceptent l'élargissement de l'OTAN. On attend d'eux qu'ils réduisent leur armement nucléaire dans le cadre des traités de réduction des armes stratégiques, les Traités START I et II, qu'ils ratifient le Traité d'interdiction complète des essais, et qu'ils accèdent à la demande d'une transformation du Traité ABM. Cela permettrait aux Américains de mettre en place un système de défense contre les armes nucléaires mais pas à la Russie car, à toutes fins utiles, elle n'en a pas les moyens. La négociation n'est pas près d'aboutir.

Apparemment, les Russes croient qu'un système de défense antimissile américain finirait par saper leur force de dissuasion nucléaire, d'autant plus que cette force connaît une détérioration par manque de financement et conformément aux réductions prévues par les Traités START II et III. Ils affirment également que d'autres méthodes peuvent et devraient être utilisées pour contrer toute menace d'États sans foi ni loi. C'est le noyau du problème diplomatique qui les oppose.

Le Canada n'est pas partie au Traité ABM, mais nous le considérons comme la pierre angulaire du régime international de désarmement et de contrôle des armements. Je crois que le Canada serait disposé à ce que le traité soit modifié si les deux parties peuvent se mettre d'accord et si cela permet d'aboutir à une stabilité stratégique et d'éviter une relance de la course aux armements. Bien évidemment, que le traité soit abrogé unilatéralement nous concernerait au premier chef, car nous craindrions que cela n'entraîne toute une série de conséquences qui pourraient s'avérer dangereuses.

Il y a plusieurs considérations qui figureraient dans toute décision éventuelle du Canada de participation au programme de défense antimissile. Entre autres, il faudrait déterminer si un tel système de défense antimissile rendrait le Canada plus sûr ou moins sûr; déterminer si la décision prise, surtout si elle est négative, pourrait avoir des effets, et de quel ordre, sur les relations économiques du Canada avec les États-Unis; déterminer si la décision prise, positive ou négative, aurait des conséquences pour la politique étrangère du Canada; déterminer combien cette participation coûterait. D'après certains chiffres, le financement du programme américain devrait coûter sur cinq ans aux alentours de 11,5 milliards de dollars et le déploiement lui-même coûterait encore plus, quelque 28 milliards de dollars pour un cycle de vie de 20 ans. Ce n'est pas donné.

Une autre question à se poser est de savoir quelle serait la conséquence d'une décision négative du Canada pour les relations de défense du Canada avec les États-Unis. Nos relations de défense seraient touchées par une décision négative. Selon certains Canadiens, par exemple—et je crois que le général Macdonald en fait partie—en cas de non-adhésion au système de défense antimissile, le NORAD risquerait pour le moins l'atrophie, voire la disparition. Une telle issue ne nous semble pas inéluctable.

Il est certain que si le Canada ne devait pas participer et que si la mission de défense antimissile était confiée au commandement spatial américain, il y aurait des changements au niveau du NORAD, mais le NORAD conserverait vraisemblablement les missions où la participation canadienne ne pose pas de problème. Il n'est pas impossible de prévoir que si les États-Unis devaient abroger unilatéralement le Traité ABM et que si les relations russo-américaines prenaient un tour hostile en conséquence, l'aviation russe à long rayon équipée de missiles de croisière pourrait de nouveau être un facteur, et l'espace aérien du NORAD et du Canada pourrait de nouveau avoir de l'importance.

• 0920

Le sous-secrétaire d'État à la Défense américain, John Hamry, a dernièrement fait observer que quelle que soit la décision prise par le Canada à propos du système NMD—et il a clairement fait comprendre qu'une adhésion canadienne serait la bienvenue—notre partenariat au sein du NORAD continuerait à être important pour les États-Unis.

Il serait également nécessaire que le gouvernement envisage sa décision vis-à-vis du système antimissile dans le contexte des autres questions de sécurité bilatérale. Le terrorisme, le crime, le trafic de drogue, la cyber-défense et la protection d'installations critiques modifient la manière de penser des Américains et ont des implications pour nous. Prises ensemble—quelle que soit la réponse du Canada à cette initiative de défense antimissile—elles posent un défi considérable aux relations de sécurité canado-américaines.

Enfin, et ce n'est pas la moindre des choses, il est évident que le gouvernement ne prendrait pas sa décision vis-à-vis de cette défense antimissile sans peser le pour et le contre. Dans quelle mesure devrions-nous partager l'évaluation de la menace faite par le rapport Rumsfeld? Devrions-nous donner le même poids à la sécurité et à la vulnérabilité comme les Américains le font de plus en plus?

Le rapport Rumsfeld ne se fonde pas sur des probabilités, mais sur des possibilités. Nous l'étudions et nous consultons les Américains tant au niveau des questions techniques que politiques que ce système de défense et ce rapport soulèvent. Il peut être intéressant de noter que les pays de l'OTAN ne sont pas actuellement unanimes quant à la gravité de la menace décrite dans le rapport Rumsfeld ou sur l'opportunité, comme réponse, d'un système de défense antimissile.

La dissuasion, la diplomatie et les mesures préventives demeurent des options de solutions au problème posé par les États sans foi ni loi. Les efforts diplomatiques entre les États-Unis et la Corée du Nord sont en bonne voie tout comme ils le sont entre d'autres pays et la Corée du Nord, y compris maintenant le Canada. L'objectif est de persuader la Corée du Nord de renoncer à ses propres programmes nucléaires et à limiter ses essais de missiles intercontinentaux. Interpréter la position de la Corée du Nord n'est pas plus facile qu'avant, mais quoi qu'il en soit, les Nord-Coréens n'ont pas procédé à d'autres essais de missiles intercontinentaux depuis 1998.

Quant aux autres menaces mentionnées dans le rapport Rumsfeld, les changements de philosophies gouvernementales existent, même en Iran, comme certains signes semblent le laisser espérer.

Une autre question clé est de savoir si le système NMD serait une réponse militaire appropriée au cas où nous conclurions à la réalité de la menace d'un État sans foi ni loi. Beaucoup d'Américains, y compris l'ancien secrétaire d'État adjoint à la Défense Joe Nye, qui est maintenant à Harvard, estiment qu'une attaque par missiles balistiques est le moyen le moins vraisemblable qu'utiliserait un État sans foi ni loi pour attaquer les États-Unis. Il n'y aurait aucun doute sur la provenance du missile et pas beaucoup plus de doutes au niveau des conséquences pour le coupable.

Ce qui peut être plus dangereux, ce sont les missiles de croisière. Soixante-dix pays possèdent aujourd'hui des missiles de croisière, en majorité embarqués; les avions sans pilote lancés à partir d'avions-cargos; les navires affrétés qui font escale dans les grands ports, par exemple dans le port de New York; les tristement connues valises piégées ou voitures piégées; voire les armes de destruction massive fabriquées aux États-Unis comme nous l'avons vu au Japon, semblent des menaces à court terme plus plausibles. Il y a actuellement peu de défense efficace contre ce genre de menace en dehors du renseignement, en dehors du travail des services de renseignement. Le programme de défense antimissile n'apporterait rien ou pas grand-chose dans ce domaine.

Je devrais ajouter que pour les partisans de ce système de défense, cela ne veut pas dire pour autant que les États-Unis ne devraient pas se défendre contre les missiles intercontinentaux s'ils peuvent s'en protéger.

Ce système de défense antimissile fonctionnerait-il comme prévu? La question vitale serait de savoir s'il le pourrait dans des conditions réelles et non pas dans des conditions expérimentales. Personnellement, je ne parierais pas que nous ne posséderons jamais la technologie suffisante surtout si l'argent ne compte pas et si le sentiment de vulnérabilité nationale est à son paroxysme. D'autres, et en particulier le sénateur américain Biden, se demandent si dans des conditions réelles ce système fonctionnerait et si cela ne risque pas de faire dépendre les États-Unis d'un système de défense susceptible de ne pas fonctionner.

Il faut aussi se demander si le système NMD serait rentable, même si tout dépend de la façon dont les coûts sont calculés. En dollars bruts, ce qui me frappe, c'est que ce système pourrait être très abordable pour les États-Unis, même si c'est à eux de décider. Toutefois, si les Américains décidaient d'opter pour un système plus robuste et plus stratifié pour se défendre contre des attaques massives de missiles, il est sûr que les coûts deviendraient beaucoup plus considérables, même pour eux.

• 0925

En termes politiques, le système NMD pourrait coûter très cher aux États-Unis et aux autres pays, y compris le Canada. Si la Russie et les États-Unis ne peuvent s'entendre sur un amendement du Traité ABM, et si les États-Unis décident unilatéralement d'abroger le traité, les conséquences pourraient être graves.

Le Traité ABM a été au coeur des pourparlers sur la limitation des armements stratégiques et, tout récemment, au coeur du Traité sur les armements stratégiques offensifs, le traité START. Il a permis ce «délestage» des missiles que l'on a connu ces dernières années.

Le START I a permis de réduire à 6 000 le nombre de charges militaires stratégiques déployées de part et d'autre. Quant au Traité START II, il prévoit une diminution subséquente à 3 500 de part et d'autre. Les États-Unis ont ratifié le START II, contrairement aux Russes qui ont pourtant annoncé qu'ils avaient l'intention de le faire au printemps, après l'élection de leur président. Une fois la ratification faite, la Russie et les États-Unis pourraient ensuite passer au START III et réduire encore plus le nombre de leurs armes stratégiques, pour descendre peut-être jusqu'à 1 000 ou 1 500 chacun, mais plus probablement à 2 000 ou 2 500 pour chaque pays. De plus, et pour la première fois, les armes nucléaires tactiques russes, qui sont en très grand nombre, pourraient également faire l'objet de négociations.

Ces traités se fondent tous sur une hypothèse de stabilité dans l'équilibre stratégique. La Russie pourrait dénoncer tous ces traités, si les États-Unis abrogeaient le Traité ABM.

Si les Russes dénonçaient ces trois traités, il est probable qu'ils refuseraient de réduire comme projeté leur armement nucléaire. Ils pourraient même au contraire l'augmenter notamment en ajoutant trois charges militaires à leur nouveau missile Topol-M, ce qui va au-delà de la seule charge militaire qui est permise aux termes du Traité START II.

Cette situation pourrait fort bien avoir un effet de contagion à la baisse sur d'autres traités de contrôle des armements ou traités connexes, notamment les plus importants, soit le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, le Traité d'interdiction complète des essais et les négociations envisagées du Traité sur l'interdiction de la production de matière fissile.

Qu'adviendrait-il alors de la stabilité stratégique dans ces conditions? Il est peu probable qu'elle puisse être maintenue, car si un pays devient invulnérable, les autres se sentiront exposés et tenteront de compenser. Il semble que les Russes s'inquiètent de ce que le système NMD pourrait, en dernière analyse, miner leur propre système dissuasif stratégique et puisse servir de base à une percée des États-Unis, les rendant ainsi invulnérables.

Ce scénario semble peut-être farfelu aux Canadiens, mais il se fonde sur la façon dont on juge le potentiel et non l'intention de l'autre, norme que les États-Unis ont utilisée pendant des années pour juger la menace que constituait la Russie, et norme que nous appliquons également à la Corée du Nord.

Il semble que les Russes ne soient pas tant inquiets de la technologie qu'utilisent actuellement les États-Unis pour mettre au point leurs missiles que de la latitude qu'un traité révisé de fond en comble donnerait éventuellement aux Américains en leur permettant de développer une technologie encore plus poussée.

Je vous rappelle que les États-Unis affirment pour leur part que tout ce qu'ils envisagent pour l'instant, c'est un système NMD limité, qui serait incapable de les défendre contre une attaque massive des Russes.

Le système NMD aurait un effet considérable sur les forces nucléaires stratégiques actuelles de la Chine. Il semble que l'on ait réduit le niveau d'alerte des missiles chinois et qu'on les ait déverrouillés et la doctrine de la Chine est celle du non-emploi en premier. Maintenant, il n'est pas sûr que la Chine maintienne cette position si le système NMD devait se concrétiser.

Tant la Russie que la Chine croient que, au bas mot, leurs positions géostratégiques respectives en souffriraient par rapport à celle des États-Unis. Bien que ni l'une ni l'autre, et particulièrement pas la Russie, ne puisse se permettre de se lancer dans une course aux armements, il est fort possible que le NMD déclenche de nouveaux programmes d'armes offensives et que la Russie ou la Chine—peut-être les deux et possiblement en collaboration l'une avec l'autre—développent des armes plus offensives. Une éventuelle alliance entre la technologie des Russes et la prospérité des Chinois pourrait être une source grave d'inquiétude.

Peu importe la façon dont les Chinois répondraient, cela pourrait soulever des questions du côté du Japon, de l'Inde, puis du Pakistan.

Il est évident que les conséquences découlant d'une abrogation unilatérale éventuelle du Traité ABM seraient graves et d'une vaste portée. De plus, comme le signalait récemment Henry Kissinger dans un article paru dans le Los Angeles Times, il n'est pas nécessaire d'être ferré en science politique pour comprendre qu'une campagne électorale n'est sans doute pas le meilleur moment pour prendre une décision à ce point lourde de conséquences.

• 0930

Les pourparlers entre les États-Unis et la Russie se poursuivent. Il se peut même qu'il y ait une réunion au sommet ce printemps ou au cours des réunions du G-8 qui se tiendront au Japon. Les négociateurs américains essaient de persuader la Russie que la meilleure façon de sauver le Traité ABM, c'est de le modifier, et que le Traité ABM peut et devrait être modifié de façon à sauvegarder voire à accroître la sécurité des uns et des autres.

Il semble que les Américains offrent leur collaboration dans divers domaines, depuis l'évaluation conjointe des renseignements jusqu'à une aide en vue de restaurer le réseau russe de détection lointaine des engins balistiques.

Les Russes tentent, pour leur part, de persuader les Américains que leur sécurité à tous deux peut être mieux assurée par d'autres moyens. Les Russes, semble-t-il, font des contre-propositions dans l'espoir de persuader leurs vis-à-vis qu'il existe des solutions de rechange viables à un programme de défense antimissile nationale, ou du moins que la décision devrait être reportée.

Aucun des deux camps ne parle d'impasse et l'un et l'autre nous ont dit garder l'espoir que l'autre partie finira par se rendre à ses arguments. Nous seront vigilants, et continuerons à suivre les discussions.

Merci.

Le président: Merci, monsieur Heinbecker.

Avant de passer aux questions de mes collègues, je voudrais rappeler à tous, et peut-être aussi à notre témoin, qu'en janvier dernier, certains d'entre nous ont eu l'occasion de se rendre à Colorado Springs. Il est ressorti très clairement que les Forces armées canadiennes, depuis le général Macdonald en descendant, s'inquiétaient de plus en plus de ce qui se passait à Cheyenne Mountain, et qu'elles commençaient à se sentir mises de côté. Il semble que leurs homologues américains percevaient, à tort ou à raison, le Canada comme n'étant pas intéressé par le système NMD.

Nous avons ensuite rencontré notre ministre de la Défense nationale, M. Eggleton, pour lui expliquer que les forces armées étaient très sérieusement et à juste titre préoccupées, et qu'il fallait que la situation soit discutée à Ottawa. Même si nous n'avions pas besoin de sa bénédiction pour entreprendre nos audiences, comme vous le savez, nous voulions à tout le moins avoir son appui.

Voilà comment il se fait que nous ayons décidé de nous saisir de ce dossier. D'ailleurs, d'après ce que j'ai vu, le Comité des affaires étrangères a décidé de nous emboîter le pas et tiendra au moins une ou deux séances sur ce sujet.

Il est en tout cas très important que nous en parlions et entendions tous les points de vue, y compris celui que vous avez exprimé aujourd'hui. Les audiences ont pour but de sonder la question, et je dirais même qu'il était grand temps que le Canada se penche là-dessus.

Maintenant que j'ai expliqué comment nous en étions arrivés à nos audiences, je cède la parole à M. Hanger.

Auparavant, j'aimerais avertir tous les intéressés que ce sujet-ci est susceptible de donner lieu à de très longues questions et de très longues réponses. Comme vous avez chacun sept minutes pour les questions et les réponses, je vous demande d'y songer. Je suis sûr que beaucoup d'entre nous, y compris moi-même, voudront interroger M. Heinbecker.

Sur ce, j'accorde sept minutes à M. Hanger.

M. Hart Hanger (Calgary-Nord-Est, Réf.): Merci, monsieur le président.

Merci à M. Heinbecker d'avoir comparu.

Le 29 février, le général Macdonald a comparu devant nous et affirmé que si les États-Unis décidaient d'opter pour leur programme de défense nationale antimissile, et que le Canada n'était pas d'accord pour que ce programme de défense soit placé sous l'égide du NORAD, cela reviendrait à signer le début de la fin pour le NORAD. C'est en tout cas ce qu'a dit le général très clairement au comité.

Êtes-vous d'accord?

M. Paul Heinbecker: Je ne peux que respecter son point de vue, mais j'ai dit dans mon exposé que nous ne sommes pas d'accord pour dire que c'est nécessairement ce qui s'ensuivra.

J'ai également expliqué qu'advenant le programme NMD et que l'on abroge unilatéralement le Traité ABM, et advenant qu'en conséquence—c'est prévisible mais pas certain—les liens entre les Américains et les Russes tournent à l'hostilité, alors au contraire, la mission de défense aérienne et certaines des autres missions du NORAD auraient encore plus d'importance.

Je sais que l'on ne s'entend pas toujours sur ce que pensent les Américains. Il y a, comme toujours, autant de points de vue que d'Américains.

• 0935

Il est clair que M. Hamre, le sous-secrétaire à la Défense, serait ravi que les Canadiens participent au programme, comme il l'a dit publiquement. Il l'a même dit à des journalistes canadiens lors d'une conférence de presse inusitée qu'il a organisée à Washington. Mais durant la même entrevue, il a également ajouté que le NORAD garderait son importance, tout comme la coopération canado-américaine dans le cadre du NORAD.

Comme les deux ministres comparaîtront cet après-midi, vous n'avez qu'à leur poser la question; mais ils vont plutôt vous parler de l'élargissement du NORAD comme le prône le gouvernement américain.

M. Hart Hanger: Il est intéressant de noter que, sur ce point particulier, personne ne sait vraiment ce qu'il adviendrait du NORAD si les Canadiens y maintenaient leur participation.

Notre président a fait des commentaires sur ce qu'il a vu lors de sa visite là-bas... Je ne sais pas si on peut vraiment parler de tensions, mais il semble que l'on exige désormais que le personnel canadien soit laissé à l'écart de certaines réunions stratégiques, notamment. On semble croire de plus en plus qu'il serait difficile, à ce moment-ci, de prendre des mesures légitimes pour que le personnel canadien soit présent à ces réunions, ce qui a pour effet de marginaliser le Canada et de le laisser pour compte. D'après ce que j'ai compris, le NORAD pourrait devenir inefficace avec le temps, voire disparaître.

M. Paul Heinbecker: Voilà ce dont il retourne, justement. Je me suis rendu moi aussi à Colorado Springs, et j'ai parlé aux militaires canadiens qui s'y trouvent ainsi qu'au général américain responsable. Il ne fait pas de doute que si on donnait au commandement spatial la mission NMD, il faudrait apporter des ajustements à la façon dont fonctionne le NORAD. Mais cela ne signifie pas, je le répète, que les missions existantes ne devraient pas continuer à être remplies.

À mon avis, cela explique pourquoi les deux parties jugent important d'élargir le traité. Ces missions sont valables et importantes, et il serait judicieux d'élargir le NORAD avant que l'on entre dans la campagne électorale aux États-Unis.

M. Hart Hanger: Si le Canada se retirait, pensez-vous que cela répondrait à nos intérêts nationaux?

M. Paul Heinbecker: Je vous répondrai ceci: si j'étais sûr que le programme NMD était une bonne idée, je préconiserais qu'on y prenne part. Mais si j'étais sûr, par ailleurs, que ce n'était pas une bonne idée, je préconiserais notre non-participation.

La difficulté vient de ce que dans les circonstances actuelles, nous ne pouvons pas être sûrs si c'est bon ou mauvais, tant que nous n'aurons pas vu comment les Américains et les Russes résoudront leur dilemme—si tant est qu'ils y parviennent.

Comme je le disais dans mes propos, j'ai récemment parlé à des représentants des deux parties qui suivent de très près les négociations, ni l'un ni l'autre ne parlent d'impasse. Les deux continuent à se faire des propositions, mais leurs propositions ne sont pas compatibles. Les Américains veulent ouvrir le Traité avec un protocole qui leur permettrait d'avoir un programme limité. Quant aux Russes, ils suggèrent de faire autre chose pour pouvoir améliorer la sécurité des États-Unis, sans qu'il soit nécessaire pour autant de modifier le traité ABM de la façon dont les Américains le souhaitent.

Je ne sais pas comment les choses vont tourner. Si je ne le sais pas, c'est en partie parce qu'il doit se tenir une élection dans quelques jours en Russie. Tant que les Russes n'auront pas élu un gouvernement qui s'intéressera à cette question—et en ce moment, on s'intéresse là-bas beaucoup plus à la campagne électorale qu'à ce dossier-ci—on ne saura pas.

Lorsqu'ils ont parlé à Poutine, je sais que les Américains—Mme Albright, je crois—ont exprimé un optimisme réservé, tout comme l'a fait M. Blair, le premier ministre britannique. Mais je ne puis dire si cela se traduira par un accord.

• 0940

Mais soit dit en passant, cela ne résoudrait pas le problème des Chinois et des autres, même si les Américains et les Russes parvenaient à s'entendre. Tout comme les Russes, les Chinois considèrent que le programme NMD les vise eux plutôt que les États sans foi ni loi.

M. Art Hanger: Merci.

Le président: Merci, monsieur Hanger.

[Français]

Monsieur Laurin, s'il vous plaît. Vous avez cinq minutes.

M. René Laurin (Joliette, BQ): Monsieur le sous-ministre, je veux vous parler des essais prévus pour avril qui ont été reportés en mai ou juin. Ces essais du nouveau système antibalistique ne contreviennent-ils pas au Traité ABM? Ce serait évidemment le cas du déploiement du système, mais le fait de poursuivre les essais ne contrevient-il pas au Traité ABM?

M. Paul Meyer (directeur général, Bureau de la sécurité internationale, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international Canada): En fait, en vertu du traité, on prévoit la possibilité de faire des essais. Mais les essais devraient être faits à un endroit précis et ça a été fait là où se trouve l'installation que les Américains utilisent actuellement pour ces essais. Alors, on peut faire des essais en vertu du traité, mais certaines conditions doivent être respectées, et la nature de ces essais doit respecter les exigences.

M. René Laurin: Il y a sûrement eu une évaluation des réactions à prévoir après le déploiement unilatéral d'un tel système. Si les États-Unis ne déploient pas le système, il n'y aura sûrement pas de réaction de la part de la Russie, mais cela pourrait encourager d'autres pays que l'on craint: les pays sans foi ni loi, comme vous dites. Et si les États-Unis décident d'agir unilatéralement, la Russie va sûrement réagir. D'après vous, quelle évaluation les États-Unis ont-ils faite de cette situation? Est-ce que pour eux il est plus grave d'avoir une réaction de la part des Russes que d'avoir une réaction de la part des pays parias?

M. Paul Heinbecker: Je ne sais pas si la question se pose de cette façon, mais il est certain que les Américains ont avec les Russes un lien qui fonctionne. Ils sont presque sûrs qu'ils arriveront, un de ces jours, à persuader les Russes de changer le traité. Je ne crois pas que l'absence d'un système NMD serait un encouragement pour les pays sans foi ni loi. Il reste d'autres façons de les dissuader: il y a la possibilité d'une réaction massive de la part des États-Unis, par exemple; il y a la diplomatie, et les Américains ont engagé des discussions avec la Corée du Nord; il y a aussi le droit de préemption. Si les États-Unis sont vraiment persuadés que les Coréens du Nord vont faire quelque chose, ils ont le pouvoir de les arrêter.

Alors, il y a la diplomatie, il y a les représailles et il y a le droit de préemption.

M. René Laurin: Je ne comprends pas alors pourquoi les États-Unis font une telle évaluation de la menace coréenne. On dit souvent, lors de discussions, qu'il y a une menace de ce côté-là et du côté de la Chine. Si les États-Unis ont les moyens de se protéger contre un éventuel développement d'armes balistiques de la part de la Corée, pourquoi invoquent-ils cet argument pour justifier le déploiement des systèmes de missiles antibalistiques?

• 0945

M. Paul Heinbecker: D'après moi, les Américains définissent de plus en plus leur sécurité en termes d'invulnérabilité, plutôt que de se contenter simplement de la sécurité qu'ils ont eue jusqu'à maintenant. D'après les Américains, si on peut être invulnérable, il est préférable de l'être.

M. René Laurin: Vous avez parlé de conséquences graves pour le Canada s'il accepte ou s'il refuse de participer. On sait aussi que pour l'instant, les États-Unis ne nous ont pas invités à en faire partie.

Les conséquences pour le Canada seraient-elles plus graves s'il participait que s'il s'abstenait? Comment évaluez-vous la situation?

M. Paul Heinbecker: C'est au gouvernement d'en juger. Pour le moment, c'est difficile à dire parce qu'il est bien possible qu'il y ait une entente entre les États-Unis et la Russie.

M. René Laurin: Monsieur Heinbecker, d'après vous, est-ce que les conséquences sont plutôt d'ordre politique que d'ordre économique?

M. Paul Heinbecker: Je dirais qu'à mon avis, les conséquences sont plutôt politiques qu'économiques. Il y aura peut-être aussi des conséquences économiques, mais elles seront plutôt politiques.

Le président: Soyez très bref.

M. René Laurin: Ma prochaine question n'est pas très brève. Alors, je vais attendre le prochain tour.

Le président: Merci, monsieur Laurin.

[Traduction]

Avant de passer à M. Proud, je voudrais apporter une précision: si vous vous rappelez les renseignements qu'on nous a donnés, les États-Unis sont inquiets du fait qu'ils ne peuvent se protéger aujourd'hui d'un missile qui leur serait envoyé par un État sans foi ni loi; or, on prédit que d'ici cinq ans, les Nord-Coréens seront en mesure d'envoyer un missile sur l'Amérique du Nord. Il faut donc bien comprendre que les États-Unis ne sont pas en mesure d'intercepter un missile qui se dirigerait vers eux.

Monsieur Proud, vous avez sept minutes.

M. George Proud (Hillsborough, Lib.): Merci, monsieur le président.

J'aimerais d'abord avoir quelques précisions. Puisque les Américains affirment que le programme NMD n'est qu'un système de défense limité, pourquoi cela inquiète-t-il tant la Russie et la Chine? Pourquoi ces deux pays s'opposent-ils à un programme de ce genre? Si, comme les Américains le prétendent, ce n'est là qu'un système de défense limité, comment cela pourrait-il leur nuire?

M. Paul Heinbecker: L'ennui, c'est que ces pays ne croient pas que ce système restera un système de défense limité. Ils craignent que, dès lors que l'on modifie le Traité ABM pour permettre un système de défense, cela pourrait ouvrir toute grande la porte à une escalade qui mènera à des moyens de défense de plus en plus efficaces. Comme je l'ai dit, la Russie est censée réduire le nombre de ses armes en vertu des accords START I et START II, et le futur traité START III prévoit qu'il lui faudra les réduire encore plus. Or, au fur et à mesure que les Russes perdraient leur capacité de réagir parce qu'ils n'ont plus les finances voulues pour entretenir leur système de défense comme il le faudrait, ils se retrouveraient face aux États-Unis qui, pour leur part, auraient développé un potentiel massif de première frappe ainsi qu'un potentiel énorme de défense. Les Russes se retrouveraient donc incapables de menacer les États-Unis, alors que ceux-ci pourraient le faire. Je crois que c'est ce qu'ils vous expliqueraient.

Quant aux Chinois, c'est encore plus compliqué. Ceux-ci s'inquiètent de ce qui se passe à Taiwan et de la possibilité que les États-Unis offrent aux Taiwanais de les défendre sur place avec des missiles—nous n'en avons pas encore parlé, de ces missiles de théâtre, mais c'est une autre facette du dossier. Cela compliquerait également les relations avec le Japon, étant donné que le Japon et les États-Unis travaillent en collaboration afin de mettre au point la technologie de cette défense de missiles du champ de bataille, et que les Chinois ont une force de dissuasion nucléaire bien moins imposante que celle des Russes. D'après ce que je peux comprendre de ce qu'ont expliqué les Chinois, ils sont d'avis que le système de défense antimissile actuel suffirait à annuler la force de dissuasion chinoise. Cela pose donc problème.

• 0950

Il s'agit d'un système défensif, mais combiné à un système offensif, cela le rend différent du point de vue stratégique.

Pour répondre à ce que vous disiez, monsieur le président, les États-Unis n'ont pas actuellement de système de défense nationale antimissile. Toutefois, comme je l'ai dit, les États-Unis ont la capacité suffisante pour dissuader d'autres pays de les attaquer, que ce soit par des efforts diplomatiques, par la présence d'une force de dissuasion massive, par un potentiel massif de représailles, ou par leurs moyens préventifs.

M. George Proud: Lorsque vous avez parlé des pays de l'OTAN, vous avez dit que certains d'entre eux, tout comme d'autres pays, s'inquiétaient de la situation. Que pensent les pays d'Europe de la menace d'une attaque par missiles qui serait dirigée sur eux? Cela les inquiète-t-il? Envisagent-ils de monter un système qui leur permettrait de réagir?

M. Paul Heinbecker: J'ai dit que l'OTAN n'est pas unie. J'aurais pu être plus précis si j'avais dit que les Européens ont de sérieuses réserves sur ce système pour plusieurs raisons. Premièrement, ils ne sont pas d'accord avec l'évaluation que l'on fait dans le rapport Rumsfeld de la gravité de la situation. Peut-être pourra-t-on les en convaincre un jour, mais je crois qu'ils sont sceptiques actuellement.

Deuxièmement, comme je le disais, on doute également en Europe qu'un système de défense nationale antimissile représente une bonne façon de contrer cette menace, même à supposer que ce soit une véritable menace, simplement parce qu'il semble très improbable que l'on utilise un missile balistique intercontinental pour s'en prendre aux États-Unis quand on pourrait le faire de bien d'autres façons plus efficacement et pour moins cher.

C'est pourquoi les Américains soulèvent l'argument de la politique étrangère. Ils disent aux Européens: Nous ne serons pas un meilleur allié si nous nous sentons vulnérables. Les Européens, pour leur part, invoquent l'argument que la vulnérabilité doit être en quelque sorte partagée également et que la sécurité doit être indivisible au sein de l'alliance et que si les États-Unis sont invulnérables tandis que l'Europe ne l'est pas, la situation ne sera plus la même.

Les Américains soutiennent qu'ils ne seront pas un meilleur allié s'ils sont vulnérables que s'ils ne le sont pas. Au contraire, ils soutiennent qu'ils seraient un meilleur allié s'ils avaient l'assurance de pouvoir défendre les Européens sans en subir les conséquences.

Cet argument n'est pas vraiment accepté par les Européens, qui rétorquent que si les Américains créent ce système et si les Russes réagissent comme ils craignent qu'ils le fassent, alors l'Europe devient plus vulnérable, et non pas moins vulnérable, et l'Europe devra alors elle-même songer à créer un système de défense nationale antimissile. Cela détournerait beaucoup d'argent de la défense en Europe au moment même où les Européens tentent de créer une capacité européenne de défense, et il leur faudrait consacrer énormément d'argent à la défense antimissile.

Fondamentalement, je pense qu'il est juste de dire que les Européens ne sont pas encore convaincus que la menace est réelle ni que c'est la bonne manière de contrer cette menace éventuelle.

Le président: George, vous avez une minute.

M. George Proud: Nous avons entendu des témoins déclarer au comité qu'un système de défense nationale antimissile n'est pas techniquement réalisable actuellement; ce n'est pas encore au point. Si tel est le cas, pourquoi les États-Unis se lancent-t-ils dans cette aventure? Qu'en pensez-vous?

M. Paul Heinbecker: Je ne suis pas compétent pour traiter des aspects techniques, mais je peux dire ceci. Les Américains ont lancé l'initiative de défense stratégique au milieu des années 80. C'était un programme très ambitieux et, en fin de compte, il s'est révélé trop ambitieux et n'a pas fonctionné. Néanmoins, ils sont revenus à la charge et travaillent maintenant à une version plus limitée de ce projet. Ils y consacrent beaucoup de ressources. La technologie a évolué depuis 15 ans. Ils croient probablement qu'ils sont capables de mettre le système au point et de le rendre fonctionnel. Je suis certain qu'il y a à Washington, dans les services de défense contre les missiles balistiques, des gens qui sont confiants d'y parvenir. Il s'agit de développer la technologie pour atteindre une fiabilité suffisante.

• 0955

Si le but est d'empêcher la Corée du Nord ou un autre pays d'exercer des pressions coercitives sur la diplomatie américaine, on peut effectivement se demander s'il est nécessaire que le système de défense antimissile atteigne un niveau de perfectionnement très poussé. Les États sans foi ni loi sauraient qu'il existe un système de défense, même s'ils ne savent pas dans quelle mesure il est efficace, et je pense que cela ferait tomber l'argument voulant que quelqu'un pourrait prendre Los Angeles en otage si les États-Unis voulaient se mêler de ses affaires.

Le président: Merci, monsieur Proud et monsieur Heinbecker.

Je donne maintenant la parole à M. Earle, qui a sept minutes.

M. Gordon Earle (Halifax-Ouest, NPD): Merci, monsieur le président.

Personnellement, je voudrais remercier M. Heinbecker et M. Meyer d'être venus aujourd'hui et nous avoir éclairés sur cette question qui est très compliquée mais qui n'en est pas moins importante.

Ce qui me trouble quelque peu, c'est que jusqu'à maintenant, il a été assez difficile de savoir quelle est la position officielle du gouvernement et s'il appuie ou n'appuie pas un tel système. Peut-être en saurons-nous plus long là-dessus cet après-midi.

Jusqu'à maintenant, il semble que les deux ministères concernés ont des avis divergents sur la question. En tout cas, c'est ce que je conclus des témoignages que nous avons entendus. À la Défense nationale, on semble enclin à donner aux États-Unis l'appui qu'ils recherchent sur cette question. Par contre, aux Affaires étrangères, d'après ce que j'ai lu et entendu aujourd'hui, on semble plutôt enclin à ne pas appuyer ce projet. C'est un dossier important qui met en cause les deux ministères. Existe-t-il un comité de fonctionnaires des Affaires étrangères et de la Défense nationale qui se réunit périodiquement pour discuter de cette question précise?

M. Paul Heinbecker: Je ne suis pas certain de pouvoir accepter la description que vous avez faite de la position des deux ministères. Je dirais que nous sommes sur un terrain commun, et qu'eux penchent vers l'avant tandis que nous, nous penchons un peu vers l'arrière. Mais...

M. Gordon Earle: Admettons, mais avez-vous un comité formé de représentants des deux ministères?

M. Paul Heinbecker: Par ailleurs, nous travaillons en très étroite collaboration. Je pense que jamais les relations entre le MDN et le ministère des Affaires étrangères n'ont été plus étroites sur les questions de sécurité. Je dois dire que nous n'avons pas de comité officiel, mais nous travaillons ensemble presque quotidiennement avec, par exemple, le sous-ministre adjoint Calder et le directeur général Bon, qui ont comparu devant le comité. Nous savons ce qu'ils pensent et eux savent ce que nous pensons. Nous avons rencontré ensemble les Américains, quand ceux-ci sont venus nous faire un briefing et nous allons rencontrer dans quelques jours d'autres Américains qui viennent faire le point à notre intention.

Nous avons donc de bonnes relations de collaboration. Il faut évidemment tenir compte de la perspective internationale et notamment du contrôle des armements, et eux doivent tenir compte du point de vue de la défense, mais compte tenu de ces deux points de vue, nous avons tous les deux à coeur la sécurité du Canada.

M. Gordon Earle: Je comprends l'objectif commun. Je m'interrogeais sur les relations de travail.

Votre réponse anticipe peut-être un peu mes deux questions suivantes, qui portaient essentiellement sur le même sujet. Étant donné l'importance internationale de tout cela—vous avez d'ailleurs mentionné la Russie et la Chine et d'autres pays qui ont des préoccupations—existe-t-il un quelconque comité international formé de représentants de votre ministère et des ministères compétents des autres pays qui travailleraient ensemble à ce dossier précis, au lieu des relations diplomatiques ordinaires? Y a-t-il un comité qui s'occupe de ce dossier sur la scène internationale?

M. Paul Heinbecker: Je vais demander à mon collègue de répondre à cette question.

M. Paul Meyer: Il y a le Conseil de l'Atlantique Nord de l'OTAN et je dirais qu'il a récemment tenu un certain nombre de discussions sur cette question. Depuis le début de l'année, il existe un mouvement en faveur de la création à l'OTAN d'un comité subalterne qui commencerait à discuter plus régulièrement des questions relatives à la défense antimissile. À ma connaissance, c'est la seule organisation multilatérale qui s'est officiellement saisie de cette question, quoique vous comprendrez que la question est souvent abordée à d'autres tribunes, par exemple la Conférence sur le désarmement à Genève, dont les participants sont de plus en plus nombreux.

• 1000

M. Gordon Earle: Ma dernière question est dans la même veine. Étant donné l'importance de cette question pour le grand public, et je dirais pour le monde entier, car si l'on pousse la logique jusqu'au bout, s'il y a du mécontentement à ce sujet, on pourrait se retrouver dans un état de guerre, compte tenu de cette situation, et étant donné que très souvent, quand nous sommes saisis de dossiers qui sont importants pour le public, nous essayons d'intéresser ce que l'on appelle les parties prenantes, existe-t-il un quelconque comité de travail ou fait-on des efforts quelconques afin de travailler avec les ONG, les divers groupes qui s'intéressent au processus de paix, avec le grand public? Y a-t-il des discussions en cours avec des membres du public pour essayer d'obtenir le point de vue des citoyens avant qu'une décision finale soit prise dans ce dossier?

M. Paul Heinbecker: Je vais demander à Paul de vous répondre. Sur la scène internationale, je n'en suis pas certain, mais à l'échelle nationale, nous rencontrons assurément des ONG et des universitaires et je sais que le MDN en fait autant.

Paul, avez-vous des renseignements à nous communiquer? Sur la scène internationale, je n'en suis pas certain, mais je ne le crois pas.

M. Paul Meyer: Pas sur la scène internationale, mais au niveau national, le MDN a parrainé une série de quatre séminaires cette année. Le prochain aura lieu le mois prochain à Fredericton et portera sur les questions de défense intéressant le Canada et les États-Unis. La question de la défense nationale antimissile occupe une place de choix dans l'ordre du jour et nous avons lancé des invitations à des universitaires et des représentants des ONG. Le mois dernier, notre propre ministère a parrainé avec des ONG et des universitaires une rencontre consacrée spécifiquement aux questions nucléaires de portée générale, mais il y avait un groupe qui a discuté du Traité ABM et de la défense antimissile.

M. Gordon Earle: Vous avez dit que votre ministère et la Défense nationale parrainent des activités, mais vous avez dit tout à l'heure que vous penchez en quelque sorte dans des directions opposées. Avez-vous des rencontres pour discuter des résultats de ces diverses discussions?

M. Paul Meyer: Je dois ajouter que des représentants du MDN ont bien sûr été inclus dans nos consultations et que des représentants du MAECI ont été consultés par le MDN. Les consultations du MDN, dont je dirais qu'elles ont une plus vaste portée, sont encore en cours, mais je crois savoir qu'ils rédigeront un compte rendu à la fin. Je sais que nous avons rédigé un sommaire de nos propres consultations que l'on peut actuellement consulter sur le site Web de notre ministère.

Le président: Merci, monsieur Earle.

À titre d'information, je précise que, naturellement, dans le cadre des audiences que nous tenons, nous invitons le public à nous faire part de ses commentaires. Comme vous pouvez le constater, nous avons déjà entendu plusieurs témoins qui penchaient dans des directions différentes, tout en étant sur le même terrain, comme M. Heinbecker l'a dit avec tellement de justesse. Un certain nombre d'ONG et d'autres Canadiens ont demandé à comparaître devant le comité pour traiter de cette question et nous allons assurément entendre le plus grand nombre possible de gens.

Je pense que le délai que nous avons en tête, c'est que nous aimerions pouvoir donner des conseils au ministre de la Défense nationale avant que le Parlement n'ajourne ses travaux pour l'été.

On dirait qu'à chaque séance que nous tenons sur ce sujet, quelqu'un signale que le gouvernement n'a pas pris position. Nous sommes saisis de cette question—et les Affaires étrangères, dans la mesure où ils peuvent en décider, sont également saisis et seront saisis de cette question—afin d'aider à formuler une position ou des positions, à donner peut-être des conseils différents à différents ministres, lesquels seront ensuite présentés au Cabinet, lequel a la responsabilité d'élaborer la position du Canada. Par conséquent, il ne faut pas s'étonner qu'il n'y ait pas encore de position canadienne définitive. Autrement, nous n'aurions pas besoin de tenir ces audiences. Il incombera au Cabinet d'en décider. Je pense que cette prise de position est peut-être plus imminente que l'on ne s'en rend compte et nous essayons de tirer tout cela au clair dans le cadre de nos audiences.

Je fais ces observations simplement pour préciser le processus dans tout cela.

Cela met fin à la première ronde de questions. Nous allons entamer un deuxième tour en commençant par M. Hanger. Je voudrais moi-même poser quelques questions et je vais donc demander à mon collègue M. O'Reilly de présider la séance. Je donne la parole à M. Hanger pour le deuxième tour de questions, les intervenants ayant cinq minutes chacun.

• 1005

M. Art Hanger: Merci, monsieur le président.

Au sujet de cette question de la sécurité nationale—et je crois que les Canadiens sont plus conscients que jamais du problème de la stabilité internationale—je crois que le grand public au Canada ne sait pas vraiment de quoi il retourne exactement dans tout ce dossier du système de défense nationale. Il n'y a jamais eu de débat vraiment approfondi sur la question. Mais je crois que si les Canadiens comprenaient mieux le dossier, ils seraient essentiellement d'accord pour dire qu'il faut soutenir nos alliés.

Dès qu'un problème surgit quelque part dans le monde, il semble que l'on compte sur les Américains pour aider à le résoudre, et ils sont généralement les premiers arrivés. La guerre du Golfe en est un exemple. Leurs missiles Patriot ont éliminé les Scuds iraqiens en plein vol, alors que ceux-ci se dirigeaient vers Israël. Ils ont installé ces ressources là-bas à grands frais, et les alliés ont en quelque sorte suivi le mouvement.

Or, nous parlons d'un système de défense que les Américains veulent déployer pour protéger leur territoire lorsqu'une menace se dessine à l'horizon. Tous les autres pays font apparemment traîner les choses et dressent tous les obstacles possibles pour les dissuader de prendre cette mesure. Cela me semble assez étrange.

Toutefois, pour ce qui est du Canada, notre pays n'est-il pas directement concerné par cette défense antimissile, même si nous ne sommes pas signataires du traité ABM? Les intérêts canadiens et américains sont directement reliés, sur le plan économique et sur celui de la sécurité. Qui peut dire si un État sans foi ni loi, étant donné le rythme auquel ces genres de pays développent leur technologie, ne risque pas de décider un jour d'envoyer une arme de destruction massive équipée d'une ogive, dirigée sur une ville américaine, et de toucher une ville canadienne parce que la technologie n'est peut-être pas aussi au point qu'elle aurait dû l'être? Si l'on envisage la question sous cet angle-là, je pense que nous devrions appuyer cette initiative américaine.

Quoi qu'il en soit, que peut faire le Canada, dans sa situation, pour soutenir davantage ses alliés et contribuer à résoudre ces problèmes avec les Russes, disons? Le Canada a-t-il un rôle quelconque à jouer dans tout cela?

M. Paul Heinbecker: J'aimerais répondre directement à cette question, puis je vous expliquerai un peu le contexte.

Nous participons à des entretiens avec les Russes et les Américains. Nous n'avons pas encore pris position pour les uns ou les autres. Cela me ramène à ce que j'ai dit plus tôt, à savoir ce qu'il convient de faire dans l'intérêt de la sécurité du Canada. De toute évidence, il est indispensable pour notre sécurité que les États-Unis soient un pays sûr. Vous avez raison de dire qu'un État sans foi ni loi qui se dote d'un missile pas très précis risque de toucher le Canada plutôt que les États-Unis. Mais même s'il touchait les États-Unis, ce serait catastrophique pour notre pays. Je suis donc d'accord avec vous sur ce point.

Le véritable problème en l'occurrence, c'est que depuis l'entrée en vigueur du TNP vers le milieu des années 60, le Canada a de peine et de misère contribué à mettre au point un système de traité qui englobe le Traité de non-prolifération—et le Traité ABM en fait partie. Nous avons depuis conclu un traité d'interdiction des essais. Des négociations doivent débuter prochainement, du moins nous l'espérons, en vue de réduire la production des matières fissiles pour qu'il soit désormais impossible de fabriquer des armes nucléaires. Il existe toute une structure de traités qui visent à accroître la sécurité. Si, pour se défendre contre l'éventualité d'un missile lancé par un État sans foi ni loi, cette structure internationale est sapée...

Et c'est à mon avis une possibilité. N'oublions pas ce qui s'est passé: Les Indiens et les Pakistanais ont procédé à des essais et ni les Américains ni les Russes n'ont encore ratifié le Traité CTBT. Ce système n'est à mon avis pas aussi solide qu'il y a cinq ans, disons.

• 1010

Il nous faut nous demander ce qui contribue à rendre notre pays plus sûr. Si le système des traités internationaux s'effondre, cela aura deux effets: il y aura plus de prolifération sur le plan horizontal—autrement dit, moins de restriction touchant les autres pays désireux de se doter d'armes nucléaires—et plus de prolifération sur le plan vertical, puisque ces pays qui possèdent ces armes en produiront davantage. C'est une possibilité tout à fait réelle. C'est un passé dont nous avions réussi à nous sortir, mais nous pourrions fort bien y retourner.

Il reste donc à voir de quelle façon la sécurité du Canada a le plus de chance d'être garantie. C'est l'objet de la discussion actuelle. Les temps ont-ils tellement changé que la menace d'un missile lancé par un État sans foi ni loi est désormais au coeur de nos préoccupations, ou faut-il continuer de s'inquiéter des énormes inventaires d'armes nucléaires qui existent dans le monde entier, et de la possibilité que les pays qui en possèdent se doteront d'autres armes encore? Cela nous ramène alors peu à peu à une situation de guerre froide.

Il est donc impossible, à mon avis, de prétendre qu'il faut que le Canada fasse partie du système de défense nationale antimissile si nous voulons préserver au mieux notre sécurité. Il faut peser le pour et le contre. Il y a de sérieux arguments de part et d'autre, et les arguments contre sont très variés. Je m'excuse pour cette longue...

Le président suppléant (M. John O'Reilly, (Haliburton—Victoria—Brock, Lib.)): Merci beaucoup, monsieur Heinbecker. Il vous manque juste un peu de temps.

[Français]

Monsieur Bertrand.

M. Robert Bertrand (Pontiac—Gatineau—Labelle, Lib.): Merci beaucoup, monsieur le président.

Monsieur Heinbecker, d'entrée de jeu, je vous avoue que j'ai trouvé votre témoignage tellement intéressant que vous m'avez fait tomber de ma chaise. C'est probablement juste une question de clarification.

J'ai trouvé ce que vous avez dit au tout début très intéressant. Lorsque vous avez parlé du traité qui avait été signé en 1972, je crois, le Traité sur la limitation des systèmes de missiles antibalistiques, vous avez mentionné qu'à l'époque, les deux parties avaient le droit de choisir des endroits à protéger. La Russie avait choisi de protéger Moscou et les États-Unis avaient choisi de protéger un site de missiles et, finalement, ils ne l'ont pas fait.

Pourquoi les Américains n'ont-ils pas installé un système?

M. Paul Heinbecker: Je crois que la réponse courte, c'est que les Américains n'étaient pas convaincus que le système fonctionnerait de manière acceptable.

M. Robert Bertrand: Mais cette clause faisait partie du traité.

M. Paul Heinbecker: Je vous demande pardon.

M. Robert Bertrand: La clause qui disait que les Américains pouvaient installer un système était incluse dans le traité que les deux parties ont signé en 1972.

M. Paul Heinbecker: Oui, c'est exact.

M. Robert Bertrand: Je ne suis pas avocat, mais les Américains ne pourraient-ils pas dire qu'ils exercent leur droit, tel que stipulé dans le traité qui a été négocié en 1972, pour procéder à l'installation? Est-ce une chose qui, techniquement, pourrait être faite?

M. Paul Heinbecker: Ils ont maintenant le droit d'installer un système antimissile autour de Washington ou autour d'un champ de missiles au Dakota du Nord. Ils ont le droit de le faire, mais ils ont décidé qu'un tel système n'en valait pas la peine. Les Russes, par contre, ont décidé d'essayer de protéger Moscou. La chose qui est importante, ici, c'est que ni l'un ni l'autre ne sont un système national. On ne peut pas installer un système antimissile national en vertu des termes du traité.

Le président suppléant (M. John O'Reilly): Merci, monsieur Bertrand.

[Traduction]

Et félicitations d'être resté dans votre fauteuil pour poser les questions.

[Français]

M. Robert Bertrand: Merci beaucoup, monsieur le président.

[Traduction]

Le président suppléant (M. John O'Reilly): Comme vous le savez peut-être, j'ai déposé des plaintes auprès du Bureau de régie interne au sujet de la camelote qu'on nous fourgue pour les réunions de comité, car très souvent le matériel n'est pas conforme au code du travail.

C'est maintenant à M. Laurin pour cinq minutes.

[Français]

M. René Laurin: Merci, monsieur le président.

• 1015

Monsieur le sous-ministre, j'aimerais qu'on revienne un peu sur le rôle du Canada. Jusqu'à maintenant, les États-Unis n'ont pas invité le Canada à faire partie de ce projet. Je me demande s'ils ne l'ont pas fait à la demande du Canada. J'ai nettement l'impression que si les États-Unis invitent le Canada à faire partie du projet, le Canada n'aura pas d'autre choix que de dire oui, parce que les États-Unis ont une force de persuasion trop grande envers le Canada pour que ce dernier refuse.

À mon avis, la seule façon pour le Canada de ne pas participer, ce serait de ne pas être invité à le faire et de continuer d'attendre, parce que—vous l'avez dit plus tôt—on attend de voir si c'est bon ou si c'est mauvais que le traité soit respecté ou non. Tout dépend des réactions. La seule issue pour le Canada n'est-elle pas de ne pas se prononcer et d'attendre dans le but de rester neutre? Si le Canada doit rester neutre, ne serait-il pas mieux de le dire tout de suite? Vous allez me dire que c'est une question qu'il faudra poser au ministre cet après-midi, que c'est une question politique, mais je vous la pose puisque vous êtes quand même sous-ministre et que vous participez à l'élaboration de ces politiques. Selon vous, est-ce que le Canada peut vraiment exercer une politique de neutralité et se permettre de jouer plutôt un rôle de négociateur entre les deux parties afin de leur permettre de mieux s'entendre?

M. Paul Heinbecker: Je voudrais commenter un peu vos propos. Les Américains ne nous ont pas invités jusqu'à maintenant, c'est vrai, et je ne sais pas exactement ce que sont leurs motifs. Il y a probablement des gens aux États-Unis qui préfèrent agir seuls, sans la participation d'autres pays; il y en a d'autres qui veulent certainement que nous les aidions.

Il y a aussi la question de savoir ce qu'un refus du Canada enverrait comme message au reste du monde. Les Américains doivent penser à cela aussi. C'est probablement pour une combinaison de ces facteurs qu'ils ne nous ont pas invités jusqu'à maintenant.

Bien sûr, les Américains eux-mêmes n'ont pas encore pris la décision d'aller de l'avant avec ce programme.

Je ne sais pas s'il est possible pour le Canada de jouer un rôle d'intermédiaire entre les Russes et les Américains, surtout pour les questions nucléaires. On peut parler aux deux séparément, on peut les encourager, mais je ne crois pas qu'ils soient vraiment ouverts à l'idée d'être guidés par qui que ce soit sur un sujet qui revêt autant d'importance pour eux. Je crois que c'est la réalité.

Je parle aux Russes et je peux dire qu'ils ont une connaissance sophistiquée des politiques américaines, et les Américains, comme M. Strobe Talbott, connaissent très bien les Russes. Ces gens-là ont des discussions, des négociations, et nous pouvons les encourager à conclure un accord, mais je ne crois pas que l'on puisse agir à titre d'intermédiaire.

M. René Laurin: Monsieur le sous-ministre, puisque notre comité reçoit des experts comme vous dans le but de faire des recommandations au ministre, est-ce qu'à votre avis il s'agit d'une affaire qui relève plus du ministère des Affaires étrangères que du ministère de la Défense?

• 1020

Il n'y a pas d'arme, il n'y a pas d'attaque, il n'y a pas de défense du Canada dans cette histoire. J'ai l'impression qu'il n'y a que de la politique et de la diplomatie.

Alors, quel rôle le Comité de la défense nationale et des anciens combattants peut-il jouer pour faire avancer les choses?

M. Paul Heinbecker: Ce que je peux vous dire, c'est que les négociateurs américains viennent du département d'État et que les négociateurs russes viennent du ministère des affaires étrangères en Russie. Mais les deux côtés ont une équipe composée d'experts militaires.

Il y a beaucoup de politique étrangère dans cette question; il y a aussi beaucoup de politique de défense. Ce qui nous intéresse, c'est la sécurité du Canada et comment l'assurer. Je crois qu'il y a lieu pour ce comité de faire des recommandations, s'il le veut.

Le président suppléant (M. John O'Reilly): Merci, monsieur Laurin.

[Traduction]

Vous avez épuisé votre temps de parole.

Votre question nous fait penser aux bonnes vieilles soirées dansantes de l'école secondaire. On ne veut pas inviter quelqu'un à danser de crainte d'essuyer un refus. On opte donc pour la voie diplomatique et on tâte le terrain. On demande à ses amis de poser la question avant d'inviter soi-même la personne. Je me demande si nous ne sommes pas confrontés à ce dilemme ici.

M. Robert Bertrand: Parlez pour vous.

Le président suppléant (M. John O'Reilly): De toute façon, il nous reste cinq minutes. Il y a deux Irlandais ici, moi qui suis le beau gosse et l'autre qui est le richard. Je vais donc donner la parole au riche Irlandais.

M. Pat O'Brien: Très bien. Merci beaucoup. Je rapporterai ces propos à votre femme en temps et lieu. Merci, monsieur le président.

À mon collègue M. Laurin, je tiens simplement à... J'ai écouté votre réponse avec plaisir, monsieur Heinbecker, lorsque vous avez dit que le comité a raison de se pencher sur cette question. Je voudrais rappeler à mes collègues que c'est notre comité qui a jugé bon de lancer ce débat. Garder le silence n'est pas la bonne solution. Après que le comité a décidé de discuter de cette question, à très juste titre dans le cadre de son mandat, nos collègues des affaires étrangères ont depuis été saisis de cette question. Ce n'est pas en gardant le silence qu'on arrive à élaborer une position, en tout cas pas la bonne.

Monsieur Heinbecker, j'ai quatre ou cinq questions à poser. Je vais essayer de les présenter rapidement une à la fois. Ce ne sont pas des questions simples, mais je vous demanderais d'être aussi bref que possible.

Vous avez dit qu'il n'est pas certain que le NORAD serait démantelé si le Canada refusait de participer au système de défense antimissile. Les craintes des Forces canadiennes à Cheyenne Mountain, lesquelles se sentent marginaliser parce que le gouvernement n'a pas encore pris position à ce sujet... N'est-il pas au moins possible que cette marginalisation se poursuive au sien d'un NORAD restructuré? N'est-ce pas une possibilité?

M. Paul Heinbecker: Je suis convaincu qu'il n'y aura aucun changement dans le fonctionnement du NORAD. Quant à savoir si les soldats canadiens continueront de se sentir marginalisés, je n'en suis pas certain, car tout dépendra de ce qui se passe dans le contexte stratégique international.

M. Pat O'Brien: C'est au moins une possibilité, n'est-ce pas?

M. Pat Heinbecker: Eh bien, dans la mesure où tout est possible, oui c'est une possibilité.

M. Paul O'Brien: Merci.

Cette question-ci porte sur nos relations bilatérales. Pour autant que je m'en souvienne, vous n'avez pas parlé de nos relations bilatérales en général. N'est-il pas possible que si le Canada refusait ce système, cela ait un effet néfaste sur nos relations bilatérales en général?

M. Paul Heinbecker: J'en parlais dans mon mémoire, mais je ne l'ai pas dit pour gagner du temps, car j'ai déjà parlé trop longtemps.

Je vais vous donner mon avis personnel. J'ai travaillé auparavant à l'ambassade à Washington et avant cela, j'étais directeur responsable des relations américaines. Je sais donc de quoi je parle.

Les relations entre nos deux pays ont une énorme portée. Lorsqu'on parle du commerce de défense bilatéral qui représente 1 milliard de dollars environ, il faut se rappeler... Je pense que c'est environ 1 milliard de dollars. C'est peut-être 1 milliard de dollars d'exportations. Cela représente environ 1/250 du total. Les rapports sont énormes. Sur le plan économique, l'intégration va très loin. Je suis convaincu qu'il y a aux États-Unis des gens qui nous en voudraient si nous ne participions pas au système.

• 1025

Par ailleurs, nous avons réussi à surmonter les hauts et les bas qui ont marqué les relations entre le Canada et les États-Unis au fil des ans, et je suis convaincu que ce sera encore une fois le cas. J'ajoute que si l'on tient compte en même temps de toutes les activités que sont la défense nationale antimissile, la défense cybernétique, le terrorisme, le trafic de drogue, la criminalité transfrontalière, la protection de l'infrastructure essentielle, le simple nombre de ces activités influe sur la qualité des rapports de sécurité. Toutefois, les relations entre nos deux pays sont tellement énormes qu'elles supporteront de nombreux chocs.

M. Pat O'Brien: Merci beaucoup. Je vous sais gré de cette réponse. En tant que Canadien, je crains que cela n'ait un effet néfaste sur ces relations.

Le professeur russe M. Podvig, qui a comparu avec des représentants du projet Ploughshares, a prédit que les Russes s'entendront avec les Américains relativement au Traité ABM. Pouvez-vous me dire en quelques mots si vous êtes d'accord avec cette prédiction?

M. Paul Heinbecker: Je pense qu'il n'en sait rien.

M. Pat O'Brien: Voilà une réponse intéressante. Il n'a pas prétendu avoir une boule de cristal, mais il a prédit que les deux pays s'entendraient et qu'ils risquaient de le regretter par la suite. Il ne voyait pas ce système d'un très bon oeil et il a prévu qu'il y aurait une entente.

Vous avez dit que les Européens ne sont pas convaincus que ce système antimissile soit une bonne idée. Cette semaine, je me suis entretenu avec des élus et des hauts fonctionnaires non élus britanniques, lesquels m'ont dit que la Grande-Bretagne envisage sérieusement de participer à ce système. Ils m'ont dit également que, à leur avis, il est vraisemblable que les Américains iront de l'avant. À votre avis, n'existe-t-il pas une position unique en Europe? N'y a-t-il pas une position britannique, etc.?

M. Paul Heinbecker: Je me suis également entretenu avec mes collègues britanniques cette semaine, et sans vouloir trahir les secrets dont ils m'ont fait part, ils sont d'avis que les choses sont tellement avancées qu'elles vont se concrétiser, et que le plus sage serait d'opter pour la voie la moins dangereuse. Si vous leur demandez si cela doit se faire, selon eux—et je ne sais pas comment m'exprimer de façon plus indirecte—je ne pense pas qu'ils soient convaincus que la défense nationale antimissile soit une bonne idée.

Au sein de l'alliance, il n'existe pas de position unique, mais la grande majorité des gens doutent de la nature de la menace et de la pertinence de la NMD pour y faire face.

Le président suppléant (M. John O'Reilly): Je suis désolé de vous interrompre, monsieur l'ex-président, mais votre temps de parole est écoulé.

Nous passons maintenant à M. Earle pour cinq minutes. Si vous voulez poser d'autres questions, monsieur le président, il vous faudra reprendre le fauteuil.

M. Gordon Earle: Merci, monsieur le président.

Avant de poser ma question, je tiens à bien préciser que je suis parfaitement conscient du rôle que joue notre comité en vue d'aider le gouvernement à établir une position officielle. Je sais également que le gouvernement n'a encore pas pris officiellement position à ce sujet mais il y a en tout cas certaines prises de positions très nettes. On peut parler de positions théoriques, si l'on veut, et je cite:

    Il faut résister à la tentation de dresser des murs, de se retrancher, de s'exclure du monde [...] Il vaut mieux au lieu de cela opter pour une approche multilatérale pour empêcher la prolifération des missiles au départ, et en faire un élément clé d'un régime renforcé de non-prolifération à l'échelle mondiale.

Ces paroles sont attribuées au ministre, l'honorable Lloyd Axworthy.

Il s'agit bien là d'une position théorique. À l'autre extrême, on trouve des propos émanant de certains hauts fonctionnaires du ministère de la Défense nationale, qui semblent préconiser ce système. Je tiens à bien préciser que certaines parties ont déjà pris position et je réagis de cette façon compte tenu des remarques faites par l'ancien président après ma dernière série de questions.

Ma question porte sur une remarque que vous avez faite plus tôt, selon laquelle vous ne savez pas si ce système est bon ou mauvais car, si vous le saviez, vous pourriez faire une recommandation dans un sens ou dans l'autre. Vous avez également parlé des élections en Russie et du résultat qui peut s'en suivre. Étant donné les nombreuses remarques que vous avez faites à l'encontre de ce système, ne pensez-vous pas que le ministère est en mesure de faire une recommandation quelconque pour aider le gouvernement à établir sa position officielle?

• 1030

M. Paul Heinbecker: Nous sommes en fait en train d'évaluer le pour et le contre. Je ne connais pas les détails du discours qu'a fait hier M. Axworthy à Carleton, et que vous avez cité, je pense. Si vous me demandez si nous sommes en mesure de fournir des conseils au gouvernement, je vous répondrai que nous pensons sans doute être toujours en mesure de conseiller le gouvernement.

En réalité, il nous faut recueillir plus de renseignements et de faits avant de vraiment savoir ce qui va ressortir de tout cela. Il est vrai que les élections en Russie risquent de changer les choses. S'ils en arrivent à une entente, et si cela ne s'accompagnait pas du risque d'une autre course aux armements, je pense que nous serions plus enclins à être pour. Tant que nous ne serons pas certains des conséquences, toutefois, nous allons faire preuve de prudence.

M. Gordon Earle: Merci.

Le président suppléant (M. John O'Reilly): Nous donnons maintenant la parole à M. Proud pour cinq minutes.

M. George Proud: Merci, monsieur le président.

Monsieur Heinbecker, dans le Livre blanc de 1994 sur la défense, on reconnaît l'importance pour le Canada de la défense antimissile balistique, mais nous avons joué un rôle limité jusqu'ici. Il est dit également dans ce livre blanc que les négociations et la reconduction de l'accord du NORAD doivent préserver les avantages découlant de nos relations avec les États-Unis, et qu'il nous faut relever les nouveaux défis qui se posent pour notre sécurité continentale. Quels sont ces nouveaux défis pour notre sécurité continentale?

M. Paul Heinbecker: Je ne sais pas exactement car je n'étais pas là lors de la rédaction de ce livre blanc. Je peux dire que, parmi les nouveaux problèmes qui ont vu le jour, il pourrait y avoir celui de la menace de missiles lancés par un État bans foi ni loi. A plus court terme, il y a également le défi que présente les missiles de croisière, qui appartiennent à la technologie contemporaine. Je le répète, quelque 70 pays possèdent des missiles de croisière, je pense. Il y a également d'autres sortes de menaces terroristes qui remettent en cause notre sécurité bilatérale. Les responsables du NORAD prennent également des initiatives pour interdire le trafic de drogues. Il y a donc toutes sortes de problèmes qui se posent.

Le président suppléant (M. John O'Reilly): Merci.

Monsieur Hanger, pour cinq minutes.

M. Art Hanger: Monsieur Heinbecker, quelle importance revêt l'accord du NORAD pour la capacité du Canada de surveiller et contrôler son propre territoire?

M. Paul Heinbecker: Il est très important dans la mesure où les capteurs spatiaux et les radars terrestres sont importants pour la surveillance de notre territoire, cela ne fait aucun doute.

M. Art Hanger: Combien cela nous coûterait-il pour assurer cette surveillance nous-mêmes, sans le NORAD?

M. Paul Heinbecker: Vous constaterez que cela nous coûterait beaucoup plus cher que ce que nous avons dépensé jusqu'ici, bien que nos dépenses à ce titre aient déjà été considérables.

Je voudrais ajouter que, à mon avis, il n'y a pas lieu de craindre que le NORAD soit démantelé et que nous n'ayons plus accès à ces systèmes. Cela ne se produira pas, selon moi.

M. Art Hanger: Le Canada souhaite peut-être que cela ne se produise pas, mais les Américains voient peut-être les choses sous un angle tout à fait différent. Nous n'avons rien à dire dans la décision que pourraient prendre les États-Unis s'ils ont l'impression que le Canada n'est plus à même de collaborer, si vous voulez, à un système de défense.

Hier soir, au bulletin d'informations d'ABC, on a clairement dit que les Britanniques, et un autre pays d'Europe je crois, semblaient très intéressés par ce système de défense antimissile. Savez-vous quelque chose à ce sujet? Savez-vous s'ils ont l'intention d'utiliser ou d'inclure une région au-delà du continent nord-américain?

M. Paul Heinbecker: En fait, cela a trait à toute la question du couplage et du découplage dont j'ai parlé plut tôt. La dernière fois que la question a été soulevée, c'était dans le cas des missiles à courte portée... la menace que représentait le missile SS-20 de l'Union soviétique pour l'Europe. Les Européens ont senti que leur sécurité était menacée, d'autant plus que les États-Unis n'avaient pas de contrepoids et qu'ils étaient, par conséquent, de plus en plus à la merci des Soviétiques. À l'époque, les États-Unis ont réagi en déployant des forces nucléaires intermédiaires, soit des missiles Pershing à courte et à moyenne portée.

• 1035

Pour ce qui est des pays qui ont manifesté un intérêt, il s'agit de deux pays qui doivent prendre une décision, à savoir le Danemark et la Grande-Bretagne, puisque pour déployer le système de défense nationale antimissile, les États-Unis ont besoin des radars installés à Filingdales et à Thulé, au Groenland. Les Britanniques n'ont pas donné aux États-Unis le feu vert—et j'ai posé précisément cette question cette semaine. Les Danois, quant à eux, du moins d'après ce que j'en sais, ont dit qu'ils ne donneraient leur aval que s'il y avait une entente entre les États-Unis et la Russie.

Je ne sais pas de quels autres pays vous parlez. On craint que si les Américains mettent sur pied un système de défense nationale antimissile, ils deviendraient, comme je l'ai dit, presque invulnérables et que les Européens seraient, par conséquent, relativement plus exposés au risque.

Du point de vue technologique, je ne crois pas qu'un système de défense nationale antimissile américain puisse protéger toute l'Europe. L'Europe devra mettre sur pied son propre système. Elle pourrait, par exemple, opter pour un système de défense contre les missiles de théâtre ou encore combiner ce système à un système de défense nationale. Cela dit, je crois qu'il est encore trop tôt pour entamer ces discussions.

Le président suppléant (M. John O'Reilly): Vous avez une minute.

M. Art Hanger: Pour revenir à la nécessité d'utiliser l'alliance NORAD de la façon la plus complète qui soit, je ne pense pas que nous voulions compromettre cette alliance de quelque façon que ce soit.

M. Paul Heinbecker: Je pense que nous devons évaluer toutes les considérations. De toute évidence, il n'est pas dans notre intérêt de compromettre cette alliance. En revanche, nous devons étudier toutes les considérations et essayer de trouver une façon de les concilier pour comprendre où se situe notre intérêt. Comme j'ai essayé de le montrer, il y a plusieurs façons d'assurer la sécurité canadienne.

Ainsi, il y a le régime international de non-prolifération et les différentes tentatives de mise sur pied d'un système complet de contrôle des armements et de désarmement. De plus, différents traités ont mené à des réductions considérables des armes nucléaires. Grâce aux négociations START II, la Russie et les États-Unis qui disposaient de 7 000 ogives nucléaires de chaque côté n'en ont maintenant que 3 500. Ce chiffre pourrait être réduit davantage pour atteindre 1 000 ogives nucléaires en vertu de START III. Il faut donc tenir compte de différentes considérations pour atteindre l'équilibre.

M. Art Hanger: Si tous les traités étaient respectés tout le temps à la lettre, dans un monde utopique, on pourrait opter pour ces solutions. Cela dit, nous ne vivons pas dans un monde utopique, et il y a des États dans le monde pour qui les traités sont le cadet de leurs soucis. Qu'arriverait-il alors au Canada s'il devait soudainement se retrouver sans l'alliance NORAD?

M. Paul Heinbecker: Nous faisons partie de l'OTAN et je ne vois pas comment le traité NORAD cesserait soudainement d'exister. En réalité, le fait que les Américains veulent élargir cette alliance est la preuve même qu'elle n'est pas près de s'effondrer. Je pense que ce serait une erreur que de croire que la seule chose sur laquelle on puisse compter soit la capacité militaire de se défendre dans un monde aussi compliqué que le nôtre. Il y a plusieurs façons d'assurer sa sécurité, et toutes ces façons sont complémentaires.

Personne ne prétend, et moi encore moins, pouvoir minimiser l'importance de l'armée pour la sécurité du Canada. Mais en même temps, il faut reconnaître que la diplomatie et les ententes internationales que le Canada a conclues sont également réelles et bien importantes pour sa sécurité. Le Canada est signataire de nombreux accords, et ces accords sont efficaces. On peut certainement se retirer de certains accords: les États-Unis le peuvent, le Canada le peut, tout le monde peut le faire. Mais dans l'ensemble, nous sommes en train d'édifier un système où il est dans l'intérêt de tous de coopérer. Dans le cas des rares pays qui choisissent de ne pas coopérer, il existe d'autres façons de réagir.

• 1040

Le président suppléant (M. John O'Reilly): Merci beaucoup, monsieur Heinbecker.

Je vous remercie, monsieur Hanger. Votre temps est écoulé.

J'aimerais simplement rappeler aux membres du comité qu'une autre réunion de comité est prévue juste après la nôtre. Le temps presse donc.

Monsieur O'Brien, vous avez cinq minutes.

M. Pat O'Brien: Je vous remercie, monsieur le président.

Monsieur Heinbecker, j'aimerais revenir à quelque chose que mon collègue, M. Earle, a dit à propos du processus. J'avoue ne pas comprendre la consternation de certains de mes collègues. Le ministre de la Défense nationale est certainement en train d'arrêter une position, et notre comité fera de même à terme. Comme vous l'avez dit vous-même, les Affaires étrangères semblent pencher d'un côté pour cette raison, et la Défense semble pencher de l'autre, mais pour les mêmes raisons. Je pense que c'est une excellente façon d'expliquer les choses.

Mais n'est-il pas normal que des ministres élaborent des positions préliminaires qui ne sont pas tout à fait les mêmes? Le but n'est-il pas de formuler des recommandations, quelles qu'elles soient, au Cabinet qui par la suite arrêtera la position du gouvernement du Canada? N'est-ce pas là la procédure normale?

M. Paul Heinbecker: Vous me demandez de vous donner une réponse suicidaire sur le plan professionnel.

Des voix: Oh, oh!

M. Pat O'Brien: Ce n'est pas le but de ma question. Dans ce cas, je répondrai moi-même à ma question, car il me semble que c'est la procédure normale. Il n'est pas inhabituel que des ministres adoptent des positions légèrement différentes les unes des autres sur une question en particulier. Mais ce qu'il faut savoir, chers collègues, c'est qu'à un moment donné il faudra faire des recommandations au Cabinet, qui élaborera la position du gouvernement du Canada. Cette position deviendra officielle et, solidarité du Cabinet oblige, tous les ministres devront y souscrire. Autrement, ils devront démissionner, ce qui serait la décision honorable à prendre. On n'en est pas là encore, et c'est pourquoi il n'est pas surprenant de voir des positions différentes. En effet, je crois que c'est une procédure normale et saine. C'est une déclaration de ma part plus qu'une question.

Si vous le permettez, je voudrais vous poser deux questions. Si on avait le choix—et ce n'est peut-être pas un véritable choix, quoique c'est peut-être quelque chose de réaliste—entre un système de défense nationale antimissile américain et un système de défense antimissile régi par l'alliance NORAD, laquelle des deux options, selon vous, serait préférable pour le Canada?

M. Paul Heinbecker: Dans l'éventualité où le traité ABM continue d'exister et si la Russie et les États-Unis devaient signer un accord, il est évident qu'il serait préférable pour le Canada qu'on ait un système régi par le NORAD.

M. Pat O'Brien: J'ai parlé plus tôt cette semaine à certains responsables qui m'ont dit qu'il n'est pas impensable ou inconcevable—il serait peut-être même judicieux à terme—que les États-Unis, en choisissant ce système, décident de partager cette technologie avec des pays comme la Russie, la Chine et d'autres pour apaiser leurs craintes. Il s'agit d'un système de défense, après tout. Pensez-vous que cette option, somme toute, est réaliste?

M. Paul Heinbecker: Il a été question de partager cette technologie, mais je ne crois pas que cela fasse l'objet de pourparlers à l'heure actuelle. Étant donné les enjeux de la technologie, je ne pense pas qu'elle fasse l'objet de négociations un jour, quoiqu'on ne peut jurer de rien.

M. Pat O'Brien: Ma dernière question, monsieur le président, en est une que j'ai posée à d'autres témoins ici ou que d'autres collègues ont posée. Elle ne l'a pas encore été aujourd'hui, et donc je vais la poser.

Comme le font valoir le général Macdonald et d'autres, ne peut-on pas prétendre que si les États-Unis et le Canada, ou peut-être simplement les États-Unis, adoptaient ce genre de système de défense antimissile, cela n'augmenterait pas les tensions et l'insécurité, au contraire? Vous avez lu le témoignage, vous connaissez l'argument, c'est-à-dire que cela donnerait une autre option d'intervention aux États-Unis. Vous avez mentionné les options d'intervention dont disposent actuellement les États-Unis, mais si les États-Unis sont la cible d'un missile en provenance d'un autre pays, la seule intervention n'est-elle pas alors une riposte militaire à grande échelle. Cette mesure comme le font valoir le général Macdonald et d'autres n'offre-t-elle pas une option de moins grande envergure aux États-Unis?

M. Paul Heinbecker: En effet. Toutefois, nous avons survécu à la Guerre froide sans cette option et nous avons su maintenir la stabilité et éviter les attaques nucléaires.

• 1045

À mon avis, dans ce contexte, le problème c'est qu'il ne s'agit pas uniquement d'une décision des États-Unis, qu'entérinent tous les autres, sans conséquence. Il y aura de nombreux changements dans l'éventualité que les États-Unis prennent cette décision. Il y a des conséquences pour la Russie. Il y en a pour la Chine. Si la Russie réagit, cela a des conséquences pour l'Europe et pour le Japon. Si la Chine réagit, il y a des conséquences pour l'Inde. Si l'Inde réagit, il y a des conséquences pour le Pakistan. Si tous ces pays réagissent, il y a des conséquences pour tout le régime de non-prolifération. Si les gens veulent protéger leur propre sécurité, ils vont devoir faire quelque chose aussi.

Nous pourrions adopter l'approche de la National Rifle Association au contrôle des armes nucléaires, c'est-à-dire que seuls les méchants en possèdent. Vous me permettrez de dire que nous ne pouvons pas nous permettre une situation où seuls les méchants en ont. Nous tenterons donc de nous protéger de cela. Ce qui nous préoccupe c'est de déclencher un scénario qui entraînerait une grande instabilité.

M. Pat O'Brien: Je n'appliquerais certainement pas l'approche de la National Rifle Association aux affaires étrangères.

Merci, monsieur le président.

Le président suppléant (M. John O'Reilly): Monsieur l'ancien président, votre temps est écoulé.

Je vais maintenant passer à M. Laurin.

[Français]

M. René Laurin: Monsieur le sous-ministre, je voudrais vous poser une question au sujet de l'OTAN. Le Canada et les États-Unis sont membres de l'OTAN. Il y a donc deux blocs au sein de cette organisation puisque les autres pays membres de l'OTAN sont des pays européens. Les seuls représentants du côté nord-américain sont le Canada et les États-Unis.

Compte tenu de la situation particulière du Canada, de sa situation géographique par rapport aux États-Unis et de son appartenance à l'OTAN, ne pourrait-il pas se trouver face à un dilemme dans le cas où il faudrait décider d'une position à adopter, puisque les pays européens membres de l'OTAN évaluent la menace d'une façon différente des États-Unis?

Quel est l'intérêt du Canada à ce moment-là? Le dilemme du Canada ne serait-il pas de décider s'il doit se ranger davantage du côté des pays européens de l'OTAN que du côté des États-Unis, son voisin privilégié qui, au fond, assure sa sécurité depuis des dizaines d'années?

[Traduction]

M. Paul Heinbecker: On vient de créer en Europe quelque chose que l'on appelle l'Identité européenne de sécurité et de défense, IESD. Cela fait partie de l'équation. Les Européens tentent de se donner la capacité de régler de plus en plus leurs propres problèmes sans avoir à compter chaque fois sur les États-Unis.

D'une part, donc, c'est une maturation. Toutefois, notre situation devient ainsi plus délicate. Là où par le passé nous tenions des réunions au niveau de l'OTAN, de plus en plus, nous constatons qu'il y a une position de l'Union européenne et une position des États-Unis. Nous ne sommes pas avec les Américains et nous ne sommes pas avec l'Union européenne et cela va être gênant pour nous. Lorsque l'on ajoute la question de la défense nationale antimissile, il y a risque que la situation devienne plus tendue entre l'Europe et les États-Unis. Le Canada se trouvera ainsi dans une situation difficile.

Nous nous sommes toujours trouvés entre les deux camps. Nous avons toujours réussi à le faire et je dois dire que je pense que nous pouvons continuer à le faire. Mais il y a quelque chose qui change à l'OTAN à cause de l'initiative européenne et il pourrait s'avérer plus difficile pour nous de nous faire entendre à l'avenir.

Je dois préciser que nous cherchons à en arriver à des arrangements particuliers avec les Européens pour ce qui est des consultations de façon à ce que nous puissions discuter avec eux avant qu'ils n'en arrivent à une opinion qu'ils transmettraient ensuite au Conseil de l'OTAN. Toutefois, ces questions, la défense nationale antimissile et la politique de sécurité et de défense de l'Europe vont exercer des pressions considérables sur la conduite de la politique étrangère du Canada.

• 1050

[Français]

M. René Laurin: Est-ce que cela pourrait remettre en cause la participation du Canada à l'OTAN, puisque l'OTAN, au fond, est une structure de défense, de sécurité nationale, et qu'on sait bien que la sécurité du Canada est assurée davantage par les États-Unis que par les pays d'Europe? Donc, la situation étant ce qu'elle est, est-ce que le Canada pourrait trouver des avantages à se retirer de l'OTAN et à signer plutôt des ententes de défense et de sécurité avec les États-Unis?

M. Paul Heinbecker: Non, je crois que l'OTAN va continuer. Ce qu'on ne peut pas prévenir maintenant...

M. René Laurin: Monsieur Heinbecker, je m'excuse, mais ma question n'est pas de savoir si l'OTAN va continuer d'exister. Ma question est de savoir si le Canada aura toujours avantage à maintenir sa participation à l'OTAN, plutôt que de se ranger du côté des États-Unis. Les États-Unis ont intérêt à faire partie de l'OTAN parce qu'ils veulent avoir une présence en Europe, mais ce n'est pas le cas du Canada. Si on parle de sécurité canadienne, notre sécurité est davantage auprès des États-Unis qu'auprès des pays européens.

[Traduction]

M. Paul Heinbecker: Je ne suis pas d'accord avec la prémisse voulant que la sécurité du Canada est assurée par les États-Unis et non par l'OTAN.

Si l'on suppose, comme nous le faisons depuis assez longtemps—que la sécurité européenne et la sécurité nord-américaine sont étroitement liées, il faut conclure qu'il est impossible que l'insécurité règne en Europe et que la sécurité règne ici. Anciennement, nous avions l'habitude de dire que le Canada était à l'épreuve de tout. Or il n'en est plus ainsi depuis l'avènement des missiles. Vu les nombreuses relations économiques outre-Atlantique et le fait que la stabilité internationale est en grande mesure assurée par la sécurité tant de l'Europe que de l'Amérique du Nord, si ces deux régions sont aussi stables qu'elles le sont et aussi protégées qu'elles le sont, cela a une influence très positive sur toutes les autres relations internationales.

Je ne pense pas que le jour viendra où nous n'aurons plus à nous soucier de la sécurité européenne et pourrons tout simplement nous aligner sur les États-Unis. Je pense qu'il est possible que nous nous trouvions dans une situation où nous pourrons nous attendre à ce que les Européens s'occupent de leurs propres problèmes d'abord; dans l'éventualité où ce serait impossible, il serait alors nécessaire que leurs partenaires nord-américains les aident.

C'est assez technique, mais je me dois d'ajouter que l'opinion contemporaine veut que les Européens tentent de créer un système de gestion de crise, une force armée de 60 000 hommes ou personnes qui peut se rendre sur place et y rester pendant un an pour régler des questions moins graves que le Kosovo, par exemple. Cette force pourrait servir à d'autres fins telles que le sauvetage de ressortissants européens lors d'une guerre sur le continent africain ou quelque chose de ce genre. Voilà ce que les Européens tentent de faire.

Les opinions divergent au sein de l'alliance comme on l'a constaté au sommet de Washington. D'une part, on considère que l'OTAN doit avoir le droit de premier refus lors d'un conflit qui survient dans une de ses zones d'intérêt. Si cela ne fonctionne pas, si l'OTAN décide de ne pas intervenir, alors les Européens pourraient utiliser le matériel de l'OTAN—pour lequel ils paieraient également—afin de faire face à la crise.

À long terme, on peut s'imaginer que le caractère de l'OTAN évoluera, mais je n'envisage pas de situation où nous nous alignerions tout simplement sur les États-Unis, sans nous intéresser à la sécurité en Europe. Cela nous toucherait comme ce fut le cas lors de la Première Guerre mondiale, de la Seconde Guerre mondiale et du conflit en Yougoslavie.

Le président: Excusez-moi, je ne voulais pas vous interrompre, mais nous allons manquer de temps. Merci, monsieur Laurin.

Il n'y a plus de questions ici, chers collègues... Mais je peux vous en accorder une dernière, monsieur Earle.

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M. Gordon Earle: Merci, monsieur le président.

Tout en reconnaissant et en acceptant ce que mon honorable collègue a dit au sujet de la façon dont les ministres règlent leurs différends, je pense que malheureusement, le fait est que souvent les décisions se prennent rapidement, en réaction à des conditions qui nous sont très souvent imposées. Ensuite, en rétrospective, nous pensons posséder la sagesse.

Vous avez mentionné qu'il nous faut de l'information à ce sujet. Je pense que le temps est important. Il est question que les États-Unis prennent une décision en juin ou juillet, dans très peu de temps. Pourriez-vous nous dire plus précisément quel genre d'information il vous faut avant que vous ne pensiez être en mesure de vous prononcer dans un sens ou dans l'autre. Y a-t-il un plan A ou un plan B de recommandations à examiner, selon ce que vous obtiendrez de cette demande de renseignements supplémentaires?

M. Paul Heinbecker: Nous ne pouvons pas obtenir certains renseignements tant que les Américains et les Russes n'auront pas poussé plus loin leurs négociations. Nous voulons notamment savoir s'ils peuvent en venir à un arrangement qui leur soit acceptable et qui soit acceptable à d'autres. C'est une considération très importante.

Comme je l'ai dit, nous allons nous réunir avec les Américains dans les jours qui suivent. Nous voulons en savoir plus long sur le fonctionnement de ce système de défense et nous voulons en savoir plus long sur l'évaluation que font les Américains de la menace. Voilà le genre de choses qu'il nous faut savoir.

En outre, il nous faut plus de renseignements afin de comprendre les autres conséquences inattendues, mais importantes pour le régime international de non-prolifération. Nous le savons déjà. Reste à savoir si ce que les Américains proposent est possible sans porter atteinte à ce régime.

Le président: Merci, monsieur Earle.

Au sujet de votre dernière remarque voulant que le Canada était à l'épreuve de tout, pour ceux qui ne le sauraient pas, n'est-ce pas Khrouchtchev qui a illustré très clairement à l'intention de Lester B. Pearson que le Canada n'était plus à toute épreuve? Il a fait remarquer très agressivement que nous avions échappé aux ravages pendant la Première Guerre mondiale et la Seconde Guerre mondiale, mais que c'est au-dessus de nos têtes (sans préciser de qualificatifs) que se livrerait la Troisième Guerre mondiale. Voilà ce qu'il a dit. Avec ces paroles, je pense qu'il a détruit à tout jamais l'idée que le Canada était à l'épreuve de tout.

Monsieur Meyer, monsieur Heinbecker, au nom de mes collègues, je tiens à vous remercier infiniment de ce très intéressant échange de vues. Je pense que vous nous avez aidés à progresser dans cet examen très nécessaire d'un sujet très important et nous vous remercions de nous avoir fait part de vos connaissances aujourd'hui.

Monsieur O'Reilly, merci d'avoir assumé la présidence pendant une partie de la réunion.

Merci, chers collègues. Nous vous reverrons à l5 h 30 pour la réunion avec les deux ministres.

La séance est levée. Merci.