NDVA Réunion de comité
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STANDING COMMITTEE ON NATIONAL DEFENCE AND VETERANS AFFAIRS
COMITÉ PERMANENT DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES ANCIENS COMBATTANTS
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le jeudi 24 février 2000
Le président (M. Pat O'Brien (London—Fanshawe, Lib.)): Nous allons commencer les travaux du Comité permanent de la défense nationale et des anciens combattants.
Chers collègues, avant d'accueillir nos intervenants, j'aimerais, au nom de tous, j'en suis sûr, féliciter M. Proud pour son élection, hier, à la présidence de notre association de Parlementaire de l'OTAN
Des voix: Bravo, bravo!
Le président: M. Hanger a été élu à l'un des postes de VP de l'opposition. M. Hart a été élu comme conseiller—je crois que c'est exact, George—tout comme MM. Pratt et Price.
Nous sommes donc bien représentés au sein de cette organisation de L'OTAN.
Mme Elsie Wayne (Saint John, PC): Y a-t-il eu une rencontre hier?
Une voix: Hier à midi.
Mme Elsie Wayne: J'aurais apprécié...à titre de l'une des directrices pour le groupe des Parlementaires du Royaume-Uni.
Le président: Bravo, bravo! Félicitations, madame Wayne. Je n'étais pas au courant.
Nous félicitons tous les nouveaux élus pour leurs nominations.
Commençons. J'aimerais présenter nos intervenants. Je demanderais à monsieur Bon de nous présenter les gens qui l'accompagnent.
M. Daniel Bon (sous-ministre adjoint par intérim, Politiques, ministère de la Défense nationale): Monsieur le président, je m'appelle Daniel Bon, et je suis ici à titre de sous-ministre adjoint par intérim, Politiques, à la Défense nationale.
Je suis accompagné du colonel Randy Price, notre directeur des politiques pour l'hémisphère occidental, et de M. George Betts, le directeur par intérim de l'élaboration des politiques.
Je vais commencer ma présentation en français. Je suis ici pour vous parler du système américain de défense antimissiles. À ma connaissance, c'est la première fois que quelqu'un parle de façon plus ou moins officielle de ce sujet au Canada. C'est un sujet qui comporte évidemment beaucoup d'implications très importantes pour le Canada et pour l'avenir de la coopération de défense canado-américaine.
Monsieur le président, je sais que les parlementaires n'aiment pas utiliser les abréviations, mais j'aimerais en utiliser deux ce matin au cours de ma présentation. La première sera NMD, pour national missile defence en anglais, et pour défense nationale antimissiles en français. L'autre abréviation, c'est ABM, c'est-à-dire anti-ballistic missile ou, en français, les systèmes antimissiles balistiques.
À ce propos, j'aimerais commencer par une digression, si vous le voulez, pour parler un instant du Traité sur les systèmes antimissiles balistiques, qui est très important et qui est au centre de la discussion sur la NMD.
Le traité ABM date de 1972. Il a deux signataires: les États-Unis et l'ancienne Union soviétique, c'est-à-dire la Russie maintenant. Il a été révisé en 1974 et clarifié en 1997. La Russie et les États-Unis s'étaient mis d'accord à l'origine pour protéger soit leur capitale, soit un site de missiles antimissiles, mais pas l'ensemble de leur pays.
En effet, pour que la dissuasion fonctionne, il fallait que le territoire reste exposé à une réponse de l'un en cas de frappe nucléaire de l'autre. Évidemment, cet accord était en partie fondé sur le fait qu'à l'époque, la technologie ne permettait pas une défense efficace du territoire national.
Maintenant que j'ai fait cette digression, je vais revenir à notre sujet. Qu'est-ce que la NMD? On la définit peut-être plus facilement en disant ce qu'elle n'est pas. Premièrement, elle n'a rien à voir avec l'initiative de défense stratégique qu'a proposée le président Reagan en 1983, la fameuse «guerre des étoiles». Deuxièmement, les États-Unis ne cherchent plus à se doter d'un bouclier impénétrable grâce à des technologies futuristes pour faire face à une éventuelle attaque massive de la Russie. Troisièmement, la NMD ne devrait pas coûter énormément cher si on la compare à ce qu'aurait coûté le fameux bouclier de M. Reagan, dont le prix se serait chiffré à des centaines de milliards de dollars.
Pourquoi les États-Unis sentent-ils le besoin de se doter d'un système de défense nationale antimissiles? La principale raison en est que les États-Unis sentent tout simplement le besoin d'adapter leur défense aux réalités stratégiques de l'après-guerre froide telles qu'ils les perçoivent. Ces réalités, pour eux, se traduisent entre autres par la menace limitée et en fait assez embryonnaire, mais réelle aux yeux des Américains, d'une attaque par un État proliférateur comme la Corée du Nord, l'Iran ou l'Irak, par exemple. Je vous ferai remarquer qu'on ne parle ni de la Russie ni de la Chine, sauf en ce sens que la NMD protégerait aussi le territoire américain contre un tir de missiles accidentel ou qui ne serait pas autorisé par les gouvernements concernés.
Il y a un point à noter pour nous, Canadiens. La réalité géographique étant ce qu'elle est, nous nous trouvons automatiquement dans la zone que pourra défendre la NMD. Mais il faut quand même souligner que cela ne signifie pas que nous serions automatiquement protégés parce que le nombre des intercepteurs dont disposeront les États-Unis sera relativement restreint.
• 0910
La volonté de se défendre contre un tir
accidentel ou non autorisé se comprend assez
facilement. Par contre, le désir de protection contre
des États qui sont a priori plutôt faibles, lui, est
moins évident.
Je concède volontiers qu'on voit mal le plus irrationnel des gouvernants annoncer aux télévisions du monde entier qu'il s'apprête à lancer des missiles contre Washington, Rome ou Paris. Je ne crois pas qu'ils appelleront Larry King pour l'annoncer. C'est très important.
Imaginons un Irak doté de missiles intercontinentaux et d'armes de destruction massive qui envahisse le Koweït. Supposons que la communauté internationale veuille refouler cette invasion comme elle l'a fait en 1991. Si Saddam, le dos au mur, sent son régime condamné, s'il le sait perdu, peut-on vraiment parier qu'il ne lancera pas tout ce qu'il a contre qui il le peut? Et si ce risque existe sans qu'ils puissent protéger leurs troupes et leurs populations, les membres d'une coalition éventuelle, à commencer par les États-Unis, ne seront-ils pas dissuadés d'intervenir? C'est précisément la situation que les États-Unis veulent éviter. Pour eux, il ne faut pas qu'un maître-chanteur proliférateur, disposant d'une poignée de missiles balistiques et de quelques ogives nucléaires, puisse dissuader Washington et ses alliés de toute intervention.
La NMD est-elle vraiment nécessaire? Au sud de la frontière, la réponse fait de moins en moins de doute. Il est vrai que certains experts américains restent sceptiques, aussi bien vis-à-vis de la technologie que vis-à-vis de la menace, mais il n'en reste pas moins que de plus en plus d'Américains sont convaincus de la nécessité de la NMD.
Parmi les quatre candidats à la présidence, Bush et McCain se sont l'un et l'autre déclarés favorables à une mise en oeuvre rapide et, si Gore reste prudent, il envisage néanmoins la mise en oeuvre de la NMD si les réalités techniques, financières et politiques la justifient.
En ce qui concerne l'Américain moyen, dans la mesure où il réfléchit à la question, sa position est assez simple. Ce qu'il voit, c'est que les États-Unis sont d'ores et déjà capables de déployer des systèmes de défense antimissiles de théâtre pour protéger les troupes qu'ils envoient dans des zones sensibles. Qui plus est, ils ont fait la preuve en 1991, avec les missiles Patriot, qu'ils étaient en mesure de protéger Israël dans une certaine mesure. Et ils sont également maintenant en pourparlers avec le Japon et Taiwan en vue de protéger ces pays.
Dans ces conditions, comment notre Américain moyen pourrait-il admettre que son pays puisse choisir de rester à la merci d'un tir de missiles balistiques? Personnellement, et c'est vraiment une vue personnelle, je conclus de tout cela que la mise en oeuvre de la NMD n'est qu'une question de temps et, en plus, que nous n'aurons pas très longtemps à attendre.
• 0915
En quoi cette NMD va-t-elle consister? Il faut
bien voir que tout n'est pas décidé, mais le projet
tel qu'on l'envisage comporterait deux phases:
dans la phase
1, on aurait un système capable d'intercepter quelques dizaines
d'ogives, qui serait en place cinq ans après la
décision de le mettre en
oeuvre, qui comporterait 100 intercepteurs et des
radars en Alaska, ainsi que cinq radars antimissiles
balistiques modernisés, dont l'un en Grande-Bretagne et
l'autre au Groenland; dans la phase 2,
que l'on perçoit à l'horizon 2010, on
apporterait un certain nombre d'améliorations
permettant aux États-Unis de se protéger contre, en
gros, le même nombre de missiles, mais des missiles plus
sophistiqués qui comporteraient, par exemple, des
ogives couplées à des leurres. Il y aurait davantage
d'intercepteurs de même qu'un site en plus de celui
de l'Alaska ainsi que plusieurs radars supplémentaires.
Si on essaie d'aller au-delà de ces deux phases, tout reste assez flou. On envisage plus ou moins pour l'horizon 2020 une protection contre des missiles qui pourraient être conçus dans les 20 prochaines années. On ne sait pas exactement quelles seraient leurs caractéristiques.
L'amélioration du système de défense serait assez modeste, sans doute fondée sur un supplément d'intercepteurs, voire sur un ou deux sites de défense supplémentaires. Mais elle pourrait aussi faire appel à de nouvelles technologies, comme des lasers capables de s'attaquer aux missiles dans leur phase de lancement.
Chose à noter, aucune de ces étapes ne vise à permettre aux États-Unis de se défendre contre une attaque en règle de la Russie. Aucune de ces étapes ne sape les fondements de l'équilibre stratégique. En principe, donc, il n'y a aucune raison pour la Russie de s'inquiéter, du moins au plan de son rapport stratégique avec les États-Unis.
[Traduction]
Je m'adresserai maintenant à vous en anglais.
Le président Clinton est tenu de rendre sa décision concernant le déploiement cet été ou l'automne prochain. En fait, selon les conditions politiques, techniques et stratégiques, il pourrait bien choisir de laisser à son successeur la tâche de prendre la décision.
Quoi qu'il en soit, le président a dit que quatre critères serviront à déterminer si les États-Unis opteront pour le déploiement ou non: (a) la technologie—si elle fonctionne; (b) la persistance de la menace—est-elle réelle; (c) les coûts—est-ce abordable; et (d) des questions relevant de la sécurité nationale—la défense nationale antimissiles apportera-t-elle plus de solutions ou plus de problèmes? Autrement dit, est-ce que les répercussions éventuelles de la NMD sur le contrôle international des armements, et les relations avec la Russie et la Chine ainsi qu'avec les alliés de l'OTAN annuleront les avantages de la NMD Je traiterai de ces questions dans cet ordre.
D'abord, cela fonctionnera-t-il? La technologie servant à la NMD se base sur de la technologie existante. Tout de même, elle demeure en grande partie incertaine. Des essais de missiles coup au but et destruction, le fameux missile antimissiles, ont connu un certain succès, mais des doutes subsistent. Les premiers essais d'interception ont eu lieu le 2 octobre 1999, et ils ont été positifs. Malgré tout, comme vous l'aurez sûrement entendu dire, la fiabilité du test a été mise en cause.
Le second essai a échoué de justesse le 18 janvier 2000. Dans une certaine mesure, ce fut un échec, mais un échec qui a aussi été décrit comme étant un succès.
Le troisième essai a été provisoirement fixé au mois d'avril ou au début mai, et 17 autres essais de diverses natures suivront. Étant donné que l'intégration de différents éléments de haute technologie dans un système coordonné capable de détecter, de poursuivre et détruire des missiles en course dans un temps très restreint représente un défi colossal, le débat se prolongera certainement pendant un bon moment.
• 0920
Par moment, ce débat peut être très facile à suivre. Les gens
sont assez obtus. L'année dernière, le groupe d'experts du
Department of Defense américain, qui a été créé à cet effet, avait
déclaré que la NMD souffrait de lacunes au niveau des essais, d'un
manque de pièces de rechange, et de faiblesses dans la gestion du
projet. Une année auparavant, le même groupe donnait
l'avertissement que nous courions à l'échec. Plus récemment, le
très brave directeur des essais et de l'évaluation au Department of
Defense américain demandait aussi qu'on repousse l'échéance des
essais de la NMD, disant: «Des pressions excessives ont été
exercées sur le programme dans le but d'atteindre un point de
décision artificiel.»
N'oublions pas que le temps travaille pour la technologie. Des questions de ce genre relèvent vraiment plus du rythme du développement plutôt que de doutes à long terme sur le fonctionnement de la technologie. En fait, les essais ont démontré que cela pouvait fonctionner; seulement, nous ne savons pas encore dans quels délais et avec quelle efficacité.
Qu'en est-il du sérieux de la menace? Jusqu'à tout récemment, le bon sens dictait qu'aucune menace ne se présenterait dans la décennie à venir, et même pour plus longtemps. Cette croyance fut mise en cause par le secrétaire à la Défense des États-Unis Donald Rumsfeld dans son rapport au Congrès de 1998. Il avançait que, s'ils achetaient des missiles plutôt que de les développer eux- mêmes, les pays proliférateurs pourraient disposer de missiles à portée intercontinentale d'ici cinq ans. Le rapport a reçu un accueil favorable aux États-Unis, y compris—même s'il ne l'avait pas été de prime abord—par l'administration Clinton, après qu'une suite d'événements a semblé justifier le rapport Rumsfeld.
D'abord, rappelez-vous que l'Inde et le Pakistan ont tous deux mené des essais nucléaires. Ensuite, la Corée du Nord a mis à l'essai un nouveau missile Taepo Dong. Ces événements remettent sérieusement en cause les indications stratégiques à propos de la propagation internationale des missiles et des matériaux nucléaires. Aujourd'hui, les stratèges officiels des États-Unis, selon leurs propres dires, feront probablement face d'ici 15 ans à une menace de missiles à longue portée en provenance de la Corée du Nord, probablement de l'Iran et peut-être de l'Iraq. Les États-Unis sont particulièrement inquiets du fait que les États proliférateurs seront en mesure de menacer l'Amérique du Nord en utilisant des missiles porteurs d'agents nucléaires, biologiques ou chimiques.
Maintenant, qu'en est-il des coûts? Pour vous dire la vérité, les coûts de la NMD ne sont pas très clairement identifiés. D'un côté, le développement n'est pas tout à fait terminé. De plus, le nombre d'agences et de programmes visés est assez considérable. Je crois que 3,9 milliards de dollars ont à l'origine été alloués à la NMD pour la période s'étendant de 1999 à 2005, et que 6,6 milliards de plus seront alloués plus tard pour le déploiement, si la décision est prise. En tout, le général Macdonald me dit que les coûts totaux s'élèvent à l'heure actuelle à 12,7 milliards.
Vous ne devez pas non plus oublier que, entre 1983 et 1996, les États-Unis ont investi de façon assez considérable—quelques milliards de dollars—dans les systèmes antimissiles balistiques. En fait, des estimations évaluent le montant entre 40 et 60 milliards de dollars.
• 0925
Le quatrième des critères amenés par Clinton concerne les
questions de sécurité nationale. En effet, la question est de
savoir si la NMD est vraiment une solution, ou si elle est plutôt
une de ces notions à l'origine d'un plus grand nombre de problèmes.
Les enjeux spécifiques à ce niveau sont l'impact potentiel de la
NMD sur les régimes internationaux de contrôle des armements, les
relations avec la Chine et la Russie, et les relations avec les
alliés de l'OTAN. Les répercussions sur le contrôle de l'armement
constituent un groupe d'enjeux que je vais traiter séparément.
Les Russes entretiennent beaucoup de réticences à l'endroit de la défense nationale antimissiles. Ils voient ce projet comme une tentative américaine de prendre un avantage stratégique sur eux. La Chine s'oppose aussi aux plans américains de NMD. Elle s'oppose de façon encore plus virulente aux projets de coopération américaine avec le Japon et Taiwan en vue de la défense de ces pays. En effet, la Chine voit les deux approches comme faisant partie d'un plan unique visant à contrer la portée de ses capacités nucléaires. Quant aux alliés de l'OTAN, ils préféreraient que le déploiement de la NMD se fasse dans un environnement politique international de coopération qui favoriserait le contrôle des armements et la non- prolifération.
En outre, les alliés de l'OTAN ont des raisons précises de s'opposer à la NMD en rapport à des enjeux les concernant plus particulièrement. La France s'inquiète des effets sur son pouvoir de dissuasion nucléaire. L'Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas, le Danemark et la Norvège ont tous exprimé des inquiétudes en rapport avec la désunion de l'Europe et de l'Amérique du Nord. Le Royaume- Uni partage ces inquiétudes, bien qu'il travaille à tenter d'éviter que la NMD devienne une source de mésentente à l'intérieur de l'alliance.
Le Canada partage-t-il l'opinion des États-Unis sur le besoin d'une NMD? Cela dépend de qui représente le Canada. Il m'apparaît certain que la croyance en la NMD semble décroître à mesure que vous éloignez des quartiers généraux de la Défense nationale. Mais dans l'ensemble, je dirais que les gens qui, comme moi, réfléchissent beaucoup sur la défense de ce pays, et qui comprennent les inquiétudes américaines, même sans être aussi inquiets que nos collègues de Washington ou de Colorado Springs, sont aussi un peu sceptiques à propos de la technologie et des coûts impliqués.
Pour le Canada, cependant, ces questions ne sont peut-être pas les bonnes à poser. Le véritable enjeu pour le Canada peut être très différent. En fait, le Canada doit se poser deux questions. Premièrement, qu'en est-il de l'impact potentiel de ce programme sur le contrôle des armements et sur notre image internationale de défenseur de la sécurité au moyen des ententes internationales? Deuxièmement, quel impact aurait la décision de laisser les États- Unis faire cavalier seul sur nos relations de défense avec notre allié le plus important? Et, un aspect tout aussi important, quel serait l'impact sur la défense aérienne du continent nord- américain, le NORAD? Si, ou plutôt quand les États-Unis iront de l'avant avec leur défense nationale antimissiles, nous pourrions faire face à un dilemme embêtant.
Je devrais insister sur le fait que le Canada, dans l'ensemble, ne s'est pas opposé en principe à un système de défense nationale antimissiles, en autant qu'il soit déployé dans un environnement de coopération politique internationale, en lien avec des régimes de contrôle des armements et de non-prolifération. Dans le Livre blanc de 1994, on soulignait l'intérêt du Canada pour l'évolution des plans américains en matière de défense antimissiles:
-
...un engagement ferme de la part des États-Unis en faveur de
l'élaboration d'une stratégie de défense aérienne élargie, qui
conforte la stabilité mondiale et s'inscrit dans le droit fil des
accords de contrôle des armements en vigueur.
Cet extrait est tiré de la version française du Livre blanc.
• 0930
La citation se poursuit ainsi:
-
...ce qui intéresse le Canada c'est avant tout de mieux comprendre
les tenants et aboutissants de la défense antimissiles et de mener,
pour ce faire, les recherches et consultations voulues avec des
États dont il partage les vues d'ensemble.
Et un peu plus loin, on trouve ce qui suit:
-
Il faudrait aussi que la participation du Canada s'avère rentable
et abordable, qu'elle réponde à des besoins de défense évidents et
qu'elle prolonge des missions d'ores et déjà assignées aux Forces
canadiennes, par exemple, dans les domaines de la surveillance et
des communications.
Enfin, aux pages 27 et 28, le Livre blanc indique que, si le Canada devait participer à la NMD—en fait elle était à l'époque appelée système de défense antimissiles balistiques, ou BMD—il le ferait de préférence dans le cadre du NORAD.
Bien sûr, jusqu'ici, comme vous le savez bien, le gouvernement du Canada n'a pas encore été invité, et il n'a pas non plus décidé de participer à la NMD. Ce qui vous surprendra peut-être davantage est le fait que nous ne serons peut-être jamais invités à y participer. Après tout, le plan de défense nationale antimissiles ne nécessite ni notre territoire, ni notre technologie, ni notre argent—nous n'en avons pas—ni notre personnel. Certains hauts responsables américains ont dit qu'ils préféreraient que le Canada en fasse partie, et Washington apprécierait sûrement le fait d'obtenir notre soutien politique en cette affaire, en plus de maintenir notre partenariat en Amérique du Nord. Mais il y a aussi un nombre important d'Américains qui se passeraient tout aussi volontiers de nous.
Ceci dit, même si nous étions invités demain à y participer, le gouvernement aurait encore un grand nombre de choses à connaître avant de pouvoir prendre une décision. Il devrait savoir la réponse à des questions telles que: qu'est-ce que le système pourrait faire pour nous? Pourrions-nous avoir part à l'élaboration du système? Quel rôle jouerions-nous dans les opérations du système? Et combien coûterait notre participation? Enfin, le plus important serait de connaître l'impact qu'aurait la NMD sur le contrôle des armements, et particulièrement sur le Traité sur les systèmes antimissiles balistiques.
Le Traité sur les systèmes antimissiles balistiques semble être le plus grand obstacle à la mise en place de la NMD. Pourquoi? D'abord, ce traité est considéré comme le fondement de la stabilité stratégique sur laquelle se basent les ententes de réduction de l'armement nucléaire telles que les Traités sur la réduction des armements stratégiques offensifs, les traités START. Deuxièmement, il est considéré comme la pierre de touche de tous les efforts internationaux de contrôle des armements contre la prolifération nucléaire, de même que du Traité sur l'interdiction des essais nucléaires et du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires. L'obligation des pays sans capacité nucléaire à respecter leur engagement face à la non-prolifération se base sur l'engagement des pays à capacité nucléaire concernant le désarmement nucléaire. Compte tenu des essais nucléaires indiens et pakistanais, la non-ratification russe du traité START II de 1993 et le refus du Sénat américain de ratifier le Traité sur l'interdiction complète des essais nucléaires, le contrôle international des armements et les régimes de non-prolifération sont déjà en mauvaise posture. Ils pourraient l'être encore plus si les États-Unis décidaient de mettre fin unilatéralement au Traité sur les systèmes antimissiles balistiques (ABM). Et, troisièmement, le traité ABM est une pierre de touche des relations américano- russes, et est très important pour la Chine. Ces deux pays ont averti qu'il pourrait y avoir une nouvelle course aux armements stratégiques si les États-Unis déployaient une NMD.
Les États-Unis sont très conscients du fait que la NMD transgresserait les limites du traité ABM dans sa forme actuelle. Ainsi que je l'ai mentionné plus tôt, le traité ne permet tout simplement pas la défense du territoire en entier, et c'est ce que vise à atteindre la NMD. Mais le traité n'est pas immuable. Les États-Unis souhaitent que la Russie accepte une façon de rendre compatibles la NMD et l'ABM. En fait, les négociations visant à inclure la protection de l'intégrité du territoire, pas contre toutes les attaques, mais pour certaines formes, ont débuté en septembre 1999. Les États-Unis croient toujours—ou du moins ils l'espèrent—que la Russie acceptera les changements au traité ABM qui rendront possible le déploiement de la protection de la NMD.
• 0935
Qu'est-ce que cela signifie pour nous? Il est difficile de
répondre à cette question, et ce n'est sûrement pas à moi de le
faire. Du point de vue des responsables de la Défense, il est
reconnu qu'une menace se développe et, bien qu'elle ne soit peut-
être pas telle que les défenseurs de la NMD la présentent, il
dépend sans doute seulement de quelques décennies avant qu'elle ne
le soit.
Toutes les technologies liées au domaine de la Défense prennent beaucoup de temps à se développer. La technologie antimissiles évolue et, bien qu'il y ait toujours quelques problèmes, ils seront sans doute résolus. Ceci dit, la solution ne repose pas seulement dans les armements; les régimes de contrôle des armements sont tout aussi importants pour notre sécurité. Nous encourageons donc la Russie et les États-Unis à s'entendre sur le traité de l'ABM. Ils y ont auparavant apporté des révisions et des modifications, et ils seront sans doute capables de le faire de nouveau.
Nous reconnaissons aussi que tout se rapporte à la mise en place américaine de la NMD. Le moins qu'on puisse dire est qu'il est très improbable qu'elle ne se produise pas. La coopération canado-américaine dans le domaine de la défense demeure primordiale à notre sécurité, et en bout de ligne peut-être même à notre souveraineté. Nous suivons donc avec grand intérêt les développements de la question de la défense nationale antimissiles aux États-Unis. Je suis convaincu que le gouvernement voudra traiter cet enjeu dans toutes ses dimensions.
Je mets fin ici à mon exposé, et je ferai de mon mieux pour répondre à vos questions. À titre d'avertissement, en tant que responsable des politiques, je ne suis pas très qualifié pour répondre à vos questions techniques concernant la défense nationale antimissiles. Vous voudrez dès lors peut-être les conserver pour mardi prochain, lorsque le général Macdonald viendra ici. Il connaît les réponses à toutes les questions de ce genre.
Merci, monsieur le président.
Le président: Merci beaucoup, monsieur Bon.
Je me demandais si vous ou l'un de vos collègues pourrait faire quelques remarques à propos de la révolution dans le domaine des affaires militaires autres que la défense nationale antimissiles. Sinon, nous y viendrons plus tard.
La rencontre d'aujourd'hui initie une série de rencontres sur la révolution et les affaires militaires. Bien sûr, nous venons tout juste de discuter de la question la plus pressante—la défense nationale antimissiles. Je ne sais pas si l'un d'entre vous voudrait brièvement faire des commentaires généraux sur notre avenir en ce qui concerne la révolution dans les affaires militaires. Si c'est le cas, nous serons très heureux de les entendre.
M. Daniel Bon: Étant donné que nous ne sommes pas vraiment les bonnes personnes pour traiter de ce sujet, je crois que nous laisserons cette question de côté. Je ferai seulement remarquer que, bien que la NMD soit certainement un domaine où on rencontre beaucoup de technologie, son lien avec la révolution dans les affaires militaires n'est pas direct, son origine étant plutôt dans l'initiative Reagan de 1983 et dans les efforts qui l'avaient précédée.
Le président: Très bien. Merci beaucoup.
Je ferai alors seulement remarquer, chers collègues, avant de passer aux questions, que nous entendrons plus tard des exposés portant de façon plus générale sur la révolution dans les affaires militaires.
Un de nos recherchistes, M. Koerner, nous a fourni—vous devriez l'avoir reçu—un bref aperçu de la révolution dans les affaires militaires et quelques questions que nous devrions examiner en tant que membres du comité. Nous les traiterons lors d'une autre rencontre, où nous inviterons les responsables appropriés à nous fournir une vue d'ensemble sur la question.
Nous considérions comme très important de tenir cette séance sur la NMD avant la visite mardi prochain du général Macdonald.
Passons donc à la première période de questions, sept minutes, monsieur Hanger.
M. Art Hanger (Calgary-Nord-Est, Réf.): Merci, monsieur le président. Merci, messieurs.
Monsieur Bon, j'ai eu la chance la semaine dernière d'assister à une réunion à Calgary. Elle était menée par M. Hamre, qui je crois est le secrétaire adjoint à la Défense des États-Unis. Son message était très simple. Il a dit que, de toutes façons, la défense nationale antimissiles de l'Amérique du Nord sera mise en place aux États-Unis. Il avait quelques inquiétudes à propos de la position du Canada, concernant l'alliance entre les deux pays.
Je lui ai posé la question suivante. Le Canada avait, et a toujours, une influence considérable sur certains cercles militaires au sud de la frontière. Il semble qu'il y ait deux généraux canadiens au sein du NORAD qui décident, de concert avec un général américain, des lancements de missiles à travers le monde, de la direction, de la menace, etc., et qui peuvent exercer une influence sur ce qui sera fait en rapport avec la réponse à ces lancements de missiles.
Il semble aussi que le Canada puisse perdre cette place au sein du NORAD, que les Britanniques souhaiteraient—je ne sais si vous me passerez l'expression—usurper, ou que les Américains souhaitent que quelqu'un y accompagne le Canada. Si le Canada restait à l'écart de cette défense antimissiles dont les Américains parlent à l'heure actuelle, dans quelle mesure cela pourrait-il remettre encore plus en cause la position du Canada au sein de NORAD et d'autres alliances?
M. Daniel Bon: Monsieur Hanger, il est vrai qu'il y a des généraux canadiens dans la chaîne de commandement de cette section du NORAD. Ils jouent un rôle au niveau de la détection des lancements de missiles, et ainsi de suite. Je ne crois pas, cependant qu'ils exercent une influence au niveau de la réponse à donner à ces lancements, sauf pour émettre un avertissement.
Pour répondre à votre vraie question, qui concerne notre influence, si les États-Unis mettent en place la NMD et décident d'en situer le commandement au sein du NORAD—et cela est loin d'être sûr, étant donné que d'autres postes de commandement américains sont assez intéressés à obtenir cette responsabilité—et que le Canada dit «nous ne voulons pas faire partie de la NMD», cela va sûrement créer une tension dans les relations au sein du NORAD.
Cependant, il n'est pas impossible de concevoir une sorte de séparation des activités au sein du NORAD, auquel cas il y aurait toujours une chaîne canado-américaine pour les avions qui pénétreraient dans le territoire ou pour la détection des missiles, mais où il y en aurait une autre pour la NMD qui serait strictement américaine ou autre. C'est une idée qui a été amenée, je crois, par les généraux du NORAD.
Quant à toute implication du Royaume-Uni, je ne sais rien à ce sujet.
M. Art Hanger: M. Hamre a aussi fait mention du fait que l'Europe est en train d'assouplir sa position concernant la défense antimissiles. Ils en viennent à réaliser que, si la Corée du Nord est en mesure de lancer des missiles en Amérique du Nord d'ici cinq ans, elle pourrait tout aussi bien atteindre l'Europe.
Avez-vous l'impression que l'Europe adoptera une attitude plus favorable à ce système de défense dans un avenir rapproché?
M. Daniel Bon: Je n'ai perçu aucun signe montrant que l'Europe se sente vraiment à l'aise avec cette idée. Il y avait un article dans le Jane's Defence Weekly, il y a quelques semaines, qui avançait que M. Hoon avait indiqué à Bill Cohen qu'ils pourraient être eux aussi intéressés à être protégés. Cependant, récemment, le général Macdonald a été mal cité par le Jane's Defence Weekly, ce qui porte à douter que M. Hoon ait réellement dit cela.
• 0945
De plus, nous avons eu en provenance des Britanniques des
indications qui semblaient pencher plutôt en sens inverse.
Je crois qu'il y a un malaise chez les Européens lié au fait qu'un certain nombre d'entre eux, dont le ministre français qui était ici lundi dernier, se rendent compte qu'il y a menace, ou du moins qu'il y en aura une, et qu'ils seront peut-être en danger. La question qu'ils se posent est à savoir s'il est vraiment sûr que la NMD est vraiment le meilleur moyen d'y faire face et, surtout en ce qui concerne ce système particulier de NMD elle-même, qui vise à défendre l'Amérique du Nord seulement, cela les rend mal à l'aise du fait qu'ils ne seront pas protégés par ce système. Donc, je crois que, pendant encore un certain temps, nous aurons des débats intéressants au sein de l'OTAN.
M. Art Hanger: Il me semble frappant que si l'on compare le niveau de débat aux États-Unis et la connaissance du citoyen moyen à ceux d'ici, les Américains semblent être sensiblement plus au courant de la question de la défense antimissiles ou de toute question de sécurité nationale, dont assurément la NMD. Au Canada, une personne ordinaire ne connaît à peu près rien sur ce système de défense, ou même sur la menace qui y est reliée.
Que croyez-vous qu'il faudrait faire ici? Je crois qu'il devrait y avoir un vrai débat dans le pays, non seulement chez les militaires ou dans l'entourage des hommes politiques. Ce débat devrait viser à faire connaître l'opinion des gens de façon générale. Que devrait-il se passe, outre les discussions que nous tenons aujourd'hui?
M. Daniel Bon: Je ne suis pas sûr de ce qui devrait se passer, mais je crois que votre analyse vise juste, et qu'il y a de bonnes raisons à cela. Les États-Unis sont une superpuissance—en fait ils sont la superpuissance. Ils ont des intérêts à l'échelle de la planète, et donc des ennemis à l'échelle de la planète.
Le Canada n'a pas le même profil, et il n'a certainement pas la même approche dans ses relations avec le monde, ce qui me semble amener les Canadiens à ne pas voir autant de menaces. Je crois que vous avez raison de dire qu'il est toujours bon de mener des débats. J'espère que la rencontre d'aujourd'hui sera le début d'un processus de discussion plus visible au sein du Canada.
Le président: C'est là exactement le but de ces audiences: créer un débat au niveau parlementaire sur les avantages et les désavantages d'un tel système, et aussi afin de déterminer si oui ou non le Canada devrait y participer, si on le lui demande.
[Français]
Monsieur Laurin.
M. René Laurin (Joliette, BQ): Monsieur le président, je ne sais trop par où commencer tellement j'ai de questions.
Je vais aborder le sujet de la façon suivante. Monsieur le sous-ministre, bien que les Américains soient nos amis, est-ce qu'on peut être certains de leur sincérité lorsqu'ils parlent de l'installation d'un système NMD? Et est-ce qu'ils ne vont pas, dans cinq ans, profiter de l'installation de ce système pour le développer davantage? Je pense que c'est ce que craint la Russie, qui ne veut pas permettre de modifications au traité.
Le Canada se trouve mal pris là-dedans. Il y a une menace contre les États-Unis, mais pour le Canada, la plus grande menace, c'est d'être le voisin des États-Unis, je crois.
Si on avait un pays qui ne risquait pas d'être attaqué en tant que voisin, on serait assurés de la paix. Cependant, de même que les États-Unis ont des amis partout dans le monde, ils ont aussi des ennemis partout dans le monde. Ils risquent d'être attaqués et, comme voisins, nous risquons d'être éclaboussés.
Le Canada aura une position à adopter. Le Canada va-t-il attendre que les États-Unis aient pris leur décision avant de donner son opinion, ou devrait-il—à mon avis, il devrait le faire—se prononcer d'avance dans le but d'influencer les États-Unis? Personnellement, j'ai bien l'impression que, de toute façon, les Américains vont poursuivre leur programme et implanter ce système.
• 0950
J'ai assisté dernièrement, à Washington, à une réunion où
14 pays de l'OTAN étaient représentés.
Les gens de ces pays-là, sans vouloir donner leur consentement à
l'établissement du système, acceptaient presque comme
une fatalité le fait que les États-Unis
allaient installer
le système de toute façon, peu importe l'opinion de ses alliés.
Ce sont là mes commentaires; j'aimerais entendre la réaction qu'ils suscitent chez vous.
M. Daniel Bon: Je crois que votre analyse correspond à la mienne. Effectivement, les États-Unis se doteront très probablement du système NMD. Ils en ont les moyens, ils n'ont besoin de la permission de personne et ils le perçoivent dans leur intérêt. Donc, ils le feront sans doute.
Maintenant, en ce qui concerne le danger pour le Canada d'être voisin des États-Unis, je crois que c'est un danger que beaucoup de pays nous envient, en ce sens que les États-Unis sont pour nous un voisin exceptionnel. De nombreux pays aimeraient être voisins des États-Unis.
Maintenant, dans ce cas précis, si les États-Unis perçoivent le besoin d'une défense antimissiles, c'est parce qu'ils sentent un risque d'attaque aux missiles.
Je suis tenté d'être un peu d'accord avec vous en ce sens que je vois mal la Corée du Nord attaquer le Canada. Mais je crois qu'il faut quand même se dire que le cas de figure que j'ai évoqué dans ma présentation vaudrait pour le Canada même s'il n'était pas voisin des États-Unis.
Imaginez un Irak qui envahirait le Koweït dans l'avenir et une communauté internationale—je n'ai pas dit les États-Unis—qui veuille faire quelque chose. Si cet Irak a des missiles avec des armes nucléaires et qu'il se trouve acculé contre le mur, il se peut que, puisqu'il n'a plus rien à perdre, il lance ses missiles. À ce moment-là, c'est la volonté de la communauté internationale de faire quelque chose qui serait en jeu.
Donc, il y a du vrai dans ce que vous avez dit, mais je crois que ça va plus loin que ça.
M. René Laurin: Qu'est-ce que ça pourrait donner que les États-Unis aient une centaine d'intercepteurs de plus en Alaska ou au Dakota du Nord, contre les milliers de missiles antibalistiques que possède déjà la Russie? On peut penser que les premiers missiles pourraient être interceptés par ces bases-là. Toutefois, il y en aurait des milliers comparativement à des centaines, et il finirait par y en avoir qui passeraient puisqu'on n'aurait plus d'intercepteurs alors qu'il resterait encore des missiles balistiques à lancer.
N'est-ce pas un peu factice? Quelle est l'efficacité de tout ceci? Mais on pense peut-être à une position stratégique qu'on pourrait développer davantage dans cinq ans.
M. Daniel Bon: Il faut bien préciser que ce que les États-Unis envisagent dans le cadre de la NMD, c'est une défense qui leur permette de se défendre contre très peu de missiles, c'est-à-dire une attaque de la Corée qui n'aura jamais qu'une poignée de missiles, peut-être une attaque de l'Iran ou de l'Irak dans plus longtemps, mais pas une attaque de la Russie.
Le principe même de la NMD, c'est de ne pas être destinée à la défense contre la Russie ou contre la Chine, mais contre un tout petit pays avec quelques armes nucléaires et, éventuellement, contre un tir accidentel ou le tir très limité de missiles russes ou chinois, ordonné par un commandant qui aurait des idées bizarres mais ne serait pas appuyé par son gouvernement.
Ce n'est pas du tout, mais pas du tout, dans le but de servir de bouclier contre une attaque russe ou chinoise.
M. René Laurin: À ce compte-là, puisque la Russie et les États-Unis ont signé un traité en 1972 à ce sujet, croyez-vous que les États-Unis peuvent violer ce traité sans l'assentiment de leurs alliés, non pas sans sanctions parce qu'il est difficile de penser à des sanctions contre les États-Unis, mais sans représailles des pays alliés?
M. Daniel Bon: Le traité ABM est un traité uniquement entre l'ancienne Union soviétique et les États-Unis. Les alliés ont le droit d'avoir des points de vue sur le traité, mais ils n'ont pas leur mot à dire quant à l'avenir du traité. C'est une affaire entre les Américains et les Russes. Je crois que les États-Unis n'ont aucunement l'intention de violer le traité. Ce qu'ils souhaitent faire, c'est le renégocier avec les Russes de façon à permettre une défense limitée.
Les Américains ont aussi indiqué que s'ils ne voulaient pas le renégocier, ils se prévaudraient de la clause du traité qui permet de dire que ce traité devient nul et non avenu dans un certain temps, au bout d'un an, par exemple. Ils en ont parfaitement le droit et c'est parfaitement légal.
M. René Laurin: Merci.
Le président: Merci, monsieur Laurin.
[Traduction]
J'ai maintenant trois intervenants de ce côté de la table: M. Pratt, M. Wood et M. Proud. Nous reviendrons pour la deuxième période.
Monsieur Pratt, voulez-vous débuter?
M. David Pratt (Nepean—Carleton, Lib.): Merci, monsieur le président. Je dispose de sept minutes?
Le président: Oui.
M. David Pratt: Je vais essayer de poser des questions brèves, de façon à pouvoir obtenir de longues réponses.
Merci d'être ici, monsieur Bon, et de partager avec nous vos idées sur ce sujet de très grande importance.
Il semble que le noeud du problème, d'après ce que j'ai vu, est de savoir si les États-Unis ont le droit ou non de se défendre contre les menaces qu'ils perçoivent. Je pense que la plupart des personnes autour de cette table diront oui, ils en ont le droit. Cependant, le gouvernement du Canada, et les autres membres de la communauté internationale, semblent avoir de sérieuses réserves, et c'est compréhensible, quant aux répercussions sur le traité ABM.
Bon nombre de mes questions ont trait à notre relation avec les États-Unis, aux conséquences de notre relation avec les États- Unis. Tout d'abord, certains ont dit que si nous ne nous rangeons pas du côté de la NMD, cela aura non seulement des effets sur notre relation avec le NORAD, mais aussi sur l'ensemble de notre relation avec les États-Unis, qu'elle soit militaire ou économique.
Ma seconde question est liée à la menace qui, selon vous, découle de la technologie des missiles de croisière par opposition à la technologie des missiles balistiques.
Ma troisième question concerne le traité ABM. Certains députés au Congrès des États-Unis disent ces jours-ci que le traité ABM a été conclu avec l'ancienne Union soviétique, que l'ancienne Union soviétique n'existe plus, et que par conséquent ils ne se sentent aucunement obligés de respecter des ententes avec un tiers qui est décédé.
Ma quatrième question concerne les alliés européens, en particulier la Grande-Bretagne et le Danemark, qui ont mentionné se sentir vulnérables à l'égard de la NMD, en ce sens que leurs postes de radar—ceux de Filingdales et de Thule au Groenland—seraient probablement les premières cibles de toute tentative de lancement d'un missile balistique contre les États-Unis, qu'ils seraient en fait les premières cibles de ce type d'attaque.
Finalement, j'aimerais connaître votre point de vue sur ce qui semble se développer à l'OTAN relativement au problème de l'Europe et des États-Unis qui veulent aller dans des directions contraires, et quand je parle de l'Europe, je pense à l'IESD—l'Identité européenne de sécurité et de défense—et à ce qui arrive avec la question de la NMD. Il semble que l'Europe et l'Amérique du Nord pourraient aller dans des directions contraires en ce qui a trait à leurs besoins en matière de sécurité.
Merci.
Le président: Vous disposez d'environ cinq minutes pour répondre à tout cela.
M. Daniel Bon: Nous tenterons d'aller rapidement.
Concernant les relations avec les États-Unis, il est difficile de dire comment l'éventuelle décision du Canada de ne pas participer à la NMD serait perçue à Washington. Certes, plus vous avez de réponses négatives dans une relation, plus la relation devient houleuse, mais personnellement je pense qu'il y a autant de chances que les États-Unis interprètent la décision du Canada de ne pas participer à la NMD comme un autre signe montrant que le Canada est «pacifique» en matière de défense et qu'il n'est pas intéressé.
• 1000
Quant à savoir si cela aurait un effet significatif sur
l'ensemble de nos rapports avec les États-Unis, je pense que nos
collègues aux Affaires étrangères feraient de meilleurs juges. Je
n'en suis pas convaincu quant à moi.
En ce qui a trait à la menace posée par les missiles de croisière par opposition aux missiles balistiques, je crois qu'il s'agit d'un sujet dont vous pourriez discuter avec le général Macdonald, mais je dirai ceci. Ce n'est pas parce que des missiles de croisière ou des ogives nucléaires pourraient poser une menace qu'il faut laisser de côté la menace posée par les missiles balistiques. Je pense que, du moins en théorie, toutes les menaces doivent être prises en considération et traitées d'une façon ou d'une autre.
Quant à l'argument apporté par certains extrémistes à Washington voulant que le traité ABM ne soit plus valable étant donné que l'Union soviétique a disparu, je pense que même les Russes sont plus sérieux que cela. L'administration américaine ne suit certainement pas cette ligne de pensée, et je ne vois pas non plus les États-Unis le faire.
Quant à la question des postes de radar du Royaume-Uni et du Danemark qui pourraient constituer les premières cibles d'une éventuelle attaque, je pense que vous auriez raison si cette attaque provenait de Russie. Mais ce n'est pas ce dont nous parlons, ce à quoi nous pensons, quand nous parlons de NMD. La NMD est destinée à la défense contre une attaque limitée par des pays possédant une poignée de missiles ou contre un tir accidentel de missiles. Je pense que les radars sont relativement en sécurité. Je pense qu'ils sont tout ce qu'il y a de plus sûrs, parce que franchement, même si la Corée du Nord mettait au point des missiles balistiques intercontinentaux, nous n'avons pas dit que ces derniers pourraient être précis. En fait, c'est peut-être là la plus grande menace pour le Canada: qu'ils frappent Toronto en voulant viser Colorado Springs.
Je pense que c'est une idée intéressante, et que dans une guerre totale avec la Russie, oui, ces radars seraient en danger. Mais je ne crois pas qu'ils le soient pour l'instant.
Quant à la possibilité que l'Europe et les États-Unis aillent dans des directions très opposées, une fois encore, en théorie la possibilité existe, et certaines tensions prévalent actuellement au sein de l'alliance, mais le Canada travaille très fort—et pas seulement le Canada—afin de s'assurer que le lien transatlantique demeure très fort et pour que les Européens comprennent cela.
En toute franchise, j'étais là à la réunion entre le ministre français et notre ministre lundi, et j'ai eu l'impression que les signes étaient assez positifs, même de la part des Français, qui sont les plus ardents défenseurs de l'autonomie de l'Europe en matière de défense.
J'espère avoir répondu—rapidement—à votre question.
Le président: Vous avez très bien répondu.
Vous avez environ 15 secondes, monsieur Pratt.
M. David Pratt: Très rapidement alors, a-t-on fait des recherches relativement aux conséquences sur l'environnement de l'éventuelle chute de missiles balistiques interceptés qui seraient porteurs d'agents nucléaires, biologiques ou chimiques?
M. Daniel Bon: Une fois encore, voilà une question que vous devriez poser au général Macdonald. Je dirai simplement que ce dont nous parlons, c'est d'interceptions à l'extérieur de l'atmosphère, à une altitude très élevée. Par conséquent, étant donné ce qui arrive aux météorites qui traversent notre atmosphère, je pense que les risques pourraient être moins importants qu'il semblerait au premier coup d'oeil...
M. David Pratt: Dans l'atmosphère vous voulez dire.
M. Daniel Bon: Oui, mais c'est un domaine où je ne me sens pas assez compétent pour vous donner une réponse solide.
M. David Pratt: Merci.
Le président: Monsieur Earle, sept minutes.
M. Gordon Earle (Halifax-Ouest, NPD): Merci, monsieur le président.
Je dois avouer que ce sujet est assez nouveau pour moi, donc si certaines de mes questions vous semblent plutôt élémentaires, vous devrez m'en excuser.
Ce système, tel que je le comprends, serait avant tout un système de défense visant à intercepter les missiles venant vers les États-Unis. Pourrait-il également comporter un aspect offensif, c'est-à-dire diriger aussi des missiles vers des pays qu'il viserait?
M. Daniel Bon: La réponse est très simple: non.
M. Gordon Earle: D'accord.
M. Daniel Bon: Je suis catégorique.
M. Gordon Earle: Très bien.
Vous avez également fait mention des sommes actuellement dépensées par les États-Unis sur ce système. Sur une plus longue période de temps, je pense que ces sommes sont estimées à quelque chose entre 40 et 60 milliards de dollars. Ma question est donc celle-ci, le Canada a-t-il dépensé de l'argent—même s'il s'agit d'un système américain—dans sa collaboration avec les Américains ou dans ses discussions à ce sujet avec eux durant cette période de temps, et combien?
• 1005
Deuxièmement, toujours en rapport avec le sujet, ne serait-il
pas plus utile de dépenser de telles sommes—40 à 60 milliards de
dollars—dans le maintien de la paix ou dans des efforts
diplomatiques plutôt que de bâtir ce système complexe?
M. Daniel Bon: S'il s'agissait du Canada, je pourrais avoir une opinion sur la façon dont l'argent devrait être dépensé, mais nous parlons de l'argent des Américains, aussi je n'aborderai pas le sujet, si ça ne vous dérange pas.
Quant à notre propre participation, les investissements ont été relativement modestes. Je pense que nous dépensons actuellement quelque chose comme 1 million de dollars par année, et cela pour des consultations et un peu de recherches. Ce n'est pas directement lié à la NMD, mais à un certain nombre de technologies qui sont pour nous d'un certain intérêt et qui pourraient intervenir dans une partie de la NMD.
M. Gordon Earle: Maintenant, dans votre exposé, vous avez abordé certaines des questions auxquelles il faudra répondre avant que le Canada puisse en arriver à une décision à ce sujet, mais je trouve un peu difficile de comprendre exactement quelle opinion pourrait dominer au MDN quant à savoir si nous devons ou non soutenir ce projet. Je réalise qu'il y a des questions auxquelles il faudra répondre, mais il doit déjà y avoir certaines tendances d'une manière ou d'une autre.
Au début, vous avez indiqué que vous pouviez comprendre la nécessité de se défendre, mais l'opinion la plus répandue est-elle que les militaires du Canada doivent soutenir cet effort, ou bien est-ce le contraire? Relativement à cela, vous avec mentionné à la dernière page de votre exposé que la coopération en matière de défense avec les États-Unis demeure essentielle à notre sécurité, et, en bout de ligne, à notre souveraineté. Pourriez-vous élaborer un peu au sujet de ce que vous entendez par «souveraineté»?
M. Daniel Bon: Pour ce qui est de votre première question, la ligne de pensée officielle au MDN est celle du ministre, et nous ne connaissons pas son point de vue sur la NMD, aussi nous n'avons pas d'opinions officielles.
Nous avons tous nos propres points de vue, et vu l'endroit où nous travaillons, je pense que nous avons tendance à être plutôt sympathiques à l'idée. Mais cela ne signifie pas que nous sommes aussi zélés que nos collègues au sud de la frontière.
Dans le fond, nous sommes extrêmement soucieux de l'importance pour le Canada de sa relation en matière de défense avec les États- Unis, et nous sommes préoccupés par la possibilité que cela pourrait nous nuire si nous ne participons pas au projet. C'est un sujet sur lequel il y a sans doute bon nombre d'opinions divergentes au MDN.
Quant à ce que j'entendais par souveraineté, j'ajouterai qu'un des aspects intéressants de la NMD, c'est que les États-Unis seront en mesure de nous protéger. Je suis profondément convaincu que les États-Unis, en tant que bon voisin, s'occuperont de tout missile dirigé vers le Canada, s'ils ont suffisamment de bon intercepteurs pour le faire. Cela nous place, je crois, dans une situation intéressante, parce que nous serons défendus malgré nous. Voilà à mon sens, où se situe le potentiel de souveraineté.
En fait, en toute franchise, connaissant un peu M. Hamre et sachant à quel point il aime ce pays, je pense que son insistance à vouloir que le Canada participe est en partie explicable par le fait que les Américains sont sensibles à l'idée que nous sommes une nation souveraine, qu'il faut nous protéger, et que par conséquent il faudra bien que nous participions au projet. Il faudrait qu'on ait notre mot à dire, d'une certaine façon. Mais nous n'aurons notre mot à dire que si nous participons. C'est comme cela que j'interprète les choses. C'est un point de vue purement personnel.
M. Gordon Earle: Alors que nous discutons de ce système de défense antimissiles et de pays comme l'Iran et l'Irak, ces États hors-la-loi, nous savons que bon nombre des problèmes sont le fait de diverses armes, biologiques et chimiques, vendues à ces pays, souvent par les États-Unis ou par d'autres pays. Comment réconcilier ce problème avec les grandes préoccupations au sujet de la défense? Ne serait-il pas plus utile de regrouper nos efforts pour combattre la vente d'armes et les différentes choses auxquelles nous assistons? Ne devrait-on pas faire quelques efforts en ce sens, au lieu de dépenser beaucoup de temps et d'effort à bâtir ce système de défense?
Le président: Je pense que ce n'est pas pertinent. Si vous désirez répondre, ça va. Mais je pense que nous égarons dans la politique étrangère américaine pour l'instant. Nous sommes ici pour parler de la NMD du point de vue canadien. Mais s'ils souhaitent répondre... Je comprends votre question, mais je ne pense pas que ce sont les témoins indiqués pour y répondre. S'ils souhaitent le faire, je les laisserai répondre.
M. Gordon Earle: Bien, laissez-moi seulement établir les liens. Je pense que nous sommes partenaires de l'OTAN. Nous faisons partie de ce regroupement, et nous pouvons influencer la politique des autres en nous élevant contre ou en nous alignant silencieusement avec celle-ci.
Je demande simplement aux témoins quel est leur point de vue à ce sujet.
M. Daniel Bon: Il y a longtemps depuis la dernière fois où les États-Unis, ou un autre pays allié de l'Occident, ont vendu quelque chose à l'Irak, à l'Iran, ou à tout autre pays du genre. Si quelque chose a été vendu, ça l'a été par des compagnies qui le faisaient contre la volonté de leurs gouvernements. Je peux vous assurer que tous les pays dont vous avez fait mention font en réalité de gros efforts pour tenter de mettre un frein à la fuite des technologies et de ce type d'armement vers ces pays en question. Ils font tous ces efforts.
Le président: Très bien. Merci, monsieur Earle.
Nous passons à Mme Wayne.
Mme Elsie Wayne: Merci beaucoup monsieur le président.
J'ai apprécié votre exposé aujourd'hui, ayant également assisté la semaine dernière à celui de Lou Cuppens, commandant en chef adjoint du NORAD. Son bureau est voisin du mien, alors il me tient au courant de la question. En gros, vous me dites la même chose que lui.
Je suis allée à Saint-Pétersbourg, en Russie, l'an dernier, aux réunions de l'OSCE; je dois dire à mes collègues ici aujourd'hui qu'il y a eu un vote sur le désarmement nucléaire. Si vous aviez vu les six pays qui ont voté contre... J'étais assise là me disant à moi-même «nous ferions mieux de collaborer très étroitement avec les États-Unis, main dans la main, afin de nous assurer que le Canada soit protégé». Je vous dis, tous ces pays autour de la planète ne procèdent pas à un désarmement nucléaire; ils vont dans l'autre direction.
Quand est venu le tour de la question de la défense antimissiles, je dois vous dire tout de suite que la Russie n'était pas heureuse de sa relation avec les États-Unis. Ça se voyait, monsieur le président.
J'ai écouté le ministre des Affaires étrangères tout récemment, et je sais que vous ne pouvez probablement pas répondre à ma question—que je devrai demander à M. Macdonald quand il viendra—mais l'opinion que j'en tire, monsieur, c'est que son point de vue était légèrement différent de celui que... Je suis certes en faveur de ce que vous proposez aujourd'hui. Je dois vous le dire. Je pense qu'il faut que nous travaillions très étroitement avec les États-Unis.
Mais j'ai l'impression que le ministère des Affaires étrangères n'a pas encore embarqué. Aussi nous devrons rapprocher la défense et les affaires étrangères, ou les États-Unis vont commencer à nous demander ce que nous faisons. N'est-pas exact?
M. Daniel Bon: Les États-Unis pourraient nous le demander, oui. Je pense qu'il est entièrement possible qu'il puisse y avoir différents points de vue parmi les ministères et les ministres. Je pense que tant que le Cabinet n'aura pas traité de la question, nous ne saurons pas exactement quelle est la position du Canada.
Mais il y a certainement des différences de point de vue, c'est tout à fait compréhensible. Je pense que si vous échangiez les ministres, vous auriez toujours le même point de vue des Affaires étrangères, qui est par sa nature préoccupé par l'aspect diplomatique des choses. C'est leur travail. Et vous auriez toujours le même point de vue de la Défense, où nous sommes principalement préoccupés par les questions de défense.
Aussi, je ne crois pas que cela dépende nécessairement des personnes concernées. Il s'agit plus de leur rôle au sein du gouvernement du Canada. Elles remplissent leurs propres rôles, en mettant de l'avant les préoccupations de leurs secteurs.
Mme Elsie Wayne: J'ai juste une autre question.
Si nous devions conclure une entente avec les États-Unis et les appuyer, croyez-vous qu'ils viendraient nous demander une certaine somme d'argent—des milliards de dollars—pour appuyer le projet à ce moment-ci?
M. Daniel Bon: Je pense que les États-Unis, encore une fois, ont été très généreux envers nous en ce qui a trait à la coopération en matière de défense. Si nous leur montrons que nous sommes intéressés à participer, je pense qu'ils vont nous demander ce que nous faisons qui s'harmonise avec la NMD. Il faut tirer profit de toutes les possibilités de synergie.
Je pense donc que nous n'aurions pas nécessairement à investir de nouveaux fonds, mais plutôt que nous devrions harmoniser ce que nous faisons avec ce qu'ils font.
Mme Elsie Wayne: Merci beaucoup, monsieur le président.
Le président: Cela vous convient, madame Wayne?
Mme Elsie Wayne: C'est très bien.
Le président: Merci beaucoup.
Nous allons commencer une deuxième période. Il se peut que nous entendions une cloche et, si c'est le cas, je pense que nous devrions continuer jusqu'à ce que la cloche sonne trois fois pour le cinq minutes de pause. Cela nous donnera le temps d'aller voter.
Allons-y pour une deuxième série de témoignages.
Monsieur Hanger, cinq minutes.
M. Art Hanger: Merci, monsieur le président.
Pour faire suite à la première question de Mme Wayne, il ne semble pas y avoir de lien entre ce que propose le ministère de la Défense nationale et ce qui provient de notre bureau des affaires étrangères en ce qui concerne ce sujet en particulier et les questions en matière de défense en général. Selon moi, les résultats de ce manque de lien sont évidents. Nous constatons que le statut privilégié du Canada lorsque vient le temps de présenter des soumissions sur des contrats en matière de défense au sud de la frontière tombe soudainement en terrain vague du côté américain.
Tous ceux qui participent au présent comité ont écouté le point de vue des gens de l'industrie de la défense sur ce qui est arrivé à leur industrie et leurs réflexions sur le retrait du Canada en raison des répercussions de la politique américaine découlant de la perte de ce statut privilégié. Je suppose que tout cela tourne autour des questions de sécurité, mais je ne suis pas certain—les États-Unis considérant que le Canada ne respecte pas sa part de l'alliance, ou qu'il maintient un niveau de sécurité tout juste raisonnable au sein du pays, ce qui, considérant la proximité, compromet la leur.
Il me semble que ceci a trait au fait que dans ce pays la défense n'est pas une priorité pour le gouvernement. Comme l'a fait remarquer clairement M. Hamre, dans ce pays notre force armée ressemble de plus en plus à un service de police glorifié. Comme il l'a dit, nous ne sommes pas bien placés pour avoir une contribution importante dans certains cercles et pour appuyer nos alliés dans certains cercles, que ce soit l'OTAN ou peut-être même maintenant le NORAD, ce qui sera bientôt à l'ordre du jour.
Je suis très mal à l'aise avec cette mention à l'effet que les ministres vont avoir des divergences d'opinion. Soit, leurs opinions peuvent diverger, mais les choses continueront de la même façon. Je pense personnellement que quelque chose doit changer et, si tel n'est pas le cas, comment nous situerons-nous dans nos relations avec les États-Unis? Je crois que c'est essentiel.
Tenant compte de votre fonction, voyez-vous poindre d'autres tensions?
M. Daniel Bon: Je crois que vous m'amenez dans un secteur où je suis dans une large mesure dépassé.
Est-ce que j'entrevois d'autres tensions? Non, je pense que tout le monde s'affaire à résoudre certains des problèmes préoccupants. Je suis optimiste. C'est un point de vue personnel.
Si vous prenez, par exemple, les problèmes relatifs à l'ITAR et l'accès à la technologie, selon moi, il y a des Canadiens qui, pour une raison ou pour une autre, ont une deuxième nationalité. Les États-Unis y voient un problème et nous soutenons le contraire. Je pense que c'est très peu lié au rapport avec la défense.
Je ne pense pas que les Américains nous tapent dessus avec l'ITAR parce qu'ils n'aiment pas ce que nous faisons en matière de défense. Je ne pense pas qu'il y ait un lien entre les deux. C'est mon point de vue personnel.
M. Art Hanger: Mais cela représente un réel problème pour notre industrie de la défense. Manifestement, les décisions qui sont prises au sud de la frontière s'appuient sur quelques raisons très importantes. Connaissez-vous de façon précise les raisons qui compromettraient notre industrie?
M. Daniel Bon: Vous savez, c'est une question intéressante. J'ai travaillé à Washington dans les années 70 et j'ai suivi les travaux du Sous-comité de l'OTAN sur la normalisation, l'interopérabilité et la disponibilité opérationnelle. Une chose était claire pour moi, c'était que le Congrès prend sa décision en ce qui a trait à la coopération industrielle avec les alliés non pas sur la qualité de la contribution des alliés à la défense collective, mais en fonction de ce qui est bon pour l'industrie américaine.
Je ne sais pas si dans le cas qui nous préoccupe, c'est aussi un facteur qui entre en jeu, mais je pense que nos efforts en matière de défense et les questions relatives à l'ITAR ne sont pas liées.
Le président: Merci, monsieur Hanger.
J'aimerais ajouter une brève explication, parce que nous allons consacrer plusieurs rencontres à ceci. D'abord, les États- Unis n'ont pas décidé de s'engager, ou de procéder. On n'a pas demandé l'avis du Canada. Manifestement, les points de vue diffèrent au sein du gouvernement. Les points de vue diffèrent au Canada. Les points de vue diffèrent au sein du cabinet.
C'est le cabinet qui prendra la décision et nous débutons ces audiences en vue de susciter cette décision. Il n'y a rien d'anormal à cela.
Je cède la parole à M. Wood pour cinq minutes.
M. Bob Wood (Nipissing, Lib.): Merci, monsieur le président.
J'ai une question qui s'adresse probablement à vous, colonel Price. Supposons pendant un instant que le système de défense nationale antimissiles est mis en oeuvre. Selon ce qu'a dit M. Bon ce matin, on ira de l'avant quand même. Comme l'indiquent nos documents d'information, une partie de l'infrastructure nécessaire sera installée au Canada.
Où sera située cette infrastructure, faudra-t-il prévoir des agrandissements et la mise en place donnera-t-elle lieu à la création d'un nombre élevé de nouveaux emplois?
Le colonel Randy Price (directeur, Politiques de l'hémisphère occidental, ministère de la Défense nationale): Je regrette mais il ne me semble pas que M. Bon ait fait allusion à l'infrastructure au Canada. En fait, pour le moment, la NMD, telle que l'envisagent les États-Unis, ne comporte ni personnel canadien, ni espace aérien, ni dollars, ni contribution.
Ce système est conçu à titre de système de défense nationale antimissiles. Si jamais les États-Unis nous demandaient de participer, le gouvernement du Canada aurait alors évidemment à prendre une décision.
M. Daniel Bon: Puis-je ajouter quelque chose sur ce point? Même si le gouvernement canadien décidait de participer, rien ne serait situé au Canada.
M. Bob Wood: Le système sera contrôlé à partir de Cheyenne Mountain? Est-ce leur idée?
M. Daniel Bon: On ne sait pas encore clairement qui commandera ce système de défense lorsqu'il sera déployé. Ce pourrait être le NORAD. Ce pourrait être la marine. Ce pourrait être l'armée. Ce pourrait être l'un ou l'autre des commandements. En fait, il y a un peu de bousculade relativement à l'attribution de cette responsabilité.
Cheyenne Mountain? Peut-être, mais pas nécessairement.
Le président: Vous verrez, Bob, lorsque vous questionnerez le général Macdonald, car des activités se déroulent à Cheyenne Mountain—et certains d'entre nous en reviennent justement—sur l'hypothèse qu'on fasse appel à eux, mais ce n'est pas définitif.
M. Bob Wood: C'est l'une des raisons pour lesquelles j'ai posé la question. Je sais que M. O'Reilly et d'autres personnes y sont allés et qu'ils ont dit que c'est ce qu'ils examinaient.
Une autre question brève. Si les États-Unis adoptent la NMD—et je sais que M. Hanger a abordé ce point précédemment dans ses commentaires—est-ce que cela réduira leur engagement envers le NORAD? Qu'en pensez-vous?
M. Daniel Bon: Je ne crois pas qu'ils puissent restreindre leur engagement envers le NORAD car le NORAD offre un système de défense d'une très grande utilité. Ils ne garderaient pas le NORAD s'ils ne croyaient pas que c'est un commandement utile. En ce sens, je ne crois pas qu'ils restreindront leur engagement.
Si vous me demandez vraiment si leur engagement dans un commandement bilatéral avec le Canada sera moindre si le Canada ne participe pas, c'est possible, mais ce n'est pas un fait acquis. Ce n'est pas un fait acquis. C'est seulement du domaine du possible. Je pense que le général Macdonald doit avoir certaines idées sur le sujet.
Qu'en pensez-vous, Randy?
Col Randy Price: De façon générale, il est évident que lorsque certains facteurs changent dans une relation, il est possible qu'il y ait une remise en question qui nécessite de prendre des décisions. Mais rien n'est prédéterminé. Le rôle principal du NORAD est la détection, et les rôles actuellement dévolus au NORAD vont sûrement être maintenus.
Quant à savoir si le NORAD doit être maintenu tel quel, cette décision devra être prise par le gouvernement canadien.
M. Bob Wood: S'il me reste du temps, M. Pratt le prendra.
Le président: Permettez-moi de vous communiquer ce que je sais, Bob, car je pense que mes collègues qui y étaient seraient d'accord.
Nos gens nous ont dit, du général Macdonald en descendant—il pourra le dire lui-même la semaine prochaine—qu'ils commencent à se sentir plutôt marginalisés à Cheyenne Mountain. On commence à les tenir à l'écart des briefings. Ils doivent maintenant signer toutes sortes de papiers pour pouvoir participer aux briefings. Malheureusement, l'armée américaine semble croire que nous ne sommes pas intéressés, et c'est l'une des raisons pour laquelle, au retour de notre voyage, nous avons parlé au ministre et lui avons fait part de l'ambiance qui régnait là-bas et de l'importance qu'il y avait à ce que le présent comité soit saisi de la question. Il s'est montré tout à fait d'accord, et c'est pourquoi nous sommes réunis ici aujourd'hui.
Voulez-vous le temps qui reste, David?
Une voix: Hé, hé, hé...
Le président: Bien, il a dit David, mais je vous cède la parole.
Vous aurez vos cinq minutes dans une minute.
Passons à M. Laurin, puis à M. Proud.
[Français]
M. René Laurin: Monsieur le sous-ministre, on sait que les États-Unis ne nous ont pas invités à participer à leur plan d'exécution, mais si jamais ils le faisaient, quelle intention devrions-nous leur prêter? Quel pourrait être leur intérêt à nous inviter à y participer?
M. Daniel Bon: C'est une question très difficile, que je me suis d'ailleurs posée, monsieur Laurin.
Je crois que ce serait à cause d'une tradition de coopération avec le Canada. Le Canada et les États-Unis collaborent à la défense de l'Amérique du Nord depuis 1940, donc depuis 60 ans. Il y a un certain nombre d'habitudes qui se sont développées. Les États-Unis savent que le Canada est un pays étranger, mais ils pensent que ce n'est pas un pays étranger comme les autres. C'est un pays étranger qui n'est pas tout à fait étranger.
Donc, je crois que, dans une large mesure, leur préférence pour une participation canadienne telle qu'elle a été exprimée par M. Hamre à Calgary la semaine dernière et telle qu'on l'entend dans d'autres forums, est née de cette perception que les Américains ont du Canada.
Je crois qu'ils se voient mal défendre l'Amérique du Nord tout seuls parce qu'ils n'en ont pas l'habitude. Ils ont l'habitude de faire participer le Canada à leurs discussions. Comme je l'ai dit tout à l'heure, je crois qu'ils ont la vision des choses suivante: puisqu'ils vont défendre le territoire canadien ou puisqu'ils seraient en mesure de le défendre s'ils le voulaient, il paraît assez normal que les Canadiens fassent partie de cette chose.
M. René Laurin: Qu'arriverait-il s'ils ne nous invitaient pas? Ils ne l'ont pas fait jusqu'à maintenant, mais peut-être le Canada s'attend-il à être invité un jour. Si jamais les États-Unis ne le faisaient pas, est-ce qu'on devrait s'en attrister ou s'en offusquer?
M. Daniel Bon: Je crois que si les États-Unis ne nous invitent pas à participer à leur système de défense national antimissile, ce sera parce que le Canada ne leur aura pas indiqué qu'il est intéressé à en faire partie. Je suis à peu près convaincu que si le Canada donne la moindre indication que cela l'intéresse, ils nous inviteront.
M. René Laurin: À mon avis, le seul intérêt du Canada à participer à cela en serait un d'ordre économique. Je n'en vois pas d'autres. Si tel est le cas, est-ce que le Canada ne devrait pas orienter différemment sa recherche en vue du développement de sa technologie?
• 1030
On parlait
plus tôt d'interopérabilité. Si on doit participer à ces
choses-là avec les États-Unis, il faudra que notre
technologie soit compatible avec celle des États-Unis,
même s'il ne nous sera jamais possible d'atteindre,
du moins pas dans un
avenir rapproché, le degré de développement des
États-Unis. Y aurait-il lieu que le Canada
fasse un virage au plan du développement de sa
technologie?
M. Daniel Bon: Je ne suis pas la personne la mieux placée du monde pour répondre à votre question, mais je crois que c'est toujours une bonne idée que de développer sa technologie. Je crois que, dans le cadre de la NMD, on parlerait de technologies complémentaires, comme je l'ai indiqué tout à l'heure. Il y a un certain nombre de domaines où le Canada est à la pointe de la technologie, par exemple dans le secteur de la surveillance et des communications, et je crois que cette chose pourrait être notre contribution à cet effort.
Randy.
[Traduction]
Col Randy Price: C'est à peu près cela. Vous devez vous rappeler que la technologie... Évidemment, il s'agit de la défense nationale antimissiles, le système américain, dont nous parlons. Parallèlement, nous avons intérêt à garder un oeil sur les systèmes de défense antimissiles de théâtre, dont une partie de la technologie de base est la même. C'est une technologie de surveillance. Une technologie militaire.
Nous essayons d'apporter un complément avec nos projets de recherche de façon à contribuer à l'opérabilité de nos alliés.
[Français]
Le président: Merci, monsieur Laurin.
[Traduction]
Monsieur Proud, vous disposez de cinq minutes, s'il vous plaît.
M. George Proud (Hillsborough, Lib.): Merci, monsieur le président.
Bienvenue, messieurs. J'ai écouté les questions et les réponses autour de la table ce matin et j'aimerais poursuivre sur ce dont parlait M. Laurin.
Monsieur Bon, vous avez dit plus tôt que le Canada n'avait pas été invité et qu'il ne le serait probablement pas. Ne serait-il pas dans l'intérêt du Canada de s'inviter lui-même à participer à ce programme de défense nationale antimissiles? Je crois que M. Laurin a dit que si nous y adhérions ce serait probablement uniquement pour des raisons économiques, mais je pense que ce serait aussi pour d'autres raisons, pour notre protection. Il n'y a pas de doute quant à la capacité de la Corée du Nord à attaquer une zone des États-Unis. La possibilité qu'elle frappe, intentionnellement ou accidentellement, une zone du Canada, est aussi une chose réaliste.
Je pense que nous devrions vraiment avoir une approche proactive et demander à participer à la mise en oeuvre de ce système. Le ministère de la Défense nationale pense probablement qu'il y aura beaucoup de discussions au cabinet avant que ce ne devienne une réalité, mais c'est mon opinion sur le sujet.
M. Daniel Bon: Vous avez raison de croire qu'il existe des risques réels de tirs accidentels ou résultant d'une technologie imprécise en provenance de la Corée. Il pourrait y avoir un risque pour le Canada.
J'aimerais toutefois corriger quelque peu une chose que vous avez dite. Je pense que les États-Unis n'auront pas besoin que le Canada vienne frapper à leur porte très fort et indiquer son intérêt à faire partie de cette initiative. Je pense que s'il y avait une quelconque indication à l'effet que nous sommes intéressés, ils nous inviteraient probablement.
M. George Proud: En ce qui a trait à l'alliance avec l'OTAN, je sais qu'il y a de nombreux débats actuellement concernant le programme de défense nationale antimissiles dont parlent les États- Unis. Considérant le fait que les États-Unis jouent le rôle principal au sein de l'OTAN—ils ont l'expertise, les effectifs, le matériel, ils ont toutes les choses que l'OTAN utilise, dont elle a besoin et auxquelles elle fera toujours appel—les États-Unis procéderont de toute façon. Si l'essai en avril s'avère fructueux, ils décideront probablement d'aller de l'avant.
Je sais que M. Pratt était à Bruxelles en fin de semaine et que ce sujet y faisait l'objet de discussion. Nous allons à Budapest en mai, et ce sera probablement un des sujets de discussion. Mais je crois que ce programme sera mis de l'avant de toute façon. N'êtes-vous pas de cet avis vous aussi, que l'alliance de l'OTAN soit derrière eux et les appuie fermement ou non? Je pense que c'est un fait accompli même s'ils prennent une décision.
M. Daniel Bon: Ce n'est peut-être pas un fait accompli, mais je pense comme vous qu'il est très peu probable que le programme ne soit pas mis en oeuvre. Les États-Unis ont pour ainsi dire pris leur décision. Mais il reste un point d'interrogation. On ne sait jamais?
En ce qui a trait à l'OTAN, vous avez raison de dire que les États-Unis jouent le rôle principal à l'OTAN, mais il y a eu des occasions où d'autres étaient d'accord pour faire certaines choses que les États-Unis refusaient de faire. Il est vrai que les Américains fournissent la plupart du matériel, des armes ultramodernes et ainsi de suite, mais parfois les autres alliés sont davantage enclins à bouger. Je crois qu'il faut aussi tenir compte de cela.
Quant à ce que vous avez dit, et pour revenir à ce que M. Pratt disait, à savoir que si les États-Unis allaient de l'avant sans à tout le moins apaiser leurs alliés de l'OTAN, ce serait très préjudiciable pour l'alliance. En fait, je pense qu'une des raisons qui pourrait pousser le président Clinton à reporter sa décision, c'est que tout comme les Américains préféreraient poursuivre ce projet en accord avec la Russie dans le cadre du traité ABM, je pense qu'ils préféreraient poursuivre, s'ils décident de poursuivre, avec à tout le moins le consentement, sinon l'approbation, de leurs alliés.
M. George Proud: Cela donnerait un coup de pouce à ceux qui voudraient voir l'Europe jouer un rôle de premier plan au sein de l'OTAN si les États-Unis allaient de l'avant sans l'accord des pays membres de l'OTAN. Cela permettrait d'identifier ces gens. Certains pays aimeraient voir l'Europe jouer un rôle plus important et probablement un rôle dominant au sein de l'OTAN. Les États-Unis seront probablement très prudents, et comme vous le dites, le président Clinton fera tout en son possible pour essayer de trouver un compromis avant d'aller plus loin.
M. Daniel Bon: Je suis d'accord.
M. George Proud: Merci.
Le président: Je pense que l'audience d'aujourd'hui brise le silence sur ce sujet à Ottawa. On commence ainsi à montrer véritablement qu'un comité de la Chambre des communes s'intéresse à cette question et examine sérieusement la possibilité que nous participions. Je sais que lorsque nous étions à Cheyenne Mountain, ce silence en préoccupait certains. Aujourd'hui, nous brisons ce silence, et je pense que nous ne mettrons pas trop de temps à faire nos recommandations à titre de comité aux personnes concernées.
Monsieur Proud.
M. George Proud: Le comité recevra-t-il d'autres personnes sur ce sujet en particulier?
Le président: Oh! oui. Mardi prochain, nous recevrons le commandant en chef adjoint du NORAD. Évidemment, nous recevrons le général Macdonald qui, chose intéressante, était, en l'absence du général Myers, responsable de Cheyenne Mountain lorsque nous y étions. J'étais très fier en tant que Canadien, je dois le dire, si je puis partager cette expérience avant de continuer. Je pense que nous étions tous fiers en tant que Canadiens de voir des officiers américains, des officiers haut gradés, des personnes hautement qualifiées, relever du général Macdonald ce jour-là et lui demander... Il devait continuellement indiquer où il était. Nous le recevrons mardi prochain. Je puis vous assurer que nous aurons beaucoup de renseignements à communiquer.
Je cède maintenant la parole à M. Earle.
[Français]
M. Gordon Earle: Merci, monsieur le président.
Vous avez dit dans votre conclusion que nous devions être capables de nous défendre, mais que le contrôle des armes était aussi très important pour notre sécurité.
[Traduction]
J'aimerais ajouter un bref commentaire sur ce point.
Lorsque nous pensons aux types de conflits que nous avons connus récemment, comme la guerre du Golfe ou le conflit au Kosovo, nous constatons que les types d'armes utilisées ont causé beaucoup de ravages et que des questions subsistent concernant les substances toxiques, comme l'uranium appauvri, et ainsi de suite. Si nous considérons l'Iraq, par exemple, nous constatons une augmentation importante des enfants morts-nés et toutes sortes de répercussions sur l'environnement, sans mentionner les conséquences sur nos troupes. Nous regardons la dévastation au Kosovo en raison du bombardement des usines, de la pollution et des substances toxiques qui pénètrent dans le système d'aqueduc, et ainsi de suite.
Lorsque nous parlons de contrôle des armements, que fait notre armée pour contrôler l'utilisation de ce genre d'armements à titre de système d'arme dans la conduite de la guerre? En somme, faisons- nous quelque chose à ce sujet?
M. Daniel Bon: nous intéressons à cet aspect. Ce n'est pas seulement notre armée qui est concernée, mais c'est aussi, et principalement, le ministère des Affaires étrangères. Mais nous participons à toutes les initiatives internationales en matière de contrôle des armements. Nous participons à toutes les négociations destinées à examiner les problèmes qui découlent de l'utilisation des armes.
Mais je pense que je ne suis vraiment pas la personne la mieux placée pour répondre à cette question aujourd'hui.
M. Gordon Earle: Merci.
Le vice-président (M. David Pratt): Autre chose, monsieur Earle? Non?
Monsieur Bertrand.
[Français]
M. Robert Bertrand (Pontiac—Gatineau—Labelle, Lib.): Monsieur Bon, j'aimerais avoir quelques précisions.
Dans les notes qu'on nous a préparées, on parle un peu du traité ABM, qui a été signé en 1972 entre les États-Unis et l'Union soviétique. Je vais vous lire une phrase qui m'a un peu surpris:
-
Chacun d'eux ne
pouvait être équipé de plus de 100 systèmes
anti-missiles balistiques.
Pour les États-Unis, il s'agissait des points stratégiques du Dakota du Nord et pour l'URSS, de la Russie, aux alentours de Moscou. Quelle différence y a-t-il entre ce système antimissiles balistiques et ce dont on parle aujourd'hui, soit la NMD?
M. Daniel Bon: C'est une question technique que je vais vous demander de poser au général Macdonald. Je peux vous dire que les technologies de l'époque étaient si peu fiables que les deux pays sentaient très bien qu'ils ne pourraient pas se défendre sur la base de cette technologie. George Betts peut sans doute vous donner certains éléments.
[Traduction]
M. George Betts (directeur par intérim, Élaboration des politiques, ministère de la Défense nationale): Oui, pour ce qui est de la technologie qui existait en 1972, elle était, comparativement à ce qu'elle est aujourd'hui, plutôt primitive, bien que si nous considérons la technologie actuelle de coup au but et destruction, nous n'avançons pas beaucoup en ce qui a trait à la nature de la technologie.
La technologie de coup au but et destruction demeure une technologie très simple et classique. Elle n'est pas fondée sur ce que nous appelons dans le traité ABM les «autres principes physiques». En 1972, il y avait une volonté d'empêcher la technologie d'évoluer vers des choses qui n'étaient pas courantes à ce moment-là, des choses comme le laser, les faisceaux de particules et ainsi de suite.
Aussi ce sur quoi travaillent les États-Unis même actuellement ne relève pas du genre de technologie qui n'était pas disponible à l'époque. Bref, on demeure encore tout à fait dans une gamme de choses qui auraient pu être faites à l'époque. La question, qui a été soulevée régulièrement depuis 1983, était: avez-vous le droit d'utiliser ces autres choses que sont les faisceaux de particules et le laser et ainsi de suite? Le traité dit, non, vous ne l'avez pas. Ce sont des choses qui font partie de ce que nous appelons les «autres principes physiques».
[Français]
M. Robert Bertrand: Monsieur Bon, quand un traité de ce genre est signé, est-ce qu'il est ancré dans le béton ou si, au bout de 10 ou 15 ans, on peut commencer à discuter d'autres technologies qui sont apparues sur le marché depuis la signature du traité?
M. Daniel Bon: Je suis content que vous me posiez une question à laquelle je peux répondre. Le traité n'est pas coulé dans le béton. La meilleure preuve, c'est que le traité qui a été signé en 1972 donnait aux deux pays la possibilité d'avoir deux sites de défense: un pour protéger leurs missiles, dans le Dakota, et un autre aux alentours de leur capitale.
• 1045
C'est en 1974, deux ans plus tard, que
les deux pays ont décidé de ne plus avoir qu'un site.
Les États-Unis ont choisi de protéger leurs missiles,
les Russes, de protéger leur capitale. C'est la
preuve que le traité peut être amendé.
En plus, un traité, comme tout contrat, s'interprète. Récemment, en 1997, je crois, les Russes et les Américains ont décidé de l'interprétation à donner au traité pour faire la différence entre un système de défense antimissiles de théâtre et un système de défense antimissiles intercontinental. Donc, si les États-Unis et la Russie le souhaitaient tous les deux, ils pourraient tout à fait trouver une solution qui permettrait le déploiement de la NMD.
M. Robert Bertrand: Les gens qui parlent de ce traité se rencontrent-ils régulièrement, ou s'ils se rencontrent quand les Américains veulent discuter d'un point ou que les Russes veulent discuter d'un autre point? Je ne sais pas si vous comprenez le sens de ma question.
M. Daniel Bon: Certainement. Depuis le mois de septembre, les Américains et les Russes se rencontrent très, très fréquemment. Le problème, c'est que c'est un dialogue de sourds. Les Américains continuent d'expliquer aux Russes qu'il serait bénéfique pour les deux d'amender le traité et les Russes, de leur dire qu'il n'est pas question de l'amender.
[Traduction]
Le président: Merci, monsieur Bertrand. C'est la cloche de la demi-heure, mesdames et messieurs, il nous reste donc beaucoup de temps.
Madame Wayne, avez-vous encore des questions?
Mme Elsie Wayne: Oui, j'en ai.
J'ai beaucoup de respect pour vous, monsieur Bon. Vous avez dit que vous n'étiez pas certain de ce que pensait le ministre de la Défense nationale de ceci, mais à titre de sous-ministre adjoint, j'imagine que vous devez en avoir une idée. Mais j'adresserai ma question à Randy.
M. Daniel Bon: Puis-je rectifier une chose. Je ne suis pas le sous-ministre.
Mme Elsie Wayne: Vous n'êtes pas le sous-ministre.
M. Daniel Bon: Non, je suis ici à titre de sous-ministre adjoint par intérim des Politiques.
Mme Elsie Wayne: Je m'excuse. Vous agissez de façon intérimaire, alors vous ne dialoguez pas avec lui comme il le fait avec son sous-ministre. Je comprends.
Ce que j'aimerais savoir, c'est si les trois éléments de nos forces armées, l'armée de terre, la marine et l'armée de l'air, sont entraînées et équipées pour répondre aux impératifs de la révolution dans les affaires militaires? Faisons-nous cela maintenant? Serons-nous prêts?
Col Randy Price: Encore une fois, je m'excuse, mais je ne suis probablement pas la bonne personne pour parler de ce sujet. Peut- être que vous pourriez mieux répondre que moi.
M. Daniel Bon: Je ne suis pas non plus la bonne personne, mais je vais à tout le moins essayer de donner un début de réponse. Est- ce que nous y pensons et est-ce que nous préparons? Absolument. Récemment, le ministère a publié un document intitulé «Stratégie 2020», qui prend comme point de départ les politiques et les projets existants. En supposant que cette politique demeure en vigueur, nous décrivons comment nous pensons nous rendre en 2020 et où nous devrions nous situer en 2020? Et nous sommes vraiment très précis sur cette question.
La révolution dans les affaires militaires relève donc du vice-chef d'état-major de la Défense, et c'est un dossier qui lui tient particulièrement à coeur et pour lequel il a organisé, je pense, deux conférences successives pour réunir non seulement les militaires mais les spécialistes de l'extérieur, y compris des Américains. C'est un dossier sur lequel le ministère travaille très activement.
Mme Elsie Wayne: Merci.
Le président: Madame Wayne. Merci.
S'il y a d'autres questions, mesdames et messieurs, vous pourriez peut-être en poser une chacun avant... Monsieur Hanger, avez-vous une dernière question?
M. Art Hanger: Monsieur Bon, vous faites partie de la direction de l'élaboration des politiques. Est-ce exact?
M. Daniel Bon: Oui, on peut dire cela.
M. Art Hanger: Comme on peut le lire dans les notes biographiques qui nous ont été remises, cette direction est responsable de l'élaboration de nouvelles orientations en fonction de l'évaluation continue qui est faite de la situation dans les pays à l'échelle internationale et elle voit aussi à confirmer que la mise en oeuvre des programmes de défense proposés est conforme à la politique existante.
• 1050
Si on examine la politique de la Défense, il semble que sur
cette question, vous présentez un point de vue raisonnable
d'acceptation prudente de ce programme au sud de la frontière.
Serait-ce une évaluation juste?
M. Daniel Bon: À coup sûr, un esprit ouvert, monsieur.
M. Art Hanger: Oui. Par ailleurs, il y a manifestement quelque chose de tout à fait erroné à la lumière de ce qu'a dit le président lorsqu'il parlait du personnel canadien à Cheyenne Mountain, concernant les quasi-restrictions pour les Canadiens qui ont été engagés—du personnel de la Défense, d'après ce que je comprends. J'ai eu de la difficulté à comprendre comment les orientations étaient prises, comment est la réalité dans des endroits comme Cheyenne Mountain au sud de la frontière, et où va toute cette information ayant trait aux orientations alors que le ministre n'a donné son opinion sur rien.
Le président: Je vais vous interrompre, si vous le permettez, monsieur Bon. Le ministre est saisi de cette question. Je peux vous l'assurer. Il appuie le fait que le Comité permanent de la défense nationale et des anciens combattants ait commencé à briser le silence dont nos gens et les Américains s'inquiétaient à Cheyenne Mountain. Nous avons entendu cela de la part des deux groupes, monsieur Hanger. La présente audience constitue le début du processus officiel d'étude de cette question importante. Le ministre appuie totalement le comité. En réalité, il existe probablement des divergences d'opinion au sein du cabinet, tout comme il y en a au Canada. Mais le cabinet et le gouvernement auront une décision à prendre, et probablement assez rapidement, sur cette question.
Nous jouons donc un rôle très important en amorçant ces audiences aujourd'hui. À Cheyenne Mountain, les Américains et les Canadiens et la classe politique à Ottawa savent qu'à titre de parlement, nous intéressons activement à cette question, et je crois que c'est très important.
M. Art Hanger: Bien.
Considérant ce point, alors, où se situe la rupture, ou la barrière, si on veut l'appeler ainsi? Est-ce au ministère des Affaires étrangères et dans certains des énoncés ou des commentaires faits par notre ministre des Affaires étrangères qui isolent les Canadiens dans un contexte américain, ou quoi? Je ne saisis pas très bien comment tout ceci évolue.
M. Daniel Bon: Je pense qu'à Cheyenne Mountain, il y a effectivement des choses auxquelles les Américains ne convient pas les Canadiens parce que nous n'avons pas encore dit que nous participions. Nous n'avons pas dit que nous voulions participer à la réflexion, à la planification et à l'élaboration de la NMD.
Mais je ne pense pas que nous devrions considérer que la faute se trouve nécessairement ou seulement de ce côté-ci de la frontière. Nos amis américains prennent parfois des décisions, puis virent de bord sans avertir leurs alliés, ce qui fait que leurs alliés ont besoin d'un certain temps pour en arriver à une conclusion quant à leur désir d'aller dans une direction en particulier. Pour ce qui est de la défense antimissile balistique, les États-Unis allaient définitivement dans une direction où il n'y avait pas d'urgence, mais ils ont soudainement décidé qu'il y avait urgence à faire des choses. Nous devons donc rattraper un retard.
Je pense que c'est une question à laquelle le Canada va s'intéresser. Le fait que présentement les Canadiens sont tenus à l'écart de certaines réunions est malheureux, mais ce n'est pas la fin du monde. Je pense que cela va s'arranger tout seul.
Le président: Merci. Merci, monsieur Hanger.
[Français]
Monsieur Laurin, une dernière question.
M. René Laurin: Monsieur le sous-ministre, je voudrais revenir sur une question que je vous ai posée plus tôt. Je trouve que vous n'êtes pas allé assez loin dans votre réponse. Quand je vous ai demandé si le Canada devrait s'attrister ou s'offusquer s'il n'était pas invité à participer au déploiement de systèmes antibalistiques, vous m'avez répondu que, si le Canada en exprimait le désir, les États-Unis l'inviteraient probablement à y participer.
Si on sollicite des États-Unis la permission d'y participer, est-ce qu'on n'aura pas l'air de se mettre à genoux devant les États-Unis en leur demandant de faire partie de leur groupe? Est-ce qu'on ne démontrerait pas ainsi une trop grande dépendance envers les États-Unis? D'autre part, le Canada pourrait dire aux États-Unis que, puisqu'ils ne l'ont pas invité, il considère qu'il a maintenant une plus grande liberté de parole, qu'il peut exprimer plus librement ses opinions qui, éventuellement, pourraient être divergentes de celles des États-Unis. Quelle serait la meilleure position à adopter, selon vous?
M. Daniel Bon: Je ne sais pas quelle est la meilleure position à adopter, mais je peux vous dire que le Canada se considère tout à fait libre de dire ce qu'il pense, que non seulement il se considère libre de dire ce qu'il pense, mais qu'il le fait.
Deuxièmement, si, au bout du compte, nous voulons indiquer à Washington que cela nous intéresse de participer à la NMD, nous n'irons pas du tout à genoux. Nous leur dirons simplement qu'après avoir mûrement réfléchi au problème et pesé le pour et le contre, nous avons décidé que c'était quelque chose qui pourrait être intéressant et que, si cela les intéresse, nous pouvons conclure un accord.
Le président: Merci, monsieur Bon.
[Traduction]
Monsieur Earle, avez-vous d'autres questions?
M. Gordon Earle: Non.
Le président: Madame Wayne.
Mme Elsie Wayne: Des ordres permanents relatifs à la NMD ont- ils été présentés à la Défense jusqu'ici?
M. Daniel Bon: Non, je ne pense pas qu'il y ait eu quoi que ce soit. Nous sommes toujours soumis aux dispositions du livre blanc de 1994, qui dit que nous pouvons conférer avec les alliés et effectuer des recherches dans des domaines pertinents.
Mme Elsie Wayne: Merci, monsieur.
Le président: Merci, madame Wayne.
Y a-t-il d'autres brèves questions de ce côté-ci? Non, bien.
Monsieur Bon, colonel Price et monsieur Betts, je vous remercie de vous être joints à nous aujourd'hui pour ce qui constitue le début de l'étude de ce sujet très important. Comme nous l'avons indiqué, je pense, les présentes audiences marquent le début d'un engagement actif en regard de cette affaire importante. Merci beaucoup. Nous avons apprécié votre concours.
M. Daniel Bon: Merci.
Le président: La séance est levée.