:
Nous allons débuter la séance.
Nous nous réunissons aujourd'hui pour étudier les services de santé offerts au personnel des Forces canadiennes, en particulier dans le cas des troubles de stress post-traumatique.
Je crois qu'il y aura une cloche à 17 h 15 pour annoncer le vote de 17 h 30, alors nous ne nous rendrons pas jusqu'à 17 h 30. Il y aura deux présentations aujourd'hui. J'essaierai peut-être de prendre quelques minutes à notre premier témoin pour les offrir au deuxième, mais nous allons voir comment les choses iront. Nous nous assurerons que tous auront l'occasion de poser une question ou deux.
Pour commencer nous avons M. Brunet, chercheur à l'Institut Douglas et professeur agrégé du département de psychiatrie à l'Université McGill. Monsieur, nous avions prévu jusqu'à 16 h 30 pour votre témoignage et nous verrons comment les choses se dérouleront.
Vous avez maintenant la parole pour faire votre exposé, et ensuite nous passerons à une ronde de questions. Veuillez commencer.
Monsieur le président, mesdames et messieurs, merci de m'avoir fait l'honneur de m'inviter à ce comité.
Mon nom est Alain Brunet et je suis professeur au Département de psychiatrie de l'Université McGill. Mon domaine d'expertise est le trouble de stress post-traumatique. Je vous ai fait parvenir un document que mon groupe a écrit récemment. Il a analysé, au cours des dernières années, les résultats de l'Enquête sur la santé mentale dans les Forces canadiennes, qui est l'une des plus importantes enquêtes jamais faites auprès des Forces armées canadiennes, auprès d'une armée active. Les armées sont habituellement très réticentes à laisser des enquêteurs faire des enquêtes aussi poussées que celle qui a été faite en 2002. À partir de 2004, les chercheurs ont eu accès aux résultats, lesquels étaient désormais du domaine public. Mon équipe, qui travaille dans ce domaine, a commencé à analyser les données.
Je vais faire une brève présentation sur un des documents que je vous ai fait parvenir. Je répondrai ensuite à vos questions.
Il y a très peu de données sur les problèmes de santé mentale dans les armées. Les armées sont typiquement très réticentes à permettre de telles recherches. Donc, l'échantillon auquel on a accès, qui est représentatif des Forces armées canadiennes, est vraiment unique en son genre. Cependant, il faut tenir compte du fait que ces données ont été acquises en 2002 et que toutes les conclusions qu'on en tirerait seraient basées sur la prémisse que les choses n'ont pas changé depuis ce temps, ce qui serait quand même un jugement sévère vis-à-vis de l'armée. Je pense qu'on ne peut pas porter ce jugement.
L'enquête a porté sur 8 441 répondants. Il s'agit d'une enquête de grande envergure, qui se compare à ce qui se fait de mieux dans le monde. L'échantillon était représentatif des Forces armées canadiennes.
Quels sont les éléments importants que contient cette recherche et, particulièrement, les données qu'on a publiées récemment? Le premier élément est que beaucoup de soi-disant missions de paix sont aussi stressantes, voire aussi traumatisantes, que des missions de combat. La notion de mission de paix a beaucoup changé au cours des 10 à 20 dernières années. On parle plus souvent, pour employer l'expression anglaise, de peacebuilding mission, plutôt que de peacekeeping.
Je voudrais aussi porter à votre attention le fait que, dans la population générale des États-Unis, les taux de stress post-traumatique, par exemple, sont d'environ 6,7 p. 100. Il est important de comparer le taux des divers désordres qu'on retrouve dans l'armée à ceux de la population générale, pour déterminer s'ils sont plus élevés ou moins élevés.
Le document que je vous ai transmis examine les comportements liés à la recherche de soins, dans la mesure où les gens avaient un trouble mental diagnostiquable dans la dernière année. Dans l'échantillon de 8 441 personnes, on a trouvé que 1 220 d'entre elles, soit 15 p. 100, souffraient d'un trouble mental diagnostiquable dans les 12 mois qui avaient précédé l'enquête. Chez ces 1 200 personnes, 43 p. 100 ont eu un contact avec un professionnel de la santé mentale. Par opposition, 67 p. 100 n'en ont jamais eu.
Quels étaient les désordres dont souffraient ces 1 200 personnes? La dépression majeure touchait 47 p. 100 d'entre elles, la dépendance à l'alcool, 33 p. 100, la phobie sociale, 22 p. 100, le trouble de stress post-traumatique, 16 p. 100, le trouble panique, 12 p. 100, et l'anxiété généralisée, 12 p. 100.
Donc, les désordres les plus prévalents étaient la dépression majeure, la dépendance à l'alcool, et un peu plus loin derrière venaient des troubles comme le trouble de stress post-traumatique. Il faut comprendre que la dépression, l'abus d'alcool, les phobies et les troubles paniques peuvent également être déclenchés par une expérience traumatique. Si on tient compte de ce facteur, la prévalence des troubles mentaux déclenchés par un événement traumatique est plus grande que celle qu'on peut dégager de ces données.
Ensuite, on s'est demandé pourquoi les gens chez qui on arrivait à diagnostiquer un trouble mental ne consultaient pas. Particulièrement en ce qui concerne l'armée canadienne, les gens ont un accès libre à des soins de santé. Quels sont les principaux obstacles à la demande d'une consultation? Trois principaux facteurs sont ressortis. Le premier est le manque de confiance à l'égard des autorités en place. Le deuxième est le fait de ne pas reconnaître avoir un problème de santé mentale. Le troisième facteur est que les gens reconnaissent peut-être avoir un problème de santé mentale, mais pensent qu'ils peuvent s'en sortir et veulent essayer de s'en occuper eux-mêmes.
On a également découvert qu'avant de demander de l'aide, 73 p. 100 des soldats pouvaient avoir vécu jusqu'à cinq expériences traumatiques, ce qui signifie plus d'un déploiement. Ils avaient vécu beaucoup d'expériences traumatiques avant de demander de l'aide.
À la lumière de ces résultats, que peut-on faire quand les gens ne reconnaissent pas souffrir d'un trouble mental diagnostiquable? Une des choses qu'on devrait envisager est de faire davantage de psycho-éducation. Les gens doivent être davantage éduqués afin qu'ils aient une meilleure idée de ce dont ils souffrent. Cela est d'autant plus important que pour la plupart des troubles mentaux que j'ai mentionnés, il existe des traitements efficaces. Ils ne sont pas efficaces à 100 p. 100, mais ils existent. On a l'impression que c'est un élément que les gens ne connaissent pas. Non seulement ils ne savent pas nécessairement qu'ils souffrent d'un trouble mental, mais même quand ils le savent, ils ne savent pas qu'il existe des traitements efficaces.
Un autre élément qui est ressorti est la notion de confidentialité et la notion de stigmatisation qui entourent les problèmes de santé mentale. En ce qui concerne la confidentialité, certains participants au sondage avaient l'impression que ce qui se trouvait dans leur dossier médical était susceptible d'arriver aux oreilles de leur supérieur. Comme le Canada dispose d'une armée de gens déployables, vous comprendrez que si votre supérieur apprenait que vous n'êtes peut-être pas aussi déployable qu'il le faudrait, cela pourrait mettre en jeu votre emploi. Une forme de honte, de culture machiste, que l'on peut désigner sous l'expression « parapluie de stigma », est aussi prévalente. C'est comme si le fait de devenir un soldat endurci qui met de côté ses émotions et le reste et reconnaître qu'on puisse être touché psychologiquement et émotionnellement par une expérience fort traumatisante était contradictoire. C'est comme s'il y avait des attentes un peu contradictoires face au soldat.
Je pense que les membres de ce comité devraient s'interroger sur la confidentialité. La confidentialité devrait-elle être améliorée? Dans quelle mesure cette confidentialité a-t-elle besoin d'être brisée? Je pense qu'il faut se poser cette question.
Un dernier élément ressort assez fortement. En ce qui a trait aux évaluations psychologiques, on ne devrait pas attendre que les gens viennent nous voir pour nous dire qu'ils ont peut-être un problème. On devrait rendre les évaluations obligatoires quand les gens reviennent de mission.
Certaines de ces recommandations ont déjà été implantées ou sont déjà à l'essai présentement dans les Forces armées canadiennes. Par contre, il y aurait peut-être lieu de pousser plus loin ces initiatives.
J'arrête ici et je répondrai aux questions des membres du comité, en anglais ou en français.
:
Merci d'être venu et d'avoir partagé ces informations avec nous. J'ai lu deux des documents et je les ai trouvés très intéressants.
Si j'ai bien compris, cette étude a été faite auprès de 8 841 membres des Forces armées canadiennes qui ne revenaient pas nécessairement du combat; ils faisaient partie, si vous me permettez l'expression, de la population générale des Forces canadiennes, qui ne revient pas d'un conflit. De ce groupe, vous avez trouvé que 1 220 avaient un trouble diagnosticable, et que 67 p. 100 d'entre eux n'avaient reçu aucun traitement ou n'avaient pas pris contact avec des professionnels de la santé mentale. C'est assez saisissant, je pense.
Dans votre article, vous avez aussi fait des observations que j'ai trouvées assez intéressantes. Une avait trait à la comorbidité. Je pense que les gens ordinaires parleraient de diagnostic double. Je pense qu'il est clair que le SSPT a été mal diagnostiqué lorsqu'il y a eu des diagnostics par le passé, on l'a confondu avec d'autres troubles. Alors, on peut se poser la question suivante: quel diagnostic vient le plus souvent en premier? Est-ce qu'il y a premièrement une dépression, une dépendance à la drogue ou à l'alcool, et ensuite vous comprenez que c'est le syndrome de stress post-traumatique, ou est-ce que la plupart du temps, c'est l'inverse qui se produit?
Je me demandais également quel était l'effet de cette situation sur le traitement. En tant que profane, je croirais que les traitements pour la dépression grave sont différents de ceux pour le syndrome de stress post-traumatique et différents de ceux pour traiter la dépendance à la drogue ou à l'alcool. Donc, j'aimerais savoir quels sont les effets sur le traitement.
Je vais me présenter, je suis la docteure Theresa Girvin. Je suis une lieutenant-colonel dans les forces militaires. Je me suis enrôlée il y a maintenant 19 ans. J'ai une formation de spécialiste en psychiatrie. Je me suis enrôlée dans les Forces il y a 19 ans alors que j'étudiais à l'Université de la Colombie-Britannique. Par la suite, j'ai complété une résidence de deux ans en médecine familiale à McGill, et plus tard, j'ai fait une résidence en psychiatrie à l'Université d'Ottawa.
Au cours de ma carrière, j'ai servi dans des bases en tant que médecin militaire de soins généraux à Esquimalt, c'est-à-dire Victoria, et ensuite j'ai servi à Ottawa avec une formation de spécialiste en psychiatrie au Centre médical de la Défense nationale. Dans ce poste, j'ai aussi offert des conseils au leadership supérieur des Forces canadiennes sur des sujets touchant la psychiatrie et la santé mentale. J'ai aussi prodigué des soins cliniques. En plus d'Ottawa, j'ai participé à des cliniques à Petawawa, Kingston et Gadgetown et j'ai aussi voyagé dans d'autres endroits, y compris au collège du personnel de Toronto et à Trenton, pour faire de l'enseignement dans le domaine de la santé mentale.
J'ai été affectée à Edmonton en 2002 et je travaille maintenant dans la clinique des services en santé mentale là-bas. En plus d'évaluer et de traiter les patients des FC, j'offre le leadership clinique en psychiatrie au niveau régional, et j'ai aussi participé à des ateliers de travail nationaux en santé mentale pour les Forces canadiennes.
En septembre 2005, j'ai débuté une formation post-diplôme professionnel en psychiatrie médico-légale à l'Université de l'Alberta. J'ai dû interrompre ce cours d'un an quand j'ai été déployée à Kandahar d'août à novembre 2006, et j'ai pu reprendre les trois derniers mois de ma formation et je viens de la terminer en novembre dernier. Bien que j'aie une formation de spécialiste en psychiatrie médico-légale, mon domaine d'intérêt principal et mon secteur principal de travail clinique consiste à offrir des soins aux membres des Forces canadiennes, mes patients, qui ont des difficultés de nature psychiatrique, et à les évaluer et à les traiter.
Ceci complète mon exposé. Il me fera plaisir de répondre à vos questions.
:
Je ne peux que vous donner mes impressions générales. Beaucoup de gens vont en Afghanistan, alors, vous en voyez davantage.
Avec le dépistage post-déploiement, davantage de soldats viennent nous voir, tandis qu'avant, comme l'étude du Dr Brunet en 2002 l'a démontré, de nombreuses personnes ne voyaient même pas qu'elles avaient un problème, alors, comment pouvaient-elles obtenir de l'aide? De cette façon, on recommande aux soldats d'effectuer un suivi, et tout est consigné. Ils doivent voir leur médecin militaire, ils doivent consulter, ils doivent savoir ce qui se passe. Ainsi, nous voyons beaucoup plus de gens.
Plus on en sait sur la mission, plus on sait à quoi s'attendre. Pour les missions au Rwanda, en Somalie et dans les Balkans, je crois que peut-être les gens ne s'attendaient pas à ces choses-là; ainsi, d'une certaine façon, c'était plus difficile pour eux. La perception populaire de ce qu'un déploiement implique est maintenant différente ici au Canada, en ce qui concerne l'Afghanistan comparativement aux autres missions précédentes. Les soldats se sentent probablement davantage appuyés maintenant au Canada et ce, peut-être plus que lors de l'un de ces déploiements antérieurs.
:
Je tiens tout d'abord à vous remercier. J'aime beaucoup votre candeur, qui est aujourd'hui comme un vent de fraîcheur. On aime obtenir ce genre de réponses.
Je veux vous parler de la décompression. Dans les journaux d'aujourd'hui, on a pu lire que des soldats canadiens auraient battu une personne vivant à Chypre. Évidemment, il s'agit d'un cas isolé. La justice suivra son cours, s'il y a lieu.
Il y a eu un temps où on envoyait les gens chez eux immédiatement après leur mission. Il y avait des cas assez pathétiques. La décompression fonctionne-t-elle vraiment? Comment cela se passe-t-il? On dit que le syndrome du stress post-traumatique n'apparaît pas du jour au lendemain. Au cours de la période de décompression qui a lieu après la mission, on ne peut pas dire si quelqu'un souffrira du syndrome post-traumatique.
Comment évaluez-vous la façon de faire pendant la période de décompression? Peut-on déterminer s'il y aura plus de cas? Il est vrai que peu importe la mission, il y a des situations stressantes. Cependant, la mission en Afghanistan représente un changement de situation pour les troupes, qui vivent un autre genre de stress.
Au cours de la décompression, pouvez-vous déterminer le nombre de cas de syndrome de stress post-traumatique?
:
Non, il n'y a pas de simulations en laboratoire, mais il y a l'instruction de base et la formation continue. Avant qu'une personne ne puisse participer à une mission, elle doit avoir réussi l'instruction de base, suivi la formation relative à la mission et avoir suivi la formation relative à son métier. C'est un peu comme un test ou une série d'étapes à passer pour prouver qu'une personne a ce qu'il faut et qu'elle est prête à être déployée. Voilà un peu comment cela fonctionne.
La formation est-elle exactement conçue à cette fin? Non, la formation est offerte, et elle est offerte dans un contexte réaliste de stress afin de préparer les gens, parce qu'on a prouvé dans une certaine mesure qu'une formation très réaliste et très difficile en vue d'une mission peut réduire l'incidence du stress lors des déploiements. Voilà donc un des éléments, j'imagine, dans lequel le leadership joue un rôle très important pour réduire le nombre de victimes du stress, soit en couvrant les éléments de base, par exemple.
Le leadership, par lequel on s'occupe des éléments de base pour les troupes, réduit le stress. Parmi les sources de stress dans le cadre d'un déploiement, on compte par exemple un manque d'eau au début d'une rotation zéro, et des stress physiques comme celui-ci, comme ne pas pouvoir prendre une douche ou ne pas pouvoir répondre à des besoins de base, ce qui peut être stressant. Ces problèmes peuvent être réglés et ils sont réglés. Vous vous êtes rendu sur place et vous avez vu qu'il y avait beaucoup de services. J'ai participé à l'une des premières séries d'évaluations post-déploiement, et nombre de soldats ont affirmé que le gymnase était une des meilleures choses qui leur était arrivée. À ce moment-là, au lieu d'utiliser ce qu'ils utilisaient avant pour faire de l'exercice — des pierres, ou peu importe —, ils pouvaient aller au gymnase et s'entraîner.
Offrir des services, répondre aux besoins de base et offrir une formation difficile et réaliste contribuent grandement à réduire les problèmes de stress sur le terrain.