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NDVA Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON NATIONAL DEFENCE AND VETERANS AFFAIRS

COMITÉ PERMANENT DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES ANCIENS COMBATTANTS

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 29 février 2000

• 0901

[Traduction]

Le président (M. Pat O'Brien (London—Fanshawe, Lib.)): Je déclare ouverte la séance du Comité permanent de la défense nationale et des anciens combattants, et je souhaite la bienvenue ce matin aux représentants de «Project Ploughshares».

Avant de présenter nos témoins, j'aimerais rappeler à mes collègues que nous entamons le sujet de la Révolution dans les affaires militaires, dont un sous-thème est le système de défense antimissile, et l'éventualité que le Canada y participe alors que les Américains semblent avoir plus ou moins accepté comme inévitable la décision d'y adhérer.

Nous allons recevoir un vaste échantillon de témoins, dont certains seront pour et d'autres contre. C'est en effet ainsi que nous fonctionnons. Notre comité se fait un point d'honneur d'entendre tous les points de vue et d'être le plus objectif possible du point de vue politique.

Merci aux membres du comité qui sont déjà là et à qui se joindront peut-être d'autres députés. Nos témoins savent peut-être que le budget a été déposé hier à Ottawa, et que la journée d'hier était sans doute la plus occupée pour tous les députés. La séance d'aujourd'hui est donc spéciale, car nous nous réunissons d'habitude à un autre moment.

Je crois savoir que vous aviez demandé au départ de comparaître au Comité des affaires étrangères qui n'a pu organiser de séance pour vous. C'est le greffier du Comité des affaires étrangères qui a communiqué avec notre greffier à nous, M. Morawski, pour nous demander de vous recevoir, puisque vous n'êtes ici que peu de temps. Nous sommes heureux d'avoir pu organiser tout spécialement pour vous cette séance, pour entendre ce que vous pensez de la question, puisque, je le répète, nous voulons entendre tous les points de vue sur ce sujet des plus importants qui sans aucun doute fera réagir et le gouvernement et les Canadiens. Je vous souhaite donc la bienvenue.

Nous accueillons aujourd'hui les professeurs John Steinbruner et Pavel Podvig, et MM. Bill Robinson et Ernie Regehr. Après votre exposé, les membres du comité vous poseront des questions.

Qui va commencer?

M. Ernie Regehr (directeur de la Politique et des Affaires publiques, Project Ploughshares): Ce sont les professeurs Steinbruner et Podvig qui feront chacun leur exposé, mais Bill Robinson et moi-même prendront part avec plaisir à la discussion, au besoin. Merci d'avoir consenti à convoquer une réunion spéciale pour entendre nos invités, que nous sommes ravis de voir se joindre à nous. Nous les entendrons avec plaisir.

Le président: Très bien et merci. Bienvenue à nos deux invités spéciaux.

M. John Steinbruner (directeur, Centre for International and Security Studies, University of Maryland): Merci.

D'entrée de jeu, laissez-moi vous dire que ce dossier est extrêmement émotif, particulièrement à Washington, d'où je viens. D'ailleurs, à Washington, on associe souvent cette question à une branche de la théologie, avec toute l'émotion et les articles de foi qui y sont associés. Mais j'essaierai tout de même de vous en parler d'un point de vue pratique, même si je ne prétends pas être complètement à l'abri de toute émotion ou de toute croyance.

Vous savez sans doute qu'en juillet 1999, on adoptait aux États-Unis une loi faisant du déploiement de la défense antimissile une politique nationale dès que cela serait possible du point de vue technique. La loi a été adoptée par la grande majorité des membres du Congrès et ratifiée par le Président.

• 0905

Laissez-moi vous expliquer les questions du point de vue d'une personne qui, sans y prendre part directement, suit de très près les politiques de Washington et la sécurité mondiale. Mais je ne répéterai pas ce que tout le monde vous dira là-dessus: je vous interpréterai à ma façon le dossier.

La loi adoptée en juillet a été interprétée facilement comme une décision d'ordre politique, et non pas comme une décision stratégique, technique ou de fond. On a dit que c'était un exercice typique de ce que nous appelons la triangulation politique, le Président essayant essentiellement de neutraliser le dossier en vue d'en faire un thème éventuel de la prochaine campagne électorale pour la présidence.

Si l'on considère un peu partout qu'il s'agit d'un enjeu essentiellement politique, c'est parce qu'il est évident que le système en question n'est pas encore tout à fait au point et qu'il ne pourra pas être fin prêt à être déployé; par conséquent, aucune décision en ce sens ne pourra être prise dans des circonstances normales en juillet prochain. Voilà pourquoi on considère que le calendrier est surtout politique, même si on ne cesse d'invoquer des questions de fond en discutant du dossier.

Si le Président cherche à neutraliser le dossier en vue d'en faire un thème éventuel la prochaine campagne électorale, c'est parce qu'une minorité du système politique américain—très petite mais très puissante—cherche fanatiquement à promouvoir le déploiement de la défense nationale à n'importe quelle condition, ou presque. C'est devenu un enjeu politique inspiré par une minorité intense, et cette minorité intense se fait de plus en plus visible.

Ceux qui en font la promotion, je vous le signale, n'appuient pas le traité ABM et voudraient effectivement le faire sauter, puisqu'il limite le développement d'armements par les Américains. Il est généralement reconnu que cette minorité prône un système beaucoup plus robuste que celui qui est actuellement en place. Les véritables parrains d'une défense nationale antimissile n'ont aucune intention de se limiter au système actuel, et n'ont pas non plus l'intention de compenser le déploiement robuste d'un système de défense antimissile par des réductions considérables du système d'offensive américain.

Ce que cette minorité propose, c'est une formule qui permettrait une supériorité décisive. Même si on ne le reconnaît pas de façon explicite, c'est cette vision qui est généralement considérée comme la force motrice du programme. C'est la vision prônée par la minorité intense.

Ces gens ne forment pas la majorité, car la majorité des Américains est plutôt sceptique devant ce système et adhère au traité ABM; toutefois, comme il arrive fréquemment, l'opinion de la majorité est avancée mollement, de façon diffuse et non ciblée. Nous avons affaire ici à une minorité très intense qui a en tête un programme très poussé.

Autrement dit, sur le plan politique, il se dessine à l'horizon aux États-Unis une bataille de fond non pas autour du déploiement de ce système, mais plutôt autour du traité ABM. Dans la foulée du vote CTBT de l'automne dernier, on a maintenant l'impression que dans le système politique américain, le traité ABM est en grande difficulté et qu'il faudra pour le réchapper le soutien musclé de la communauté internationale. Voilà véritablement l'enjeu.

Cela crée une situation très curieuse. Ceux qui ne sont pas partie prenante au traité mais qui ont intérêt à ce qu'il soit maintenu se verront obligés de le défendre, même s'ils n'ont pas de capacité pour le faire, juridiquement parlant.

Mais je dirais que fondamentalement, tout gouvernement de l'extérieur qui est signataire d'un accord de contrôle de l'armement limitant les armes nucléaires a de bonnes raisons de se sentir très préoccupé. En effet, si la communauté internationale ne défend pas de façon généralisée le traité, on peut raisonnablement s'attendre à ce qu'il échoue. Ce n'est peut-être pas une certitude, mais c'est une probabilité raisonnable.

• 0910

Laissez-moi commenter brièvement le programme national d'antimissile qui est actuellement présenté. C'est plutôt technique, mais j'aimerais vous expliquer de façon objective ce qu'on en pense de façon générale.

On considère que ce que l'on appelle le mécanisme du coût au but et destruction, c'est-à-dire l'appareil qui intercepte dans l'espace un cône de charge incident, finira par être opérationnel sur la base de lancement—autrement dit, cela équivaudra à tuer une chèvre ancrée—même si, dans les faits, il y a eu jusqu'à maintenant deux essais. Le premier peut être appelé une réussite accidentelle, alors que l'autre était un demi-échec, en raison d'une défaillance technique de dernière minute. Autrement dit, on n'en a pas véritablement démontré la faisabilité de façon décisive, mais on y parviendra sans doute.

Toutefois, il est impensable que le système actuel, tel qu'il est projeté, puisse débusquer une charge militaire non contrôlée, c'est-à-dire puisse faire face à un scénario réaliste. En effet, il est facile de le pénétrer. Je ne sais pas jusqu'à quel point vous voulez que je vous donne des explications techniques, mais mon collègue pourra également vous en parler. Nous pourrons vous donner plus de détails. Il est donc très facile de pénétrer ce système et il est également facile de le contourner avec la technologie des missiles de croisière ou toute autre forme de largage d'armes clandestin; d'ailleurs, si on en arrivait à ce point, il serait facile à attaquer. Il ne peut défendre ses propres détecteurs.

Vous voyez que le système est extrêmement vulnérable aux contre-mesures, peut être contourné et attaqué directement. Au fond, il n'est pas crédible à moins qu'il ne soit élargi considérablement. Par conséquent, s'il est limité, tel que prévu actuellement, il ne sera pas en mesure d'accomplir la mission prévue pour lui. Pour que la mission soit intéressante, il faudra qu'il soit élargi considérablement, pas seulement en nombre, mais aussi pour ce qui est de sa conception de base. En réalité, il n'est que la porte d'entrée vers un programme beaucoup plus vaste, sans quoi cela n'a aucun sens.

Voilà pourquoi il constitue en soi une provocation de taille à l'égard de la Russie et de la Chine. Même si nous prétendons qu'il est suffisamment limité, au point de ne devoir inquiéter ni l'une ni l'autre, ce programme devrait néanmoins les préoccuper toutes deux, si elles ont à coeur d'assurer leur propre sécurité.

Toute projection plausible du programme de défense avancé par ces porte-parole mettrait en grave danger, au fil du temps, les forces de dissuasion russes comme chinoises. Ceci serait dû à la fois à l'élargissement continu des capacités offensives des États-Unis et à l'agrandissement projeté du système de défense qui se ferait de façon concommitante. En bout de ligne, d'abord par rapport à la Chine, et ensuite à la Russie, les États-Unis se placeraient dans la position d'être obligés d'acquérir la capacité déterminante de première frappe qui a toujours été considérée comme étant extrêmement dangereuse.

Cela oblige donc pour ainsi dire la Russie comme la Chine à réagir, si cette suite d'événements n'est pas définie dans un accord. Aucun des deux pays ne peut se permettre de tolérer le déploiement de ce système, comme s'il n'avait aucune conséquence quelle qu'elle soit, ne serait-ce que pour sa propre sécurité.

Quant aux réactions que pourraient avoir ces deux pays, elles ne sont pour l'instant que pure spéculation, puisque ces pays n'auront pas eu voix au chapitre dans la décision. Nous pouvons néanmoins entrevoir les grandes voies qui leur seront offertes. Avant tout, il s'agira de s'engager à lancer une attaque contre le système dans toute situation de danger, afin de préserver leur capacité dissuasive de base.

• 0915

Dans le cas particulier de la Chine, cela signifie élargir considérablement le déploiement de ses forces de dissuasion. Pour l'instant, les Chinois ne gardent que quelque 20 missiles capables d'atteindre les États-Unis, et aucun d'entre eux en état d'être largués. Il faudrait plusieurs heures de préparation pour chacun d'eux.

La Chine a délibérément toléré la menace théorique d'une première attaque dans ce contexte, afin d'éviter les conséquences dangereuses qui surgiraient s'il y avait interaction des forces actives. Mais les Chinois verront les choses d'une toute autre façon dès que les États-Unis procéderont au déploiement. À toutes fins pratiques, ils seront obligés d'ajouter de multiples cônes de charge à leurs systèmes, d'avoir un plus grand nombre de systèmes et de les placer en position d'alerte pour la première fois. Cette situation serait en elle-même beaucoup plus dangereuse pour la Chine que celle qui existe actuellement, mais si on donnait le feu vert, elle serait une conséquence prévisible.

Mais ce qui pourrait être encore plus dangereux ou troublant, c'est ce que je considère être la réaction la plus plausible de la part de la Chine, de la Russie ou de tout autre pays qui se sentirait menacé par ce système: ces pays pourraient contester les actifs que les États-Unis placeraient dans l'espace. Et dans ce cas-ci, je crains que nous ne négligions nos propres intérêts.

Vous savez qu'au cours des 20 dernières années, l'espace est devenu graduellement et de plus en plus une question de développement économique et commercial plutôt que la réserve militaire qu'il constituait au début de la guerre froide. Les règles d'engagement dans l'espace n'ont pas été définies avec précision. J'y reviendrai, mais je tiens à signaler que cela saute aux yeux pour des raisons pratiques de base: il est impossible que le développement commercial normal et l'armement de l'espace se fassent en parallèle. Ces deux choses sont incompatibles, dès le départ.

Le meilleur moyen d'agir pour une petite force ou pour un pays dont la capacité militaire est petite par rapport à la nôtre, c'est de contester l'actif spatial prévu dans le cadre du programme de missiles américains qui constituent une menace pour eux. Or, dès que l'on met le pied dans l'engrenage, cela devient un problème monumental.

Pour terminer, il faut comprendre qu'essentiellement, nous sommes sur une pente très glissante qui peut nous faire déraper avant la fin. Les rapports qui existent entre les États-Unis et la Russie d'une part de même qu'avec la Chine, d'autre part, là-dessus, nous mènent droit à l'affrontement et non pas à une résolution. Il est facile de prédire que cet affrontement créerait une crise dans les ententes sur le contrôle du désarmement et dans les ententes générales sur la sécurité internationale. Il faudra agir. Nous ne pourrons déployer le système limité qui est prévu sans qu'il y ait réaction à l'étranger, et ces réactions sont en mesure d'entraîner une crise majeure dans la sécurité internationale.

Nous sommes en danger grave. Il faut y réfléchir sérieusement. Tous les gouvernements, y compris le gouvernement canadien, doivent y réfléchir soigneusement.

Merci.

Le président: Merci, monsieur Streinbruner.

Avant d'inviter M. Podvig à prendre la parole, j'informe mes collègues que nous pourrions être interrompus dès 10 h 30, à cause d'un vote. Mais nous aurons eu le temps de poser beaucoup de questions d'ici là, je l'espère. J'invite donc M. Podvig à nous faire son exposé.

M. Pavel Podvig (attaché de recherche, Centre d'étude sur le contrôle des armements, l'énergie et l'environnement, Institut de physique et de technologie de Moscou): Merci.

J'aimerais vous expliquer brièvement la perception qu'ont les Russes de l'enjeu que constitue la défense antimissile. Les opinions dont je vous ferai part ne sont pas nécessairement les miennes. Je vais tenter de vous expliquer l'opinion que l'on se fait là-dessus en Russie.

Il semble que la façon dont la Russie peut réagir devant ce qui se passe aux États-Unis et la proposition de déploiement de la défense antimissile constitue un choix très difficile, car il est certainement lié à plusieurs enjeux, dont notamment le processus de désarmement nucléaire et les traités START I et START II. Comme autre enjeu, il y a le fait que la survie éventuelle du traité ABM est en réalité intimement liée à la survie du modèle de désarmement bilatéral tel que nous le connaissions depuis la guerre froide et à la question de savoir si la Russie sera considérée comme une puissance égale aux États-Unis, pour ce qui est du moins des armes nucléaires. C'est ce qui explique que le débat sur la défense antimissile en Russie est extrêmement complexe.

• 0920

En Russie, la position officielle est celle-ci: on insiste pour que le traité ABM soit préservé, et pour qu'il n'y ait aucun élargissement de la défense antimissile; enfin, on insiste pour qu'on ne procède à aucun désarmement nucléaire—dans le cadre des traités START I et START II—s'il n'y a pas de traité sur les missiles antimissile balistiques. C'est évidemment le point de vue officiel du gouvernement, point de vue qui a été répété à plusieurs reprises au cours des dernières années.

Toutefois, cette position évolue avec subtilité, et si vous la regardez de près, vous y verrez plusieurs nuances. En fait, si vous considérez précisément ce qu'a fait le gouvernement jusqu'à maintenant, vous constaterez qu'il présume au départ que le déploiement des missiles de défense aux États-Unis ne se fera tout simplement pas. Il est difficile de concevoir pourquoi, mais le gouvernement de la Russie croit sincèrement que les États-Unis ne déploieront pas leurs missiles de défense; c'est en fait sa prémisse de base. C'est une façon de voir assez dangereuse, je dirais, car la Russie n'a aucun autre plan sur lequel se rabattre et n'a pas de stratégie advenant que les États-Unis abrogent le traité ABM.

Jusqu'à maintenant, la ligne dure du gouvernement russe maintenait que dès que les Américains se retireraient du traité ABM, la Russie se retirerait à son tour du traité START I. En fait, on parlait même d'empêcher la ratification du START II, mais je considère personnellement que le traité START II a avorté de toute façon. La seule véritable possibilité, c'est donc le START I, et la Russie pourrait invoquer son droit à se retirer du traité. Mais si vous considérez les véritables solutions de rechange, en se retirant de START I, la Russie ne changerait pas grand-chose à sa capacité militaire ni à ses programmes de mise au point des armes nucléaires. Toutefois, la vision selon laquelle le START I est l'enjeu est assez populaire auprès des forces armées, même si elle ne l'est sans doute pas autant dans la branche civile du gouvernement.

Récemment vous avez peut-être entendu parler d'un changement dans cette attitude officielle très ferme et entendu divers représentants officiels faire des déclarations selon lesquels la Russie pourrait effectivement réagir ou donner son accord à une modification du traité ABM. L'exemple le plus récent est la déclaration faite par Sergei Ivanov, chef du Conseil de sécurité, qui a dit que nous pourrions envisager de déménager en Alaska le site ABM qui se trouve au Dakota du Nord. Il n'a pas dit que nous allions en parler, mais il a dit que c'était une chose dont nous pourrions parler. Malheureusement, je dois dire qu'il s'agit du chef de Conseil de sécurité.

Un autre point de vue, qui est davantage tolérant à l'égard des changements éventuels au traité ABM, c'est que la Russie devrait accepter que les États-Unis se retirent de ce traité, mais exiger de conclure une sorte d'entente. Le genre d'entente dont les gens parlent souvent, c'est d'avoir des ogives multiples sur ce nouveau missile balistique SS-27 TOPOL M2 que la Russie est en train de mettre au point à l'heure actuelle. Nous pourrons en parler plus tard, mais je pense que c'est sans doute l'une des pires possibilités que l'on puisse imaginer.

• 0925

À mon avis, ce qui arrivera en fait, étant donné l'environnement politique actuel en Russie, c'est que cette dernière finira par accepter certaines modifications du traité ABM. Il est difficile de dire exactement quel genre de modifications, mais il est très possible, à mon avis, que la Russie finisse par céder.

Cependant, cela ne serait pas une bonne chose, car dans quelques années, les gens auront vraiment l'impression que nous avons fait une très mauvaise affaire. Si l'on regarde ce qui s'est produit pour le traité START II, je pense que c'est exactement le même genre de scénario qui va se répéter avec le traité ABM. Le gouvernement russe acceptera certains changements pour se rendre compte plus tard que c'était une erreur. Malheureusement, c'est ainsi que les choses se passent depuis quelques années dans la politique russe.

C'est à peu près tout. Je pourrais parler du lien entre START II et le traité ABM, si vous avez des questions. Je vous remercie.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Podvig.

Je crois comprendre que cela conclut les deux exposés liminaires. Merci à tous les deux.

Nous allons maintenant passer aux questions des députés. Nous procédons de la façon suivante: nous commençons par les députés de l'opposition, suivis des députés ministériels, de sorte que tout le monde a la chance de dire son mot. Je vais donc commencer par M. Hanger. Vous avez sept minutes, monsieur Hanger.

M. Art Hanger (Calgary-Nord-Est, Réf.): Merci beaucoup, monsieur le président.

Professeur Podvig, dans votre déclaration, vous avez mentionné quelque chose que j'ai trouvé plutôt remarquable. En parlant au nom de la Russie, des politiques et des militaires russes, vous avez dit que les États-Unis n'allaient pas déployer le système de défense antimissile. À votre avis, est-ce ce que la Russie vous a dit?

M. Pavel Podvig: À mon avis, c'est mon sentiment et c'est ce que je crois comprendre; si l'on considère les actions du gouvernement russe, les plans et les discussions de la partie civile du gouvernement, il est très clair que toutes les actions sont planifiées en partant de ce principe, c'est-à-dire que les États-Unis ne se retireront pas du traité ABM et ne déploieront pas de système de défense antimissile. Reste à savoir si ce point de vue est justifié ou non, et je crois que c'est une erreur. À mon avis, les États-Unis se retireront tôt ou tard du traité ABM.

M. Art Hanger: Essentiellement, ma question est la suivante: Je ne crois pas que nous, en tant qu'alliés des États-Unis, ou les États-Unis, devraient croire ce que les Russes pourraient croire au sujet du système de défense antimissile. Je pense qu'il serait naïf de notre part de croire que les Américains ne protégeront pas leur territoire et leurs intérêts, non seulement chez eux, mais dans le monde entier. Et je crois qu'en tant qu'alliés, nous devrions faire partie de tout ce programme de défense. Agir autrement... Je ne pense pas que l'on puisse faire confiance aux Russes à cet égard, pas du tout.

M. Pavel Podvig: Je ne sais pas. Libre à vous de ne pas faire confiance à la Russie. Ce que j'essaie de vous faire comprendre, c'est ce qui se passe à Moscou, et je dis que le gouvernement russe a une certaine perception erronée des motifs et des actions des États-Unis. À mon avis, c'est dangereux pour la Russie, tout d'abord, mais c'est aussi dangereux pour les États-Unis et ses alliés également, car si la Russie se trompe, elle risque d'avoir une réaction qui serait dangereuse pour tous. Voilà ce que je dis.

• 0930

M. John Steinbruner: L'évaluation russe dont il parle n'est pas déraisonnable en ce sens que même s'il semble très probable que les États-Unis tenteront de déployer ce système, ce qui irait à l'encontre du traité, sur le plan pratique, on estime que nous ne pourrions pas effectuer ce déploiement.

La raison, c'est que cela ne fera pas ce que vous dites. Cela ne protégera ni les États-Unis ni le Canada. Sur le plan technique, ce système n'est pas capable de le faire. Cela déclenchera des réactions qui sont bien pires. Par ailleurs, le caractère litigieux, la réaction réfrénera le système en fin de compte. C'est un jugement raisonnable. Il est très probable que c'est ce qui se produira. Nous tenterons de déployer le système et il sera réfréné par sa vulnérabilité technique et par la réaction qu'il déclenche.

On ne peut pas blâmer le gouvernement russe de penser: «Pourquoi devrions-nous porter le fardeau de l'arrêter au début? Laissons le reste du monde porter ce fardeau et nous allons tout simplement suivre la vague.» Encore une fois, tout cela nous amènera des ennuis et on ne peut pas les blâmer, je suppose, s'ils disent: «Protégeons tout simplement nos arrières et laissons les choses se produire.»

M. Art Hanger: Nous passons peut-être à côté de l'essentiel lorsqu'on parle des Russes. Certes, ils ne seraient peut-être pas d'accord pour changer ou modifier le traité, mais il y a des pays qui ne se préoccupent pas des traités, qui ont usurpé beaucoup de pouvoir par rapport à d'autres.

La Corée du Nord fait beaucoup de progrès sur le plan de la technologie et de l'essai de ses missiles. Ce pays a la capacité non seulement d'utiliser des armes de destruction massive, mais aussi d'aller beaucoup plus loin que cela lorsqu'il mettra davantage au point sa technologie des missiles. Qui va contrôler ce que fait ce pays? On peut peut-être négocier avec la Russie, mais de toute évidence, on ne peut pas négocier avec ces autres États bandits qui représentent peut-être une plus grande menace que la Russie ou la Chine.

M. John Steinbruner: Il faut souligner que dans le cas de la Corée du Nord, il s'agit du principal programme indépendant que ce pays tente de négocier. Il a négocié avec les États-Unis. Il y a des négociations actives en vue de mettre fin au programme de missiles de la Corée du Nord. Ces négociations ne sont pas terminées, mais la Corée du Nord a imposé un moratoire sur les essais et le missile a été mis à l'essai à deux reprises. Il ne s'agit pas encore d'un programme sérieux de développement et la Corée du Nord parle d'y mettre fin.

On pourrait dire également que les États-Unis n'ont pas encore proposé de négocier des conditions pour mettre leurs intentions à l'essai. S'il est vraiment sérieux à ce sujet, on pourrait lui faire une offre qu'il serait obligé d'accepter s'il était sérieux pour voir s'il l'accepte. Cela ne s'est pas encore produit, mais au moins il y a une possibilité que la Corée du Nord négociera l'élimination de son programme de missiles. C'est tout au moins ce que les Nord-Coréens ont dit qu'ils voulaient faire.

Le président: Merci, messieurs.

Monsieur Goldring, M. Hanger vous a laissé 30 secondes.

M. Peter Goldring (Edmonton-Est, Réf.): Je vais poser une petite question rapidement.

Merci beaucoup, messieurs, de votre exposé.

Ma question concerne l'un des matériaux qui semblent proliférer dans le monde. Il a été utilisé dans les missiles de croisière. Il sera sans doute utilisé dans ces missiles. Il a été utilisé dans quelque cinq cents 747. Je veux parler de l'uranium appauvri.

Je crois comprendre que votre organisation a des préoccupations concernant la prolifération de ce matériau dans le monde. Vous pourriez peut-être nous parler de vos compétences sur la question, de vos connaissances scientifiques sur les dangers que ce matériau représente pour les gens, non seulement sur le champ de bataille, mais également dans d'autres situations lorsqu'on fera l'essai de ces missiles, où ils peuvent poser un risque d'incendie, et comment ce matériau pourrait être dangereux pour la santé. Est-ce que l'un d'entre vous aurait de l'information à ce sujet?

• 0935

M. Bill Robinson (administrateur de programme, Project Ploughshares): L'uranium appauvri n'est pas un dossier sur lequel nous travaillons beaucoup. Bref, nous nous préoccupons de l'effet que son utilisation sur le champ de bataille aurait pour la santé, mais ce n'est pas une arme de destruction de masse et ce n'est pas vraiment une question que nous abordons dans ce genre de débat.

M. Peter Goldring: Ce matériau est-il utilisé pour la construction de ces armes?

[Français]

Le président: Monsieur Laurin, sept minutes, s'il vous plaît.

M. René Laurin (Joliette, BQ): J'aimerais que vous me fassiez l'évaluation suivante. Il semble que le débat de base repose sur l'évaluation que font les États-Unis de la menace qui pèse sur eux et de l'évaluation que fait la Russie de la menace qui pèse sur elle.

Serait-il possible qu'une commission internationale d'experts indépendants fasse une évaluation objective de cette menace pour les États-Unis et pour la Russie? Si une commission internationale objective en venait à la conclusion que la menace est bien réelle, peut-être en arriverions-nous à la conclusion qu'elle est également réelle pour les États-Unis et la Russie. Dans un tel cas, les deux pays seraient probablement d'accord pour modifier le traité ABM.

Est-il trop idéaliste de penser qu'une commission internationale pourrait exister et que les États-Unis et la Russie pourraient s'y soumettre?

[Traduction]

M. John Steinbruner: Je pense en fait qu'il s'agit là d'une idée très constructive. Cela montre qu'il s'agit d'une question d'intérêt international, non pas simplement d'une préoccupation bilatérale entre ces deux pays.

Une commission internationale qui ferait une telle évaluation examinerait la menace pour tout le monde, non pas uniquement pour ces deux pays, et aurait par ailleurs tendance à appuyer le principe essentiel en cause, à savoir qu'un système national de défense antimissile ne peut pas et ne devrait pas être déployé par un seul pays agissant pour lui-même. De par son caractère même, étant donné l'interaction qui intervient, cela doit se faire selon des règles internationales. Donc, s'il doit y avoir déploiement, cela doit se faire selon des règles convenues, non pas selon un programme national.

J'imagine que les règles, naturellement, tiendraient compte de la sécurité pour tous, non pas seulement pour ces deux pays, et c'est dans ce contexte qu'il faut envisager la question. Donc je pense que c'est une bonne idée. Cela élargirait la perspective. Cela ferait entrer en jeu d'autres intérêts de sécurité, ce qui est en partie ce qui doit se produire.

[Français]

M. René Laurin: Pourquoi les États-Unis et la Russie n'accepteraient-ils pas de se soumettre aux conclusions d'une telle commission internationale? Par exemple, si on évalue que la Corée du Nord constitue une menace potentielle pour les États-Unis, la Russie, de son côté, pourrait évaluer que la Corée du Sud constitue la même menace pour elle. Il me semble que, tant et aussi longtemps que chaque pays va continuer d'évaluer la menace que représentent pour lui les pays étrangers, cette évaluation ne pourra être que subjective. Ces pays ne pourront jamais en arriver à une évaluation objective de la menace réelle. À moins que les pays n'aient des raisons cachées ou de stratégie militaire ou économique qu'ils ne veulent pas divulguer, pourquoi refuseraient-ils de se soumettre à une telle commission internationale dont les experts ne proviendraient ni de la Russie, ni des États-Unis, ni d'autres pays sur lesquels pèse cette menace?

[Traduction]

M. Pavel Podvig: Il y a un problème que nous devrions comprendre, comme M. Steinbruner l'a dit. La question du système de défense antimissile est une question théologique aux États-Unis. C'est loin d'être le cas en Russie, mais c'est tout de même une question très chargée d'émotion en Russie également.

Votre idée d'évaluer la menace est effectivement raisonnable. Autant que je sache, le problème vient de ce que la réponse est en fait connue depuis quelque temps. En effet, même s'il y a une menace, la défense antimissile est la mauvaise réponse. Ce n'est pas la bonne façon de se défendre contre une telle menace, qu'elle provienne de la Corée du Nord, de l'Iran ou de l'Irak. C'est l'élément clé ici.

• 0940

Naturellement, il serait préférable que nous puissions discuter des diverses menaces à cette époque de l'après-guerre froide, car il s'agit certainement d'une question dont nous devrions parler ici. Encore une fois, pour ce qui est des systèmes de défense antimissile, la réponse est très claire.

M. John Steinbruner: Permettez-moi tout simplement d'ajouter que ceux qui préconisent les systèmes de défense antimissile aux États-Unis, c'est le moins qu'on puisse dire, ne se réjouiraient pas de voir un comité international intervenir dans la question. Ils veulent faire cela à l'échelle nationale, de façon unilatérale, et sont très intensément déterminés à le faire. La commission rencontrerait donc de l'opposition de la part des défenseurs du programme.

M. Pavel Podvig: En fait, les militaires ont été actifs dans le débat russe. Ils ont dit à plusieurs reprises que l'évaluation de la menace faite par les États-Unis à cet égard est tout à fait insatisfaisante. Essentiellement, le principal argument présenté par les militaires russes, c'est qu'ils ne croient tout simplement pas que le système a été construit pour se défendre contre la Corée du Nord, de sorte qu'il doit avoir été construit pour se défendre en fait contre la Russie, et il est très difficile de contre-attaquer un tel argument.

M. Ernie Regehr: C'est une excellente occasion de considérer que le Canada est sans doute assez bien placé pour jouer un rôle dans l'internationalisation de ce débat sur l'évaluation de la menace et la réponse à la menace. Comme le professeur Steinbruner l'a dit, il est peu probable que les autorités américaines soient enthousiasmées par l'idée d'internationaliser le débat, mais le Canada a un intérêt très immédiat et direct dans tout cela. Cela a des conséquences pour la sécurité canadienne tout comme pour la sécurité internationale.

Notre façon d'aborder la sécurité internationale tend à être la suivante: d'abord comprendre notre propre sécurité sur le plan de la paix et de la stabilité internationale. Les Canadiens doivent donc répondre en essayant précisément d'apporter cette perspective. Le genre de commission internationale dont vous parlez permettrait de le faire.

Le président: Merci, monsieur Laurin.

Avant de passer à M. Proud, je vous rappelle qu'à 10 h 10, la sonnerie se fera entendre pour un vote vers 10 h 40. Malheureusement, messieurs, il semble que nous serons interrompus, mais on doit s'y attendre le lendemain du dépôt du budget. Essayons donc de poser le plus grand nombre de questions possible avant d'être interrompus.

Monsieur Proud, vous avez la parole.

M. George Proud (Hillsborough, Lib.): Merci, monsieur le président.

Messieurs, je vous souhaite la bienvenue à notre comité ce matin. Je vous ai écoutés avec beaucoup d'attention et il y a deux ou trois questions auxquelles j'aimerais que vous répondiez, si possible.

Le rapport de la Commission d'évaluation de la menace des missiles balistiques pour les États-Unis a conclu qu'il y avait des efforts concertés de la part de nations potentiellement hostiles en vue d'acquérir des missiles balistiques avec des charges utiles, des ogives biologiques et nucléaires, ce qui représente une menace croissante pour les États-Unis, pour ses forces déployées, pour ses amis et alliés. Cela me préoccupe considérablement, tout comme cela vous préoccupe vous aussi, j'en suis certain.

Je ne vous ai pas entendu dire que cette menace n'était pas réelle. Si la menace est réelle, que devraient faire les États-Unis, selon vous? Vous avez dit que la technologie dont ils disposent grâce à ce système de défense antimissile dont ils parlent n'est pas capable d'intercepter les ICBM, faute d'un meilleur nom pour ces derniers. Alors pourquoi songeraient-ils à faire cela s'ils ne peuvent les intercepter?

M. John Steinbruner: Pour ce qui est des ogives biologiques ou chimiques, le système est adéquat en principe, car la méthode de largage de ces ogives qui est préconisée consiste à les mettre dans des petits caissons et à disperser les caissons immédiatement après la phase de propulsion. Cela met complètement ce système en échec.

Pourquoi les gens prétendraient-ils qu'ils répondent à cela? La seule façon de l'expliquer consiste à dire qu'ils sont loin de dire tout ce qu'ils ont en tête. Le système actuel ne serait même pas efficace contre une ogive nucléaire, ou l'on peut tout au moins faire valoir que l'on peut jouer le jeu de l'intercepter dans l'espace. Il est clair que même les techniques de pénétration les plus primitives ne pourraient fonctionner.

• 0945

Pourquoi les gens prétendent-ils que ce système protège contre le genre de menace dont vous parlez? La réponse c'est soit qu'ils manquent tout à fait d'ingéniosité, soit qu'ils croient qu'ils arriveront en fin de compte à mettre au point un système beaucoup plus robuste, sans doute beaucoup moins limité et qui fait appel à des techniques différentes. Ce n'est qu'un début, et ils ne veulent pas admettre qu'au départ ils n'ont presqu'aucune capacité significative, car ils ont l'intention d'en arriver à une capacité beaucoup plus robuste. Cela montre bien que l'argument selon lequel il s'agit d'un système limité mais pas crédible. Soit il est beaucoup plus robuste, soit il n'est pas efficace.

M. George Proud: Voulez-vous dire que cela deviendra sans doute une deuxième Guerre des étoiles?

M. John Steinbruner: Il est clair que c'est ce que les défenseurs de ce système ont en tête. Ils veulent mettre au point un système beaucoup plus poussé, qui s'appuiera en fin de compte sur des principes physiques différents, bien qu'ils ne veuillent pas l'admettre sur le moment. Si ce n'est pas ce qu'ils ont en tête, alors tout cela n'a aucun sens. Le système n'offre aucune protection responsable contre la menace qui existe.

Je dirais même que la méthode privilégiée de faire face à de telles menaces consiste à conclure des ententes de non-déploiement. Nous pouvons faire beaucoup à cet égard, particulièrement en ce qui a trait aux Nord-Coréens. Il serait tout à fait irresponsable de déployer un système avant d'avoir épuisé toutes les méthodes pour encourager une retenue, ou tout au moins mis au point des méthodes pour le faire, et nous avons des mécanismes puissants pour le faire.

M. George Proud: J'allais ajouter quelque chose. Je crois savoir que la Russie a un système de défense antimissile. Est-ce effectivement le cas?

M. Pavel Podvig: Oui. La Russie a effectivement un système de défense antimissile à Moscou, ce qui est permis par le Traité ABM. Cependant, les opinions divergent quant à savoir si ce système est opérationnel ou non. À ma connaissance, les intercepteurs qui sont censés intercepter les missiles qui arrivent ne sont pas déployés quotidiennement. Ils ne sont pas maintenus entièrement en état d'alerte quotidiennement. Je fais peut-être erreur.

M. George Proud: Ils ont effectivement un système?

M. Pavel Podvig: Oui, c'est exact. Encore une fois, ce système est semblable à celui des États-Unis dans le Dakota du Nord. Le principal élément de ce système est en fait le radar, soit le système PARCS pour les États-Unis et le radar Pill Box pour Moscou.

J'ai un bref commentaire à ajouter à ce que M. Steinbruner a dit concernant la puissance du système et au fait que les promoteurs du système songent peut-être à un système plus robuste. J'ajouterais qu'en fait, ce n'est pas en améliorant le système pour en faire une sorte de deuxième Guerre des étoiles que l'on va résoudre le problème. Sur le plan technique, il est très difficile d'intercepter un missile balistique. Je dirais que c'est en fait impossible, particulièrement si l'on a un adversaire déterminé à mettre votre système en échec.

Quant à savoir comment répondre à cette menace, il suffit de se reporter 50 ans en arrière et de penser à la question que se posaient les États-Unis lorsque l'Union soviétique faisait l'essai de ses armes nucléaires. Il existait bien évidemment un certain malaise, mais en fin de compte, nous avons appris à vivre ensemble et nous n'avons pas eu de guerre nucléaire pendant 50 ans. Ce n'est sans doute pas ce que nous souhaitons, mais si nous regardons le monde réel et les capacités techniques réelles de divers systèmes, nous nous rendons compte que c'est la seule façon de procéder. Nous devons tout simplement établir de bonnes relations les uns avec les autres.

Le président: Monsieur Proud.

• 0950

M. George Proud: Je vais changer ma question un peu. Étant donné les questions que se posent les alliés européens quant aux plans des États-Unis relativement à un système de défense antimissile, voyez-vous là une tendance selon laquelle les États-Unis, l'Europe et l'OTAN feront de plus en plus cavalier seul? Croyez-vous que ces points de tension affaiblissent ces alliances pour la paix?

M. John Steinbruner: Oui, je pense que nous sommes sur une voie qui mènera à de graves problèmes au sein de notre propre alliance. Le projet qui est en cours, qui consiste à tenter de créer un système de défense nationale antimissile malgré les difficultés techniques et les réactions stratégiques, divisera notre alliance si nous allons très loin. Nous en constatons déjà très clairement des signes précoces. Nous risquons encore une fois d'avoir de très graves problèmes, non seulement avec nos adversaires éventuels, mais aussi avec nos alliés. Cela va semer énormément de discorde.

Voilà le principal message que je tente de faire passer: Faites bien attention; nous sommes sur une voie qui mène à une véritable catastrophe au sein de notre propre alliance. Nous pouvons choisir de laisser les choses aller jusqu'à ce que le mal soit fait, mais il est beaucoup plus sensé d'éviter cela en changeant de cap. Si l'on ne veut pas de catastrophe, il faudra changer de cap. Voilà la situation. En fin de compte, cela sera un problème, un problème majeur au sein de notre propre alliance.

M. George Proud: Vous dites que vous voyez ces choses venir. Pouvez-vous donner un exemple d'une certaine tension que vous constatez déjà?

Le président: Soyez bref.

M. John Steinbruner: J'interprète ce que le Président Chirac dit comme un indice. Il veut donner l'alerte rapide: c'est un problème. Il est très inquiet. Je l'écouterais.

M. George Proud: Merci.

Le président: Merci, monsieur Proud.

Monsieur Earle.

M. Gordon Earle (Halifax-Ouest, NPD): Merci, monsieur le président.

Je voudrais revenir un peu sur le point qu'a soulevé M. Laurin concernant l'internationalisation de toute cette question et la possibilité de faire une analyse du point de vue international. Je conviens avec M. Regehr que le Canada est sans doute bien placé pour être un chef de file à cet égard.

La question a-t-elle déjà été soulevée ou est-elle soulevée aux Nations Unies, dans un de ses comités ou ailleurs? Y a-t-il un débat sur la question?

M. John Steinbruner: Au cours des dernières semaines seulement, deux discours ont été faits devant le Comité sur le désarmement à Genève dont je vous recommande vivement de prendre connaissance. Il y en a un qui a été prononcé par un représentant américain qui, j'ai le regret de dire, tente essentiellement de dissiper la préoccupation internationale entourant cette question. L'autre, pour être juste, est un discours très puissant et très éloquent prononcé par un représentant chinois qui a dit qu'il s'agissait là d'une question internationale et que les États-Unis ne peuvent garder cette question en dehors des discussions internationales. Il s'agit là d'un avertissement sévère. Cela deviendra une question internationale.

Malheureusement, les États-Unis résistent à l'internationalisation de la question. Le représentant américain au comité du désarmement a prononcé un discours en ce sens il y a quelques semaines. Pour ma part, j'estime inévitable que cette question devienne mondiale, car les enjeux sont importants pour tous et qu'on ne semble pas être en mesure de régler la question dans un contexte bilatéral.

M. Gordon Earle: Ma question porte sur la nature de la défense par opposition à l'attaque. On en parle dans le cadre d'un système national de défense antimissile, ce qui laisse entendre qu'il faut se défendre contre une éventuelle attaque. M. Podvig a indiqué que la Russie accepterait que les États-Unis se retirent du traité ABM à condition de pouvoir utiliser des ogives multiples sur le missile en cours d'élaboration. Un missile à ogives multiples me semble plutôt fait pour l'attaque que pour la défense.

Je me demande si le problème ne découle pas en partie de l'appellation qu'on donne à ce système. Peut-être que, de part et d'autre, on craint que ce système de défense ne cache dans les faits une capacité de lancement d'attaque nucléaire. N'est-ce pas l'une des préoccupations de la Russie, de la Chine et de certains autres pays?

M. Pavel Podvig: Premièrement, le potentiel offensif du genre de système que les États-Unis veulent construire n'est pas très grand, à mon avis. Il est plutôt limité. Toutefois, il est vrai que cette question pourrait littéralement anéantir le processus de désarmement nucléaire qui s'est amorcé au début des années 90 avec START I.

• 0955

J'ai déjà indiqué que la Russie accepterait probablement... La Russie pourrait exercer son droit de retrait du traité START I. Le traité START II est déjà menacé par ces problèmes qu'on n'arrive pas à résoudre. Il est en fait fort peu probable que le traité START II soit ratifié.

Par ailleurs, il semble que si les États-Unis se dotent d'un système de défense antimissile même de capacité limitée, la Chine se sentira menacée. Elle jugera ne pas être suffisamment puissante pour maintenir ses relations avec les États-Unis comme dans le passé. La Chine se sentira forcée d'accroître sa puissance.

Cela risque certainement... Cela déclenchera probablement une réaction de la part de la Russie, qui semble prête à accepter le fait que sa puissance est inférieure à celle des États-Unis. Nous sommes maintenant prêts à reconnaître qu'il n'y a plus parité avec les États-Unis, mais il serait difficile pour la Russie d'accepter la supériorité de la Chine. Cela déclencherait une course aux armements entre la Chine et la Russie, outre celle qui existe déjà entre la Russie et les États-Unis et la Chine et les États-Unis. Cela risque d'être très dangereux.

M. Gordon Earle: J'ai un peu de mal à comprendre. Tout cela est un peu nouveau pour moi. J'ai du mal à comprendre comment la création d'un système de défense pourrait ralentir le processus de désarmement nucléaire.

Ainsi, si je construis un abri contre les bombardements pour me protéger, c'est une mesure défensive, mais cela n'empêche pas les autres de se débarrasser de leurs bombes s'ils le souhaitent. Ce que je me demande, c'est si certains des pays en cause craignent que ce système de défense ne se limite pas à cela ou risque d'évoluer par la suite en système d'attaque.

M. John Steinbruner: On aurait peut-être raison de craindre de ce système, non pas qu'il se transforme en système d'attaque, mais plutôt qu'il soit déployé dans le contexte des capacités offensives extrêmement robustes des États-Unis. Il ne s'agit pas ici de déployer ce système pour remplacer notre système d'attaque. Il ne s'agit pas de cela. Il s'agit plutôt de déployer ce système en complément d'une capacité offensive déjà bien supérieure à celle de la Russie et de la Chine.

Honnêtement, si les États-Unis décidaient de frapper en premier, ils s'en tireraient très bien contre ces deux pays. Ce système est le dernier élément qui manquait.

C'est une chose de dire que les États-Unis ne le feront pas, c'en est une autre de voir les États-Unis compléter leur capacité en y ajoutant le dernier élément manquant. C'est très effrayant autant pour la Russie que pour la Chine et cela entraînera inévitablement une réaction en raison du contexte dans lequel cela se fait et non pas seulement en raison du système même.

Le président: Merci, monsieur Earle.

Madame Wayne.

Mme Elsie Wayne (Saint John, PC): J'ai assisté aux réunions de l'OSCE à Saint-Petersbourg, en Russie. Cinquante-quatre pays y étaient représentés. On a déposé une résolution sur le désarmement nucléaire qui a fait l'objet d'un vote, et six pays se sont prononcés contre.

Cela m'inquiète beaucoup, car j'estime que nous devons nous assurer, d'une façon ou d'une autre, que nous sommes en mesure de protéger nos pays aussi bien que ne l'est la Russie contre les missiles. La Corée du Nord, la Chine ou la Russie peuvent-elles nous garantir qu'elles ne continuent pas de concevoir des missiles susceptibles d'attaquer le Canada et les États-Unis?

• 1000

Si nous déclarons que nous n'avons aucune défense, que cela ne nous intéresse pas, comment pourrons-nous protéger notre peuple et notre pays? Comment pouvons-nous et comment pouvez-vous garantir qu'aucun de ces autres pays ne continuent de progresser sur cette voie, un peu comme cela a été le cas dans les années 40, lorsque les États-Unis se sont fait bombarder et que cela a déclenché la Seconde Guerre mondiale? Qu'est-ce qui nous garantit que cela ne se reproduira pas?

M. John Steinbruner: C'est une question très complexe. Permettez-moi de commencer par l'aspect pratique. On ne peut protéger les États-Unis et le Canada de façon responsable en s'imaginant qu'on pourra intercepter un missile balistique, dans les airs, après qu'il aura été lancé. Une défense responsable de nos deux pays doit se fonder sur des politiques visant à faire en sorte que ces missiles ne seront jamais lancés. C'est la seule solution.

Honnêtement, il serait irresponsable, tant du point de vue technique que stratégique, de dire à nos compatriotes que nous pouvons les protéger en frappant tout missile qui nous viserait avant qu'il n'atterrisse. C'est impossible. Il n'est pas raisonnable de penser ainsi. Quiconque veut fonder sa politique de défense nationale là-dessus devrait être accusé de méfait.

Il faut plutôt imposer des règles et des restrictions comme celles que vous décrivez: il faut réduire le déploiement; il faut limiter le niveau d'activités; il faut s'assurer que personne ne déploie des missiles supplémentaires et faire en sorte que ces règles soient strictement appliquées. Si c'est ce que nous faisons, nous avons de très bonnes chances de réussir.

Ce qui est paradoxal, c'est que nous réduisons ces chances de réussite en déployant une défense antimissile. Au lieu d'accroître notre capacité défensive, nous la réduirons. C'est ce qui est si pervers. Nous ne pourrions techniquement protéger le pays ainsi et, en laissant entendre le contraire, nous allons à l'encontre de notre objectif.

Alors, donnons l'heure juste, faisons ce qui sera véritablement efficace et oublions ces chimères.

Mme Elsie Wayne: Vous dites qu'il n'existe aucune technique qui nous permette d'intercepter un missile, qu'il provienne de la Russie, de la Corée du Nord ou d'ailleurs, avant qu'il nous touche nous ou les États-Unis.

M. John Steinbruner: On ne peut employer une telle technologie sans limiter notre capacité d'attaque.

Oui, nous pouvons intercepter un missile à lancement balistique qui se dirige vers nous de façon prévisible. Nous pouvons le faire dans la zone d'essai. Toutefois, nous ne pouvons raisonnablement croire que nous pourrons en faire autant contre des frappes sans restriction.

La clé, c'est de prévenir l'attaque. Sinon, vous perdrez la partie. C'est aussi simple que cela. Il est irresponsable de faire croire que nous trouverons une technologie quelconque qui nous permettra d'intercepter des missiles dans les airs, après leur lancement, et d'ainsi limiter les dégâts. Ce n'est pas réaliste. En dernière analyse, ceux qui tentent de fonder leur politique de sécurité nationale là-dessus se feront rappeler à l'ordre par les électeurs qui savent que c'est une fumisterie et que cela a des effets pervers.

Je ne saurais vous dire pourquoi les gens persistent, en dépit de toutes les connaissances techniques, à dire que c'est faisable. Voilà pourquoi je dis que c'est un sujet théologique. La technologie nous dit que nous ne pouvons nous défendre ainsi contre des frappes illimitées et que cela ne sera pas possible avant plusieurs dizaines d'années. Par conséquent, nous devons trouver une autre méthode de défense: il faut prévenir l'attaque.

Le président: Merci.

Nous commençons notre deuxième série de questions. Chaque intervenant disposera de cinq minutes; les questions et les réponses devront donc être courtes.

Monsieur Goldring.

M. Peter Goldring: Merci beaucoup, monsieur le président.

J'aimerais poser une question sur ce dernier sujet, à savoir ce qui est faisable, ce qui est possible. Ce système de missiles ne constitue pas une progression naturelle, une excroissance naturelle de nos systèmes de défense? Il me semble, ainsi qu'à d'autres, que, par exemple, par suite de l'incident de l'U-2 et des Bomarc dans les années 50 et 60, on a accordé une grande attention aux missiles antimissile et aux missiles qui pouvaient abattre des aéronefs et, du moins c'est ce qu'on croyait, d'autres missiles. On a consacré beaucoup d'efforts à cela dans le passé croyant que c'était du domaine du possible.

• 1005

Avec la prolifération des missiles commerciaux indépendants à l'échelle mondiale, n'est-il pas possible que les États bandits, les gouvernements hors-la-loi ou n'importe qui d'autre se servent de ces missiles commerciaux? Vous pouvez avoir tous les accords que vous voulez entre deux grandes nations, que faites-vous de tous les autres pays?

Que faites-vous de la possibilité et de la probabilité qu'un missile commercial doté d'une ogive soit redirigé après avoir été lancé? N'est-ce pas là la raison d'être du système de défense américain? La menace, ce n'est plus Moscou; la menace, c'est le reste du monde. La menace de nos jours, ce n'est pas le nombre de missiles qui existent, mais plutôt le petit nombre de missiles qui pourraient être redirigés. Ce système pourrait être efficace.

M. John Steinbruner: Je le répète, ce système n'a aucune chance contre ce genre de menace. Tout petit pays ou organisme hors-la-loi qui veut lancer une ogive quelconque, sur les États-Unis ou le Canada, ne la lancerait pas sur un missile balistique qui pourrait être intercepté. Il le ferait plutôt au moyen d'un missile de croisière ou d'un camion. S'il l'envoyait sur un missile balistique... si vous pouvez construire un missile balistique, vous pouvez pénétrer ce système.

Vous fondez votre question sur l'hypothèse selon laquelle ce système donnera les résultats promis. La réalité technique est telle que ce système n'a aucune chance de le faire.

M. Peter Goldring: N'avions-nous pas un système avec les Bomarc? N'avions-nous pas des missiles antimissile Patriot pendant la guerre du Golfe? N'étaient-ils pas quelque peu efficaces et ce nouveau système n'est-il pas plus perfectionné?

M. John Steinbruner: Les missiles Patriot n'ont rien intercepté pendant la guerre du Golfe. On a beau dire, ces missiles n'ont intercepté aucune ogive. Les images présentées à la télévision donnaient l'impression que les missiles Patriot faisaient exploser toutes sortes de choses, mais ils n'ont pas fait exploser de missiles qui se dirigeaient sur nous. Ils n'ont intercepté aucun missile.

Les missiles Patriot fonctionnent dans l'atmosphère. Je reconnais que, au niveau technique, les possibilités d'interception de missiles balistique sont supérieures dans l'atmosphère. Mais la question est très complexe et n'a pas encore été totalement résolue.

Je le répète—et il en sera ainsi pour le reste de votre vie et probablement pour toute la vie de vos enfants: nous sommes techniquement incapables d'intercepter une attaque illimitée, et nous ne sommes pas non plus techniquement capables de créer un antibiotique qui éliminera toutes les souches évolutives. Si vous utilisez les antibiotiques sans restriction aucune, vous garantissez l'apparition de souches pharmaco-résistantes. C'est la même chose ici.

Toute tentative de déployer ces systèmes dans un contexte autre qu'une attaque illimitée garantit une attaque pénétrante. La prémisse de votre question, c'est que nous pouvons prendre des mesures unilatérales qui, peu importe ce que fait le reste du monde, nous protégeront. C'est faux.

M. Peter Goldring: Selon votre théorie, qui pourrait être mise en doute, même dans les années 50, les efforts consacrés au Bomarc ont été inutiles et n'ont servi qu'à faire disparaître l'Arrow Avro et que, même avec les progrès et les perfectionnements survenus depuis, ils restent tout aussi inefficaces.

M. John Steinbruner: Je n'ai pas dit que toute mesure de défense aérienne ou que toute mesure de défense contre les missiles balistiques soit inutile; à mon avis, cela dépend de l'ampleur de l'attaque. Par conséquent, cette méthode de défense est en soi limitée car elle dépend des limites que s'imposera la communauté internationale. S'il n'y a aucune limite, ce système n'a aucune chance, pas plus que ces autres systèmes.

M. Peter Goldring: Si dans l'autre camp, un peu partout dans le monde, on s'apprête à appuyer sur le bouton, ce système n'est pas une solution?

M. John Steinbruner: Non. Il n'offre aucune protection. Voilà où je voulais en venir.

Le président: Votre temps est écoulé. Si quelqu'un veut faire une très brève remarque, d'accord, mais d'autres députés attendent leur tour.

M. Bill Robinson: Il existe une version non classifiée du site Web de la CIA que vous pouvez télécharger. Vous y trouverez des informations sur les progrès des missiles étrangers et les menaces que présentent les missiles balistiques pour les États-Unis jusqu'à l'an 2015, selon l'évaluation le renseignement national des États-Unis. Cela mérite une lecture attentive.

• 1010

On y dit notamment que si vous pouvez construire un missile balistique intercontinental, vous pouvez concevoir des contre-mesures contre un système de défense antimissile avant même d'avoir effectué les essais de votre missile. C'est écrit noir sur blanc.

On dit aussi qu'il y a d'autres façons de faire. Si cela ne vous suffit pas, vous pouvez recourir à une autre méthode de pénétration. On y donne toute une liste, ainsi que les six avantages que présentent ces systèmes par rapport aux missiles balistiques. C'est un fait: l'attaque réussira à pénétrer les défenses.

Le président: Merci.

Chers collègues, vous avez cinq minutes pour les questions et les réponses. Je n'aime pas interrompre les témoins, mais si votre question est trop longue, ils auront peu de temps pour y répondre.

Monsieur Pratt.

M. David Pratt (Nepean—Carleton, Lib.): Merci, monsieur le président.

Je remercie aussi les témoins d'être venus.

Cette question de la défense nationale antimissile est au coeur de toute une série d'enjeux qui touchent les nations, leur territoire et leur population. Certaines de vos remarques semblent imbues de la logique qui prévalait pendant la guerre froide. Or, la situation internationale a changé depuis 1989-1990.

Bien sûr, les relations entre les États-Unis et l'ancienne Union soviétique ont changé radicalement ces dernières années. Plusieurs accords internationaux ont été signés et il y a une plus grande interaction entre les deux pays. On pourrait en dire autant de la Chine, bien qu'on s'inquiète de ce que la Chine a fait récemment à Taïwan et des menaces provenant de la partie continentale de la Chine.

Mais venons-en au fait. Peut-être pourriez-vous me dire si un pays comme les États-Unis a le droit—les Américains emploient l'expression «droit inaliénable»—de se protéger contre une menace réelle ou perçue.

Mon autre question porte sur les aspects pratiques de l'accord du NORAD que nous avons signé avec les États-Unis. Il me semble que si le Canada prenait une décision en matière de défense nationale antimissile qui allait à l'encontre des États-Unis, l'accord du NORAD, dans les faits, deviendrait nul. Comment réagiraient les Canadiens après avoir participé à NORAD pendant 40 ans, NORAD ayant été, de l'avis de la plupart, un accord de défense réussi?

M. John Steinbruner: Ce sont des questions difficiles auxquelles il n'est pas facile de répondre brièvement. Je dirais simplement que, oui, tout pays a le droit et l'obligation de se défendre, mais de façon responsable. Cela signifie assurer une défense véritable, et non le contraire, et pas au détriment des autres pays; c'est de cela qu'il s'agit ici.

J'ajouterai que, bien que la guerre froide soit terminée à bien des égards, que l'affrontement des forces conventionnelles en Europe centrale soit entièrement terminé, en matière d'opérations de dissuasion nucléaire, la guerre froide perdure. À ce chapitre, il n'y a pas eu de changement fondamental.

Au moment où nous nous parlons, les États-Unis et la Russie ont une capacité d'intervention rapide grâce à des milliers d'armes nucléaires prêtes à être utilisées en masse en guise de représailles. Cela ne nous change pas beaucoup de la situation qui prévalait pendant la guerre froide. À ce niveau-là, nous n'avons pas transcendé la guerre froide, et c'est pourquoi nous en discutons.

D'ailleurs, c'est le plus grand danger physique pour le Canada et les États-Unis, rien dans la politique actuelle ne peut supprimer ce danger. Ce nouvel élément ne pourra que l'exacerber.

Je vous laisse sur cette question: croyez-vous que le gouvernement russe, avec tout le poids qu'il doit supporter, soit en mesure d'utiliser sa puissance dissuasive de façon sûre indéfiniment?

À mon avis, non. Beaucoup dépend de ce retrait mutuel de cet accord hérité de la guerre froide dans le cadre duquel nous nous menaçons quotidiennement tout en reléguant ces armes dans les coulisses. La défense nationale antimissile est tout à fait incompatible avec ce programme. Je m'y oppose, car j'estime qu'il nous empêche de faire ce que nous devons absolument faire.

• 1015

Pour terminer, je dirais que les accords du NORAD sont extrêmement importants pour les États-Unis et le Canada, et bien que les défenseurs de ce programme laissent entendre au Canada qu'il doit participer s'il ne veut pas être banni des accords du NORAD, ce n'est pas ainsi que la majorité des Américains verront la chose. Nous avons besoin de la participation du Canada autant que vous avez besoin de nous, et la plupart des Américains ne souhaitent pas que cela provoque une crise dans les relations canado-américaines. On ne vous mettra pas à la porte du NORAD parce que vous avez des réserves au sujet de la défense nationale antimissile. Ne vous inquiétez pas.

Le président: Monsieur Regehr.

M. Ernie Regehr: J'ajouterai brièvement que, en ce qui concerne le NORAD, le Canada est généralement d'accord pour dire que cet accord a été le fondement à long terme de la relation stable de sécurité dont il jouit avec les États-Unis, mais si les Canadiens voient le système de défense antimissile comme un facteur de déstabilisation du Canada à l'échelle internationale, comme l'ont dit les témoins, leur enthousiasme pour NORAD s'estompera rapidement.

Si on estime que NORAD sert à accroître la stabilité du pays, il jouira de l'appui des Canadiens. S'il devient un instrument de déstabilisation de l'ordre international et de l'accélération de la création de capacité d'attaque dans d'autres pays, on y réfléchira à deux fois.

Le président: Merci, monsieur Pratt.

Certains d'entre nous se demandent non pas si nous serons expulsés du NORAD, mais plutôt si nous n'y deviendrons pas marginalisés et impuissants. Le général Macdonald sera ici cet après-midi, et nous voudrons peut-être...

[Français]

Monsieur Laurin, cinq minutes, s'il vous plaît.

M. René Laurin: Je voudrais revenir sur la suggestion que je faisais plus tôt. M. Regehr disait que le Canada pourrait se faire le promoteur d'une initiative de création d'une commission de surveillance internationale pour évaluer la réalité de la menace. À votre avis, le Canada pourrait-il jouer ce rôle de façon crédible tout en étant partenaire des États-Unis dans ce projet d'installation d'une base antimissiles? Est-ce que le Canada pourrait jouer sur les deux plans de façon crédible?

On sait qu'il serait difficile pour le Canada de dire aux États-Unis qu'après 40 ans d'expérience conjointe, il se retire et ne pas participe pas au développement de la NMD, alors que d'un autre côté, il tenterait d'avoir de la crédibilité sur le plan international en disant que la vraie solution serait d'abord de se convaincre de la réalité de la menace? Est-ce que le Canada, à votre avis, peut jouer sur les deux plans de façon crédible? À mon avis, ce serait ménager la chèvre et le chou ou courir deux lièvres à la fois. J'aimerais avoir votre opinion là-dessus.

[Traduction]

M. Ernie Regehr: Je vous donnerai une brève réponse avant de céder la parole aux autres.

Ce qu'il faut comprendre, c'est que le Canada n'a pas à décider de se retirer ou non du système de défense antimissile. Le Canada n'en fait pas partie, et les États-Unis ne lui ont pas demandé d'en faire partie. Mais les Américains sont nos voisins, et ce système a de grandes conséquences pour nous. Nous savons aussi que les répercussions en matière de sécurité pour le Canada ne sont pas seulement bilatérales, mais bien internationales, qu'elles s'inscrivent dans un contexte international de désarmement et de contrôle des armes.

Dans le climat actuel, avant qu'on nous demande de prendre une décision ou d'adhérer à quoi que ce soit, nous devons assumer nos responsabilités et nous pencher sur les répercussions de ce système en matière de sécurité, de contrôle des armes et de désarmement. Cela peut se faire dans diverses tribunes, dont le Comité sur le désarmement, ainsi qu'au sein de l'OTAN et ailleurs.

M. John Steinbruner: Je vais tenter d'être bref et pratique.

Les défenseurs du système de défense national antimissile vous feront valoir avec passion que ce système est important et même inévitable pour tenter de vous convaincre de vous y joindre. Nous ignorons ce qui se passera, mais ces arguments ne sont invoqués que par les défenseurs du système, pour l'instant. Au niveau supérieur de l'administration américaine, on est très ambivalent, car on commence à être conscient des vastes répercussions de ce programme. N'oubliez pas, comme je l'ai déjà dit, que cette décision a été prise dans un contexte politique national très limité qui tient très peu compte de ses répercussions stratégiques.

• 1020

À mesure que le Président des États-Unis—le Président actuel et son successeur—prendra connaissance des réactions internationales, il deviendra de plus en plus difficile de défendre avec ardeur ce programme. Je crois pouvoir dire que l'engagement est moins fort au niveau supérieur du gouvernement américain que, disons, chez les agents de programmes.

À mesure que les différents pays du monde réagiront, on adoptera différents points de vue aux États-Unis. Pour l'instant, une importante majorité souhaite la mise sur pied de ce programme de défense antimissile s'il n'est pas trop coûteux et s'il n'a pas trop de répercussions. Personne n'est prêt à payer le prix fort, au niveau économique pour un système qui ne fonctionne pas et qui pourrait enclencher le genre de réactions internationales dont nous parlons. Devant ces réactions, les Américains se raviseront.

Il ne faut pas écouter seulement les défenseurs du programme. Pensez à long terme et tentez de prévoir l'évolution de ce système. Honnêtement, j'estime qu'il ne serait pas sage de trop compter sur les promoteurs du programme, parce que ce ne sont pas eux qui devront le mettre sur pied. Tôt ou tard, on devra corriger le tir.

[Français]

M. René Laurin: Croyez-vous que les alliés du Canada au sein de l'OTAN, dont font partie les États-Unis, pourraient exercer des pressions dissuasives suffisantes vis-à-vis des États-Unis pour qu'ils abandonnent ce projet? Dans la réalité, on a nettement l'impression que les États-Unis vont réaliser ce projet avec ou sans l'accord de leurs alliés.

[Traduction]

Le président: Je vous demanderais de répondre par oui ou non.

M. John Steinbruner: Oui.

[Français]

Le président: Merci beaucoup, monsieur Laurin.

M. René Laurin: La réponse est-elle oui?

Une voix: C'est le oui.

[Traduction]

M. René Laurin: Une très courte réponse.

Le président: George.

M. George Proud: Merci, monsieur le président.

Messieurs, vous nous avez donné beaucoup d'informations à disséquer, à absorber et à comprendre et, pendant nos audiences, nous entendrons le point de vue de tous les camps.

Je voudrais citer le général Ronald R. Fogleman, ancien chef d'État-major de la force aérienne. Il a déclaré: «Les États-Unis doivent se doter d'un système de défense capable de protéger l'Amérique contre une telle menace»—la menace étant la Corée du Nord, l'Irak et tout autre état bandit—«lorsqu'elle se présente». Il laisse entendre que le système NMD de Minuteman peut donner aux États-Unis cette capacité. Si tel n'est pas le cas, comme vous l'affirmez, pourquoi un homme de ce niveau dirait-il le contraire?

M. John Steinbruner: Le général Fogleman devra se justifier lui-même. Je ne vous demande pas de considérer mon affirmation comme celle d'une autorité en la matière; je n'en suis pas une. Permettez-moi simplement de vous assurer que, si vous faites bien vos devoirs et que vous étudiez les considérations techniques liées à ce système, vous arriverez vous-même à cette constatation, sans aucune difficulté. Il est parfaitement évident que le système tel qu'il est conçu ne fonctionnera pas. Il suffit d'examiner objectivement la technologie en cause... Vous demandez pourquoi on veut mettre en place ce système. À mon sens, que c'est parce qu'il y a d'autres considérations.

Si vous pensez que le système fonctionnera tel qu'il est présenté, avec ses limites, il ne fonctionnera pas; cela ne fait aucun doute. Si vous ne me croyez pas, il y en a bien d'autres qui pourront vous l'affirmer.

M. George Proud: Dans ce cas-là, quel type de système pourrait fonctionner? Si pareille éventualité se produit—et je suppose qu'elle pourrait se produire—que peuvent faire les pays pour se défendre? Si un de ces pays, comme la Chine, la Corée du Nord, l'Irak ou n'importe lequel autre, décidait de les attaquer, que peuvent-ils faire?

M. John Steinbruner: Pour l'instant, la Corée du Nord n'a pas de système capable d'atteindre les États-Unis.

M. George Proud: La Chine?

M. John Steinbruner: La Chine a effectivement un système de ce genre, et ce, depuis bien des années, tout comme la Russie d'ailleurs. Nous ne pouvons pas intercepter un missile que la Chine lancerait contre les États-Unis. C'est un fait. Vous comprenez? Il faut empêcher le lancement d'un tel missile par d'autres moyens. C'est comme ça depuis 50 ans.

• 1025

M. George Proud: Encore là, je vois mal que la Russie soit si férocement contre ce système quand elle possède elle-même un système de défense antimissile.

M. Pavel Podvig: Il n'y a qu'à voir l'évolution des systèmes de défense antimissile et du système soviétique en particulier pour se rendre compte qu'il s'agit simplement d'un vestige de l'époque antérieur au Traité ABM. Il existe toujours simplement à cause de l'inertie institutionnelle.

Les États-Unis ont été bien plus prudents en dénonçant le système de défense comme peu efficace compte tenu de l'argent qu'ils y consacraient. Il en va de même du système en place en Russie.

Le fait est que, quand les États-Unis et l'Union soviétique ont signé le Traité ABM en 1972, ils étaient convenus qu'il était impossible d'avoir un système de défense antimissile qui soit efficace contre un adversaire déterminé. C'est absolument impossible. C'est ce que vous a dit M. Steinbruner, qu'il est impossible de disposer d'un système de défense antimissile efficace quand les moyens d'attaque ne sont soumis à aucune limite. La seule façon de s'y prendre, c'est de réduire la détermination de l'adversaire à vous attaquer.

Parlez-en à la Corée du Nord, à la Chine ou à la Russie. Ce n'est pas que la Russie souhaite attaquer les États-Unis ni le Canada, et il n'y a rien qui forcerait la Corée du Nord à attaquer les États-Unis. C'est quelque chose qui ne se produira pas, si bien qu'il y a des moyens autres qu'un système de défense antimissile pour contrer cette menace. En fait, le système de défense antimissile n'est pas du tout le moyen qui convient.

M. John Steinbruner: Permettez-moi de réagir brièvement.

Il y a des chances raisonnables d'empêcher que les missiles balistiques soient effectivement déployés. La tâche n'est pas facile, mais elle est faisable. Voilà ce que nous devrions essayer de faire.

Le président: Vous avez droit à une dernière petite question, monsieur Proud.

M. George Proud: J'ai une petite question sur le projet de loi qui est toujours devant le Congrès américain, le H.R. 4. Avez-vous examiné ce projet de loi? Je ne pense pas qu'il soit très volumineux. En savez-vous quelque chose?

M. John Steinbruner: Je ne suis pas au courant d'un projet de loi qui porte ce numéro. Est-ce le projet de loi...

M. George Proud: C'est celui qui établit ce système de défense antimissile.

M. John Steinbruner: Il y a un projet de loi qui a été adopté en juillet.

M. George Proud: Oui.

M. John Steinbruner: Oui, je l'ai lu. Je suis au courant de ce projet de loi.

M. George Proud: Le projet de loi oblige-t-il les États-Unis à avancer dans cette voie?

M. John Steinbruner: Le projet de loi dit que les États-Unis ont pour politique d'avancer dans cette voie dès que la technologie le permettra. Il ne prévoit toutefois pas l'autorisation de déployer le système ni les crédits nécessaires à cette fin, et il reconnaît que la décision devra être prise en fonction de la menace, d'une évaluation du coût, des conséquences stratégiques... Il y a en tout quatre critères, dont aucun ne peut être satisfait à l'heure actuelle. Il s'agit donc tout au plus de la déclaration d'une «volonté» si vous voulez. Il ne règle pas la question.

Le président: Pour que mes collègues sachent à quoi s'en tenir, pouvez-vous nous dire s'il a été signé par le président Clinton?

M. John Steinbruner: Il a été signé par le président Clinton.

Le président: Je n'ai pas de question pour l'instant, mais j'en aurai peut-être une plus tard là-dessus.

Monsieur Earle.

M. Gordon Earle: Merci, monsieur le président.

On a dit tout à l'heure que la défense doit être assurée d'une manière responsable et que le système en question ne respecte pas ce principe. Je suis plutôt de cet avis moi aussi.

Il me semble qu'une des façons les plus responsables d'assurer la défense d'un pays, c'est de travailler pour la paix. Je suis persuadé que, si nous avions un certain nombre de pays qui étaient de cet avis, nous aurions une bien meilleure défense contre l'État-bandit, car ces pays pourraient s'entraider si jamais une véritable crise se présentait. Si beaucoup de grands pays rivalisent les uns avec les autres pour montrer leur supériorité, que ce soit par un système de défense comme celui-là ou par un autre système, il est moins probable qu'ils puissent se protéger contre un État-bandit.

Quand vous parlez d'autres considérations qui entrent en ligne de compte, je crois qu'il faut être réaliste là aussi. Je crois qu'il y a effectivement d'autres considérations. Nous savons que l'industrie du matériel de défense commande des sommes importantes et qu'il y a une dimension économique importante à la mise au point de systèmes antimissile, de systèmes de défense, etc., et je serais plutôt d'avis que ceux qui préconisent la mise en place de ces systèmes sont bien souvent motivés par cette dimension économique.

Ne vaudrait-il pas mieux que les divers pays consacrent leur argent et leur énergie à un effort diplomatique concerté et qu'ils privilégient le désarmement et les moyens pacifiques? Ne pourrions-nous pas ainsi nous assurer un meilleur climat, au lieu de mettre de l'argent dans ce système national de défense antimissile?

• 1030

M. John Steinbruner: Tout à fait. S'il s'agit de savoir où devrait aller l'unité marginale d'argent ou d'effort consacrée à la défense des États-Unis et du Canada; sur le plan strictement des considérations pratiques, elle devrait certainement aller aux démarches diplomatiques et devrait être consacrée, dans un premier temps, à la Corée du Nord.

Si vous avez bien fait vos devoirs, vous savez ce que disent les Coréens du Nord: ils disent qu'ils sont prêts à mettre leur programme de missile au complet—tout—sur la table et à discuter ensuite des conditions. Ils ont parlé d'un prix d'environ un milliard de dollars, ce qui paraît bon marché, c'est le moins qu'on puisse dire. Il se peut toutefois qu'ils ne soient pas sincères. La meilleure façon de le savoir est de leur faire une offre qu'ils seraient tenus d'accepter s'ils étaient sincères, et nous n'avons pas encore fait cela. Ce serait manifestement la première chose à faire et, s'ils rejetaient l'offre, nous pourrions alors décider de ce que nous pourrions faire d'autre. Nous n'avons toutefois pas encore entrepris la démarche la plus évidente. Pourquoi pas? C'est en fait parce que nous préférons les faire passer pour des méchants.

De même, nous devons faire un effort sérieux pour discuter avec les Russes de ce qu'il faudrait faire pour les amener à faire marche arrière et à renoncer à cette démarche très ardue et très difficile du déploiement actif dans laquelle ils sont engagés. La réponse est qu'il nous faudrait, nous aussi, faire marche arrière.

Dans un monde où il n'y aurait aucun missile balistique en alerte active, où tous les missiles feraient l'objet d'une surveillance internationale et où il serait impossible de mettre un missile à l'état d'alerte active sans que le reste du monde n'y soit alerté, nous serions bien plus en sécurité. Permettez-moi d'ajouter qu'il est assez urgent que nous en arrivions là. Sinon, nous courons le risque inacceptable qu'un accident se produise d'ici 10 ou 20 ans. Voilà quel devrait être le principal objectif. Il ne faudrait pas le perdre de vue. C'est tout un objectif, et c'est à cela qu'il faudrait consacrer nos efforts.

Le président: C'est tout, monsieur Earle?

M. Gordon Earle: C'est tout.

Le président: D'accord, merci.

[Français]

Monsieur Bertrand, s'il vous plaît.

M. Robert Bertrand (Pontiac—Gatineau—Labelle, Lib.): Monsieur Steinbruner, vous dites que l'actuel président Clinton devrait décider d'ici le mois de juillet si ce projet doit se réaliser. Si le président décidait de mettre la hache dans le projet au mois de juillet, croyez-vous que cela mettrait fin à la recherche sur ce système?

[Traduction]

M. John Steinbruner: Non, je ne crois pas qu'il y ait la moindre possibilité que le président décide en juillet de ne jamais déployer le système. Il pourrait retarder sa décision en alléguant que le système n'est pas prêt à être déployé parce que les essais techniques ne sont pas terminés, mais il ne va certainement pas se prononcer contre le déploiement.

Les efforts au chapitre de la recherche et du développement se poursuivront, et nous ne nous opposons pas à cela. Je ne crois pas que quiconque s'y oppose. Bien sûr, on peut faire des essais pour déterminer quel est le problème technique et pour y trouver une solution. Ce qui fait problème, ce ne sont pas tellement les efforts pour régler les difficultés techniques, mais bien plutôt la décision de déployer le système et les modalités de ce déploiement.

Si, à un moment donné, nous décidons de déployer un système de manière responsable, il faudrait d'abord satisfaire à beaucoup de conditions. Il faudrait que les Russes, les Chinois et sans doute aussi les autres pays du monde soient d'accord pour dire que les modalités sont raisonnables et équitables pour tous. Le déploiement ne pourrait se faire sans que toutes les parties y consentent. Aussi, il faudrait que les modalités fassent l'objet d'un accord international.

Je ne vois pas de problème, pour ma part, à ce qu'on poursuive le programme à ces conditions-là, mais ce ne sont pas les conditions qui ont été retenues pour l'instant. La question est de savoir si, oui ou non, nous allons poursuivre le programme de façon unilatérale. C'est, bien sûr, ce que préconisent ses promoteurs.

En juillet, ou bien le président décidera ou bien d'engager son pays dans la voie d'un déploiement restreint, même au risque de violer provisoirement le traité dès le printemps de 2001, ou bien il rapportera sa décision à plus tard. La plupart des observateurs à Washington croient qu'il optera pour le déploiement pour se protéger sur le plan politique. Je ne parierais pas trop fort là-dessus cependant, car aucun des quatre critères ne peut être satisfait pour l'instant: il n'y a pas de menace concrète; la performance du système est très douteuse; l'analyse coût-avantage, si elle était faite de façon objective, serait défavorable; et les contraintes diplomatiques relatives à l'accord de la Russie et de la Chine ne seront certainement pas en place d'ici à juillet.

• 1035

S'il dit donc qu'il va prendre sa décision à partir de ces quatre critères, il devra forcément reporter sa décision à plus tard, parce que les quatre critères n'auront pas été satisfaits. Comme il s'agit toutefois d'une question, non pas de substance, mais de politique, il y a fort à parier qu'il trouvera un moyen de donner à entendre qu'il va déployer le système, et c'est de là que vient le problème.

[Français]

M. Robert Bertrand: Ne trouvez-vous pas qu'il vaudrait mieux garder cela ouvert? Je suis d'accord sur ce que vous avez mentionné, à savoir que le président devrait dire qu'il va procéder, parce que s'il disait qu'il a décidé de mettre la hache... On sait tous que cette étude va se poursuivre de toute manière. Si toutes ces choses sont cachées, cela ne favorisera pas vraiment la cause de la paix. Si on réussissait à garder cela ouvert, non seulement les Américains mais aussi les gens de tous les autres pays, notamment le Canada et la Russie, pourraient garder l'oeil là-dessus. Ne trouvez-vous pas qu'il vaut mieux garder cela ouvert plutôt que de dire non, étant donné que tous savent que cela va se poursuivre de toute manière?

[Traduction]

M. John Steinbruner: Oui, je suis d'accord pour dire qu'il est très important que tout soit ouvert, transparent et soumis à l'influence et au droit de regard de la communauté internationale. Je n'ai jamais dit qu'il faudrait mettre la hache dans le programme. Ce ne serait pas réaliste en fait de mettre fin au programme. Le problème tient toutefois, non pas à la recherche et au développement, mais au déploiement et aux modalités du déploiement.

Je sais que tout le monde vous dit que c'est inévitable, mais ce sont les promoteurs qui vous disent cela. Vous n'avez pas encore entendu l'avis de l'ensemble des dirigeants américains ni de l'ensemble des membres de l'alliance.

Supposons que les promoteurs ont raison et que le président décidera pour le déploiement. Je peux vous assurer que le système ne sera pas complété. Il n'y a aucune possibilité qu'il puisse être complété tel qu'il est conçu. Il faudra dix ans encore pour le compléter, et le tollé qu'il suscitera en viendra à bout longtemps avant qu'il ne soit achevé. C'est pourquoi dire qu'on s'engage à avancer dans cette voie, que le système sera effectivement déployé, c'est comme dire, aux yeux de ceux qui suivent la situation, qu'on s'engage dans la voie d'un carambolage ferroviaire.

Il n'y a pas vraiment de chance que la décision de déployer le système, si jamais elle est prise, puisse être mise à exécution sans qu'elle déclenche des mesures de représailles qui mettront fin au programme. La question est de savoir si nous allons nous en rendre compte avant qu'il ne soit trop tard et décider d'agir de façon plus sensée ou si nous allons nous en rendre compte seulement quand nous nous retrouverons devant un énorme tas de ferrailles et que nous ne pourrons que nettoyer les débris. Je vous assure que c'est-là la question.

M. Robert Bertrand: Vous avez également signalé qu'il existait des milliers et des milliers de missiles en Amérique et en Russie. D'après ce que nous savons de la première phase du système de défense antimissile, une vingtaine de ces dispositifs seraient déployés. Pour revenir à ce que vous avez dit, à savoir qu'ils pourraient être utilisés comme armes offensives—c'est quelqu'un qui l'a dit ce matin—, j'ai un petit peu de mal à le croire, étant donné qu'il y a tant d'autres types de missiles déployés déjà.

M. Pavel Podvig: L'utilisation de ces intercepteurs comme armes passives n'est pas véritablement une possibilité, mais je crois que ce que vous vouliez savoir c'est... En fait, le plan vise actuellement à déployer ce système limité d'à peine une vingtaine de... En fait, il s'agit maintenant d'une centaine d'intercepteurs, ce qui est peu par rapport aux centaines et aux milliers de missiles balistiques déjà déployés. C'est très peu.

• 1040

Pourquoi cela devrait-il nous inquiéter? C'est parce qu'en réalité, c'est un système qui peut être mis à l'échelle, et qui plus est, mis à l'échelle à la hausse. Par conséquent, s'il y a déjà 100 à 120 intercepteurs déployés, cela oblige à mettre en place toute une infrastructure pour que le système fonctionne, ce qui inclut des détecteurs, des radars et des logiciels qu'il faut mettre à l'essai et vérifier. Une fois cela fait, il ne vous est pas beaucoup plus difficile d'y ajouter encore 1 000 intercepteurs, ce qui rendrait le système encore plus robuste et performant, et comparable au nombre de missiles offensifs qu'a la Russie, ce qui pourrait inquiéter à juste titre cette dernière.

M. John Steinbruner: J'ajoute que même avec 100 intercepteurs, c'est-à-dire quatre pour un, on parle au fond de la capacité d'intercepter 25 missiles en rapprochement. Si l'état-major général russe se demande de combien de systèmes d'exploitation il peut disposer advenant que les Américains exécutent une première frappe soigneusement planifiée dans des circonstances quotidiennes normales, et s'il évalue mal la situation, il ne pourrait espérer compter sur plus de quelques dizaines d'armes dans la foulée de la première frappe des États-Unis. Autrement dit, même si le système est très limité, il donnerait quand même des résultats probants, car il pourrait être capable de frapper toutes les armes résiduelles. D'où l'inquiétude immédiate.

Le Pr Podvig a raison de dire que les Russes s'inquiètent beaucoup plus de la façon dont on entend faire évoluer le système. Les Russes ont raison de s'inquiéter, car le système pourrait certainement évoluer au-delà de l'envergure que l'on prétend lui donner aujourd'hui.

Le président: Merci, monsieur Bertrand.

Nous passons maintenant à Mme Wayne, puis ce sera mon tour.

Mme Elsie Wayne: Mon collègue a affirmé qu'il valait mieux que la Russie et les États-Unis dialoguent, plutôt que de voir les choses évoluer aux États-Unis de la façon dont elles le font actuellement. Si la Russie et les États-Unis devaient ouvrir le dialogue, serait-il vraisemblable, d'après vous, qu'ils s'entendent? À votre avis, est-ce faisable?

M. Pavel Podvig: Vous parlez d'une entente sur la défense antimissile?

Mme Elsie Wayne: Oui.

M. Pavel Podvig: Je répète que c'est possible. Mais quant à dire si c'est souhaitable ou pas, cela dépend beaucoup de la teneur exacte de l'accord et de ce que cela impliquerait pour un processus élargi de désarmement nucléaire. À l'heure qu'il est, il existe le danger que les États-Unis poussent la Russie à accepter des modifications au traité ABM, ce qui serait très malheureux, à mon avis. Toutefois, quant à savoir si la Russie accepterait certaines modifications au traité, je dirais que oui, probablement.

En même temps, il faut bien comprendre que lorsque l'on parle de modifier le traité ABM pour permettre une défense dans certaines limites, cela signifie que dès lors que l'on modifiera le traité, il n'existera plus de traité ABM tel que nous le connaissions, car il aura été remanié de fond en comble. Il ne s'agit donc pas, au fond, de modifier le traité. Il s'agit plutôt d'une entente entre la Russie et les États-Unis permettant à ces derniers de déployer librement leur dispositif antimissile. Quant à savoir ce qu'obtiendrait la Russie en retour, c'est une autre paire de manches.

M. Ernie Regehr: Je crois que le dialogue et les efforts diplomatiques envisagés ne visaient pas tant à modifier le traité ABM mais plutôt les accords qui serviraient à limiter la capacité offensive de la Russie et de pays tels que la Corée du Nord, en particulier. C'est en ce sens que le dialogue est le plus prometteur, mais les efforts n'ont pas été à la hauteur.

• 1045

Le président: Merci, madame Wayne.

Messieurs, après deux tours complets de questions de la part de mes collègues, j'estime avoir le droit à quelques questions moi-même. Il y a trois ou quatre sujets que je voudrais aborder brièvement avec vous.

Une bonne partie des membres du comité sont allés récemment à Colorado Springs et à Cheyenne Mountain. J'ai cru percevoir que les Forces armées canadiennes se sentaient marginalisées, car elles ne sont pas invitées aux séances de breffage.

On tend à croire que le projet recevra le feu vert du Pentagone. À Cheyenne Mountain, j'ai eu l'impression que les Américains décideraient sous peu de donner le feu vert au projet, selon que l'essai du mois d'avril sera couronné de succès ou pas. S'il réussit, j'imagine que le président Clinton donnera le feu vert. S'il échoue, il reportera le tout après la prochaine élection, auquel cas le nouveau président décidera probablement d'aller de l'avant. C'est en tout cas ce que j'ai cru percevoir.

D'après ce que j'ai entendu des militaires canadiens, ils sont déjà considérablement marginalisés, car on ne les fait pas participer au travail auquel ils auraient dû normalement prendre part. Cela me préoccupe, moi qui suis Canadien, car j'estime que les relations du NORAD sont précieuses. Cela m'amène à vous poser quelques questions.

Croyez-vous que le Canada risque d'être marginalisé ou rendu inutile au sein du NORAD si les États-Unis décidaient de donner le feu vert alors que nous refusions? Cela pourrait-il avoir un effet délétère sur nos relations bilatérales avec les États-Unis, à tous égards? Les Canadiens sont très inquiets de cette possibilité.

J'aimerais savoir ce que l'un ou l'autre d'entre vous en pense.

M. John Steinbruner: Je comprends votre inquiétude, et je vous crois quand vous parlez du sentiment d'être marginalisé.

Si c'est vraiment le cas, c'est un comportement répréhensible de notre part. J'ajouterais que ce comportement n'est pas celui de ceux qui sont à la tête du système ni de l'appareil politique américain dans son ensemble. Cela pourrait être plutôt le comportement de quelques partisans qui se retrouvent dans...

Le président: Mais M. Steinbruner, c'est l'autre question plus large qui m'intéresse. Dans l'hypothèse où les États-Unis donnent le feu vert au projet et que nous refusions d'y adhérer, à quoi cela servirait-il que nous restions dans le NORAD?

M. John Steinbruner: L'affaire ne s'arrêterait pas là. Le problème pour le Canada sera beaucoup plus vaste que sa participation technique au NORAD. Il dépassera cela de beaucoup. Les relations américano-canadiennes seront gravement touchées par cela, mais en raison du contexte beaucoup plus vaste dont nous parlons.

Ce problème mène droit à la collision, et par conséquent, ira jusqu'aux chefs de gouvernement. Lorsque cela se produira, les répercussions seront différentes et elles dépasseront les détails des conditions immédiates de votre participation au NORAD. C'est dans le plus grand intérêt des États-Unis que le Canada fasse partie du NORAD. Si l'appareil politique américain commence à percevoir que les défenseurs de ce projet font de la discrimination et que cela pose problème, il ne s'en réjouira certainement pas, je peux vous l'assurer.

Le président: Je comprends que l'on veut notre participation. Je suis d'accord avec vous là-dessus. Mon intérêt premier, c'est l'intérêt du Canada comme nation, et c'est pourquoi je vous ai posé ces questions.

Monsieur Robinson, vous aviez quelque chose à dire?

M. Bill Robinson: J'aimerais ajouter quelque chose.

J'étais moi-même à Colorado Springs la semaine dernière, et j'ai entendu les mêmes préoccupations de la part des militaires canadiens basés là-bas. Je suis étonné de leur méconnaissance de l'histoire à cet égard. En fait, les États-Unis ont déployé un système. Ils ont pris la décision de déployer le système Sentinel en 1967, qui est devenu le système Safeguard. Il était en fait opérationnel en 1975 et le Canada n'y a pas participé. Nous continuons à faire partie de NORAD. Les États-Unis jouaient un rôle distinct en ce qui concerne le système ABM Safeguard, puis il y a eu le Canada, et NORAD a poursuivit ces activités. Je pense que ce genre de chose se poursuivra.

La relation fondamentale de surveillance concertée de l'espace aérien survivra tant que les deux pays considèrent qu'il est dans leur intérêt de poursuivre cette relation. Rien ne laisse croire qu'elle cessera. En fait, la défense antimissile accroîtrait les intérêts américains dans la défense aérienne et d'autres aspects de la défense de la mère patrie, puisque cela incitera instantanément certaines personnes à songer à d'autres façons de pénétrer les défenses.

• 1050

Le président: Donc vous croyez que dans la pratique, nous pourrions dire aux États-Unis: «Non, nous ne voulons pas adopter ce système», et poursuivre un rôle valable et actif au sein de NORAD et y entretenir des liens positifs?

M. Bill Robinson: Certainement. Nous entretenons des liens positifs au sein de NORAD en matière de défense aérienne. Nous ne ferions pas partie de la défense antimissile.

Le président: Non, je comprends. Merci beaucoup.

M. Bill Robinson: Si vous permettez...

Le président: Nous avons des gens qui attendent, et j'ai d'autres questions.

L'autre question que je voulais m'assurer de pouvoir poser concerne le contrôle d'un tel système. Des deux choix—soit l'adoption unilatérale de ce système par les États-Unis ou le contrôle de ce système par NORAD—de ces deux options, quelqu'un aimerait-il commenter sur celle qui serait préférable?

M. John Steinbruner: Toutes choses étant égales par ailleurs, il serait préférable que ce système relève d'un contrôle conjoint, mais ici les autres choses ne sont pas égales.

Je tiens à préciser que je comprends votre dilemme, comme vous l'exprimez. Il est fort probable que dans l'évolution de ce dossier, votre relation avec NORAD connaîtra une certaine turbulence, si on peut s'exprimer ainsi. L'important, c'est la stabilité sur laquelle cela débouchera en bout de ligne. Il n'est absolument pas dans l'intérêt des États-Unis de perturber cette relation, surtout en ce qui concerne la défense aérienne, et au bout du compte, nous ne le ferons pas. Cela n'empêche pas qu'il y aura sans doute certains moments difficiles. Il faut regarder plus loin.

Le président: Je vous remercie beaucoup.

J'aimerais poser une autre question; nous avons un autre groupe qui attend.

On m'a fait valoir, ainsi qu'à d'autres au sein de votre comité, que le déploiement de ce système n'augmente pas le risque de guerre, si vous voulez, ou d'attaques nucléaires, mais le réduit. Je ne dis pas que je souscris ou non à cette opinion, mais c'est un argument que m'ont fait valoir des gens qui à mon avis sont de haut calibre et qui maintiennent que cela diminuerait en fait le risque d'une guerre nucléaire; ce système offrirait aux États-Unis une autre option qu'une riposte plus sérieuse. Acceptez-vous cet argument ou non?

M. Pavel Podvig: Je ne suis absolument pas d'accord. Par exemple, si vous examinez la situation des forces russes, qui est en train de se dégrader d'une certaine façon, l'état-major russe aurait à décider s'il vaut mieux encaisser d'abord puis reporter ensuite. En cas de crise grave, l'état-major russe n'aurait que le choix de subir une première frappe des États-Unis puis d'essayer d'y riposter.

Le président: Je suis désolé, je ne me suis pas bien expliqué. Excusez-moi de vous interrompre mais dès que j'ai entendu le début de votre réponse, je me suis rendu compte que j'avais mal posé ma question.

Il existe un système de défense antimissile, qui est quelque peu limité, comme on nous l'a décrit. Nous ne sommes pas en train de parler d'une première frappe des États-Unis. Nous parlons d'une situation où les États-Unis sont attaqués, et s'ils disposent de ce système, quelles que soient ses limites sur le plan technologique, il leur offre une autre option qu'une riposte majeure.

M. Pavel Podvig: Je vous avais compris.

Le président: Oh! Désolé.

M. Pavel Podvig: Je suis en train de dire que si les États-Unis déployaient ce système, cela augmenterait la possibilité d'une attaque contre les États-Unis.

Le président: Ce risque augmenterait?

M. Pavel Podvig: Il augmenterait nettement.

Le président: Pouvez-vous expliquer pourquoi?

M. Pavel Podvig: Par exemple, la Russie serait obligée de maintenir ses forces en état d'alerte à cause de ce...

Le président: À cause de l'existence d'un système de défense?

M. Pavel Podvig: Oui, exactement. C'est ainsi que ça se passe, malheureusement. Car si la Russie ne maintient ses forces en état d'alerte, alors elle devra compter sur ce que nous appelons la deuxième frappe, qui serait suffisamment faible pour que le système américain puisse contre-attaquer.

Le président: Je comprends. Je vous remercie de votre réponse. Je suis désolé de vous avoir interrompu. Je tenais simplement à m'assurer de m'être bien expliqué.

Nous aurons une dernière brève question de M. Proud.

M. George Proud: Certains partisans du système de défense antimissile disent que le traité ABM ayant été conclu entre l'Union soviétique et les États-Unis, et l'Union soviétique n'existant plus, le traité ABM n'existe plus. Quelle influence ces gens-là ont-ils sur l'administration?

M. John Steinbruner: Personne n'acceptera un tel argument. C'est un argument que l'on veut faire valoir mais qui n'a aucun sens. Cependant, ceux qui souhaitent abroger le traité ABM ont des appuis solides dans l'appareil politique américain et peuvent réussir. Il s'agit d'une petite minorité mais d'une minorité solide et en ce moment la majorité ne semble pas être sur ses gardes.

• 1055

Cela crée une situation où nous risquons d'enfreindre le traité. Je peux vous assurer que si cela se produit, il y aura une réaction tant sur la scène internationale qu'au sein même des États-Unis. Les choses n'en resteront pas là. Comme l'a dit Lady Macbeth: «Si c'était fait, lorsque c'est fait, alors ce serait bien si c'était vite fait.» Mais ce n'est pas fait lorsque s'est fait. Cela risque de déclencher de très vives réactions. C'est là l'important.

M. George Proud: De la part de la Russie et d'autres pays.

M. John Steinbruner: De la part de la Russie, de la Chine, des États-Unis, des alliés, de tout le monde.

M. Pavel Podvig: J'aimerais ajouter quelque chose à propos des réactions.

En réaction aux États-Unis qui se retireraient du traité ABM, la Russie pourrait invoquer son droit de se retirer de START I. Certains prétendent que cela ne modifiera pas réellement la composition des forces russes, mais par contre, les États-Unis et les autres pays perdront la capacité de surveiller et d'inspecter les forces russes et les installations nucléaires russes. C'est donc un très solide argument en faveur du respect du régime START I et du respect du traité ABM.

Le président: Monsieur Regehr.

M. Ernie Regehr: Je voulais simplement commenter brièvement la réponse selon laquelle un système de défense rendrait les Soviétiques plus... Ce n'est pas le système de défense qui encourage davantage à attaquer; ce sont les systèmes offensifs auxquels est couplé le système de défense.

Le président: Je comprends le rapport entre ces deux éléments.

J'ai dit que George poserait la dernière question, mais j'aimerais en poser une moi-même. Certains d'entre vous ont-ils des données concrètes sur l'opinion publique au Canada à propos de la possibilité de collaborer à un tel système avec les États-Unis? Non? Très bien. Merci beaucoup.

Nous tenons à vous remercier tous messieurs d'avoir été des nôtres et de nous avoir fait part de vos connaissances. Vous nous avez présenté un point de vue très important dont nous tiendrons compte. Je soupçonne que nous entendrons des points de vue très différents d'autres témoins, mais nous vous remercions beaucoup d'avoir comparu devant nous. Notre temps est écoulé. Merci à tous.

La séance est levée.