Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
Bienvenue à la 18e réunion du Comité spécial de la Chambre des communes sur les relations entre le Canada et la République populaire de Chine. Conformément à l'ordre de renvoi du 16 mai 2022, le Comité se réunit pour étudier les relations entre le Canada et la République populaire de Chine, l'accent étant mis sur les fonds d'investissement.
J'ai quelques observations à faire à l'intention des témoins et des membres du Comité.
La réunion d'aujourd'hui se déroule en mode hybride, conformément à l'ordre de la Chambre du 23 juin 2022. Les députés sont présents soit en personne dans la salle, soit à distance à l'aide de l'application Zoom.
Veuillez attendre que je vous nomme avant de prendre la parole. Pour ceux qui participent par vidéoconférence, cliquez sur l'icône du microphone pour activer votre micro, et veuillez vous mettre en sourdine lorsque vous ne parlez pas.
Pour l'interprétation sur Zoom, vous pouvez choisir au bas de votre écran — c'est le petit symbole de la terre — entre la langue du parquet, le français ou l'anglais. Les membres présents dans la salle peuvent se servir de l'oreillette et sélectionner le canal désiré.
Je vous rappelle que toutes les observations doivent être adressées à la présidence.
Les participants dans la salle doivent lever la main s'ils souhaitent intervenir. Ceux qui participent au moyen de Zoom doivent cliquer sur l'icône « Lever la main ». La greffière et moi allons gérer la liste des intervenants du mieux que nous le pouvons. Nous vous remercions de votre patience et de votre compréhension à cet égard.
Conformément à la motion de régie interne du Comité concernant les tests de connexion pour les témoins, j'informe le Comité que tous les témoins et tous les députés se joignant virtuellement à la réunion ont effectué les tests de connexion requis avant la réunion. Nous ferons de notre mieux pour nous assurer que la qualité technique reste élevée, mais c'est une chose à laquelle nous sommes toujours attentifs par respect pour nos interprètes, qui peuvent parfois avoir beaucoup de mal lorsque la qualité audio se dégrade.
Nous avons quelques visiteurs. Le député John McKay remplace Serge Cormier. Emmanuel Dubourg participe à la réunion virtuellement, il apparaît donc en tant qu'Emmanuel Dubourg. La députée Sonia Sidhu remplacera Serge Cormier à son tour un peu plus tard. Nous nous attendons enfin à ce qu'Ed Fast remplace M. Seeback un peu plus tard. J'aimerais également souhaiter la bienvenue à M. Dowdall au Comité ce soir. C'est un plaisir de vous voir tous ici.
Il est maintenant temps d'entendre nos témoins. Nous accueillons M. Mathieu Arès, professeur titulaire à l'Université de Sherbrooke.
Monsieur le président, ne devrions-nous pas voir le visage des personnes qui participent à la réunion à l'aide de Zoom? Je vois que M. Dubourg est présent, mais nous ne voyons pas son visage. N'est-ce pas indiqué dans les règles du Comité?
Est-ce que je me trompe en disant que nous devrions voir le visage des personnes qui participent à la réunion à l'aide de Zoom? Par exemple, je vois que M. Dubourg est présent, mais nous ne voyons pas son visage. Cela ne pose-t-il pas problème?
C'est bien vu, monsieur Trudel. Je vous en remercie.
Nous allons continuer, en espérant que M. Dubourg nous rejoindra. La greffière essaiera de le contacter pour s'assurer qu'il est en ligne.
Encore une fois, nous aimerions souhaiter la bienvenue au comité Canada-Chine à M. Mathieu Arès, professeur titulaire à l'Université de Sherbrooke. Du Groupe Cercius Limitée, nous accueillons M. Alex Payette, chef de la direction.
Nous commencerons par M. Arès. Vous avez cinq minutes pour votre déclaration préliminaire.
Je tiens d'abord à remercier le Comité de me recevoir.
Je fais partie d'un groupe de quatre professeurs qui a entrepris une recherche sur le désengagement envers la Chine. Nous étudions essentiellement la réaction politique, mais également celle des firmes à l'égard du discours qu'on entend de plus en plus sur le désengagement envers la Chine. Les pays choisis pour l'étude sont évidemment représentatifs, c'est-à-dire les États‑Unis, le Japon, la Corée, Taïwan, l'Australie, le Canada et l'Allemagne, mais l'étude comprend aussi des pays qui pourraient recevoir des investissements qui quitteraient la Chine ou qui n'iraient plus vers la Chine, à savoir le Mexique, l'Inde et le Vietnam.
Pourquoi nous sommes-nous mis à étudier cela? Aux États‑Unis, depuis que le président Obama a lancé le pivot asiatique, une réflexion a été menée. M. Trump a préféré avoir une confrontation directe en commençant une guerre commerciale, ce qui a envenimé les rapports entre les deux géants. Quant au président Biden, il a relancé certaines initiatives, dont le Quad, ainsi qu'une fameuse politique pour l'Indo‑Pacifique. Dernièrement, le Canada a annoncé sa propre volonté de relancer cette politique.
Il est important de comprendre que la Chine produit actuellement 27,8 % des extrants manufacturiers dans le monde, alors que les États‑Unis se situent à 17 % et le Japon, à 7,5 %. Je n'apprends rien à personne en disant que la Chine est devenue l'atelier mondial. Cependant, il faut savoir que la Chine est une espèce de carrefour qui reçoit des pièces d'un peu partout en Asie, en fait l'assemblage final et envoie les produits sur les marchés mondiaux.
Nous sommes devant une situation qu'on appelle, en politique, une interdépendance complexe. En termes plus simples, nous avons des relations économiques et commerciales très étendues, intenses et bénéfiques à toutes les parties, d'une part, mais nous avons aussi des tensions politiques importantes avec chacun des pays visés par notre étude, d'autre part.
De prime abord, il n'y a actuellement que les États‑Unis et le Japon qui se sont dotés de politiques d'aide affirmées pour encourager leurs firmes à quitter la Chine. Les autres pays ont adopté une politique plutôt attentiste, qui vise à mutualiser leur diplomatie pour gérer ces relations très complexes. Quant au Canada, il a été assez naïf vis-à-vis de la Chine. Il ne faut pas lui tirer la pierre; je crois que tous les pays occidentaux ont été un peu naïfs.
Depuis la venue d'une politique beaucoup plus puissante, notamment avec l'actuel président, M. Xi Jinping, on observe que la Chine utilise des moyens de diplomatie qu'on peut qualifier de musclés, pour être gentil, qui vont de la démonstration de force jusqu'aux politiques néomercantiles un peu partout.
Selon nous, le Canada doit cesser d'être naïf et doit se montrer très vigilant en ce qui concerne la coopération en matière technique, notamment, que ce soit avec des universitaires ou avec des industries.
Il y a aussi eu la ratification de l'Accord de Partenariat transpacifique global et progressiste, le PTPGP. Cette politique s'est poursuivie après l'arrivée du gouvernement de M. Trudeau. Il s'agit d'une initiative qui lie le Canada à certains pays clés de la région. À mon avis, il s'agit d'une bonne politique et nous devons continuer d'adhérer au PTPGP. Le Canada doit multiplier les initiatives de ce genre.
De manière générale, il ne faut pas avoir peur d'affirmer nos valeurs vis-à-vis de la Chine. Le pouvoir chinois, actuellement, ne comprend que les rapports de force. Donc, si nous montrons des faiblesses, la Chine va simplement en abuser, et cela ira contre nos intérêts et nos valeurs comme pays.
Je n'avais que cinq minutes pour ouvrir le débat. Je pourrai aller plus en détail s'il y a des questions.
Je tiens à remercier le Comité de l'invitation à comparaître dans le cadre de cette séance ayant comme thématique l'exposition des fonds de pension ou des fonds d'investissement canadiens aux violations des droits de...
Aujourd'hui, nous tenons à souligner certaines choses qui ont guidé notre réflexion.
D'abord, investir dans un pays non occidental et non démocratique, que ce soit la Chine ou un autre, comporte toujours son lot d'imprévus quant au respect des normes et des valeurs des pays démocratiques et occidentaux comme le Canada. C'est une chose dont il faut toujours tenir compte.
Ensuite, il faut parler de l'opacité du régime chinois. Mon collègue a une vision peut-être plus externe, alors que, pour notre part, nous travaillons beaucoup plus sur le plan interne. Nous nous intéressons à la structure de l'État-parti, à la façon dont les gens réfléchissent, à la manière dont la structure réagit, à ce qui se passe à l'intérieur du parti. C'est une vision un peu différente.
Pour nous, il sera toujours fondamentalement impossible de contrôler l'ensemble des risques associés à l'aspect des valeurs ou de se prémunir totalement contre les risques liés au problème central de la thématique d'aujourd'hui, c'est-à-dire les droits de la personne.
Cela nous laisse devant deux grandes avenues. Nous pouvons éviter d'investir, ce qui nous prémunit contre l'ensemble du risque...
Oh! Seigneur. D'accord. Voyons si vous pouvez le déplacer un peu. Le son est très étouffé, même s'il semblait bon pendant le test.
La technique du microphone est très importante dans ce cas, alors tenez-vous le plus près possible du microphone et ralentissez un peu le débit pour que les interprètes puissent vous suivre.
Monsieur le président, son son me paraît plus fort et plus clair que le vôtre, en fait.
Le président: Oh! Seigneur. D'accord.
L'hon. Robert Oliphant: J'entends chaque mot très clairement, tandis que quand vous parlez, le son est plutôt étouffé. Je me demande où est le problème.
Monsieur Payette, nous allons vous laisser continuer, mais parlez lentement. Je vous donnerai plus de temps, au besoin, et rapprochez-vous du microphone le plus possible.
M. Alex Payette: Certainement, je ne bouge pas.
Le président: Excellent, monsieur. Allez‑y. Continuez.
Comme je le disais tout à l'heure, la première avenue est l'évitement, c'est-à-dire qu'on établirait qu'il n'est pas possible d'investir en Chine, ce qui nous prémunirait complètement contre le risque. La deuxième avenue serait de mettre en place des stratégies beaucoup plus contraignantes de modération ou d'atténuation des risques.
Dans le premier cas, étant donné qu'il n'est pas possible d'éliminer complètement le risque, beaucoup de gens vont dire qu'il faut cesser d'investir en Chine. Selon nous, ce premier scénario est peu réaliste, car ne pas interagir avec la deuxième économie mondiale n'est pas une solution à long terme pour le Canada.
Par contre, dans le second scénario, il faut garder une chose à l'esprit, surtout pour ce qui est des fonds de nature publique, ce dont il est davantage question ici, effectivement. Avant d'investir en République populaire de Chine, il est très important d'avoir une connaissance des partenaires avec lesquels on va faire affaire et des chaînes d'approvisionnement, mais aussi des liens intimes que certaines compagnies peuvent avoir avec le pouvoir étatique ou la structure de l'armée populaire. Ce sont des choses qui, parfois, sont beaucoup plus difficiles à trouver, à moins, bien entendu, de conduire des études de diligence raisonnable beaucoup plus approfondies que le simple fait d'examiner les rapports annuels de certaines compagnies. Selon nous, tôt ou tard, il va falloir mobiliser des firmes beaucoup plus spécialisées qui ne sont pas affiliées aux compagnies ou aux institutions chinoises pour se prémunir contre ce type de risque, avant d'investir en sol chinois.
Bien entendu, nous comprenons l'inquiétude du gouvernement fédéral quant aux problèmes soulevés en matière de droits de la personne, surtout depuis la publicisation relativement récente des cas du Xinjiang et de Hong Kong. Cela dit, il est très important de souligner qu'il existe d'autres types de risques relatifs à l'investissement en Chine.
Comme mon collègue l'a souligné, il y a notamment les risques en matière de propriété intellectuelle. La question du transfert de technologies ou de connaissances est très importante. Il y a aussi un autre risque, qu'on a parfois tendance à oublier ou à ignorer, et c'est la question du programme d'intégration civilo-militaire du parti. Il y a non seulement des risques sur le plan des droits de la personne dans la chaîne d'approvisionnement, mais aussi des risques de récupération des technologies par l'appareil militaire. En ce sens, il faut tenir compte du premier aspect, c'est-à-dire de la question des droits de la personne, mais il faut également prendre en compte la question de la proximité des compagnies publiques ou non publiques — il y a une petite distinction à faire entre les deux, cela ne veut pas dire tout — et du leadership du parti. Il s'agit aussi de voir les liens que certaines des compagnies vont entretenir avec le secteur militaro-industriel chinois.
Pour nous, il y a beaucoup plus que la question des droits de la personne. Ici, il n'est pas question d'établir une gradation, mais il y a beaucoup de choses à prendre en considération lorsqu'on parle d'investir en sol chinois. Le secteur privé, dont nous faisons partie, accompagne parfois des compagnies canadiennes, européennes et américaines. Nous sommes habitués à ce type de questionnement, surtout à l'égard des partenaires, mais aussi envers les chaînes d'approvisionnement et tout cela.
Je vais m'arrêter ici. Je pourrai répondre plus tard aux questions des membres du Comité.
Je crois que c'est au début de la semaine dernière. Ils m'ont ensuite appelée pour me dire qu'ils avaient un conflit d'horaire et qu'ils ne pouvaient pas venir.
J'aimerais que le président exprime notre mécontentement à ce sujet, parce que je suis ici depuis 19 ans et que depuis deux ou trois ans, le nombre de témoins qui annulent leur comparution juste avant la réunion est épouvantable. Nous sommes 12 ici. Nous arrivons préparés à poser des questions et ils ne viennent pas. Ce n'est pas la première fois que cela se produit.
J'aimerais savoir si l'un des témoins connaît les interdictions d'investir dans des entreprises de la République populaire de Chine imposées aux investisseurs américains par les administrations Trump et Biden.
L'un ou l'autre peut me répondre. Ce n'est pas grave s'ils ne connaissent pas la réponse. Je me demande simplement s'ils sont au courant des décrets signés par le président Trump et le président Biden afin d'interdire aux investisseurs américains d'investir dans plusieurs dizaines d'entreprises de la République populaire de Chine liées soit à l'armée chinoise, soit à ses politiques répressives.
Je ne suis pas un expert, mais, de manière générale, c'est une chose que les Américains font tout le temps dans le domaine de la sécurité. Ils ont une vision plus forte que le Canada de ce qui constitue un lieu sensible et de la question des droits de la personne.
Le problème associé à ce genre de loi, c'est qu'on est plus dans le discours. C'est la faisabilité qui est très difficile. Comme vous le savez, lorsqu'une firme canadienne s'établit en Chine, elle devient une firme chinoise. Elle est donc soumise aux lois nationales. Les firmes sont prises entre l'arbre et l'écorce. Certes, il peut y avoir des sanctions du côté américain ou de n'importe quel pays qui aurait ce genre de politique. Par contre, ces pays peuvent aussi être réprimandés par la Chine. Il est souvent très difficile pour les entreprises d'appliquer correctement ce genre de politique. Je ne dis pas que ce n'est pas suivi dans les grandes lignes, mais, comme un peu partout, le problème est dans les détails.
Mon collègue a dit quelque chose sur lequel je suis tout à fait d'accord: il est très difficile de savoir ce qui est public et ce qui est privé en Chine. Rappelons que M. Jack Ma, qui était quand même à la tête d'une des plus grandes firmes en Chine, s'est retrouvé par hasard en maison d'arrêt pendant six mois. Depuis, on ne l'entend plus. D'une manière générale, le secteur privé en Chine est subordonné au pouvoir du Parti communiste, c'est très clair. C'était d'ailleurs une des lignes de force du président Xi Jinping de sa reprise en main notamment des nouvelles fortunes qui ont été créées dans les dernières années. On leur rappelle qu'en Chine, c'est le Parti communiste qui prend les décisions, et pas les firmes.
Il y a toujours une zone très grise. Les entreprises étrangères qui s'installent en Chine sont évidemment soumises à ces diktats comme n'importe quelle entreprise, sinon elles auront de la difficulté, comme par hasard, à avoir des permis, de l'électricité et toutes sortes de choses. Évidemment, cela va être difficile.
Nous avons entendu le témoignage du groupe Hong Kong Watch. Il nous a dit que le Régime de pensions du Canada, la Caisse de dépôt et placement du Québec et la British Columbia Investment Management Corporation avaient investi dans des compagnies chinoises qui avaient participé au génocide dans le Xinjiang et commis d'autres violations des droits de la personne.
[Traduction]
Ma question est la suivante: quels outils ou instruments le gouvernement canadien peut‑il ou devrait‑il utiliser pour interdire les investissements dans des entreprises qui commettent des violations des droits de la personne? Le gouvernement du Canada devrait‑il interdire aux investisseurs canadiens, en particulier aux fonds de pension canadiens, d'investir dans ce genre d'entreprise en République populaire de Chine? Dans l'affirmative, quels instruments le gouvernement du Canada pourrait‑il utiliser pour le faire efficacement?
Pour faire vite, en réponse à la question précédente, la plupart des poursuites intentées contre des entreprises chinoises visent des entreprises associées à l'armée. Il y a un troisième type de sanction qui relève du Département du commerce, de l'OFAC et du Bureau de l'industrie, mais ces sanctions visent principalement des entreprises ayant probablement des liens avec l'armée ou la structure de l'Armée populaire de libération. C'est la première chose.
(1900)
Il y a ensuite le rapport de Hong Kong Watch. Il faut comprendre — et je pense que cela a déjà été mentionné — que les institutions financières canadiennes ont largement investi en République populaire de Chine par les marchés des actions et de la dette. Nous savons que la plupart de ces investissements restent indirects. Je pense qu'il est indiqué dans le rapport que nos institutions investissent parfois dans des fonds qui ont des investissements dans des entreprises comme Dahua et iFlytek, si ma mémoire est bonne, qui font de la surveillance et de la fabrication de drones. Il peut y avoir...
Premièrement, je vous remercie de votre présentation, monsieur Arès.
Ma question porte sur les pays démocratiques dont l'approche en matière d'investissements est fondée sur des valeurs économiques, mais aussi sur des valeurs de compassion et d'équité, et qui pourraient être un exemple à suivre pour le Canada.
Par exemple, en décembre 2022, notre comité a entendu la présentation d'une professeure qui a beaucoup parlé de l'approche de l'Allemagne. Parmi toutes les démocraties, c'est peut-être elle qui a la meilleure approche pour la question des investissements.
Je pense que cela commence de plus en plus à entrer dans les mœurs, surtout en ce qui concerne les fonds de pension publics. Il doit y avoir des pratiques éthiques. Je pense notamment à la Caisse de dépôt et placement du Québec, aux fonds fédéraux ou à ceux des autres provinces, même, comme le Régime de retraite des enseignantes et des enseignants de l’Ontario. On adopte de plus en plus de pratiques éthiques, y compris dans le domaine environnemental. Je n'appellerai pas cela une mode, parce qu'on peut quand même faire des sous en ayant une approche éthique en investissement.
Là où c'est un peu plus compliqué, c'est toujours dans le secteur privé. Au Canada, nous n'avons pas beaucoup de contraintes légales en la matière, mais je pense qu'il ne faut pas se gêner et qu'il y aurait moyen de mettre en lumière, probablement au moyen de cadres légaux, certaines pratiques que nous jugerions contraires à nos valeurs et à l'esprit démocratique. Cela dit, il faut faire attention, parce que cela peut être vu comme des lois extraterritoriales.
On peut quand même s'appuyer sur les règles ou les traités en vigueur pour ce qui est du travail forcé, par exemple. Ces questions commencent de plus en plus à être encadrées par bon nombre de traités dont font partie le Canada et de nombreux autres pays. On peut s'appuyer sur ce type de traités pour dire qu'il faut faire attention et que des investissements ne conviennent pas si, par exemple, on est dans des camps de travail pour Ouïghours. Je pense qu'on peut aller assez loin, dans un tel cas, et même bloquer certains produits fabriqués en violation grave des droits de la personne.
Je pense qu'il se dégage quand même de nos traités internationaux un certain consensus sur lequel nous pourrions nous appuyer pour avoir une politique un peu plus forte en matière de respect des droits de la personne dans le commerce.
De notre côté, nous nous basons sur les pratiques exemplaires. Encore une fois, selon ce que nous avons vu, ce sont surtout les États‑Unis qui vont établir des listes d'entités sanctionnées, qui ne peuvent plus agir, et créer des obligations de divulgation de documents beaucoup plus contraignantes.
Bien entendu, de notre point de vue, les autorités canadiennes devraient jouer un rôle beaucoup plus important dans la mise en place de cet appareil non pas de surveillance, mais plutôt de gestion du risque, de manière plus globale. Si des compagnies publiques liées à des fonds de pension publics font des investissements en sol chinois, naturellement, on veut s'assurer qu'on peut obliger ces compagnies à produire des rapports de diligence raisonnable beaucoup plus exhaustifs, contrôler les activités locales de certaines compagnies et savoir qui sont leurs fournisseurs, leurs partenaires et leurs clients.
À notre point de vue, c'est sûr que le Canada ne peut pas aller jusqu'à l'extraterritorialité, mais il devrait quand même forcer les compagnies canadiennes qui veulent faire des investissements à s'assurer qu'elles respectent certaines pratiques, quitte à adopter un modèle beaucoup plus contraignant, comme celui des Américains où on établit des listes. Le Canada ne devrait pas nécessairement avoir peur de produire ce genre de listes. Les autorités canadiennes pourraient être proactives autant que les Américains l'ont été sous Donald Trump. Le Canada pourrait dresser une liste des entreprises dont il sait que certains partenaires ou certaines chaînes d'approvisionnement posent problème. Cela équivaudrait à dire que ces compagnies ne peuvent plus faire des affaires dans certains endroits ou qu'on ne pourrait plus faire d'investissements dans certains endroits. C'est quelque chose de très contraignant, mais, selon les pratiques exemplaires, c'est pas mal là qu'on en est aujourd'hui.
Encore une fois, on parle du pays qui est juste au sud du Canada et qui est donc son partenaire commercial direct. Le Canada pourrait s'inspirer largement de certaines des mesures prises par le gouvernement américain pour remodeler, en quelque sorte, la façon dont certaines institutions ou compagnies canadiennes vont pouvoir investir dans certains territoires ou pays ayant un régime autoritaire, par exemple, que ce soit la Chine ou d'autres pays.
Je vous remercie infiniment d'être là, messieurs. Vous ne pouvez pas savoir comment cela me fait du bien d'entendre deux témoins parler français à ce comité. Je suis très content de vous entendre.
Ma question s'adressera à vous deux.
M. Carl Breau est venu témoigner devant ce comité au mois de décembre, je crois. Il dirige deux entreprises dans le domaine de l'électronique qui font des affaires en Chine. Il a fait une déclaration un peu surprenante. Il a dit: « Dans l'ensemble, le milieu des affaires en Chine est très transparent. » Il a précisé: « La plupart des renseignements relatifs aux entreprises sont publics et facilement accessibles, notamment les documents juridiques, les structures de propriété, les conflits de travail, le nombre d'employés, les cotes de crédit, etc. »
Je trouve cela un peu surprenant, alors j'aimerais entendre votre avis à tous les deux. Selon vous, est-ce que tout cela est vrai?
Peut-être que M. Payette peut répondre en premier.
Qui cherche trouve, tôt ou tard. Cela vaut pour nous, compte tenu de notre expérience, mais je ne pense pas que ce soit juste d'en dire autant pour tout le monde. Nous faisons des recherches, mais cela ne veut pas dire que les autres ont les mêmes outils et les mêmes références.
Par ailleurs, depuis quatre à huit semaines, on assiste à un géoblocage de plusieurs compileurs de données d'entreprises. J'ai des collègues à Hong Kong qui commencent à avoir des difficultés d'accès à des rapports d'entreprises listées en Chine.
Quand on est sur les lieux, on peut avoir accès à des rapports. Le témoin que vous avez cité n'a pas nécessairement tort sur certaines choses. En effet, il y a une certaine transparence en ce qui concerne les documents. Là où le bât blesse, c'est qu'il n'est pas toujours facile de savoir si les informations sont complètes. Ensuite, on ne sait pas toujours si l'information donnée dans les rapports est utile. Je ne sais pas comment je pourrais vous l'expliquer. Par exemple, les compagnies chinoises mettent beaucoup d'information dans les sections relatives aux facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance, ce qu'on appelle les facteurs ESG, mais cette information n'est pas toujours très utile aux gens qui travaillent dans ce domaine et qui veulent comprendre la façon dont ces compagnies gèrent les facteurs ESG. Oui, on a accès à une certaine information, mais est-elle utile? Ce n'est pas nécessairement le cas. Est-ce toujours transparent? Ce n'est pas nécessairement le cas. Je comprends quand même ce que le témoin voulait dire, dans le fond. On peut trouver de l'information utile, mais il faut savoir comment la trouver. Même pour les gens basés en Chine, ce n'est pas toujours facile.
Je mettrais donc un petit bémol sur le commentaire du témoin. Je me suis occupé de diligence raisonnable pour des chaînes de production, des compagnies de construction et des manufactures, et je peux dire que ce n'est pas aussi facile qu'on pourrait le penser. C'est beaucoup plus compliqué. Il faut avoir un œil très averti quand on cherche. Si on ne sait pas ce qu'on cherche, on ne sera jamais capable de le trouver. Même si on le sait, si on ne sait pas comment le dire ou l'écrire de la bonne façon, on ne trouvera pas l'information.
Monsieur Arès, je vais vous laisser compléter la réponse de M. Payette en vous amenant un peu ailleurs.
Est-ce que les gestionnaires de fonds d'investissement au Canada ont accès à ce genre de données? Ont-ils une méthode de recherche qui leur permet d'obtenir des données quant à la transparence des entreprises chinoises dans lesquelles on pourrait investir? Y a-t-il ce genre de compétence au Canada?
On peut l'avoir, mais le problème, c'est qu'on passe souvent par des intermédiaires. Il ne faut pas croire que tout se décide à Montréal ou à Toronto. Souvent, ce sont des courtiers qui font des audits sur le terrain pour dénicher des aubaines. C'est un peu comme cela qu'on procède.
Excusez-moi de vous interrompre, mais voulez-vous dire que les fonds d'investissement publics au Canada font aussi affaire avec des investisseurs privés?
Non, ce sont des firmes qui font des recommandations sur les secteurs porteurs, entre autres choses. Il y a souvent un intermédiaire. On peut poser les bonnes questions et obtenir ainsi l'information.
Je reviens un peu à votre première question. Il faut comprendre qu'actuellement, la question du financement des firmes chinoises est très opaque. Comme vous le savez, les banques ne sont pas autonomes. Si un secteur va mal, on pourrait le renflouer avec l'argent du gouvernement chinois. C'est ce qu'on voit actuellement avec la mégafaillite de tout le domaine immobilier; c'est catastrophique. À ce moment-là, les données financières ne sont pas là.
Si vous voulez obtenir des données sociales, ce qui est un peu l'objet de la réunion de ce soir, il y en a. On est pour le gâteau au chocolat. Cela dit, il vous sera difficile de recueillir des informations très détaillées sur les pratiques de nos usines pour déterminer si elles respectent les droits de la personne ou les normes du travail. Vous ne verrez pas ce genre d'information.
Si je vous comprends bien tous les deux, c'est un peu n'importe quoi. On investit en ne sachant pas exactement dans quoi on investit et en ne sachant pas si ces entreprises sont fiables, si elles respectent les droits de la personne, et ainsi de suite. Il n'y a pas de données efficaces permettant d'investir correctement. Est-ce bien cela?
Par exemple, aujourd'hui je m'amusais à essayer de trouver des données de Statistique Canada sur les investissements canadiens. Au-delà des chiffres généraux sur les investissements à l'étranger, aucun chiffre de Statistique Canada ne nous indique dans quels secteurs les entreprises canadiennes investissent ni combien d'entre elles sont en Chine. Il est difficile de trouver cette information, et pourtant c'est Statistique Canada.
Je me dis qu'un investisseur privé ou même un investisseur institutionnel ne doit pas être tellement mieux équipé, sauf, évidemment, en ce qui concerne les renseignements qu'il peut recueillir lui-même auprès de spécialistes de certains pays ou secteurs.
Je remercie les deux témoins d'être ici. C'est très intéressant pour moi.
Je dois vous dire que je ne suis pas très versée dans les investissements, alors pardonnez-moi si vous devez être très clair avec moi.
Je vous ai entendu dire, monsieur Arès, que les Canadiens, les entreprises canadiennes et les fonds d'investissement qui essaient d'investir ne disposent pas de suffisamment d'informations pour savoir s'il y a du travail forcé, de l'esclavage et d'autres choses du genre au sein des chaînes d'approvisionnement. Bien sûr, c'est complexe, mais il ne suffit pas de savoir si ces choses se produisent. C'est un aspect de la question, n'est‑ce pas? Toutefois, cette connaissance ne sert à rien si rien n'oblige les investisseurs à agir en conséquence et s'il n'y a pas de mécanismes d'application en place.
À l'heure actuelle, au Canada, nous avons l'ombudsman canadien de la responsabilité des entreprises, qui est en place depuis 2018, mais n'a encore mené aucune enquête sur des infractions présumées d'entreprises canadiennes à l'étranger. Nous n'avons que très peu de moyens pour faire respecter ces règles pour le moment.
Je peux peut-être vous poser la question à tous les deux. Quelle serait la solution dans un contexte où les entreprises et les investisseurs canadiens ne peuvent pas savoir ce qu'il en est, ni être tenus d'agir en conséquence, même s'ils ont des informations en ce sens? Nous n'avons pas le pouvoir de faire appliquer ces règles non plus, et ce serait la même chose si nous disposions d'une loi les obligeant à... Vous voyez que nous sommes loin d'une solution.
Monsieur Arès, pouvez-vous nous faire part de vos réflexions à ce sujet?
Je pense qu'il faut plutôt avoir une approche groupée, un peu comme dans le cas de l'évasion fiscale des multinationales. Bien sûr, il y a les États‑Unis. Cela dit, si le Canada fait cavalier seul, il y a deux risques. D'abord, l'investissement canadien en Chine ne représente pas un volume très important; en fait, c'est important pour nous, mais ce n'est pas un volume très important pour les Chinois. Ensuite, de manière générale, cela peut inciter certaines de nos entreprises à se délocaliser et à continuer à faire leurs affaires habituelles ailleurs, sans répondre à certaines obligations. Il y a donc un risque d'évasion fiscale, ou même un risque que l'entreprise quitte le Canada si l'essentiel de ses activités est à l'extérieur du pays. On pourrait penser au domaine minier, où cette tendance est très forte. En raison du régime spécial que nous avons au Canada, des minières canadiennes qui n'ont à peu près pas d'activités au Canada sont quand même inscrites au pays pour des raisons fiscales et légales.
Il y a donc un risque. Je pense que la meilleure approche est plutôt une approche globale avec nos partenaires pour promouvoir de nouvelles pratiques. Il y a eu, à l'époque, le Pacte mondial des Nations unies, dans le cadre duquel les entreprises, sur leur code d'honneur, disaient qu'elles allaient respecter les droits de la personne et les renforcer. On attend encore les résultats.
Effectivement, ce n'est pas une situation facile. Nous pouvons la déplorer, mais c'est très difficile à gérer.
Merci beaucoup. Je pense que l'une des choses que nous constatons, c'est que les règlements que nous avons mis en place ne sont pas appliqués; ils ne fonctionnent pas, et les choses qui pourraient être utiles ne le sont pas.
J'ai une autre question à vous poser. C'est une autre de mes grandes préoccupations.
Je reviens tout juste d'un voyage à Taïwan, en compagnie de nombreux membres de ce comité. Il est évident que les tensions se sont intensifiées dans la région. À l'heure actuelle, à quel point les organisations canadiennes qui investissent en Chine sont-elles vulnérables? Compte tenu du potentiel de tensions accrues entre Taïwan et la Chine, de la nécessité accrue pour le Canada d'appliquer des sanctions et du fait que la Chine pourrait tout autant imposer des sanctions aux entreprises canadiennes, dans quelle mesure pensez-vous que les Canadiens courent un risque en matière d'investissement?
Monsieur Payette, je commencerai par vous, après quoi je donnerai la parole à M. Arès.
Tout d'abord, il faut déterminer si le risque est imminent. Ce n'est pas encore clair, compte tenu de ce que nous savons du parti et de son mode de fonctionnement. Il faudrait peut-être modérer un peu nos propos. Il n'y a pas lieu de croire que ce risque est imminent.
Aussi, si l'on devait appliquer des sanctions, la Chine se prépare, essentiellement, ou du moins jette les bases de quelque chose qu'elle a déjà fait par le passé, soit d'une certaine forme d'intégration du civil au militaire. Elle pourrait basculer vers une économie militaire, plus guerrière, puis bien sûr, saisir des actifs. C'est déjà arrivé. Cela pourrait se reproduire si nous agissions ainsi. Cela pourrait arriver.
N'oubliez jamais qu'en Chine, du point de vue du parti, à tout le moins, on ne peut être là que parce que le parti nous y autorise. Cela s'applique également au secteur privé en Chine. C'est pourquoi l'argent reste commun dans une certaine mesure. On en a parce qu'on est autorisé à en avoir. Si une entreprise fait des affaires là‑bas, c'est parce qu'on l'y autorise.
Si le parti décide qu'elle ne le peut pas, c'est comme cela et c'est tout. La décision ne sera pas remise en question, quelles qu'en soient les conséquences. Le parti, dans l'état actuel des choses, est prêt à aller plus loin que l'administration précédente, à prendre plus de risques et, disons, à pousser les démocraties occidentales jusqu'à un certain point. Il ne serait pas inconcevable que l'administration actuelle décide de faire quelque chose du genre.
Cela aurait des conséquences dramatiques, et le parti ne pourrait pas vraiment survivre à un tel coup, je dirais, à moyen ou à long terme. Ce ne serait pas viable pour le parti de prendre ce virage. S'il le faisait, cela pourrait causer toutes sortes de problèmes systémiques, si je peux m'exprimer ainsi.
Je n'ai que quelques questions à poser. Vous avez déjà répondu à des questions similaires, mais je vais vous poser quelques questions un peu plus pointues.
Monsieur Payette, croyez-vous qu'il est possible pour les fonds de pension canadiens d'investir dans une entreprise associée à la République populaire de Chine sans appuyer indirectement la Chine elle-même? Y a‑t‑il des entreprises qui n'ont pas de liens avec la République populaire de Chine? Y a‑t‑il des entreprises dans lesquelles nous pourrions investir en toute sécurité et auxquelles vous pensez?
Oui, il y a des entreprises dans lesquelles on peut investir en toute sécurité. Cependant, il faut toujours se rappeler que... Encore une fois, c'est la raison pour laquelle nous précisons toujours s'il s'agit d'entreprises publiques ou non publiques. Nous essayons d'éviter le mot « privée ». Nous parlons des secteurs public et non public parce qu'il est toujours possible qu'une entité non publique le devienne et que cela devienne un problème.
Tout dépend du risque que l'on est prêt à accepter, jusqu'à un certain point. Il serait exagéré de dire que quoi que ce soit serait sûr à 100 %.
Êtes-vous convaincu que les fonds de pension canadiens pourraient investir dans des entreprises chinoises sans soutenir le Parti communiste lui-même, indirectement ou directement?
Pouvez-vous nommer certaines entreprises en RPC qui sont liées à des cas notables de violation des droits de la personne et dans lesquelles des fonds de pension canadiens ont investi? Pouvez-vous fournir quelques exemples au Comité?
D'accord, alors il est juste de dire que des fonds de pension publics au Canada ont investi dans des entreprises en RPC directement liées à des cas de violation des droits de la personne. Est‑il juste d'affirmer cela?
Je voulais plutôt répondre à la question précédente.
Comme on le disait, les fonds de pension vont faire de moins en moins d'investissements de façon très directe. Il y a un secteur que je pourrais qualifier d'autonome, en Chine. Ce n'est rien de très important, ce ne sont pas des technologies sensibles, par exemple, mais il y a toujours un lien qui existe et il peut y avoir un risque pour les partenaires chinois ou les entreprises étrangères. C'est donc une épée de Damoclès.
Cela dit, il faut comprendre que, selon les statistiques, malgré le discours de retrait, le commerce avec la Chine a plutôt augmenté, mais les investissements ont eu tendance à stagner ces dernières années. C'est probablement en raison de la COVID‑19. Cependant, les entreprises continuent d'investir en Chine. Elles assument donc ce risque qu'on voit.
Je vous remercie beaucoup tous les deux pour vos commentaires.
Je sais que le Canada, depuis un bon nombre d'années, éprouve de la difficulté à respecter ses valeurs. Je pense qu'aucun gouvernement n'est parvenu à bien faire les choses. Je ne crois pas que le Canada ait réussi à stopper des livraisons de biens provenant de la Chine qui sont issus du travail forcé dans les camps de travail des musulmans ouïghours, qui vivent dans des conditions horribles, qui ont été très bien documentées. Corrigez-moi si j'ai tort, mais je ne crois pas que le Canada soit parvenu à stopper ne serait‑ce qu'un seul navire transportant des biens fabriqués par ces personnes devant travailler contre leur gré.
Je pense que je n'ai pas une grande confiance envers la capacité des fonds de pension de s'assurer qu'ils ne soutiennent pas directement des entreprises qui pourraient être liées à ce genre de cas. Vous avez mis cela en lumière grâce à l'information limitée que vous pouvez fournir, monsieur Payette, et je vous en suis reconnaissante.
Si vous avez autre chose à ajouter, monsieur Payette, à ce sujet, je serais ravie de vous laisser mes 15 dernières secondes pour le faire.
Je le répète, de notre point de vue, il devrait appartenir aux entreprises canadiennes de travailler avec les organismes de réglementation pour exercer une grande diligence raisonnable. Si cela n'a pas été fait, une forme de sanction devrait être imposée aux personnes qui investissent directement ou indirectement dans ces fonds indiciels, des fonds de fonds ou quoique ce soit qui est transigé ou qui provient d'émetteurs chinois. Davantage de travail devrait être fait à cet égard, à tout le moins davantage de travail en coopération, notamment de la part des organismes de réglementation et des entreprises canadiennes.
Je vous remercie, monsieur le président. Je tiens à remercier les deux témoins.
J'aimerais parler un peu des meilleures approches pour s'attaquer à un problème sur lequel nous nous entendons tous ici, je crois. Nous sommes préoccupés par le fait que des entreprises, des sociétés d'investissement et des fonds de pension canadiens investissent dans des instruments de placement qui pourraient aller à l'encontre des valeurs que les Canadiens chérissent.
J'essaie de trouver le meilleur moyen de résoudre ce problème. Il y a toute une gamme de solutions, notamment la criminalisation, l'imposition de sanctions, la divulgation ou l'autorisation. C'est un éventail que j'examine.
En 2009, j'ai présenté le projet de loi C‑441, un projet de loi d'initiative parlementaire, là où les bonnes idées meurent. Ce projet de loi visait à obliger les fonds de pension à divulguer les investissements, les désinvestissements ou les décisions d'affaires reliées à des facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance. La théorie était que les titulaires de fonds de pension couraient un risque si les fonds de pension effectuaient de mauvais investissements, notamment dans des projets contribuant à la dégradation de l'environnement ou dans des entreprises ayant de mauvaises pratiques de travail. C'est particulièrement important lorsqu'il s'agit de fonds de pension, car ils effectuent des investissements à long terme, et les titulaires de fonds de pension veulent être en mesure de savoir, sur une longue période, si leurs investissements vont donner de bons résultats. Un coup d'État n'est pas une bonne chose, ni la dégradation de l'environnement, de mauvaises pratiques de travail, qui donnent lieu à des poursuites judiciaires, ou des violations des droits de la personne.
Dites-moi quelle est votre opinion à l'égard de cette gamme de solutions, qu'il s'agisse de criminaliser des activités, de les autoriser ou de ne pas s'en préoccuper.
Je m'adresse à vous, monsieur Payette, parce que vous donnez des conseils. Je pense que l'aversion au risque existe vraiment, et que, si les gens sont dûment informés, ils vont faire la bonne chose, mais je suis peut-être naïf.
D'après notre expérience, je peux vous dire que, même lorsque nous fournissons l'information, parfois, le reste échappe à notre contrôle. Nous pouvons donner l'information, mais ensuite, la décision ne nous appartient pas. Nous pouvons trouver l'information et exercer une grande diligence raisonnable pour des entreprises ou fonds de pension, mais je le répète, nous ne pouvons rien faire d'autre.
De notre point de vue, je pense que le système américain constitue un exemple clair de la façon dont les choses pourraient être faites, à savoir travailler avec l'organisme de réglementation pour éventuellement intenter des poursuites dans une certaine mesure. On passe donc d'un bout à l'autre de la gamme des solutions. Il faudrait, bien sûr, une solution mitoyenne, mais il faudrait commencer par exercer une grande diligence raisonnable. Que peut‑on faire et que devrait‑on fournir aux titulaires d'un fonds? Ils devraient disposer de l'information. Voilà une chose, mais ce n'est pas suffisant. Que faire lorsqu'on dispose de cette information?
Les autorités canadiennes devraient peut-être se doter d'une liste similaire à celle des États-Unis concernant les entreprises dans lesquelles on ne devrait pas investir. À mon avis, ce pourrait être aussi une possibilité.
Permettez-moi de vous interrompre. Est‑ce bien « ne devrait pas »? S'agit‑il d'entreprises dans lesquelles on « ne devrait pas » investir ou dans lesquelles on « ne peut pas » investir?
Lorsqu'il s'agit d'une entreprise qui est directement liée à l'APL, par exemple, ou à des endroits où nous savons qu'on a recours à une main-d'oeuvre servile, au travail forcé, ou peu importe le terme que vous voulez employer, il faudrait plutôt préciser qu'on « ne peut pas » y investir, car il existe une preuve claire que c'est ce qui se passe sur le terrain. C'est ce qu'il faudrait faire, si c'est ce que vous voulez savoir.
Il faut savoir que, maintenant, ce qu'on fait dans le cas de bon nombre d'investissements, notamment dans le domaine manufacturier, c'est qu'on va donner des contrats ou des licences ou faire une économie en réseau. Par exemple, combien d'usines de fabrication de chaussures une compagnie comme Nike, pour ne pas la nommer, possède-t-elle? Elle n'en possède aucune. Elle utilise des sous-traitants, qui, eux, ne respectent pas les conditions de travail, les règles de santé et sécurité pour les travailleurs ou les mesures environnementales.
Il existe donc des manières pour les entreprises de ne pas investir directement dans des pays comme ceux-là, mais d'y être établies pour les affaires, et en cas de problème ce sont les fournisseurs qui vont être blâmés. Au Canada, on peut penser à Joe Fresh. C'est exactement la même chose. Tous les manufacturiers bas de gamme utilisent de plus en plus ce mode de fonctionnement.
On pourrait décider de punir les compagnies ici, mais, ultimement, ce ne sont pas elles qui sont les fabricants; elles s'occupent plutôt de l'importation et de la conception. Il est donc assez difficile de déterminer comment on pourrait punir ces compagnies.
Je suis assez d'accord sur la suggestion de mon collègue de prohiber les investissements dans certains secteurs. Je pense qu'on peut le faire par l'intermédiaire d'une loi-cadre. Même ici, au Canada, on peut penser à la Caisse de dépôt et placement du Québec, qui a reçu l'ordre de désinvestir des énergies fossiles. Ce n'est pas chose facile, étant donné que 30 % de l'économie canadienne ou des entreprises cotées à la Bourse de Toronto viennent du domaine énergétique. Comment faire, alors? Si on liquide tout, cela pourrait entraîner un krach. Nous sommes également pris avec nos anciens investissements. Comment fait-on? Doit-on les liquider?
Il faut tenir compte de toutes ces questions commerciales. Il faudrait évidemment agir au cas par cas, ou du moins avoir des mesures d'ordre assez général qui pourraient imposer des sanctions, mais ce sera assez difficile à mettre en œuvre au-delà du discours.
Il n'y a pas de problème. Nous avons beaucoup de temps. Nous pourrons effectuer trois tours ce soir. Il y a beaucoup de bonnes questions qui s'en viennent, et nous accordons plus de temps pour les réponses, car elles sont éclairantes.
Nous allons prendre un instant pour souhaiter la bienvenue à M. Fast et à Mme Sidhu, qui viennent remplacer des remplaçants. Voilà une chose intéressante.
Quoi qu'il en soit, la parole est maintenant à M. Trudel pour deux minutes et demie.
Finalement, il n'y a aucun moyen de faire des vérifications et il n'y a aucune transparence, en Chine, en ce qui a trait à nos investissements publics ou privés. Peu importe qui investit en Chine, on ne peut pas savoir ce qui s'y passe vraiment.
Ma question est peut-être naïve, mais pourquoi les fonds d'investissement publics ou privés continuent-ils à investir en Chine? Est-ce parce que c'est payant?
La Chine compte 1,4 milliard de consommateurs et une classe moyenne s'y est formée, bien qu'elle connaisse actuellement des difficultés économiques. C'est un pays en forte croissance et qui a donc besoin de beaucoup de matériaux de base. Le Canada est un grand fournisseur de ces matériaux.
Il y a donc l'attrait du marché. Toutefois, plusieurs observateurs constatent un ralentissement de la croissance chinoise pour deux raisons. Premièrement, la Chine vieillit rapidement. On a appris cette semaine que la population de l'Inde allait bientôt dépasser celle de la Chine. Deuxièmement, la Chine est prise dans ce qu'on appelle le piège du revenu intermédiaire: elle est rendue trop chère pour le très bas de gamme, mais sa technologie n'est pas assez sophistiquée pour concurrencer les produits occidentaux de haute technologie. Il pourrait donc se produire est un déplacement, voire un exode, de manufacturiers bas de gamme vers des pays comme le Vietnam ou l'Indonésie, où il y a encore des bassins de main-d'œuvre à très faible coût. Le cas échéant, l'attrait de la Chine sera peut-être moins grand, mais, à court terme, son immense marché conserve son potentiel. C'est pour cela que les entreprises continuent à y faire affaire.
Comme l'a mentionné mon collègue, ce qui a été dit nous mène à la grande conclusion qu'on ne peut pas ne pas traiter avec la deuxième économie en importance à l'échelle mondiale. Je sais que l'aspect des valeurs est très important pour le Comité. Cela, nous le comprenons bien, mais, encore une fois, on ne peut pas éviter de traiter avec cette économie.
Par exemple, je pense à la question des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance, ou critères ESG. Aujourd'hui, même si ces critères sont encore à la traîne du côté des entreprises chinoises cotées, et même dans le secteur public, on voit que cela se développe tranquillement. Aujourd'hui, quand la conversation porte sur les critères ESG, comme l'utilisation de l'eau, de l'électricité ou du charbon, notamment, on ne peut pas ne pas parler de la Chine; on ne peut pas discuter de ce sujet sans en parler.
La première voie à suivre, si on ne veut pas prendre de risque, consiste à ne pas faire affaire avec ce pays. Ce genre de réflexion s'applique à la plupart des régimes autoritaires. Si vous ne voulez pas de risque, surtout lorsqu'il est question de valeurs, vous ne pouvez pas aller là. C'est quelque chose qu'il faut bien comprendre.
Par contre, il y a encore beaucoup de rentabilité à aller y chercher, bien qu'elle soit parfois artificielle. Il faut faire très attention à voir la Chine comme une mine d'or. Il faut faire très attention à la façon et à l'endroit où on investit.
Excusez-moi, vous venez d'employer un terme que je ne suis pas sûr de comprendre. Vous dites que la rentabilité est parfois artificielle. Que voulez-vous dire par là?
Il faut savoir comment lire la croissance de la Chine. Il faut avoir accès, comme nous, aux rapports sur les dettes des gouvernements locaux. Il faut comprendre que l'économie de la Chine repose toujours sur le ciment et l'acier. Le pays relance toujours de grands projets keynésiens pour favoriser la croissance. Oui, il y a l'industrie manufacturière, mais il faut comprendre comment l'économie chinoise est structurée. Si vous enlevez le ciment et l'acier, comme cela a été soulevé tout à l'heure en lien avec l'immobilier, si certains secteurs connaissent un ralentissement, tout ralentit en même temps. Le pays réinvestit alors pour recréer de la croissance. Au bout d'un moment, cela crée des valeurs artificielles.
Je vous remercie beaucoup, monsieur le président. J'espère que je pourrai respecter mon temps de parole et éviter de gruger davantage de temps.
L'une des choses que je retiens des témoignages, c'est la nécessité de trouver un équilibre. Nous devons trouver un équilibre dans la manière dont nous traitons les investissements en Chine. De toute évidence, les investissements ont un rôle important à jouer en ce qui a trait à la recherche et à la manière dont nous excluons la Chine du commerce. Comment exclure la Chine lorsqu'il est question notamment des changements climatiques? Tout le monde ici sait que c'est nécessaire.
Ma première question s'adresse à vous, monsieur Payette. Est‑il même possible de faire des affaires avec la Chine en respectant les principes ESG? Est‑ce que c'est faisable?
Avec certaines sociétés chinoises cotées, oui, vous le pouvez. Certaines d'entre elles publient de l'information très détaillée. Certaines ont même ce que j'appellerais une divulgation compartimentée concernant certains fabricants.
Certaines sociétés chinoises fournissent vraiment une information de premier ordre. Encore une fois, je pense que c'est en partie parce qu'elles sont cotées en bourse aux États-Unis, car il est maintenant très contraignant d'être coté en bourse. Il faut divulguer beaucoup plus d'information. Nous devrions nous inspirer de cet exemple pour déterminer ce que le Canada pourrait faire à terme pour exiger une divulgation plus poussée. Il est vrai que certaines sociétés publient de l'information de premier ordre.
Dans certains cas, vous devez vraiment faire des efforts supplémentaires pour trouver de l'information. Je vais revenir sur la consommation d'eau, car c'est l'un des éléments clés. Nous essayons toujours de trouver la consommation d'eau. C'est parfois très compliqué. Certaines sociétés sont vraiment à la traîne, mais quand on sait ce qu'il faut chercher et l'endroit où le trouver, c'est possible.
Encore là, c'est une question de grandes entreprises par rapport à de bien plus petites entreprises. C'est vraiment le principal facteur, en fin de compte.
Il faut aussi comprendre où les entreprises canadiennes investissent et quelles sont leurs forces. Elles investissent essentiellement dans les domaines de la finance et de la distribution. Sauf exception, elles n'investissent pas vraiment dans le domaine manufacturier, où se retrouvent les principaux problèmes liés au travail et au respect de l'environnement.
Ouvrir une compagnie d'assurances ne pollue pas beaucoup et, généralement, cette dernière ne maltraite pas les enfants. Une structure d'investissement à l'étranger fait partie de nos forces. Nous sommes très présents dans les secteurs des services et de la distribution, qui sont moins susceptibles aux abus. En ce sens, nous sommes un peu protégés de ceux qui surviennent dans la fabrication, car nous y sommes moins présents.
Je ne dis pas que les problèmes n'existent pas, mais, de manière générale, si nous considérons nos grands secteurs d'investissement, nous sommes beaucoup plus dans des secteurs où il est possible d'avoir des politiques plus sociales et respectueuses des travailleurs, tout simplement parce que c'est dans cela que nous sommes bons.
Pouvez-vous nous dire si les interdictions mises en œuvre par les administrations Trump et Biden visant les investisseurs américains qui investissent dans une soixantaine d'entreprises basées en République populaire de Chine s'appliquent à la fois aux investissements directs et indirects, par exemple sous la forme de fonds indiciels?
Cela devrait s'appliquer d'après moi. Je pense que cela s'applique à la fois aux investissements directs et indirects, oui. Il s'agit aussi de savoir si l'on peut désagréger le fonds pour les trouver. Je pense que c'est parfois la difficulté de plus.
Si le gouvernement du Canada entend interdire aux investisseurs canadiens d'investir dans des entreprises de la République populaire de Chine qui sont liées à des violations flagrantes des droits de la personne, il me semble que ces interdictions devraient s'appliquer aussi bien aux investissements indirects qu'aux investissements directs, que ce soit directement par l'achat de titres cotés en bourse ou indirectement par l'intermédiaire de fonds indiciels ou d'autres fonds qui ont acheté ces titres cotés en bourse. Êtes-vous d'accord avec cette approche théorique?
Pouvez-vous nous dire s'il y a eu des discussions à ce sujet au Canada?
Nous sommes souvent considérés, en tant que pays, comme des leaders en matière de droits de la personne dans le monde. Le Parlement canadien a reconnu l'existence d'un génocide à l'encontre de la minorité musulmane ouïghoure du Xinjiang. Le gouvernement du Canada lui-même s'est exprimé sur les violations des droits de la personne commises dans des États autoritaires comme la République populaire de Chine.
Cependant, nous recevons de temps à autre des rapports qui révèlent que des fonds de pension publics — tels que l'OIRPC, la Caisse de dépôt et placement du Québec, les fonds de pension provinciaux, les fonds de pension quasi gouvernementaux tels que le Régime de retraite des enseignants de l'Ontario et d'autres fonds de pension liés au service public — investissent également indirectement au moyen de fonds indiciels dans des entreprises basées en République populaire de Chine qui commettent des violations des droits de la personne.
Est‑ce qu'il y a en ce moment des discussions sur le fait que cela ne devrait pas se produire et que nous devrions y mettre un terme? Je n'ai pas l'impression qu'il y a beaucoup de discussions à ce sujet.
Non, il n'y a pas de véritables discussions à ce sujet, et nous pensons que même s'il y en avait, elles ne déboucheraient peut-être pas sur grand-chose, parce que — pour compléter le point précédent — la plupart des entreprises dont vous parlez ne sont généralement pas cotées en bourse. En règle générale, elles ne seront pas indexées; certaines d'entre elles sont trop petites. Même les fonds indiciels chinois ne les retiendraient pas parce qu'elles sont trop obscures. Certaines d'entre elles sont généralement considérées comme étant « trop rouges » pour être incluses dans des fonds indiciels, si vous voyez ce que je veux dire.
Oui, je comprends, mais nous parlons alors d'investissements directs dans des capitaux propres, auquel cas les fonds de pension publics ici au Canada sont évidemment directement responsables. Ils ne peuvent pas se justifier en disant qu'il s'agit d'investissements indirects et qu'ils ont acheté un certain nombre de fonds de l'indice MSCI, mais qu'ils n'interviennent pas dans les décisions relatives à la composition de l'indice ou des fonds spéculatifs. S'ils investissent directement dans des capitaux propres, ils sont directement responsables de cet achat de capitaux propres.
Je trouve que c'est déconcertant. Tout ce que j'ai entendu de Bay Street et de Wall Street ces dernières années, c'est l'investissement ESG — axé sur l'environnement, le social et la gouvernance. Puis je lis les rapports selon lesquels des investisseurs canadiens et américains ont acheté des capitaux propres ou des titres cotés en bourse dans des entreprises associées à des violations flagrantes des droits de la personne. Cela me semble très contradictoire avec la discussion que nous avons sur l'investissement en Amérique du Nord en ce qui concerne les droits de la personne et les questions environnementales, sociales et de gouvernance.
Pour poursuivre sur la question des contradictions, monsieur le président, vous et quelques autres membres du Comité, dont moi, revenons tout juste de Taïwan. Permettez-moi tout d'abord de dire que le travail de ce comité est très utile. Nous avons eu le privilège de présenter votre rapport à la présidente de Taïwan. Elle a été très touchée par le travail du Comité.
Je sais que vous travaillez parfois dans l'obscurité, le lundi soir entre 18 h 30 et 21 h 30, dans le sous-sol d'un vieux bâtiment qui sent le renfermé, mais ce travail a été apprécié à l'autre bout du monde.
L'un des commentaires intéressants qu'elle a faits est que Taïwan retire ses investissements de la Chine continentale. Elle s'est appuyée sur des faits et des chiffres. C'est considérable. Bien sûr, les relations de Taïwan avec la Chine sont bien plus étroites et bien plus importantes que les nôtres, mais j'ai trouvé frappant que Taïwan ait eu le courage de commencer à se retirer de la Chine, alors que le Canada continue à danser autour de l'érable en se demandant s'il devrait le faire ou non, et à s'enfermer dans les préoccupations de nature ESG.
Ma première question est la suivante. Compte tenu des préoccupations géopolitiques, est‑ce que l'un ou l'autre d'entre vous investirait en Chine ou recommanderait à l'une de vos entités d'investissement d'investir à nouveau en Chine, étant donné les tensions géopolitiques qui pèsent?
S'il s'agissait de mon argent, je ne choisirais pas la Chine. En effet, on peut trouver l'équivalent ailleurs. Si on veut vendre ses produits aux Chinois, par contre, c'est une autre histoire. Cependant, s'il ne s'agit que de production, je crois que de nombreuses possibilités peuvent être envisagées. On peut penser au Vietnam, à l'Inde et à bien d'autres pays de cette région, ou, plus près de chez nous, au Mexique, possiblement. Ce sont des pays équivalents où, par surcroît, il y a moins de risques d'ingérence politique.
Les tensions géopolitiques ne vous dérangent pas. Vous ne vous préoccupez pas du fait que le gouvernement chinois kidnappe nos citoyens et mène des opérations policières d'intimidation ici. Les règles de droit ne sont appliquées qu'à l'occasion. N'êtes-vous pas inquiet de tout cela lorsque vous investissez en Chine?
Là n'est pas la question, même si je comprends votre point de vue. Si vous me demandez si j'investirais en Chine, c'est oui, mais cela dépend vraiment de l'investissement ciblé. Je ne le ferais pas au hasard.
En quoi cela dépend‑il de quoi que ce soit? La Chine est en voie de quitter le monde des nations civilisées. Tout investissement, aussi bénin soit‑il, est un investissement à risque. Je suis simplement curieux. Vous allez probablement faire un investissement qui vous rapportera beaucoup d'argent, mais est‑ce que votre investissement en vaut la peine si le président Xi en décide autrement?
Cela dépend vraiment de votre goût du risque à ce stade. Vous devez comprendre que si vous investissez dans quelque chose qui pourrait être socialisé ou qui pourrait vous être enlevé, cela fait partie, dans une certaine mesure, de la progression de l'investissement, si vous êtes prêt à prendre le risque. Si vous perdez, vous perdez. Cela fait partie du jeu.
Je me demande simplement si nous comprenons pleinement le risque d'expropriation directe ou indirecte. Compte tenu de toutes les préoccupations ESG et de toutes celles qui concernent les droits de la personne, il se peut que le Canada, en tant que pays investisseur, n'aime pas l'idée d'un risque substantiel d'expropriation au gré des caprices d'une seule personne.
Eh bien, nous aimerions que les choses soient plus complexes que cela; je suis d'accord. Je me demande simplement si c'est vraiment plus complexe que cela.
Combien de temps me reste‑t‑il? Est‑ce que j'ai terminé?
Il nous reste un peu plus de cinq minutes. Je propose d'en donner la moitié à M. Trudel et l'autre moitié à Mme McPherson, ce qui clôturera la discussion avec ce groupe de témoins.
Monsieur Payette, vous avez écrit des livres. Dans l'un d'eux, vous avez écrit qu'en cas d'échec du Parti communiste chinois à garantir à sa population un flux continu de biens socioéconomiques, l'État-parti pourrait être confronté à une crise de régime, ce qui aurait une incidence directe sur sa résilience, et peut-être même sa survie. Cela pourrait donc avoir des répercussions sur les investissements, de l'Occident ou de n'importe où, en Chine.
À votre connaissance, quel est l'état actuel du Parti communiste chinois? Je ne sais pas si vous le savez.
Oui, c'est ce que nous suivons à longueur de journée.
C'est une position qui est toujours très délicate. D'un point de vue général, on voit Xi Jinping, on voit la nouvelle division du pouvoir, mais il faut faire très attention à la manière dont les choses évoluent à l'intérieur du parti. L'équipe en place n'est pas très solide en ce moment. De nouvelles campagnes d'éducation à l'intérieur de la Chine nous envoient des signaux à l'effet que cela ne fonctionne peut-être pas autant que nous le pensons. Le fait d'avoir recréé un bureau de gestion agricole, renaissant de ses cendres de 1960, n'est pas non plus une très bonne indication pour la question du contrôle du grain. Je ne veux pas m'étendre sur la question du grain, mais il y a quelque chose de très important avec cela.
Donc, le parti nous envoie toutes sortes de signaux dans la manière dont il communique. Il y a des gens qui pensent que c'est du code, mais ce n'est pas le cas. Il faut savoir lire ce que le parti dit. Le parti est parfois très honnête avec ce qu'il dit, c'est juste la façon de le lire qui change. En lisant bien, nous nous rendons compte que, non, la position de Xi Jinping n'est pas aussi solide qu'on peut le penser. Il y a encore beaucoup de remaniements au sein du parti. Les gens qui ont été choisis pour la question de l'économie ne sont pas des gens qui auraient dû être là, normalement. Ce ne sont pas les meilleurs qui ont été placés là. Selon le discours officiel, les réformes vont continuer, mais de quelles réformes parle-t-on? C'est toute une autre question et il y a plusieurs niveaux de réflexion à avoir sur cela.
Bref, est-ce qu'il pourrait y avoir une crise économique? Potentiellement, oui.
Encore une fois, cela dépend toujours de votre appétit pour le risque. Si vous êtes un investisseur, vous comprenez le risque. Si vous êtes un fonds de pension qui doit rendre des comptes à ses futurs pensionnés, c'est un peu plus compliqué, surtout si vous êtes prévoyez à long terme.
En ciblant Hong Kong et Taïwan, le régime chinois montre surtout un signe de faiblesse. On dirait qu'il veut se trouver des ennemis extérieurs pour justifier ce qui va mal en dedans. Il a fermé des villes pendant la pandémie de la COVID‑19, enfermant les gens pendant des mois sans aucune ressource. Cela a créé de la grogne. La classe moyenne est en train de perdre sa chemise dans l'immobilier, il y a eu des problèmes dans le domaine agricole, et le chômage arrive. Les Chinois n'ont pas connu cela depuis longtemps, mais le chômage revient.
Je suis persuadé que le régime est plus faible qu'il ne le paraît. Il adopte un discours de façade disant qu'il est fort et bon, mais, effectivement, il peut connaître une certaine instabilité. Je ne crois pas que les Chinois aillent vraiment envahir Taïwan, surtout pas [difficultés techniques]. Toutefois, ils vont certainement se laisser aller à des démonstrations de force.
Merci beaucoup, monsieur le président, et encore une fois, merci à nos deux témoins.
Je dois dire que je ne me sens pas très rassurée. Les témoignages que nous avons entendus aujourd'hui ont certainement suscité chez moi plus de questions que de réponses. Je reconnais que vous avez dit que le Canada est naïf et qu'il arrive peut-être en retard à la table. C'est le cas de nombreux pays.
Monsieur Payette, vous avez notamment dit une chose qui m'a vraiment frappée: « Si vous perdez, vous perdez. » Bon. Malheureusement, il s'agit d'investisseurs qui utilisent l'argent d'autres personnes, ce qui pose également problème.
Pourriez-vous tous les deux nous faire part rapidement de vos commentaires à ce sujet? Sachant que c'est le cas, quel est le rôle du gouvernement fédéral pour ce qui est d'avertir les investisseurs et de veiller à ce qu'ils comprennent les risques? Quel est le rôle du gouvernement fédéral pour veiller à ce que les investisseurs soient tenus responsables des décisions particulières, peut-être trop risquées, qu'ils prennent par rapport à la Chine?
Monsieur Arès, commençons par vous, si vous le voulez bien.
Il est assez compliqué de se prémunir contre le risque pour ce genre de chose. Les fonds d'investissement passent parfois par des tierces parties. Alors, comment peut-on vraiment savoir dans quoi on investit, ultimement? C'est une des questions cruciales: comment savoir, ultimement, si le fonds a investi dans un autre fonds qui, lui, a investi dans une tierce partie, et ainsi de suite? Il y a toujours un jeu de filiales qui devient compliqué. C'est quelque chose de très difficile à savoir.
Si c'est fait directement, c'est beaucoup plus facile. À cet égard, encore une fois, le Canada pourrait tirer des leçons de l'expérience Trump. Je ne parle pas ici de l'homme, mais de ce qu'il a fait et de ce qu'il a forcé les États‑Unis à faire, c'est-à-dire dresser une liste des secteurs à surveiller et des entreprises, y compris leurs filiales si elles en ont, dans lesquelles ne pas investir. Beaucoup plus de mesures ont été mises en place. Ce n'est pas nécessairement suffisant, mais c'est déjà quand même un très bon début pour établir ce qu'on ne veut pas. Le Canada devrait donc déjà commencer à faire ce travail de fond pour établir ce qu'il veut ou ne veut pas faire.
Ensuite, il faut rappeler l'importance des vérifications préalables. Selon notre expérience, beaucoup d'entreprises font des investissements, mais ne viennent nous voir qu'après qu'il leur est arrivé quelque chose. Elles nous demandent des informations et nous leur répondons oui, mais qu'il est trop tard, parce qu'elles ont déjà fait quelque chose. C'est avant d'agir qu'elles doivent demander cette information. Elles auraient pu savoir qu'il ne fallait pas faire ce qu'elles ont fait, mais il aurait fallu qu'elles le demandent avant. Je ne peux pas vous dire le nombre d'entreprises qui se sont fait prendre pour avoir investi dans telle ou telle chose.
Très bien. Sur ce, je pense que nous allons mettre fin à notre discussion avec ce groupe.
Nous vous savons gré, messieurs Payette et Arès, du temps que vous nous avez consacré ce soir. Nous vous remercions vivement de vos témoignages. Nous allons vous laisser profiter du reste de votre soirée. De notre côté, nous allons faire une courte pause et poursuivre nos travaux à huis clos. La séance est suspendue.