FAAE Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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38e LÉGISLATURE, 1re SESSION
Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international
TÉMOIGNAGES
TABLE DES MATIÈRES
Le jeudi 23 juin 2005
¾ | 0850 |
Le président (M. Bernard Patry (Pierrefonds—Dollard, Lib.)) |
M. Kevin Sorenson (Crowfoot, PCC) |
Le président |
L'hon. Maurizio Bevilacqua (Vaughan, Lib.) |
Le président |
M. Stockwell Day (Okanagan—Coquihalla, PCC) |
¾ | 0855 |
Le président |
L'hon. Maurizio Bevilacqua |
Mme Francine Lalonde (La Pointe-de-l'Île, BQ) |
L'hon. Dan McTeague (Pickering—Scarborough-Est, Lib.) |
Le président |
Mme Francine Lalonde |
Le président |
M. Stockwell Day |
Le président |
¿ | 0900 |
Le président |
Le président |
M. Hassan Yussuff (secrétaire-trésorier, Congrès du travail du Canada) |
¿ | 0905 |
¿ | 0910 |
Le président |
M. Stockwell Day |
¿ | 0915 |
Le président |
M. Stockwell Day |
M. Hassan Yussuff |
¿ | 0920 |
Le président |
Mme Francine Lalonde |
M. Hassan Yussuff |
Mme Anna Nitoslawska (administratrice du programme international, Congrès du travail du Canada) |
¿ | 0925 |
Le président |
M. Hassan Yussuff |
Mme Francine Lalonde |
M. Hassan Yussuff |
¿ | 0930 |
Mme Francine Lalonde |
Le président |
Mme Anna Nitoslawska |
M. Pierre Paquette (Joliette, BQ) |
Le président |
L'hon. Maurizio Bevilacqua |
¿ | 0935 |
M. Hassan Yussuff |
Le président |
L'hon. Maurizio Bevilacqua |
¿ | 0940 |
M. Hassan Yussuff |
Le président |
L'hon. Maurizio Bevilacqua |
M. Hassan Yussuff |
Le président |
L'hon. Maurizio Bevilacqua |
M. Hassan Yussuff |
Le président |
Mme Alexa McDonough (Halifax, NPD) |
¿ | 0945 |
M. Hassan Yussuff |
¿ | 0950 |
Le président |
M. Stockwell Day |
Le président |
M. Stockwell Day |
Le président |
M. Stockwell Day |
Le président |
Mme Alexa McDonough |
Le président |
M. Stockwell Day |
Le président |
¿ | 0955 |
M. Hassan Yussuff |
Le président |
M. Alex Neve (secrétaire général, Section anglophone, Amnistie internationale Canada) |
À | 1000 |
À | 1005 |
À | 1010 |
Le président |
M. Stockwell Day |
À | 1015 |
Le président |
Mme Helena Guergis (Simcoe—Grey, PCC) |
M. Kevin Sorenson |
Le président |
M. Kevin Sorenson |
Le président |
M. Alex Neve |
Le président |
Mme Francine Lalonde |
Le président |
M. Pierre Paquette (Joliette, BQ) |
À | 1020 |
M. Alex Neve |
Le vice-président (M. Kevin Sorenson) |
M. Alex Neve |
Le président |
À | 1025 |
L'hon. Dan McTeague |
M. Alex Neve |
L'hon. Dan McTeague |
À | 1030 |
M. Alex Neve |
Le président |
Mme Alexa McDonough |
M. Alex Neve |
À | 1035 |
Mme Alexa McDonough |
M. Alex Neve |
Mme Alexa McDonough |
Le président |
L'hon. Maurizio Bevilacqua |
M. Alex Neve |
À | 1040 |
L'hon. Maurizio Bevilacqua |
M. Alex Neve |
L'hon. Maurizio Bevilacqua |
M. Alex Neve |
À | 1045 |
L'hon. Maurizio Bevilacqua |
Le président |
L'hon. Maurizio Bevilacqua |
M. Alex Neve |
L'hon. Maurizio Bevilacqua |
M. Alex Neve |
L'hon. Maurizio Bevilacqua |
Le président |
M. Kevin Sorenson |
M. Alex Neve |
M. Kevin Sorenson |
Le président |
Mme Francine Lalonde |
À | 1050 |
M. Alex Neve |
Mme Francine Lalonde |
M. Alex Neve |
Mme Francine Lalonde |
Le président |
M. Alex Neve |
Le président |
M. Alex Neve |
Le président |
M. Alex Neve |
Le président |
À | 1055 |
M. Alex Neve |
Le président |
Mme Alexa McDonough |
Le président |
L'hon. Maurizio Bevilacqua |
Le président |
CANADA
Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international |
|
l |
|
l |
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TÉMOIGNAGES
Le jeudi 23 juin 2005
[Enregistrement électronique]
* * *
¾ (0850)
[Traduction]
Le président (M. Bernard Patry (Pierrefonds—Dollard, Lib.)): Bonjour, tout le monde.
[Français]
C'est la 52e séance du Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international. Nous discuterons aujourd'hui des travaux du comité.
[Traduction]
Je veux d'abord rappeler aux membres que le premier point à l'ordre du jour est le budget pour la consultation. Nous avons adopté mardi dernier un budget de moins de 35 000 $. Je veux seulement dire à tous les membres que le budget sera de 24 859 $. C'est ce que nous allons demander.
[Français]
C'est moins que 35 000 $.
[Traduction]
M. Kevin Sorenson (Crowfoot, PCC): C'est 600 $ par jour. Ai-je bien compris?
[Français]
Le président: Probablement.
[Traduction]
L'hon. Maurizio Bevilacqua (Vaughan, Lib.): Ce sont de très bons taux.
[Français]
Le président: C'est ce que la Chambre... Oui.
[Traduction]
Nous reprenons l'étude de la motion de M. Day. Sa motion a été présentée. Nous avons aussi l'amendement de Mme Phinney et le sous-amendement de M. McTeague. Quelqu'un veut-il parler de la motion d'abord?
Nous allons d'abord voter sur le sous-amendement.
M. Stockwell Day (Okanagan—Coquihalla, PCC): J'ai dit lors de la dernière séance que je ne mettais pas en doute ni ne contredisais les informations relatives à ce que le Canada a dit par le passé au sujet de la participation entière d'Israël. C'est la raison pour laquelle j'ai d'abord accepté un amendement, puis un sous-amendement, et ensuite tout le monde a semblé reculer même pour ces amendements.
Nous avons les informations ici. Je sais qu'Israël participe à toute une série d'activités aux Nations Unies. Cependant, étant donné qu'Israël a un statut temporaire au GPEAE—qui est le Groupe des pays d'Europe occidentale et autres États—, le fait demeure que ce pays ne peut pas siéger à la Commission des droits de l'homme des Nations Unies à Genève, qui est une instance importante de l'ONU. C'est l'instance où l'on propose sans cesse des motions concernant l'état des droits de la personne en Israël, et Israël n'est pas en mesure d'être présente au sein de cette instance pour se défendre. C'est un désavantage sérieux pour Israël, du fait qu'on ne lui permet pas de siéger au sein de cette instance. On ne lui permet pas non plus de siéger au Conseil de sécurité de l'ONU lui-même, instance qui est très importante. En ce qui concerne sa participation à ce groupe régional—le GPEAE—elle se limite à New York.
Ma motion ne vise nullement à accabler notre gouvernement, et c'est la raison pour laquelle j'ai accepté l'amendement ou le sous-amendement qui réaffirme simplement le droit qu'a Israël d'être membre de ces organismes importants. Si mes collègues persistent à croire, pour une raison ou une autre, que ma motion blâme le gouvernement, nous pouvons changer cela et nommer les instances en question. Je pourrais préciser en disant « par exemple, la Commission des droits de l'homme des Nations Unies à Genève et le Conseil de sécurité lui-même », si cela peut les rassurer.
On n'a donc jamais mis en doute le fait qu'Israël soit présent aux Nations Unies. Mais ce pays devrait pouvoir participer pleinement aux travaux de ces instances importantes. Si l'on veut modifier la motion dans le sens qu'a proposé Mme Phinney, ce que j'ai accepté lors de la dernière séance, ça va. Je ne vois pas pourquoi certains collègues devraient ressentir de la nervosité ou être sur la défensive à ce sujet.
¾ (0855)
Le président: Commentaires?
Monsieur Bevilacqua.
L'hon. Maurizio Bevilacqua: D'après ce que je vois, personne ici n'est sur la défensive à ce sujet.
[Français]
Mme Francine Lalonde (La Pointe-de-l'Île, BQ): Que répondez-vous à M. Day, monsieur McTeague?
L'hon. Dan McTeague (Pickering—Scarborough-Est, Lib.): J'ai pris l'initiative de faire parvenir à tous les députés la position adoptée par le gouvernement du Canada. Il me semble que le débat qui a cours ici n'en est pas vraiment un de substance. Nous nous étions employés à demander quelque chose qui existe à l'heure actuelle.
[Traduction]
Monsieur Day, je comprends vos préoccupations. Je vois pourquoi vous exprimez publiquement votre préoccupation, et vous semblez dire que le comité n'est pas sensible comme il devrait l'être aux préoccupations d'Israël. Mais je n'arrive pas à comprendre pourquoi nous proposerions une motion, sans ces petits amendements, qui ne refléterait pas exactement ce que le gouvernement canadien a justement fait. Donc, d'exiger quelque chose que nous avons déjà... je crois que vous avez accepté l'amendement. Je n'entrevois aucune difficulté à ce qu'on adopte mes deux amendements, ou l'un des deux, ou je dis que j'appuie ou que je réaffirme mon appui. Les deux sont acceptables.
J'ignore si le comité a d'autres préoccupations qu'il voudrait exprimer concernant le sens qu'aurait, par exemple, la participation d'Israël au Conseil de sécurité, chose qui peut être très difficile. Nous savons tout le mal que le Canada a dû se donner pour accéder à cette instance. Mais j'admets quand même que la motion, avec ces quelques mots qu'on y ajoute, ne change pas du tout au tout ce que vous essayez de faire; bien au contraire, on confirme ici la politique du Canada qui, à mon avis, a toujours été très favorable à l'admission d'Israël dans ces instances.
Le président: D'autres commentaires?
Madame Lalonde.
[Français]
Mme Francine Lalonde: Je reviens à l'intervention de M. Day. Il me semble que si Israël ne peut pas accéder au Conseil de sécurité, ce n'est pas parce qu'il n'en a pas le droit mais parce qu'il ne serait pas élu. Il ne faut pas mêler les droits et le fait que quelque 50 États pourraient ne jamais voter pour lui; c'est bien de cela que vous parlez. Ce n'est pas une question de droits. Quant à adopter une motion, réaffirmons qu'Israël a les mêmes droits, mais cela ne l'assure pas d'être élu au Conseil de sécurité.
[Traduction]
Le président: Bien.
Monsieur Day.
[Français]
M. Stockwell Day: Selon moi, Israël ne peut sûrement pas poser sa candidature puisqu'il n'en a pas le droit en tant que membre temporaire de son groupe régional.
[Traduction]
Le président: Je crois que la motion est claire. Nous avons un sous-amendement. Si vous êtes tous d'accord, nous allons d'abord voter sur le sous-amendement, parce que c'est la façon de procéder.
(Le sous-amendement est adopté [voir le Procès-verbal].)
¿ (0900)
Le président: Ce qui veut dire que s'il y a un sous-amendement, il n'y a plus d'amendement.
Nous allons maintenant voter sur la motion telle qu'elle a été modifiée.
(La motion modifiée est adoptée [voir le Procès-verbal].)
Le président: Merci. C'est bien.
Il est maintenant 9 heures précises. Nous reprenons notre étude sur l'énoncé de politique internationale.
Nous avons le plaisir ce matin de recevoir M. Hassan Yussuff, secrétaire-trésorier du Congrès du travail du Canada. Bienvenue chez nous ce matin. Je crois savoir que vous avez un exposé.
Je tiens seulement à rappeler à mes collègues qu'il y aura un vote à 10 h 30—la sonnerie retentira pendant 30 minutes, vers les 10 heures ou 10 h 05—et il y aura probablement un vote ce soir à 20 heures.
Monsieur Yussuf, vous avez la parole.
M. Hassan Yussuff (secrétaire-trésorier, Congrès du travail du Canada): Tout d'abord, bonjour. Je tiens à remercier le comité qui a bien voulu écouter le CTC. Nous sommes heureux d'être des vôtres aujourd'hui.
Comme vous le savez, le CTC est une organisation regroupant plus de 3 millions de membres, des hommes et des femmes des secteurs aussi bien public que privé partout au pays. Le CTC agit depuis longtemps à l'échelle internationale : relations bilatérales solides avec les centres nationaux du travail dans les pays en voie de développement; membre actif du mouvement syndical international, au sein de la CISL et de l'ORIT; représentation au conseil d'administration de l'Organisation internationale du travail, l'OIT, et de la Commission syndicale consultative auprès de l'Organisation de coopération et de développement économiques; la CSC—OCDE; participation à des projets de renforcement des capacités dans plus de 30 pays d'Afrique, d'Asie, des Amériques et du Moyen-Orient; enfin, élaboration de positions sur des dossiers de politiques étrangères au Canada, et tout récemment présentation d'un mémoire à la Commission sur l'Afrique.
Mon introduction sera très brève. Il y a quelques domaines sur lesquels nous voulons nous prononcer.
Nous sommes heureux de vous voir procéder à cette étude sur l'énoncé de politique internationale dont le but déclaré est de consolider le rôle du Canada dans le monde. On y mentionne à maintes reprises l'intégration, la cohérence ainsi qu'une approche pangouvernementale, la nécessité d'intégrer la sécurité, le développement et l'expertise commerciale. Nous voulons parler de cette nécessité d'intégration et de cohérence dans la maîtrise des problèmes brûlants que sont le développement et la justice mondiale. Nos commentaires porteront essentiellement sur les questions relatives au développement et au commerce international de la gouvernance mondiale, et sur le fait que les Canadiens doivent participer au débat sur le rôle du Canada dans le monde.
Augmenter l'aide au développement... nous félicitons le comité d'avoir adopté à l'unanimité sa motion du 9 juin invitant le gouvernement à accroître l'aide internationale du Canada pour que celle-ci atteigne 0,7 p. 100 du PIB, et à établir un calendrier qui nous permettrait d'atteindre cette cible d'ici 2015.
Nous félicitons le comité d'avoir invité le gouvernement à proposer une loi qui ferait de la réduction de la pauvreté la priorité de l'aide officielle du Canada au développement. Nous soutenons aussi de tout coeur d'autres mesures, à savoir, l'annulation à 100 p. 100 de la dette pour les pays les plus pauvres qui respectent les droits de la personne, et de nouvelles formes de taxation internationale, par exemple, la taxe Tobin.
Cependant, l'aide étrangère et l'annulation de la dette ne suffiront pas à elles seules à éliminer la pauvreté et à instaurer une mondialisation qui soit juste et inclusive. Il nous faut aussi des emplois convenables. En 2005, le Canada doit porter son attention sur trois rencontres importantes : la rencontre du G8 à Gleneagles en juillet, le Sommet du Millénaire Plus Cinq en septembre, car il faut un neuvième but du développement du millénaire qui porterait sur le travail décent; et la rencontre ministérielle de l'OMC à Hong Kong en décembre.
Un travail décent est à la fois une fin en soi et un moyen qui nous permettra de réduire la pauvreté. Pour briser le cycle de la pauvreté, il faut une mondialisation qui soit juste, avec un mécanisme de répartition solide. Le programme du travail décent traite de l'emploi, des transferts de ressources aux pauvres par l'entremise de la protection sociale, et la promotion des droits fondamentaux, dont la négociation collective. Ce programme a été mis au point par l'OIT, les employeurs, les travailleurs et les organisations gouvernementales.
Le Canada peut contribuer au programme du travail décent. Les politiques et les mesures du Canada peuvent contribuer à la réalisation du programme du travail décent.
Les accords commerciaux qui font la promotion du développement économique et social... l'énoncé de politique internationale admet que certains pays n'ont pas profité de la libéralisation des échanges, des investissements et des marchés que le Canada réclamait. Réclamer, c'est un bon début, mais le Canada doit soutenir les accords internationaux qui combinent l'ouverture au commerce et à l'investissement, le respect des droits qu'ont les travailleurs de se syndiquer et de négocier afin d'assurer une répartition générale des avantages économiques, et le respect du droit qu'ont les pays de prendre des règlements dans l'intérêt public; la fonction publique et l'environnement en sont des exemples.
La responsabilité sociale des entreprises... l'énoncé de politique internationale dit que le gouvernement canadien, en sa qualité de bon citoyen mondial, fait la promotion de la responsabilité sociale des entreprises en tant que bonne pratique d'affaires. Cependant, le manque de précision est décevant ici. Nous croyons, tout comme la Commission Broadbent, la Commission sur la démocratie canadienne et la responsabilisation des entreprises, que la question est trop urgente pour s'en remettre à des codes facultatifs. L'heure est venue pour le gouvernement de mettre en oeuvre des mesures obligatoires. Par exemple, nous avons une loi au Canada qui permet de poursuivre des personnes qui se prêtent à des actes d'exploitation sexuelle outre-mer, et la loi Westray sur la responsabilité pénale des organisations internationales qui traite de ces questions importantes que sont la conduite des entreprises à l'étranger, et il faut encourager le respect de ces lois; c'est une question de santé et de sécurité. De nombreuses entreprises canadiennes profitent de l'aide gouvernementale, et on ne saurait leur permettre d'entacher la réputation internationale du Canada.
Les normes du travail et l'aide au développement... le Canada peut faire plus, à l'instar du DFID du Royaume-Uni et même de la Banque mondiale pour s'assurer que son programme de développement est compatible avec la promotion des normes de travail fondamentales de l'OIT. Le gouvernement canadien doit accorder davantage de ressources à la société civile, notamment les syndicats, pour que celle-ci fasse la promotion des droits de la personne, de la démocratie et de la saine gouvernance, et pour qu'elle puisse évaluer l'incidence de son aide au développement sur les droits des travailleurs.
¿ (0905)
Pour ce qui est du multilatéralisme comme base de la gouvernance mondiale, l'énoncé de politique internationale mentionne les initiatives que le Canada a prises pour soutenir la réforme des États-Unis et la création d'un multilatéralisme nouveau. Le CTC croit que toute réforme de la gouvernance mondiale doit être inspirée par la vision d'une mondialisation juste et inclusive. Elle doit être axée sur la consolidation du rôle politique de l'ONU par rapport aux autres grands acteurs multilatéraux comme la Banque mondiale, le FMI et l'OMC; les pays en voie de développement doivent participer davantage à la prise de décisions concernant l'économie mondiale; et il faut faire en sorte que l'OIT soit plus présente dans le système multilatéral.
L'une des initiatives essentielles du Canada est la conduite de l'effort diplomatique visant à créer le Groupe L-20, des leaders des pays en voie de développement dans le monde développé. Le CTC croit que cela peut être une solution préférable au G-8 et à l'ordre mondial dominé par les États-Unis, selon la façon dont le L-20 sera structuré.
L'énoncé de politique internationale met également en relief la sécurité du Canada et ses propriétés économiques en Amérique du Nord, et il se veut rassurant en disant qu'un partenariat élargi avec les États-Unis et le Mexique peut être formé sans que cela entame notre souveraineté. Le CTC craint que le partenariat pour la sécurité et la prospérité ne rapproche le Canada du programme du Conseil canadien des chefs d'entreprise dont l'initiative de sécurité et de prospérité nord-américaine vise en fait à intégrer l'économie et la sécurité des deux pays. Le CTC est favorable à la création d'un mécanisme raisonnable dont le but sera de gérer nos rapports économiques avec les États-Unis, mais il insiste sur la préservation et l'affirmation de notre souveraineté dans les domaines où elle est des plus importantes : la liberté civile, la défense, la politique étrangère, l'énergie, l'environnement et la politique sociale.
Nous nous opposons : 1- à la proposition visant à créer un périmètre officiel pour la sécurité nord-américaine étant donné que cela pourrait avoir des effets sur les libertés civiles du Canada, sa politique indépendante en matière d'immigration, de réfugiés et de défense; 2- à un nouveau pacte des ressources étant donné que cela pourrait diminuer le contrôle que nous avons de nos ressources en matière d'énergie et d'eau; et 3- à ce qu'on fasse de l'ALENA une union douanière étant donné que cela pourrait compromettre la politique commerciale indépendante du Canada en matière de culture, de services publics et de services sociaux.
L'énoncé de politique internationale n'ira pas jusqu'à épouser ce grand dessein d'une intégration complète avec les États-Unis, mais il ne dit rien qui nous permet de croire que le gouvernement a vraiment tourné le dos aux exigences des entreprises, les Canadiens craignent tout accord avec les États-Unis qui pourrait diminuer la faculté que nous avons de façonner notre avenir collectif comme pays indépendant. Une vigilance publique sera nécessaire à long terme pour faire obstacle aux mesures futures qui favoriseront l'intégration économique et sociale de l'Amérique du Nord.
Je passe maintenant à la citoyenneté mondiale et à la participation du public à la politique étrangère du Canada. Les dons généreux du public lors de l'opération de secours du tsunami, le nombre croissant d'adhérents à la campagne « Make Proverty History », une aide plus généreuse et mieux pensée, l'annulation de la dette, le commerce équitable, la volonté d'en finir avec la pauvreté infantile au Canada, il s'agit tous d'indicateurs qui démontrent que les Canadiens sont solidaires et veulent participer. Il y a plus de syndicats qui créent des fonds d'aide au développement, qui contribuent mensuellement, ou qui négocient des contributions financières aux projets de développement social au Canada et à l'étranger.
Le CTC croit qu'il est important d'encourager un débat public général sur la politique internationale du Canada et d'encourager les citoyens à s'intéresser aux enjeux mondiaux. L'EPI reconnaît la nécessité pour l'ACDI de consolider la coopération avec la société civile. On y propose la création d'un comité international de dirigeants du secteur bénévole dont le mandat consisterait à examiner et à améliorer les partenariats pour l'innovation et l'excellence. L'énoncé consacre la création de Solidarité Canada comme mécanisme moteur dans la prestation de l'aide gouvernementale aux pays en voie de développement.
Ce sont là des initiatives nombreuses et nouvelles mais qui n'incarnent pas une vision audacieuse et dynamique de la citoyenneté mondiale. Il ne s'agit pas seulement de faire comprendre au public le rôle que le Canada joue dans le monde. Il s'agit de donner aux Canadiens des occasions de participer, de consolider l'expertise des syndicats, d'envoyer des groupes de bénévoles et des ONG qui bâtiront des capacités de développement, d'articuler de nouvelles politiques pour la croissance économique et la distribution équitable, de favoriser le dialogue entre les communautés et les secteurs et de bâtir des partenariats entre le Nord et le Sud fondés sur le respect mutuel.
Nous félicitons le comité d'avoir adopté sa motion du 9 juin qui invite le gouvernement à améliorer l'efficacité de son aide en consolidant la participation de la société civile, tant au Canada qu'à l'étranger. Nous sommes heureux d'apprendre que le comité parlementaire parcourra le pays à l'automne pour entendre les vues des Canadiens sur l'énoncé de politique internationale.
En conclusion, telles sont les vues du CTC à propos de l'EPI. On rédige en ce moment un mémoire plus détaillé qui sera remis à tous les membres du comité dans les quelques semaines à venir. Il sera également affiché sur le site Web du CTC.
Au nom du Congrès du travail du Canada, je tiens à remercier les membres du comité de nous avoir écoutés. Je répondrai à vos questions avec plaisir.
¿ (0910)
Le président: Merci, monsieur Yussuff. Nous tenons également à remercier Mme Nitoslawska, qui est l'administratrice du programme international du Congrès du travail du Canada.
Dans votre allocution, vous avez mentionné la responsabilité sociale. Je me permets de vous signaler que nous avons déposé hier justement un rapport sur la responsabilité sociale des entreprises, qui a été rédigé par le sous-comité sur les droits de la personne et le commerce international.
Nous allons maintenant passer aux questions et réponses.
Monsieur Day.
M. Stockwell Day: Merci, monsieur le président.
Merci, monsieur Yussuff pour cet exposé.
Pourriez-vous nous faire profiter de vos lumières sur ces questions qui nous sont constamment posées? Tout d'abord, c'est un peu un mantra pour nous, ou pour moi peut-être, à savoir que la pauvreté n'est pas un phénomène naturel, qu'il y a certaines conditions qui conduisent à la pauvreté. Et la prospérité n'est pas non plus un phénomène naturel. Ce ne sont pas des accidents de la nature. Il y a des conditions qui font en sorte que les gens deviennent prospères, et de toute évidence, la plupart de ces pays qui sont pauvres le sont parce qu'ils n'ont pas les conditions voulues qui permettent aux gens d'aller de l'avant et d'être prospères, et vous avez en fait abordé certaines de ces questions.
Sans une saine gouvernance, les personnes ont moins la chance de prospérer. Sans liberté individuelle, vous ne pouvez pas posséder de propriété, vous n'êtes pas libre de lancer votre entreprise. Si ces conditions ne sont pas en place, vous ne pouvez pas distribuer ou redistribuer tout l'argent que vous voulez, il n'y aura tout simplement pas de prospérité. Les personnes ne peuvent pas prospérer et aller de l'avant.
Étant donné ce principe, et je crois que vous admettez cela—nous partons peut-être de nuances légèrement différentes, mais vous êtes probablement d'accord avec cela—à partir de quel moment est-ce qu'un pays comme le Canada doit dire à un pays bénéficiaire que nous allons cesser le couvrir d'or parce que ces dirigeants sont ou bien corrompus ou alors résolument hostiles à l'idée d'instaurer la saine gouvernance et les politiques qui permettent aux gens de prospérer? Parce que nous savons en effet que si nous continuons simplement d'enterrer les problèmes sous l'argent mais que les dirigeants ou le régime ne sont pas du tout réceptifs aux genres de politiques qui conduisent à la prospérité, on ne fait alors qu'enrichir le régime lui-même par millions, comme on le sait. Donc lorsqu'on étudie la richesse d'un certain pays, on voit que ces dirigeants ont volé l'argent, parfois des milliards de dollars, ils ont acquis une richesse obscène, et le reste du pays demeure dans la pauvreté, et il y a donc ce fossé énorme.
Donc à compter de quel moment est-ce qu'un pays comme le Canada dit à une autre nation, nous sommes désolés, mais exception faite de l'aide d'urgence extrême, peut-être pour le tsunami, par exemple, nous n'allons plus vous aider parce que le fait de jeter de l'argent par les fenêtres ne fait qu'aggraver le problème? Avez-vous une idée du moment à partir duquel on peut dire une chose pareille à un autre pays?
L'OIT tient une belle occasion, dont il profite d'ailleurs, pour faire la promotion du processus démocratique parce que, bien sûr, vos membres sont élus dans chaque pays, dans chaque région, et cela donne donc à des pays non démocratiques la possibilité d'être témoins, même si c'est dans un microcosme, du déroulement du processus démocratique. Étant donné que vos membres dans ces pays sont élus, les gens ont la chance de voir la démocratie en action.
Mais il y a un problème. Chose certaine, au Canada, il y a un débat en ce moment au sujet du vote secret lorsqu'il y a accréditation et retrait de l'accréditation, et j'ai toujours maintenu pour ma part que le vote secret est sacré, et que si le vote n'est pas secret, on peut exercer des pressions, particulièrement lorsqu'il s'agit de questions comme l'accréditation ou le retrait de l'accréditation. Donc à l'heure où il est si essentiel pour les gouvernements de voir un exemple, un exemple que vous pouvez très bien donner de la démocratie en action, le secret du vote est crucial.
Êtes-vous disposés à faire vôtre l'exigence de bon nombre de vos groupes nationaux et provinciaux qui ne veulent pas de vote secret lorsqu'il est question d'accréditation ou de retrait de l'accréditation?
Et si nous en avons encore le temps, après avoir répondu à ces deux questions...
¿ (0915)
Le président: Comme vous avez pris beaucoup de temps pour faire ces observations, le témoin aura moins de temps pour y répondre.
M. Stockwell Day: Pourriez-vous nous en dire plus long sur le point 6 qui porte sur la souveraineté? Pourriez-vous nous donner des précisions à cet égard?
J'ai pris environ le tiers du temps qui m'était imparti pour faire des observations et vous aurez donc le reste pour y répliquer. J'aimerais connaître votre avis sur ces questions.
Je vous remercie.
M. Hassan Yussuff: Comme il s'agit d'un échange de vues, je répliquerai aux observations de M. Day.
Pour ce qui est de la réduction de la pauvreté, il ne fait aucun doute que des efforts ont été déployés en ce sens, mais qu'ils n'ont pas tous porté fruit. La corruption qui existe au sein de certains gouvernements contribue au problème. Il faut cependant admettre que la corruption s'explique. Il faut cependant replacer la corruption dans son contexte. Par l'entremise des marchés d'État et grâce aux ententes spéciales notamment dans le domaine de la fabrication, de l'extraction et de l'exploitation des ressources, les gouvernements occidentaux exacerbent souvent le problème en versant les pots-de-vin et en épiant les mécanismes qui mènent à la corruption dans ces pays.
Par ailleurs, dans beaucoup de pays en développement, la démocratie est fermement implantée malgré la pauvreté qui y règne. Ces pays ont respecté toutes les conditions qui leur ont été fixées par le FMI, la Banque mondiale et d'autres gouvernements en ce qui touche l'aide bilatérale, mais ils demeurent pauvres. Il nous faut examiner le contexte dans lequel ces pays peuvent commercer avec nous ainsi que l'incidence de ces échanges commerciaux sur leurs économies.
De la même façon, je crois que nous devons aussi tenir davantage compte de l'endettement de ces pays. Nous parlions du G-8, mais comme vous le savez, la preuve a été faite à de nombreuses reprises que les pays africains ont remboursé leurs dettes. En fait, ces pays ont donné davantage de ressources aux pays occidentaux ces dernières années qu'à n'importe quelle autre époque dans l'histoire. Or, ils demeurent pauvres. Ils sont confrontés aux pires catastrophes, qu'ils s'agisse du sida, de la tuberculose et de l'éducation de base. Il nous faut reconnaître que la pauvreté n'est pas attribuable à une seule cause. Le monde entier a la responsabilité de s'attaquer à ces problèmes.
De nombreux pays ont fait beaucoup de chemin. La corruption existera toujours. Tant qu'il y aura des façons de contourner le système, la corruption existera dans le monde, mais je ne pense pas qu'on puisse se dire que la corruption est la cause de la pauvreté dans le monde. La pauvreté existe parce que la plupart de ces petits pays ne reçoivent pas l'aide voulue. Et surtout, le développement dans ces pays se situe dans un contexte historique. Malgré le fait que le continent africain existe depuis toujours, les produits qu'il a à offrir n'ont aucune valeur dans le monde occidental. Il nous faut aller au-delà de la corruption. Il s'agit cependant d'un problème important auquel il faut s'attaquer. Les gouvernements du monde entier devraient le faire.
Compte tenu de ce qui se passe dans les pays occidentaux, il faut bien admettre que la corruption n'est pas l'apanage des pays en développement. Le milieu des affaires n'a pas vraiment montré qu'il pouvait faire la morale à qui que ce soit à cet égard.
Pour ce qui est de l'OIT, monsieur Day, je reconnais qu'il s'agit d'un organisme tripartite important qui amène les parties à s'entendre et à négocier des compromis. C'est la composante du système multilatéral mondial qui fonctionne vraiment. Le défi est évidemment de savoir comment amener les gouvernements à souscrire aux conventions de l'OIT qu'ils ont négocié à Genève. On pourrait dire que ces pays sont frappés d'amnésie sélective lorsqu'ils quittent Genève et rentrent chez eux. Je crois que le Canada pourrait jouer un rôle important à cet égard.
J'aimerais maintenant traiter d'un point en particulier. Vous avez dit que le vote secret est le gage de la démocratie. Les gouvernements sont évidemment élus de cette façon. Je crois cependant que la plupart des gens qui adhèrent à un syndicat le font de façon très consciente. Je suppose que c'est ce à quoi vous vouliez en venir. J'ai adhéré à mon syndicat de façon très consciente lorsque j'étais jeune homme parce que je pensais que c'était une façon d'améliorer mon milieu de travail et d'obtenir un meilleur salaire. J'ai pris cette décision volontairement. Il est important que les travailleurs puissent adhérer à un syndicat s'ils le souhaitent. Les travailleurs se prononcent sur les conventions collectives par scrutin secret.
Nous avons tenu un congrès à Montréal auquel 2 400 délégués ont participé. Nous avons élu nos dirigeants par scrutin secret. Nous sommes bien conscients de l'importance de la démocratie au sein de notre mouvement, mais abstraction faite de cela, nous devrons reconnaître le rôle que jouent les syndicats pour promouvoir la démocratie au sein de la société. C'est dans le milieu de travail que les gens peuvent vraiment apprendre comment fonctionne la démocratie. Je crois que l'OIT doit promouvoir des normes de travail de base, le droit des travailleurs à s'organiser, le droit des travailleurs à joindre un syndicat et, bien sûr, le droit des travailleurs à réintégrer la population active s'ils le souhaitent.
Le dernier point que vous avez soulevé avait trait à la souveraineté. D'autres diront peut-être que j'ai tort, mais je crois que les Canadiens s'inquiètent de la possibilité que notre souveraineté soit compromise parce que notre pays semble se diriger vers une intégration plus poussée avec les États-Unis dans de nombreux domaines. À titre d'exemple, notre politique à l'égard des réfugiés a changé considérablement par rapport à ce qu'elle était.
¿ (0920)
Je crois que notre pays a montré qu'il était différent des États-Unis, ce qui ne signifie pas que nous n'avons pas une bonne et étroite relation avec notre voisin du Sud. Environ 80 p. 100 de nos échanges commerciaux sont à destination des États-Unis et les travailleurs canadiens sont bien conscients de ce que cela signifie. Nous ne remettons pas en cause cette relation. Cette relation ne devrait cependant pas nous empêcher d'avoir notre propre politique étrangère et surtout d'agir comme un pays indépendant qui s'exprime de façon indépendante dans le monde.
Je voyage beaucoup pour le compte du CTC et où que j'aille dans le monde, les gens ne tarissent pas d'éloges à l'égard de notre pays. Ce qui explique que le reste du monde tient le Canada en si haute estime, ce n'est pas le fait que notre pays soit le voisin des États-Unis, mais que le Canada soit fondamentalement différent de son voisin.
Premièrement, nous ne sommes pas un pays impérialiste. Nous n'avons pas envoyé nos armées combattre dans des guerres absurdes dans le monde entier. Nous nous sommes toujours prononcés en faveur de l'aide humanitaire et du développement social. Nous avons toujours oeuvré pour la paix. Nous avons toujours aussi favorisé l'intégration des différentes cultures au sein de notre pays. Le reste du monde en est conscient.
Je crois donc qu'il convient d'accorder beaucoup d'importance à l'élaboration de notre politique étrangère en cette ère d'après le 11 septembre. D'aucuns craignent que nous nous rapprochions davantage du modèle américain et que nous perdions du même coup notre indépendance et notre voix autonome.
Le président: Je vous remercie, monsieur Yussuff.
[Français]
Nous allons maintenant passer à Mme Lalonde.
Mme Francine Lalonde: Bienvenue, monsieur Yussuff et madame Nitoslawska. C'est un très joli nom polonais.
Voici ma première question. On a parlé récemment de la réduction de la dette de 18 pays pauvres — et ensuite d'autres — décrétée par le G-8. Que pensez-vous de cette réduction? Je vous pose cette question parce que j'ai reçu un communiqué émis par le Comité pour l'Annulation de la Dette du Tiers Monde, qui s'inquiète, lui, du fait que cette annonce contient beaucoup d'éléments cosmétiques alors qu'il estime que, pour lutter véritablement contre la pauvreté, il faut une réduction de la dette des pays pauvres.
J'aimerais connaître votre opinion là-dessus. Pensez-vous que cela devrait être inclus dans notre rapport sur l'Énoncé de politique internationale du Canada?
De plus, nous avons adopté un rapport sur la responsabilité sociale des entreprises, mais votre commentaire est le bienvenu, parce que ce qu'il y a dans l'énoncé est très flou.
Vous avez parlé, monsieur Yussuff, de l'impact de l'aide au développement sur les travailleurs. J'aimerais que vous nous expliquiez ce que vous voulez dire.
De plus, les organisations syndicales et coopératives ne sont pas très à la mode par les temps qui courent. J'aimerais profiter de votre présence pour que vous nous parliez de l'importance des coopératives et des syndicats dans les pays en développement, notamment, pour en venir à ce que vous souhaitez, c'est-à-dire une mondialisation plus équitable.
[Traduction]
M. Hassan Yussuff: Je demanderais à Anna de répondre à la première question et je répondrai ensuite à celle qui porte sur la responsabilité sociale des entreprises.
Mme Anna Nitoslawska (administratrice du programme international, Congrès du travail du Canada): Je vous remercie.
S'agissant de la dette, nous nous réjouissons effectivement des discussions publiques qui ont cours sur le sujet et comme mon collègue l'a dit, c'est une question qui revêt une importance cruciale pour le développement. Comme vous le savez, la campagne du Jubilé 2000 faisait de l'endettement des pays en développement une priorité à l'échelle internationale. Nous étions très heureux que les ministres des Finances et que le G-8 se penchent sur la question. C'est aussi une question sur laquelle s'est penchée la Commission pour l'Afrique et le rapport qui a été publié à l'issue de ces travaux et auquel nous donnons notre aval, insistait sur l'importance de l'allégement de la dette et de la radiation de la dette des pays en développement.
Comme vous, madame Lalonde, nous ne pensons pas que ce soit suffisant. La situation s'est améliorée, mais pas suffisamment. De concert avec nos collègues et nos amis du secteur non gouvernemental, nous pensons que l'initiative des PPTE dans le cadre de laquelle se situent les efforts d'allègement de la dette ne règle pas le problème à long terme. Le problème se pose à court terme, dans l'immédiat ainsi qu'à long terme. Nous avons aussi exprimé des réserves à l'égard des propositions faites par le gouvernement du Canada pour alléger la dette des pays en développement bien que nous reconnaissions que certains progrès aient été réalisés en ce qui touche la radiation de la dette de certains pays. Nous pensons qu'il faut appuyer la création du FIF que propose le gouvernement britannique. Nous devons nous pencher sur la question de l'annulation de la dette et nous demander ce que nous allons faire à cet égard. Nous estimons qu'il s'agit d'une question très importante et nous espérons que le comité reconnaîtra qu'il faut investir ces sommes dans le développement social pour créer les conditions propices à un véritable développement durable. Les sommes qui étaient affectées au remboursement de la dette pourraient alors servir à la création d'emplois, au renforcement des services publics, à l'amélioration de l'infrastructure et non pas à d'autres fins qui ne favoriseront pas le développement des collectivités et l'amélioration du sort des travailleurs.
¿ (0925)
Le président: Monsieur Yussuff.
M. Hassan Yussuff: Parlons maintenant de la question de la responsabilité sociale des entreprises. Comme vous le savez, l'OCDE a élaboré ses lignes directrices après de longues consultations avec le secteur des entreprises, la société civile et le mouvement syndical. Je pense qu'il vaudrait la peine que nous nous demandions sérieusement comment inciter les entreprises canadiennes à l'étranger à se conformer à ces lignes directrices.
Nous n'avons pas de reproche à formuler à l'égard de toutes les entreprises. Certaines d'entre elles n'ont pas de mal à se conformer aux lois nationales et à promouvoir ce qu'on appelle les valeurs canadiennes. D'autres font évidemment fi de leur responsabilité sociale, et il faudrait pouvoir les amener à modifier leur comportement. Lorsque des entreprises canadiennes se comportent mal à l'étranger, cela rejaillit sur nous tous comme pays. Je crois qu'il faut se pencher sur cette question de façon plus sérieuse pour que la responsabilité sociale des entreprises cesse de n'être qu'un beau principe. Ce que proposent les lignes directrices est réalisable et elles ne proposent rien qui ne s'applique déjà aux entreprises canadiennes qui au Canada. Pourquoi les entreprises n'auraient-elles pas le même comportement à l'étranger. La sécurité, la protection de l'environnement et le développement sont des préoccupations de base.
Je n'étudie pas toujours les recommandations du comité, mais je crois que c'est un domaine dans lequel nous avons fait beaucoup d'efforts. Un comité de l'ANACT a récemment étudié cette question et a formulé des recommandations. Je crois que nous devons intensifier nos efforts dans ce domaine.
Je m'excuse, mais je n'ai pas compris votre dernière question.
[Français]
Mme Francine Lalonde: Je vous interrogeais sur le rôle des organisations syndicales et coopératives dans le développement.
[Traduction]
M. Hassan Yussuff: Au cours du congrès que nous avons tenu la semaine dernière, nous avons discuté de notre travail à l'échelle internationale. Nous avons un très petit fonds que nous consacrons à la lutte contre le sida. Il s'agit d'une initiative de base. Une fois qu'une personne a contracté la maladie, elle fait face à de grands défis dont celui d'obtenir le médicament voulu. Nous mettons l'accent sur la prévention. Nous essayons d'apprendre aux gens dans leur milieu de travail les précautions à prendre pour éviter de développer le sida.
Nous mettons en oeuvre un projet en vue de promouvoir l'égalité des sexes au Yémen, par exemple. Il s'agit d'aider les syndicalistes féminines à atteindre l'égalité dans ce pays.
Dans certains pays, nous participons simplement à la mise sur pied d'un cadre permettant de faire la promotion des droits de la personne dans le milieu de travail ainsi qu'au sein du pays. Dans d'autres pays, nous oeuvrons à créer l'infrastructure de base nécessaire à la démocratie. Étudiez l'histoire du mouvement syndical dans le monde et vous verrez comment il a contribué à l'édification d'un mécanisme assurant la gouvernance mondiale. Je crois que les résultats que nous avons obtenus sont assez impressionnants compte tenu des ressources que nous avons pu investir au jour le jour dans ces efforts.
Je crois que le Canada doit considérer que tous les Canadiens participent à la mise en oeuvre de notre politique étrangère parce que ce n'est pas un domaine qui est seulement l'apanage des gouvernements. Il existe cependant des institutions qui oeuvrent dans ce domaine de façon quotidienne. Nous encourageons le comité à se pencher sur le travail qui se fait dans ce domaine et d'en tenir compte dans le cadre de l'examen de la politique étrangère. Il convient aussi d'encourager l'ACDI à participer activement à cet aspect du travail.
¿ (0930)
[Français]
Mme Francine Lalonde: Qu'en est-il des coopératives?
[Traduction]
Le président: Madame Anna.
[Français]
Mme Anna Nitoslawska: J'aimerais ajouter un point.
Quand le comité et le gouvernement du Canada se penchent sur la question des objectifs du Millénaire pour le développement, il leur serait peut-être utile d'examiner aussi ce que font les syndicats dans ce contexte. Dans le cas de l'élimination de la pauvreté, quand les syndicats ont la possibilité de s'asseoir à la table avec les employeurs et de négocier une augmentation des salaires et une amélioration des conditions de travail, cela contribue à alléger la pauvreté.
Pour ce qui est de l'éducation, les syndicats sont membres fondateurs de la Campagne mondiale pour l'éducation. C'est encore une fois une contribution que font les syndicats partout dans le monde, dans le Nord et dans le Sud, à l'augmentation du niveau d'éducation un peu partout pour réduire la pauvreté.
Mon collègue vient justement de parler des initiatives sur le VIH-sida, etc. On pourrait regarder les huit objectifs du Millénaire pour voir la façon dont les syndicats jouent un rôle dans chacun de ces objectifs.
Quand on parle des droits des travailleurs, on parle des droits des travailleurs dans le Nord et dans le Sud. Comme les droits humains sont des droits universels, les droits des travailleurs font l'objet d'obligations qu'ont adoptées les gouvernements et les membres de l'OIT. Le gouvernement du Canada, par son adhérence et par le fait qu'il est membre de l'OIT, a aussi des obligations qui doivent se refléter dans les programmes de coopération au développement.
M. Pierre Paquette (Joliette, BQ): Par contre, il n'a pas signé beaucoup de conventions.
Le président: Merci beaucoup.
Nous allons maintenant passer à M. Bevilacqua.
[Traduction]
L'hon. Maurizio Bevilacqua: Je vous remercie beaucoup, monsieur le président.
J'aimerais d'abord vous remercier de votre exposé. Au fil des ans, les exposés présentés par le Conseil du travail du Canada ont toujours été utiles aux différents comités, qu'il s'agisse notamment du comité des finances ou du comité de développement des ressources humaines.
Des blocs de pays qui génèrent une activité économique importante émergent à l'échelle mondiale. Des pays comme la Chine et l'Inde vont de toute évidence faire concurrence à des pays comme le Canada.
La population de notre pays vieillit et en Amérique du Nord, il y a un pays, le Mexique, dont la population est très jeune comparativement à la nôtre. Comme vous le savez, le Mexique modernise aussi son économie et fait des investissements dans la recherche et le développement. Le taux de productivité de ce pays a augmenté, notamment dans le secteur automobile.
Compte tenu de tous ces changements qui se produisent à l'échelle mondiale dans le domaine économique, quel avenir envisagez-vous pour le Canada? Devons-nous resserrer nos liens avec les pays de l'Amérique du Nord? Je ne parle pas d'institutionnaliser ces liens, mais je pense que les Nord-Américains devraient trouver des moyens d'accroître leur productivité et d'investir davantage dans l'innovation pour que nous puissions relever avec succès les défis auxquels nous serons sous peu confrontés. En fait, on peut dire que ces défis se posent déjà.
Le Congrès du travail du Canada s'oppose à des mesures qui iraient dans le sens d'une intégration économique plus poussée en Amérique du Nord pour les raisons que vous avez énoncées et dont la plupart sont liées à la question de la souveraineté. Si nous ne sommes pas prêts à reconnaître certains points communs entre nous et les États-Unis et le Mexique et si nous ne sommes pas prêts à mettre en commun certaines ressources—ce qui a donné de bons résultats dans le cas du Pacte de l'automobile que vous appuyez sans doute—, quels sont les choix qui s'offrent à nous compte tenu de ce qui se passe à l'échelle mondiale?
¿ (0935)
M. Hassan Yussuff: Premièrement, nous devons d'abord admettre que la relation que nous avons avec les États-Unis a été mutuellement bénéfique aux deux pays. Étant donné que 80 p. 100 de notre commerce est en direction des États-Unis, pourquoi voudrait-on porter ce pourcentage à 100 p. 100? Ne souhaiterions-nous pas plutôt établir des liens avec d'autres pays comme les économies émergentes et les pays en développement?
Vous donnez l'exemple de la Chine et de l'Inde, mais permettez-moi de donner en exemple un pays qui est plus près de nous. Le Brésil n'est pas si loin. C'est un pays d'Amérique latine. C'est le pays démocratique en émergence le plus important de cette région. Que cela nous plaise ou non, soit nous aurons une relation plus étroite avec le Brésil parce que nous le souhaitons, soit nous laisserons d'autres pays prendre notre place.
Politiquement, je pense que nous devons reconnaître que les choses changent. Je conviens avec vous que notre pays est en train de changer et qu'il vielllit assez rapidement. Je pense que nous n'avons pas saisi vraiment ce qui se passe au plan démographique ni le changement qui se produit dans notre pays. Évidemment, le Canada doit commencer à le reconnaître, mais je pense que nous devons élargir nos échanges.
Notre commerce avec les États-Unis est sain et il va continuer à croître, mais nous devons trouver aussi d'autres pays avec lesquels nous établirons une relation solide. Le Brésil fait partie des Amériques et nous avons l'occasion d'établir une bonne relation avec ce pays.
Il est bien évident que le Pacte de l'automobile a bien servi notre pays tout comme les États-Unis. Depuis la négociation de l'ALENA, le niveau d'investissement n'est plus le même. L'initiative du gouvernement a peut-être corrigé le tir quelque peu, mais nous devons être conscients du fait que nous allons faire face à de plus en plus de concurrence dans ce secteur.
Le secteur canadien de l'automobile est sans doute le secteur le plus productif au pays. Nous fabriquons parmi les meilleurs produits au monde. La qualité de ces produits est inégalée. Nous devons cependant faire davantage. Le volume des importations qui entre au pays sans presque aucune restriction est très élevé et nous devons nous demander si l'industrie canadienne de l'automobile ne va pas tout simplement disparaître dans un marché libre.
Par ailleurs, nous devons réexaminer la stratégie industrielle que nous mettons en oeuvre depuis longtemps déjà. Nous perdons du terrain, et cela très rapidement.
À mon avis, nous ne pourrons jamais faire concurrence à la Chine à moins que nous soyons prêts à accepter les salaires et les conditions de travail de leurs travailleurs. Je ne pense pas que les Canadiens l'accepteront jamais. La question est donc de savoir comment établir une relation saine avec la Chine tout en reconnaissant que ce pays doit commencer à s'interroger sur la façon dont il traite ses travailleurs.
Le Canada doit s'interroger sur le rôle qu'il peut jouer dans ces économies émergentes et voir quel type de relations il peut établir avec eux de manière à favoriser les échanges commerciaux sans que cela ne compromette la richesse de notre pays et surtout les emplois futurs pour les Canadiens.
Dans le cadre de l'examen de la politique étrangère, il faut également se pencher sur le rôle de l'immigration dans notre pays. L'immigration a toujours joué un rôle important dans notre histoire et continuera de le faire. C'est parmi les immigrants que nous pourrons trouver les travailleurs spécialisés dont nous aurons besoin dans l'avenir. Il s'agit d'un changement important parce que nous sommes en train à l'heure actuelle de former nous-mêmes ces travailleurs spécialisés. Nous devrons trouver une façon intelligente également d'intégrer ces nouveaux groupes de Canadiens qui seront de plus en plus nombreux.
[Français]
Le président: Monsieur Bevilacqua.
[Traduction]
L'hon. Maurizio Bevilacqua: Merci, monsieur le président.
Je remarque que le Congrès du travail du Canada, à mes débuts ici, s'opposait même à toute la question de l'équilibre budgétaire. Les déficits ne constituaient pas une grande priorité dans votre programme. Mais cela étant dit, je me souviens d'un discours de Ken Georgetti d'il y a quelques années, où il a déclaré que certains éléments économiques doivent être en place si l'on veut une économie prospère.
J'aimerais savoir également si vous êtes d'accord pour dire, par exemple, que si le Canada veut concurrencer d'autres pays, nous devons nous pencher sur la question de l'impôt des sociétés. Je veux dire par là qu'on l'abaisserait.
¿ (0940)
M. Hassan Yussuff: Je croyais qu'on était au comité des affaires étrangères, et non à celui des finances.
Le président: Il est l'ancien président du comité des finances.
L'hon. Maurizio Bevilacqua: Il est vrai que vous êtes au comité des affaires étrangères, mais le fait est qu'il faut être également très pratique, et la concurrence et la concurrence mondiale font partie intégrante de notre réalité.
M. Hassan Yussuff: Si vous comparez les taux d'imposition des sociétés canadiennes à ceux que l'on retrouve dans d'autres pays du monde, je crois que notre taux d'imposition des sociétés se situe bien dans la ligne de notre action. Voyez les pays européens, qui sont beaucoup plus généreux sur le plan social envers le citoyen, leurs taux d'imposition sont beaucoup plus élevés et pourtant, ces pays sont très productifs. Ils génèrent encore beaucoup de richesses.
Je répète donc que ce n'est pas la panacée. Oui, notre organisation évolue. Nous avons éliminé la dette, mais nous entrevoyons d'autres difficultés. Il y a encore beaucoup trop de jeunes qui sont pauvres dans notre pays, il y a encore beaucoup trop de gens qui vivent dans les rues, et notre retard en matière de productivité ne fait que s'accentuer. Il y a donc un tas d'autres choses dont nous devons tenir compte, et les éléments essentiels de l'économie ne sont pas toujours liés aux taux d'imposition, car les taux d'imposition n'y sont pas pour grand-chose dans l'élargissement du fossé de la productivité dont nous parlons.
Le président: Merci.
Monsieur Bevilacqua.
L'hon. Maurizio Bevilacqua: J'ai seulement une dernière question. Pour en revenir au comité des affaires étrangères, comment entrevoyez-vous votre rôle? Lorsque vous avez lu l'énoncé, y avez-vous vu un rôle particulier pour le Congrès du travail du Canada? Comment l'entrevoyez-vous, à la lecture de ce texte? Quel est à votre avis le rôle de votre organisation?
M. Hassan Yussuff: C'est l'un des nombreux examens de la politique étrangère auquel le congrès a participé. J'espère cependant qu'on va reconnaître le rôle dominant que le Canada doit jouer au XXIe siècle. On s'attend—pas seulement ici, mais à l'étranger—à ce que le Canada joue ce rôle dominant. Je crois que c'est la voix de la raison, une voix qui exprime une mûre réflexion, très souvent, dans son engagement, et je crois que l'on s'attend à ce que nous montrions beaucoup plus d'audace. Nous sommes un très petit pays pour ce qui est de notre densité et de notre richesse, mais nous pouvons jouer un rôle beaucoup plus important, et je crois que nous devons le définir.
Je n'ai jamais vu d'argument... prenez un petit pays comme la Norvège; il peut servir de médiateur pour amener des pays en guerre à trouver ensemble des solutions qui leur permettront de faire la paix dans leur pays et d'avancer. Cela étant dit, notre rôle est complètement diminué. La grande initiative que Lloyd Axworthy a pilotée, initiative des mines terrestres, nous a sûrement donné notre place sur la scène mondiale, mais trop souvent, nous semblons passer notre tour et permettre à d'autres d'occuper tout l'espace politique. Nous pourrions aller de l'avant et dire que nous allons faire de nous un pays médiateur, que nous allons jouer un rôle important dans la gouvernance mondiale, que nous allons nous servir de l'institution internationale pour promouvoir nos propres intérêts, et que—chose encore plus importante—nous allons faire la promotion d'une vision du monde qui est propre aux Canadiens. À la place, je crois que nous laissons passer l'occasion de faire cela.
Comment se fait-il qu'un pays plus petit que le Canada, la Norvège, puisse occuper une place aussi élevée dans le monde en faisant un travail aussi important dans d'autres pays, alors que nous restons dans les coulisses à regarder faire les autres?
Ce qui m'irrite, c'est qu'il existe à mon avis une véritable possibilité pour notre pays au XXIesiècle. Je crois que nous devons nous en saisir dans le cadre de cet examen, et faire preuve d'audace. Nous n'avons pas nécessairement besoin d'être riches; ce qu'il faut c'est d'avoir la capacité d'amener les gens à prendre part à ces grands débats, et je pense que nous pouvons en fait élargir le rôle que peut jouer notre pays dans le monde.
Le président: Merci, monsieur Yussuff.
Nous allons passer à Mme McDonough.
Mme Alexa McDonough (Halifax, NPD): Merci beaucoup, monsieur le président.
Je voudrais souhaiter la bienvenue à Hassan Yussuff et à Anna Nitoslawska qui comparaissent aujourd'hui au nom de—on ne le dira jamais assez, il convient de le proclamer—2,2 millions de travailleurs syndiqués. Je voudrais aussi vous féliciter d'emblée pour le travail extraordinaire et trop rarement reconnu que vous faites dans le cadre de vos engagements internationaux au nom de vos membres et aussi au nom de tous les travailleurs non syndiqués du monde.
Nous sommes toujours heureux de dialoguer avec vous, mais je veux aussi vous féliciter de la retenue dont vous faites preuve en évitant d'élever le ton dans le débat sur le vote secret dans les affaires internes. Vous pourriez nous demander pourquoi nous ne votons pas à bulletins secrets pour nos propres affaires; je pense que c'est une question d'imputabilité.
Je voudrais vous poser trois questions, car il importe avant tout de vous donner la parole. Premièrement, c'est initialement Tom d'Aquino et ses partisans de l'intégration qui devaient comparaître devant le comité aujourd'hui et j'ai pensé que nous allions avoir l'occasion d'assister à un débat entre eux et vous. Cela ne s'est pas produit, mais si Tom d'Aquino et sa bande avaient comparu ici aujourd'hui, j'aurais aimé savoir ce que vous leur auriez dit au nom des travailleurs de ce pays.
Deuxièmement, je sais que les pratiques du monde du travail au Canada font l'objet de plaintes devant l'OMT. Est-ce que vous pourriez nous en parler et nous dire s'il y a lieu de se préoccuper des plaintes déposées actuellement devant l'OMT par des syndicalistes canadiens, et nous indiquer le statut de ces plaintes?
Troisièmement, vos commentaires sur l'augmentation de l'immigration sont les bienvenus. Il me semble que le point de vue du CTC est parfois mal compris ou délibérément mal interprété. Pourriez-vous indiquer au comité l'état actuel de la situation—non pas des travailleurs immigrés qui passent par l'immigration, mais sur la question très grave de l'augmentation du nombre des travailleurs étrangers qui viennent travailler sur le site des Jeux Olympiques spéciaux de Vancouver, dans les sites d'exploitation des sables bitumineux de l'Alberta, etc.? Je vous donne l'occasion de parler des véritables problèmes au comité.
¿ (0945)
M. Hassan Yussuff: Très brièvement, je vais d'abord répondre à la dernière question. Nous avons fait très récemment une déclaration sur la question des travailleurs étrangers.
Avant tout, le congrès a toujours reconnu que l'immigration fait partie intégrante de notre pays et de notre population. Nous sommes convaincus que le Canada doit rester une société d'accueil.
La question des travailleurs étrangers est fondamentale dans la perspective historique du Canada, car les travailleurs étrangers qui arrivent et que l'on fait venir... J'estime qu'il faut les accueillir et leur permettre de devenir des citoyens à part entière, de payer des impôts et de s'intégrer dans notre pays. Mais ce n'est pas ce que fait le programme des travailleurs étrangers. Il traite ces travailleurs comme du bétail. Ils ne sont ici qu'à titre temporaire : si nous avons un problème, faisons-les venir pour qu'ils règlent le problème; ensuite, on les renvoie d'où ils viennent.
Il faut aussi dénoncer le manque de politique cohérente pour faire face à la pénurie de main-d'oeuvre qualifiée dans notre pays. Les gouvernements et les employeurs s'en servent désormais pour résoudre un problème qu'ils ont exacerbé, à mon avis, ou auquel ils ont contribué.
Notre point de vue est très simple. Il y a des cas où nous pourrions avoir besoin de travailleurs étrangers, mais la façon dont on administre et favorise l'immigration actuellement n'apporte rien de bon à notre pays et surtout, elle risque de susciter une réaction contre les immigrants et d'activer la xénophobie. Je pense que la plupart des Canadiens sont des gens généreux et accueillants, mais que ce programme divise les travailleurs en donnant l'impression que les travailleurs étrangers les privent de la possibilité de travailler dans certains secteurs. Bien souvent, le problème n'a rien à voir avec une pénurie de main-d'oeuvre qualifiée. Le gouvernement devrait créer un programme d'apprentissage pour résoudre le problème.
Sur la deuxième question concernant l'OIT, le Canada a été condamné à plusieurs reprises par l'Organisation mondiale du travail. Plus récemment, les condamnations visaient une législation provinciale qui empiète sur le droit à la négociation collective, sur le droit de grève et sur la liberté syndicale. Voilà ce qu'a dénoncé l'OIT.
Évidemment, les gouvernements s'énervent à chaque fois, mais ces condamnations sont dues au fait que nous ne respectons pas nos engagements envers l'OIT. À ma connaissance, l'organisation n'est saisie d'aucune plainte qui nous concerne actuellement, mais l'affaire la plus récente traitée au cours de la dernière session concernait une initiative du gouvernement de la Colombie-Britannique. Encore une fois, l'OIT s'est prononcée contre ce gouvernement provincial qui a adopté une loi pour modifier une convention collective sans la négocier avec le syndicat.
C'est un problème chronique dans notre pays. C'est très malencontreux, car dans une large mesure, la législation, même si elle n'est pas uniforme dans l'ensemble du pays, reconnaît l'objectif fondamental de l'OIT. Mais dans un certain nombre de domaines, en particulier dans le secteur public, les gouvernements ont systématiquement tendance à commettre des infractions.
En ce qui concerne M. d'Aquino, je suis très déçu qu'il ne soit pas là, et j'espère que ce n'est pas à cause de ma présence. Je serais très heureux d'avoir l'occasion...
Une voix: Non, non, il m'a dit que ce n'était pas à cause de vous.
M. Hassan Yussuff: Très bien. J'en suis bien content.
On a l'impression que la politique menée par les PDG est une stratégie que les Canadiens ont déjà rejetée. Nous sommes convaincus que le Canada doit avoir de bonnes relations avec les États-Unis; nous devons collaborer avec eux dans un certain nombre de domaines et trouver des solutions communes aux problèmes communs. Mais de là à intégrer nos législations, nos mesures de sécurité frontalière, nos politiques de l'immigration et nos politiques de défense... Les Canadiens sont parfaitement conscients de former une population distincte, et cette intégration va à l'encontre de notre conception de la souveraineté. Et plus on s'y enfonce, plus il sera difficile d'en sortir.
Je pense que nous avons d'excellentes relations avec les États-Unis. Je voyage souvent aux États-Unis et j'y ai d'excellents amis, de merveilleux syndicalistes. Nous avons toujours... Nous avons nos différences, mais ce n'est pas parce qu'ils sont Américains. Je pense que nous avons une façon fondamentalement différente de considérer le monde et d'aborder les problèmes.
Si nous empruntons la voie d'une intégration plus profonde, cela aura des conséquences dramatiques quant à l'indépendance de notre politique étrangère dans le monde entier. Lors de mes voyages, j'ai l'impression que pour les étrangers, le Canada applique les mêmes règles que pour les États-Unis. Si les Américains n'imposent pas de visa alors que nous en imposons un... En matière d'immigration et d'octroi du statut de réfugié, nous sommes très près d'une véritable intégration.
À mon avis, les Canadiens considèrent que cette orientation n'est pas bonne, particulièrement sur le terrain essentiel des ressources naturelles. La plus grande partie de notre gaz est exportée vers les États-Unis. Or il s'agit, comme vous le savez, d'une ressource naturelle que nous sommes en train d'épuiser et qui ne se renouvelle pas.
¿ (0950)
Plus nous serons intégrés aux États-Unis, moins nous serons en mesure de contrôler les ressources dont nous pourrons avoir besoin à l'avenir, parce que nous ne pouvons dénoncer l'entente que nous avons conclue dans le cadre de l'ALENA. Je pense qu'on a le sentiment que c'est la mauvaise direction à prendre. Je pense qu'on a largement reconnu que c'était la mauvaise direction. Des sondages l'ont montré. La plupart des Canadiens l'ont dit, à leur manière. Je pense qu'on a le sentiment que le Canada devrait reprendre son indépendance, et que dans les domaines où nous pouvons coopérer, nous devrions le faire.
J'aimerais conclure en parlant de la question de nos mesures de sécurité. Dans une large mesure, même si nous n'avons pas de loi dite Patriot Act ici, nous en avons un équivalent très apparenté. On a vraiment le sentiment dans ce pays, comme nous l'avons vu dans l'affaire Maher Arar, qu'on a porté atteinte à quelque chose de fondamental du fait que des gens ont été criminalisés sans avoir nécessairement fait la moindre chose répréhensible.
J'ai comparu devant le comité quand le projet de loi C-36 a été étudié. Il s'est produit exactement ce que j'avais prédit. Le projet de loi C-36 a un effet corrosif profond sur les musulmans et les Canadiens d'origine arabe. Il en fait des criminels; et plus important encore, il rend les gens méfiants à l'égard de leurs activités. Nous avons un Code criminel pour poursuivre les gens qui se livrent à des activités terroristes ou illégales dans notre pays et qui nous permet d'exiger d'eux des comptes. Ce devrait être le mécanisme utilisé, pas de procès secret ni de déni de justice. Aux yeux des gens, c'est un élément essentiel de ce que devrait être un pays, et plus important encore, de ce que les Canadiens s'attendent à ce que nous fassions pour défendre notre souveraineté.
Je pense que la stratégie d'intégration que préconisent les PDG est tout simplement erronée. Je pense qu'elle ne verrait jamais le jour si des gens comme vous, parlementaires, pouviez trouver moyen de continuer de dire que c'est erroné. C'est une occasion de faire appel aux Canadiens sur la politique d'indépendance que nous devrions avoir pour notre pays.
Le président: Merci.
M. Stockwell Day: J'invoque le Règlement.
Le président: À quel sujet?
M. Stockwell Day: Je veux seulement une précision. Mme McDonough a-t-elle dit « Mr. d'Aquino et sa bande »?
Le président: Ce n'est pas un rappel au Règlement. Merci.
M. Stockwell Day: C'est parce que les témoins ne doivent pas être traités de façon péjorative, monsieur le président.
Le président: C'est discutable. Il pourrait s'agir d'une bande. C'est vrai.
Mme Alexa McDonough: Il n'est pas aussi susceptible que vous l'êtes, Stockwell. Il est bien habitué à m'entendre les appeler la bande d'Aquino.
Le président: J'ai deux questions pour M. Yussuff.
M. Stockwell Day: Je ne demandais qu'une précision.
Le président: Monsieur Day, j'aimerais profiter des quelques minutes qui restent pour poser deux questions à notre invité.
Monsieur Yussuff, vous avez parlé du L-20. Vous avez dit que le CTC croyait qu'il pourrait être préférable au G-20 et aux priorités mondiales dominées par les États-Unis, selon la façon dont le G-20 serait structuré. Comment en imaginez-vous la structure?
J'ai une autre question, sur les fonds pour le développement. Vous avez parlé de l'objectif du millénaire pour le VIH/sida. Vous avez un peu parlé de la taxe Tobin. Les pays européens réfléchissent maintenant à cette possibilité. Au G-8, au cours des deux prochaines années, leurs représentants parleront en faveur de l'imposition d'une taxe d'un dollar sur chaque billet d'avion. Cela pourrait rapporter 3 milliards de dollars par an à l'échelle mondiale.
Que répondez-vous à ces deux questions? Veuillez le faire brièvement nous n'avons que deux minutes.
¿ (0955)
M. Hassan Yussuff: Très brièvement, à propos du L-20, je pense que l'initiative du premier ministre est bonne. Nous devons trouver un forum mondial pour convier ces pays émergents à participer au débat, surtout sur la réduction de la pauvreté, la sécurité mondiale et, plus important encore, la façon dont nous abordons la question du commerce et du développement.
Le fait est que le G-8 ne leur permet pas de le faire. Ils ont toujours l'impression d'être à la périphérie. On a l'impression que le programme du G-8 est assez souvent dominé par le plus gros intervenant, soit les États-Unis. Il faut que le Canada continue de mener cette initiative. Je pense qu'elle est bien accueillie.
Bien sûr, la structure qui permettra à ces pays d'avoir voix au chapitre autour de cette table est critique. En fin de compte, quel sera le rôle du L-20, et comment peuvent-ils traiter des grandes questions dont ils veulent parler? Le mécanisme n'existe pas vraiment encore maintenant. J'inviterais simplement le comité à examiner à nouveau cette question et à reconnaître fermement que cette initiative est justifiée.
Quant à la taxe Tobin, nous soutenons depuis longtemps qu'elle est sensée. Bien sûr, à un moment donné, nous avons même convié M. Tobin à venir nous parler en prévision d'une des réunions du G-8. Il a fait valoir son point de vue.
Voyez-vous, je suis de ceux qui pensent toucher un bon salaire. Si quelqu'un me disait que 2 $ retenu sur mon chèque de paie serviront à aider à réduire la pauvreté dans le monde, je serais disposé à accepter, mais je ne pense pas que la plupart des gens le feraient. S'il est question d'une taxe sur un billet d'avion, cela ne m'empêchera pas de dormir. Je pense que cela n'aura que peu d'effet sur le secteur du transport aérien.
Je sais que d'autres diront au comité que se sera une hérésie, et je ne sais quoi d'autre, mais je ne suis pas venu discuter de cela. Je pense que vous devez trouver un mécanisme permettant de créer davantage de richesse pour qu'elle serve à réduire la pauvreté dans le monde. Je serais d'accord sur tout moyen que nous pourrions trouver pour le faire.
[Français]
Le président: Merci de votre présence ce matin, monsieur Yussuff et madame Nitoslawska.
[Traduction]
Nous allons maintenant entendre le représentant d'Amnistie internationale Canada, M. Alex Neve, secrétaire général.
Soyez le bienvenu, à nouveau.
[Français]
Vous êtes un habitué
[Traduction]
Je tiens à dire à mes collègues qu'une sonnerie retentira probablement à 10 h 05, et que nous devrons partir de 25 à 30 minutes plus tard. C'est pourquoi nous allons commencer maintenant. Nous devrons aller voter à 10 h 35.
Monsieur Neve.
M. Alex Neve (secrétaire général, Section anglophone, Amnistie internationale Canada): Merci beaucoup, monsieur le président.
Bonjour, mesdames et messieurs les membres du comité.
Si j'ai jamais été incité à m'en tenir à la question, c'est bien maintenant, dans cette course contre la montre. Il y aurait tant à dire, cependant, mais je vais tâcher de m'en tenir à mes observations pour que nous ayons au moins l'occasion d'échanger nos vues.
Tout d'abord, permettez-moi de vous remercier de me donner l'occasion de comparaître ce matin. Amnistie internationale s'intéresse depuis longtemps à l'élaboration de la politique étrangère du Canada. Pour ce qui est des divers processus, examens, livres blancs, livres verts, dialogues et tables rondes qui ont eu lieu au fil de nombreuses années, nous y avons participé, les avons suivis et y avons présenté des mémoires. Et bien sûr, nous nous sommes engagés assez activement en présentant des présentations concernant l'actuel énoncé de politique internationale.
Permettez-moi de commencer sur une note désolante mais que j'estime inévitable. À l'échelle de la planète, des millions et des millions d'hommes, de femmes et d'enfants mènent une existence où ils sont quotidiennement soumis à de graves violations systémiques de leurs droits fondamentaux : le droit à la vie; le droit d'être exempt de toute discrimination; le droit d'être protégé contre la torture; le droit à l'éducation; le droit à des soins de santé primaires et bien d'autres droits humains fondamentaux encore.
Amnistie internationale vient tout juste de publier son dernier rapport annuel, une rétrospective de l'année 2004, où l'on fait état d'abus généralisés dans 145 pays en tout, de l'Afghanistan au Zimbabwe. C'est de cette observation que découle notre principale recommandation en matière de politique étrangère canadienne. C'est-à-dire que les droits de la personne devraient être un objectif suprême, au coeur même de la politique étrangère canadienne, et non pas une question parmi tant d'autres, et ne pas être enfouis sous d'autres considérations. Les droits de la personne devraient être un des piliers de la politique étrangère du Canada. Nous l'avons demandé instamment à plusieurs reprises dans divers mémoires concernant divers examens effectués au fil des ans. Nous avons suggéré que le principe premier devant guider la politique étrangère devrait être la poursuite d'initiatives qui contribueront le plus possible au respect des droits de la personne. Le but premier, que ce soit dans la négociation d'une nouvelle entente commerciale, la signature d'un pacte de sécurité multilatéral, le financement d'un projet de développement, ou le déroulement de pourparlers bilatéraux courants, doit toujours être d'agir bilatéralement et multilatéralement de manière à ne pas saper ni enfreindre directement ni indirectement les droits de la personne, mais bien plutôt de manière à contribuer de façon positive et durable à l'exercice mondial et universel des droits de la personne.
Les droits de la personne devraient être un pilier de la politique étrangère du Canada parce qu'ils sont le fondement de tout ce que nous construisons dans nos vies, de ce que nous bâtissons pour l'avenir, de notre coexistence avec nos voisins, tant proches qu'éloignés, de la façon dont nous traitons les autres et dont nous voulons et méritons qu'on nous traite.
Les Nations Unies le reconnaissent depuis longtemps, et c'est pourquoi les droits de la personne sont au centre de la Charte des Nations Unies, laquelle, il convient de le souligner, a été signée il y a 60 ans dimanche. Le secrétaire général des Nations Unies, dans son récent rapport ambitieux et complet sur la réforme des Nations Unies, sur lequel je reviendrai plus tard, réaffirme le caractère central des droits de la personne dans l'ordre mondial et propose une nouvelle approche de la gouvernance internationale qui repose sur le triangle essentiel du développement, de la sécurité et des droits de la personne, chacun étant profondément et intégralement lié aux autres. À n'en pas douter, la politique internationale du Canada devrait refléter cette optique.
Dans sa dernière version, la politique étrangère du Canada n'accordait pas cette primauté ni cette priorité aux droits de la personne. À cette époque, notre politique étrangère reposait sur trois piliers : la prospérité, la sécurité et les valeurs et la culture canadienne. Rien ne ressort clairement là-dedans au sujet des droits de la personne, et ce n'est qu'une fois qu'on a regardé de plus près et lu ce qu'on entend par la projection des valeurs canadiennes qu'on peut constater que les droits de la personne y sont décrits comme une valeur que les Canadiens chérissent et à laquelle ils tiennent profondément et que nous devons rechercher à l'échelle internationale. Mais les droits de la personne ne sont pas cantonnés aux valeurs canadiennes. Ce sont des principes fondamentaux de portée mondiale, d'application universelle et d'importance internationale. La voix internationale du Canada doit donc se faire l'écho retentissant du sentiment d'universalité et dire avec confiance au monde qu'il ne s'agit pas de faire valoir nos propres valeurs et notre culture nationale, mais plutôt de faire en sorte que le Canada adopte les plus importantes valeurs internationales qui existent.
Ce qui ne veut pas dire pour autant, loin de là, que le Canada ne s'est pas préoccupé des droits de la personne. Le Canada a largement raison d'être fier et il a beaucoup contribué à l'effort déployé pour créer un monde qui protège les droits de la personne. Le programme de sécurité humaine dont le Canada s'est fait le champion a permis la prise d'initiatives sans précédent comme la Cour pénale internationale, l'interdiction des mines antipersonnel ainsi que les efforts déployés pour protéger les enfants soldats. Le Canada a assuré la direction d'importants développements internationaux en matière de protection des droits des femmes. Le Canada a travaillé activement au renforcement de la Commission des droits de l'homme des Nations Unies et de bien d'autres choses encore.
À (1000)
Tout cela est bien sûr important, mais il y a aussi de nombreux secteurs où l'on note des insuffisances, des cas où les droits de la personne semblent avoir été oubliés ou mis en veilleuse. Le plus inquiétant, sans doute, c'est quand on privilégie le commerce et l'investissement, que ce soit sur le plan bilatéral avec un gouvernement comme celui de la Chine, ou au plan multilatéral, comme ces nouvelles ententes commerciales qui sont encore des négociations, et que les engagements canadiens en matière de droits de la personne perdent subitement leur substance.
Il reste que les réalisations canadiennes en matière de droits de la personne ne sauraient être fortuites ni inconsistantes. Nos résultats dans ce domaine ne doivent pas dépendre de la personne ou du service ministériel qui gère le dossier. Votre position ne peut pas être ferme dans notre diplomatie à l'égard d'un pays alors qu'elle est incertaine et hésitante dans nos relations avec un autre pays. Elle doit être garantie et assurée. Elle doit traduire directement le point de vue du Canada.
Le monde a besoin de ce genre de chefs de file résolus sur le front des droits de la personne. Le Canada a un rôle international à jouer. À mon avis, ce rôle de chef de file comporte au moins trois impératifs. Tout d'abord, nous devons afficher des résultats rigoureusement irréprochables en matière de droits de la personne dans notre propre pays. Deuxièmement, nous devons exprimer un point de vue fort et uniforme dans ce que nous revendiquons et exigeons des autres pays ainsi que sur le scène multilatérale. Troisièmement, nous devons faire preuve de résolution et de créativité en exigeant des réformes et des améliorations. La question essentielle à vous soumettre ce matin consiste à savoir si l'énoncé de politique internationale du Canada lui permet de jouer ce rôle.
Les droits de la personne y figurent, mais—et je suis sûr que vous n'êtes pas surpris de ce « mais »—ils n'ont pas le caractère proéminent et central qu'ils devraient à mon avis avoir. Ils sont loin d'être reconnus comme le pilier central de la politique étrangère canadienne. En fait, il faut creuser pendant assez longtemps pour découvrir la nature et la portée de l'élément des droits de la personne dans cet énoncé.
Parfois, on trouve des termes spécifiques au domaine des droits de la personne. Dans le document d'ensemble, il y a des passages consacrés aux droits de la personne, de même que dans les documents sur la diplomatie et dans celui sur l'aide internationale. Pourtant, les mots « droits de la personne » n'apparaissent pas dans la table des matières du document sur la diplomatie. Ce document énonce quatre secteurs prioritaires : les relations nord-américaines, la sécurité, le multilatéralisme et les relations bilatérales. Les droits de la personne n'y figurent pas, pas plus que dans le résumé descriptif de ces quatre priorités qui posent toutes, évidemment, des défis considérables en matière de droits de la personne.
Même s'ils ne sont pas mentionnés en tant que tel, les droits de la personne sont bien sûr inhérents à d'autres notions mises en valeur dans l'énoncé, comme la sécurité des personnes, l'attention portée sur les États en déroute ou la promotion du modèle de la « responsabilité de protéger ». Mais on ne voit pas qu'il s'agit d'un thème essentiel qui définit le Canada; c'est plutôt un ensemble de différents secteurs d'intervention, de projets et d'initiatives.
Je considère également qu'il reste une certaine ambivalence quant au message que nous sommes prêts à adresser au monde entier en matière de droits de la personne. Nous n'en sommes plus au temps où les droits de la personne n'étaient guère plus qu'un aspect de la culture et des valeurs canadiennes, mais on s'interroge toujours sur la place que doivent occuper les droits de la personne sur la scène internationale et sur le rôle que doit jouer le Canada à la défense de cette vision universelle. L'énoncé insiste sur le fait que les structures de gouvernance chargées d'assurer la défense des droits de la personne varient selon le contexte politique et culturel et que le nouveau défi du Canada consiste à préciser « ce que recouvre en fait ces valeurs et ce, dans des pays dont la situation diffère de la sienne ». L'énoncé insiste sur
... l'importance de l'autonomie nationale. Les Canadiens tiennent à leurs valeurs, mais pas à les voir imposer de force à autrui. Ce n'est tout simplement pas leur façon de faire. |
Nous devons faire preuve de sensibilité culturelle et cette obligation fait intervenir les droits de la personne : la liberté de religion, la liberté d'expression et la liberté d'association. Mais nous devons affirmer sans faiblir que les principes des droits de la personne sont universels et qu'ils doivent être défendus et protégés universellement. L'énoncé de politique internationale ne l'affirme pas de façon suffisamment claire.
À (1005)
Si nous sommes déçus par ce qui ne figure pas dans l'énoncé, on y trouve certains éléments concernant les droits de la personne qui reçoivent un appui sans réserve d'Amnistie internationale. Laissez-moi vous en donner deux exemples.
Premièrement, tout au long de l'énoncé, on constate que le Canada s'engage résolument à réformer les droits de la personne aux Nations Unies. Que peut-on dire du régime des droits de la personne aux Nations Unies? C'est une situation internationale désolante et il est temps que cela change. Or, des propositions enthousiasmantes de changement ont été portées à l'ordre du jour international grâce à l'action du groupe de travail, puis il y a eu le document du Secrétaire général présenté cette année, le tout devant culminer par le Sommet des chefs d'État des Nations Unies en septembre.
L'énoncé se porte à la défense des efforts du Secrétaire général pour hausser le statut des droits de la personne dans l'appareil des Nations Unies, pour désamorcer certains arguments politiques formulés dans le débat sur les droits de la personne aux Nations Unies et pour augmenter le niveau de financement actuellement beaucoup trop bas.
Par ailleurs, j'aimerais inviter ce comité et l'ensemble des parlementaires à s'engager résolument dans cette initiative de réforme et à lui apporter leur soutien politique. On ne peut miser avec certitude sur le sommet de septembre, où les discussions les plus polémiques porteront certainement sur les propositions de réforme des droits de la personne.
Le deuxième sujet dont nous avons pris connaissance avec satisfaction concerne le rappel du rôle de chef de file que doit jouer le Canada dans le dossier de la sécurité des personnes. On a eu l'impression que le Canada se reposait sur ses lauriers après les initiatives qu'il a prises à propos des mines antipersonnel, des enfants-soldats et de la Cour criminelle internationale, ces initiatives ayant permis de renforcer fondamentalement la protection des droits de la personne. Mais la complaisance n'est pas de mise. Ces initiatives anciennes ont elles-mêmes besoin d'un soutien résolu de la part du Canada. La Cour criminelle internationale, par exemple, est mentionnée dans l'énoncé comme s'il s'agissait d'un dossier classé. Or, il reste encore beaucoup à faire pour renforcer cette institution au moment où elle commence à rendre ses premières décisions sur la scène de la justice internationale. Il faut encore inciter de nombreux pays, près d'une centaine, parmi lesquels figurent des intervenants de premier plan comme les États-Unis, à reconnaître cette institution.
Le Canada devrait également entreprendre de nouvelles campagnes, comme il l'a déjà fait en faveur de la Cour criminelle internationale, par exemple en ce qui concerne le commerce mondial des armes légères, qui constitue un véritable fléau pour ceux qui veulent protéger les droits essentiels de la personne. De nombreux gouvernements ont commencé à se coaliser autour d'une proposition de traité international sur le commerce des armes qui réglementerait le commerce mondial de la mort et de la terreur.
Le Royaume-Uni s'est fait le champion de cette démarche. Il se trouve que la proposition figure en bonne place dans l'ordre du jour des ministres des Affaires étrangères du G-8 lors de la réunion tenue aujourd'hui même à Londres en prévision du Sommet du G-8 du mois prochain. Malheureusement, notre ministre des Affaires étrangères ne participe pas à cette réunion. La déclaration reconnaît la nécessité de prêter davantage attention aux problèmes liés au commerce des armes, mais elle ne présente pas de perspectives concernant les mesures à prendre et ne prend pas position sur la nécessité absolue d'un traité dans ce domaine.
En conclusion, j'aimerais dire brièvement trois choses. Il y aurait beaucoup à dire sur certains aspects de l'énoncé, mais nous manquons de temps, et j'aimerais vous soumettre trois thèmes de réflexion qui ont valeur de recommandation.
Premièrement, comme je l'ai dit au début, il est grand temps de présenter un énoncé visionnaire et sans équivoque qui définisse sans réserve l'engagement du Canada à protéger et à promouvoir les principes universels des droits de la personne, qui doivent être le fondement essentiel de tout ce que le Canada cherche à réaliser au plan international par sa présence, ses activités, ses contributions financières et son discours. Cet énoncé devrait s'accompagner d'un engagement ferme du Canada à tout mettre en oeuvre pour aller au-delà des discours et pour faire en sorte que des normes universelles s'appliquent effectivement de façon uniforme en matière de droits de la personne.
Deuxièmement, il est très décevant de constater le peu d'attention portée à la responsabilité sociale des sociétés commerciales dans le document d'information consacré au commerce international. Le commerce international ne doit pas être une course débridée aux contrats, aux ententes commerciales et à l'argent. C'est un secteur qui, s'il est mal géré, permet aux entreprises de porter directement ou indirectement atteinte aux droits de la personne mais qui, s'il est bien géré, leur permet de participer à la recherche de solutions et à la protection et à la défense des droits de la personne.
Mais pour cela, il faut une volonté, il faut des efforts et il faut que le gouvernement accepte d'imposer juridiquement certaines normes minimales de conduite aux sociétés canadiennes lorsqu'elles font affaire à l'étranger. Or, tout ce qu'on trouve pour l'instant, c'est un court paragraphe à la fin du document sur le commerce, mais on ne trouve rien sur ce que le Canada entend faire pour que des pratiques responsables en matière de droits de la personne deviennent la caractéristique des sociétés canadiennes dans le monde entier.
À (1010)
Enfin, notre politique étrangère doit clairement démontrer que le Canada a fermement l'intention d'oeuvrer en faveur du respect des droits de la personne pas seulement au pays mais également à l'étranger. Cela doit faire partie de notre contribution au renforcement et à l'amélioration du système international des droits de la personne.
Nous ne pouvons pas permettre qu'il y ait le moindre écart entre les valeurs dont nous faisons la promotion à l'échelle internationale et ce que nous exigeons d'autres gouvernements en matière de respect des droits de la personne, d'une part, et ce que nous faisons pour protéger ces droits au pays même, d'autre part. À titre d'exemple, le Canada n'a pas encore ratifié plusieurs traités internationaux importants en matière de droits de la personne qui ont trait à la peine de mort, à la violence faite aux femmes, à la protection des droits de la personne dans les Amériques, aux droits des travailleurs migrants et au nouveau système mondial d'inspection des prisons dans le but de prévenir la torture pour n'en nommer que quelques-uns.
Il ne suffit évidemment pas que le Canada ratifie ces traités, mais il doit donner l'exemple au reste du monde. Le processus actuel à cet égard n'est pas clair ni ouvert.
Je n'en dirai pas plus pour que nous ayons un peu de temps pour les questions. Je vous remercie encore de l'occasion qui m'est donnée de vous faire part du point de vue d'Amnistie internationale sur le renforcement du respect des droits de la personne, lequel devrait être l'élément central de la politique étrangère du Canada.
Le président: Merci, monsieur Neve.
J'accorde maintenant la parole à monsieur Day. Il s'agit d'un tour de cinq minutes.
M. Stockwell Day: J'ai une question à poser et Mme Guergis également. Nous vous donnerons beaucoup de temps pour répondre à ces questions.
Je suis d'accord. Nous nous sommes aussi plaints du fait que l'énoncé de politique étrangère du Canada ne proposait pas de vision en matière de droits de la personne.
Pourriez-vous nous aider à comprendre la relation du Canada avec la Chine? Nous savons que la Chine se prête aux pires violations des droits de la personne. Or, chaque fois que nous nous élevons contre cette situation, on nous répond qu'il ne faut pas offenser la Chine parce que cela pourrait nuire à nos échanges commerciaux avec ce pays.
Avez-vous des suggestions à faire quant à la façon dont le Canada pourrait amener plus efficacement la Chine et Cuba à mieux respecter les droits de la personne? Quelles mesures concrètes pouvons-nous prendre?
À (1015)
Le président: Madame Guergis.
Mme Helena Guergis (Simcoe—Grey, PCC): Je vous remercie.
Ma question est semblable à celle de mon collègue. Comment la décision du gouvernement de réduire son aide aux ONG canadiennes affecte-t-elle Amnistie internationale Canada?
Je vois que votre organisme dénonce sur son site Web de nombreuses violations des droits de la personne en Chine. Étant donné que vous cherchez à obtenir de l'argent pour l'aide internationale, est-il très frustrant pour vous de voir que le gouvernement donne des dizaines de millions de dollars au gouvernement chinois?
M. Kevin Sorenson: Puis-je poser aussi une question?
Le président: Certainement. Mais si vous ne leur donnez pas suffisamment de temps, les témoins ne pourront répondre à toutes vos questions.
Allez-y, monsieur Sorenson.
M. Kevin Sorenson: Y a-t-il des pays où Amnistie internationale n'est pas acceptée? J'ai consulté le Web, et 735 articles mentionnant Amnistie internationale sont apparus. Vous êtes présents dans beaucoup de pays. Existe-t-il cependant des pays qui refusent la présence d'Amnistie internationale?
Le président: Très bien. Voilà au moins une question.
Allez-y.
M. Alex Neve: Je vais commencer par la fin.
C'est vrai, et les deux pays qui viennent d'être mis sur la table en sont deux exemples—la Chine et Cuba. Tous deux refusent tout accès à Amnistie internationale, de sorte que nous ne pouvons pas nous rendre là-bas pour faire nos enquêtes sur le terrain au sujet des droits de la personne. Cela ne veut toutefois pas dire, loin de là, que nous n'avons pas fait beaucoup de travail dans ces deux cas.
Une voix: Et la Birmanie?
M. Alex Neve: Ce n'est que très récemment, il y a deux ans, que nous avons eu la permission d'aller en Birmanie, et depuis deux ans, nous y avons conduit deux missions. Pour certains pays, tantôt nous pouvons, tantôt nous ne pouvons plus. La Libye est un bon exemple récent de cela puisque l'an dernier, pour la première fois depuis 17 ans, nous avons pu y aller. Au Soudan, nous avons également pu nous rendre sur place l'an dernier pour la première fois depuis 15 ans. Nous avions suite à cela fait une série de rapports assez cinglants au sujet du Darfour, entre autres, et depuis lors, l'accès nous a à nouveau été interdit.
Donc les choses vont et viennent. Mais cela ne veut en aucun cas dire que nous diluons ce que nous disons au sujet de tel ou tel pays. Nous ne passons jamais la pommade pour pouvoir obtenir les visas. Cela veut donc dire que nous devons trouver d'autres façons de conduire nos recherches, et il y a bien des façons d'obtenir des informations impartiales et crédibles en matière de droits humains, même lorsqu'on ne peut pas aller soi-même sur place.
La Chine est manifestement un très gros problème. C'est un très gros problème pour nous dans nos rapports avec notre gouvernement et son attitude à l'endroit de la Chine, et c'est d'ailleurs un problème et une difficulté que tous nos militants du monde entier connaissent face à leur gouvernement, qu'on soit un défenseur de droits de la personne en Australie ou au Danemark, ou encore aux États-Unis parce que, de plus en plus, les pays ont tendance à ne pas vouloir confronter la Chine dans le dossier des droits humains.
Nous sommes très déçus par l'orientation de la politique étrangère du Canada vis-à-vis de la Chine depuis 1997, date à laquelle le Canada a décidé de façon concertée et délibérée de ne plus, c'est un exemple, insister sur le palmarès de la Chine en matière de droits humains dans le contexte des Nations Unies pour faire plutôt les choses en coulisse dans le cadre d'un dialogue direct entre le Canada et la Chine.
Nous ne sommes pas contre le dialogue, mais si nous voulons dialoguer, il faut le faire de façon responsable. Nous avons par exemple demandé à ce que le processus de dialogue fasse l'objet d'une évaluation systématique, parce qu'il faut des balises pour nous permettre de mesurer l'efficacité du processus; par contre, il faut également combiner le dialogue à d'autres formes d'action publique afin de continuer à faire pression sur la Chine. La Chine multiplie de façon incroyable les efforts diplomatiques pour éviter de se faire critiquer dans le cadre de l'ONU. La Chine ne veut pas être condamnée sur l'autel international, mais nous n'utilisons pas ce genre de moyens de pression comme nous le pourrions.
[Français]
Le président: Nous passons à M. Paquette.
Mme Francine Lalonde: Monsieur le président, je fais un appel au Règlement. Un vote est-il toujours prévu? Habituellement, les cloches...
Le président: Je n'entends pas les cloches et je ne vois pas la lumière. Il y en a probablement un. On a essayé de s'informer et on nous a dit que oui; toutefois, la lumière ne scintille pas. On va s'informer à nouveau.
Monsieur Paquette, s'il vous plaît.
M. Pierre Paquette (Joliette, BQ): Merci, monsieur le président.
Merci de votre présentation. Tout comme vous, quand l'Énoncé de politique internationale a été rendu public, nous avons été un peu déçus. Même la présentation du document en cahiers juxtaposés laisse l'impression que l'ensemble de cette politique ne s'intègre pas aux grands principes. Vous en avez énoncé un: la promotion des droits humains. À cet égard, le fait que le gouvernement ait voulu scinder le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international nous inquiète beaucoup. Comme vous le savez, le Parlement a voté contre le projet de loi mais, sur le plan administratif, le gouvernement continue à créer deux entités. On le voit, par exemple, sur le plan budgétaire.
Vous avez parlé de la Chine. N'avez-vous pas l'impression que, depuis un certain nombre d'années, le gouvernement canadien a deux approches, l'une pour le commerce et l'autre pour les grandes rencontres internationales? Peut-être pourriez-vous nous dire — c'est un peu dans la suite de ce qui a été dit — comment nous devons nous assurer que notre politique commerciale soit un tremplin pour la promotion des droits humains.
Vous avez parlé de la responsabilité sociale de l'entreprise. Au Sous-comité du commerce international, des différends commerciaux et des investissements internationaux, nous avons préparé et remis au comité un rapport sur les marchés émergents. Nous y invitons le gouvernement à se doter d'une politique beaucoup plus claire sur la responsabilité sociale des entreprises canadiennes ici et à l'étranger. Nous avons pris pour modèle les règles de l'OCDE. Selon vous, devrions-nous aller plus loin? Les règles de l'OCDE sont-elles suffisantes? Comment le gouvernement canadien pourrait-il s'assurer que les entreprises canadiennes ont un comportement socialement responsable à l'extérieur comme à l'intérieur? Je vous laisse répondre à toutes ces questions.
À (1020)
[Traduction]
M. Alex Neve: Pour gagner du temps, je vais peut-être répondre aux deux questions...
Le vice-président (M. Kevin Sorenson): Ne vous pressez pas, nous attendons depuis longtemps l'occasion de nous entretenir avec vous, alors vous pouvez prendre tout votre temps.
M. Alex Neve: Ces deux questions nous conduisent à une question du même ordre mais plus importante encore : comment faire en sorte que l'attitude du Canada à l'endroit du commerce et de l'investissement demeure juste et intégrante? Le gouvernement fait bien des choses. Il négocie les accords commerciaux, il conduit des missions commerciales et il procède à des entretiens commerciaux bilatéraux avec différents pays. Nous devons également prendre en compte le visage canadien que nous montrons à l'étranger lorsque nos entreprises—et il y en a de plus en plus, surtout dans le secteur des ressources—s'implantent dans des pays qui commettent des violations graves à l'endroit des droits de la personne, ou encore qui sont en proie à une guerre civile.
Avec cet énoncé de politique international, nous avons raté une bonne occasion de progresser de façon claire et dans le respect de nos principes sur ce front et de parler de ce hiatus qui existe dans ce dossier. Nous avons des textes sur le commerce, la diplomatie et l'aide étrangère. Nous avons également un document de synthèse destiné à regrouper tout cela. Par contre, ce texte-ci fait gravement défaut, et c'est fort regrettable, en raison de son manque d'intégration. Notre pays doit être interpellé par cette question. Il ne faudrait pas attendre encore 10 ans et un nouvel examen de notre politique étrangère pour le faire. C'est aujourd'hui que nous devons pouvoir faire des progrès notables.
L'énergie ne manque pas, loin de là; il y a toute sorte de choses qui sont en train de se passer. Les directives de l'OCDE représentent quelque chose que nous approuvons et auxquelles nous souscrivons. Mais nous ne pensons pas qu'elles aillent suffisamment loin, surtout en ce qui concerne les droits humains. Tous ces textes sont très faibles à ce chapitre. C'est la raison pour laquelle nous avons souscrit à l'idée d'un autre palier de l'ONU—et cette fois-ci, il s'agit de l'ONU, et pas uniquement d'un effort de l'OCDE dans le cadre de la Commission des droits de l'homme—qui poseraient des principes bien précis en matière de droits humains pour régir la conduite des entreprises transnationales à l'étranger.
Ce débat a commencé à faire controverse, et notre propre gouvernement n'a encore, loin de là, donné son appui à ce genre d'initiatives. Il a souscrit à l'idée générale qu'il fallait plus de clarté et davantage de discussions à ce sujet. Mais il s'est bien gardé de souscrire à l'idée qu'il faut élaborer des principes clairs sur la scène internationale. Cela pose problème précisément en ce qui concerne la scène internationale dans ce dossier. D'autres gouvernements, la société civile ainsi que les victimes des violations des droits humains du monde entier attendent du Canada qu'il défende d'une voix forte les droits humains à ce genre de tribunes.
D'ici deux ou trois ans, cela va continuer à être un enjeux dans le système des Nations Unies. Ce serait pour nous une occasion rêvée de commencer à réunir tous ces courants différents de politique qui s'élaborent au Canada en affirmant clairement que l'on ne saurait faire les deux sous deux angles différents.
Le président: Merci.
Monsieur McTeague.
À (1025)
L'hon. Dan McTeague: Nous sommes heureux d'avoir entendu votre exposé. Je dirais que nous complétons ici l'excellent travail que vous faites de votre côté. Je sais qu'une partie du travail que nous faisons ensemble commence à porter des fruits, même si ce n'est pas aussi rapide que certains le voudraient.
J'ai noté que vous avez parlé du leadership et de l'importance qu'il y a de réclamer des solutions en faisant preuve de cohérence. Plusieurs croient qu'il y a là-bas un contingent important de gens qui sont à l'oeuvre pour améliorer la situation des droits humains.
On nous a dit qu'il fallait faire la distinction entre la réalité et le romantisme. Mais qu'en est-il au juste? Vous avez cité trois secteurs dans lesquels, à votre avis, le gouvernement canadien pourrait agir même s'il ne parle pas carrément des droits humains dans son énoncé de politique internationale. Y a-t-il quelque chose que nous pourrions faire à Genève et que nous ne faisons pas pour l'instant?
J'ai assisté à certaines des tables rondes au cours desquelles on commençait tout juste à parler des droits autochtones et d'autres dossiers du même genre. Le Canada continue à s'en réclamer dans le cadre de sa campagne pour les droits humains. Y a-t-il selon vous des secteurs dans lesquels le Canada serait particulièrement compétent, et je ne parle pas ici de faire la morale à d'autres pays, ce que nous avons souvent tendance à faire? C'est un genre d'attitude qui nous donne bonne conscience, mais qui est en réalité très peu productive. Où le Canada pourrait-il le mieux persuader d'autres États en passant par ces tribunes internationales? Y a-t-il à votre avis un secteur en particulier où nous pourrions exceller?
M. Alex Neve: Je pense qu'il y en a plusieurs, et qui traduisent bien le fait que, depuis des années nous avons réussi, et à juste titre, à avoir sur la scène internationale une réputation très crédible et tout à fait respectée en matière de droits humains. C'est par exemple tout ce que nous avons fait au sujet de la sécurité humaine, comme le Cour pénale internationale, les mines terrestres et les enfants soldats.
J'ajouterais donc à cela une question que j'ai mise en exergue dans mon exposé, en l'occurrence la nécessité impérieuse de juguler le commerce mondial des armes légères. Je ne veux pas donner l'impression que le Canada ne s'intéresse pas à la chose et qu'il a affiché un manque total d'intérêt, mais il y a de plus en plus de pays qui font maintenant front commun autour de l'idée qu'il faut un traité dans ce domaine.
La voix canadienne demeure remarquable muette—et tous les gouvernements du monde l'ont bien constaté—dans ce dossier. Il est scandaleux que le ministre Pettigrew ne soit pas aujourd'hui même à Londres pour participer aux discussions que les ministres des Affaires étrangères du G8 ont à ce sujet. Mais cela va aller beaucoup plus loin que la réunion d'aujourd'hui, et il faut que le Canada fasse bien plus qu'adhérer à ce groupe. Nous avions réussi lors d'initiatives antérieures dans les dossiers des enfants soldats, des mines terrestres et de la Cour pénale internationale à jouer les facilitateurs avec beaucoup de conviction, et tout cela s'est terminé alors qu'il nous faut maintenant faire quelque chose en ce qui concerne les armes légères, c'est-à-dire rédiger un traité au niveau international. Il faudrait que nous tirions partie de toute cette expérience que nous avons acquise, et le Canada devrait être en première ligne.
Je dirais qu'à l'heure actuelle, la communauté des Nations Unies qui s'intéresse aux droits humains est interpellée par un problème tout à fait crucial, un dossier dans lequel le Canada joue d'ailleurs un fort beau rôle, en l'occurrence celui de la réforme. Les mois qui s'en viennent et qui aboutiront au sommet de New York en septembre, où il va falloir prendre des décisions cruciales au sujet de l'avenir du système des droits humains des Nations Unies, sont à mon avis un créneau dont nous devrions profiter pour abattre autant d'obstacles que possible. J'ai constaté que le ministère faisait un travail fort louable sur ce plan. J'aimerais toutefois d'ici les prochaines semaines, les prochains mois, les ministres et les parlementaires défendent d'une voix canadienne très forte l'idée d'une réforme des Nations Unies et le fassent à toutes les occasions possibles et à toutes les tribunes possibles. Voilà qui serait, dirais-je, un dossier tout à fait d'actualité sur lequel j'insisterais beaucoup.
L'hon. Dan McTeague: Avant de conclure et de permettre à M. Bevilacqua d'intervenir à son tour en parlant d'armes légères, je veux dire qu'il y a déjà plusieurs pays qui se sont très vigoureusement prononcés sur la question de droits humains. Je pense par exemple à la Suisse, à la Suède... Pour ces pays, le dossier des armes légères devient extrêmement périlleux. Que proposeriez-vous de faire dans ce cas-là? Je me souviens avoir lu il y a quelques semaines un article dans lequel on disait que le Canada n'était pas tenu en très haute estime et qui signalait également le cas de plusieurs autres pays. Diriez-vous que ces pays-là devraient maintenant faire front commun dans ce dossier?
À (1030)
M. Alex Neve: Incontestablement. Dans ce dossier, un consensus international est nécessaire, et ce consensus ne sera pas facile à réaliser. Nos voisins du Sud ont dit tout à fait publiquement qu'ils n'étaient pas enthousiastes à l'idée d'une réglementation internationale plus rigoureuse du commerce des armes.
Le fait que nous n'avons pas d'unanimité internationale, solide et immédiate au sujet d'une nouvelle initiative ou d'un nouveau traité ne signifie pas pour autant qu'il faille hésiter à avancer l'idée.
Je dirais qu'une partie de la réponse aux problèmes des pays comme la Suisse où—un peu comme les États-Unis—la possession d'une arme à feu est une tradition bien ancrée, est qu'il ne s'agit pas ici d'abolir les armes à feu. Il s'agit plutôt d'implanter un régime international de réglementation du commerce des armes qui permet d'aller beaucoup plus loin—et d'ailleurs, on n'a fait jusqu'à présent aucun effort pour réglementer ce commerce—pour faire en sorte de ces armes ne finissent pas entre les mains de gens qui risqueraient d'enfreindre les droits humains. Que cela inquiète ou non la Suisse, je préfère laisser la question aux experts qui connaissent bien le palmarès des Suisses en matière de droits humains.
Pour être francs avec vous, nous pensons surtout à l'Afrique où les armes légères sont au centre même des horribles guerres civiles qui ravagent l'Afrique depuis des dizaines et des dizaines d'années. De ces armes, 80 p. 100 proviennent des fabricants et des marchands d'armes des pays du G-8. C'est un scandale. C'est une tache qui souille l'engagement que ces pays ont pris à l'endroit des droits humains. C'est pour cette raison qu'il est indispensable que les pays du G-8, sous la conduite actuelle du Royaume-Uni, commencent à se pencher sur ce dossier, parce que se sont ces pays qui sont les principaux protagonistes. Le Canada ne devrait pas se contenter de jouer les observateurs. Il faudrait à tout le moins que nous emboîtions le pas au Royaume-Uni et que nous commencions nous aussi à militer en faveur de cette initiative.
Le président: Je vous remercie.
Nous passons maintenant à madame McDonough.
Mme Alexa McDonough: Merci beaucoup, monsieur le président.
Je voudrais remercier M. Neve pour son exposé qui a été comme d'habitude équitable et équilibré, mais aussi sans condescendance. Je pense que nous vous savons gré d'être aussi franc en disant que le Canada s'est distingué dans plusieurs domaines importants, ce qui à mon avis nous oblige encore plus à continuer de montrer l'exemple. Je voudrais parler de deux détails qui attestent du fait que ce leadership du Canada est assurément nécessaire.
Nous étions nombreux à être là, tout comme d'ailleurs Amnistie internationale qui y était à la fois une force et une présence, lors de la seconde conférence internationale sur l'abolition de la peine de mort. Lors de cette conférence, qui a eu lieu il y a un peu moins d'un an de cela, le ministre des Affaires étrangères avait dit que le Canada était... Je pense qu'il a dit qu'il envisageait la question de savoir ce que le Canada pourrait faire au sujet de la signature du second protocole. Je me demande si vous pourriez nous en dire un peu plus long sur les progrès qui auraient été enregistrés en ce sens.
Ma seconde question concerne le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Nous avons tous, je crois, été extrêmement fiers de la nomination de Louise Arbour ancienne juge à la Cour suprême, à la tête de la Commission des droits de l'homme des Nations Unies. L'une des choses pour lesquelles elle a toujours été très franche et très directe, c'est que le Canada n'a pas signé le protocole facultatif, ce qui nous aurait en fait permis non seulement de dire les choses, mais d'y croire vraiment et de nous engager à mettre en oeuvre notre prétendue adhésion à ce pacte international.
Je pense que cela revient tout à fait à ce dont vous nous parliez lorsque vous disiez qu'il fallait que notre propre palmarès soit exemplaire, impeccable même, si nous voulions montrer l'exemple au reste du monde. J'aimerais que vous nous disiez où nous en sommes rendus dans l'optique d'Amnistie internationale.
Je sais qu'un observateur, en fait un intervenant, à la conférence de février dernier avait dit que la position du Canada était scandaleuse, puisqu'au lieu d'être perçu comme un chef de file, nous donnions maintenant l'impression de traîner la patte. Je dirais que c'est précisément l'une des choses qui interpellent le comité, en l'occurrence comment faire en sorte que le Canada se sorte de cette catégorie de traîne-la-patte pour redevenir un chef de file.
Selon vous, où ce pacte s'inscrit-il et que pouvons-nous faire dans ce sens?
M. Alex Neve: Ce sont là deux excellents exemples de ce dont je vous parlais en disant qu'il était fondamental pour nous de faire plus attention à notre propre palmarès, à notre propre contribution au système international.
Nous continuons à être très déçus que rien de concret ne se fasse outre les mots somme toute faciles que nous utilisons pour dire que le Canada envisage, que le Canada examine, que le Canada se penche sur la question de savoir s'il va signer le second protocole facultatif du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Ce protocole concerne en fait la peine de mort.
Nous sommes le seul grand pays abolitionniste du monde qui n'ait pas encore signé le protocole. Ce qu'on nous dit et nous répète, c'est qu'il y a dans ce protocole certains éléments auxquels certains ministères ne veulent pas souscrire, craignant que si nous le signons, cela risque de nous empêcher de déporter ou d'extrader certaines personnes vers des pays où elles risqueraient la peine capitale.
À (1035)
Mme Alexa McDonough: Ne serait-ce pas une bonne raison pour le faire?
M. Alex Neve: C'est assurément ce que nous répondons. Nous répondons en signalant que la Cour suprême du Canada s'est déjà penchée sur la question. Il y a plusieurs années de cela, dans la cause Burns et Rafay, la Cour suprême a déclaré que ce n'était que dans les circonstances les plus exceptionnelles, sans pour autant définir plus avant, que le Canada devrait pouvoir renvoyer quelqu'un qui risquerait la peine de mort sans d'abord demander et obtenir l'assurance que la peine de mort ne sera pas appliquée.
C'est devenu maintenant pratique courante, par exemple, dans nos tractations avec les États-Unis. Cela se fait déjà depuis longtemps dans les rapports entre les pays d'Europe et le Mexique avec les États-Unis. Ce que je peux vous dire, c'est que, d'après ce que nous avons appris de ces autres pays, les États-Unis ont toujours fourni ces assurances. Face à un gouvernement qui leur dit oui, nous allons vous remettre ce fugitif que vous recherchez, mais vous devez nous promettre de ne pas l'exécuter, les États-Unis donnent les assurances réclamées. Au bout du compte, ce que veulent les États-Unis, c'est que justice soit faite.
Il est grand temps d'aller un peu plus loin que ces arguments plus ou moins sémantiques. Je pense qu'il est grand temps de reconnaître que la Cour suprême a déjà envoyé un message extrêmement ferme au gouvernement canadien dans ce dossier, et il est grand temps de faire un peu plus que d'envisager, examiner, réfléchir et étudier; il est grand temps de passer aux actes et de ratifier le protocole.
S'agissant des droits économiques, sociaux et culturels, nous ne sommes pas encore au stade de la ratification. Le système international est en train d'élaborer ce protocole facultatif qui serait un moyen essentiel de renforcer la protection de ces trois catégories de droits à l'échelle mondiale.
Mais ce qui importe plus encore, c'est que ce protocole permettrait à ceux qui jugeraient que leurs droits économiques, sociaux et culturels—qu'il s'agisse de droit aux soins de santé ou à l'éducation—ont été violés de déposer une plainte devant un organisme international qui serait appelé à en juger. Dans le système des Nations Unies, c'est quelque chose qui existe déjà pour à peu près tous les autres droits. La torture, les droits des femmes, les droits civils et politiques, dans tous ces cas-là, il est possible de s'adresser à des organismes internationaux pour trancher. Par contre, il n'existe rien en ce qui concerne les droits économiques, sociaux et culturels.
La personne que vous avez entendue en février critiquer la position scandaleuse du Canada dans ce dossier avait parfaitement raison. Le Canada, j'irais jusqu'à le dire, est catégoriquement opposé à cette idée. La position que le Canada continue à défendre sur la scène internationale veut que les droits économiques, de par leur nature même, échappent à toute mesure ou à tout arbitrage, qu'il s'agisse d'aspirations politiques ou de décisions budgétaires du gouvernement. Il ne s'agirait pas de droits semblables aux autres droits, dans la mesure où l'individu devrait pouvoir dire ceci est mon droit, on me l'a refusé, voici ma plainte et j'exige réparation.
C'est précisément ce qu'il nous faut dans le cas de ces droits, et tant et aussi longtemps que nous ne commencerons pas à voir se concrétiser certains de ces éléments sur la scène internationale ainsi que devant nos propres tribunaux, les droits économiques, sociaux et culturels demeureront des promesses vagues que personne ne veut vraiment faire avancer.
Mme Alexa McDonough: Merci pour cet éclaircissement parce que je ne voulais pas que cette question du protocole facultatif porte à confusion. Dans mon enthousiasme, j'avais un peu sauté les étapes.
Le président: Madame McDonough, vous avez déjà eu bien plus de cinq minutes.
La parole ira donc maintenant à monsieur Bevilacqua.
L'hon. Maurizio Bevilacqua: Merci, monsieur le président.
Monsieur Neve, je parlais avec quelques électeurs du dossier des droits humains en général. Et ces électeurs m'ont posé une question très intéressante à laquelle vous m'aiderez peut-être à répondre. Ils m'ont demandé ce qu'on pouvait faire en bout de ligne pour faire changer d'attitude à un pays qui se rend coupable de violation des droits humains. Voilà donc la question.
M. Alex Neve: Et bien, j'aimerais bien qu'il y ait une réponse toute simple à ce genre de questions. Mais la réponse est complexe. Tout dépend bien sûr du pays en question. Tout dépend du genre de violation des droits humains, mais il y a un processus qui doit être engagé à la fois dans le pays et à l'étranger.
« Dans le pays » signifie—et c'est là précisément où il faut être très attentif à ce que nous faisons de notre budget de l'aide au développement—aider et appuyer les collectivités locales, les groupes, les institutions qui travaillent pour la défense et la promotion des droits humains afin que la voix des droits humains, qui depuis 30 ans, commence à se faire entendre dans le monde entier comme jamais auparavant avec beaucoup d'enthousiasme... Chaque fois qu'il y a conflit armé, dans les pays qui se livrent à une répression sauvage et dans les pays où il y a depuis longtemps des violations des droits humains, il y a toujours des petits groupes d'individus courageux, braves et ingénieux qui, travaillant dans leur quartier, dans la communauté, dans leur ville ou même à l'échelle nationale, tiennent des registres des violations des droits humains, éduquent leurs voisins et leurs condisciples et leur donnent des moyens d'action pour défendre les droits humains et prennent la parole publiquement sur le plan national pour exiger que ces violations cessent.
C'est un travail incroyable, mais ces gens sont également, dans de très nombreux pays, parmi les membres de la société les plus attaqués. Ce travail, qui devrait bien sûr être reconnu comme l'un des aspects les plus importants d'une société, peu importe le pays, est sans doute aussi parmi les choses les plus dangereuses qu'on puisse faire. Ces gens sont dans le collimateur des escadrons de la mort, des groupes de guérilleros, ils sont jetés en prison, assassinés, voire expulsés de leur pays. Par conséquent, tout ce que nous pouvons faire pour continuer à renforcer le développement d'une communauté nationale qui milite pour les droits humains, même dans les pays qui ont un palmarès atroce à cet égard, doit être pour nous une priorité absolue.
Cela dit, les pressions exercées depuis l'extérieur sont essentielles. Tout ne peut pas se faire dans le pays même. Ces pressions exercées depuis l'extérieur sont souvent, entre autres, ce qui renforce la donne et fournis aux communautés locales qui militent pour les droits humains l'engagement, l'énergie et l'inspiration nécessaires. Ces pressions ne veulent pas dire que nous voulons voir le Canada publier tous les deux jours un communiqué de presse agressif pour dénoncer la violation des droits humains commise dans tel ou tel pays. Oui, c'est l'une des façons dont nous nous y prenons pour défendre en quelque sorte les droits humains depuis l'étranger, mais il y a beaucoup d'autres façons de faire qui sont beaucoup moins audibles. On procède par échanges bilatéraux, lorsque des ministres se rencontrent et que certaines choses sont dites avec beaucoup de vigueur.
Mais il n'y a pas que les échanges bilatéraux; il y a aussi les initiatives multilatérales. De sorte que le fait de travailler avec des organismes comme la Commission des droits de l'homme des Nations Unies, malgré tous ses défauts, demeure le seul genre de forum international pour les droits humains à l'échelle planétaire dont nous disposons actuellement. C'est également une tribune essentielle pour exercer des pressions.
Il n'y a donc pas de réponse facile à cette toute petite question, si ce n'est de dire que nous devons, comme je le disais, continuer à faire les choses à la fois depuis l'intérieur et depuis l'extérieur. Il faut continuer à appliquer toute une palette de stratégies, dont certaines se traitent à l'échelle publique et d'autres sont beaucoup plus subtiles et beaucoup moins visibles. Certaines de ces initiatives consistent à donner généreusement de l'argent en veillant bien à ce que ce soit les bonnes initiatives qui bénéficient ainsi du soutien financier nécessaire; mais il y a d'autres initiatives qui relèvent davantage de la diplomatie et de ce genre d'intervention.
À (1040)
L'hon. Maurizio Bevilacqua: Cela fait combien de temps que vous travaillez au sein de ce mouvement, de cette coalition en faveur des droits humains?
M. Alex Neve: Je dirais que dans mon cas, j'ai commencé à militer pour les droits humains il y a une vingtaine d'années. J'occupe mon poste de secrétaire général d'Amnistie internationale Canada depuis cinq ans.
L'hon. Maurizio Bevilacqua: Ces 20 dernières années, si vous deviez me les décrire par des progrès ou des échecs, selon le cas, que me diriez-vous?
M. Alex Neve: Il y a beaucoup des deux, et c'est ce qui me fait croire pour ma part qu'il vaut la peine de poursuivre ce travail.
Au cours de ces vingt années, nous avons eu le Rwanda, le Darfour et le Timor-Oriental, et ces événements suffisent à me rappeler de la façon la plus frappante qui soit la raison pour laquelle il est si essentiel de poursuivre ce travail.
Nous avons assisté à de grandes réalisations, la fin de l'apartheid, la fin des dictatures militaires dans la plupart des pays de l'Amérique latine—sans vouloir laisser entendre qu'il n'y a plus de graves préoccupations en matière de droits de l'homme en Amérique latine—et nous avons constaté d'importantes percées grâce aux efforts déployés pour ouvrir une brèche dans l'un des plus tenaces obstacles au respect des droits de l'homme, l'impunité. Nous avons vu naître la Cour pénale internationale et les tribunaux du Rwanda et de la Yougoslavie, et nous avons maintenant des gouvernements qui manifestent une véritable détermination à s'assurer que les auteurs d'atteintes aux droits de la personne auront à répondre de leurs horribles méfaits devant la justice. C'est une autre remarquable percée.
C'est donc les deux. Je ne sais pas comment je les répartirais. D'un jour à l'autre ou d'une semaine à l'autre, je dirais probablement que l'équilibre varie un peu. Ça va et ça vient.
À (1045)
L'hon. Maurizio Bevilacqua: Je n'ai qu'une dernière question, parce que je pense que vous m'avez promis que votre... n'est-ce pas?
Le président: Allez-y. J'avais promis.
L'hon. Maurizio Bevilacqua: Que pensez-vous du recours à la force?
M. Alex Neve: Voulez-vous dire le recours à la force de façon générale, ou le recours à la force pour mettre fin aux atteintes aux droits de la personne...
L'hon. Maurizio Bevilacqua: C'est cela.
M. Alex Neve: ...l'intervention à des fins humanitaires?
Sur le plan organisationnel, Amnistie internationale ne s'y oppose pas ni ne l'encourage. Nous pouvons comprendre et voir les raisons pour lesquelles beaucoup pensent que c'est une chose importante à promouvoir dans certains cas. Nous avons aussi de graves préoccupations liées au fait que les interventions d'ordre humanitaire, si bien intentionnées qu'elles soient, contribuent presque toujours à des violations des droits de la personne. Nous pensons donc que c'est quelque chose qui ne doit être entrepris qu'avec la plus grande prudence.
Nous sommes aussi un peu préoccupés de voir que l'attention qu'on y accorde de plus en plus en tant que grande solution aux crises que connaît le monde en matière de droits de la personne risque de nous détourner de l'aspect sur lequel nos véritables efforts et notre véritable travail doivent porter—c'est-à-dire la prévention des crises avant même qu'elles n'éclatent.
C'est un peu comme à l'échelle nationale, où l'on est souvent tenté quand un crime a été commis, par exemple, de dire : « Embauchons davantage de policiers. Construisons davantage de prisons ». Plus de policiers, plus de prisons... Ce qui parfois nous détourne de ce sur quoi nous devons vraiment nous concentrer. À savoir quels sont les maux sociaux qui sous-tendent cette montée du crime ou ces tendances à la criminalité, et voyons-y.
Nous ne voulons pas que le monde devienne trop obnubilé par cette idée qu'il suffira toujours d'envoyer des soldats pour contrer les atteintes aux droits de la personne et que l'on oublie que c'est sur le dur travail de prévention à long terme, travail parfois presque invisible, que nous devons vraiment nous concentrer.
L'hon. Maurizio Bevilacqua: Mais est-ce parfois la réponse?
Le président: Monsieur Bevilacqua, c'est terminé.
Nous allons maintenant entendre les questions de M. Sorenson et de Mme Lalonde.
Monsieur Sorenson.
M. Kevin Sorenson: Merci pour votre honnêteté. Quand vous dites que nous avons connu beaucoup de succès et que nous avons aussi eu quelques échecs, je suppose que si vous n'aviez pas eu d'échecs ou s'il n'y avait pas eu de cas où vous n'avez pas obtenu l'effet escompté, vous auriez perdu votre raison d'être. Je pense que cela fait partie de la vie.
Quel est le budget dont dispose Amnistie internationale, et d'où vient ce financement?
M. Alex Neve: Nous sommes financés entièrement grâce à des dons privés. Amnistie internationale n'accepte de fonds publics d'aucun gouvernement au monde, même un gouvernement comme le Canada qui a un bon dossier, théoriquement, au chapitre des droits de la personne. Nous agissons ainsi parce que nous tenons à conserver une indépendance et une impartialité totale.
Ici au Canada, notre budget est d'environ 9 millions de dollars par année, dont la majeure partie sert à financer le travail que nous effectuons au niveau international, mais dont une bonne partie est aussi dépensée directement au Canada pour faire des campagnes, de la sensibilisation, de l'action directe et ce type de programmes. Il s'agit presque entièrement de petits dons individuels. Je peux vous assurer que nous ne recevons pas de dons de plusieurs millions de dollars des grandes sociétés canadiennes. Ce sont des gens qui acceptent de nous fournir des dons de 20 $ par mois, 30 $ par mois ou 200 $ par année. Il s'agit en fait de simples Canadiens qui croient que les droits de la personne sont importants et qui veulent contribuer à cette cause.
Amnistie internationale Canada compte environ 70 000 membres et c'est grâce à leurs dons que nous sommes en mesure de faire notre travail.
[Français]
Une voix: [Inaudible]
M. Alex Neve: Il y a deux Amnistie, en effet.
[Traduction]
M. Kevin Sorenson: Je vous remercie.
[Français]
Le président: Madame Lalonde.
Mme Francine Lalonde: Merci, monsieur Neve.
Il s'agit ici d'une question difficile — elles le sont toutes, en fait —, c'est-à-dire la protection des citoyens canadiens contre la torture. Nous avons vécu des cas dramatiques ces dernières années et nous avons tous essayé de défendre les personnes victimes de ces événements. Zahra Kazemi a connu une mort terrible. Je ne prendrai pas le temps de décrire la situation, mais il y a eu les cas Arar, Kazemi, Bouzari et Sampson.
Le Canada fait face à un double problème. Il peut difficilement défendre les citoyens de deuxième nationalité dans des pays qui pratiquent la torture. En outre, ces personnes ne disposent au Canada d'aucun moyen pour obtenir compensation. Les tribunaux canadiens l'ont confirmé et le rapport des Nations Unies l'a souligné.
Quelle est votre position à ce sujet? Est-ce que cette question ne devrait pas être incluse dans l'énoncé? Ces événements ont beaucoup habité l'imaginaire canadien.
À (1050)
[Traduction]
M. Alex Neve: Vous avez tout à fait raison. Au cours des dernières années, cela est de toute évidence devenu une question urgente qui a beaucoup retenu l'attention du public—en ce qui concerne les cas dont vous avez parlé—mais il existe en fait de nombreux autres cas au-delà de ceux-ci qui n'ont pas reçu le genre d'attention publique et de notoriété qui ont été accordées à cette poignée de cas.
Cette question pose d'énormes difficultés—personne ne dit le contraire—et la double nationalité en est un élément.
Je crois effectivement que l'énoncé de politique internationale aurait dû approfondir cette question et y accorder plus d'attention. On y parle de la nécessité de renforcer et d'élargir les services consulaires et d'en améliorer les ressources. Nous pensons que...
Mme Francine Lalonde: Songez-vous à la signature du protocole de Vienne, peut-être?
M. Alex Neve: Oui.
Mais en ce qui concerne les services consulaires, nous appuyons certainement l'idée selon laquelle il faut les renforcer et cela devrait être au premier plan des préoccupations réelles du gouvernement, parce que ce genre de situations risque de se reproduire.
Et ce n'est pas uniquement dans ce domaine difficile et épineux de la sécurité et des droits de la personne, où certains de ces cas ont surgi, c'est-à-dire des personnes faisant l'objet d'enquête de contre-terrorisme ici au Canada qui se trouvent soudainement emprisonnées en Syrie, et cela, de plus en plus. Qu'est-ce qui est en jeu ici? Quelles sont les tendances qui se dessinent? Quel est le rôle du Canada?
L'enquête dans l'affaire Maher Arar permettra de répondre à certaines de ces questions mais sera d'une portée limitée pour ce qui est d'aborder la question plus générale des tendances et des politiques en jeu ici, et c'est un point critique. Nous ne devons pas perdre cet aspect de vue.
Mais il faut nettement améliorer les ressources dont disposent les services consulaires. Ce qui m'a frappé, tant dans l'enquête sur l'affaire Maher Arar qu'en ce qui concerne un certain nombre de cas auxquels je me suis intéressé, c'est qu'il existe un manque flagrant de formation en ce qui concerne les fonctionnaires consulaires et il faut de toute urgence y remédier pour qu'ils puissent faire leur travail, visiter les prisons, par exemple, où l'on emprisonne des personnes dans des circonstances moins qu'idéales en raison de la double nationalité et où le Canada n'est pas autorisé à avoir des visites privées.
Comment peut-on effectuer des visites de manière à déterminer de la façon la plus fiable possible s'il y a eu torture? Ce genre de compétences n'existe tout simplement pas. Certains parviennent à en acquérir des bribes ici et là dans le cadre de leur travail. Il faut que les services consulaires s'engagent réellement à assurer cette formation.
Il existe toute sorte d'initiatives en matière de réforme du droit que nous devrions prendre. Oui, il est essentiel que nous signions le protocole facultatif de la Convention de Vienne sur les relations consulaires afin que nous puissions porter devant la Cour pénale internationale les différends concernant l'accès consulaire, et comme vous l'avez signalé, il est aussi nécessaire de réformer le droit, de s'assurer que les personnes qui reviennent au Canada et qui ont été torturées à l'étranger peuvent effectivement recourir à notre système judiciaire pour obtenir justice. L'absurdité de la chose, c'est que nos tribunaux, notre gouvernement, nos lois se trouvent à dire à ces personnes : « Nous sommes désolés. Nous comprenons que vous avez vécu une expérience horrible, mais l'immunité des États doit prévaloir ». Et le gouvernement en question se trouvera protégé dans notre système judiciaire et n'aura pas à répondre de ces actes.
Depuis de nombreuses années, nous faisons des pressions pour que l'on réforme le droit à cet égard. Certaines personnes ont essayé d'aller elles-mêmes devant les tribunaux pour des contestations fondées sur la Charte et par d'autres moyens, pour contrer cette absurdité des lois canadiennes. Nous devons en arriver à un stade où l'on fait clairement comprendre qu'aucun gouvernement n'est à l'abri de poursuites judiciaires devant nos tribunaux pour des actes que réprouve au plus haut point la communauté internationale, c'est-à-dire la torture, les crimes contre l'humanité, les crimes de guerre. Il n'y a pas de place pour ce genre d'immunité dans les lois canadiennes.
[Français]
Mme Francine Lalonde: Merci beaucoup.
[Traduction]
Le président: Avant de clore la séance, j'ai une question pour vous, monsieur Neve.
En ce qui concerne le nouveau Conseil des droits de l'homme proposé par le secrétaire général des Nations Unies pour remplacer la Commission des droits de l'homme actuelle, Amnistie internationale a-t-elle des suggestions concrètes quant à la structure ou au fonctionnement d'un tel conseil?
M. Alex Neve: Effectivement, mais je n'ai pas le temps de vous en donner tous les détails.
Le président: C'est vrai, mais peut-être que vous pourriez les fournir au comité.
M. Alex Neve: Nous avons élaboré un document à ce sujet.
Le président: J'aimerais le recevoir.
M. Alex Neve: Il contient environ 15 pages, il n'est ni trop long, ni trop court.
Nous appuyons fortement cette proposition, et nous sommes très heureux de voir que le gouvernement canadien la favorise aussi. Comme je l'ai déjà dit, j'exhorterais tous les membres du comité, mais aussi les parlementaires en général, à ne ménager aucun effort au cours des semaines et des mois à venir avant le sommet de septembre pour bien faire entendre notre voix canadienne dans les cocktails de par le monde, pour vous assurer qu'on fait tout pour que cette initiative réussisse.
Le président: J'aimerais recevoir votre document, s'il vous plaît.
À (1055)
M. Alex Neve: Je vais vous l'envoyer aujourd'hui même.
Le président: Merci, monsieur Neve. Il nous fait toujours plaisir de vous recevoir ici.
Pardon, madame. Madame McDonough.
Mme Alexa McDonough: Avons-nous prévu des témoins pour mardi, étant donné que nous serons ici?
Le président: Nous avons prévu d'accueillir M. d'Aquino et son groupe mardi matin, mais nous allons voir si la Chambre siège toujours à ce moment-là.
Une voix : Je veux rentrer.
L'hon. Maurizio Bevilacqua: Si la Chambre siège, allons-nous tenir une réunion du comité?
Le président : Oui. Si la Chambre siège, le comité va siéger.
Une voix : Malheur.
[Français]
Le président: Merci.
La séance est levée.