FAAE Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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Délibérations du comité sénatorial permanent des
affaires étrangères
Fascicule 1 - Témoignages du 3 novembre 2004
OTTAWA, le mercredi 3 novembre 2004
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères se réunit aujourd'hui à 16 h 5, conjointement avec le Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international de la Chambre en vue de rencontrer une délégation de parlementaires allemands.
Le sénateur Peter A. Stollery et M. Bernard Patry (coprésidents) président la réunion.
[Note de la rédaction : Certains témoignages ont été présentés par l'intermédiaire d'un interprète allemand.]
[Traduction]
Le coprésident (M. Patry) : Bonjour mesdames et messieurs. Bienvenue à cette réunion conjointe du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international de la Chambre des communes, conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, en vue de rencontrer une délégation du Bundestag allemand.
Je souhaite la bienvenue à nos collègues parlementaires d'Allemagne. C'est un plaisir d'accueillir des parlementaires en visite. Nos gouvernements font un excellent travail en matière de relations internationales, mais nous savons tous que les parlementaires de pays avec lesquels nous n'avons pas nécessairement des contacts suivis, peuvent souvent nous apporter beaucoup.
Je sais que mes collègues des deux chambres seront intéressés à vous poser des questions sur de nombreux sujets allant de la situation dans l'Union européenne à l'avenir du multilatéralisme et des relations transatlantiques. Au lendemain des élections américaines, cette question est particulièrement intéressante. J'aimerais ajouter que quelques- uns d'entre nous ont eu la chance de rencontrer il y a deux semaines un de vos anciens collègues qui est actuellement coordonnateur des relations nord-américaines au sein de votre ministère des Affaires étrangères.
Le Comité de la Chambre des communes et le Comité sénatorial des affaires étrangères ont consacré, depuis quelques années, une assez grande partie de leurs travaux à des questions d'intérêt mutuel pour le Canada et l'Allemagne, abordant divers domaines allant des relations commerciales et autres entre le Canada et l'Union européenne aux questions plus larges des relations avec les pays du monde musulman.
La principale utilité de la présente réunion est toutefois de nous donner la possibilité de mieux comprendre ces questions générales tout en nous familiarisant avec la situation en Allemagne.
Nos deux pays sont différents à plus d'un titre, mais ils ont également beaucoup en commun au niveau des défis auxquels nous devons faire face sur le plan intérieur et sur le plan international et des approches que nous adoptons pour y réagir. Il nous sera probablement utile, de part et d'autre, d'accorder plus d'attention à nos homologues étrangers et de renforcer notre coopération parlementaire.
Pour cette raison, nous nous félicitons de votre démarche et vous remercions de votre visite. Je vais maintenant passer la parole à mon collègue du Sénat.
Le coprésident (le sénateur Stollery) : Sehr geehrte Gäste, Mitglieder des deutschen Bundestages.
Honorables sénateurs, chers collègues de la Chambre des communes, en tant que président du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères, j'ai le plaisir de vous souhaiter la bienvenue à cette séance conjointe avec le Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international de la Chambre des communes.
Comme vous le savez, nos deux pays entretiennent des liens très étroits. Plus d'un million de Canadiens ont des ancêtres allemands, constituant ainsi le cinquième plus grand groupe ethnolinguistique du pays. En outre, environ 1 000 citoyens allemands immigrent chaque année au Canada, tandis que 2 000 étudiants viennent chez nous afin de poursuivre leurs études, que 2 000 autres personnes viennent travailler temporairement au Canada et que 420 000 touristes allemands, le chiffre est impressionnant, choisissent notre pays comme destination de vacances.
[Français]
Depuis l'établissement des relations diplomatiques en 1951, le Canada et la République fédérale d'Allemagne mettent à profit des liens forts et collaborent dans toutes les sphères d'activités tels que les secteurs politique, économique, culturel, social, militaire et, bien sûr, parlementaire.
Aujourd'hui nous comptons l'Allemagne parmi nos alliés bilatéraux des plus importants.
[Traduction]
M. Patry a dû quitter; il m'avait averti qu'il devait assister à une autre réunion et qu'il sera de retour vers 16 h 30.
M. Kevin Sorenson (coprésident suppléant) occupe le fauteuil.
Le coprésident (le sénateur Stollery) : Zum Schluss, ich heisse Sie noch einmal herzlich willkommen!
Je donne maintenant la parole à Mme Lietz qui a, je crois, une déclaration à faire.
Mme Ursula Lietz, députée du Bundestag, Union chrétienne-démocrate (CDU); présidente du Groupe d'amitié parlementaire Canada-Allemagne : Honorables sénateurs, honorables députés, merci beaucoup. Nous sommes très heureux d'être ici et nous vous remercions d'avoir pris le temps de nous accueillir. J'espère que nous aurons suffisamment de sujets de conversation pour occuper le temps qui nous a été imparti, puisque partout où nous nous rendons au Canada, nous découvrons avec nos interlocuteurs que nous n'avons pas de grands problèmes à évoquer, ce qui, en passant, est également une bonne nouvelle.
Nous avons passé deux jours à Toronto où nous nous sommes entretenus essentiellement avec des investisseurs et des représentants d'entreprises allemandes qui ont des filiales au Canada. Nous sommes ici aujourd'hui et demain pour aborder avec vous divers sujets politiques. Nous avons eu un bref entretien avec le Président de la Chambre des communes et nous avons invité, par son intermédiaire, plusieurs députés à nous rendre visite. Nous avons également demandé au Président de nous aider à mettre en place des programmes d'échange avec différentes personnes au Canada, en particulier des politiciens.
Nous avons un grand programme d'échanges internationaux — auquel collaborent les États-Unis — avec 50 pays des diverses régions du monde. Nous recevons en Allemagne des jeunes de l'ancien bloc de l'Est, d'Ukraine, de Roumanie et de Bulgarie. Il est important pour nous de dialoguer avec les jeunes de cette génération qui auront à exercer des responsabilités au cours des années à venir.
Nous envisageons de mettre sur pied des programmes d'échange avec des étudiants de niveaux secondaire et universitaire, des jeunes travailleurs et des jeunes gestionnaires et nous souhaiterions également échanger régulièrement des points de vue avec des politiciens.
Nous reviendrons demain pour parler de fédéralisme, un sujet sur lequel nous nous penchons de part et d'autre actuellement. Nous nous rendrons ensuite à Montréal où nous aurons quelques entretiens avant de rentrer chez nous samedi.
Ces derniers jours, nous avons abordé un certain nombre de questions et nous avons découvert qu'il est très agréable de dialoguer avec les parlementaires canadiens et que nous partageons le même point de vue sur de nombreuses questions. Cela ne signifie pas toutefois qu'il faudrait cesser de dialoguer car, pour trouver des points communs, il faut se parler.
Le coprésident (le sénateur Stollery) : Quelqu'un d'autre souhaite-t-il prendre la parole?
M. Menzies : Bienvenue au Canada, à Ottawa, et à cette séance réunissant des députés et sénateurs. J'ai eu plaisir à entendre vos commentaires sur les programmes d'échange. Il y a une quinzaine d'années, un étudiant allemand avait passé l'été chez nous à la ferme, grâce à un programme d'échange. Il venait du nord de l'Allemagne, d'une localité située entre Lingen et Meppen, sur les rives de l'Ems. Nous avons beaucoup appris sur votre pays grâce à cet échange et je partage votre point de vue sur le potentiel des programmes d'échange à tous les niveaux. Les échanges de jeunes sont très utiles, mais les échanges de parlementaires qui comprennent les enjeux communs à nos deux pays sont également fort intéressants.
J'aimerais vous poser une question concernant les accords de libre-échange. Je crois que l'Allemagne a signé plusieurs accords de libre-échange. Le Canada en a fait de même. Bien entendu, nous sommes signataires d'un accord dont nous sommes très fiers dans cet hémisphère, l'Accord de libre-échange nord-américain, qui nous a été très profitable.
Je crois que l'Allemagne et le Canada auraient de nombreux avantages à signer un accord de libre-échange et je ne comprends pas pourquoi nous ne l'avons pas déjà fait. C'est peut-être de notre faute.
Mme Lietz : Je dois avouer pour commencer que j'avais peur que vous posiez la question. Nous en parlons depuis de nombreuses années. Chaque fois que je rencontre l'ambassadeur, il me demande pourquoi ce dossier ne progresse pas, d'autant plus que nous avons déjà conclu un accord de libre-échange avec le Mexique. Nous répondons généralement que nous travaillons à amener le Mexique à notre niveau, mais nous espérons à notre retour aborder cette question avec notre comité des affaires étrangères afin de la remettre à nouveau à l'étude.
Le dossier a été un peu retardé. Je ne peux pas vous dire exactement pourquoi, parce que je ne suis pas membre du comité des affaires étrangères, mais je vous promets que j'en parlerai dès mon retour.
M. Menzies : Ne nous oubliez pas et souvenez-vous de nos noms. Nous souhaitons collaborer avec vous dans ce processus.
Mme Lietz : Ce serait très profitable également pour nous. Ce ne serait pas si mal de devenir membre de l'ALENA par l'intermédiaire du Canada.
M. Menzies : Le Canada estime que l'Organisation mondiale du commerce offre un immense potentiel, mais nous pensons aussi qu'il serait avantageux de conclure des ententes de libre-échange avec des partenaires autres que nos partenaires nord-américains. C'est certainement une démarche nous nous appuierions.
Le sénateur Prud'homme : Bienvenue à Ottawa. J'aimerais souligner le travail remarquable que fait votre ambassadeur au Canada et son personnel. Cela encourage beaucoup tous ceux qui croient que le Canada et l'Allemagne devraient entretenir des relations étroites.
Vous vous rendrez compte par les questions qui vous seront posées que, même ici, il y a beaucoup de gens qui appuient fermement les politiques que vous appliquez en Europe. Je pense par exemple à l'Irak. Savez-vous par exemple que 200 000 personnes ont manifesté à Montréal, ma ville, contre la guerre? Par ailleurs, une manifestation avait réuni 10 000 personnes à Toronto, la ville où vous étiez hier. Je suis ravi que vous alliez à Montréal demain. Cela prouve que vous essayez de maintenir un bon équilibre et nous devrions nous-mêmes appliquer la même philosophie. Certains me reprocheront peut-être d'utiliser un langage qui n'est pas approprié en ces lieux, mais je considère que c'est ma prérogative, puisque je suis le doyen.
L'OTAN a toujours été un de mes points d'intérêt. J'ai étudié cette organisation en 1968. J'aimerais savoir comment vous percevez l'OTAN, parce que certaines personnes confondent allié et ami. On peut être l'ami d'un pays sans être son allié. L'Allemagne et le Canada sont des pays alliés et amis, ce qui signifie que nous sommes une partie de vous et que vous êtes une partie de nous. Les gens font un grand usage des termes « amis » et « alliés ». Un allié, ce n'est pas la même chose qu'un ami.
D'après vous, quel est le rôle de l'OTAN, compte tenu de sa base nettement élargie?
Mme Lietz : C'est une question à laquelle je peux répondre, puisque je suis membre du Comité de la défense et que l'OTAN relève par conséquent de mes attributions parlementaires. En effet, l'OTAN a beaucoup changé depuis quelques années et continuera encore à changer probablement. D'après moi et d'après mes collègues, les membres européens de l'OTAN sont prêts à accepter plus de responsabilités en Europe et seront, espérons-le, capables de les assumer. C'est ce que nous faisons actuellement dans les Balkans. Beaucoup de soldats allemands sont actuellement en mission au Kosovo. D'autres sont affectés dans certaines régions des Balkans comme la Bosnie et la Macédoine et je crois qu'ils font du bon travail.
Nos deux pays travaillent ensemble en Afghanistan, dans le cadre d'une responsabilité commune à l'extérieur de l'Europe. Les progrès sont extrêmement lents, mais je pense que nous sommes en bonne voie de ramener la démocratie dans ce pays. Je suis certaine que cela prendra des années. Nous avons parlé de cette situation ce matin avec M. Jim Wright, le sous-ministre adjoint du MAECI.
Le président Karzai vient tout juste d'être élu en Afghanistan, pays qui connaîtra d'autres élections l'an prochain. Nous partageons la responsabilité de ramener la paix et la démocratie dans ce pays. Nous sommes sur la bonne voie, mais cela ne veut pas dire que nous ne devrons pas faire face à d'autres problèmes à l'avenir.
Nous procédons actuellement à la mise en place de groupes régionaux en vue de rebâtir des structures démocratiques. Je sais que la construction régionale est un de vos projets. Nous travaillons à Kunduz et Faizabad. C'est une mission dangereuse mais importante. Nous en avons parlé ce matin. Par ailleurs, il nous faudra encore patienter quelque temps avant de trouver une solution au problème de la drogue en Afghanistan. Il y a beaucoup de choses à faire et je pense que les membres européens de l'OTAN sauront prendre leurs responsabilités.
Permettez-moi de souligner la très grande importance du lien transatlantique avec les États-Unis et le Canada, en dehors des responsabilités que nous voulons prendre en Europe. Le lien entre votre pays, les États-Unis et les partenaires européens de l'OTAN doit être extrêmement solide. En conjuguant nos efforts, je suis certaine que nous pourrons résoudre de nombreux problèmes.
Le coprésident suppléant (M. Sorenson) : J'aimerais que les membres du comité se présentent de nouveau, puisque de nombreux députés et sénateurs sont réunis dans cette salle. D'autre part, plusieurs partis politiques sont représentés. Je vais donc demander aux membres des deux comités de se présenter et de préciser aux membres de la délégation s'ils sont députés ou sénateurs et quel parti politique ils représentent.
C'est M. Menzies, député conservateur, qui vient de parler en dernier.
Nous allons maintenant passer à Mme Lalonde.
[Français]
Mme Francine Lalonde, députée, Bloc québécois, La Pointe-de-l'Île : Je suis porte-parole en matière d'affaires étrangères pour le Bloc québécois, ce parti qui, aux dernières élections, a remporté 54 des 75 sièges du Québec.
J'ai eu le plaisir de participer à l'Assemblée parlementaire de l'OFCE, à Berlin. J'ai été charmée par l'accueil ainsi que par votre magnifique parlement.
J'ai également eu le plaisir de travailler avec plusieurs collègues allemands au Conseil de l'Europe, dont M. Binding, qui est toujours dans vos rangs, et qui est très bien connu au Conseil de l'Europe. Leur travail acharné était remarquable, notamment à la défense des droits.
Vous allez me permettre de poser quelques questions sur l'Allemagne, parce que vous êtes un joueur très important dans l'Union européenne, depuis cet extraordinaire coup de la réunification du chancelier Kohl. Même si cela vous a coûté beaucoup, il reste que vous êtes devenu un joueur à nul autre pareil.
En tant que tel, j'aimerais savoir ce qui se passe chez vous par rapport à la constitution européenne. Est-ce qu'on aura du mal à ratifier la constitution européenne, suite à l'admission de la Turquie et à ce que je pourrais appeler la nécessaire sortie de crise en Irak? Malgré le travail remarquable que vous avez fait en Allemagne de l'Est, existe-t-il une montée de certaines inquiétudes qu'on aimerait mieux ne pas revoir?
[Traduction]
Mme Lietz : Je vais tenter de répondre à ces trois ou quatre points et je laisserai ensuite la parole à ma collègue parce qu'à vrai dire, nous ne partageons pas les mêmes opinions politiques. Je souhaiterais quant à moi que tous les partis aient la possibilité de présenter leur opinion, surtout sur des questions concernant la Turquie, par exemple.
Mais avant cela, ce serait peut-être bien que les membres de ma délégation se présentent et vous disent de quel comité ils font partie afin que vous puissiez par la suite leur poser des questions.
Je vais commencer par les deux coprésidentes du Groupe d'amitié parlementaire Canada-Allemagne, Mme Monika Heubaum et Mme Sibylle Laurischk.
[Traduit de l'interprétation]
Mme Monika Heubaum, députée (Bundestag), Parti social-démocrate d'Allemagne (SPD); première vice-présidente du Groupe d'amitié parlementaire Canada-Allemagne : Merci beaucoup. Je vais parler allemand parce que c'est plus facile pour moi et aussi parce que je sais que vous avez d'excellents interprètes.
On nous a posé toutes sortes de questions intéressantes. Il a été question de l'Union européenne. Cette structure politique nous paraît extrêmement bénéfique, parce qu'elle étend considérablement le nombre de pays avec lesquels nous vivons en paix. Les liens économiques viennent renforcer cette culture de paix que nous avons établie. C'est pourquoi, nous sommes extrêmement satisfaits et nous avons obtenu non seulement la réunification de l'Allemagne, mais la réunification progressive de l'Europe elle-même, un processus que nous accueillons tous favorablement.
Dans ce contexte, bien entendu, l'entrée de la Turquie au sein de l'Europe est un sujet de controverse en Allemagne. C'est une question à l'ordre du jour, étant donné que l'Union européenne vient tout juste d'admettre plus de dix pays et que le processus d'acclimatation économique est en cours. Les pays et institutions qui travaillent à Bruxelles sont de plus en plus nombreux et il faut mettre en place une structure. En revanche, cela fait 40 ans que l'on discute de l'entrée éventuelle de la Turquie dans l'Union européenne. Nous devons maintenant poursuivre ce débat. Il n'est pas question pour le moment d'inclure directement la Turquie dans l'Union, mais nous devons amorcer le processus. Ce sont deux questions très différentes, parce qu'il s'agit d'une structure très étendue.
Il y a aussi les critères de Copenhague que doit respecter tout pays candidat à l'entrée dans l'Union européenne. La Turquie devra faire un effort considérable afin de remplir les conditions préalables. Elle a déjà fait beaucoup de progrès en matière législative sur des questions telles que l'abolition de la peine de mort, le respect des droits de la personne et d'autres enjeux tels que l'indépendance et le contrôle de l'armée.
Il serait tout à fait ridicule d'affirmer maintenant que l'on n'a pas l'intention d'entamer des négociations avec la Turquie. Cela aurait un effet très grave qui se traduirait par le ralentissement et l'arrêt du processus en Turquie. La politique européenne ne peut pas se donner pour but de bloquer l'entrée d'un pays, mais pour que le processus avance, les membres de l'Union européenne doivent se pencher sérieusement sur l'inclusion de la Turquie.
Les opinions divergent beaucoup sur le sujet. Je suis membre du Parti social-démocrate dans la coalition. L'Union chrétienne-démocrate à laquelle appartient Mme Lietz a un point de vue très différent sur le sujet, mais je suis convaincue que nous devons poursuivre dans la voie que nous avons choisie, même s'il faudra attendre 15 ou 20 ans pour que la Turquie remplisse toutes les conditions préalables à son admission à titre de membre à part entière.
Mme Sibylle Laurischk, députée (Bundestag), Parti libéral-démocrate (FDP); deuxième vice-présidente du Groupe d'amitié parlementaire Canada-Allemagne : Honorables sénateurs et députés, j'aimerais moi aussi vous remercier de nous avoir invités. Je suis membre du Parti libéral-démocrate. Je siège au Bundestag depuis 2002. Je suis originaire du sud-ouest de l'Allemagne.
Certains prétendent que l'on a manqué une occasion importante d'examiner la candidature de la Turquie avant l'entrée des huit nouveaux pays dans l'Union européenne. Il aurait été préférable d'examiner sa candidature auparavant, puisque désormais il faudra obtenir l'accord de 25 pays membres, ce qui constituera une première épreuve.
Nombreux sont ceux qui croient, dans plusieurs pays européens, qu'il faut soumettre cette proposition à la population. Nous autres libéraux partageons ce point de vue, mais nous sommes minoritaires au Parlement allemand sur cette question.
Il est important et crucial dans l'Union européenne de disposer d'une constitution qui nous offre une base unifiée à l'intérieur de l'Union pour les questions de droit constitutionnel. Dans les divers pays, le Conseil des ministres doit adopter de nombreux textes législatifs. C'est le cas par exemple des projets de loi qui viennent de Bruxelles que, selon les ententes, chaque pays membre doit traduire en lois nationales. C'est un processus extrêmement compliqué, même pour nous, les députés.
Bon nombre des lois adoptées par les différents pays, subissent l'influence des lois européennes. En raison de la perception propre à la population des différents pays membres, les Européens ont toujours du mal à accueillir sans réserve le concept de l'Europe.
Vous avez parlé de la Turquie. En tant que libéraux, nous estimons que nous ne pouvons pas conclure d'ententes à court terme, mais que nous devons nous pencher sur la question soigneusement et sérieusement. Nous ne pouvons négliger le fait que nous avons promis par le passé à la Turquie que l'Union européenne examinerait sa candidature.
Les Turcs ont de grandes attentes et il est important pour cette raison que les États membres de l'Union examinent de façon sérieuse et sans détour la candidature de la Turquie afin d'étudier les perspectives d'avenir, sans les exclure. Parallèlement, l'Union européenne doit définir soigneusement les critères d'entrée des nouveaux membres. Nous devons surveiller l'évolution de la situation en Turquie et attendre les résultats.
Les Européens doivent se pencher sur des processus sérieux et délicats. Mais nous devons avant tout travailler à l'intégration des nouveaux membres que nous venons d'accueillir.
Au sujet de l'Irak, je ne peux pas dire grand-chose. Je vais laisser à mes collègues qui connaissent mieux le sujet que moi, le soin d'en parler. Je vais me contenter de dire que c'est un dossier grave et dangereux.
M. Klaus-Peter Flosbach, député (Bundestag), Union chrétienne-démocrate (CDU); membre du Groupe d'amitié parlementaire Canada-Allemagne : Honorables sénateurs et députés, je siège au Bundestag depuis deux ans et je suis membres du Comité des finances.
Il y a 15 mois, je n'avais vu du Canada que quelques cartes postales. Je ne connaissais pas du tout le pays. En juin dernier, j'ai passé deux jours au Canada avec le Comité des finances. Nous avons passé un jour à Ottawa et un jour à Toronto. J'ai tellement aimé le Canada que dès mon retour en Allemagne, je suis devenu membre du Groupe d'amitié parlementaire Canada-Allemagne.
À ce sujet, j'aimerais parler de « mondialisation », un mot que l'on entend souvent. En 1969, lorsque j'étais écolier, je suis allé en France pendant trois semaines dans le cadre d'un échange et j'ai été accueilli par une famille française. Il y a six ans, mon fils aîné a passé une année complète aux États-Unis dans le cadre d'un échange scolaire, et il était loin d'être le seul! D'autres élèves de sa classe ont fait un stage aux États-Unis, en Australie ou au Canada. Cela peut vous donner une idée de l'ouverture d'esprit des jeunes Allemands et de leur désir de connaître les autres pays. Cela va bien au-delà du concept d'économie nationale.
Quinze ans après la chute du mur, l'Allemagne est ouverte aux influences de toutes parts. Par exemple, la concurrence ne se présente plus comme avant. Après la Deuxième Guerre mondiale, l'Allemagne a connu un très grand essor économique pendant de nombreuses années avant d'être soudainement concurrencée par d'autres pays dont les coûts de main-d'œuvre sont sept fois moins élevés que chez nous. Cela a eu des conséquences très graves sur nos marchés. Parallèlement, nous nous efforçons d'accueillir 25 pays dans notre union.
Imaginez ce qui se produirait au Canada si vous deviez intégrer dix autres provinces dans l'Union canadienne. Nous intégrons de nombreux pays et de nombreux peuples différents et la situation créée par la concurrence de la main- d'œuvre est importante pour nous.
Je me souviens de ce que disait Helmut Kohl lorsque je suis entré en politique. Il disait que la France est notre voisin le plus important, mais que les Américains sont nos plus importants alliés. Nous ne pouvons pas limiter nos intérêts à ces deux pays, mais nous devons réunir les nombreux pays qui partagent les mêmes valeurs que nous. Je crois que c'est particulièrement vrai dans le cas du Canada, car nous partageons les mêmes valeurs et le même ordre économique. C'est pourquoi il est important de renforcer et d'étendre les liens entre l'Allemagne et le Canada.
J'aimerais donner mon opinion au sujet de la Turquie. Il est important d'entamer les négociations. Il est assez difficile en ce moment d'accueillir 25 nouveaux pays dans l'Union européenne. On peut imaginer combien il sera difficile d'intégrer une culture totalement différente dans la famille européenne — un pays qui n'a aucun point commun avec l'ancienne culture européenne. Si nous intégrons la Turquie dans l'Union européenne, pourquoi ne pas envisager immédiatement par exemple d'accueillir aussi la Russie et l'Ukraine? Je crois qu'il pourrait s'avérer trop difficile pour nous, même au bout de 15 ans, d'accepter la Turquie.
Je crois qu'au cours des prochaines années, les pays fondateurs de l'Europe, les six premiers pays — la France, l'Italie, l'Allemagne notamment, ces pays qui constituent le cœur traditionnel de l'Europe — devront renforcer le centre vital de l'Union et ensuite intégrer les 25 pays qui viennent d'être acceptés.
M. Eberhard Otto, député (Bundestag), Parti libéral-démocrate (FDP); entrepreneur : Merci beaucoup pour votre hospitalité et votre invitation à participer aujourd'hui à cette rencontre. Je suis membre des libéraux au Parlement allemand. Je n'appartiens pas au groupe parlementaire, mais je suis membre du Comité des transports, de la construction et du logement qui est chargé de l'infrastructure et de la construction dans l'Est. Il y a 15 ans, j'ai vécu la réunification de l'autre côté. Je suis également membre du Comité de planification économique régionale et dans mon propre caucus, je suis plus actif dans le domaine économique.
Dans le privé, j'ai été un homme d'affaire dans le secteur économique de la construction et des transports.
Je suis originaire d'un des États nordiques de l'Allemagne de l'Est. Pour moi, l'expansion de l'Union européenne est un grand défi. Il y a beaucoup de questions à examiner et bon nombre d'entre elles, comme l'expansion de l'Union européenne vers l'Est, sont d'ordre technique.
Un peu avant le 1er mai, j'étais en Pologne en compagnie du président allemand Johannes Rau et nous avons eu des discussions au sujet de l'expansion de l'Europe. Je dois dire que l'expansion de l'Union européenne vers l'Est présente d'importants problèmes techniques. C'est un processus qui prendra beaucoup de temps. La réunion de nos pays dans le cadre d'une expansion vers l'Est prendra de nombreuses années.
Nous pensions que la réunification des deux Allemagne se ferait rapidement, mais le processus a été beaucoup plus long. Au bout de 15 ans, nous n'avons pas encore atteint le but que nous nous étions fixé et il nous faudra encore dix ans avant d'y parvenir. Je transpose cette expérience aux problèmes que présente l'expansion de l'Union européenne vers l'Est.
La collaboration entre le Bélarus et la Pologne nous fournit un merveilleux exemple. Ces deux pays ont des réseaux ferroviaires dont les voies ferrées n'ont pas le même empattement. Lorsque les trains arrivent à la frontière, ils ne peuvent pas continuer, puisque les voies ferrées sont différentes. Aussi, il faut les décharger puis charger à nouveau les marchandises dans des camions. C'est un surcroît de travail énorme. Dans l'avenir, nous devrons nous pencher sur ces problèmes afin de trouver des solutions.
Dans le cas de la Turquie, je dois dire que, pour le moment, ce n'est pas une considération pour moi. Si des négociations sont entamées, elles dureront au moins 15 ans. Cependant, on ignore pour le moment si elles aboutiront à une conclusion positive ou négative.
Prenez le cas de l'Allemagne de l'Est il y a 15 ans. Nous avons réalisé la réunification de manière pacifique. Cependant, je ne veux pas me prononcer pour le moment au sujet de la candidature de la Turquie. L'Union européenne a déjà 25 États membres. La Roumanie et la Bulgarie — qui sont des pays candidats — feront bientôt leur entrée dans l'Union. Tous ces pays ont une structure différente. Cela n'a rien à voir avec le continent nord-américain où l'on retrouve une certaine unité. En Europe, il y a des différences énormes sur le plan linguistique, en matière de structures et de traditions, et l'intégration prendra très longtemps. Seul l'avenir pourra nous dire ce que tout cela va donner.
M. Bernhard Brinkmann, député (Bundestag), Parti social-démocrate d'Allemagne (SDP); membre du Groupe d'amitié parlementaire Canada-Allemagne : Je siège au Bundestag depuis 1998. Ma circonscription est la magnifique ville d'Hildesheim.
Mes collègues ont parlé des grandes questions auxquelles fait face l'Allemagne, mais j'aimerais parler des négociations avec la Turquie. En Allemagne, on a souvent l'impression que les Allemands sont les seuls à prendre la décision concernant l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne — comme si nous étions les seuls concernés par la décision d'accueillir ou non la Turquie. C'est une question que l'on ne peut éluder, mais le processus sera très long.
Comme l'a dit mon collègue M. Otto, le processus sera long et aboutira à une décision. Cependant, on ne peut absolument pas pour le moment présager de cette décision.
Nous partageons la décision de nos amis Canadiens de ne pas envoyer de troupes en Irak. Chaque jour nous révèle les dangers de la situation en Irak. Il y a des attentats partout, tous les jours il y a des morts. Les questions de religion et de croyances jouent un rôle énorme, beaucoup plus important que ce que nous connaissons en Europe et en Amérique du Nord.
Je suis économiste, mais je ne vais pas vous citer des chiffres. L'Allemagne a son lot de problèmes économiques, de problèmes financiers graves. Il y a deux raisons à cela. D'une part, notre croissance économique n'est pas suffisante. D'autre part, au cours des deux dernières décennies, nous n'avons pas tenu compte d'une tendance démocratique. Déjà au début des années 1980, il était clair que notre système de solidarité sociale ne durerait pas éternellement. Pour 2005, notre budget fédéral se chiffre à 250 milliards d'euros dont 150 milliards sont consacrés uniquement aux retraites. Environ 30 p. 100 de toutes les rentrées sont consacrés aux retraites. Nous sommes placés devant l'alternative suivante : soit diminuer les retraites, soit augmenter considérablement les cotisations, ce qui contribuerait à augmenter le chômage et causerait de nombreux problèmes connexes.
Je tiens à remercier le Canada de nous avoir invités à participer aux débats de ce comité.
[Traduction]
Le sénateur Milne : J'avais l'intention de vous demander ce qu'il adviendrait de la constitution de l'Union européenne si cette dernière accueillait dix nouveaux membres avant de ratifier la constitution. Cependant, je vais passer à autre chose puisque vous en avez déjà parlé.
Je vais reprendre ce que M. Otto a dit au sujet de la réunification de l'Allemagne qui était composée autrefois de deux entités distinctes, la RFA et la RDA. Je dois dire que je suis un peu découragée par ce que vous avez dit. Il y a quelques années, j'ai rencontré un groupe d'agriculteurs d'Allemagne de l'Est qui souhaitaient organiser unilatéralement des importations agricoles vers le Canada. Il s'agissait de chanvre. Ils nous avaient dit à l'époque qu'ils étaient considérés comme des citoyens de seconde zone par leurs homologues de l'Ouest; ils affirmaient que le gouvernement n'en faisait autant pour eux que pour les Allemands de l'Ouest.
J'espère que cette situation a changé et que la situation s'est améliorée dans l'Allemagne unifiée. Quelqu'un voudrait peut-être commenter ce sujet?
[Traduit de l'interprétation]
Mme Laurischk : Ma famille a vécu de part et d'autre de la frontière en Allemagne et a vécu la séparation. Nous constatons combien il est difficile de se retrouver à nouveau réunis. Vous avez parlé de citoyens de seconde zone. C'est une réalité que nous avons connue. Toutefois, cela va dans les deux sens; les Allemands ont un grand défi à relever. Une de nos responsabilités est justement notre appartenance à l'Union européenne elle-même.
Ma fille aînée fait des études à Leipzig, dans la partie de l'Allemagne qui se trouvait autrefois à l'Est. Les jeunes sont mobiles et les Allemands se mêlent et grandissent ensemble. Il est clair que nos jeunes partent volontiers étudier et voyager partout dans l'Union européenne mais également de l'autre côté de l'océan, dans les Amériques. D'autre part, les jeunes apprennent à se connaître grâce aux échanges étudiants qui contribuent à nous rapprocher.
Mme Heubaum : Sénateur Milne, vous avez mentionné le secteur agricole. La politique agricole est déterminée en grande partie par l'Union européenne elle-même. Plus de 50 p. 100 de tout le budget européen est consacré aux subventions agricoles. Si les agriculteurs d'Allemagne de l'Est se sentent traités différemment des anciens Allemands de l'Ouest, c'est parce que les exploitations agricoles sont très petites dans l'ancienne Allemagne de l'Ouest.
En Bavière, un agriculteur peut disposer de 18 hectares de terre, alors qu'un agriculteur de la Basse-Saxe peut en avoir 60. Les exploitations étaient beaucoup plus grandes dans l'ancienne République démocratique d'Allemagne et dans le système communiste. Par ailleurs, nous avons dix nouveaux pays dans l'Union européenne — et il ne faut pas oublier que l'agriculture représente une part importante de l'économie de ces nouveaux membres. Cette expansion a eu pour conséquence de diminuer les subventions accordées aux agriculteurs est-allemands. Les problèmes et les disparités entre les agriculteurs d'Allemagne de l'Ouest et ceux d'Allemagne de l'Est sont très influencés par les politiques européennes.
[Traduction]
Le sénateur Milne : Je pourrais peut-être ajouter que le Canada se préoccupe beaucoup des subventions agricoles européennes. Nous tentons par tous les moyens de vous amener à les réduire.
Le coprésident suppléant (M. Sorenson) : Avant de passer à la prochaine question, j'aimerais souligner que l'ambassadeur d'Allemagne au Canada, M. Christian Pauls est parmi nous. Je lui souhaite la bienvenue à la réunion conjointe de nos comités.
Monsieur Flosbach, vous avez dit que vous êtes devenu membre du Groupe d'amitié parlementaire Canada- Allemagne dès votre retour en Allemagne après un voyage qui vous avait mené à Ottawa et Toronto. J'aimerais vous inviter à visiter l'Ouest du Canada — l'Alberta et la Colombie-Britannique. Le problème, c'est que vous ne voudrez peut-être plus quitter le Canada une fois que vous aurez visité ces régions.
M. Day : Merci, monsieur le président. C'est justement ce que je voulais dire à M. Flosbach.
Merci et bienvenue. Vos commentaires nous sont utiles pour mettre les choses en perspective. Mon allemand n'est pas très bon, même si ma belle-mère est Allemande. Je vais vous parler anglais, mais je voudrais vous dire la seule phrase qu'elle m'a apprise : Frohe Weihnachten und ein gutes neues Jahr. Je n'ai aucune idée de ce que cela veut dire, mais les gens ont l'air contents quand je le dis.
Vous vous intéressez aussi à la réforme des Nations Unies, ce qui est encourageant. Je sais que vous aimeriez siéger au Conseil de sécurité. Pouvez-vous nous dire quels sont vos principaux arguments à ce sujet-là? Nous aimerions appuyer vos efforts.
Notre Premier ministre est allé à l'ONU récemment. Il y a fait la promotion d'une nouvelle politique visant à prévenir de futurs génocides. L'ONU est restée impuissante au Rwanda, et elle semble maintenant paralysée en ce qui concerne le Soudan. Le Premier ministre Martin a évoqué la « responsabilité de protéger ». Il a dit que les États souverains avaient la responsabilité de protéger leurs propres citoyens contre les catastrophes évitables, mais que, s'ils n'étaient pas disposés à le faire ou s'ils en étaient incapables, cette responsabilité devait être assumée plus globalement, par l'ensemble de la communauté des États.
Avez-vous déjà discuté entre vous des critères que vous envisageriez, comme pays, au sujet d'une participation à un groupe de pays qui assumeraient cette responsabilité de protection quand les autres en seraient incapables? Avez-vous discuté de critères qui pourraient nous être utiles dans nos discussions?
Mme Lietz : Permettez-moi de répondre parce que je suis membre d'un comité qui s'est donné pour mission de réformer l'ONU pour la rendre plus démocratique. Je dois vous dire que j'ai de la famille au Canada, sur une ferme; je connais donc bien le problème.
Nous discutons de la démocratisation de l'ONU. Nous avons récemment encouragé toutes les factions à mettre cette question à l'ordre du jour. Nous avons bien des raisons de le faire, surtout après l'expérience de la guerre en Irak. Il y avait 14 ou 15 résolutions dans lesquelles nous disions à l'Irak que, la prochaine fois qu'il ne les respecterait pas, nous allions intervenir. Mais plutôt que de donner suite à toutes ces résolutions, nous en avons adopté une autre. Il faut faire en sorte qu'à l'avenir, aucun pays ne puisse imposer seul son veto sur des questions importantes.
Vous savez que l'Allemagne cherche à devenir membre du Conseil de sécurité. Je sais que le Canada n'appuie pas notre candidature. Je pense qu'il faudrait en discuter bientôt.
L'essentiel, c'est que nous devons tous nous rendre compte que, jusqu'ici, les deux tiers des États membres des Nations Unies n'ont pas un gouvernement démocratique. Pourtant, il est important que nous leur parlions. Nous ne pouvons pas leur dire de s'en aller, tout simplement, parce que, comme je l'ai dit au début, il est préférable que nous leur parlions— ce qui permet de maintenir la paix — plutôt que de les mettre à la porte. D'un autre côté, je crois que nous devons trouver un moyen et des mécanismes pour rendre l'ONU plus efficace. Quelqu'un a dit récemment en Allemagne que les Nations Unies n'avaient jamais réussi jusqu'ici à empêcher une guerre, ce qui est vrai.
C'est la même chose pour l'Afrique. Nous parlons aussi de résolutions dans ce cas-là, mais nous ne mettons pas vraiment nos idées en pratique par l'intermédiaire de l'ONU. Nous devons mettre fin à cette paralysie, puisque c'est réellement de cela qu'il s'agit. Ce ne sera toutefois pas facile parce qu'il y a un certain nombre de pays qui ne sont pas intéressés à ce que les Nations Unies deviennent plus démocratiques.
C'est un long processus, et il doit être appliqué par des pays comme le Canada, l'Allemagne et d'autres pays démocratiques. Nous ne devons pas mettre de côté les pays qui sont en train de passer à la démocratie.
Il y a une foule de choses dont nous devrions discuter. Par exemple — j'en ai justement parlé ce matin avec Jim Wright —, je trouve inconcevable que M. Kadhafi ait été président du Comité des droits de l'homme des Nations Unies pendant des années. Ce genre de chose, si vous voulez mon avis, est tout simplement ridicule. Si M. Kadhafi décide aujourd'hui de changer d'idée sur bien des points, c'est tant mieux. Mais nous devons avoir un moyen démocratique de décider que l'ONU est représentative de toutes les nations qui en sont membres, et il est très important qu'elle devienne plus efficace.
Nous y travaillons, et j'espère que les autres États y travaillent aussi. J'espère que nous obtiendrons un bon résultat, mais je suis sûre qu'il faudra des années pour y arriver.
[Français]
Le sénateur De Bané : Madame la présidente, chers collègues, les relations entre nos deux pays sont excellentes. Toutefois, je voudrais vous dire un mot sur les relations entre le Canada et l'Union européenne, où vous jouez un rôle très important.
Le Canada, depuis des années, essaie de conclure une entente avec l'Union européenne et l'on commence à peine aujourd'hui à conclure cette entente. Nous avons senti que l'Union européenne, particulièrement les fonctionnaires à Bruxelles, n'étaient pas très intéressés à conclure une entente avec le Canada, qui a comme seul voisin, comme vous le savez, les États-Unis. L'un des objectifs de l'Union européenne, en plus de grands projets très nobles, c'est ce qu'on a appelé dans les années 70, la forteresse de l'Union européenne, pour concurrencer l'hégémonie économique américaine. Le Canada, qui cherche à diversifier ses relations commerciales, a fait de grands efforts pour se rapprocher de l'Union économique européenne. Et, je remarque aujourd'hui que l'on a beaucoup plus de succès en Asie que nous en avons avec l'Union européenne. Donc autant nos relations avec l'Allemagne sont excellentes autant on a senti que l'Union européenne était bien plus intéressée à conclure des ententes avec des pays de l'Amérique latine ou d'autres régions de la planète qu'avec le Canada, qu'on a considéré comme le cheval de Troie des États-Unis.
Beaucoup de Canadiens qui s'intéressent à la question des relations avec l'Europe pensent que l'Europe n'est pas très intéressée à nous aider à nous diversifier.
[Traduit de l'interprétation]
Mme Heubaum : Le problème vient sans aucun doute de la structure des lois au sein de l'Union européenne. Celle-ci n'a pas de structure fédérale, avec un gouvernement et une opposition, mais le conseil, les ministres et les États membres sont tous d'importance égale, tout comme le Parlement européen et la Commission.
Je ne sais pas si cela peut vous consoler, mais nous avons à peu près les mêmes problèmes que vous dans nos rapports avec les bureaucrates de la Commission. Il y a peut-être en effet une différence de point de vue à la Commission européenne en ce qui concerne l'Amérique latine et l'aide économique aux pays en développement, aux pays nouvellement industrialisés d'Amérique latine. La situation est bien différente de celle du Canada, qui fait partie du G8.
Pour ce qui est de mettre les choses en contexte à la Commission, c'est une autre histoire; il n'est pas facile d'en arriver à l'unanimité sur cette question à la Commission européenne. Comme vous le savez, tous les pays y sont représentés, et il est très difficile d'obtenir l'unanimité. La rédaction de projets de loi pouvant être adoptés par les 25 membres n'est jamais simple. Je ne peux pas vous dire aujourd'hui que nous pourrions retourner à Bruxelles et annoncer : « Nous allons faire ceci. » Mais je vais certainement faire part de vos préoccupations à nos collègues à Berlin.
[Traduction]
M. Goldring : Bienvenue à Ottawa. Je suis sûr que tout le monde, dans la pièce, a des parents ou des amis dans la communauté germano-canadienne. Certains d'entre nous ont des racines là-bas. La famille de ma mère vient d'Allemagne, et celle de ma belle-sœur aussi; elle est arrivée d'Allemagne dans les années 50. Beaucoup d'entre nous ont des rapports très chaleureux avec la communauté allemande.
Ma question porte sur la constitution, qui semble prévoir une politique de défense commune. Comment ces mécanismes fonctionneraient-ils, compte tenu de votre commentaire de tout à l'heure au sujet du fait que les Nations Unies pourraient ne pas s'occuper d'une situation si un de ses États membres décidait d'opposer son veto à une décision du Conseil de sécurité? Avez-vous une idée de la façon dont cela pourrait être organisé?
La politique étrangère, en ce qui concerne l'envoi de troupes dans une région donnée, serait-elle établie par un conseil de sécurité? Quelles seraient sa structure et sa composition? Y aurait-il encore des dispositions et des exceptions permettant à des pays d'envoyer individuellement des troupes dans certaines régions, ou si tout le monde serait lié par la constitution générale?
Mme Lietz : Nous n'en sommes qu'au début de ce processus. Je dirais que les questions sont posées, mais que nous n'avons pas encore trouvé les réponses. Nous sommes en train de définir les enjeux et de discuter avec les différents pays qui, comme je l'ai déjà dit, n'ont pas tous le même statut démocratique. Je suis certaine qu'il faudra énormément de temps avant que nous en arrivions à des résultats satisfaisants.
Les questions que vous soulevez sont des questions que se posent aussi tous les pays et tous les gens qui travaillent à ce dossier, mais nous ne sommes pas encore en mesure de fournir des réponses.
M. Goldring : Vous voulez dire que les possibilités qui pourraient être formulées ou les objectifs qui pourraient être visés ne sont pas encore définis? Si c'est le cas, avez-vous une échéance pour prendre une décision — cinq ans, dix ans? Qu'est-ce que vous faites à ce sujet-là?
Mme Lietz : Il faut probablement compter dix ans plutôt que cinq. Il faut être très patients.
Le coprésident (le sénateur Stollery) : M. Sorenson voudrait poser une question, après quoi nous devrons peut-être clore la séance. Tout dépendra de ce qu'en pensent les membres du Comité.
Le coprésident suppléant (M. Sorenson) : En fait, M. Goldring a posé la question que je voulais poser moi-même au sujet de la stratégie de défense commune. Évidemment, sur les 25 pays de l'Union européenne, il y en a beaucoup qui font partie de l'OTAN. D'autres sont neutres, et d'autres encore ne sont pas membres de l'OTAN. C'est certainement un élément important. Quand l'Union européenne parle de stratégie de défense commune, on se demande comment elle compte y arriver.
Envisagez-vous la possibilité d'une coopération accrue avec l'armée canadienne? Pensez-vous que le Canada a un rôle quelconque à jouer?
Mme Lietz : C'est justement une question que je voulais vous poser. La plupart des pays de l'Union européenne sont membres de l'OTAN. La Turquie en est membre, ce qui est une consolation intéressante. En ce qui concerne son intégration à l'Union européenne, il faudra un certain temps pour résoudre les problèmes que posent les droits de la personne, le traitement des minorités et la démocratie dans ce pays.
Les membres européens de l'OTAN sont très conscients du fait que nous devons assumer plus de responsabilités en Europe. Mon pays est maintenant membre indépendant de l'OTAN, et nous y assumons pleinement nos responsabilités. Nous avons appris ces dernières années à prendre plus de responsabilités. Comme vous le savez, il y a seulement quelques années que nous avons commencé à participer aux missions dans les Balkans. Jusque-là, avant la réunification, nous avions toujours eu une armée qui défendait son territoire, mais qui n'était pas censée défendre les autres pays. Nous travaillons maintenant à une structure, en Allemagne, qui nous permettrait de participer à des missions dans le monde entier, mais les Allemands vont devoir s'y habituer. C'est en train de se faire, et je pense que nous faisons beaucoup de progrès si on considère que nous sommes non seulement en Afghanistan, mais aussi au Kosovo. Nous avons été en Afrique et nous sommes actuellement à Djibouti. Donc, nous sommes en train de nous ouvrir au monde. Cependant, contrairement à ce qui se passe dans d'autres pays, toutes les opérations auxquelles nous participons doivent être approuvées par le Parlement. Notre ministre de la Défense ne peut pas décider tout simplement de...
Le coprésident suppléant (M. Sorenson) : Par le Parlement européen?
Mme Lietz : Non, par le parlement allemand. Chaque fois que nous envisageons d'envoyer notre armée quelque part dans le monde, le parlement allemand doit donner son autorisation.
C'est une procédure en vigueur dans quelques pays de l'OTAN seulement. Dans la plupart des autres pays, le ministre de la Défense ou le Cabinet peuvent décider d'envoyer l'armée quelque part dans le monde. C'est une habitude à prendre, mais nous nous adaptons. Cela ne me pose aucun problème. Je trouve très intéressant et très stimulant d'observer ce processus et d'y participer.
Nous sommes tous conscients du fait que ce sont actuellement les États-Unis, parmi tous les pays de l'OTAN, qui ont l'armée la plus grosse, la plus riche et la mieux établie sur le plan technique. Tous les autres pays — même le vôtre — sont loin de contribuer autant que les Américains à la paix dans le monde. Je suis d'avis que nous devons prendre des responsabilités là où nous le pouvons. Les Américains prennent les leurs dans d'autres parties du monde, à des endroits où nous — les Allemands, tout comme les Canadiens — ne croyons pas que nos pays pourraient intervenir. Ce serait au-delà de nos capacités. Nous ne serions pas en mesure d'intervenir militairement en Irak, par exemple. Par conséquent, comme vous, nous offrons maintenant de former des policiers et de faire autre chose pour aider par la bande. Mais, dans un avenir prévisible, les Allemands n'iront pas en Irak.
Le coprésident suppléant (M. Sorenson) : Quelles sont les capacités militaires de l'armée allemande, comparativement à celle de l'Australie, par exemple?
Mme Lietz : Nous n'avons plus que 275 000 soldats.
Le coprésident suppléant (M. Sorenson) : Vous avez 275 000 soldats?
Mme Lietz : Oui. À ce que je sache, vous en avez environ 100 000, n'est-ce pas?
Le coprésident suppléant (M. Sorenson) : Nous en avons environ 55 000.
Mme Lietz : Si vous nous le permettez, nous aimerions vous poser des questions sur la politique de sécurité et de défense que vous comptez appliquer dans les prochaines années.
Le coprésident (le sénateur Stollery) : Où en est le service national en Allemagne?
Mme Lietz : Vous voulez parler du service militaire obligatoire?
Le coprésident (le sénateur Stollery) : Oui.
Mme Lietz : Personnellement, j'aimerais qu'il soit maintenu.
Le coprésident (le sénateur Stollery) : Quel pourcentage des forces armées allemandes les jeunes qui font leur service militaire obligatoire représentent-ils?
Mme Lietz : Il y a actuellement 100 000 jeunes environ qui sont dans l'armée parce qu'ils y sont obligés. Mais ce nombre diminue. Le ministre de la Défense a décidé de réduire le nombre de jeunes appelés sous les drapeaux.
Les différentes factions représentées au Bundestag ne sont pas toutes du même avis sur cette question. Les chrétiens- démocrates — comme Klaus-Peter Flosbach et moi — voudraient que l'armée continue de mobiliser les jeunes hommes. D'autres ne veulent pas. La question va probablement faire l'objet de discussions pendant un an ou deux avant que nous en arrivions à un résultat.
M. Day : Nous avons des sous-marins à vendre, si cela vous intéresse.
Mme Lietz : Désolée, mais vous pouvez les garder.
Nous aimerions connaître votre avis sur la politique de sécurité et l'armée.
Le coprésident suppléant (M. Sorenson) : À moins qu'il y ait d'autres questions...
Mme Phinney : Mme Lietz a demandé ce que nous entendions faire au cours des prochaines années sur le plan de la sécurité.
Le coprésident suppléant (M. Sorenson) : Il serait préférable de poser la question au gouvernement, ou du moins au ministre de la Défense. Mais je pense pouvoir affirmer que nous avons reconnu l'importance de la sécurité. Nous avons pris des mesures pour améliorer la sécurité à nos frontières puisque notre commerce en dépend dans une large mesure. Je ne peux pas parler pour le gouvernement, bien sûr, au sujet de ce que fait le Canada. Comme je viens de l'opposition, je suis peut-être sensiblement dans la même situation que vous.
Mme Lietz : C'est une chose que nous avons en commun, monsieur.
Le coprésident suppléant (M. Sorenson) : C'est une question que vous pourriez poser à un comité de la défense ou au cours de vos consultations avec d'autres représentants du gouvernement.
M. Day : Je comprends votre retenue, monsieur le président.
Il est vrai que l'opposition a des divergences avec le gouvernement quant à la politique de défense globale. Le gouvernement a annoncé il y a quelques mois que le Premier ministre voulait s'engager pleinement dans la défense antimissiles et la défense continentale aux côtés des États-Unis. Nous avons été un peu étonnés de cette décision précipitée, mais c'est ce qui a été annoncé. Du côté de l'opposition, nous encourageons aussi le gouvernement à accorder plus de ressources à nos forces armées. Cela devrait vous donner une idée générale de notre position.
Le coprésident (le sénateur Stollery) : On peut dire qu'au Canada, il y a le même débat qu'en Allemagne entre le gouvernement et l'opposition. Il est certain que bien des gens voudraient que nos forces armées soient beaucoup plus grosses, alors que d'autres soutiennent que nous devrions dépenser notre argent ailleurs.
Je suis sûr que nous avons des positions interchangeables dans ce débat. C'est ce qui se passe au Canada.
Je tiens à rappeler à tout le monde que nous ne sommes pas ici au Comité de la défense, mais au Comité des affaires étrangères. Même s'il y a certains chevauchements, ce n'est pas la même chose.
Le sénateur Prud'homme : Je suis d'accord avec vous quand vous dites que, s'il doit y avoir un engagement, il doit y avoir un vote au Parlement. C'est mon point de vue, mais je suis sûr qu'il est partagé. La question doit faire l'objet d'un vote; le gouvernement ne peut pas décider seul.
Le coprésident (le sénateur Stollery) : C'est exact, sénateur Prud'homme, mais je dois rappeler à tout le monde que vous êtes un sénateur indépendant.
Le sénateur Prud'homme : J'ai présidé le Comité de la défense à l'époque de Trudeau.
M. Goldring : J'ai fait partie de l'Aviation canadienne au début des années 60. Je connais bien l'équipement que nous avions à ce moment-là et je pense que tout le monde s'entend pour dire qu'il est plus que temps de moderniser notre équipement actuel. De ce point de vue-là, et en ce qui concerne la nécessité de mieux équiper nos troupes, les problèmes que nous connaissons avec les hélicoptères — achetés il y a 40 ans — sont bien connus, tout comme nos problèmes avec les sous-marins, que quelqu'un a évoqués tout à l'heure.
Tout le monde reconnaît enfin qu'il faut faire mieux du côté de l'équipement, que ce soit pour les hélicoptères ou les autres types de matériel militaire. C'est une chose dont nous sommes très conscients.
Le coprésident suppléant (M. Sorenson) : Nous voulons qu'il soit parfaitement clair que l'Allemagne et le Canada sont des amis, de proches alliés et de bons partenaires commerciaux. Même si nos échanges commerciaux avec l'Allemagne affichent un déficit important, votre pays occupe une place privilégiée dans notre économie, comme le Canada dans la vôtre.
Nous sommes toujours heureux d'entendre des représentants de votre pays et de l'Union européenne. Nous espérons que vous profiterez bien de votre séjour au Canada. Nous aimons beaucoup votre pays, comme vous aimez le nôtre, et je vous souhaite une fin de séjour très agréable.
Le coprésident (le sénateur Stollery) : Monsieur Sorenson, je suis parfaitement d'accord avec vous. Je ne répéterai donc pas ce que vous venez de dire.
Merci à tous.
La séance est levée.