FAIT Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
Pour faire une recherche avancée, utilisez l’outil Rechercher dans les publications.
Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.
37e LÉGISLATURE, 2e SESSION
Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international
TÉMOIGNAGES
TABLE DES MATIÈRES
Le jeudi 13 février 2003
¿ | 0905 |
Le président (M. Bernard Patry (Pierrefonds—Dollard, Lib.)) |
Mme Gauri Sreenivasan (coordonnatrice de politiques, Conseil canadien pour la coopération internationale) |
¿ | 0910 |
Le président |
M. Stuart Clark (conseiller principal en politiques, Banque de céréales vivrières du Canada) |
¿ | 0915 |
Le président |
M. Mark Fried (communications et coordonnateur de la défense des intérêts, Oxfam Canada) |
Le président |
Mme Kathy Vandergrift (analyste principale de politique, Vision mondiale Canada) |
¿ | 0920 |
Le président |
M. Stockwell Day (Okanagan—Coquihalla, Alliance canadienne) |
M. Stuart Clark |
M. Stockwell Day |
Le président |
M. Keith Martin (Esquimalt—Juan de Fuca, Alliance canadienne) |
Le président |
Mme Kathy Vandergrift |
M. Keith Martin |
Mme Kathy Vandergrift |
Le président |
M. Stuart Clark |
¿ | 0925 |
Le président |
M. Keith Martin |
Le président |
M. Stuart Clark |
Le président |
M. Antoine Dubé (Lévis-et-Chutes-de-la-Chaudière, BQ) |
Mme Gauri Sreenivasan |
¿ | 0930 |
M. Antoine Dubé |
Mme Gauri Sreenivasan |
¿ | 0935 |
Le président |
M. John Harvard (Charleswood —St. James—Assiniboia, Lib.) |
Le président |
M. Stuart Clark |
M. Mark Fried |
¿ | 0940 |
Le président |
Mme Alexa McDonough (Halifax, NPD) |
Mme Kathy Vandergrift |
Mme Gauri Sreenivasan |
¿ | 0945 |
Le président |
M. Murray Calder (Dufferin—Peel—Wellington—Grey, Lib.) |
Le président |
M. Stuart Clark |
Le président |
M. Murray Calder |
Le président |
M. Stuart Clark |
¿ | 0950 |
Le président |
M. Bill Casey (Cumberland—Colchester, PC) |
M. Mark Fried |
M. Bill Casey |
M. Mark Fried |
M. Bill Casey |
L'hon. Diane Marleau (Sudbury, Lib.) |
M. Bill Casey |
Mme Kathy Vandergrift |
M. John Harvard |
M. Bill Casey |
M. Stuart Clark |
M. Bill Casey |
Le président |
M. Bill Casey |
Mme Kathy Vandergrift |
¿ | 0955 |
Le président |
M. Mark Fried |
Le président |
Le président |
À | 1005 |
M. David Mulroney (sous-ministre adjoint, Portefeuille Asie-Pacifique, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international) |
À | 1010 |
Le président |
Mme Jill Sinclair (directrice générale, Direction générale de la sécurité internationale, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international) |
À | 1015 |
À | 1020 |
À | 1025 |
Le président |
M. Jean-Marc Métivier (vice-président, Direction générale des programmes multilatéraux, Agence canadienne de développement international) |
L'hon. Art Eggleton (York-Centre, Lib.) |
Le président |
M. Art Eggleton |
Le président |
M. Jean-Marc Métivier |
À | 1030 |
Le président |
M. Stockwell Day |
Mme Alexa McDonough |
Le président |
M. Stockwell Day |
À | 1035 |
Le président |
M. David Mulroney |
M. Jean-Marc Métivier |
Le président |
Mme Francine Lalonde (Mercier, BQ) |
À | 1040 |
M. David Mulroney |
Mme Jill Sinclair |
Mme Francine Lalonde |
Le président |
M. David Mulroney |
Le président |
M. Art Eggleton |
À | 1045 |
Le président |
Mme Jill Sinclair |
Le président |
M. David Mulroney |
À | 1050 |
Le président |
M. Jean-Marc Métivier |
Le président |
Mme Alexa McDonough |
M. Ernest Loevinsohn (directeur général, Centre de l'aide alimentaire, Agence canadienne de développement international) |
À | 1055 |
Le président |
Mme Alexa McDonough |
Le président |
M. Jean-Marc Métivier |
Mme Alexa McDonough |
Le président |
M. John Harvard |
Le président |
M. David Mulroney |
Á | 1100 |
Le président |
M. Bill Casey |
Le président |
M. David Mulroney |
M. Bill Casey |
Mme Jill Sinclair |
M. Bill Casey |
Mme Jill Sinclair |
M. Bill Casey |
Mme Jill Sinclair |
M. Bill Casey |
Mme Jill Sinclair |
M. Bill Casey |
M. Ernest Loevinsohn |
Le président |
M. Keith Martin |
Á | 1105 |
Le président |
M. David Mulroney |
Mme Jill Sinclair |
Le président |
M. Keith Martin |
Le président |
M. Deepak Obhrai (Calgary-Est, Alliance canadienne) |
Le président |
M. Ernest Loevinsohn |
Le président |
M. David Mulroney |
M. Deepak Obhrai |
Le président |
Á | 1110 |
Mme Francine Lalonde |
Le président |
Mme Francine Lalonde |
Le président |
La vice-présidente (Mme Diane Marleau) |
M. Mark Malloch Brown (administrateur, Programme des Nations Unies pour le développement) |
Á | 1130 |
Á | 1135 |
Á | 1140 |
La vice-présidente (Mme Diane Marleau) |
M. Deepak Obhrai |
Á | 1145 |
Mark Malloch Brown |
Á | 1150 |
M. Deepak Obhrai |
La vice-présidente (Mme Diane Marleau) |
Mme Francine Lalonde |
Mark Malloch Brown |
La vice-présidente (Mme Diane Marleau) |
Mme Francine Lalonde |
La vice-présidente (Mme Diane Marleau) |
M. Murray Calder |
Á | 1155 |
La vice-présidente (Mme Diane Marleau) |
Mme Alexa McDonough |
La vice-présidente (Mme Diane Marleau) |
M. Keith Martin |
 | 1200 |
La vice-présidente (Mme Diane Marleau) |
Mark Malloch Brown |
 | 1205 |
 | 1210 |
La vice-présidente (Mme Diane Marleau) |
CANADA
Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international |
|
l |
|
l |
|
TÉMOIGNAGES
Le jeudi 13 février 2003
[Enregistrement électronique]
¿ (0905)
[Français]
Le président (M. Bernard Patry (Pierrefonds—Dollard, Lib.)): Avec votre permission, nous allons commencer.
Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, nous étudions les questions de politique alimentaire et agricole affectant les politiques de développement.
[Traduction]
Nous avons le plaisir d'accueillir ce matin Mme Gauri Sreenivasan, du Conseil canadien pour la coopération internationale, M. Stuart Clark, de la Banque de céréales vivrières du Canada, M. Mark Fried, d'Oxfam Canada, et Mme Kathy Bandergrift, analyste principal de politiques à Vision mondiale Canada.
Comme vous le savez, vous avec quelques minutes chacun pour présenter votre exposé. La réunion va durer jusqu'à 10 heures. Les membres du comité auront cinq minutes chacun pour les questions et réponses.
Nous commencerons par Mme Gauri Sreenivasan, du Conseil canadien pour la coopération internationale.
La parole est à vous.
Mme Gauri Sreenivasan (coordonnatrice de politiques, Conseil canadien pour la coopération internationale): Merci.
Je m'appelle Gauri Sreenivasan. Je travaille pour le Conseil canadien pour la coopération internationale.
Nous allons essayé d'être très brefs pour garder le plus de temps possible pour la discussion. En un mot, nous représentons tous des organismes actifs au sein du Groupe canadien de réflexion sur la sécurité alimentaire. Ce sont des organismes qui travaillent concrètement et depuis longtemps avec des agriculteurs qui sont parmi les plus pauvres au monde, en Asie, en Afrique et en Amérique latine. Nous oeuvrons avec la plus grande rigueur morale à améliorer leur sécurité alimentaire et à répondre à leurs besoins de développement, mais nous soulignons aussi l'importance de l'engagement du Canada à chercher à réduire de moitié le nombre de personnes qui ont faim dans le monde d'ici l'année 2015, c'est-à-dire très bientôt.
Le Canada a affirmé le droit de chacun à pouvoir se nourrir, et les questions de sécurité alimentaire pour les pauvres sont à notre avis au coeur des obligations du Canada dans le cadre de la Convention des droits de l'homme des Nations Unies.
Pourquoi sommes-nous venus vous parler aujourd'hui des négociations à l'OMC? Simplement pour vous dire que nous savons qu'il va y avoir une importante réunion ministérielle, la cinquième réunion ministérielle de l'OMC, à Cancun, cette année, en 2003. Pour nous, Cancun sera le test déterminant des mesures concrètes qui seront prises pour mettre en oeuvre le programme de Doha. Il y a plus d'un an, à Doha, les pays du monde ont pris divers engagements sur les questions de commerce et de développement. Doha a constitué une étape très importante, mais il ne s'agissait que d'un ensemble de paroles; c'était un engagement à travailler au développement.
Cancun correspond au passage à l'action. Ce sera la première fois qu'on pourra voir si les pays du monde sont prêts à transformer leurs engagements de Doha en actions concrètes au profit des pauvres de la planète.
Pour nous, il n'est pas exagéré de dire que l'agriculture est le sujet central du développement dans les débats de l'Organisation mondiale du commerce. Toutes les questions sont importantes, mais nous parlons de la situation de pays en développement où au moins 50 p. 100 de la population tirent son existence de l'agriculture.
Dans les pays les moins développés, cette proportion monte même à 70 ou à 80 p. 100. C'est un dossier d'une importance extrême. Ce n'est pas un secteur de l'économie, c'est la quasi totalité de l'économie. Rien n'est plus important que l'agriculture pour le développement.
Nous vous rencontrons donc en cette fin de février parce que le moment est critique. La réunion ministérielle n'aura lieu qu'en septembre, mais la fin mars est la date limite à laquelle les pays devront avoir annoncé leur position dans les négociations sur l'agriculture.
Les pays se sont engagés à énoncer avant la fin mars ce qu'on appelle en jargon de l'OMC les «modalités» des négociations. Autrement dit, toutes les propositions susceptibles d'être présentées doivent être sur la table avant la fin mars. Il faut donc faire pression pour que la position du Canada soit claire pour cette date.
Enfin, nous sommes ici pour verrouiller avec vous un mécanisme très important de reddition de comptes. Votre comité s'est penché avec beaucoup d'énergie et d'intérêt sur la question de la sécurité alimentaire et des problèmes des pauvres en mai dernier quand il a examiné les recommandations à soumettre au gouvernement sur la mise en oeuvre du programme de Doha.
Vous avez formulé une recommandation très importante et bien précise: vous avez demandé au gouvernement canadien d'étudier soigneusement des propositions pour un dossier de développement.
Durant l'été, le ministre vous a répondu ainsi qu'au public canadien en reconnaissant que ces questions étaient importantes. Le gouvernement a dit qu'il était d'accord pour examiner ces propositions et a promis d'avoir une rencontre avec les ONG à l'automne pour examiner le sens de ces propositions.
Nous avons rencontré les représentants du gouvernement et nous sommes venus vous dire qu'à cette table ronde—dont le rapport figure dans les trousses qui sont au fond de la salle, et vous a été distribué aussi je crois—, le Canada n'a pas vraiment répondu aux propositions centrales de ce dossier de développement.
Il a sa propre stratégie face aux problèmes de développement et nous pourrons en discuter un peu plus tout à l'heure, mais on n'a répondu à aucune des propositions centrales émanant des pays en développement.
Autrement dit, le gouvernement canadien avait promis d'examiner ces questions à l'automne, mais à notre avis il n'a toujours rien fait de concret. Il est donc essentiel de le relancer sur ces questions d'ici à la fin mars.
Mes collègues vont maintenant aborder les propositions et les domaines d'action clé.
¿ (0910)
[Français]
Je veux seulement préciser que toutes les présentations seront en anglais, mais que les questions en français seront les bienvenues; nous y répondrons en français.
[Traduction]
Le président: M. Stuart Clark est conseiller principal en politiques à la Banque de céréales vivrières du Canada. Monsieur Clark, vous avez la parole.
M. Stuart Clark (conseiller principal en politiques, Banque de céréales vivrières du Canada): Merci, monsieur le président.
Nous sommes ici pour vous parler de nos inquiétudes. Nous souhaitons vous dire en quelques mots que nous approuvons avec enthousiasme un certain nombre de mesures prises par le Canada dans ces négociations. Nous tenons notamment à souligner les efforts de la ministre Whelan pour accroître le soutien au développement agricole, qui a constitué un des éléments clés de ce qu'on a appelé la décision de Marrakech, et pour réviser la politique d'aide alimentaire canadienne, le programme d'aide alimentaire, qui a été réduit de 70 p. 100 au cours des 10 dernières années. C'est une évolution qui nous réconforte.
Nous souhaitons aussi réaffirmer l'appui du Canada à la gestion des approvisionnements et à la Commission canadienne du blé, car ces deux structures donnent aux agriculteurs un peu plus de poids sur le marché, et c'est à notre avis une question d'importance énorme pour de nombreux agriculteurs de pays en développement.
J'aimerais maintenant passer aux choses que nous n'aimons pas, avec beaucoup plus d'insistance.
Je souhaiterais d'abord aborder une question qui est au coeur de la compréhension des ententes du GATT. La principale cause de distorsion des échanges commerciaux mondiaux, ce sont les subventions des pays du Nord. Vous êtes tous au courant du problème des subventions européennes et américaines. Elles ont de graves répercussions ici. Elles conditionnent la vie et la mort de certains pays en développement. La stratégie du Canada jusqu'ici a consisté à signaler le niveau excessivement élevé de ces subventions et à les dénoncer en termes de plus en plus fermes.
Toutefois, les pays en développement ont demandé à pouvoir utiliser un instrument de défense contre ces subventions. Plus précisément, ils ont demandé une mesure compensatrice simplifiée: un tarif douanier supplémentaire qui serait imposé aux importations en provenance de pays à forte subvention, un droit qui correspondrait au montant de la subvention. Ils ont énergiquement appuyé cette revendication. De nombreux agriculteurs du Sud ont dit: «Avec le Cycle de l'Uruguay, vous nous avez offert une maison sans portes. Dans ce Cycle de Doha, nous vous demandons de nous donner une porte et une serrure pou r que nous puissions empêcher les voleurs d'entrer quand ils le veulent.» C'est une question centrale qui ne concerne pas le développement, mais plutôt la structure fondamentale du régime commercial international. Ces outils de défense sont absolument essentiels.
En second lieu, il y a toutes les questions de développement que nous avons évoquées avec vous l'an dernier, notamment la nécessité pour les pays en développement de pouvoir appliquer une politique tarifaire souple. La politique tarifaire est à peu près le seul outil stratégique dont disposent de nombreux pays en développement. Ils n'ont pas d'argent pour subventionner leurs agriculteurs, pour les aider en cas de catastrophes, pour assurer les récoltes, etc. Pour eux, les tarifs douaniers sont le seul moyen de se protéger contre un chômage massif dans le secteur économique le plus important pour eux. Il est donc essentiel que le Canada appuie la suggestion d'exempter certaines récoltes de réductions tarifaires supplémentaires.
Enfin, à ce sujet, il y a la question de la manière dont on utilise l'aide gouvernementale limitée. Dans les pays du Nord, nous voulons utiliser cette aide gouvernementale pour restreindre la production parce que nous avons un problème de surproduction qui fait baisser les cours. Dans les pays en développement, c'est le contraire. Ils ont besoin d'utiliser les fonds publics limités dont ils disposent pour accroître leur production. Nous souhaitons par conséquent que le Canada appuie une forme de soutien intérieur qui permettrait d'accroître la production.
Ce sont donc là les points essentiels que je voulais souligner, monsieur le président: premièrement, la question de la justice et de la structure fondamentale du régime d'échanges commerciaux internationaux, et deuxièmement le développement.
Merci.
¿ (0915)
Le président: Merci beaucoup, monsieur Clark.
Nous passons maintenant à Mark Fried, coordonnateur des communications et de la défense des intérêts à Oxfam Canada. Monsieur Fried, allez-y.
M. Mark Fried (communications et coordonnateur de la défense des intérêts, Oxfam Canada): Merci beaucoup.
Très brièvement, je voudrais répéter que nous avons malheureusement constaté que la stratégie du Canada dans ces négociations ne nous permettait même pas d'atteindre les objectifs énoncés par le ministre. Le ministre a dit clairement que ce cycle de négociation commerciale devait déboucher sur un développement réel et qu'on allait donner aux pays en développement des arguments pour les convaincre de se joindre au régime mondial d'échanges commerciaux. Malheureusement, dans cet accord sur l'agriculture, qui est le plus important pour les pays en développement, le Canada n'a pas proposé ou appuyé de mesures contribuant vraiment au développement.
En outre, le Canada s'en est tenu à ses propres intérêts, à savoir la réduction des subventions aux États-Unis et en Union européenne et la recherche d'un meilleur accès aux marchés d'exportation du Canada. D'ailleurs, nous pensons que même ces objectifs n'ont pas été mis de l'avant très habilement par le Canada. Si le Canada souhaite vraiment amorcer une réduction des subventions américaines et européennes, il faut qu'il appuie des mesures qui permettront de faire pression sur ces pays en les pénalisant économiquement s'ils continuent à maintenir un régime de forte subvention grâce par exemple à des mesures compensatrices, comme vient de le dire mon collègue Stu Clark.
Je dois dire que ces mesures compensatrices ne sont qu'un exemple. C'est ce que les Philippines ont fait, et elles ont eu l'appui de nos alliés du groupe de Cairns, notamment de l'Australie et de la Nouvelle-Zélande.
Mais le Canada pourrait appuyer d'autres mesures. Si nous voulons que les pays en développement appuient le Canada, nous devons répondre à leurs besoins réels. Cela veut dire notamment prendre des mesures pour contrer le dumping qui constitue la principale cause de distorsion du système mondial d'échanges agricoles; prendre des mesures pour améliorer la sécurité alimentaire, par exemple soutenir la production intérieure et exempter des réductions de droits de douane les récoltes de première nécessité, comme l'a dit rapidement Stuart.
Si les pays en développement estiment qu'ils n'ont rien à retirer de cet accord agricole, ils quitteront les négociations. Leurs délégations nous l'ont dit très clairement. S'ils s'en vont, il n'y aura pas d'accord de Cancun ni de cycle du développement.
Merci.
Le président: Merci beaucoup, monsieur Fried.
Nous passons maintenant à Mme Kathy Vandergrift, analyste principale de politique à Vision mondiale Canada. Vous avez la parole.
Mme Kathy Vandergrift (analyste principale de politique, Vision mondiale Canada): Merci.
En plus de son rapport avant le cycle de Doha, votre comité a aussi fait des déclarations importantes sur ce programme dans son rapport rédigé avant le Sommet du G-8 sur l'Afrique; vous y demandiez notamment des règles commerciales «explicitement destinées à bénéficier aux peuples et aux régions les plus pauvres, en accordant une attention particulière aux besoins de l'Afrique». Je pense que nous avons bien expliqué pourquoi la stratégie actuelle du gouvernement laisse à désirer. Nous suggérons à votre comité d'inviter le gouvernement à revoir sa stratégie, avant tout parce que ce n'est pas la bonne stratégie pour contrer les subventions des pays du Nord. Il faut être plus ferme et il faut exhorter l'Union européenne et les États-Unis à réduire leurs subventions.
Deuxièmement, la stratégie actuelle est dangereuse pour les producteurs pauvres. Il faut que le comité dise au gouvernement de renoncer à sa démarche actuelle et de réviser sa stratégie. Ensuite, vous pourriez demander un rapport sur les propositions concrètes du dossier du développement pour savoir ce que le Canada va appuyer. Je pense que ce sont deux demandes bien précises. Si vous pouviez les présenter avant la fin mars, ce serait certainement très utile.
Cet accord va avoir des retombées très importantes pour le Canada et d'autres pays. Certains vous diront qu'il mériterait un débat au Parlement. Je n'en suis pas sûre, mais votre comité pourrait au moins revenir sur cette question afin la fin de mars.
Merci.
¿ (0920)
Le président: Merci beaucoup pour la concision et la précision de votre exposé.
Nous passons maintenant aux questions. Nous commençons par M. Day.
M. Stockwell Day (Okanagan—Coquihalla, Alliance canadienne): Merci, monsieur le président. Je vais partager mon temps avec le docteur Martin.
Merci à tous d'être venus et d'avoir été aussi francs. Nous apprécions cela.
Peut-être pourrais-je commencer par un commentaire. Il y a deux jours, notre leader, Stephen Harper, et moi-même avons rencontré tous les ambassadeurs de l'Union européenne au Canada. C'était l'une de nos principales préoccupations; et naturellement aussi nous nous préoccupions du Farm Bill américain et des distorsions qu'il entraîne. Notre inquiétude a cependant été quelque peu atténuée par une réponse du porte-parole des ambassadeurs de l'Union européenne qui nous a dit que l'Union avait un arrangement spécial avec les pays africains pour les aider à faire face au problème des subventions, ce qui leur permet, sinon de supprimer complètement le problème, du moins de l'atténuer.
Je ne savais pas cela, c'était nouveau pour moi. Êtes-vous au courant de cet arrangement spécial en vertu duquel ces pays peuvent échapper aux distorsions entraînées par ces subventions regrettables et excessives de l'Union européenne?
M. Stuart Clark: Je crois que ce dont ils vous parlaient, monsieur Day, c'est de l'accès à leurs marchés. En vertu de l'Accord de Cotonou, les pays africains ont un accès particulier au marché européen. Je ne vois pas en quoi cela répond au problème inverse, celui des importations fortement subventionnées qui entrent en Afrique.
M. Stockwell Day: Bon. Merci.
Le président: Monsieur Martin, allez-y.
M. Keith Martin (Esquimalt—Juan de Fuca, Alliance canadienne): Merci beaucoup.
Merci à tous d'être venus et merci de votre excellent travail sur cette importante questions.
Très rapidement, madame Vandergrift, pourriez-vous nous dire comment nous pourrions faire preuve de plus de fermeté à l'égard des subventions européennes et nord-américaines?
Ensuite, monsieur Clark, pourriez-vous nous en dire un peu plus sur les droits compensatoires que vous envisageriez? Pourriez-vous nous éclairer un peu à ce sujet?
Merci.
Le président: Madame Vandergrift, à vous.
Mme Kathy Vandergrift: Cette fermeté consisterait à donner aux pays en développement des mécanismes de défense contre ces subventions. Si ces mécanismes existaient, ils pourraient vraiment faire pression pour réduire les subventions des pays subventionnaires qui voudraient avoir accès à ces pays en développement. Il faut leur donner ces mécanismes de défense, or c'est quelque chose qui n'apparaît pas jusqu'à présent dans la stratégie canadienne.
M. Keith Martin: Vous parlez de mesures compensatoires.
Mme Kathy Vandergrift: Oui.
Le président: Monsieur Clark, allez-y.
M. Stuart Clark: Si vous le permettez, j'aimerais ajouter une petite précision. Chaque année, les pays doivent informer le Comité de l'agriculture de l'OMC de leurs subventions. Ils soumettent ces informations chaque année, et elles ont donc toujours un an de retard. La proposition de meures compensatoires qui a été déposée pour la première fois en septembre par les Philippines et reprise ensuite par plusieurs pays en développement membres du Groupe de Cairns en novembre, reprend cette notion en disant que les pays devraient avoir le droit d'appliquer un droit compensatoire équivalent au montant de la subvention versée l'année précédente pour la denrée en question.
Ce mécanisme ne serait pas nécessairement utilisé. Une mesure compensatoire n'a rien d'obligatoire, c'est un simple outil potentiel dont ces pays pourraient se servir si l'on établissait ce mécanisme.
En raison des contraintes imposées par les prêts que leur consent le FMI, de nombreux pays en développement ont très peu de marge de manoeuvre dans les mesures commerciales qu'ils peuvent prendre. Mais si vous pouvez disposer de ces droits compensatoires, ils pourraient s'en servir pour protéger leurs agriculteurs tant que ces fortes subventions seraient maintenues. Une fois qu'elles diminueraient, le droit compensatoire disparaîtrait.
J'aimerais faire une dernière petite remarque. Il est évident que certaines exportations canadiennes pourraient entraîner l'imposition d'un petit droit compensatoire compte tenu des subventions que nous versons à nos agriculteurs. Toutefois, ce serait infime comparativement aux droits compensatoires beaucoup plus élevés qui s'appliqueraient aux importations en provenance d'Europe et des États-Unis, de sorte que le marché se développerait probablement et que le Canada en profiterait. Je crois que c'est cet argument qui a convaincu l'Australie de se rallier à cette stratégie.
¿ (0925)
Le président: Merci.
Avez-vous une question supplémentaire, monsieur Martin?
M. Keith Martin: Oui.
Monsieur Clark, je vous remercie pour tout le travail que vous faites, particulièrement pour votre aide pour la lutte contre la famine en Afrique australe.
Pourriez-vous nous dire brièvement quels principaux obstacles vous avez rencontrés pour obtenir les denrées alimentaires dont vous avez besoin, que vous envoyez pour alléger la famine aiguë, et ce que vous nous recommandez de proposer pour vous permettre de faire parvenir davantage de denrées alimentaires dans la région?
Le président: Monsieur Clark, nous vous écoutons.
M. Stuart Clark: Brièvement, le principal problème ici en est un que vous connaissez bien, c'est-à-dire des limites financières. La Banque de céréales vivrières du Canada envoie environ 50 000 tonnes d'aliments chaque année. Cette année, nous sommes intervenus massivement pour combattre la crise alimentaire en Afrique australe qui a été suivie immédiatement d'une demande d'aide en Éthiopie. Nous avons complètement épuisé nos réserves pour envoyer 10 000 tonnes d'aliments en Éthiopie.
Le problème en ce qui a trait à l'aide alimentaire au Canada c'est que de façon générale cette ressource connaît une baisse marquée, soit de 70 p. 100 au cours des années 90. Comme je l'ai dit dans mes observations liminaires, il semblerait qu'étant donné que des fonds seront disponibles pour l'aide internationale et que le ministre s'intéresse à l'aide alimentaire, il pourrait y avoir une reprise dans ce domaine. Mais là c'est le principal problème. Il ne s'agit pas d'un problème de logistique, et il ne s'agit pas non plus d'un problème de surveillance pour s'assurer que les aliments arrivent bien à destination et sont bien utilisés; il s'agit tout simplement d'avoir accès aux ressources nécessaires pour le faire.
[Français]
Le président: Monsieur Dubé.
M. Antoine Dubé (Lévis-et-Chutes-de-la-Chaudière, BQ): Je vais m'adresser aux organismes ici présents. Vous dites être membres d'une coalition qui fait des représentations auprès du gouvernement du Canada, en l'occurrence, aujourd'hui, auprès de notre comité.
On parle ici d'une approche internationale. Pourriez-vous décrire les relations qui vous lient à des organisations qui ont un mandat international?
On ne parle pas ici d'un seul pays. Pour ma part, j'ai entendu le gouvernement canadien dénoncer certaines situations. On peut prendre, à cet égard, l'exemple de M. Chrétien au Sommet du G-8. Cependant, les interventions ne durent souvent que cinq minutes; elles sont reprises mais c'est ensuite terminé.
Bref, décrivez-nous les moyens dont vous disposez pour vous faire entendre à l'échelle internationale.
Mme Gauri Sreenivasan: C'est, bien sûr, un des dilemmes les plus importants parce que, comme vous l'avez dit, le problème se situe vraiment à l'échelle internationale. Ce n'est pas seulement la position du Canada qui est en cause.
En ce qui nous concerne, nous entretenons des relations de travail très étroites avec les ONG, les groupes de fermiers, entre autres en Europe et aux États-Unis, ainsi qu'avec nos partenaires de l'hémisphère Sud.
Nous échangeons de l'information sur les stratégies et les positions adoptées, ainsi que sur celles qui sont en voie de changer. Il nous arrive d'exercer des pressions collectives à Genève. Par exemple, dans la semaine qui vient, Stewart s'en va à Genève.
On a aussi des relations avec la presse. C'est de cette façon qu'on a appris que les ONG australiennes avaient réussi à convaincre leur gouvernement d'appuyer certaines mesures que le Canada n'a pas encore adoptées.
Le plus important pour nous, ce sont les relations avec les paysans et les groupes qui travaillent dans les pays de l'hémisphère Sud. Les stratégies qu'on retrouve en ces endroits sont assez diverses. À mon avis, il faut être franc et dire qu'un très grand nombre de groupes veulent prendre des mesures beaucoup plus radicales. Par exemple, ils sont présentement favorables à l'idée de faire abstraction de l'OMC ou de ne pas avoir d'accord sur l'agriculture.
Pour nous, c'est très intéressant de voir que, confrontés à des pressions réelles et politiques, certains gouvernements de pays en voie de développement de l'hémisphère Sud ont au moins soumis des propositions plutôt pragmatiques. On peut constater qu'ils sont conscients de la situation.
Voyez ce qui se passe aux frontières du Mexique. Des milliers de fermiers manifestent. Le gouvernement du Mexique et plusieurs autres gouvernements de l'hémisphère Sud, face à ces pressions réelles, nous ont dit avoir affirmé leur besoin de disposer d'outils plus flexibles afin d'assurer la survie de leurs petits fermiers.
Je crois qu'il faut prendre conscience de ces pressions politiques; ça ne donne rien de rêver de créer un autre Seattle Park à Cancun, par exemple. C'est un lieu où on assistera à une importante mobilisation. Beaucoup de pressions seront exercées.
Nous traversons une période où il devient critique d'adopter une solution multilatérale. À notre avis, il est important que le Canada réfléchisse à tous ces signes de nature politique que nous recevons par le biais de nos réseaux internationaux.
¿ (0930)
M. Antoine Dubé: J'ai fait un voyage relativement court dans les pays scandinaves; on y est assez fortement en faveur de l'aide internationale. Par contre, ils n'ont pas un comportement exemplaire à d'autres égards, notamment au sujet de ce qui constitue vos exigences.
À propos des pays qui peuvent servir d'exemple, vous venez de mentionner l'Australie. Par contre, il est évident que les États-Unis ont présentement d'autres préoccupations, notamment l'Irak. Selon vous, à quels pays le Canada pourrait-il s'allier pour faire en sorte d'obtenir ce qu'il revendique?
Mme Gauri Sreenivasan: La question est de savoir où sont nos alliés. C'est intéressant parce qu'à l'OMC, les pays européens traditionnellement progressifs, par exemple, sont dans le bloc de l'Union européenne. Là, les pays expriment leur position en bloc plutôt. Ce n'est pas comme aux Nations Unies, où on voit, par exemple, la diversité des positions européennes qui nous offrent plus de perspectives.Le Canada est là en tant que pays de la Quadrilatérale. On est dans le groupe ayant le plus de puissance économique au sein de l'OMC. Pour moi, les alliés du Canada dans son agenda, contre ses partenaires de la Quadrilatérale, soit l'UE et les États-Unis, sont vraiment les pays en voie de développement. Il est plus difficile de trouver des alliés en Europe, parce qu'ils ont ce même problème avec leurs programmes d'appui. Mais les pays comme les Philippines, la Thaïlande et les pays avec... Traditionnellement, le Canada n'a pas beaucoup travaillé avec des pays comme l'Inde ou avec les pays du bloc africain. Ce sont eux qui mettent ces propositions sur la table. Ce sont eux qui regardent pour voir s'il y a une flexibilité dans le Nord pour qu'on puisse conclure d'autres accords au sein de l'OMC, sur l'investissement ou sur quoi que ce soit d'autre. C'est là que le Canada n'a pas trouvé d'alliés. Je pense donc qu'il est très important qu'on en trouve dans le Sud, pas seulement pour servir nos intérêts sur d'autres questions, mais pour la question du développement, parce que c'est ce qu'on dit. Au Canada, on dit appuyer un agenda de développement, mais on garde nos stratégies, qui sont assez minces. Il est important qu'on travaille plutôt avec les pays au Sud.
¿ (0935)
[Traduction]
Le président: Nous allons maintenant donner la parole à M. Harvard.
M. John Harvard (Charleswood —St. James—Assiniboia, Lib.): Merci, monsieur le président.
J'aimerais que vous me parliez un peu de la proposition de mesures compensatoires. Les mesures compensatoires créent en fait un mur, peut-être temporaire, mais néanmoins un mur tout autour d'un pays. Les subventions ont l'effet contraire de faire baisser les prix. Les unes peuvent être aussi destructrices que les autres. Dites-vous que les mesures compensatoires ne devraient s'appliquer qu'aux pays du tiers monde, qu'elles ne pourraient s'appliquer à des pays comme le Canada, les États-Unis, des pays où les subventions sont élevées?
Une autre chose que je voudrais vous demander, c'est de me donner un exemple de l'effet destructeur de ces subventions pour les pays du tiers monde—en d'autres termes, le fait que des importations bon marché entrent dans ces pays et fassent une concurrence déloyale à l'agriculture locale de ces pays et puissent même les détruire?
Enfin, je crois vous avoir entendu dire que les mesures compensatoires seraient peut-être un outil temporaire, c'est-à-dire qu'elles pourraient être éliminées, si les subventions diminuaient. Croyez-vous que dans un monde idéal—et je suppose que nous parlions vraiment ici d'un monde idéal—, dans un monde où les subventions n'existeraient pas, ni au Canada, ni aux États-Unis, ni en Europe ni ailleurs, les pays du tiers monde auraient l'infrastructure pour faire concurrence au reste du monde, particulièrement à des pays comme le Canada, les États-Unis et les pays d'Europe qui ont la technologie agricole la plus moderne, productive et efficace?
Le président: Merci, monsieur Harvard.
M. Clark.
M. Stuart Clark: J'aimerais répondre à la première question et demander ensuite à mon collègue M. Fried de répondre aux deux dernières questions de M. Harvard.
En ce qui concerne les mesures compensatoires, la première chose qu'il faut faire consiste à reconnaître qu'au sein du GATT et de tous les régimes commerciaux, les mesures compensatoires sont légitimes: c'est une façon d'empêcher de transmettre son problème à un autre pays. Ces mesures sont absolument fondamentales pour le régime commercial international. L'entente sur les subventions et les droits compensatoires permet que ce soit possible.
Le problème c'est que l'on doit normalement prouver que 80 p. 100 des membres d'un secteur en particulier sont touchés avant de pouvoir prendre une telle mesure. Eh bien, on peut fort bien s'imaginer qu'il est clairement impossible que les agriculteurs du Mali qui représente 80 p. 100 de la population puissent apposer leurs signatures ou leurs empreintes digitales au bas d'un document pour indiquer que 80 p. 100 d'entre eux ont été lésés. Cet outil, qui est tout à fait légitime dans le cadre du GATT, n'est simplement pas disponible pour les pays en voie de développement.
Naturellement, je comprends que l'on se préoccupe du fait qu'en rendant le processus plus facile on puisse y recourir plus souvent. Cette mesure compensatoire spéciale ne serait offerte qu'aux pays en voie de développement, seulement dans les cas où les exportations sont subventionnées, et seulement pour ces denrées. Et il est tout à fait possible... Le mécanisme de base en fait prévoit que cette mesure serait limitée dans le temps. Naturellement, il s'agit de savoir comment ces subventions sont calculées pour déterminer ce qui sera légitime ou non. La proposition des Philippines explique cela en détail.
Mark.
M. Mark Fried: C'est une bonne question.
Tout d'abord, pour ce qui est des dommages causés par le dumping, le dumping d'un produit est la vente d'un produit en-dessous du coût de production. Les pays pauvres qui ont opté pour la libéralisation des marchés ne peuvent pas se défendre efficacement contre l'entrée de produits dont les prix sont inférieurs aux coûts de production.
Lorsque les produits sont vendus sur le marché international en-dessous du coût de production—et les États-Unis et l'Union européenne en moyenne vendent les céréales à environ 60 p. 100 du coût de production à l'étranger, et personne ne pourrait produire ces céréales à un prix moins élevé—, cela fait baisser les cours sur le marché mondial. Lorsqu'un pays pauvre adopte une politique de marché libre, le prix sur le marché mondial devient le prix local, de sorte que les agriculteurs ne peuvent vendre leur récolte dans leur propre village ni même sur le marché national. Les agriculteurs pauvres sont confrontés aux problèmes d'accès à leur propre marché, non pas un problème d'accès au marché mondial.
Prenons par exemple le cas des producteurs de riz en Haïti—et nous avons une étude dont je vous ferai un plaisir de vous en remettre un exemplaire. Oxfam a travaillé là-bas avec les producteurs de riz pendant de nombreuses années. Il y avait 50 000 personnes qui vivaient de la culture du riz, et, oui, elles étaient protégées par une barrière tarifaire. Ces barrières tarifaires ont été éliminées à la suite des pressions faites par les États-Unis, et les États-Unis ont inondé le pays avec du riz extrêmement subventionné. Pratiquement tous les producteurs de riz ont perdu leur gagne-pain. On parle ici de 50 000 familles qui n'ont pas d'autre gagne-pain. Le prix du riz est tout simplement trop bas pour qu'ils puissent continuer de produire cette culture, et ils n'ont pas d'autre moyen de survivre ni nulle part d'autre où aller. Cela s'est produit dans des pays partout dans le monde.
Pour ce qui est de savoir si les pays du tiers monde peuvent être concurrentiels, le défi pour ces pays du tiers monde et peut-être pour le système à l'échelle internationale est le suivant: si nous nous dirigeons vers un système plus libéralisé, qui en paiera le coût? Selon les règles actuelles, ce sont les pays pauvres et les agriculteurs pauvres qui n'ont pas les ressources qui doivent en payer le coût. Donc, si les barrières tarifaires sont éliminées dans le monde entier, ce sont les pauvres producteurs de riz en Haïti qui perdent leur gagne-pain, mais le gouvernement d'Haïti n'a pas les moyens pour offrir un filet de sécurité à ces agriculteurs.
Les mesures qu'ont proposées les pays en voie de développement au cours de ces négociations visent à rétablir l'équilibre afin que les coûts soient répartis plus équitablement. Pour les pays en voie de développement qui participent au marché mondial, développer des exportations qui leur permettent d'être concurrentiels—et il existe des exportations pour lesquelles les pays en voie de développement sont très concurrentiels—constitue une partie essentielle de leur propre plan de développement, mais ce n'est qu'un élément parmi beaucoup d'autres. Le développement de leurs exportations dans le domaine de l'agriculture doit leur permettre d'atteindre leur objectif de réduction de la pauvreté. Cela s'inscrit dans une stratégie de réduction de la pauvreté, mais ce n'est pas un objectif en soi, car nous avons une production à l'exportation qui n'a profité qu'à quelques élites et qui n'a pas été intégrée à une stratégie de développement plus générale ou à une stratégie de lutte contre la pauvreté dans bon nombre de pays.
¿ (0940)
Le président: Nous allons maintenant donner la parole à Mme McDonough.
Mme Alexa McDonough (Halifax, NPD): Merci beaucoup, monsieur le président, et merci beaucoup à la délégation qui a fait un exposé très direct sur des questions très complexes.
J'aurais deux questions à vous poser rapidement. Je veux que vous ayez amplement de temps pour répondre aux questions.
Ma première question est la suivante: Très spécifiquement, lorsque vous avez communiqué avec notre comité à la fin du mois de janvier, vous vouliez savoir quelle était la possibilité d'une séance conjointe avec le comité de l'agriculture. Cela ne s'est pas concrétisé. Je me demande simplement si vous avez prévu rencontrer ce comité séparément.
Deuxièmement, j'ai lu les objectifs du Groupe de réflexion sur la sécurité alimentaire et je pense que les Canadiens approuveraient sans réserve vos objectifs, tout en reconnaissant qu'il y a invariablement des interdits concurrentiels et contradictoires entre les producteurs alimentaires du Canada et les gens qui ont faim dans les pays en voie de développement et envers lesquels nous avons la responsabilité d'exprimer une solidarité réelle—c'est-à-dire non pas seulement par des mots, comme vous le dites, mais par des politiques concrètes.
Je voudrais savoir si jusqu'à présent, vous avez fait vos devoirs... La réunion de Cancun approche. Le Canada devra prendre position sur les modalités et tenter de façonner tout cela. Est-ce parce que le Canada n'a pas encore réglé la question des intérêts concurrentiels et contradictoires—en d'autres termes, parce que l'on n'a pas réussi à résoudre ou à concilier ces derniers—ou est-ce plutôt par défaut que le Canada ne semble pas s'avancer comme étant un intervenant important? Cela fait vraiment partie de la question plus générale que nous posons quant au rôle du Canada dans le monde d'aujourd'hui si nous voulons être un citoyen international proactif et progressiste.
Mme Kathy Vandergrift: Lorsque nous avons rencontré le ministère en novembre, je leur ai posé exactement cette question. Le négociateur en chef a déclaré que pour le moment ils estimaient que la meilleure stratégie était de viser uniquement les subventions des États-Unis et de l'Union européenne. Nous faisons valoir que cette stratégie n'est peut-être pas la meilleure, certainement pas à ce point-ci.
C'est donc ce qu'on nous a dit, c'est-à-dire qu'ils voulaient mettre l'accent sur cela et seulement cela, rien d'autre.
Il y a ensuite l'engagement envers une politique unique pour tous. Ce thème a été soulevé. Nous faisons valoir que l'écart est trop grand en ce moment pour avoir une politique unique—peut-être que cela sera possible un jour, mais pas à l'heure actuelle.
Je conclus rapidement en répondant à la question de M. Harvard. Je reviens aux donneurs canadiens. Les citoyens canadiens appuient des projets avec des coopératives agricoles—par exemple, le microcrédit et ce genre de choses—et des projets qui sont à risque. Donc, les choses que les Canadiens appuient sont à risque d'après les scénarios que soulève Mark Fried.
Pour ce qui est de l'infrastructure, je ne pense qu'aucun d'entre nous dit que c'est là la seule réponse. C'est pourquoi nous avons mentionné que la politique agricole de l'ACDI n'est qu'un élément parmi tant d'autres. Mais il s'agit d'un élément très important, et il risque de mettre en danger tous les autres si nous ne faisons pas la bonne chose.
Nous estimons donc que le Canada fait erreur en visant un objectif très étroit.
Mme Gauri Sreenivasan: J'aurais une petite réponse complémentaire à votre première question. Nous ne nous sommes toujours pas engagés à comparaître devant le comité de l'agriculture, mais nous y songeons et nous savons que cela les intéresse car nous avons déjà comparu devant ce comité. Nous n'avons pas encore trouvé le temps de le faire, mais nous le ferons.
J'ai une réponse supplémentaire à la question de savoir si c'est parce que le Canada ne s'est pas penché sur la question ou est tout simplement intransigeant. Je pense que c'est en partie parce que pour le Canada, l'agriculture, même s'il s'agit d'un dossier extrêmement important, n'en est qu'un parmi d'autres.
Pour ce qui est de savoir comment nous concilions les programmes de développement, par le passé, nous avions une approche plus étroite. En fait, nous sommes beaucoup moins disposés à aborder les dispositions de fond des ententes—notamment l'investissement et l'agriculture. C'est le problème de la politique unique. Nous avons eu tendance plutôt à aborder la question du développement comme une question plus technique. Notre approche au développement jusqu'à présent a été d'offrir une aide technique aux pays en voie de développement afin qu'ils puissent avoir des échanges commerciaux plus rapides et meilleurs, et/ou de leur offrir davantage de temps pour se joindre aux autres et profiter de la politique unique.
Donc notre analyse est différente.
Ce que nous disons fondamentalement, c'est qu'on ne peut pas avoir une approche trop étroite du problème du développement en le considérant comme une question d'aide—d'échéances et d'argent—et que nous devons examiner plus en détail chaque entente afin d'offrir davantage de souplesse aux pays en développement, étant donné leurs conditions spécifiques, ce qui va à l'encontre de la solution unique.
Je pense que le Canada a décidé ce qu'il fera pour le développement, et nous disons que cela n'est pas suffisant.
¿ (0945)
Le président: Nous allons maintenant donner la parole à M. Calder.
M. Murray Calder (Dufferin—Peel—Wellington—Grey, Lib.): Merci beaucoup, monsieur le président.
C'est votre règle numéro 4 du commerce équitable qui m'intéresse, celle où vous dites:
L'institution d'organismes de commercialisation dirigés par les producteurs, y compris d'organismes d'exportation à guichet unique, doit être conservée comme option pour les producteurs en pays de développement. |
Ma question est la suivante. Lorsque nous allons devant l'OMC, est-ce que les pays en voie de développement comprennent nos systèmes de commercialisation, en particulier la gestion de l'offre et la Commission canadienne du blé, car je crois que c'est de cela dont vous parlez?
Et lorsque nous aurons déterminé jusqu'à quel point ils comprennent le système, il faudra savoir quel est leur niveau d'appui à l'OMC pour ces structures de commercialisation.
Le président: Merci.
M. Clark.
M. Stuart Clark: C'est là une question clé. Après avoir parlé à des délégations de pays en voie de développement, nous avons constaté que de façon générale ils ne comprennent pas comment fonctionne la Commission du blé. Certains d'entre eux ont quelques connaissances de la gestion de l'offre, mais supposent qu'avec l'abolition des restrictions quantitatives il était impossible d'administrer de tels systèmes, de sorte qu'ils ne comprennent pas nécessairement vraiment pourquoi le Canada le fait.
La question des contingents tarifaires pour eux est habituellement un problème en ce sens qu'ils tentent d'exporter dans des régimes de contingents tarifaires plutôt que de se perfectionner pour pouvoir utiliser les contingents tarifaires comme nous l'avons fait—par exemple pour protéger nos systèmes de gestion de l'offre.
Cela dit, je sais que des intervenants importants comme l'Inde ont manifesté beaucoup d'intérêt dans la façon dont le Canada a utilisé les contingents tarifaires pour faire en sorte que leur système de gestion de l'offre fonctionne, car l'Inde a le plus grand système de petits producteurs laitiers au monde, c'est-à-dire que ce sont surtout des femmes qui traient trois ou quatre vaches. Ils y mettent toute l'infrastructure, mais le système n'a pu survivre que parce qu'ils ont été en mesure d'éviter les importations à prix inférieur, et ils ont exprimé beaucoup d'intérêt.
Pour ce qui est de la Commission du blé, ce qu'on appelle les entreprises commerciales d'État n'ont certainement pas un dossier sans taches. Elles ont été utilisées pour aller chercher beaucoup d'argent chez les agriculteurs plutôt que pour les aider, de sorte que nous avons suivi en quelque sorte un processus d'éducation.
La Banque de céréales vivrières du Canada a parrainé une étude sur le commerce international et les structures du marché qui a été très bien reçue par les délégations des pays en voie de développement. Cette étude expliquait pour eux comment les marchés internationaux de céréales changent et quel pourrait être le rôle des structures à guichet unique, et d'autres types de structures de commercialisation.
Je crois donc qu'il y a un intérêt, mais bon nombre de ces pays ont tellement de difficulté à faire face à l'impact du cycle d'Uruguay que beaucoup d'entre eux ne sont pas passés à l'attaque et ne se sont pas demandé comment ils pourraient se servir de ces outils.
Le président: Merci.
M. Calder.
M. Murray Calder: Une autre chose que je constate en ce qui concerne les pays en voie de développement, c'est que bien que de toute évidence les États-Unis et l'Union européenne s'adressent à l'OMC, ils ont une armée d'experts dans tous les secteurs du commerce, et naturellement ils peuvent faire valoir leurs points de vue, tandis que les pays en voie de développement manquent sans doute d'argent et leur équipe de négociation ne compte peut-être qu'une ou deux personnes. Ils ne peuvent être experts dans tous les domaines, et par conséquent ils doivent cibler certaines choses et laisser tomber tout le reste.
Est-il possible pour nous de prendre ces pays en voie de développement sous notre aile à l'OMC et tenter de renforcer leur position de négociation?
Le président: Monsieur Clark, allez-y.
M. Stuart Clark: C'est une question à laquelle se sont intéressés très vite les fondateurs de l'organisme appelé Centre du Sud qui fait beaucoup de travail sur divers accords commerciaux et qui possède une équipe assez forte en matière d'agriculture. Le Centre du Sud a sollicité l'aide du Canada.
Quant à la possibilité que le Canada prenne sous son aile les pays en développement, ce serait un peu comme si—du moins c'est la façon dont ces pays verraient la chose—on laissait le loup entrer dans la bergerie. Je ne crois donc pas que ce genre d'initiative serait très bien accueillie, mais l'appui que le Canada peut offrir à des tierces parties comme le Centre du Sud revêt certainement une grande importance. C'est l'un des organismes qui a des liens très étroits avec tous les ONG qui travaillent dans ce domaine. Toute recherche que nous entreprenons est transmise au Centre du Sud qui voit à son tour à en faire profiter les délégations des pays en développement.
Le Centre du Sud vient de présenter une demande d'aide dans le domaine agricole à l'ACDI et je pense bien que cette demande sera accueillie favorablement.
¿ (0950)
Le président: Je vous remercie, monsieur Clark. La parole est maintenant à M. Casey.
M. Bill Casey (Cumberland—Colchester, PC): Je vous remercie beaucoup.
J'aimerais d'abord faire une observation. Vous avez mentionné l'Inde. Feu mon beau-père est allé en Inde. Il a exploité une laiterie en Nouvelle-Écosse pour l'APECA pendant de nombreuses années et il est allé à plusieurs reprises aider les producteurs laitiers indiens à mettre sur pied des laiteries.
Vous avez soulevé une question fondamentale en disant que les petites industries survivent seulement lorsque les gouvernements interdisent les importations peu coûteuses. Est-il acceptable que certaines personnes n'aient pas accès à des produits laitiers parce que le gouvernement protège l'industrie contre les importations peu coûteuses? Voilà la grande question qui se pose.
Cela m'amène à vous poser ma première question. Vous avez dit que le Canada avait beaucoup réduit l'aide accordée dans le domaine agricole par l'intermédiaire de l'ACDI. De combien cette aide a-t-elle été réduite et où a-t-on réaffecté cet argent?
M. Mark Fried: L'aide accordée dans le domaine agricole a été réduite de beaucoup. Cette aide est de 50 p. 100 inférieure à ce qu'elle était en 1990. Il se peut cependant que le niveau de cette aide remonte étant donné que l'ACDI a annoncé qu'elle mettrait l'accent sur l'agriculture. C'est du moins le souhait qu'a exprimé la ministre.
Quant à savoir si la protection dont jouissent les petits producteur prive les consommateurs d'aliments à bon marché, il faut tenir compte que dans les pays les plus pauvres, jusqu'à 80 p. 100 de la population tire sa subsistance de l'agriculture. Si ces gens perdent leur source de revenu, ils ne pourront pas se permettre d'acheter des aliments même s'ils sont moins coûteux. Il ne faut pas oublier cet élément-là de la question.
Même dans les grands pays en développement, le pourcentage de la population qui tire sa subsistance de l'agriculture est énorme.
M. Bill Casey: Est-ce 80 p. 100?
M. Mark Fried: Ce peut être aussi élevé dans les pays en voie de développement les plus pauvres. Dans les autres, c'est de 60 à 65 p. 100 de la population qui tire sa subsistance de l'agriculture.
M. Bill Casey: Vous n'avez pas répondu à la seconde partie de ma question. L'aide a été réduite de 50 p. 100, mais où cet argent a-t-il été réaffecté? A-t-on simplement réduit ce budget...
L'hon. Diane Marleau (Sudbury, Lib.): Le budget a simplement été réduit.
M. Bill Casey: Je vois.
C'est donc pas votre faute.
Mme Kathy Vandergrift: Je n'ai pas les chiffres sous les yeux, mais les recherches indiquent que la proportion du budget allant à l'agriculture a été réduite. Le budget a été réduit et la proportion du budget consacrée à l'agriculture a aussi diminué. Nous pourrons vous obtenir ces chiffres.
M. John Harvard: Tout cet argent est passé à l'APECA en Nouvelle-Écosse.
M. Bill Casey: Voilà.
M. Stuart Clark: Voici quelques chiffres importants. Le budget global de l'APD a été réduit de 35 à 40 p. 100. La proportion du budget réservée à l'agriculture a été réduite de 60 p. 100. La part de l'aide agricole allant à l'Afrique subsaharienne, la région du monde qui a le plus de mal à nourrir sa population, a été réduite de 80 p. 100.
Je vois qu'on a considéré que d'autres priorités étaient plus importantes et personne n'a pris la défense de l'agriculture.
M. Bill Casey: Je vous remercie.
J'ai une autre question à poser, monsieur le président.
Le président: Allez-y.
M. Bill Casey: Madame Vandergrift, vous avez dit que l'action du Canada était trop limitée et que c'était une erreur. Pourriez-vous étoffer cette affirmation?
Mme Kathy Vandergrift: Le Canada a consacré toute son attention à obtenir une réduction des subventions versées par l'UE et les États-Unis à leurs agriculteurs et je suppose que le Canada a appliqué des pressions directes en ce sens. Nous pensons que le Canada peut élargir son action en permettant à certains pays de recourir à des mécanismes de protection.
Au lieu de concentrer tous nos efforts dans le même domaine, nous devrions recourir à un vaste éventail d'outils. Ce serait une meilleure stratégie et nous aiderions aussi ainsi les producteurs pauvres dans les pays pauvres.
¿ (0955)
Le président: Je vous remercie. J'aimerais poser une question à M. Fried avant que la réunion ne se termine.
Pourriez-vous nous dire comment le gouvernement canadien distribue ses subventions. Si je ne m'abuse, pas plus de 10 p. 100 de l'aide doit prendre la forme d'argent comptant et le reste doit être sous forme de nourriture.
Prenons le cas de la Zambie. La famine sévit dans certaines régions du sud de la Zambie alors que le nord connaît une production agricole excédentaire. Les aliments produits dans le nord ne peuvent pas être envoyés dans le sud en raison des coûts de transport trop élevés. La même chose vaut entre deux pays. Il n'y a pas assez de nourriture au Zimbabwe et il y en a trop au Mozambique, qui n'est pas très loin. En raison des règles qui existent, il est impossible d'acheter de la nourriture au Mozambique pour l'envoyer au Zimbabwe. On préfère faire venir la nourriture d'aussi loin que le Canada.
Comment peut-on régler ce problème?
M. Mark Fried: Vous soulevez deux questions. L'une a trait à ce qui est considéré comme une aide interne, c'est-à-dire ce qui est vu comme une subvention en vertu de l'accord sur l'agriculture. Un certain nombre de politiques pourraient appuyer le développement rural dans les pays pauvres. Ces politiques sont prises en compte dans le calcul de l'aide maximale qui peut être accordée aux agriculteurs. Un exemple de cette aide est le transport de la nourriture provenant de régions où il y a production excédentaire vers les régions du pays où la production est déficitaire. Cette aide est prise en compte dans le calcul de l'aide intérieure maximale qui peut être offerte. Le Canada devrait appuyer la proposition voulant qu'on augmente le niveau d'aide interne. Les pays pourraient ainsi subventionner davantage la production alimentaire ainsi que le transport des aliments d'une partie du pays à une autre.
Vous soulevez aussi la question des règles de l'ACDI touchant l'aide alimentaire. Si je ne m'abuse, seulement 10 p. 100 de l'aide alimentaire accordée par le Canada peut être dépensée sur place. Le reste de la nourriture doit être acheté au Canada. Or, lorsqu'il y a pénurie de nourriture dans un pays donné, il est possible d'acheter de la nourriture d'une autre partie de ce pays ou d'un pays voisin. C'est beaucoup moins coûteux que de faire venir cette nourriture du Canada et cela aide aussi à stimuler l'économie locale. L'arrivée de nourriture de l'extérieur peut nuire aux petits agriculteurs en faisant baisser les prix des aliments sur le marché intérieur.
À l'heure actuelle, l'ACDI doit dépenser 90 p. 100 de son budget d'aide alimentaire au Canada et seulement 10 p. 100 sur place. Nous pensons que 25 p. 100 conviendrait mieux que 10 p. 100 de sorte que l'ACDI pourrait acheter plus de nourriture dans la région qui a besoin d'aide alimentaire.
Le président: Merci beaucoup à tous les témoins, M. Fried, Mme Sreenivasan, M. Clark et Mme Vandergrift. Nous vous remercions d'être venus ce matin.
Je voulais simplement que vous sachiez que nous allons maintenant parler de la Corée du Nord et vous voudrez peut-être rester des nôtres. Cela pourrait être intéressant pour vous également.
Mais d'abord, nous allons suspendre la séance pendant cinq minutes.
Merci.
¿ (0958)
À (1004)
Le président: Conformément à l'article 108(2) du Règlement, nous allons maintenant commencer un examen de la situation en Corée du Nord. Nous avons le plaisir de recevoir ce matin les représentants du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, en l'occurence M. David Mulroney, sous-ministre adjoint pour l'Asie-Pacifique, et Mme Jill Sinclair, directrice générale de la Sécurité internationale.
[Français]
De l'Agence canadienne de développement international, nous recevons M. Jean-Marc Métivier, vice-président, Direction générale des programmes multilatéraux; et M. Ernest Loevinsohn, directeur général, Centre de l'aide alimentaire.
[Traduction]
J'ai cru comprendre que vous alliez nous faire un bref exposé. Il sera suivi par une période de questions et réponses entre les membres du comité et vous.
Nous allons donc commencer par écouter M. Mulroney.
À (1005)
M. David Mulroney (sous-ministre adjoint, Portefeuille Asie-Pacifique, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international): Monsieur le président, je vous remercie.
J'avais pensé vous faire un bref historique des relations bilatérales entre le Canada et la Corée du Nord jusqu'au moment où nous nous parlons. Ma collègue Jill Sinclair vous parlera pour sa part des dimensions sécurité et multilatéralisme, après quoi les représentants de l'ACDI vous diront quelques mots sur la situation humanitaire.
En bref donc, dans les années 90, la Corée du Nord a commencé graduellement à se rapprocher de la communauté internationale, et cela dans la foulée, en partie, du règlement d'une première crise nucléaire en 1993-1994. Cette ouverture avait également été la résultante d'une modification du paysage planétaire, en l'occurence l'effondrement de l'ancienne Union soviétique et l'élargissement du fossé économique entre le Nord et le Sud, ce qui avait amené certains penseurs nord-coréens à comprendre que leur seule possibilité de survie serait de s'ouvrir davantage sur le monde.
Par contre, je m'empresse d'ajouter que contrairement aux réformes auxquelles nous avions assisté quelque 20 ans plus tôt en Chine et qui avaient été caractérisées par une grande souplesse et une forte adaptabilité, la réaction de la Corée du Nord à la conjoncture internationale et son ouverture avaient principalement pour prémisse le maintien en place du régime.
[Français]
L'élection du président Kim Dae-jung en République de Corée, en 1998, a amené au pouvoir une personne disposée à promouvoir les relations bilatérales. La Sunshine Policy a mené à un dialogue intercoréen et elle a agi par la suite au sommet de juin 2000, lorsque le président Kim Dae-jung a rencontré le dirigeant de la RPDC, Kim Jong-il, à Pyongyang.
Le Canada et d'autres États occidentaux ont appuyé l'initiative de Kim Dae-jung visant à réduire les tensions régionales.
[Traduction]
Suite aux ouvertures créées par Kim Dae-jung et sa «politique du soleil qui brille», plusieurs pays dont le Canada ont commencé à envisager la possibilité de resserrer les liens avec la Corée du Nord. Dans un premier temps, une délégation parlementaire canadienne s'est rendue à Pyongyang, puis il y eut des entretiens entre l'ancien ministre des Affaires étrangères Lloyd Axworthy et son homologue nord-coréen, et il y eut enfin l'établissement, par l'ancien ministre des Affaires étrangères Manley, de relations diplomatiques en 2001.
Il importe bien de noter ici que, pendant tout le processus d'établissement de relations diplomatiques entre les deux pays, l'objectif était, et il demeure encore aujourd'hui, la réintégration de la Corée du Nord dans la famille des nations en encourageant ce pays à jouer un rôle plus productif et plus constructif.
[Français]
L'engagement du Canada avec la RPDC s'est traduit par des améliorations dans ses relations avec les autres États, par exemple le Japon, l'Italie, le Royaume-Uni, l'Australie et les États-Unis.
[Traduction]
Dans notre dialogue avec les Nord-coréens—et Jill vous en dira plus long à ce sujet—, nous avons profité de toutes les possibilités pour insister sur l'importance d'adhérer à un système multilatéral reposant sur un ensemble de règles. Notre dialogue initial au niveau des hauts fonctionnaires nous a ainsi permis de parler de l'AIEA et de ses garanties, de la limitation de la prolifération des missiles, des droits humains, de la sécurité humaine, des secours pour soulager la famine et de la stabilité régionale.
Pour l'essentiel, lorsque nous avons rencontré pour la première fois les Nord-coréens en août 2001, après l'établissement des relations diplomatiques, nous leur avons dit que lorsque le Canada noue des relations bilatérales avec des partenaires, il escompte bien pouvoir parler avec eux de ce genre de questions. Il escompte pouvoir conduire un dialogue réaliste sur des dossiers comme les droits humains et la limitation de la prolifération des armes de destruction massive.
Toutefois, en toute franchise, je dois vous signaler que depuis l'établissement des relations diplomatiques et jusqu'au moment de la crise qui a éclaté l'automne dernier, les progrès avaient été extrêmement lents. Nous avions formulé aux Nord-coréens plusieurs suggestions concrètes assorties d'un certain nombre de bourses et d'autres initiatives destinées à faire en sorte que nous puissions suivre la distribution de notre aide sur place. Pendant tout le processus, les choses se sont déroulées extrêmement lentement, avec des réponses moins qu'enthousiastes de part de Pyongyang. Nous étions résolus à faire preuve de patience, mais pas au point d'ignorer l'importance qu'il y a de mettre en place les éléments permettant d'avoir un dialogue sérieux avec les Nord-coréens.
Certes, nos relations ont souffert des révélations, l'automne dernier, à l'effet que la Corée du Nord avait repris son programme nucléaire permettant de produire de l'uranium fortement enrichi. À plusieurs reprises, le ministre Graham a pris la parole à ce sujet pour exprimer les graves préoccupations du Canada. Il a déclaré, de façon très claire, encore tout récemment, que nos relations bilatérales ne pouvaient demeurer ce qu'elles étaient tant et aussi longtemps que ce contentieux ne serait pas vidé, même si nous allons continuer à répondre aux besoins de la Corée du Nord en matière humanitaire. Le ministre Graham a fait valoir ses préoccupations dans une lettre destinée au ministre des Affaires étrangères de la Corée du Nord.
Il faut également se souvenir que, puisque nous avons des relations diplomatiques officielles, nous pouvons passer à la fois par New York et par Beijing. Notre ambassadeur, Joseph Caron, est en effet accrédité à Pyongyang et nous continuons à nous parler via l'ambassade de la Corée du Nord à Beijing.
À (1010)
[Français]
Par ailleurs, les Canadiens ont directement contribué à répondre aux graves besoins humanitaires de la RPDC, un sujet qui sera bientôt abordé par mon collègue de l'ACDI. Je noterai en particulier que l'envoyé spécial du secrétaire général des Nations Unies, le Canadien Maurice Strong, s'est récemment rendu en RPDC, et qu'à son retour, il a dit craindre une catastrophe humanitaire imminente. Il a souligné que les aspects de l'aide doivent être considérés séparément des préoccupations concernant les armes nucléaires.
[Traduction]
En résumé donc, il faut noter que de notre côté, notre ouverture vers la Corée du Nord avait pour but d'aider ce pays à rejoindre la communauté internationale, mais également d'aider la Corée du Sud à améliorer ses relations avec l'autre Corée de manière à ramener la Corée du Nord dans le giron des nations.
Certes, la Corée du Nord apprécie nos relations bilatérales puisque nous constituons une source de biens matériels et d'aide humanitaire supplémentaire, mais peu de signes donnent à penser qu'il y a une ouverture fondamentale de la société nord-coréenne. Il est évident que la survie du régime est le prisme à travers lequel son gouvernement examine chaque contact avec l'Ouest, et notamment avec le Canada. Néanmoins, nous considérons qu'ignorer ou isoler la Corée du Nord irait à l'encontre du but cherché. Par l'engagement, le Canada peut le mieux contribuer à assurer la sécurité et la non-prolifération, ainsi que résoudre les problèmes humanitaires dans la région.
Évidemment, la réalisation de ces objectifs est fonction de la possibilité de trouver un partenaire intéressé à Pyongyang, et il faudra beaucoup de temps et d'efforts pour réussir à influer sur le paradigme existant en République populaire démocratique de Corée.
Je vous remercie, monsieur le président, et je vais maintenant céder la parole à Mme Sinclair.
Le président: Je vous remercie, monsieur Mulroney.
Madame Sinclair, nous vous écoutons.
Mme Jill Sinclair (directrice générale, Direction générale de la sécurité internationale, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international): Merci beaucoup, monsieur le président.
C'est un plaisir de comparaître devant le comité et c'est également un moment tout à fait opportun puisque, comme le savent déjà ceux d'entre vous qui connaissent bien ce dossier, l'AIEA a adopté hier une nouvelle résolution concernant la Corée du Nord. Je me félicite donc de pouvoir venir témoigner aujourd'hui devant le comité.
Vous voudrez bien excuser cet exposé qui va être un peu plus long qu'à l'accoutumée, mais je pense qu'il est important de faire la lumière sur plusieurs de ces questions complexes afin que notre échange avec les membres du comité soit aussi complet que possible. Certains de mes commentaires vont peut-être vous sembler un peu moins diplomatiques que de coutume, mais c'est parce qu'à mon avis, il est important que nous soyons clairs à ce sujet.
La République populaire démocratique de Corée pratique une politique d'isolement et de replis empreinte de soupçons, de peur et de paranoïa qui guident ses actions et ses réactions face au reste du monde. Au cours des 50 dernières années, c'est-à-dire depuis la fin de la guerre de Corée, le développement politique, social et économique de ce pays est resté figé. Ici encore, je vous présente les choses de façon brutale parce que, lorsqu'on parle de la question de la sécurité, il faut tenir compte de la psychologie même des pays. Il est important de connaître le contexte général dans lequel s'inscrit le pays dont nous parlons.
Techniquement parlant, la Péninsule coréenne demeure en état de guerre car l'armistice de 1954 visait à suspendre temporairement les hostilités en attendant la conclusion d'un accord de paix, ce qui ne s'est jamais produit. Depuis lors, le régime de Pyongyang maintient la Corée du Nord sur un pied de guerre.
[Français]
Le Canada continue d'affecter un nombre limité de militaires au commandement des Nations Unies dans la péninsule coréenne, une force multinationale dirigée par les États-Unis et chargée de surveiller l'application de l'armistice.
Depuis longtemps, la RPDC est l'auteur de violations flagrantes des normes internationales de comportement. Sa politique étrangère consiste dans une large mesure à provoquer des crises qui menacent la stabilité et la sécurité dans la péninsule coréenne et en Asie du Nord-Est, pour ensuite arracher des concessions à la communauté internationale et retourner à la situation antérieure.
[Traduction]
L'économie est en ruine. Une grande partie de la population civile souffre de malnutrition. Nos collègues de l'ACDI vous en parleront également. En même temps, ce régime entretient une armée de plus d'un million de soldats. Outre le risque qu'elle soit dotée d'armes nucléaires, ce qui attire beaucoup d'attention ces jours-ci dans la presse, la Corée du Nord a mis au point d'autres armes de destruction massive, notamment des armes chimiques et des missiles balistiques. On croit qu'elle aurait coopéré secrètement avec d'autres pays pour la mise au point de ces armes, et une partie importante de ses recettes en devises proviennent des exportations d'armes, y compris des missiles et des armes chimiques.
La dernière crise n'a rien de nouveau, malheureusement. La Corée du Nord avait ratifié officiellement en 1985 le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, le TNP, en tant qu'État non doté d'armes nucléaires. Toutefois, il était clair dès le début qu'elle violait ses obligations aux termes du traité.
Je vais faire un bref survol de ces obligations, pour que vous compreniez bien l'importance de cette question.
Les États non dotés d'armes nucléaires qui sont signataires du TNP doivent conclure un accord de garanties généralisées avec l'Agence internationale de l'énergie atomique, l'AIEA, applicable à toutes leurs activités nucléaires, et ce, dans les 18 mois suivant la ratification. Le Canada a conclu un tel accord de garanties, et l'on pourra en parler un peu plus longuement durant la période des questions si vous le souhaitez. La Corée du Nord a retardé la conclusion de son accord de garanties pendant sept ans avant de s'y résigner enfin en 1992.
L'agence a vérifié la déclaration initiale de la Corée du Nord au sujet de ses activités et a relevé des erreurs et des omissions, notamment le fait qu'elle avait retraité une plus grande quantité de plutonium qu'elle ne l'avait dit à l'origine. C'est un élément important parce que c'est justement du plutonium retraité dont on a besoin pour fabriquer des bombes nucléaires. Lorsque, en 1993, l'agence a exigé des renseignements additionnels et l'inspection d'autres installations, la Corée du Nord a refusé et s'est retirée du TNP.
Les préoccupations étaient tellement graves que le conseil des gouverneurs de l'AIEA a référé la non-conformité de la Corée du Nord au Conseil de sécurité de l'ONU en avril 1993. Des négociations ont alors été entamées pour dénouer la crise et, en juin 1993, la Corée du Nord a annoncé qu'elle avait décidé de «surseoir» à son retrait du TNP. Cette décision a été annoncée un jour avant la fin du délai de trois mois pour la notification de son retrait. Néanmoins, la Corée du Nord a poursuivi ses activités dans ses installations nucléaires, en violation de ses obligations en vertu de l'accord de garanties qu'elle avait signé. Par exemple, elle a refusé de permettre aux inspecteurs de vérifier quelque 8 000 barres de combustible qui avaient été retirées de son réacteur de recherche.
En juin 1994, à la suite de la décision du conseil des gouverneurs de l'AIEA de suspendre la coopération technique non médicale, la Corée du Nord s'est retirée de l'agence elle-même. À ce jour, le pays n'est toujours pas membre, même si ses engagements en matière de garanties demeurent toujours valables.
En dépit du comportement de la Corée du Nord, les efforts diplomatiques se sont poursuivis pour essayer d'obtenir l'adhésion de ce pays. Ce sont les États-Unis qui étaient les maîtres d'oeuvre de ces efforts. Après 17 mois, la Corée du Nord et les États-Unis ont conclu un accord-cadre en 1994. La principale disposition de cet accord était le «gel» du programme nucléaire existant de la Corée du Nord en échange d'une aide économique, y compris la construction de deux réacteurs à eau ordinaires ne pouvant servir à la prolifération nucléaire, et la livraison de mazout en attendant que les travaux de construction de ces réacteurs soient terminés. L'AIEA devait surveiller le respect du «gel», et d'autres dispositions portaient sur le respect de l'accord de garanties et la normalisation éventuelle des relations entre les États-Unis et la Corée du Nord.
Les États-Unis offraient également à la Corée du Nord de l'aider à entreposer en toute sécurité les barres de combustible qui avaient été retirées de l'un de ses réacteurs. En fait, ces barres de combustible contenaient suffisamment de combustible épuisé pour renfermer une quantité de plutonium qui, d'après certains, aurait pu permettre de fabriquer jusqu'à cinq bombes nucléaires.
Une nouvelle organisation a été créée, l'organisation pour le développement de l'énergie de la péninsule coréenne, connue sous le sigle KEDO. Elle est chargée de mettre en oeuvre le volet économique de l'accord-cadre. Le Canada est l'un des membres fondateurs de la KEDO et a versé 6 millions de dollars à ce jour pour la livraison de mazout. Les autres membres de la KEDO sont les États-Unis, la République de Corée, le Japon, la Nouvelle-Zélande et l'Australie.
Faisons maintenant un saut de 10 ans dans le temps, ce qui nous amène à la situation présente. Au cours de la dernière décennie, l'AIEA n'a jamais été en mesure de vérifier si la Corée du Nord se conformait pleinement à l'accord de garanties. Tous les ans, l'AIEA rend compte de la situation au Conseil de sécurité. Elle devra confirmer que la Corée du Nord respecte ses obligations pour permettre la réalisation d'étapes cruciales de la construction des deux réacteurs à eau ordinaires, aux termes de l'accord-cadre de 1994.
À (1015)
En l'absence de cette confirmation de la conformité, des éléments essentiels des réacteurs ne pourront tout simplement pas être livrés. En octobre 2002, à la suite de la visite à Pyongyang d'un haut représentant américain, les États-Unis ont fait savoir que la Corée du Nord avait admis l'existence, jusque là non déclarée, d'un programme d'enrichissement de l'uranium pour la mise au point d'armes nucléaires. La Corée du Nord a par la suite affirmé, au moyen de déclarations officielles de son ministère des Affaires étrangères, que la possession d'armes nucléaires et d'autres armes de destruction massive était un droit souverain.
En conséquence, le conseil exécutif de la KEDO, qui comprend les États-Unis, le Japon, l'UE et la République de Corée, a décidé en novembre 2002 de suspendre les livraisons de pétrole à la Corée du Nord, bien que l'on n'ait pas bloqué la cargaison de pétrole qui était en route à ce moment-là. Le conseil des gouverneurs de l'AIEA a adopté plus tard ce mois-là une résolution dans laquelle il engageait la Corée du Nord à respecter ses obligations et à rendre compte de ces nouvelles activités nucléaires.
À cet égard, il convient de souligner le rôle important du Canada dans les discussions à l'AIEA, en tant que membre du groupe chargé de se pencher sur le dossier de la Corée du Nord. Le Canada a été le chef de file dans les négociations qui ont abouti à de nombreuses résolutions produites par l'AIEA.
La Corée du Nord a rejeté la résolution de novembre de l'AIEA, tout comme elle a rejeté la plupart des ouvertures de l'AIEA. En décembre, elle a enlevé l'équipement de surveillance de l'AIEA dans ses installations de Yongbyong, pour ensuite expulser les inspecteurs permanents de l'agence. À la suite d'une autre résolution de l'AIEA le 6 janvier 2003, condamnant les gestes de la Corée du Nord et demandant de nouveau à celle-ci de respecter l'accord de garanties, Pyongyang a de nouveau rejeté la résolution et a annoncé son retrait du TNP le 10 janvier. La Corée du Nord a déclaré alors que son retrait était immédiat et inconditionnel, contrairement à celui de 1993, auquel elle avait décidé de surseoir à la dernière minute.
Si vous vous rappelez ce que j'ai dit au tout début de mon exposé, les Nord-Coréens s'étaient retirés un seul jour avant l'échéance d'une période de trois mois. Ils considéraient donc que leur retrait était immédiat. Le Canada et le reste de la communauté internationale n'acceptent pas cette interprétation des modalités de leur retrait.
Les gestes de la Corée du Nord ont fait l'objet d'une condamnation unanime et universelle. Le comportement de ce pays porte atteinte à l'intégrité du TNP et au régime international de non-prolifération. Ce régime est un cadre commun de sécurité pour de nombreux pays partout dans le monde. En tout, 188 pays y ont adhéré. Il a permis d'établir la norme pour enrayer la prolifération nucléaire. Ce régime est extrêmement important pour le Canada et ses amis et partenaires partout dans le monde.
C'est pourquoi le Canada s'est joint à d'autres pays pour engager la Corée du Nord à revenir sur sa décision de s'en retirer et à se conformer pleinement à ses obligations aux termes du TNP et de l'accord de garanties. Comme je l'ai dit, nous ne reconnaissons pas le caractère immédiat et irréversible du retrait de la Corée du Nord. Au contraire, il est tout à fait réversible.
La Corée du Nord a fait obstacle aux efforts diplomatiques d'un certain nombre de pays. Les Sud-Coréens, les Chinois, les Russes, et beaucoup d'autres ont tenté d'engager un dialogue avec la Corée du Nord pour dénouer la crise. Mais la Corée du Nord a exigé la tenue de négociations bilatérales directes avec les États-Unis pour obtenir des garanties en matière de sécurité, conclure un pacte de non-agression et obtenir une aide économique et humanitaire.
Dans des déclarations récentes, notamment par l'intermédiaire du secrétaire d'État Colin Powell, le gouvernement américain a exprimé sa volonté d'ouvrir le dialogue avec la Corée du Nord, mais dans le cadre d'un mécanisme multilatéral approprié, et seulement si la elle renonce à son programme d'armes nucléaires et fait en sorte que ses gestes en ce sens soient vérifiables, transparents et irréversibles.
Dans l'intervalle, tout indique malheureusement que la Corée du Nord a redémarré le réacteur de recherche qu'elle possède et qu'elle s'apprête peut-être à rouvrir son usine de retraitement, qui pourrait lui permettre de produire du plutonium en vue de fabriquer des armes nucléaires. Il nous est évidemment impossible de le vérifier, en l'absence de mesures de vérification internationales. Mais l'AIEA, comme je l'ai dit au début, a adopté le 12 février une nouvelle résolution exprimant sa préoccupation au sujet de cette situation. Le Conseil de sécurité sera maintenant saisi de l'affaire, ce qui est conforme aux obligations énoncées dans le statut de l'AIEA, auquel le Canada souscrit pleinement.
Monsieur le président, nous sommes profondément préoccupés par les gestes de la Corée du Nord. Nous appuyons énergiquement le régime de non-prolifération nucléaire. Nous avons des intérêts économiques et commerciaux importants dans la région, lesquels sont menacés par l'instabilité créée par le comportement de la Corée du Nord. Il est clair qu'un conflit ouvert dans la péninsule coréenne est inimaginable, compte tenu du grand nombre de victimes et des répercussions sur les voisins de la Corée du Nord.
La Corée du Nord est passée maître dans l'art de déceler ou de créer des divisions chez ses adversaires et de les exploiter. Il est donc essentiel que ceux d'entre nous qui s'efforcent de régler ce problème fassent cause commune et parlent d'une seule voix sur le front international. Nous devons vraiment faire preuve de solidarité dans le dossier de la Corée du Nord.
À (1020)
Toutes les fois où la Corée du Nord prend des engagements, il est évident qu'elle finit par ne pas les respecter. D'ailleurs, M. El Baradei, connu pour ses travaux dans d'autres contextes, a déclaré que ce pays se trouve continuellement en défaut d'observation de ses obligations internationales et affiche un mépris total de celles-ci.
La stabilité et la sécurité internationale reposent sur le respect, par le concert des nations, de normes internationales de comportement bien établies. Cela crée un environnement prévisible, propre à renforcer la confiance et la coopération.
Malheureusement, la Corée du Nord s'emploie délibérément à créer un environnement d'imprévisibilité et à ne pas se conformer à ces normes. C'est une attitude déconcertante étant donné que cet État souverain a signé ces traités de son plein gré. C'est une décision purement politique qui a été prise volontairement.
Le comportement de la Corée du Nord ne peut que nuire à la stabilité et à la sécurité de ses voisins immédiats, et aussi à sa propre stabilité et sécurité. À cet égard, il convient de souligner que ses actions mettent en péril la sécurité qu'elle soutient vouloir préserver.
En conclusion, monsieur le président, le gouvernement du Canada continue d'appuyer les efforts multilatéraux en jouant un rôle actif au sein de l'AIEA et en consultant les principaux pays de la région. Fidèles à nos convictions, nous continuerons d'exprimer notre vive inquiétude directement à la Corée du Nord. Comme David l'a dit, nous l'avons déjà fait à plusieurs reprises en privé par le truchement de nos connaissances à New York et, à Beijing, par voie de la lettre envoyée par notre ministre à son homologue. Nous avons également émis des communiqués de presse publics pour exprimer nos vives inquiétudes quant au comportement de la Corée du Nord.
Nous avons de nouveau insisté, comme l'a dit David, sur le fait que la régularisation des relations entre la Corée du Nord et le Canada, comme avec le reste de la communauté internationale, ne sera possible qu'avec la mise en place d'une solution satisfaisante.
Je vous remercie beaucoup.
À (1025)
[Français]
Le président: Merci, madame Sinclair.
Nous allons passer maintenant à M. Jean-Marc Métivier, qui est vice-président à la Direction générale des programmes multilatéraux à l'ACDI.
Monsieur Métivier, s'il vous plaît.
M. Jean-Marc Métivier (vice-président, Direction générale des programmes multilatéraux, Agence canadienne de développement international): Merci, monsieur le président.
D'un point de vue humanitaire, la situation en République populaire démocratique de Corée...
[Traduction]
L'hon. Art Eggleton (York-Centre, Lib.): Monsieur le président, ne serait-il pas préférable de poser les questions sur l'aspect politique des choses avant d'aborder l'aide humanitaire?
Le président: Monsieur Eggleton, il nous reste cinq minutes. La séance se poursuivra jusqu'à 11 h 15, elle ne sera pas suspendue à 11 heures.
M. Art Eggleton: C'est donc dire qu'ils n'ont que cinq minutes.
Le président: Oui. L'exposé durera cinq minutes.
M. Métivier.
[Français]
M. Jean-Marc Métivier: D'un point de vue humanitaire, la situation en RPDC est particulièrement inquiétante. Ces sept dernières années, l'effondrement de l'économie, la sécheresse, les inondations et la détérioration des infrastructures ont entraîné des pénuries alimentaires chroniques. L'engagement contrôlé de la RPDC avec le monde extérieur, depuis le milieu des années 1990, s'est dégradé ces derniers mois à la suite des tensions accrues sur la question de leur programme nucléaire.
La RPDC figure parmi les 10 pays dans le monde où le problème de la famine et de la malnutrition est le plus sévère. Le Programme alimentaire mondial estime que plus de 7,9 millions de Nord-Coréens ont actuellement besoin d'une aide humanitaire. Toutefois, la baisse des contributions des donateurs aux opérations du Programme alimentaire mondial en RPDC, au cours des derniers mois, qui selon nous s'est accrue à la suite des récentes décisions concernant la relance du programme nucléaire, a entraîné une diminution des rations distribuées aux personnes les plus vulnérables. En l'absence des ressources généralement fournies par les donateurs, la situation humanitaire en RPDC se détériorera davantage.
[Traduction]
Le Canada n'accorde pas d'assistance bilatérale à la Corée du Nord. Toutefois, devant les besoins humanitaires, le Canada, par l'intermédiaire de l'ACDI, a fourni plus de 43 millions de dollars à la Corée du Nord en aide alimentaire depuis l'exercice 1997-1998. La majorité de cette aide a été acheminée par le biais de deux organismes: soit 22,3 millions de dollars en vivres ont été fournis par le biais du Programme alimentaire mondial des Nations Unies, et 20,7 millions de dollars en fonds de contrepartie pour des vivres ont été fournis par le biais de la Banque de céréales vivrières du Canada.
La Banque de céréales vivrières du Canada a également fourni une aide alimentaire totalisant 8,4 millions de dollars ainsi que de petites quantités d'intrants agricoles.
Les montants susmentionnés comprennent une contribution de l'ACDI de l'ordre de 6,8 millions de dollars pour l'exercice 2002-2003. Il s'agit d'une hausse puisque notre contribution pour l'exercice 2001-2002 était de 5,6 millions de dollars. Grâce à ses contributions, en 2002, le Canada était au cinquième rang des donateurs au Programme alimentaire mondial pour les activités en Corée de Nord.
La majorité de l'aide consentie par l'ACDI à la Corée du Nord par l'intermédiaire du Programme alimentaire mondial consistait en l'envoi de poisson canadien en conserve, tandis que la Banque de céréales vivrières du Canada a envoyé des céréales et des lentilles. L'année dernière, certains fonds de l'ACDI ont servi à acheter des vitamines et des minéraux pour enrichir les farines de blé et de maïs.
En outre, l'aide humanitaire apportée par le Canada à la Corée du Nord a pris d'autres formes. Nous avons fourni, par exemple, des capsules de vitamine A d'importance vitale pour les enfants grâce au concours de l'UNICEF. Nous avons également versé, en 2002, une contribution de 400 000 $ à la Croix-Rouge canadienne et à la Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant Rouge pour la prestation de soins de santé, la prévention des désastres et le développement organisationnel de la Croix-Rouge nord-coréenne.
[Français]
Monsieur le président, l'humanité, l'impartialité, l'équité, la responsabilité et la transparence sont des principes qui sous-tendent le Programme d'assistance humanitaire de l'ACDI. La capacité de la communauté internationale de planifier, de mettre en oeuvre et de surveiller efficacement les opérations d'assistance humanitaire fait face à plusieurs défis en RPDC. L'ACDI partage les inquiétudes du Programme alimentaire mondial et d'autres organismes relativement aux conditions et systèmes fondamentaux nécessaires pour assurer un acheminement efficace de l'assistance humanitaire en RPDC, à savoir: des listes exactes des institutions et bénéficiaires; un accès accru aux populations dans le besoin; des enquêtes nutritionnelles continues; et un meilleur suivi des opérations humanitaires.
Le nombre d'agents de suivi de l'aide alimentaire étant tributaire des décaissements au titre de cette aide, la récente diminution des contributions des donateurs a amené le gouvernement de la RPDC à exercer des pressions sur le Programme alimentaire mondial pour qu'il réduise le nombre d'agents de suivi internationaux. Cette réduction nuira certainement à la capacité du Programme alimentaire mondial de surveiller efficacement la distribution de son aide.
À (1030)
[Traduction]
Par ailleurs, certains progrès ont été réalisés depuis 1995, année où le Programme alimentaire mondial a pour la première fois fournit une aide alimentaire à la Corée du Nord. Alors qu'auparavant les portes du pays lui étaient fermées, le Programme peut maintenant y travailler et surveiller les opérations dans 163 des 206 comtés en plus d'avoir ouvert quatre bureaux auxiliaires dans les régions éloignées.
L'aide alimentaire fournit par la Banque des céréales vivrières du Canada fait l'objet d'un suivi assuré par un consortium de sept organisations non gouvernementales par le truchement de l'unité responsable de la liaison pour l'aide alimentaire, et ce, grâce à des visites sur le terrain et des rencontres avec des représentants de tous les paliers de l'administration nord-coréenne. Les bailleurs de fonds et les agences humanitaires devraient utiliser ces contacts avec des représentants de l'administration nord-coréenne pour demander un meilleur accès et davantage de transparence.
Peu importe les événements politiques, nous ne devons pas oublier la terrible situation que vit la population en raison du régime actuel. En dépit des hausses encourageantes dans les niveaux de production agricole cette année, il n'en demeure pas moins que la Corée du Nord continuera d'avoir un besoin en assistance humanitaire. Des changements structurels importants seront nécessaires pour mettre fin aux pénuries alimentaires chroniques. Parmi ces changements, mentionnons l'amélioration de la gouvernance et la réforme économique.
Merci, monsieur le président. M. Loevinsohn ne fera pas de déclaration, mais sera disponible pour répondre à vos questions.
[Français]
Le président: Merci beaucoup, monsieur Métivier. Nous allons maintenant passer aux questions.
Monsieur Day, s'il vous plaît.
[Traduction]
Ce seront des périodes de questions de cinq minutes.
M. Stockwell Day: Je vous remercie monsieur le président, ainsi que chacun d'entre vous pour vos excellents exposés. Il ne fait pas l'ombre d'un doute que si l'Irak pose de grandes difficultés, le problème de la Corée du Nord est énorme.
Nous avons déjà échangé avec des témoins au sujet des ressources nucléaires. Nous le savons tous, le 5 février dernier, la Corée du Nord a annoncé qu'elle remettait le réacteur Yongbyon en service. Comme vous l'avez souligné, il faut tenir compte des 8 000 barres de combustible dont la Corée du Nord dispose déjà et de la possibilité qu'en quelques mois elle puisse produire du plutonium pouvant servir à la fabrication de bombes.
Selon nos sources, si nous en venions à une intervention militaire, en dépit du fait que la Corée du Nord dispose de chasseurs MiG-29 et de missiles anti-aériens de types SA-2 et SA-5, les installations nucléaires sont, quant à elles, excessivement vulnérables aux missiles de croisière. L'inconvénient de cette situation, comme certains d'entre vous l'ont indiqué, c'est l'éventuelle riposte.
Je rappellerais que des rapports de nos services de renseignement nous ont informé des armements de la Corée du Nord: 500 armes Koksan de 170 mm; 200 systèmes de lance-roquettes multitube qui pourraient atteindre Séoul avec des armes chimiques et de l'artillerie; entre 500 et 600 missiles Scud qui pourraient toucher n'importe quelle cible en Corée du Sud. Nous savons également qu'elle dispose de 100 missiles No-dong pouvant atteindre le Japon et que 70 p. 100 de ses unités armées se trouvent à 100 milles ou moins de la zone démilitarisée et que celles-ci pourraient envoyer jusqu'à 500 000 projectiles d'artillerie à l'heure pendant plusieurs heures selon certaines estimations. L'Armée américaine estime que cette riposte se solderait par 300 000 à 500 000 victimes des cotés américains et nord-coréens. Ce sont des chiffres inquiétants; il s'agit d'un grave problème.
Nous devons nous interroger sur les éléments de notre arsenal autres que militaires; qu'avons-nous à notre disposition?
Survient donc la question de l'aide humanitaire, qui présente un véritable dilemme. Nous savons que tant que des dictateurs comme celui-ci—et il n'en reste que très peu dans le monde d'une nature aussi, oserais-je dire, malveillante...
Mme Alexa McDonough: Monsieur le président, un rappel au Règlement: il me semble que par respect pour nos témoins, ce serait préférable d'écouter ce qu'ils ont à dire plutôt que de discourir sur ce que connaît un membre du comité et ce qu'il croit savoir au sujet de...
Le président: Madame McDonough, il dispose de cinq minutes. Deux minutes et demie sont déjà écoulées. S'il continue sur cette lancée pendant quatre minutes et demie, la réponse durera 30 secondes. C'est son droit.
Allez-y, monsieur Day.
M. Stockwell Day: J'espère que cette interruption inopportune ne va pas nous détourner de ce très grave problème. Le sectarisme politique et les remarques farfelues n'ont pas leur place ici.
Notre témoin a décrit le régime de Corée du Nord comme étant—et je cite—«en marge du mal», c'est-à-dire qu'il fonctionne dans un univers moral parallèle, et nous n'aurons de sécurité que lorsqu'il sera réduit en cendres, car c'est la place dans l'histoire qui lui revient. Je parle ici du régime et non pas de la population.
Je m'inquiète de la population. N'existe-t-il pas une façon quelconque d'intervenir sur le plan humanitaire? Sans l'aide humanitaire, des centaines de milliers de personnes meurent actuellement. Sans l'aide humanitaire, d'autres encore mourront. Grâce à l'aide actuelle, ce dictateur continue de se maintenir et d'étouffer une révolution interne.
L'aide ne pourrait-elle pas être assortie d'information sous forme de brochures ou de feuillets. Songez à la force qu'avait la Radio Free Europe. N'y a-t-il aucun moyen? Je ne peux pas m'imaginer ce que nous pourrions faire sur le plan militaire mais sur le plan de l'aide, n'y aurait-il pas moyen d'influencer la Corée du Nord sur ces questions-là?
À (1035)
Le président: Monsieur Mulroney.
M. David Mulroney: Vous avez campé un véritable défi. Comme Jean-Marc l'a expliqué clairement, la distribution efficace de l'aide est l'un des problèmes qui se pose. Il y a toutefois un timide progrès car on semble vouloir exercer une surveillance plus active à l'échelle du pays de sorte que nous puissions intervenir pour garantir, avant tout, que l'aide atteint ceux qui en ont le plus besoin.
Avec nos propres relations diplomatiques, nous envisageons de commencer à négocier avec les Coréens du Nord la possibilité d'avoir accès à la population sans passer par le gouvernement, pour rejoindre la base même de la société civile en Corée du Nord. Toutefois, ces démarches ne font que s'amorcer. Nous avions proposé des solutions. Nous avions envisagé la possibilité de constituer ce qu'on appelle un «fonds du Canada» pour pouvoir compter sur une somme modeste afin d'intervenir dans les projets locaux avec des partenaires locaux. Jusqu'à présent, les choses n'ont pas progressé dans ce sens.
Toute notre action en Corée du Nord repose sur une intervention auprès des Coréens du Nord—a) pour dispenser de l'aide et b) pour que les Coréens participent à la collectivité.
Jean-Marc.
M. Jean-Marc Métivier: Je ne veux pas répéter ce que M. Mulroney a dit mais il décrit bien la situation. Grâce au système de surveillance que nous avons exigé, l'aide humanitaire a contribué passablement à l'ouverture du pays. C'est un travail constant que nous devons faire pour élargir le réseau et cela n'a pas été facile.
Pour répondre à votre question, comme l'a dit M. Mulroney, il faudrait une forme quelconque d'ouverture du programme d'aide à la Corée du Nord.
Dans l'ombre de conflits et de guerres civiles, de par le monde, dans des pays qui n'arrivent pas à se réformer, nous avons constaté que le recours à l'aide n'est pas très efficace quand on se borne à répondre aux besoins humanitaires immédiats de la population sans parvenir à constituer des réseaux au sein de la population civile.
[Français]
Le président: Merci.
Madame Lalonde, s'il vous plaît.
Mme Francine Lalonde (Mercier, BQ): Merci d'être là. J'ai hâte d'avoir les mêmes informations sur l'Irak, en particulier sur le plan humanitaire.
J'ai devant moi une dépêche que j'ai trouvée sur Internet ce matin, où des représentants du gouvernement, des Affaires étrangères, disent
[Traduction]
en cas de provocation, le Nord pourrait attaquer le commandement militaire américain n'importe où.
Ils ont dit que le Conseil de sécurité devrait discuter de la responsabilité des États-Unis dans le différend actuel en ce qui concerne les armes nucléaires de Pyongyang.
[Français]
Il est clair qu'ils veulent conclure une entente avec les États-Unis. À ce sujet, Madeleine Albright a dit ne pas comprendre pourquoi les États-Unis ne reprenaient pas l'entente de non-agression qui avait été négociée après plusieurs mois.
Pour ma part, je ressens un très grand malaise face à cette situation et je crois que la population entière--pas uniquement celle du Canada--partage ce sentiment.
D'une part, tout le monde est braqué sur l'Irak, qui est censé constituer la plus grande menace, alors qu'on n'en a aucunement la preuve. D'autre part, la Corée du Nord, qui se vantait ce matin de pouvoir frapper les forces américaines n'importe où, est prête à faire la guerre et attaque les États-Unis au Conseil de sécurité.
Un professeur japonais--il s'agissait d'une dépêche japonaise--dit que de toute façon, ils n'ont même pas besoin d'envoyer cela, parce qu'ils sont très efficaces en matière de terrorisme. Ils ont souvent utilisé ces moyens, notamment contre la Corée du Sud.
J'aimerais par conséquent savoir quelle est la stratégie du Canada. À mon avis, les arguments qui justifieraient une guerre en Irak sont faibles. Or, il me semble nécessaire de revoir notre position. Le fait que, d'un côté, tout le monde fasse preuve d'une extrême politesse envers la Corée du Nord--ce n'est pas que je veuille faire la guerre--et que, d'un autre côté, on continue les préparatifs de guerre contre l'Irak, comme si nous faisions face à une menace énorme, indique que quelque chose ne tourne pas rond.
Bien sûr, encore une fois, les Américains sont au coeur de la question. Rumsfeld, au niveau tactique, fait preuve comme toujours de beaucoup de stratégie et dit qu'il est possible de faire la guerre à deux endroits en même temps.
Bref, je veux savoir quelle est votre stratégie. On peut, bien sûr, se contenter d'envoyer des communiqués, mais ne trouvez-vous pas, comme moi, qu'il y a un déséquilibre dans notre façon de traiter ces deux pays?
À (1040)
M. David Mulroney: Mme Sinclair peut commencer; je pourrai ajouter quelque chose par la suite.
Mme Jill Sinclair: Merci, madame Lalonde.
Je vais essayer de répondre à votre question.
[Traduction]
D'abord, je ne voudrais pas que vous ayez l'impression que nous n'accordons pas d'importance à la RPDC. D'ailleurs je dois dire que nous passons beaucoup de temps sur ce dossier, celui de la prolifération en fait, et ce, depuis très longtemps. Nous surveillons son évolution de près.
Nous avons communiqué en personne nos vives inquiétudes au sujet du comportement de prolifération de la RPDC auprès de ses représentants. Je l'ai d'ailleurs moi-même fait lorsque des représentants nord-coréens sont venus ici à Ottawa. Notre ministre l'a également fait.
Ainsi, en ce qui a trait à l'attention que nous accordons à ce dossier par opposition à d'autres, je puis vous rassurer que nous surveillons cette affaire de près et que nous y consacrons tout l'effort nécessaire.
Quant à votre référence à la gestion américaine du dossier, je vous dirais simplement que jusqu'à preuve du contraire, personne n'a la solution à l'énigme nord-coréenne. On peut faire un rapprochement avec la dernière question; comment engager quelqu'un qui ne souhaite pas s'engager?
Depuis des décennies, l'Agence internationale de l'énergie atomique tente inlassablement d'entreprendre des pourparlers avec la RPDC par le truchement de M. El Baradei, que vous connaîtrez pour d'autres raisons, mais c'est toujours en vain. À mon avis, il s'agit là d'un des plus importants défis à relever.
En ce qui a trait aux États-Unis eux-mêmes, M. Powell a déclaré au Congrès la semaine dernière «Écoutez, nous favorisons la voie diplomatique. Nous voulons travailler dans un cadre multilatéral par l'intermédiaire de l'AIEA». Il s'est d'ailleurs montré souple lors d'une déclaration conjointe faite par les États-Unis, la Corée du Sud et le Japon le 7 janvier dernier.
Nos préoccupations quant au comportement de prolifération de la Corée du Nord sont partagées par tous les États. Personne ne veut entreprendre de pourparlers avec elle puisqu'elle impose des conditions à la fermeture de ses installations et de ses programmes destinés à la production d'armes nucléaires.
Ainsi, nous tentons d'entrer dans un dialogue politique et diplomatique avec la Corée du Nord par le truchement de l'AIEA en particulier, la voie préférable, mais l'autre partie devra saisir la perche qu'on lui tend.
[Français]
Mme Francine Lalonde: Je ne vous demande pas de me dire si vous avez passé beaucoup de temps ensemble. Je veux savoir s'il existe une différence entre la façon dont on traite l'Irak d'une part et la Corée de l'autre.
Le président: Mme Sinclair ou M. Mulroney peut répondre, mais très rapidement.
M. David Mulroney: Pour ce qui est de notre stratégie, je veux préciser que nous avons eu des échanges directs avec Pyongyang ainsi qu'avec des officiels à Pékin et à New York. De plus, nous sommes en train de coordonner notre stratégie avec celle des pays les plus engagés tels que la Corée du Sud, les États-Unis, la Chine et le Japon.
À mon avis, le plus grand défi se situe présentement au niveau des systèmes multilatéraux. Nous sommes en train de faire ce que Jill a décrit. Nous agissons dans plusieurs domaines, mais cela demeure un défi de taille.
[Traduction]
Le président: Merci.
La parole est à monsieur Eggleton.
M. Art Eggleton: Je remercie les témoins pour leurs exposés très approfondis. Je dois dire que vos arguments suscitent des préoccupations justifiées au sujet de la Corée du Nord, de ses armes nucléaires et de ses autres armes de destruction massive. Je crois même que son cas est plus grave que celui de l'Irak, et pourtant, on ne parle que de l'Irak. Dans ce cas-ci, on envisage la voie diplomatique, du moins, d'après les États-Unis. Il est bien dommage qu'on ne puisse en faire autant pour l'Irak, où, au moins, on peut parler au dictateur. Dans le cas de la Corée, on se bute à une porte close.
Je vais vous poser trois questions. Déjà deux fois, la Corée du Nord a parlé très ouvertement d'entrer en guerre. Même Saddam n'en a pas dit autant. J'aimerais comprendre ce qui déclencherait une guerre. L'AIEA , l'Agence internationale de l'énergie atomique, a présenté ce rapport au Conseil de sécurité. Si le Conseil de sécurité adopte une certaine résolution, la Corée du Nord la considérera-t-elle comme une déclaration ou un déclencheur pour la guerre? Qu'est-ce qui ferait mettre sa menace à exécution? C'est la question qui m'intéresse.
En outre, qu'est-ce que cela signifie? Est-ce que la Corée du Nord s'avancera dans la zone démilitarisée et attaquera la Corée du Sud, ou est-ce que la portée de l'agression sera plus large? Le bruit court que la Corée du Nord a un missile qui pourrait atteindre la partie ouest des États-Unis ou du Canada. Est-ce que cela fait partie de ce dont ils parlent?
Ma deuxième question porte sur notre relation avec la Chine. La Chine était là, pendant la guerre de Corée. Elle y a envoyé des troupes. Les Russes sont maintenant dans une autre sphère, mais je me suis toujours dit que les Chinois étaient les plus proches amis des Coréens du Nord, si l'on peut dire.
Quelle est la nature de cette relation? Comment a-t-elle évolué depuis la guerre de Corée? De quelle nature est cette relation aujourd'hui: la Chine peut-elle influencer la Corée du Nord et faire partie de la recherche d'une solution?
Ma troisième question porte sur l'aide humanitaire. Vous nous avez parlé de ce que vous faites. C'est très impressionnant de voir ce que le Canada fait dans ce contexte, pour ces pauvres gens affamés. Mais vous avez signalé qu'il y avait des problèmes. Pour moi, vous avez occulté le plus gros problème: s'il y a une guerre, que ferez-vous? Comment ferez-vous parvenir l'aide humanitaire à ces gens, en cas de guerre?
À (1045)
Le président: Commençons avec Mme Sinclair.
Mme Jill Sinclair: Merci, monsieur le président.
Pour répondre à vos questions, monsieur Eggleton, il faut entrer dans les aspects psychologiques d'un régime psychotique. Il est difficile de savoir ce qui déclencherait la guerre, dans l'esprit des Nord-Coréens. Le bon côté des choses, c'est toute la rhétorique formulée. Leurs déclarations sont tout à fait farfelues, et on ne peut qu'espérer qu'ils pourront ainsi se soulager vraiment. Comme on l'a vu, il est clair qu'ils ont les moyens de lancer une attaque, si c'est ce qu'ils souhaitent, mais je ne sais pas ce qui les porterait à le faire.
Au sujet du Conseil de sécurité des Nations Unies, les Nord-Coréens ont déclaré que si le Conseil de sécurité leur imposait des sanctions, ils déclencheraient la guerre. Pour commencer, le Conseil de sécurité n'imposera pas de résolution à la Corée du Nord. Il devra d'abord examiner le travail de l'AIEA. Le Conseil de sécurité a été saisi de la question, mais nous ne nous attendons pas à ce qu'il adopte une résolution. Le dossier sera confié à l'AIEA, à qui il incombe de traiter de cela. Nous espérons donc que les enchères ne monteront pas multilatéralement, pendant quelque temps.
Vous nous avez aussi posé une question au sujet de leur stratégie en cas de guerre. Comme d'autres, vous avez parlé de ce qu'ils ont près des frontières. Je ne peux pas spéculer quant à leur stratégie. Tout ce que je peux dire, c'est que nous travaillerons au plan diplomatique, avec vigueur, pour qu'ils restent à la table de négociation, sans tenir compte de leur discours, c'est-à-dire sans présumer de l'imminence d'une guerre avec la Corée du Nord. Bien au contraire, nous profiterons de toutes les occasions possibles de dialoguer avec eux.
Le président: Et quelle est la relation avec la Chine, monsieur Mulroney?
M. David Mulroney: Cette question est souvent soulevée. La bonne nouvelle, au sujet des crises actuelles, c'est qu'il ne s'agit pas de discussions trilatérales entre les États-Unis, la Corée du Sud et la Corée du Nord: d'autres intervenants jouent un rôle constructif, notamment la Chine. C'est une chose qu'on n'aurait pas envisagé il y a 10 ou 15 ans.
La Chine a bien une influence sur la Corée du Nord, qui remonte à leur alliance pendant la guerre de Corée. Mais beaucoup de choses ont changé. Tout d'abord, une chose fondamentale au sujet de la Corée du Nord, c'est sa philosophie de l'autarcie, qu'elle appelle «juche». Il s'agit d'un désir fanatique de ne dépendre que d'elle-même. Il y a donc toujours une barrière psychologique entre la Corée du Nord et l'extérieur.
La Corée du Nord a été fortement préoccupée par le développement de la Chine, de même que par son ouverture et, tout particulièrement, par les liens noués avec la Corée du Sud. C'est peut-être une chose qui a encouragé les Nord-Coréens à se tourner davantage vers l'extérieur.
Que veut la Chine? Le premier grand problème pour la Chine, c'est la marée de migrants économiques qui y arrivent, de la Corée du Nord. Alors que la situation économique se détériorait dans le nord-est de la Chine, des dizaines de milliers, et peut-être davantage, de Nord-Coréens y arrivaient. De manière bien pragmatique, la Chine craint qu'un effondrement interne de la Corée du Nord se traduise par un nouvel afflux de migrants à sa frontière.
La Chine ne veut pas non plus que la Corée du Nord soit une puissance nucléaire. Tout d'abord, parce que la Corée du Nord est un État imprévisible. Ensuite, d'après l'analyse politique chinoise, si la Corée du Nord dispose d'une arme nucléaire, et sait s'en servir, d'autres États, comme la Corée du Sud et le Japon seront tentés de l'imiter, pour leur propre sécurité. Et c'est une crainte très forte.
La Chine joue donc la prudence. En décembre dernier, à Beijing, j'ai eu l'occasion de m'entretenir avec leur principal responsable pour la Corée du Nord. Nous avons parlé avec d'autres fonctionnaires chinois en janvier. Mais je ne crois pas qu'ils maîtrisent bien la situation, non plus. Ils voudraient qu'on arrive dès que possible à une solution, évidemment, sans conflit armé. Ils guident subtilement les Nord-Coréens dans la bonne direction, mais n'ont pas toutes les réponses.
À (1050)
[Français]
Le président: Monsieur Métivier, vous pouvez parler de l'assistance humanitaire mais rapidement, s'il vous plaît.
[Traduction]
M. Jean-Marc Métivier: Pour l'aide humanitaire, la guerre serait un cauchemar. Comme nous l'avons décrit, actuellement, nous avons un programme de distribution alimentaire très étendu dans le pays, mais cela, en collaboration avec le gouvernement. En cas de guerre, ce serait terminé. Aucune cargaison d'aide alimentaire n'entrerait plus au pays.
En pareil cas, quel serait le dernier recours? Essentiellement, les sociétés de la Croix-Rouge et le Comité international de la Croix-Rouge, et les mécanismes multilatéraux applicables en cas de guerre. Du point de vue humanitaire, ce serait catastrophique.
[Français]
Le président: Merci.
Madame McDonough.
[Traduction]
Mme Alexa McDonough: Merci beaucoup, monsieur le président.
J'ai trois questions. Et je vous remercie beaucoup pour ce cours intensif sur cette situation épouvantablement effrayante et dangereuse que le monde entier suit avec horreur. Nous serions bien avisés d'essayer de savoir ce qui se passe exactement et ce que le Canada peut faire, de concert avec d'autres pays.
Vous avez fait allusion plusieurs fois dans le cours de vos exposés aux lacunes de la contribution des pays donateurs. Pourtant, le Canada, au cours de la dernière année, comme vous l'avez signalé vous-même, a accru son aide publique au développement à la Corée. Je me demande si vous pourriez nous en dire un peu plus long là-dessus. Est-ce qu'il y a des pays qui se sont retirés à cause des violations systématiques, etc.?
Deuxièmement, dans de telles situations désespérés, on a toujours tendance à rechercher la moindre lueur d'espoir et la moindre occasion de contribuer à rétablir la société civile, afin de renforcer tout indice le moindrement prometteur. Pourriez-vous nous en dire un peu plus long sur les progrès réalisés par le Programme alimentaire mondial en termes de contrôle, de rapports, etc., dans la grande majorité des 206 comtés. Est-ce que cela représente l'émergence d'une force politique progressiste? Y a-t-il possibilité de renforcer ce mouvement? Ou bien, si ce mouvement prend la moindre envergure, peut-on s'attendre à ce qu'il soit brutalement réprimé par une dictature impitoyable qui ne saurait tolérer la moindre tendance progressiste?
M. Ernest Loevinsohn (directeur général, Centre de l'aide alimentaire, Agence canadienne de développement international): Sur la première question, à savoir quels pays ont réduit leur aide, le Japon a été un facteur important. Il a réduit considérablement son soutien au Programme alimentaire mondial pour la Corée du Nord. Compte tenu de l'importance du Japon en tant que pays donateur, cela a eu des répercussions énormes, comme vous pouvez l'imaginer.
Pour ce qui est des progrès accomplis par le PAM en matière de contrôle, tout dépend de ce que vous prenez comme point de départ. Si c'est la situation initiale, avant le début de l'aide, alors le programme est présent dans beaucoup plus de pays. Si l'on voit ce qui s'est passé depuis le début de la mise en oeuvre du programme d'aide, les progrès sont inégaux; on fait deux pas en avant et deux pas en arrière. Je pense qu'il serait difficile de dire qu'il y a eu globalement progrès au cours des deux dernières années.
Chose certaine, on ne peut pas faire une visite surprise, une sorte de vérification aléatoire, sur un site de distribution de nourriture. Tout cela est contrôlé de façon très serrée. Par exemple, quand nous avons des gens de notre service qui vont là-bas, on les escorte partout. Ils ont une sorte d'ange gardien. Ils ne peuvent pas quitter leur chambre d'hôtel sans que quelqu'un les accompagne. Donc, ce serait, disons, un peu optimiste de dire que nous avons la capacité de faire des vérifications aléatoires.
À (1055)
Le président: Madame McDonough, il vous reste 30 secondes.
Mme Alexa McDonough: En guise de question supplémentaire, je vais passer du contrôle de la distribution des aliments aux inspections en matière d'armement. Le moins que l'on puisse dire, c'est que c'est très décourageant d'essayer d'imaginer que l'on puisse mettre en oeuvre un régime d'inspection des armements qui serait le moindrement couronné de succès. Pourriez-vous nous dire un mot là-dessus?
Le président: Monsieur Métivier.
M. Jean-Marc Métivier: Une brève observation sur votre question précédente. Je pense qu'il serait très optimiste de dire que ce qui a été fait avec succès, pour ce qui est des contrôles mis en place par le Programme alimentaire mondial, est le début de la mise en place d'une société civile. Nous n'en sommes pas encore là.
Mme Alexa McDonough: Cela témoigne d'un besoin désespéré de nourriture, plutôt que d'une quelconque coopération...
Le président: Merci, madame McDonough.
Monsieur Harvard.
M. John Harvard: Merci, monsieur le président.
Je vous remercie pour vos exposés.
Je me disais justement que peut-être nous serions tous en bien meilleure posture si nous admettions, surtout les dirigeants mondiaux, que tout ce que nous faisons dans les dossiers de la Corée du Nord et de l'Irak ne fonctionne tout simplement pas. Quand on songe que la guerre du Golfe a pris fin il y a 12 ans et que nous sommes au seuil d'une nouvelle guerre... Cinquante ans ont passé depuis l'armistice de Corée, et où en sommes-nous? Nous avons une Corée qui possède des armes nucléaires et qui est une menace. Cela ne fonctionne pas. Tous les efforts déployés dans le monde entier ne donnent aucun résultat.
Vous avez dit, monsieur Mulroney, que les Coréens du Nord croient en l'autarcie. Eh bien, cela ne va pas très bien, leur affaire. Et je ne suis pas isolationniste. Tout en moi résiste à l'isolationnisme. Et je crois aussi en l'aide humanitaire.
Cependant, vous dites, monsieur Mulroney, dans votre exposé, qu'il serait contre-indiqué d'isoler la Corée du Nord ou de faire comme si elle n'existait pas. Je sais que c'est aussi mon sentiment. Mais vous dites aussi que la politique de la Corée du Nord est fondée sur la volonté de survie du régime, que son contact avec l'Ouest vise avant tout la survie du régime. Autrement dit, on pourrait dire qu'ils nous utilisent. Ils se servent de nous pour assurer leur propre survie.
De quoi avons-nous l'air? Ils se servent de nous pour assurer leur propre survie, mais nous, nous continuons de jouer le jeu et d'avoir des contacts avec eux, ce qui ne nous mène absolument nulle part, apparemment.
Ma question est donc la suivante. Étant donné que le bilan n'est pas très reluisant, est-ce que nous, je veux dire les Canadiens et aussi le reste du monde, envisageons de réorienter notre politique? Ou bien continuons-nous obstinément de jouer les mêmes petits jeux?
Je sais que cela peut paraître frustrant, et je suis d'ailleurs frustré, mais je pense que nous en sommes là.
Le président: Monsieur Mulroney.
M. David Mulroney: Merci, monsieur Harvard.
Vous avez raison, c'est une situation extraordinairement difficile. Dans le dossier de la Corée du Nord, nous sommes confrontés aux indices les plus vagues et les plus ténus d'ouverture et de possibilités. Avant la fin des années 90, nous n'avions pas de relations diplomatiques avec la Corée du Nord, et ils étaient plus ou moins isolés. Nous avons réagi favorablement aux premiers signes d'ouverture, lesquels étaient probablement fondés, comme je l'ai dit, sur le désir de la Corée du Nord de conserver son régime intact. Mais au moins, cela nous a donné la possibilité d'amorcer un dialogue avec eux, de commencer à explorer la situation et de commencer à percer la carapace étanche de leur société.
Est-ce que tout cela a débouché sur le changement que nous souhaitions? Non, et dans notre dialogue avec la Corée du Nord, il faut toujours qu'il y ait un mélange de... premièrement, il faut que les attentes soient très basses pour ce qui est de la coopération de la Corée du Nord. Il faut être prêt à parler avec franchise, et c'est ce que nous faisons, et à parler de façon cohérente. Mais en fin de compte, c'est encore plus dangereux de les laisser mijoter dans leur petit coin d'Asie du Nord-Est et de leur couper tout moyen de communication.
Notre ouverture à la fin des années 90 a été assez pragmatique, et nous leur avons répété à maintes reprises qu'à chaque fois qu'ils feraient un pas, nous serions en mesure de faire nous-mêmes un pas de plus en termes de coopération, mais qu'il nous fallait constater des progrès de leur part. Nous n'en avons vu aucun, et nous leur avons donc dit que plus rien n'est possible tant qu'ils ne renonceront pas à leur programme d'armes nucléaires.
C'est probablement l'une des relations les plus difficiles à gérer que nous ayons, mais ce que nous avons tenté de faire, c'est de répondre favorablement aux moindres ouvertures, pour voir si nous pourrions ouvrir la porte un peu plus grand.
Á (1100)
Le président: Nous allons maintenant entendre M. Casey.
M. Bill Casey: J'ai entendu quelqu'un dire que les Coréens voulaient bien traiter directement avec les États-Unis sur un plan bilatéral, mais qu'ils ne voulaient rien faire sur le plan multilatéral. Pourquoi donc?
Le président: Monsieur Mulroney.
M. David Mulroney: Parce que les Coréens veulent présenter la crise comme une crise entre la Corée du Nord et les États-Unis, et toute leur rhétorique est d'ailleurs axée sur cela. Le problème est que les actions de la Corée du Nord sont dirigées non pas seulement contre les États-Unis, mais également, comme Jill l'a bien dit, contre tout le système multilatéral dont nous dépendons. Les Américains ont donc déclaré que leur dialogue avec la Corée du Nord devrait se dérouler dans un contexte multilatéral, ce que nous disons aussi, et donc qu'il s'agit là de quelque chose qui transcende la simple relation bilatérale. C'est quelque chose d'important pour la défense des institutions qui nous sont tellement chères. Mais nous pensons également que la Corée du Nord a toujours eu pour stratégie d'essayer de se ménager des espaces, par exemple entre deux pays. Par conséquent, la meilleure façon de procéder consiste à insister toujours sur une démarche multilatérale.
M. Bill Casey: Quels sont les outils dont dispose l'AIEA? En a-t-elle au moins?
Mme Jill Sinclair: Merci, monsieur Casey. Si vous me le permettez, je voudrais simplement ajouter un mot à la réponse de David.
Les Nord-Coréens cherchent avant toute autre chose l'engagement des États-Unis, de sorte que quoique fassent les autres, qu'il s'agisse des Sud-Coréens qui tentent de se rapprocher, ou de la Chine ou de la Russie, ce que la Corée du Nord veut, c'est être reconnue par les États-Unis pour des raisons aussi bien psychologiques que pratiques. Cela, je pense, nous ne devons pas l'oublier.
S'agissant maintenant des instruments dont dispose l'AIEA, l'agence dispose effectivement d'une équipe d'inspecteurs dotés de tous les moyens techniques nécessaires. Lorsque ces inspecteurs étaient en Corée, ils pouvaient surveiller 24 heures sur 24 et sept jours sur sept les installations nucléaires qui leur étaient ouvertes par les Nord-Coréens. Ainsi, si le gouvernement nord-coréen venait à décider d'admettre à nouveau les inspecteurs, cela prendrait probablement un ou deux ans, mais nous pourrions alors savoir ce qui se passe précisément en Corée du Nord, combler les lacunes dans les déclarations du gouvernement nord-coréen et avoir un programme opérant qui permettrait, à la Corée du Nord, de disposer de ses réacteurs à eau ordinaire, d'une source d'énergie sûre, et donc de réintégrer la communauté internationale.
M. Bill Casey: À qui l'AIEA est-elle subordonnée?
Mme Jill Sinclair: À ses États membres, dont le Canada.
M. Bill Casey: Quel est le lien entre l'AIEA et les Nations Unies? Existe-t-il un lien direct?
Mme Jill Sinclair: L'AIEA est une agence des Nations Unies, mais c'est également un organisme indépendant. Elle ne fait pas rapport aux Nations Unies, mais elle peut néanmoins renvoyer les dossiers suffisamment graves devant le Conseil de sécurité.
M. Bill Casey: Est-ce que la Corée du Nord est actuellement une menace pour le Canada?
Mme Jill Sinclair: D'après ce que je sais, je dirais non.
M. Bill Casey: J'aurais une autre question à vous poser par pure curiosité. Il y avait des contrôleurs du marché alimentaire. Combien y en a-t-il actuellement en Corée?
M. Ernest Loevinsohn: Je n'ai pas le chiffre exact, il faudrait que nous nous renseignions, monsieur.
Le président: Merci, monsieur Casey.
La parole est maintenant à M. Martin.
M. Keith Martin: Merci d'être venus.
À défaut d'autre chose, cette triste épopée prouve en fait que le mécanisme international qui est censé endiguer la prolifération de matériel fissile est un échec absolument lamentable. C'est vrai, et j'espère que le Canada pourra faire quelque chose pour améliorer la situation dans l'avenir.
J'aime bien faire la distinction entre les problèmes aigus et les problèmes chroniques. Les menaces à l'encontre de la sécurité, les menaces humanitaires et les problèmes à long terme d'économie et de gouvernance en Corée du Nord sont des problèmes aigus qui appellent une solution. Je voudrais vous demander pourquoi nous sommes tellement obnubilés par l'Irak plutôt que par la Corée du Nord alors que ce dernier pays représente une menace avérée, puisque la preuve a été faite qu'ils disposaient d'un arsenal nucléaire—comme Mme Lalonde me l'a dit hier, la Corée du Nord a expressément reconnu que la côte Ouest était à la portée de ses missiles balistiques—et enfin, ce pays est sous la houlette d'un dirigeant instable et paranoïaque? C'est donc une menace sérieuse.
Qu'est-ce que le Canada pourrait faire de plus? Pensez-vous que l'approche multilatérale serait préférable à la formule chinoise, la Chine ayant dit récemment qu'une démarche diplomatique toute en douceur serait préférable dans le cas de cette relation? Serait-ce le cas?
Par ailleurs, qui fournit à la Corée du Nord le matériel qui lui permet de fabriquer des armes de destruction massive et existe-t-il des liens entre la Corée du Nord et les organisations terroristes?
Á (1105)
Le président: Voilà une excellente question.
Monsieur Mulroney.
M. David Mulroney: Je pourrais peut-être commencer en disant que le Canada prend très au sérieux les deux cas de figure qui ont également pour dénominateur commun l'importance d'un régime multilatéral d'inspection qui soit véritablement opérant. Il est certain que dans le cas de la Corée du Nord, c'est pour nous la seule option réaliste. Pour ce qui est de la proposition chinoise de diplomatie en douceur, cela aussi est précieux. Comme je l'ai dit, c'est un nouveau membre de l'équation.
Par contre, il y a des problématiques plus larges. La Corée du Sud a énormément d'intérêts en jeu, tout comme le Japon d'ailleurs. Il suffit de se rappeler la visite effectuée par le premier ministre Koizumi cet automne et certaines des dynamiques qui sous-tendent les relations entre le Japon et la Corée du Nord. La Russie aussi a des liens historiques, et toute la communauté internationale au sens large est partie prenante. Je pense que c'est l'approche multilatérale qui est la voie de la solution.
Je dirais que nous avons constaté récemment un signe encourageant, et je pense ici à la visite relativement utile, dont j'ai d'ailleurs parlé dans mon exposé, que l'envoyé spécial Maurice Strong a faite récemment pour le compte des Nations Unies. Les Nations Unies ont toujours eu des rapports difficiles avec la Corée du Nord parce que ce sont les casques bleus qui ont combattu pendant la guerre de Corée. Mais la Corée du Nord a réservé un bon accueil à M. Strong qui a réussi à transmettre quelques messages, et je sais d'ailleurs que le ministre Graham est régulièrement en contact avec lui. C'est donc une autre option possible qui pourrait encourager le dialogue.
Mme Jill Sinclair: Merci, monsieur Martin.
Pour ce qui est des matières fissiles, je sais que vous êtes au courant, mais je dis ceci pour l'édification des autres membres du comité, nous nous employons depuis quelque temps dans le cadre de la Conférence sur le désarmement de favoriser une interdiction multilatérale de la production de matières fissiles. Malheureusement, ces négociations ne semblent pas aboutir, de sorte que nous poursuivons nos efforts.
Je dirais également que les interventions multilatérales sont en quelque sorte complétées par des actions bilatérales... Je ne veux pas vous laisser l'impression que les deux s'excluent mutuellement. Les deux démarches sont censées se renforcer l'une l'autre, et je pense qu'alors que nous nous employons surtout à travailler dans le cadre de l'AIEA, il y a également toutes sortes d'initiatives bilatérales en cours qui ont leur importance.
Vous avez également demandé quels étaient les fournisseurs de la Corée du Nord. Là encore, il suffit de consulter certains sites Web pour découvrir qu'il existe des sources d'approvisionnement facilement accessibles. Carnegie, Monterey et bien d'autres sources, sans parler du simple bon sens, portent à penser qu'il y a eu une certaine collaboration entre la Corée du Nord et le Pakistan dans le cadre du programme nucléaire. Voilà donc un des liens possibles.
S'agissant maintenant des autres armes de destruction massive, la Corée du Nord a réussi à se doter de ses propres moyens, à tout le moins en ce qui concerne la production de missiles. D'ailleurs, la Corée en vend parce qu'elle a réussi à se doter d'une capacité de production.
Le président: Je vous remercie.
Allez-y, monsieur Martin.
M. Keith Martin: À long terme, je pense que la seule façon pour nous d'arriver à faire tomber cette barrière derrière laquelle s'abrite ce pays isolationniste, c'est l'ouverture de la société civile nord-coréenne sur la communauté internationale. Ce n'est que de cette façon que le peuple va réussir à se soulever, à changer même, afin que nous puissions alors faire intervenir les changements économiques et structurels et les changements de gouvernance nécessaires en Corée du Nord pour éviter une catastrophe humaine.
Le président: Monsieur Obhrai, vous pouvez poser une très brève question, sans préambule.
M. Deepak Obhrai (Calgary-Est, Alliance canadienne): Je n'ai pas de préambule, seulement deux petites questions.
La présence canadienne en Corée du Nord est-elle strictement limitée à l'aide alimentaire?
Deuxièmement, existe-t-il une opposition quelconque digne de ce nom en Corée du Nord?
Le président: Merci.
Monsieur Loevinsohn.
M. Ernest Loevinsohn: Nous apportons essentiellement une aide alimentaire, mais ce n'est pas tout. Comme l'a dit Jean-Marc dans son exposé, nous apportons aussi d'autres formes d'aide à la Croix-Rouge—en matière de soins de santé, de préparation aux calamités, ce genre de choses.
Pour ce qui est de la deuxième question, peut-être...
Le président: Monsieur Mulroney.
M. David Mulroney: Il y a aussi des ONG qui sont actives dans d'autres domaines que l'aide alimentaire.
À notre connaissance, il n'existe pas d'opposition en Corée du Nord et le régime est conçu de façon à museler totalement la liberté d'expression. Les gens qui ont réussi à partir à l'Ouest en s'échappant par la Chine racontent des histoires effroyables sur les camps de prisonniers. C'est une société qui est étroitement verrouillée à partir du sommet et dans laquelle l'opposition n'a pas le moindre moyen d'expression à notre connaissance.
M. Deepak Obhrai: Merci.
Le président: Je tiens à remercier nos témoins qui ont accepté de comparaître au pied levé sur cette question importante. Nous vous en sommes très reconnaissants.
Par ailleurs, chers collègues, je vais demander, par l'intermédiaire de notre greffier, à M. Maurice Strong, le conseiller du Secrétaire général des Nations Unies pour la Corée du Nord, de bien vouloir nous exposer son point de vue sur la crise en Corée du Nord.
Nous allons lever la séance pour cinq minutes.
Á (1110)
[Français]
Mme Francine Lalonde: Est-ce que nous avons prévu une rencontre avec les représentants qui pourraient nous informer de la situation humanitaire en Irak, sur cette question?
Le président: Nous avons demandé à la ministre Whelan de venir devant ce comité et nous attendons une réponse de sa part.
Mme Francine Lalonde: Il me semble que c'est urgent.
Le président: C'est pour cette raison que nous avons fait cela ce matin. Nous faisons une pause.
[Traduction]
Merci. Nous prenons une pause de cinq minutes.
Á (1110)
Á (1127)
La vice-présidente (Mme Diane Marleau): La séance est ouverte.
Je souhaite la bienvenue à Mark Malloch Brown, administrateur du programme des Nations Unies pour le développement. M. Brown, nous laissons normalement à nos témoins une dizaine de minutes pour faire leur exposé et ensuite nous passons aux questions.
M. Mark Malloch Brown (administrateur, Programme des Nations Unies pour le développement): Je vous remercie de m'avoir invité aujourd'hui.
Je crois savoir que vous avez déjà abordé ce matin l'aide alimentaire, l'agriculture et la Corée du Nord. Je ne sais trop que dire pour retenir votre attention, par rapport à de tels sujets. Cependant, je pourrais peut-être féliciter votre comité de continuer à s'intéresser à ce qui se passe dans le reste du monde.
En effet, le secrétaire général et moi-même sommes d'avis qu'il est fort difficile, à l'heure actuelle, d'intéresser les gens à autre chose que l'Irak. Nous traversons une période difficile. Si nous faisions l'un et l'autre notre calcul de l'emploi du temps au cours des dernières semaines, et cela vaudrait aussi pour votre compatriote distinguée Louise Fréchette, je crois que nous pourrions dire que nous avons tous les trois consacré beaucoup de temps au Venezuela, beaucoup de temps à la famine et à la crise agricole en Afrique, dont l'ampleur et l'intensité grandissent et que la question du VIH/SIDA vient compliquer énormément, et un temps assez considérable également à d'autres crises ou questions de développement ou d'aide humanitaire ailleurs dans le monde. Évidemment, il est difficile non seulement devant la presse mais même dans nos échanges privés de mener tous ces dossiers dans un contexte où la question de l'Irak prend des proportions toujours grandissantes. Nous tenons donc à vous féliciter à cet égard.
Pour vous faire connaître le PNUD et nos objectifs prioritaires actuels, permettez-moi tout d'abord de vous dire que le PNUD incarne le lien entre le volet politique de l'ONU et du Secrétaire général et le développement.
Je suis le premier administrateur du PNUD à avoir été choisi par un secrétaire général. Ce dernier m'a choisi à titre d'ancien collègue avec lequel il pouvait avoir des rapports de travail étroits. Tous mes prédécesseurs avaient été nommés par un gouvernement états-uniens, selon un mode de sélection fort semblable à celui qui s'applique aux résidents de la Banque mondiale. Cependant, ils n'avaient pas été choisis personnellement par un secrétaire général.
De fait, l'équipe de direction de l'ONU a été choisie de la même façon. Dans une large mesure, nous avons été réunis par un dirigeant remarquable pour l'épauler dans sa vision, qui associe de près la paix et le développement, ainsi que la lutte à la pauvreté.
Le Secrétaire général propose à cet égard les huit objectifs de développement très clairs et nets pour le millénaire, adoptés lors du Sommet du millénaire des Nations Unies en 2000, mais transposés à la suite des conférences internationales des années 90, en sept résultats simples et significatifs pour toute personne pauvre vivant sur notre planète aujourd'hui. Il s'agit des objectifs suivants: réduire la pauvreté de moitié d'ici à 2015; faire en sorte que tous les garçons et toutes les filles fréquentent l'école; veiller à supprimer, à tous les paliers, les inégalités d'accès à l'éducation pour les filles; inverser la tendance pour ce qui est de la propagation de maladies infectieuses, des ravages du VIH/SIDA, de la malaria et de la tuberculose, qui dévastent l'Afrique et menacent sérieusement d'en faire autant en Asie et dans les Caraïbes au cours des prochaines années; inverser le processus de dégradation de l'environnement, notamment dans ses effets sur la vie des gens ordinaires, y compris la perte de forêts et de villages, l'absence d'eau potable ou d'énergie à prix raisonnable.
Tous ces aspects représentent un programme simple et facile à comprendre pour les pauvres de notre monde. Il ne s'agit pas d'objectifs sophistiqués retenus par des fonctionnaires internationaux et fondés sur des considérations abstraites. Il s'agit d'aspects qui touchent de près ce qui importe pour les gens du Sud. Ce sont des enjeux tout aussi terre-à-terre que le sont pour les Canadiens des enjeux ayant trait au montant d'impôt qu'on doit verser, au fait d'avoir ou non un emploi, à la qualité de l'éducation dont bénéficient les enfants à l'école publique. C'est en tout point l'équivalent pour les gens pauvres du Sud.
Á (1130)
Je dis cela parce que, en un sens, il y a toujours un petit peu de cynisme au sujet du développement. Les gens se disent: «Ah, encore une série d'objectifs fixés par l'ONU». Il s'agit ici de quelque chose de complètement différent. Ce sont des objectifs auxquels les pauvres, partout, tiennent énormément. Nous leur offrons une extraordinaire nouvelle source de données, et par conséquent de pouvoirs politiques, parce que nous sommes maintenant tout près d'être capables de leur offrir chaque année des renseignements à jour sur l'état de leur collectivité? Comment s'en sortent-ils par rapport à d'autres régions de leur pays? Comment s'en sortent-ils en comparaison du pays voisin qui a une situation économique semblable, mais qui s'en tire peut-être beaucoup mieux sur le plan de l'éducation, de la lutte à la pauvreté ou des soins de santé? Cela permet soudainement à une personne pauvre de faire le pont entre son expérience individuelle et une comparaison qui devient le fondement de l'action politique. C'est vraiment extraordinaire.
Il y a quelques semaines, j'ai assisté à une assemblée publique à Kinshasa, dans la République démocratique du Congo. Si vous connaissez les Congolais, vous savez qu'ils n'ont pas cessé de maugréer et de se plaindre depuis 1960 des méfaits du monde entier à leur égard; ils se plaignent de ce qu'il leur a été impossible, dans la foulée du colonialisme belge, de jouir des avantages de la richesse qu'ils possèdent, selon eux; et compte tenu des richesses immenses qu'ils possèdent, si seulement on ne leur avait pas fait la vie dure, ils seraient au même niveau que les Européens en fait de revenu par habitant. Cette conviction est ancrée chez tous les Congolais que je connais.
Alors, vous pouvez imaginer la tension qui a éclaté dans une petite assemblée publique, alors que j'avais à mes côtés un ministre plutôt suffisant, quand je leur ai dit que, d'après nos données sur l'atteinte des objectifs de développement pour le millénaire, le revenu par habitant des Congolais avait diminué et n'était plus que le tiers de celui de leurs voisins immédiats, les Ougandais et les Rwandais.
Maintenant, vous devez imaginer, je sais que c'est difficile à comprendre, mais les citoyens de Kinshasa ont une attitude très condescendante envers les gens du Rwanda et de l'Ouganda. Ce sont là de petits pays isolés qui n'ont pas vraiment de richesse sauf le café, tandis que le Congo est un pays riche en ressources. On y trouve Kinshasa, qui est l'une des meilleures capitales de l'Afrique à bien des égards. Mais un revenu par habitant de 90 $, voilà ce que cette guerre a donné.
Il a fallu faire sortir le ministre par une porte dérobée, parce que les gens étaient tellement enragés quand on leur a fait prendre conscience de cette performance comparative. Je n'ai même pas eu la chance d'aborder les chiffres concernant l'éducation.
Je venais d'un pays, le Rwanda, où, en dépit de tous les problèmes et des tensions ethniques, on a un président qui est à la tête d'une minorité ethnique et qui sait que d'ici un an environ il devra gagner des élections en se fondant sur la bonne performance de son gouvernement. Il était absolument braqué sur le fait que depuis 1997, quand les représentants de son gouvernement ont pris place à la table à Kinshasa, les chiffres sur l'accès la santé et à l'éducation, et sur la pauvreté s'orientent tous dans la bonne direction. Mais ce qui le préoccupait, c'était que depuis 1990, quand la guerre a commencé là-bas, les choses avaient empiré. Il s'efforçait donc de montrer à sa population qu'il y avait amélioration au chapitre des objectifs de développement du millénaire, avant d'affronter le peuple aux élections.
Nous avons réussi à faire du développement un élément de la grande politique. Je ne saurais trop insister sur l'importance de cet élément, parce que nous avons affaire à un environnement où, depuis 1980, le nombre de pays démocratiques a doublé. Comme nous l'avons dit l'année dernière dans notre rapport sur le développement humain, 70 p. 100 de la population mondiale habite maintenant dans des pays démocratiques, où la démocratie est souvent très imparfaite, où les droits sont limités, se réduisant parfois au droit de voter tous les cinq ans. Mais la tendance est claire, l'élan est donné. C'est comme au Canada quand le droit de vote a été universalisé, ou encore la Grande-Bretagne.
Á (1135)
Nous avons créé les institutions de la démocratie. Nous devons maintenant créer le langage, les coalitions et le manifeste pour la mise en oeuvre de la démocratie. Ces objectifs de développement du millénaire commencent à avoir exactement le même impact dans les pays en développement que les efforts de réforme sociale en Grande-Bretagne, dossier que je connais particulièrement bien.
Quand on signale qu'il y a de la pauvreté dans le coeur des grandes villes, on dégonfle le ballon des élites politiques et on les oblige à réagir à la colère publique qui s'exprime dans l'urne au moment des élections. Voilà le résultat de tout cela. Il s'agit de créer des objectifs du millénaire, non pas une sorte de nouvelle série de cibles irréalistes fixées par la communauté internationale, mais bien quelque chose de réel. Mais nous devons appuyer cela.
Nous devons l'appuyer par la mise en oeuvre de l'objectif 8, qui traite de ce que le monde industrialisé, les pays donateurs doivent faire. On ne se limite pas à dire qu'ils doivent hausser leur niveau d'aide publique au développement, le fameux seuil de 0,7 p. 100, si difficile à atteindre. On s'attaque aux autres dossiers, ceux du commerce et de l'ouverture aux exportations agricoles et autres biens des pays pauvres en développement; aux dossiers de l'accès de ces pays aux médicaments génériques abordables pour traiter des maladies comme le VIH/SIDA.
Quand on examine ce programme, on constate qu'il reste tellement à faire. En un sens, pour moi-même, nous en sommes là actuellement, dans le système de l'ONU. Nous voulons sortir le dossier du développement de l'ornière dans laquelle il s'embourbait, quand on réclamait un petit peu d'aide technique ici ou là, une sorte de cataplasme sur des niveaux de pauvreté mondiale tout à fait inacceptables. Nous voulons créer une mobilisation mondiale pour atteindre cet objectif.
Si la tragédie du 11 septembre a créé à bien des égards l'engrenage qui nous a amenés au seuil d'une guerre en Irak, la même tragédie a aussi par ailleurs ouvert la voie d'une coopération internationale et d'une aide au développement grandement renforcées. Les États-Unis, le pays même qui inquiète tellement de gens à cause de ses plans concernant l'Irak, est le même pays, le même gouvernement qui a pris l'engagement d'augmenter son aide au développement de 80 p. 100 d'ici 2006.
Le président George W. Bush aura fait plus pour l'aide au développement que n'importe quel président depuis Truman. Durant les années de la présidence de Bill Clinton, l'aide au développement a diminué. Il a donc fallu un président issu de l'aile droite républicaine réagissant à une situation politique complètement transformée pour mettre en place une croissance de cette ampleur. Quelle que soit la justification et les raisons invoquées, nous y voyons une occasion en or, l'occasion de faire preuve de leadership dans ce dossier en Amérique du Nord et en Europe.
Nous nous félicitons vraiment de l'engagement pris par le premier ministre Chrétien d'augmenter de 8 p. 100 l'APD du Canada. Nous y voyons un renforcement de la volonté d'accès non pas seulement dans la politique canadienne, mais également sur tout l'échiquier politique américain et européen. Nous en sommes tous venus à prendre conscience que, tout autant que la guerre en Irak, la lutte contre la maladie et la pauvreté à sa source même est absolument essentielle pour gouverner un monde mondialisé dans l'intérêt de tous et, en conséquence, pour instaurer la stabilité et la sécurité pour tous. Nous ne pouvons plus séparer ces questions dans un monde sans frontière.
La dernière fois que je suis venu ici, c'était avant le 11 septembre, et j'ai été frappé, en essayant d'arriver ici à l'heure, par le changement énorme causé par la mise en place de nouvelles dispositions de sécurité dans cet édifice. Dans le monde entier, nous sommes tous confrontés aux mêmes réalités. Ou bien nous créons dans le nord des communautés barricadées et des forteresses économiques, ou bien, si nous voulons continuer de jouir de l'extraordinaire prospérité et de la vague de changement qui touchent nos vies quotidiennes de façon tellement passionnante et excitante et continuer de jouir de ce phénomène de l'intégration mondiale, nous devons veiller à ne pas permettre que certains coins du monde sombrent dans une pauvreté telle qu'ils mettent en péril notre sécurité, notre prospérité et notre avenir à tous.
En ce sens, le VIH-SIDA est une forme de terrorisme de la santé publique, puisqu'il se propage dans l'ensemble de la communauté mondiale si nous ne le traitons pas à sa source. L'immigration est également une force qui revient nous hanter quand nous laissons le sous-développement et la pauvreté s'envenimer à la source.
Á (1140)
Ce n'est pas seulement pour le terrorisme qu'il faut appliquer une stratégie consistant à la fois à enrayer la propagation du mal et à s'attaquer à ses causes profondes. Tous les dossiers mondiaux doivent être gérés à l'échelle mondiale. En ce sens, je pense que le gouvernement national est en période de mutation et qu'en examinant la situation rétrospectivement, nous serons étonnés de ne pas l'avoir perçue plus clairement à l'époque. Les parlementaires de tous les partis reconnaissent que les responsabilités du gouvernement envers les citoyens canadiens ne s'arrêtent plus aux frontières du Canada, que la santé et la prospérité de nos citoyens et de leurs enfants dépendent tout autant de ce que l'on fait à l'étranger que de ce que l'on fait à l'intérieur.
Merci beaucoup.
La vice-présidente (Mme Diane Marleau): Merci beaucoup.
Je vais maintenant donner la parole à M. Obhrai.
M. Deepak Obhrai: Merci, madame la présidente.
Cela fait longtemps que je veux m'entretenir avec un représentant du Programme de développement des Nations Unies. Je dis cela parce que j'ai grandi en Afrique, en Tanzanie. J'ai vu la pauvreté. Je comprends très bien ce que vous venez de nous décrire en parlant du Congo et du Rwanda. Je peux comprendre les sentiments que l'on a évoqués.
Il est intéressant de signaler que durant ma dernière visite en Inde, dans l'une des provinces où l'on signalait qu'il y avait famine, un représentant élu décrivait la situation exactement dans les mêmes termes que vous venez d'employer, c'est-à-dire les indicateurs de développement humain. Il a mentionné l'éducation et tout le reste.
J'ai le sentiment que vous pouvez bien avoir ce magnifique objectif pour le millénaire, mais d'après l'expérience que j'en ai, le PNUD n'est pas en prise avec la population locale, mais je suis sûr que cela va changer. Quand nous étions là-bas, à la vue du logo de l'ONU, nous nous disions en quelque sorte: «Bon, très bien, ils sont seulement ici pour nous nourrir et c'est tout». C'était perçu comme une organisation élitiste.
Maintenant que vous avez établi ces objectifs de développement, et je conviens qu'ils sont excellents, quels changements ont été apportés à votre organisation et quels obstacles devez-vous surmonter au PNUD pour atteindre ces objectifs? Ce n'est pas une question d'argent. Mettons cela de côté. Vous avez dit que le gouvernement libéral s'est engagé à augmenter de 8 p. 100, et M. Bush aussi. Je veux que vous nous disiez quels sont exactement les défis que vous devez relever, les obstacles que vous devez surmonter sur le terrain pour atteindre ces objectifs de développement.
Á (1145)
Mark Malloch Brown: Je suis arrivé au PNUD en provenance d'un milieu où j'avais été exposé un peu à la même réalité que vous décrivez, monsieur. Je suis né d'un père sud-africain. J'étais Africain dans l'âme, même si j'ai grandi en Angleterre. Mais je suis retourné en Afrique dès que j'ai pu le faire et j'ai passé du temps dans des villes de Tanzanie, peut-être les mêmes où vous avez grandi, et ma colère était activée par la vue des véhicules à quatre roues motrices de l'ONU et tout le reste.
Je suis alors revenu au développement après avoir travaillé au Haut Commissariat pour les réfugiés, où j'étais devenu totalement frustré par l'ONU, et après avoir dirigé par intermittence un bureau d'experts-conseils cherchant à aider les pays en développement dans l'élaboration de leurs politiques, et j'ai travaillé pour beaucoup de politiciens du monde entier que je croyais être des réformateurs, pour les aider à se faire élire dans des pays en développement.
J'ai ensuite été témoin de la réponse désespérément lente du système de développement international aux appels à l'aide lancés par ces réformateurs. Le temps que l'on se décide de passer aux actes, ces gens-là n'étaient plus au pouvoir, souvent parce qu'ils avaient été évincés pour n'avoir pas réussi à remédier à la pauvreté de leurs citoyens, parce que les organisations internationales avaient dit: Désolé, ça va prendre encore quelques années avant de mettre au point un nouveau programme; ou bien nous devons faire ceci ou cela ou je ne sais trop quoi avant que l'on puisse même vous donner de l'argent.
J'ai été scandalisé par le détachement et le cynisme de la communauté du développement international. Je me sens immensément privilégié, après avoir eu la chance d'entrer dans ce milieu à un niveau élevé, d'être en mesure de le réformer.
J'ai aussi constaté, après être passé de l'autre côté de la clôture, qu'en réalité, les gens qui y travaillent sont assez impressionnants, ce sont des gens assez extraordinaires qui ont à peu près le même bagage que vous et moi et qui ont décidé de consacrer leur vie au développement. Mais c'étaient les institutions et les processus et la prolifération d'un multilatéralisme moyenâgeux et mal géré qui emprisonnaient ces gens-là et leur liaient les mains et ne leur permettaient pas d'être aussi efficaces qu'ils auraient pu l'être.
J'ai donc pris le taureau par les cornes et j'ai refusé d'accepter l'argument qu'il est impossible de réformer l'ONU. Je me suis perçu comme une sorte d'amalgame de président Mao et de quelques autres personnalités fortes. J'ai congédié 25 p. 100 du personnel à New York et sur le terrain et, avant que j'en aie terminé, il y en aura probablement d'autres qui devront partir.
Nous avons réduit très considérablement les effectifs de l'agence. Nous avons aussi supprimé 20 p. 100 du personnel opérationnel, parce que ces gens n'avaient tout simplement pas les habiletés voulues pour se charger de ce qu'il fallait faire, d'après mes collègues et moi-même.
Nous avons engagé un extraordinaire groupe de gestionnaires. Nous avons promu des jeunes gens compétents et dynamiques qui étaient déjà à l'interne et nous leur avons adjoint des gens de l'extérieur ayant un bagage impressionnant.
Vous avez peut-être entendu parler de ce rapport que nous avons publié il y a un an sur les États arabes. Un rapport sur le développement humain dans les pays arabes, dans lequel nous disons que le problème de cette région du monde est que l'on n'y trouve aucune démocratie, les femmes n'y ont aucun droit, et que ce monde refuse avec condescendance tout le savoir provenant du reste du monde. Saviez-vous que le monde arabe dans son ensemble traduit en arabe cinq fois moins de livres par année que les Grecs n'en traduisent en grec? Vous savez, le monde arabe est immense et la Grèce n'est qu'un tout petit pays.
L'idée d'un PNUD capable de pointer du doigt les gouvernements arabes et de les confronter à des déclarations pareilles aurait été inconcevable il y a quelques années à peine.
M. Deepak Obhrai: Vous avez raison.
M. Mark Malloch Brown: Même sous ma gouverne, cela aurait été inconcevable. J'avais très peur de me mettre dans le pétrin, mais qui d'autre aurait pu s'en charger?
La femme que j'avais nommée directrice régionale du bureau arabe était la femme ayant atteint le niveau le plus élevé dans le monde de la politique arabe, nommément Rima Khlaf, ancienne vice-première ministre de Jordanie, qui avait eu maille à partir avec le vieux monsieur qui était premier ministre. Le roi Abdullah me l'a donc prêtée pour quelques années, car je suis certain qu'elle retournera un jour dans son pays pour y redevenir première ministre.
Ce sont ces gens-là qui ont extraordinairement hâte de changer leurs régions. Ils se sentent vraiment pressés par le temps.
Vous avez évoqué la Tanzanie. Je vais terminer là-dessus. Il se trouve que le jeune type qui est notre coordonnateur en Tanzanie est un Canadien. Il est entré au PNUD à un assez jeune âge. Il a été le plus jeune représentant résident que nous ayons eu. Il ne cessait de menacer de démissionner; les changements n'étaient pas assez rapides à son goût. Aujourd'hui, il dirige l'un de nos programmes de pays les plus importants, celui de la Tanzanie. Et je parie que si vous allez là-bas, vous n'entendrez pas les mêmes récriminations.
Á (1150)
Cela dit, en matière de réforme, on ne va jamais assez loin. Je pense que nous avons rétabli le lien avec la population.
La semaine dernière, le président Bush a fait une importante annonce mondiale sur le VIH. Il m'a convoqué à la Maison Blanche à cette occasion, et je me suis retrouvé assis à côté d'un très sympathique prêtre de la société Maryknoll, un prêtre américain du Kenya qui dirige là-bas un programme très novateur de lutte contre le VIH/SIDA. Je me suis tourné vers lui et lui ai demandé ce qu'il pensait du PNUD au Kenya. Il a dit exactement ce que vous avez dit: qu'ils ne sont pas en prise avec la réalité locale; qu'ils n'ont aucun rapport avec ce que nous faisons.
Je ne prétends donc nullement que nous avons parfaitement réussi, mais nous avons un groupe fantastique de gens qui sont convaincus que le hasard nous a placés dans une extraordinaire conjoncture, que le monde est en train de changer à cause de la tragédie du 11 septembre. Nous avons un secrétaire général qui est d'une stature et d'une influence mondiale telle que nous n'avons jamais vu la pareille depuis Dag Hammarskjöld, et nous avons l'occasion et la possibilité de changer le monde. Ces objectifs de développement peuvent devenir un manifeste mondial pour ce faire. On est donc en présence d'un groupe de gens qui se considèrent chanceux au-delà de toute espérance.
M. Deepak Obhrai: Merci.
La vice-présidente (Mme Diane Marleau): Nous aimons bien vous écouter mais d'autres veulent poser des questions de sorte que nous allons leur en donner la possibilité et nous vous reviendrons plus tard.
Madame Lalonde.
[Français]
Mme Francine Lalonde: Merci beaucoup, monsieur Malloch Brown. J'ai eu le plaisir de vous entendre au Conseil de l'Europe quand vous étiez à la Banque mondiale, sur la crise économique. C'était fort intéressant.
Les données du PNUD peuvent aider en effet les pays en voie de développement. Je fais une parenthèse. Je sais que les 20 premiers pays sont un peu interchangeables, mais ces données-là ont été faites pour les pays en voie de développement. Ne craignez-vous pas cependant que la relance de la course aux armements ne draine l'argent qui, autrement, aurait été disponible pour toutes ces tâches dont vous parlez? L'eau potable, la forêt, la nourriture, le sida, tout cela demande de l'argent, et on voit que Kofi Annan, avec son fonds sur le sida, n'a pas drainé beaucoup d'argent. Ma première question porte donc sur la course aux armements.
La deuxième porte sur la demande. Il faut des moyens concrets pour que les peuples, notamment les petits fermiers, les hommes et les femmes petits producteurs agricoles puissent tirer un certain profit de cette production. J'ai connu le projet de Nawal Kamel, qui est resté un peu sur les tablettes. Là, il y a l'OMC qui va être confrontée à la question de donner des moyens aux pays en voie de développement pour leurs petits producteurs agricoles. J'aimerais vous entendre sur ces deux questions.
[Traduction]
Mark Malloch Brown: Madame la présidente, voulez-vous accepter quelques questions supplémentaires et ensuite...
La vice-présidente (Mme Diane Marleau): Étant donné que c'est si passionnant, je propose de prolonger la séance un petit peu.
Si les membres du comité le veulent bien, je vais donner la parole à d'autres intervenants et M. Brown pourra ensuite répondre à toutes les questions.
[Français]
Mme Francine Lalonde: Je lirai les «bleus». Merci.
[Traduction]
La vice-présidente (Mme Diane Marleau): D'accord.
Monsieur Calder, vous avez une question?
M. Murray Calder: Merci beaucoup, madame la présidente.
À vrai dire, ma question va dans le même sens que celle de Mme Lalonde car s'agissant des pays en développement—et, monsieur Brown, vous avez déjà dit que le PNUD allait désormais être plus actif qu'auparavant—nous savons qu'à l'OMC, les négociations mondiales portent essentiellement sur le grave problème des subventions. Les subventions, avec les conséquences qu'elles comportent pour l'industrie de bases, l'agriculture de ces pays en développement, diminuent la capacité de ces derniers de se nourrir eux-mêmes.
Voici ce que je me demande. Le PNUD va-t-il redoubler d'efforts auprès de l'OMC, peut-être en critiquant ouvertement certains de ces programmes de subventions, peut-être aussi en faisant des recommandations quant à la façon d'aider ces pays en développement et en dénonçant les dégâts occasionnés?
Á (1155)
La vice-présidente (Mme Diane Marleau): Madame McDonough.
Mme Alexa McDonough: Merci, madame la présidente.
Je sais que notre témoin s'occupe d'un vaste dossier, et bien entendu cela nous porte à poser des questions touchant un grand nombre d'aspects, mais pour ma part, je vais essayer de me confiner plus précisément à deux sujets.
Il est tout à fait évident que la pandémie épouvantable VIH/SIDA constitue un défi majeur pour le monde et qu'elle est tragique pour l'Afrique, voire pour le monde entier, et on constate aussi que la réponse à l'appel du Secrétaire général pour un financement a reçu une réponse très inadéquate. Pouvez-vous faire en quelque sorte le point de la situation? Quelles mesures prend-on pour réunir les fonds nécessaires à la vie de millions et de millions de gens?
Deuxièmement, j'admire votre franchise quand vous dites que le PNUD, dans divers pays, avait une attitude quelque peu détachée. En fait, je pense que M. Obhrai l'a qualifiée de «élitiste». Je viens de passer deux semaines et demie au Moyen-Orient et il n'y a rien de plus dangereux que de se rendre quelques semaines dans un pays et d'affirmer ensuite qu'on ne sait ce qui s'y passe. Toutefois, je dois dire—et je suis ravie d'avoir l'occasion de le faire—que j'ai pu voir le travail effectué par le PNUD dans les territoires occupés et j'ai constaté que cette organisation accomplissait une tâche tout à fait héroïque et colossale dans des circonstances épouvantablement difficiles.
J'ai été renversée notamment, parce que je ne m'y attendais pas du tout, par la façon dont les autorités israéliennes, militaires et gouvernementales, considèrent le PNUD. À leurs yeux, le PNUD est une force hostile. Je ne m'attendais pas du tout à cela. L'hostilité est flagrante et j'ai pu le constater. Par exemple, à des postes de contrôle illégaux, on bloquait des ambulances en route vers des dispensaires d'urgence; l'imposition des couvre-feu empêche les gens de se rendre à leur travail, et j'en passe. Et il semble que cela ne fait qu'aggraver le fardeau et les difficultés que rencontrent les travailleurs du PNUD dont la tâche humanitaire est d'alléger la situation tragique qui existe en Palestine.
J'aimerais avoir votre point de vue là-dessus.
La vice-présidente (Mme Diane Marleau): M. Martin a une dernière question pour vous.
M. Keith Martin: Merci, madame la présidente.
Merci d'être venu, monsieur Brown. Je souhaitais vous rencontrer depuis longtemps.
Lorsque je travaillais à la frontière du Mozambique, j'ai compris que beaucoup des problèmes et de la destruction dont nous étions témoins étaient tout à fait évitables. C'est merveilleux de se fixer des objectifs, mais c'est l'effet concret sur le terrain qui compte, après tout. Je soutiens, monsieur, que la corruption et la mauvaise gouvernance expliquent au premier chef pourquoi l'Afrique est incapable de profiter des richesses de ce continent, continent extrêmement riche d'un côté, mais extrêmement pauvre en même temps. Que fait le PNUD pour s'attaquer au problème de la corruption et de la mauvaise gouvernance?
Deuxièmement, tout le merveilleux travail que nous réussissons à accomplir dans le domaine du développement, et je pense à votre organisme en particulier, est facilement détruit pour des décennies par un conflit. Nous ne réussissons pas plus aujourd'hui qu'en 1939 à prévenir les génocides, en dépit de tous les merveilleux mécanismes fondés sur des règles que nous avons conçues. Que fait le PNUD, ou l'ONU, pour mettre au point un mécanisme fondé sur des règles, mécanisme multilatéral comportant des leviers économiques actionnés au FMI et à la Banque mondiale comme la carotte et le bâton, et pouvant aller jusqu'à la création future d'une force permanente des Nations Unies qui peut être déployée en dernier recours pour réduire les tensions?
Merci.
 (1200)
La vice-présidente (Mme Diane Marleau): Nous allons vous permettre de tenter de répondre brièvement à la question, ce que vous ferez, j'en suis sûre, et je vous demande de répondre à chacune d'elles aussi brièvement que possible parce que nous avons déjà dépassé notre créneau horaire dans cette salle et ils pourraient bien nous jeter dehors avant longtemps. Bonne chance.
Mark Malloch Brown: Je suis heureux de constater que c'est l'administration de l'édifice qui jouit toujours de la souveraineté en ces lieux au-dessus des députés. C'est vrai partout.
Peut-être que je pourrais répondre très rapidement à la question sur les armements et l'agriculture en Afrique, compte tenu du fait que Mme Lalonde est partie.
Nous travaillons tous très fort en vue de réduire les dépenses en armement sur le continent africain. L'ennui, c'est qu'il y a là une dynamique un peu circulaire. Il y a encore une ou deux guerres très brutales que nous n'avons pas encore réussi à résoudre. S'il y a bien un domaine où le travail du secrétaire général et le mien coïncide, c'est celui-là. Il faut qu'il négocie une paix entre les factions en guerre. Ensuite, il nous faudra intervenir vigoureusement avec un programme de désarmement et de réintégration pour tenter d'établir la paix, de rétablir la confiance, de faire réduire les budgets militaires et réaffecter les gens à des activités de paix, et ainsi de suite. À notre avis, c'est extrêmement important parce que les conflits sont manifestement, particulièrement en Afrique, une cause de pauvreté et inversement. Il nous faut briser ce lien.
Ainsi, le résultat dépend des mesures que nous prenons conjuguées aux mesures que prennent les grands bailleurs de fonds, le FMI et la Banque mondiale. Ils essaient tous de dire qu'ils refuseront de donner de l'argent parce que ces sommes seront détournées vers l'achat d'armement. Nous avons assisté à bon nombre de confrontations amères entre les bailleurs de fonds institutionnels et les gouvernements africains concernant le niveau des budgets militaires au cours des dernières années.
Je vais passer à l'agriculture. Il faut une stratégie agricole en Afrique. Ce continent a quelques problèmes internes à régler, ainsi qu'un problème externe d'envergure, le commerce.
Sur le plan continental, nous travaillons très fort, ce qui montre que, même si tout le monde est porté à baisser les bras et à dire que tout cela est trop compliqué, il y a quelques pistes de solution pour l'Afrique. Premièrement, au cours des dernières décennies, aucune autre région du monde n'a vu son sol aussi appauvri de ses éléments nutritifs que l'Afrique. Trop d'agriculteurs pratiquent une culture qui ne permet pas au sol de se régénérer. Ainsi, un sol déjà relativement pauvre s'est appauvri. Ajoutez à cela les facteurs économiques, l'absence des infrastructures nécessaires pour transporter les produits agricoles sur le continent, sans parler des autres conditions nécessaires à des marchés sains, et vous avez là les éléments d'une crise.
Il nous faut attaquer le problème avec sérieux. Trop de gens ont tendance à dire qu'il suffit d'éliminer les offices de commercialisation pour que l'agriculture africaine se porte bien d'elle-même. Or, la situation est beaucoup plus complexe.
Pour vous donner une idée de l'échelle de la crise, le PAM, le Programme alimentaire mondial des Nations Unies, compte importer en Afrique, en 2003, une aide alimentaire équivalente à l'aide alimentaire que cet organisme a dispensée pour toute la planète en 2002. Cela s'explique par une famine en Afrique méridionale, une famine dans la Corne d'Afrique et des famines à plus petite échelle mais néanmoins très dures en Afrique occidentale, bon nombre de ces dernières étant aggravées par des conflits, devrais-je ajouter. Il faut une stratégie pour lutter contre cette situation.
Il faut aussi composer avec les facteurs de marchés extérieurs. Pour nous, les objectifs de développement du millénaire, dont le huitième est assuré par le soutien au développement provenant des bailleurs de fonds, nous permettent de centrer notre attention sur la question des subventions agricoles. Il est facile de citer des petites phrases percutantes, mais lorsque la moitié de la planète vit avec moins de 2 $ par jour pendant que les vaches, en Europe, profitent d'une subvention de 2 $ par jour au titre de la politique agricole commune, il y a un sérieux problème.
Je crois que les subventions agricoles prendront la place des mines terrestres et de l'allégement de la dette comme préoccupation principale des ONG internationales et de la société civile. Et franchement, je crois que c'est une bonne chose, même si je suis conscient que c'est une question quelque peu controversée. Je crois qu'il faut insister là-dessus, parce qu'une vision du développement qui se contente d'obliger les pays en développement à redresser les paramètres économiques chez eux sans corriger les désavantages que subissent ces pays dans l'économie mondiale ne saurait jamais être une vision totale du développement ou une vision durable.
Sur la question du VIH/SIDA, le Secrétaire général disait, il y a quelques années, que le niveau de financement de la lutte ne s'approchait même pas des niveaux requis. Nous nous sommes battus pour créer ce fonds mondial, qui n'est pas un fonds des Nations Unies en fait, car les Américains et d'autres ne voulaient pas qu'il soit administré par les Nations Unies. Néanmoins, ce qui compte, pour nous, c'est de mobiliser les ressources; nous n'avons pas de préférence quant au mode d'administration.
 (1205)
En ce sens, l'annonce récente du président Bush est une bonne nouvelle. Le financement américain se chiffre désormais à 15 milliards de dollars sur cinq ans. C'est une somme considérable. Cela représente 3 milliards par année. Si les autres pays contribuaient de façon équivalente, nous aurions une enveloppe d'environ 9 milliards de dollars par année. Voilà le niveau de financement que nous estimons nécessaire pour lutter efficacement contre le VIH/SIDA. L'ennui, c'est que le président Bush a donné cet argent d'une manière très bilatérale, ce qui pourrait ne pas avoir un effet d'entraînement sur les autres pays.
Sur le terrain, l'autre élément clé du plan Bush, c'est qu'il se concentre sur le traitement et non sur la prévention. Aujourd'hui, en Afrique, 25 000 à 50 000 personnes seulement sont traitées avec les médicaments antirétroviraux, sur une population infectée de 25 ou 30 millions de personnes. La prévention est impossible sans traitement. C'est le facteur de motivation critique pour la prévention car il encourage les gens à se faire tester. Aucun spécialiste de la prévention n'affirme qu'il est possible de réussir sans un volet traitement.
Nous réalisons donc d'énormes progrès par rapport à la situation qui prévalait il y a plusieurs années, mais nous n'avons pas encore convaincu la planète que cette guerre sanitaire publique est tout aussi grave que la guerre en Irak et peut avoir des effets aussi dévastateurs. Stephen Lewis, envoyé spécial du Secrétaire général des Nations Unies en Afrique, défend la cause admirablement, mais nous venons d'aller plus loin encore.
Vous parliez des territoires occupés. Le PNUD a mené un programme fantastique dans les territoires occupés. Nous avons été en mesure de travailler pour de nombreux pays bailleurs de fonds, y compris le Canada, en vue d'assurer des services de base à ces populations et de créer des institutions de base pour essayer d'ériger une autorité palestinienne fonctionnelle, et nous l'avons fait avec une collaboration relativement bonne de la part des Israéliens.
Vous savez, je me suis efforcé d'intégrer du personnel israélien dans le PNUD. Lorsque nous sommes arrivés, j'ai été désolé d'apprendre que pour des raisons purement circonstancielles, nous n'avions pas d'Israéliens. Or, si nous souhaitions être une organisation mondiale, il nous fallait compter des Israéliens dans l'équipe. J'ai toujours veillé à ce que les Israéliens soient tenus au courant de ce que nous faisons dans les territoires palestiniens, j'ai toujours souligné notre vocation développementale non politique, et j'ai toujours soigné nos relations avec eux. Je crois que nous avons réussi assez bien à ce chapitre.
En fait, les conflits armés relèvent beaucoup plus du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. C'est cette agence qui est responsable des ambulances. En fait, lorsque les ambulances ne pouvaient plus circuler, nous avons dû envoyer des voitures du PNUD pour transporter les gens parce qu'Israël avait davantage confiance en nous.
Mais, comme vous le savez, la situation est telle qu'Israël entretient des sérieux doutes à propos de notre mission même, et cela fait déjà longtemps que la guerre s'est malheureusement élargie au-delà des combattants. Des deux côtés, les non-combattants sont aussi ciblés, ce qui soulève inévitablement des questions, dans l'esprit des Israéliens, sur la nature de notre intervention auprès des civils palestiniens. Il faut que nous gérions la situation et il n'y a pas de solution facile.
Enfin, sur la question du Mozambique et de la corruption en Afrique, nous affectons aujourd'hui 60 p. 100 de notre aide technique dans le monde à la gouvernance, parce que nous avons compris que des institutions gouvernementales exemptes de corruption et fonctionnant dans un climat d'honnêteté constituent la base du développement. On peut construire des routes, des ponts, et ainsi de suite, mais sans une gouvernance honnête et digne de confiance, sans un cadre législatif et la capacité d'élaborer des politiques, tout le reste est peine perdue. C'est pourquoi nous avons vraiment concentré nos efforts à ce niveau.
Prenons le Mozambique. Je peux vous dire avec une certaine satisfaction que le Mozambique n'est plus le pays de vos souvenirs. C'est un grand succès qui passe par sa remarquable ministre des Finances, Louisa Diago, qui maintient une poigne si ferme sur les finances de l'État que même les fils du président ont du mal à mettre la main dans la tirelire. C'est vraiment impressionnant, et tout cela est rendu possible grâce au leadership extraordinaire du président Chissano. S'il est vrai qu'un procès de corruption est en cours là-bas, de même que le procès des assassins d'un journaliste qui faisait enquête sur la corruption, je crois qu'il faut voir ces événements comme des symptômes du fait que nous sommes en train de briser la corruption au Mozambique grâce à un bon gouvernement qui se consacre au développement de son pays.
 (1210)
Nous commençons à accumuler de tels succès en Afrique. Il nous suffit de persister; cela ne se fera pas du jour au lendemain. Je partage entièrement votre point de vue sur les priorités à cet égard, monsieur Martin.
Merci.
La vice-présidente (Mme Diane Marleau): Merci beaucoup, monsieur Malloch Brown. Nous vous avons écouté avec beaucoup d'intérêt. Nous vous souhaitons plein succès dans vos entreprises.
C'est tout.