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NDDN Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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CANADA

Comité permanent de la défense nationale


NUMÉRO 028 
l
2e SESSION 
l
39e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le jeudi 29 mai 2008

[Enregistrement électronique]

(1530)

[Français]

    À l'ordre. Je déclare la séance ouverte.
     Aujourd'hui, au cours de la première heure de cette séance, nous avons le plaisir d'accueillir le sénateur Roméo Dallaire. J'ai croisé le sénateur à quelques reprises, notamment lorsqu'il était commandant du Collège militaire royal de Saint-Jean, lequel, pour le bénéfice de tous, a été rouvert la semaine dernière. Je pense que l'histoire canadienne va faire une place prépondérante au général aujourd'hui devant nous. Je suis sûr que les livres de l'histoire canadienne, dans plusieurs générations, vont nous faire part de ses gestes héroïques.
     Mon général, vous êtes le bienvenu au comité. La parole est à vous. Nous vous écoutons attentivement.
    Monsieur le président, je vous remercie de vos belles paroles. J'espère être à la hauteur de vos attentes.

[Traduction]

    Mesdames et messieurs, j'ai un texte préparé et j'ai également distribué deux tableaux dont je parlerai plus tard. Ils sont destinés à être rendus publics. Il ne s'agit pas de documents scientifiques mais de la perspective d'un soldat.
    Monsieur le président, mesdames et messieurs, je tiens à vous remercier de m'avoir invité à prendre la parole devant vous à propos d'une menace importante au bien-être à long terme des Forces canadiennes, de ses membres et des anciens combattants, ainsi qu'à l'efficacité opérationnelle des Forces canadiennes. Le fait de perdre des anciens combattants d'expérience en service nuit gravement aux capacités opérationnelles des Forces canadiennes. L'excellent sixième rapport du comité traite déjà d'une bonne partie de ce dont je vais vous parler aujourd'hui, et j'espère vous fournir une certaine mise à jour de la situation de même d'une certaine perspective, et formuler également quelques recommandations.
    Vous avez entendu des témoins qui ont parlé des lacunes des services de santé des Forces canadiennes, et plus particulièrement des services de santé mentale, et vous avez entendu le commandant du Groupe des services de santé des Forces canadiennes, le brigadier-général Hilary Jaeger, vous parler également du travail extrêmement difficile et de l'obtention de résultats cliniques exceptionnels, particulièrement outre-mer. Comment la même organisation peut-elle réussir et échouer en même temps?
    Permettez-moi de commencer en vous situant un peu le contexte en fonction des observations que j'ai eu l'occasion de faire à titre de sous-ministre adjoint du personnel militaire à la fin des années 90, à titre de soldat qui a été victime de stress opérationnel qui a fait l'objet d'un diagnostic de syndrome de stress post-traumatique, ce qui a donné lieu par la suite à ma libération pour des raisons de santé, à titre d'ancien combattant en convalescence qui reçoit des traitements constants et à titre de sénateur qui reçoit des courriels et des demandes d'appui de la part des membres des Forces canadiennes, des anciens combattants et des familles des deux groupes.

[Français]

    À la fin de la Seconde Guerre mondiale et jusque pendant la guerre de Corée, le travail du Corps de santé royal canadien et du Corps dentaire royal canadien faisaient l'envie de nos alliés. À l'époque, les facultés de médecine et d'art dentaire étaient dirigées par d'anciens officiers médecins et dentistes. Les Forces canadiennes accueillaient la crème de la crème. Au fil du temps, la perspective de s'occuper en temps de paix des Forces canadiennes, composées de jeunes gens en bonne santé dont les seuls problèmes étaient des rhumes ou des blessures de sport de temps à autre, est devenue de moins en moins attrayante pour le milieu et les meilleurs diplômés. Ils s'enrôlaient toujours, mais le recrutement devenait de plus en plus difficile.
    Lorsque la guerre froide a pris fin et que l'on a réclamé les dividendes de la paix, la structure du service médical a commencé à s'écrouler à cause des compressions budgétaires massives et pas nécessairement bien ciblées. Lorsque j'étais sous-ministre adjoint au personnel, nous avons appliqué une solution superficielle qui s'appelait Opération Phoenix. Elle n'a vraiment rien donné, si ce n'est qu'elle a mis en lumière les déficiences qui existaient dans le système. Nous avons alors récidivé avec le projet Rx 2000, un titre plutôt accrocheur. Heureusement, cette initiative se poursuit et donne les résultats que nous observons particulièrement à Kandahar dans le milieu opérationnel.

[Traduction]

    En 1997, lorsque je suivais un traitement médical, j'ai pris la décision délibérée mais douloureuse de rendre public mon diagnostic au sein des Forces, et par la suite, cette information à propos de mon diagnostic de trouble de stress post-traumatique s'est propagée au grand public. Certains m'ont qualifié de porte-étendard du trouble de stress post-traumatique, un qualificatif que je considère désobligeant et blessant. Cependant, les innombrables lettres et courriels que j'ai reçus de familles qui déclarent que la vie de leurs conjoints et de leur mariage a été sauvée grâce à ma franchise font plus que compenser pour l'absence de compassion dont ont fait preuve d'anciens collègues et des éditorialistes loin d'être bien disposés à mon égard.
    Lorsque mon livre a été publié aux États-Unis, le texte à l'endos du livre indiquait que j'avais été libéré pour des raisons de santé suite à un diagnostic de trouble de stress post-traumatique. Lorsque j'ai demandé la raison pour laquelle on avait ajouté cette information sans m'avertir, on m'a dit que j'étais le seul général jusqu'à présent qui avait reconnu être atteint de trouble de stress post-traumatique.
    Je porte cet aspect à votre attention parce que ce trouble se caractérise entre autres par le besoin irrépressible de se cacher, de se retirer comme si l'on avait attrapé une maladie contagieuse terriblement dévastatrice comme le VIH/sida ou la lèpre, et par la conviction que l'on a failli à la tâche et qu'on a laissé tout le monde tomber.
    En tant que soldat, on fait des cauchemars qui reviennent constamment où on place ses collègues dans des situations où l'on devient en fait un fardeau pour eux, un risque pour leur sécurité. Au début, je pensais que j'étais le seul à faire ce genre de cauchemars, mais d'autres m'ont dit qu'eux aussi faisaient des cauchemars aussi terribles. Par la suite, j'ai demandé qu'on me libère de ma mission à cause des répercussions de ce trouble à l'époque.
    Le Dr James Obinski, qui est à la tête de Médecins sans frontières, qui travaillait à l'hôpital King Faisal à Kigali au moment du génocide au Rwanda en 1994 décrit le trouble de stress post-traumatique dont il est atteint et ses effets même sur un excellent médecin professionnel:
Je roulais sur l'autoroute 401 à Toronto lorsque j'ai croisé une Mazda Miata bleue. Elle était de la même couleur que la bâche en plastique à laquelle j'ai rêvé pendant des mois sans savoir pourquoi. Instantanément, ma voiture s'est remplie de l'odeur douceâtre de la chair et du sang de cadavres encore tièdes. J'ai vu ce que j'ai d'abord pris pour des saucisses mais qui était en fait des doigts d'enfants dans la terre rouge qui entourait la bâche. Ma voiture a fait une embardée pendant que j'essayais d'ouvrir les fenêtres. Le pare-choc a éraflé la glissière de sécurité au moment où la voiture s'est complètement immobilisée. Je suis resté assis dans la voiture, l'odeur et l'image des saucisses ayant disparu. Dehors, la neige tombait. Les essuie-glace battaient la mesure, mais j'avais perdu la notion du temps. Ce n'est pas le monde qui avait changé, c'était moi. Je suis resté assis là, à compter les déchets et les débris qui jonchaient le bord de la route, puis j'ai simplement roulé pendant un certain temps. Je suis arrivé à la maison de mes parents trois heures plus tard.
    En 1997, je voyageais avec ma famille à l'Île-du-Prince-Édouard. Nous roulions sur une route où étaient empilées, de chaque côté de la route, de grosses branches d'épinettes qui avaient été abattues. L'extrémité des branches faisaient face à la route et les aiguilles étaient devenues brunes.
    J'ai eu immédiatement l'impression de me retrouver au Rwanda et de voir empilés au bord de la route les cadavres de Rwandais en décomposition. Cette impression était tellement forte que j'ai dû en fait m'arrêter et il m'a fallu beaucoup de temps pour sortir de cet état grâce à l'appui solide de ma famille.
    Le trouble de stress post-traumatique est un traumatisme. C'est un trouble chronique. Même lorsque l'on prend fidèlement ses médicaments et que l'on suit fidèlement ses séances de thérapie, on est constamment vulnérable et on risque toujours de retomber dans ces états de choc, où on replonge dans l'horreur et où l'on perd complètement le sens de la réalité, ce qui au bout du compte engendre la panique. Si on est dépressif lorsqu'on vit l'un de ces épisodes, on est susceptible de se suicider.
(1535)

[Français]

    Lorsque les cliniques des Forces canadiennes ont été mises sur pied, deux erreurs ont été commises. On a insisté pour les appeler des cliniques de santé mentale. Elles portent maintenant le nom de Centres de soins pour trauma et stress opérationnels. Quand un soldat éprouve des problèmes psychologiques, il est de loin préférable qu'il se rende dans un service ainsi désigné, étant donné la stigmatisation des problèmes de santé mentale. Le SSPT n'est pas une maladie, c'est une blessure.
    Le deuxième problème, et c'est peut-être l'obstacle le plus important, est l'endroit où se trouvent ces cliniques. Les soldats, comme tous ceux qui ont des problèmes de santé, tiennent à protéger leur anonymat. S'ils sont contraints de se présenter dans un service clairement identifié comme étant destiné au traitement des problèmes psychiatriques ou psychologiques, les soldats refusent de s'identifier comme des personnes ayant des problèmes d'ordre psychologique ou suivant des traitements pour ce genre de problèmes. Certains demandent de partir pour ne pas avoir à subir la gêne associée au fait de se présenter dans ces services et de s'exposer aux sarcasmes des autres soldats. Ils sont même prêts à quitter les Forces canadiennes.
    La détection et le traitement précoces des problèmes de stress opérationnel sont absolument essentiels à toute guérison ou état de « raisonnabilité ». Les Forces canadiennes ont fort bien réagi à cette exigence et ont mis en oeuvre des procédures pour tenter de déceler ces problèmes. Néanmoins, vous avez lu ou entendu des choses au sujet de cas qui passent entre les mailles du filet. C'est un fait. Ça se produit parce que le soldat blessé veut peut-être passer entre les mailles du filet, parce qu'il veut échapper totalement à tout système de contrôle ou à tout contact avec des anciens camarades qui lui rappellent les problèmes qu'il vit. La stigmatisation de ces problèmes occupe toute la place dans son esprit. En effet, il se sent hautement stigmatisé encore aujourd'hui.
    Pour ce qui est des réservistes, ils habitent, dans certains cas, loin des centres urbains ou des bases militaires. Il n'existe aucun moyen officiel de les contraindre à continuer de s'y présenter ou de leur fournir les fonds pour qu'ils le fassent, à moins qu'ils n'aient été libérés et ne soient confiés aux soins d'Anciens Combattants Canada. À l'égard des soins, ils sont dans un état de léthargie susceptible de causer de sérieux troubles de comportement et de faire en sorte qu'ils deviennent, à l'occasion, un risque pour la société.
    Je crois que les Services de santé des Forces canadiennes sont conçus, en pratique et en théorie, pour remettre les soldats sur pied, assurer leur convalescence et les renvoyer rapidement à leur poste, ce qui est normal quand on veut que les services demeurent opérationnels. Mais établir cette normalité raisonnable dans le cas d'une blessure de stress opérationnel n'est pas comme se faire remplacer un genou ou suivre des traitements de physiothérapie. Cette blessure nécessite un long et essentiel processus de soutien avant que la personne atteigne un jour un état de convalescence raisonnable, mais aussi qu'elle puisse recourir à une prothèse lui permettant de survivre au quotidien sans retomber dans un état de choc et de stress.
    Je ne crois donc pas que, dans ce domaine de soins médicaux, nous soyons parvenus au même degré d'excellence que celui des chirurgiens et des dentistes. Il s'agit d'une dimension entièrement nouvelle des soins de santé dispensés aux militaires. Les services ne sont pas et ne seront peut-être jamais préparés à affronter ce genre de problème, compte tenu des guerres qui continuent à évoluer de façon changeante et significative avec les années.
(1540)

[Traduction]

    On a dit que l'on n'arrive pas à attirer les spécialistes voulus dans les Forces canadiennes à cause de la faible rémunération comparativement à leurs homologues civils. Cela n'est pas entièrement le cas, parce que s'enrôler dans les Forces canadiennes et servir le Canada, c'est une vocation, et la rémunération a toujours été un facteur secondaire pour les spécialistes, de même que pour la population militaire en général. Cependant, il faut offrir une rémunération responsable.
    Quoi qu'il en soit, le nombre important de psychiatres et de psychologues dont on a besoin pour traiter le nombre de soldats qui reviennent au pays, souffrant de stress opérationnel, exige que l'on fasse appel en grand nombre à des spécialistes du secteur civil. Il existe des spécialistes civils qui travaillent dans certaines cliniques multidisciplinaires des Forces canadiennes, mais j'ai appris que le roulement est élevé parce que les spécialistes civils n'arrivent pas tous à composer avec le milieu de travail des Forces canadiennes, ses règles et ses règlements, et une hiérarchie du commandement qui parfois rejette leur opinion d'experts.
    On m'a parlé des diverses échelles salariales du secteur civil. Apparemment, un spécialiste civil qui travaille pour les Forces canadiennes gagne un salaire nettement moins élevé qu'un spécialiste qui travaille à une clinique communautaire financée par les régimes de santé provinciaux dans de nombreuses régions du pays. Parmi les chiffres intéressants qui ont été fournis, un psychiatre en Alberta peut gagner jusqu'à 195 000 $ par an, tandis que le salaire maximum annuel au Québec est de 97 000 $. La moyenne nationale est de 159 000 $, et au Conseil du Trésor le maximum est de 128 469 $. Vous pouvez constater qu'une personne qui travaille à temps plein pour les Forces canadiennes gagnera pratiquement 29 000 $ de moins que la moyenne nationale. Pourtant, les Forces canadiennes ne semblent pas connaître de problèmes au Québec.
    Faire appel à des fournisseurs de soins de santé de l'extérieur n'est pas une solution idéale parce que les Forces canadiennes perdent le contrôle du service et qu'un tel programme est invariablement plus coûteux qu'un programme interne.
(1545)

[Français]

    J'ignore si on a expliqué aux membres du comité toute la gamme possible des blessures de stress opérationnel. Tous les malades ne sont pas atteints du syndrome de stress post-traumatique. On me dit que parmi les très nombreux cas de stress opérationnel, seulement 8 p. 100 sont considérés comme des cas de syndrome de stress post-traumatique.
    Par contre, on me dit aussi que si un cas bénin de dépression mineure n'est pas décelé et traité de toute urgence, il risque de devenir grave, puis chronique, ce qui peut entraîner des problèmes comme l'alcoolisme, la toxicomanie, des comportements compulsifs inacceptables et même le syndrome de stress post-traumatique. Les traitements, qui coûtent quelques milliers de dollars au premier stade, finissent par coûter une petite fortune, et les blessés risquent fort de perdre leur famille, leur emploi, voire leur vie parce que le système n'intervient pas avec le même sentiment d'urgence que pour les blessures physiques. Hélas, il y a des délais inhérents à l'obtention de traitements, la cause étant qu'il faut pour obtenir des rendez-vous chez les spécialistes. L'approche multidisciplinaire du traitement du syndrome de stress post-traumatique semble celle qui convient le mieux, car elle est utilisée dans les cliniques qui auraient le meilleur taux de réussite.
    Lorsque les Forces canadiennes ont imposé aux patients une analyse psychologique avant d'être aiguillés vers un psychiatre, certains y ont vu un moyen de vérifier si les soldats feignaient les symptômes pour obtenir des prestations pour syndrome de stress post-traumatique. Heureusement, les spécialistes sont tout à fait aptes à établir qui est vraiment malade et qui ne l'est pas. Ils ont rarement besoin d'une seconde opinion. Toutefois, l'obligation de consulter un psychologue avant de pouvoir consulter un psychiatre fait doubler et même tripler le temps d'attente avant le début du traitement, car les psychologues sont aussi rares que les psychiatres. En cherchant la solution idéale, nous avons exacerbé une situation déjà grave, en retardant davantage le traitement des malades.

[Traduction]

    Avec votre permission, je voudrais rapidement faire part au comité de quelques recommandations. J'ai pris bonne note du rapport qu'a produit le comité des affaires des anciens combattants de la Chambre des communes, qui contient d'excellentes recommandations visant une collaboration plus étroite entre les services de santé des Forces canadiennes et ceux d'Anciens combattants Canada.
    Je crois qu'il est absolument essentiel que les cliniques des Forces canadiennes ne se retrouvent plus dans les bases et elles pourraient même, au besoin, partager des locaux avec les cliniques d'Anciens combattants Canada ou des cliniques pour civils dans les collectivités. Il faut éliminer le goulot d'étranglement attribuable au fait que les patients ne peuvent commencer leur traitement qu'après avoir consulté un psychologue, qui doit faire une évaluation très longue avant qu'ils puissent voir un psychiatre. Il faut qu'on puisse identifier ceux qui ont besoin d'aide et leur permettre de commencer leur traitement plus vite.
    Il faut également suivre l'état de santé des réservistes pendant un délai assez long, qui pourra même aller jusqu'à cinq ans après leur retour d'une zone de service spécial. Sur les 12 officiers qui étaient au Rwanda avec moi au début du génocide, neuf ont succombé à cette maladie, le dernier y ayant succombé neuf ans après coup.
    Il faudrait réduire le nombre de périodes d'affectation à l'étranger ou accroître le soutien aux familles.
    Je vous invite à examiner les tableaux que je vous ai remis. Ils n'ont pas de caractère scientifique, mais se fondent sur la période d'affectation que j'ai effectuée pendant que j'étais sous-ministre adjoint responsable du personnel et sur les résultats que nous avions à ce moment-là. Un des tableaux présente la courbe normale du stress, qui serait une courbe simple où les familles évolueraient au fil du temps que dure normalement la carrière. C'était certainement le cas durant la Guerre froide, et il y a un peu plus de stress quand le conjoint ou la conjointe travaille ou que les enfants sont à l'école secondaire et ne veulent pas déménager. Cependant, dans les années 1990, le scénario a changé du tout au tout et le stress est de plus en plus exacerbé de nos jours.
    Nous n'amenons pas les gens à redescendre de cette courbe exponentielle de stress après ces missions très complexes et dangereuses, si nous ne leur donnons pas assez de temps ni un soutien suffisant pour qu'ils puissent évoluer vers leur prochaine mission, pour qu'ils puissent en arriver à dire: la mission était difficile, mais nous nous en sommes sortis, nous en avons tiré des leçons et nous sommes prêts pour la prochaine mission. Ce qui se passe, c'est que, parce que les rotations sont tellement rapprochées et que nos effectifs sont si peu nombreux, nos militaires passent aussitôt d'une série de facteurs de stress à une autre série, ce qui fait qu'ils s'effondrent littéralement, et les membres de leurs familles aussi. Nous avons même eu des cas de suicide.
    Les Forces canadiennes ont institué un excellent programme de décompression pour les militaires qui reviennent de zones de service spécial comme l'Afghanistan, mais il n'existe pas de programme structuré pour le grand nombre de renfort individuel qui sont déployés avec ces unités et qui reviennent ensuite au pays. Mon fils est censé revenir dans deux semaines d'une période de service de six mois en Sierra Leone, en Afrique, et il n'existe pas de programme pour que nous puissions évaluer ceux qui reviendront comme lui et les amener à un certain niveau de normalité.
    On recommande que les Forces canadiennes soient chargées de s'attaquer à cette question du grand nombre de ces personnes qui sont bien plus vulnérables que celles qui font partie de groupes militaires officiels, elles sont bien plus vulnérables à la contagion du trouble du stress post-traumatique. Le problème tient au fait qu'elles ne sont pas identifiées et qu'elles ne peuvent pas être traitées par la suite ou qu'elles sont traitées trop tard, sans doute après qu'elles se sont détruites elles-mêmes et qu'elles ont détruit leurs familles.
    Le ministère de la Défense nationale et le ministère des Anciens combattants devraient unir leurs efforts pour construire un centre national de développement de la formation en recherche à Ste-Anne. Je recommanderais que l'Hôpital de Sainte-Anne-de-Bellevue devienne un centre d'expertise et de savoir en la matière pour que nous ne nous retrouvions pas aux prises avec le même problème que la dernière fois, où il a fallu plus de 10 ans avant de pouvoir rebâtir le système afin qu'on puisse s'occuper de ceux qui souffrent de blessures psychologiques après avoir participé à des conflits. Nous devons maintenir un centre d'expertise permanente.
    Enfin, il faut trouver un moyen d'incorporer les familles au processus de traitement, et ce, de façon structurée. Si nous ne traitons que les militaires, sans traiter leurs familles, nous ne pourrons pas atteindre les niveaux opérationnels que nous espérons atteindre en ramenant ceux qui ont été blessés à un niveau où ils peuvent reprendre leurs fonctions.
    J'ai une observation dont j'aimerais vous faire part en guise de conclusion. Quand je suis rentré du Rwanda en 1994, ma belle-mère m'a dit qu'elle n'aurait pas survécu à la Seconde Guerre mondiale si elle avait dû vivre ce qu'avaient vécu ma femme et mes enfants.
(1550)
    Pendant la Seconde Guerre mondiale, mon beau-père commandait un régiment. Il a participé à toutes les opérations sur le terrain. L'information qui était communiquée aux militaires était rare et souvent censurée.
    Aujourd'hui, les familles des militaires participent aux missions en même temps qu'eux. Ils suivent continuellement ce qui se passe à la télévision, écoutent la radio et consultent l'Internet qui leur apprend quand leur fils, leur fille, leur mari ou leur conjoint a été tué, blessé ou enlevé. Lorsqu'ils reviennent de ces missions, les militaires ne sont plus les mêmes et nous non plus. Un système qui n'accepte pas ses responsabilités envers ceux qui sont envoyés en mission, qui ne s'occupent pas d'eux à leur retour est un système qui comporte de graves lacunes.
    Je comprends que cela soulève la question des compétences du gouvernement fédéral et des gouvernements provinciaux, mais cela ne devrait pas nous empêcher de maintenir l'efficacité opérationnelle des Forces canadiennes en accordant un soutien non seulement à ses membres, mais aussi à leurs familles. Cela ne peut qu'accroître notre efficacité.
    Je vous remercie.

[Français]

    Merci, monsieur le général, pour votre présentation.
    On commence le premier tour. La parole est à M. Wilfert.

[Traduction]

    Je vous remercie, monsieur le président.
    Je vous remercie, Général Dallaire, de comparaître devant le comité. Je vous sais gré des recommandations que vous nous avez faites.
    Vous avez parlé d'un traumatisme qu'il faut reconnaître comme tel et de la vulnérabilité continuelle des gens. Cela me porte à réfléchir. Vous avez aussi parlé de ce qu'avait vécu un officier neuf ans après son déploiement.
    Certains d'entre nous sont revenus hier du théâtre d'opérations. Nos soldats font clairement de l'excellent travail en Afghanistan et nous avons visité les installations médicales. La base à Kandahar compte un psychiatre et un psychologue. Ils procèdent aux pré-évaluations et à l'évaluation en prévision du retour au pays. Comme nos collègues, j'ai rencontré plusieurs personnes. Il faut assurer un suivi. Certains militaires en sont à leur troisième affectation et certains d'entre eux ont dit s'inquiéter de la façon dont leurs collègues sont traités.
    Quant à l'idée de déplacer les cliniques des Forces canadiennes à l'extérieur de la base, pourriez-vous nous expliquer comment cela fonctionnerait en collaboration avec les autorités civiles ou avec les centres du ministère des Affaires des anciens combattants?
    Certains ont aussi insisté sur la nécessité d'une intervention rapide. Il semblerait qu'on ne traite pas de la même façon les officiers et les simples soldats à qui l'on dirait qu'ils doivent souffrir en silence parce que ce serait faire preuve de manque de courage que d'en parler. Or, vous ne vous êtes pas simplement tu il y a 11 ans. Je sais que vous n'aimez pas être donné en exemple, mais vous avez eu le courage de dire ce qui vous était arrivé.
    D'après ce que nous avons vu, les choses ne semblent pas avoir beaucoup changé et certaines personnes semblent toujours tomber entre les mailles du filet. J'aimerais que vous nous disiez si cette impression est juste et j'aimerais aussi savoir si vous pensez que deux spécialistes suffisent sur le terrain. À votre avis, devrions-nous recommander d'accroître les ressources mises à la disposition des soldats en Afghanistan.
(1555)
    Je n'ai pas l'habitude d'être bref. Cependant, lorsque j'ai participé au comité qui a conseillé le sous-ministre des Anciens combattants pendant près de quatre ans ce qui a mené, au bout du compte, à la rédaction du rapport qui a mené à la Charte — et l'amiral Murray était le sous-ministre à cet époque — nous avons même discuté longuement du regroupement des cliniques du ministère des Anciens combattants sur les bases afin d'en rendre la gestion plus facile.
    Cependant, il existe toujours des frictions à l'intérieur des forces entre les anciens combattants et qui reconnaissent que c'est un traumatisme et ceux qui ne sont pas des anciens combattants et qui disent « ça ne m'arrivera pas à moi ». Cette friction existait dans les années 50, après la Deuxième Guerre mondiale et la Guerre de Corée. Cette friction est à l'origine de la stigmatisation de ceux qui déclarent souffrir de ce traumatisme. Parfois, si les bureaux des psychiatres et psychologues sur la base sont bien évidents, certaines personnes regardent qui y entre et font circuler des rumeurs.
    Aux échelons plus élevés et de même qu'aux échelons inférieurs, on reconnaît que le syndrome de stress post-traumatique est un traumatisme — ce n'es pas une maladie, parce que nos cerveaux sont physiquement atteints; des circuits sont détruits, et il a également des effets physiques. C'est une blessure que l'on doit reconnaître avec le même niveau d'urgence et de préoccupation que celle de la personne dont le bras est coupé. Toutefois, dans une organisation très darwinienne qui exige l'expression ouverte du courage, de la détermination et de l'engagement, certaines personnes ont un problème avec les choses qu'elles ne peuvent pas voir. Nous sommes des gens très visuels, et il est difficile de voir la blessure située entre les deux oreilles jusqu'à ce qu'on regarde dans les yeux de ces gens et qu'on soulève certaines questions, c'est alors que l'on voit les conséquences.
    Je ne crois pas que les forces aient réglé cet aspect de la culture. Elles s'y sont plus ou moins attaqué, mais je ne pense pas qu'elles aient déjà trouvé la solution. Les chefs de bataillon doivent suivre un programme complet avant d'être affectés à leur poste. Ils essaient de communiquer cette information, mais il y a toujours un quelconque individu qui peut influencer 800 ou 900 personnes. C'est pourquoi je pense que la formalisation du changement culturel concernant ce traumatisme n'est pas encore complétée.
    De même, l'influence des anciens combattants sur les vétérans actuels est extrêmement importante, surtout lorsque l'on voit que les anciens combattants se battent avec ceux sur la base et hors de la base. Mais c'était également le cas lors de la Guerre de Corée et de la Deuxième Guerre mondiale.
    Hors de la base, cela n'existe pas. Personne ne sait si le chef de l'unité va subir un examen médical, ou aimerait en avoir un. À l'extérieur de la base, ce stigmate ou cette étiquette n'existe pas. Lorsque j'étais SMA personnel, trois étoiles et responsable du système médical je disais continuellement aux spécialistes, « Bien sûr, vous voulez que la personne vienne vous parler de son problème, mais vous ne pouvez rester assis à attendre qu'ils viennent cogner à votre porte ».
    Les spécialistes ne vont pas vendre leur salade. Ils devraient aller dans les compagnies, dans les pelotons. Ils doivent aller sentir ce qui se passe et utiliser leur expertise pour identifier ces situations. Ils doivent aller dans les unités et transmettre cette information et ainsi inviter les gens à venir les voir. Un seul psychiatre et un seul psychologue dans ce type de théâtre d'opérations n'est pas suffisant. On fait beaucoup de formation pour pouvoir reconnaître ce traumatisme dans l'unité, mais on a également besoin de professionnels. Si une situation tragique survenait, comme ce fut le cas avec l'opération Méduse où nous avons subi beaucoup de pertes, s'il n'y a qu'un psychiatre et un psychologue, ils sont vite dépassés. Et lorsqu'on commence à évacuer des gens parce qu'ils souffrent de SSPT ou des symptômes du SSPT, on commence à leur associer des stigmates.
    Donc ces gens ont besoin de plus d'appui à l'extérieur de la base.
(1600)

[Français]

    Il y a un autre intervenant, monsieur Dallaire.
    Monsieur Bouchard, c'est à vous. Vous avez sept minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Bienvenue parmi nous, général Dallaire.
     On a entendu parler du fait que les soldats souffrant du syndrome de stress post-traumatique évitaient de consulter des professionnels de la santé mentale, de peur, semblerait-t-il, que leurs supérieurs soient informés de leur situation.
    Ces craintes existent-elles réellement et, le cas échéant, pourquoi?
    Monsieur Bouchard, vous pouvez imaginer la stigmatisation que suscite dans la population civile les questions de santé mentale. On en a déjà une idée. Chacun a ses propres préjugés sur le sujet. Or, imaginez une personne appartenant à une organisation où l'on exprime quotidiennement son courage, sa détermination, sa capacité d'endurer le stress et d'évoluer positivement dans ces situations qui, tout à coup, n'est plus capable de faire face à ça, non pas parce qu'elle a perdu un bras ou qu'elle a mal au dos, mais parce que quelque chose ne fonctionne plus entre ses deux oreilles. Le pire est qu'il est déjà difficile d'essayer de faire comprendre à l'individu blessé que ça ne fonctionne plus. Si on n'encourage pas cette prise de conscience face au fait que des gens puissent être blessés de cette façon, ceux qui sont atteints vont d'office craindre d'avoir recours à de l'aide.
    Par ailleurs, il n'y a aucun doute que ces blessures créent une incertitude à l'intérieur de la chaîne de commandement. Comme vous l'avez vu, on arrive sur les lieux d'une opération et on commence à tirer. On peut alors se demander si un individu va faire son travail ou être pris de panique et s'enfuir en courant. Il y a un facteur opérationnel. En effet, nous sommes en opération, et ce n'est pas comme dans le temps de la Guerre froide, une période pendant laquelle on s'entraînait en Allemagne en attendant que les Russes arrivent. Aujourd'hui, il s'agit d'une armée de campagne qui revient parfois en garnison pour tenter de soigner ses blessures.
    Dans ce contexte, les commandants ont davantage tendance à se demander si, à l'égard d'un individu, ils vont ou non prendre un risque. Ça créée une pression sur l'individu, qui ressent encore plus la nécessité de se reprendre. Ceux qui sont blessés ne sont donc pas nécessairement identifiés. Ce n'est pas parce qu'ils craignent que leur patron soit au courant ou qu'ils ont peur d'avoir l'air d'une « moumoune »: c'est que comme individus, il se sentent responsables face au groupe. Ils savent que le commandant compte sur eux et ils ne veulent pas donner l'impression qu'ils ne se donnent pas à 100 p. 100. Ça pourrait être à 90 p. 100, ce qui serait suffisant, mais ce ne serait pas le maximum.
    Compte tenu du mélange de ces deux facteurs, il est absolument essentiel que dès le retour, des professionnels passent beaucoup de temps à revoir ces personnes. Les plus vulnérables sont, par exemple, des techniciens de radar provenant d'une petite localité qui sont mutés là-bas pour un certain temps, mais qui retournent ensuite seuls à leur base. Ces gens-là n'ont pas l'expérience des théâtres d'opérations. En outre, il y a les réservistes.
     Mon régiment est le 6e Régiment d'artillerie de campagne de Lévis. Il y a deux semaines, 18 membres de ce groupe sont revenus: un était gravement blessé et les 17 autres étaient en bon état. Leurs familles étaient présentes à la parade et au souper. Simplement en observant la capacité de communiquer d'un individu, on peut déterminer en deux minutes s'il souffre d'un problème. La méthode consistant à aller au devant des coups n'est pas encore suffisamment à point pour sauver certains de ces individus.
(1605)
    Apparemment, un pourcentage important des militaires chez qui on décèle un syndrome de stress post-traumatique prétendent être capables de s'en sortir seuls. À quoi est due cette façon de penser?
    Pour ce qui est des individus chez qui on décèle vraiment le syndrome de stress post-traumatique, on parle de 8 p. 100. Or, une proportion d'individus atteignant facilement 20 p. 100 sont affectés à des niveaux divers, dépendamment de l'expérience qu'ils ont vécue. S'ils sont bien encadrés et appuyés par leur famille ainsi que par leur milieu de travail et si on prévoit pour eux une période de réadaptation, ces individus peuvent réussir à retrouver une certaine normalité.
    Par contre, ceux qui souffrent du syndrome de stress post-traumatique vivent le refus d'être blessés de façon non honorable. Un trou dans une fesse causé par une balle est considéré comme une blessure honorable, mais pas les problèmes entre les deux oreilles. On évolue dans une organisation qui bâtit son esprit d'équipe sur l'honneur, la conviction et le don de soi. L'individu n'accepte pas d'être victime de ce genre de blessure. Nombre de fois, on préférerait de loin avoir perdu un bras plutôt que d'être atteint d'une blessure psychologique. Dans le cas d'un bras, on peut faire quelque chose, installer une prothèse, mais dans celui d'une blessure psychologique, un bruit, un son ou une odeur peuvent replonger la personne dans un complet désarroi et faire en sorte qu'elle devienne dangereuse pour elle-même.
    Madame Black, c'est à vous.

[Traduction]

    Merci d'être ici, sénateur Dallaire. Nous sommes heureux d'entendre votre témoignage. Il est bon également de recevoir des recommandations. Je vous en sais gré.
    Vous avez parlé de votre expérience personnelle et du fait que vous aviez reçu certains commentaires négatifs de la part de vos collègues. Je pense que le courage dont vous avez fait preuve a permis à d'autres personnes de demander de l'aide. J'espère que vous en retirez beaucoup de satisfaction personnelle. Si les personnes ne le font pas, tout cela reste caché, et je pense que ce que vous avez fait a rendu la situation plus facile pour que les autres puissent solliciter et obtenir de l'aide.
    Vos expériences de flashbacks m'ont intrigué. J'ai parlé à un certain nombre de soldats qui vivent la même chose. Nous avons entendu des témoignages à huis clos de jeunes soldats qui ont utilisé presque les mêmes termes pour décrire leur situation. La ressemblance frappante entre ce que les gens m'ont dit et ce qu'ils ont dit à notre comité quant à leur expérience du SSPT m'a beaucoup impressionnée. Il y a assurément une façon de diagnostiquer ce traumatisme, et je pense que les forces canadiennes pourraient faire un meilleur travail.
    Dans vos recommandations, vous avez dit que les rotations étaient trop fréquentes maintenant en raison du nombre limité de soldats. Nous serons probablement en Afghanistan jusqu'en 2011, et je pense que les soldats y retourneront trois fois ou peut-être même plus, d'après le plan des rotations que j'ai vu. Quelle est la solution à cet état de choses?
(1610)
    En 1997, alors que j'étais chef d'état-major responsable du personnel et que j'ai porté à l'attention du public le fait que nous informions mal nos propres gens, et à plus forte raison les autres, je suis allé au U.S. Veterans Center for Post-traumatic Stress Clinics, située à White River Junction, au Vermont, pour leur demander si tous les cas devraient être traités de la même façon, comme les commandants avec leur stress et leur formation, en comparaison des soldats. Je leur ai également demandé de nous aider à mettre au point notre propre programme rapidement, puisqu'ils avaient l'expérience du Vietnam.
    Ils m'ont répondu: « Nous ne voulons pas que vous viviez ce que nous avons vécu au Vietnam et nous allons vous aider », parce qu'en 1997, il y avait encore des suicides directement attribuables au Vietnam. Ils ont perdu 58 000 soldats au Vietnam. En 1997 ils avaient enregistré plus de 102 000 suicides directement reliés au Vietnam.
    C'est un traumatisme, une blessure qui ne guérit jamais. On ne peut pas s'en sortir, comme M. Bachand me le demandait, sans thérapie professionnelle, sans médicaments et sans un ami dévoué. L'aide fournie par les pairs dans le cadre du programme de soutien social aux victimes de stress opérationnel est absolument essentielle. On a besoin de quelqu'un qui restera là pendant quatre heures sans poser une seule question, à vous écouter parler sans fin. On a besoin de cela en tout temps.
    On ne peut jamais prédire ses points vulnérables. C'est comme être soudain privé d'une prothèse. Je vais vous donner un exemple, si vous me le permettez. J'étais en Sierra Leone où je participais à la démobilisation des enfants soldats — en fait, à l'époque, je travaillais pour Mme Minna — j'arrivais de la zone de rébellion et je traversais la rue à Freetown. Du coin de l'oeil, j'ai aperçu un vendeur de noix de coco qui installait son étal; il avait une machette. J'ai poursuivi mon chemin et tout à coup il a fait sauter le dessus d'une noix de coco d'un coup de machette. J'ai vu le liquide blanc, le brun, et entre le son et le tableau, j'ai complètement disjoncté.
    Les trois personnes qui m'accompagnaient ont dû s'asseoir sur moi pendant au moins cinq minutes pour m'immobiliser, puis, tranquillement, j'ai pu récupérer. Environ 20 minutes plus tard, je faisais un exposé. Cela montre qu'on ne sait jamais d'avance quel bruit, quelle odeur, et quel commentaire déclenchera ces réactions.
    L'an dernier, j'ai participé à une partie de golf avec des soldats de mon ancien régiment, le 5e régiment d'artillerie. Il y avait là des sergents qui étaient dans l'armée depuis 10 ans. Comme il faut au moins un an au moins d'entraînement pour qu'ils développent une force minimale et qu'ils suivent ensuite d'autre formation, ils devaient avoir neuf ans de service opérationnel. Ils avaient participé à sept missions!
    Nous avons des soldats à l'heure actuelle dans les forces canadiennes qui ont passé plus de temps au combat que les anciens combattants de la Deuxième Guerre mondiale. À ce rythme, les forces vont continuer à diminuer par attrition des soldats et de leur famille, à moins qu'on rehausse le recrutement. Il ne s'agit pas de réduire le nombre de missions, car nous devrions également être présents au Darfour et à d'autres endroits; il faut augmenter le nombre de recrues.
    Reconstruire une armée est un projet à long terme et je crains qu'il y aura d'autres victimes, simplement à cause de l'épuisement professionnel.
    En terminant je dirais, il y aura probablement des militaires victimes de ce traumatisme, qui seront envoyés en mission. Dieu sait, un bruit ou un événement peut déclencher une crise, et nous ne savons pas quelle sera leur efficacité.
    Vous avez également soulevé la question des réservistes. Vous n'êtes pas le premier à le faire. Je suis heureuse que vous ayez des recommandations à ce sujet également. C'est certainement un domaine dans lequel il faut agir.
    D'autres témoins nous ont dit que l'information sur le TSPT remonte difficilement la chaîne de commandement. Il est clair qu'il y a beaucoup d'information qui doit remonter la chaîne de commandement. Pourquoi est-ce que c'est si difficile dans le cas du stress opérationnel ou des problèmes de santé mentale?
(1615)
    Je dirais que la situation a beaucoup changé depuis les années 1990; nous avons fait de grands progrès. En outre, ce n'est pas un problème d'argent. Jamais je n'ai entendu dire qu'il n'y avait pas assez d'argent pour faire le travail. Souvent, c'est une question d'expertise, etc.
    Cependant, en ce qui concerne le problème de l'information ascendante, je crois que les hauts gradés — les brigadiers, les généraux à une étoile, les colonels, ainsi de suite — savent ce qui se passe. Je crois également que les soldats des grades inférieurs savent ce qui se passe. Le problème, c'est entre les deux. Bon nombre des grades intermédiaires sont pris au quartier général et dans des processus qui ne reflètent pas nécessairement le fait qu'il y a des soldats qui vivent au coeur du danger dans un pays en guerre.
    Le groupe intermédiaire a une mentalité bureaucratique et n'a pas nécessairement le même sentiment d'urgence, ni la capacité de répondre à certains de ces besoins avec la rapidité que l'on pourrait souhaiter. Nous accusons le système de santé d'être déphasé par rapport aux réalités opérationnelles. Eh bien, je pense qu'en ce qui concerne les blessures physiques, il a eu d'importants progrès; c'est l'urgence mentale, l'urgence de ceux qui souffrent du stress qui n'est pas à la hauteur, car nous n'avons pas encore réussi à sensibiliser les grades intermédiaires.

[Français]

    Monsieur Hawn.

[Traduction]

    Bienvenu, général. Je suis ravi de vous revoir.
    J'aimerais faire quelques observations avant de poser quelques questions.
    Nous avons entendu beaucoup de témoignages, souvent très critiques et à huis clos. Même si nous avions le meilleur système au monde, ces personnes viendraient néanmoins nous parler. Nous avons entendu un témoignage équilibré de la part d'un soldat et de son épouse, d'un soldat qui avait subi des blessures très graves.
    Vous avez parfaitement raison au sujet des réservistes et de la nécessité de les suivre. En outre, les réservistes doivent coopérer.
    Il est, bien sûr, important de comprendre la culture. La formation qui précède un déploiement a beaucoup changé. Êtes-vous au courant de la formation qui se donne maintenant et que pensez-vous de son efficacité?
    Oui. C'est cent millions mieux que la formation que nous avons reçue. Par exemple, mon régiment de milice, dont je suis colonel honoraire, a 25 soldats qui suivent à l'heure actuelle une formation pour leur déploiement en 2009. Ils ont donc déjà reçu près de cinq mois de formation. Certains d'entre eux auront plus d'un an de formation avant d'être envoyés au théâtre des opérations.
    Ce n'est pas une dimension insignifiante, si j'ose dire, parce que plus ils auront reçu de formation, plus ils auront de réactions instinctives et professionnelles dans les conditions où ils se retrouveront et moins ils risquent d'être traumatisés par une surprise. Il y a une différence entre des troupes ayant reçu une formation très professionnelle, qui sont motivées, appuyées et concentrées et celles qui n'ont pas cette capacité.
    Cela m'amène à parler des renforts, ceux qui sont déployés de manière ponctuelle et qui n'ont pas eu autant de formation et qui n'ont pas autant de cohésion. Certains d'entre eux n'ont reçu qu'une formation de base de trois mois, ce qui est déjà beaucoup mieux qu'avant, mais qui n'est pas suffisante. Ce sont eux qui passent entre les mailles du filet.
    Je suis sûr qu'il y aurait un moyen, dans le cadre des ententes contractuelles que nous avons avec les réservistes lorsqu'ils sont envoyés en mission, de les suivre. Ces jeunes sont comme des bombes à retardement et il doit y avoir un moyen de créer — sinon d'imposer — un lien permanent avec eux.
    Je crois savoir que les réservistes reçoivent en gros la même formation que les troupes permanentes lorsqu'ils sont affectés à une rotation.
    En fait, les réservistes reçoivent plus de formation.
    Oui.
    Vous avez parlé des taux de suicide, ce qui est évidemment un problème. Les taux de suicide n'ont pas augmenté au sein des forces canadiennes. De fait, ils sont inférieurs à la moyenne nationale de la population civile. Ce qui est critique, c'est la pénurie de professionnels en santé mentale, et c'est un problème dont on est conscient. On essaie de combler cette pénurie. Vous avez parlé de la difficulté d'attirer des spécialistes: il n'y a pas que la rémunération qui soit une obstacle; il y a sans doute quantité d'autres choses. Que peut-on faire pour en attirer davantage?
    Nous essayons de doubler le nombre de professionnels en santé mentale et il n'est pas certain qu'il y en a suffisamment au pays. Que faisons-nous pour en attirer davantage dans les Forces, soit comme militaires soit comme civils?
    En ce qui concerne les suicides, j'ai fait une déclaration publique en 1997 précisément à cause d'un rapport qui disait que, chez nous, il n'y avait pas plus de suicides qu'ailleurs et qu'ils n'étaient pas causés par les missions en Bosnie mais plutôt par une prédisposition générale.
    Si vous examinez un groupe très particulier de gens qui ont suivi un entraînement rigoureux et dont ont été exclus ceux qui ne pouvaient pas le supporter, et si vous regardez les chiffres, vous constaterez qu'ils sont troublants. Il faut considérer avec prudence les chiffres relatifs à un groupe spécialisé bien entraîné dont ont été écartés ceux qui correspondent à la norme de la population civile.
    En ce qui concerne les spécialistes, quand j'étais commandant de la région du Québec, il n'y en avait même pas suffisamment pour la population civile. Alors comment pensez-vous que l'on pouvait répondre à nos besoins? Comment peut-on soutenir que nos besoins sont plus importants que les autres? Comme soutenir que les familles de nos gens ont plus d'importance que celles des autres?
    Pour moi, la seule solution c'est la continuité des programmes, c'est-à-dire entre ceux des forces canadiennes et des anciens combattants pour faire en sorte qu'il y ait un continuum de traitements entre le thérapeute et la personne traitée. Cela renforce la confiance vis-à-vis du thérapeute qui ne sera pas transféré tous les deux mois pour s'occuper d'autres malades et qui ne pourra accorder que 10 consultations. Ce sont des limites artificielles ridicules et abberrantes. On traite un malade jusqu'`a ce qu'il puisse fonctionner raisonnablement et non pas en fonction d'un nombre fixe de consultations.
    Je pense que l'on peut créer un continuum entre le ministère des anciens combattants et les forces canadiennes en ce qui concerne les thérapeutes. Deuxièmement, aller recruter à tour de bras dans les universités. S'il faut payer une prime, fort bien. Soutenez la concurrence avec le civil et allez les chercher.
    L'argent que l'on investit pour essayer de ramener ceux qui ont été blessés — et on en ramène beaucoup grâce aux aménagements et ainsi de suite — ce n'est rien par rapport à ce qu'on a investi dans leur entraînement et à la perte de l'expérience que cet ancien combattant peut transmettre à d'autres. C'est comme un plan d'entreprise, vous payez le prix au début.
(1620)
    Malheureusement, c'est un processus très long. Nous avons fait beaucoup de chemin, comme vous l'avez dit, mais il vous en reste énormément à parcourir.
     Vous dites que nous ne sommes pas parvenus au même niveau de soins avec les médecins et les chirurgiens. Est-ce la complexité de l'esprit — il est plus facile de réparer un bras cassé qu'un esprit malade? Pensez-vous qu'on y arrivera jamais?
    Quand on a vraiment commencé à changer d'attitude vis-à-vis de la santé mentale après l'opération Phoenix à la fin des années 90, nous avons dit qu'il fallait accélérer le traitement des blessures opérationnelles pour faire face au caractère urgent de la situation. On a soutenu que les troubles de l'esprit devaient être traités aussi rapidement que les blessures physiques. Nous avions déjà du mal à nous occuper des blessures physiques.
    L'attitude c'est qu'il fallait prouver qu'il était aussi urgent de diagnostiquer le trouble et de s'en occuper, surtout dans la période des trois à six premiers mois suivant le déploiement, où c'est le plus efficace. Je ne suis pas certain qu'on y soit parvenu. Quand un bataillon de 800 soldats reviennent, vous êtes dépassé. La capacité d'appoint est insuffisante pour s'occuper de ces grands déploiements dans les trois à neuf premier mois. Si vous ne les prenez pas en charge à ce moment-là, cinq ou six ans plus tard, la personne s'effondre littéralement.
    Ça m'a pris quatre ans. On devient une coquille vide. Vous êtes un légume pendant des mois jusqu'à ce que les médicaments et les consultations vous remettent sur pied.
    Je pense que Mme Brown sera la dernière personne à poser des questions aujourd'hui. Vous avez cinq minutes; allez-y, je vous en prie.
    Merci, monsieur le président.
    Merci, général Dallaire.
    Je veux revenir sur cette question de l'aide professionnelle parce que de toute évidence c'est la solution si l'on veut remettre les gens d'aplomb et en état de bien fonctionner. Vous dites que pour trouver des psychologues et des psychiatres, ce n'est pas la rémunération qui fait problème. Dans votre liste, ce qui m'a frappée, c'est quand vous avez dit que le diagnostic ou le plan de traitement d'un de ces professionnels peut être bloqué par la chaîne de commandement, et vous venez de le répéter.
    Il me semble que si on éliminait cette possibilité, on pourrait obtenir beaucoup plus de psychiatres de la collectivité en général ou des rangs des forces armées parce que ces professionnels n'ont pas nécessairement la vocation de servir dans les forces. Leur vocation est ailleurs. Elle est de guérir l'esprit des malades qui s'adressent à eux et de les ramener dans un état d'autonomie responsable et de santé pour qu'ils soient capables d'affronter l'avenir.
    Nous faisons donc face ici à un conflit entre la vocation du professionnel de la santé mentale et la culture des forces armées, qui favorisent la conformité, l'obéissance, la camaraderie et l'honneur dans un sens précis. J'incline à penser qu'un professionnel de la santé mentale a une définition d'honneur bien différente de celle d'un professionnel militaire.
    Pour moi, pour combler cet écart, il faudrait que ces gens de l'extérieur aient la liberté de traiter sans ingérence de la chaîne de commandement. Qu'en pensez-vous?
(1625)
    De fait, il y a eu des CANFORGEN — j'imagine que vous connaissez le terme — publiés par le chef d'état-major de la défense au cours des années stipulant que la chaîne de commandement n'avait aucun pouvoir concernant l'aide médicale que reçoit quelqu'un. Par contre, quand on parle de chaîne de commandement, c'est souvent dans son sens officieux. Autrement dit, il ne s'agit pas forcément d'un ordre ou d'une directive. C'est lui le patron. Il est l'adjudant et moi je suis le caporal. Et l'adjudant ne veut pas entendre parler de TPST ou d'autres problèmes de ce genre. La chaîne de commandement, ce n'est donc pas quelque chose qui apparaît et qui disparaît mais il y a un pouvoir informel qui continue d'avoir une grande importance.
    C'est pourquoi j'ai dit qu'il fallait un changement délibéré de culture, d'attitude, au sein des forces pour faire en sorte qu'aussi bien les anciens combattants que les autres soient sur la même longueur d'ondes au sujet de ces troubles, qui sont tout aussi honorables qu'une blessure physique. Voilà pour l'interne. Il faut donc opérer un changement de culture dans les faits de manière constante et non pas isolée, comme cela arrive trop souvent, et ensuite superviser.
    En ce qui concerne le thérapeute, quand je travaillais au comité des affaires des Anciens Combattants à la Chambre, une des premières choses que j'ai réalisée est que le thérapeute avait énormément de problèmes avec les patients parce qu'il ne savait pas comment leur parler. Le thérapeute veut donc faire son apprentissage et apprendre le jargon. Une des choses que l'on a exigée c'est que dans chacune des cliniques, il y ait un adjudant ou un sergent à la retraite qui explique la culture des militaires, d'où elle vient, les grades, les acronymes, etc., pour que le thérapeute puisse évoluer dans ce milieu avec plus d'aisance sans avoir l'air ridicule.
    Une des premières choses que l'on a réalisée, c'est qu'il fallait convaincre le thérapeute habitué à des civils à accepter la patient inhabituel des forces. Une solution a été de trouver des thérapeutes qui avaient travailler avec des policiers, des pompiers, des ambulanciers paramédicaux, des gens comme ça, et de les amener à travailler avec des militaires. Mais le facteur déterminant, c'est que certains d'entre eux ne veulent tout simplement pas affronter une complexité qui ne correspond pas à la norme des patients. C'est alors à nous qu'il revient d'arriver à les convaincre.
(1630)

[Français]

    Je vous remercie, général, pour votre très précieux témoignage. Le comité vous invite à continuer votre excellent travail. Vous avez une aura extraordinaire, et vous en faites profiter ceux qui en ont le plus besoin. Merci d'avoir comparu devant le comité aujourd'hui. Il ne nous reste qu'à vous souhaiter bonne chance et à vous dire à la prochaine.
    Monsieur le président, je vous remercie. Je ne veux que vous rappeler une chose: les familles sont absolument cruciales. La mienne a dû recevoir des soins. Encore aujourd'hui, on vit cette situation. S'il vous plaît, n'oubliez pas l'importance de la famille.
    On en prend bonne note.
    Nous allons suspendre les délibérations pendant quelques minutes.

    Nous allons maintenant recommencer la réunion.
    Bienvenue au Comité permanent de la défense nationale. Comme vous le savez, nous allons passer une heure ensemble. Je ne sais pas combien de temps vous voulez allouer à votre présentation, mais plus ce sera court, plus vous aurez de temps pour répondre aux questions des députés.
(1635)

[Traduction]

    Je ne pense pas que nous soyons ici comme groupe.

[Français]

    Chacun va faire une présentation? Pouvez-vous, si possible, en limiter la durée à cinq minutes?
    Allez-y, monsieur Doucette.

[Traduction]

    Pour commencer, je suis ici en mon nom personnel, comme ancien soldat, et non pas comme employé de la Défense nationale. Au fil des questions, j'imagine que je pourrai parler du travail que je fais.
    Je me suis enrôlé dans l'armée en 1968 jusqu'à ma libération pour raison médicale en 2002, pour TSPT. Je n'ai pas satisfait à l'universalité du service, en ce sens que je ne pouvais plus être déployé à l'extérieur du pays. En 1999, j'avais déjà fait six missions à l'étranger: Chypre en 1973-1974 et 1986; la FORPROMU en 1995; l'IFOR en 1996; la SFOR en 1999 et un an comme observateur militaire à Sarajevo, où j'ai été blessé en juillet 1995.
    J'ai participé à des opérations au pays comme lors de la grève dans les prisons fédérales dans les années 70, aux Olympiques de 1976, à Oka, la récupération du vol 111 de la Swissair et la tempête de verglas, nous n'en nommer que quelques-unes.
    J'ai commencé à me rétablir quand j'ai reçu un diagnostic de TSPT en l'an 2000. À ce moment-là, j'ai demandé à ne pas recevoir de soins d'un praticien militaire. La raison était une consultation que j'ai eue avec le travailleur social de la base pour qu'il signe mon aiguillage vers le CSTSO d'Halifax.
    J'étais un officier d'infanterie fier et bien entraîné qui avait pris la décision très difficile d'admettre que je souffrais de troubles mentaux. Le travailleur social de la base a commencé par me demander quels étaient mes symptômes. Quand j'ai commencé à parler de celui qui concernait mes émotions, j'ai dit qu'elles allaient d'un extrême à l'autre. Sa réaction de professionnel a été de me dire que je vieillissais, tout simplement.
    S'il n'y avait pas eu la table à café entre lui et moi, je l'aurais sans doute frappé. Je lui ai dit de signer les f... papiers et je suis parti. Je n'ai jamais plus remis les pieds dans le bureau du travailleur social.
    Ma thérapie a commencé en juillet 2000 chez un praticien civil de Fredericton. Au moment de ma libération en octobre 2002, j'étais rétabli à 100 p. 100 et je ne l'ai jamais regretté.
    Depuis 2002, je suis coordonnateur du soutien social aux victimes de stress opérationnel pour le Nouveau-Brunswick et l'Île-du-Prince-Édouard. Je me suis occupé d'environ 500 soldats et anciens combattants et j'ai actuellement à peu près 120 pairs actifs sur ma liste téléphonique.
    Monsieur Passey.
    Je m'appelle Greg Passey. J'ai servi pendant 22 ans dans les Forces armées canadiennes, jusqu'en septembre 2000, d'abord à titre de médecin militaire généraliste, et ensuite, au cours des neuf dernières années, en psychiatrie, avec spécialisation dans le traitement du trouble de stress post-traumatique et pathologies connexes associées au stress opérationnel.
    J'ai mené à bien le premier projet de recherche de grande envergure au monde sur le TSPT et les principaux troubles dépressifs associés au déploiement de maintien de la paix. Ce projet a été mené parmi les militaires canadiens déployés en 1993-1994 dans le cadre de l'Opération Harmonie et de l'Opération Cavalier dans l'ancienne Yougoslavie.
    Auparavant, on savait qu'il y avait des coûts et des troubles psychologiques associés à la conduite des opérations de combat. En 1990, dans leur livre intitulé Battle Exhaustion: Soldiers and Psychiatrists in the Canadian Army, 1939-1945, Copp et McAndrew ont expliqué en détail qu'environ 25 p. 100 des pertes parmi les soldats canadiens durant la campagne d'Italie de la Deuxième Guerre mondiale étaient dues à des causes neuropsychiatriques, ce que l'on appellerait aujourd'hui des troubles de stress opérationnels.
    Mes recherches effectuées en 1993-1994 pour le médecin chef et le service médical des Forces canadiennes ont révélé un taux de dépression de 12 p. 100 et un taux de TSPT de 15,5 p. 100, ce qui donne un taux global de 20 p. 100 pour l'un ou l'autre de ces troubles ou les deux, dans un régiment du génie de combat, le deuxième bataillon du Princess Patricia's Canadian Light Infantry et le deuxième bataillon du Royal Canadian Regiment, à leur retour au Canada après une affectation à des tâches de maintien de la paix. Cela a permis d'établir s'il y avait un coût allant au-delà de l'argent, du matériel et des blessures physiques, pour les opérations militaires de maintien de la paix ou d'établissement de la paix.
    Ces chiffres ont créé un choc dans l'appareil militaire et les haut gradés refusaient au départ d'accepter ces constatations et d'y remédier. La réaction immédiate semblait consister à essayer de trouver des moyens de passer cela sous silence ou de mettre en doute la validité des chiffres, au lieu de prendre l'initiative et d'établir un plan pour l'acquisition et la réaffectation des ressources médicales nécessaires pour s'attaquer à un problème de santé imminent parmi les militaires.
    Les recommandations faites par moi-même et d'autres spécialistes de la santé relativement à l'acquisition et au placement d'équipes médicales multidisciplinaires au sein des brigades et dans les déploiements ont été essentiellement laissées de côté, jusqu'à la publication des constatations de la commission d'enquête sur la Croatie. C'est alors que le général Dallaire, en 1997, a dévoilé publiquement son diagnostic de TSPT et est devenu un fervent défenseur de l'évaluation de la santé mentale des membres des Forces canadiennes et des traitements nécessaires. Même alors, ce n'est pas avant 1999 que l'on a finalement décidé d'ouvrir des cliniques spécialisées dans le traitement des troubles de stress opérationnel, mais on n'en a pas créé à la base de Petawawa.
    Les recherches récentes indiquent que le taux de TSPT parmi les militaires canadiens de retour d'Afghanistan est d'environ 5 p. 100. Cela pourrait donner 250 nouveaux cas de TSPT chaque année. Les taux applicables aux militaires américains en Irak révèlent que les forces régulières ont un taux de TSPT de 17 p. 100, tandis que le taux est de 25 p. 100 pour la garde nationale. Cela corrobore mes constatations en ce sens que les réservistes courent plus de risques de souffrir du TSPT. Au Canada, nous utilisons une proportion élevée de réservistes dans les effectifs que nous déployons, et pourtant, le système médical et le suivi pour les réservistes ne sont pas à la hauteur de ce qui est offert aux forces régulières.
    Le fait de ne pas donner accès à des spécialistes militaires qui peuvent diagnostiquer et traiter le TSPT entraîne un coût important pour les unités, les soldats et leurs familles et pourrait potentiellement donner lieu à des poursuites. En 1994, on a rapporté dans The Medical Post que le ministère de la Défense de Grande-Bretagne a accepté de payer 100 000 livres au caporal Alexander Findlay pour ne pas avoir diagnostiqué et traité convenablement le TSPT.
    En 2002, dans un article du National Post, on signalait que sergent Peter Duplessis avait intenté des poursuites contre le ministère canadien de la Défense nationale et en particulier contre le Dr Boddam pour n'avoir pas diagnostiqué et traité son TSPT. C'est d'une importance particulière parce que de 1995 à 2008, le colonel Boddam était le principal praticien en psychiatrie et en santé mentale dans les Forces canadiennes. À ce titre, il conseillait le service médical des Forces canadiennes sur la taille, le placement, la composition et la direction des ressources de santé mentale dans les forces armées.
    Le colonel Boddam a admis durant l'interrogatoire préalable en 2003 qu'il n'avait pas posé de questions qui lui auraient permis de diagnostiquer le TSPT. Cette affaire a par la suite donné lieu à un règlement hors cour moyennant une somme considérable, mais le colonel Boddam a conservé ses postes de clinicien et de conseiller. D'autres personnes dans des situations semblables auraient également intenté des poursuites, mais ils en ont été empêchées par la loi de prescription. À l'heure actuelle, d'autres poursuites contre les Forces canadiennes sont en instance devant les tribunaux ou font l'objet de négociations en vue d'un règlement pour des questions de TSPT.
    La compétence demeure problématique dans la prestation des soins de santé à nos soldats blessés. À titre d'exemple, le caporal A a récemment été évalué, il y a quatre mois, dans une clinique OSI et diagnostiqué comme souffrant du TSPT. Pendant l'examen, il a reconnu qu'il buvait beaucoup d'alcool, mais le spécialiste n'a pas précisé quelle quantité et n'a pas demandé au caporal s'il avait des idées suicidaires. C'est important, parce qu'une consommation excessive d'alcool précède souvent une tentative de suicide.
(1640)
    Le caporal A était tout à fait suicidaire et il est chanceux d'être encore en vie aujourd'hui, uniquement grâce à l'intervention d'un autre clinicien expérimenté. Environ 49 p. 100 des personnes souffrant de TSPT ont des idées suicidaires et environ 19 p. 100 font des tentatives de suicide.
    Les FC ont fait un progrès considérable avec la création du CSTSO et l'établissement de procédures de dépistage dans le cadre du réseau OSISS, et il est certain que dans son récent message le général des Forces canadiennes, le général Hillier insiste sur l'importance de la santé mentale avant son départ.
    Néanmoins, tout indique que les ressources cliniques sont surchargées de travail. J'en ai eu la confirmation il y a deux jours à l'occasion d'une conversation avec un médecin en partance pour l'Afghanistan à partir de la base de Valcartier, où il y a des listes d'attente pour le traitement. Je donne des cours à tous les médecins qui partent en mission en Afghanistan et qui se rendent au centre de traitement des traumatismes de l'Hôpital général de Vancouver.
    De plus, la plupart des évaluations et des traitements des troubles de stress opérationnel sont maintenant effectués par des spécialistes civils embauchés dans le cadre de contrats avec les FC ou les Anciens Combattants. L'acquisition de ces ressources fait directement concurrence aux organisations civiles de santé, et nombre des spécialistes embauchés ne possèdent pas nécessairement l'expérience clinique ni la connaissance du milieu militaire nécessaires pour dispenser des soins optimaux.
    Je voulais aborder un certain nombre de questions. La première est le stigmate associé à la santé mentale et au diagnostic de troubles de stress opérationnel. Une recommandation stipule que les Forces canadiennes adoptent une politique de tolérance zéro relativement à toute discrimination à l'égard des personnes diagnostiquées du TSI, tout comme on a établi la tolérance zéro pour toute discrimination pour des motifs de religion ou de sexe. Nous devons changer la terminologie et remplacer « santé mentale », qui stigmatise fortement la personne ainsi visée, par « santé neurologique ». Nous devons aussi élaborer un programme spécifique pour maintenir les gens au sein des FC, le cas échéant, par exemple, en les réaffectant à d'autres emplois militaires.
    Au sujet des cliniciens expérimentés, je pense qu'il est important que les FC et les Anciens Combattants coparrainent une conférence nationale annuelle à laquelle assisteraient tous les cliniciens dispensant des soins de santé mentale, moyennant des crédits d'éducation continue, pour se pencher sur les questions d'évaluation et de traitement, la culture militaire, les éléments de stress en mission, la continuité des soins, et la transition à la vie civile, le tout assorti d'un forum pour la rétroaction des cliniciens. Les civils qui sont embauchés doivent recevoir une formation spéciale et il faut recruter de façon continue des cliniciens qui ont au moins deux ou trois ans d'expérience. Mais à part cela, il faut un programme de mentorat pour aider les cliniciens les moins expérimentés.
    Il faut aussi établir un programme d'assurance de la qualité à la fois dans les FC et aux Anciens Combattants dans le domaine de la prestation des soins de santé, avec participation des militaires, de leurs familles et des autres cliniciens.
    Pour les soins dispensés aux réservistes, je recommande qu'un spécialiste des soins de santé soit chargé expressément de superviser la prestation de soins de santé aux réservistes, et en outre, que l'on mette au point un système de suivi et une politique garantissant un suivi d'au moins deux ans, surtout pour ceux qui quittent la réserve.
    Et puis il y a des problèmes qui se posent continuellement pour ce qui est de la continuité des soins pendant la transition, ce dont nous a parlé le général Dallaire. Il faut accroître les ressources consacrées aux membres de la famille.
    Je vous remercie de votre temps.
(1645)

[Français]

    Révérend Studd.

[Traduction]

    Monsieur le président, je suis le révérend capitaine (à la retraite) Allan Studd. Je suis prêtre anglican, aumônier à la retraite des forces canadiennes et thérapeute matrimonial et familial.
    Fis et petit-fils de militaires de carrière, j'ai grandi dans les bases militaires de Wainwright, de Borden et d'Oakville.
    J'ai été ordonné en 1979. Bien qu'on ait tenté à quelques reprises de m'obtenir un poste dans l'aumônerie militaire, ce n'est qu'en 1994 que suis devenu aumônier à la BFC de Petawawa. Le 4 août 1995, je suis devenu officier et aumônier du premier régiment de défense antiaérienne, unité de la réserve alors étable à Pembroke, en Ontario, et composante du 2e groupe-brigade mécanisé du Canada de la BFC de Petawawa.
    Dans le cadre de contrats de classe B successifs, j'ai fait fonction d'aumônier de garnison puis d'aumônier du 2e régiment du génie et du 1er régiment de défense antiaérienne. Par la suite, j'ai été affecté au poste d'aumônier de base et de coordonnateur des activités paroissiales. J'ai été libéré pour des raisons médicales le 30 octobre 2002. Je souffre du trouble de stress post-traumatique, de dépression majeure et de migraines.
    Je suis d'accord avec tout ce qu'a dit le général Dallaire dans son exposé. En bref, souvenons-nous qu'entre 1994 et 2000, les soldats de la BFC Petawawa revenaient de Somalie pour voir le régiment aéroporté aboli. Nos soldats revenaient tout juste des opérations de nettoiement au Rwanda. Nous avons été déployés en Croatie. Plus tard, nous avons été déployés à deux reprises en Bosnie. Nous avons également apporté notre aide aux autorités civiles, lors de l'inondation de la rivière Rouge au Manitoba et lors de la tempête de verglas dans l'est du Canada. Nous avons déployé une équipe d'intervention en cas de catastrophe en Turquie et à la suite d'un séisme, et au Honduras après l'ouragan Mitch. Enfin, nous avons été déployés au Kosovo pour nous occuper d'une autre crise de réfugiés. À un certain moment, j'ai été affecté aux forces américaines pour lesquelles j'ai occupé le poste d'aumônier à Fort Sherman, dans la zone du canal de Panama, dans le cadre d'un cours de formation sur les opérations dans la jungle.
    Ce n'est là qu'une énumération de déploiements extraordinaires. Je n'ai rien dit du cycle d'instruction habituel des forces canadiennes dans le cadre duquel les soldats doivent s'éloigner de leur domicile pendant des périodes prolongées. Toutes ces activités et opérations ont affecté la famille des militaires. En tant qu'aumônier, j'offre quotidiennement mon aide, des conseils et de la thérapie aux militaires, à leurs conjoints et à leurs familles, qui éclatent sous la pression.
    L'alcoolisme, le clavardage, l'infidélité, la violence conjugale, les difficultés financières, les démêlés avec la justice, les blessures résultant d'accidents de la route, la dépression, la maladie mentale, les troubles de l'alimentation, le mal du pays, la maladie de membres de la famille immédiate, la mort de membres de la famille immédiate, le syndrome de la Guerre du Golfe, le trouble de stress post-traumatique, le suicide, et la mort des membres du régiment du génie que j'ai accompagné en Bosnie sont des problèmes auxquels j'ai été confronté quotidiennement, jour et nuit.
    En mars 2000, j'ai quitté la base épuisé. Huit ans plus tard, je ne suis pas entièrement rétabli. Et je suis revenu dans une famille qui ne me connaissait plus. Ayant subi le rythme frénétique des opérations, la déstructuration des activités quotidiennes de l'équipe de l'aumônerie, le stress constant d'essayer d'être un aidant, la disponibilité 24 heures par jour et 7 jours par semaine et du harcèlement qui a été démontré, je suis devenu l'ombre de l'homme que j'étais en 1994.
    Je vous ai présenté un aperçu de la famille militaire, un portrait que le général Dallaire a essayé de nous montrer. Lorsque les responsables du RARM m'ont demandé dans quel programme j'aimerais me recycler, j'ai choisi un programme de formation clinique post-maîtrise en thérapie matrimoniale et familiale. J'ai alors compris qu'auparavant, je n'avais ni la formation ni les compétences nécessaires pour m'acquitter des tâches de conseiller et de thérapeute des familles militaires de la BFC de Petawawa.
    Comme je connaissais les conséquences néfastes pour la famille qu'entraîne le retour d'un militaire atteint du trouble de stress post-traumatique, j'ai décidé de participer, à mes frais, à une semaine de formation clinique au Centre national du PSPT de l'Administration des anciens combattants de Palo Alto, en Californie. Ma formation militaire et civil m'a amené à m'intéresser de près à ce trouble particulier. Je n'étais toutefois pas encore prêt à admettre que j'en étais moi-même atteint. Je m'en suis rendu compte plus tard.
    Aujourd'hui, je m'adresse à vous en tant que thérapeute matrimonial et familial. Les thérapeutes familiaux sont des professionnels de la santé mentale en mesure de traiter les troubles qui frappent couramment les soldats qui rentrent au pays et les anciens combattants.
(1650)
    J'ai reçu une formation supervisée de 500 heures dans un établissement clinique. En fait, les membres de ma discipline bénéficient davantage de supervision dans leur travail clinique que les psychologues, psychiatres et travailleurs sociaux. Le ratio de supervision, soit une heure par tranche de cinq, est inégalé. Je possède l'équivalent d'un doctorat. Depuis mon départ, j'ai reçu une formation supervisée de près de 500 heures en thérapie.
    En acquérant cette formation, j'espérais pouvoir réintégrer la famille militaire. Les Forces canadiennes considèrent toutefois les soins de santé mentale pour nos soldats dans l'optique des années 1950; autrement dit, seuls les travailleurs sociaux, les psychologues cliniciens et, bien sûr, les psychiatres, peuvent fournir des services de santé mentale. Il existe une pénurie troublante dans toutes ces spécialités.
    Je tiens à ce que vous sachiez que mes collègues sont disposés à offrir des services professionnels de santé mentale aux membres des Forces canadiennes et à leurs familles. La thérapie matrimoniale et familiale est reconnue comme discipline depuis 1942. Les thérapeutes de cette discipline sont les seuls à recevoir une formation axée sur les relations, qui tient compte du principe que tous les problèmes de santé mentale s'inscrivent dans un système de relations et, partant, que tout ce qui afflige l'individu n'est pas sans affliger l'ensemble.
    Les thérapeutes matrimoniaux et familiaux sont des professionnels de la santé mentale hautement qualifiés. Ils emploient des méthodes fondées sur l'expérience clinique, c'est-à-dire des méthodes qui ont été étudiées avec minutie et revues par les pairs avant d'avoir été appliquées. Nous sommes en mesure de traiter un large éventail de problèmes de santé mentale, depuis la dépression, le trouble de stress post-traumatique et les traumatismes liés au stress, jusqu'aux ruptures relationnelles et aux maladies mentales comme la schizophrénie. Nous possédons tous au moins une maîtrise et bon nombre d'entre nous avons une formation encore plus poussée. Nous travaillons également en étroite collaboration avec les autres professionnels de la santé. Les thérapeutes matrimoniaux et familiaux oeuvrent dans des bureaux privés, dans des hôpitaux, au sein d'équipes de santé familiale et d'organismes communautaires. Il y en a partout. De plus, ils possèdent plusieurs cordes à leur arc. Ils peuvent tirer leur formation et leur expérience initiale de n'importe quelle profession d'aide. J'ai tiré les miennes de la prêtrise. Notre profession est étroitement réglementée par l'American Association for Marriage and Family Therapy. De plus, nous devons posséder des compétences de base très étendues.
    Après cinq autres années de formation supérieure, je ne suis toujours pas reconnu comme thérapeute pleinement compétent pour accomplir tout ce qu'on attend de moi comme aumônier, et cela est frustrant au plus haut point. Je n'ai pas réussi à me faire embaucher pour aider nos soldats dans des cliniques de santé mentale.
    Les thérapeutes matrimoniaux et familiaux sont légalement reconnus aux États-Unis. Nous sommes également reconnus par le Département de la Défense et la Veterans Administration des États-Unis. Le Département de la Défense vient d'ouvrir 44 postes de thérapeutes matrimoniaux et familiaux aux États-Unis au cours des derniers mois. En fait, on m'a demandé la semaine dernière de me joindre à la Mental Health Clinic à Fort Drum, situé à quelques heures seulement au sud de la ville de New York. Je peux vous dire que j'aimerais beaucoup plus faire un trajet de 45 minutes pour me rendre à la base de Petawawa que parcourir 4 heures pour me rendre à Fort Drum pour y faire le même travail.
    Je suis ici aujourd'hui comme personne ayant grandi dans un logement résidentiel du MDN où j'en ai fait voir de toutes les couleurs à mes parents et comme aumônier retraité qui s'est bien torturé les méninges pour savoir ce qu'il pouvait faire pour aider les membres des forces, les anciens combattants et leurs proches. Je suis également ici à titre de personne également atteinte du syndrome de stress post-traumatique.
    C'est comme thérapeute matrimonial et familial que je pourrais aider à résoudre bon nombre des problèmes dont on a discutés aujourd'hui. Les thérapeutes matrimoniaux et familiaux sont des professionnels hautement qualifiés qui représentent ce que le secteur de la santé mentale a de mieux à offrir.
    Ma présence ici aujourd'hui est accréditée par le Canadian Registry of Marriage and Family Therapists. Nous comptons plus de 1 000 membres inscrits au Canada et je sais que nombre d'entre eux voudraient travailler auprès des militaires canadiens.
    Je recommande que le ministère de la Défense nationale adopte une politique d'embauche de thérapeutes matrimoniaux et familiaux agréés qui travailleraient comme psychothérapeutes dans les cliniques de santé mentale, de TSPT et de traumatismes liés au stress. Je recommande que le MDN noue des liens avec le RMFT canadien et ses centres de formation afin que les prestataires des soins de santé aux militaires puissent être formés comme thérapeutes matrimoniaux et familiaux pour mieux venir en aide aux militaires et à leurs proches. De plus, les postes du secteur de santé mentale pourraient également être comblés par des diplômés de ces centres.
(1655)
    Tout ce que je veux, c'est que nos soldats qui souffrent du TSPT et de traumatismes liés au stress obtiennent les meilleurs traitements possibles. C'est ce qui m'a poussé à me renseigner sur la meilleure formation qu'on puisse acquérir pour venir en aide à nos soldats, nos anciens combattants et leurs proches. J'en suis tellement convaincu que je serai heureux de servir d'intermédiaire entre le personnel de la Défense et des Anciens combattants et les principaux acteurs du secteur des thérapeutes matrimoniaux et familiaux.
    Enfin, je voudrais viser l'objectif qui consiste à veiller à ce qu'il y ait des thérapeutes matrimoniaux et familiaux agréés dans toutes les bases et tous les centres régionaux d'anciens combattants, car cela comblerait une lacune qui existe à peu près partout aujourd'hui.
    Je vous remercie de votre attention et de m'avoir invité à prendre la parole devant vous aujourd'hui.

[Français]

[Traduction]

    Monsieur Regan.
    Merci.

[Français]

    Je vous remercie d'avoir donné l'occasion aux témoins d'émettre leurs commentaires. C'est vraiment profitable pour tout le monde.

[Traduction]

    Je tiens à remercier nos trois témoins d'être venus nous rencontrer et de leurs excellents exposés. Tout comme le général Dallaire, vous nous avez donné matière à réflexion. J'espère que cela aura des effets positifs pour l'avenir.
    Je vais commencer par monsieur Passey. Tout d'abord, vous avez dit que les haut gradés montraient beaucoup de réticence par rapport à vos conclusions. Quelle serait la solution d'après vous? Le même problème se pose probablement dans tous les ministères, lorsqu'on résiste au changement. Nous le constatons souvent au gouvernement. Que pourriez-vous prescrire pour garantir que les ministères examinent les choses qui pourraient les aider à se rendre compte qu'il faut apporter des changements?
    Deuxièmement, je ne sais pas si vous avez parlé des thérapeutes matrimoniaux et familiaux dans votre témoignage, mais êtes-vous d'accord avec ce que nous a dit le révérend Studd? Pour ma part, j'ai trouvé ses observations excellentes.
(1700)
    Pour répondre à votre première question, il faut se rendre compte que nous résistons tous au changement. Des organisations comme les Forces canadiennes et la GRC baignent dans la tradition. Il est très difficile de mettre en place de nouveaux types de programmes, surtout si ceux-ci vont à l'encontre d'un système de croyances. On croyait auparavant que seules les personnes faibles pouvaient devenir victimes du syndrome de stress post-traumatique. Pour ma part, je traite des victimes de torture, des immigrants, etc., et je puis vous assurer que tous les habitants de cette planète peuvent se trouver dans des situations qui peuvent les amener à souffrir de ce syndrome.
    Le changement est une question épineuse dans le monde militaire. L'éducation est un des éléments nécessaires — et je me dois de féliciter notre armée du travail qu'elle fait dans ce domaine. Cette éducation est offerte à tous les échelons, de l'entraînement de base jusqu'aux grades les plus élevés. Les forces armées appliquent vraiment ce principe à l'heure actuelle. C'est en tout cas un principe qu'appuie le dernier CANFORGEN du général Hillier. Il exerce en fait des pressions dans ce sens.
    Quand j'ai fait mon analyse, il y avait un grand problème de déni et il était très difficile de présenter les conclusions, et encore bien davantage de faire changer les gens d'idées. Les Forces canadiennes ont donc fait de grands progrès, mais chaque fois que l'on essaie de changer les mentalités dans une organisation encroûtée dans la tradition, cela pose de grands problèmes. Tout cela est une question d'éducation. Il est bien facile de juger. Il faut plus d'énergie pour comprendre et s'informer.
    Pour ce qui est des observations du révérend Studd, je suis d'accord avec lui. Le STPT, tout comme l'alcoolisme, ne nuit pas seulement aux personnes qui en sont victimes; il a des répercussions pour leurs superviseurs, leurs collègues et les membres de leurs familles. Il s'agit de problèmes de relations. Il n'y a tout simplement pas suffisamment de psychiatres et de psychologues. Je suis prêt à faire place à toute autre profession dotée de lettres de créance crédibles qui est en mesure d'offrir de tels soins. Déjà en 1993, j'avais recommandé que nous adoptions des équipes pluridisciplinaires pour traiter ce trouble et son évolution.
    Je suis certes d'accord avec ce qu'il a dit. Dans le cas des civils, nous travaillons généralement en équipes pluridisciplinaires. C'est la meilleure façon de traiter ce problème qui affecte tant la vie personnelle que professionnelle des personnes qui en souffrent.
    Il est agréable d'entendre que vos recherches ont entraîné de tel changement de mentalité, même s'il a fallu beaucoup de temps pour cela, et qu'il reste sans aucun doute beaucoup de changements à faire encore. Vous en avez tous parlé, mais je vous remercie du travail que vous avez fait dans ce domaine.
    Monsieur Doucette, vous avez également abordé cette question qui est probablement dans le même ordre d'idée. Vous avez dit que lorsque vous avez consulté le travailleur social de votre base pour parler de vos problèmes émotifs, il vous a dit que ces problèmes étaient dûs simplement au vieillissement. Avez-vous l'impression que si un soldat, un marin ou un aviateur consultait maintenant le travailleur social de sa base, la réponse qu'il obtiendrait serait différente? Êtes-vous convaincu que c'est bien le cas?
    Oui. Les choses ont changé du tout au tout. L'un des plus grands changements, c'est que les personnes qui occupent maintenant ces postes ont été déployés dans de telles opérations. Le travailleur social que j'ai consulté était un marin, il avait fait toutes ses études cliniques, mais il n'avait aucune idée de ce dont je parlais. Cela se constate également dans toute la chaîne de commandement. Les personnes en poste actuellement ont travaillé en Bosnie, au Rwanda, en Somalie, à Haïti et en Afghanistan. Ils possèdent donc cette connaissance du métier et ils ont été exposés aux mêmes choses que les soldats.
    Cela ne s'est pas fait du jour au lendemain, mais il est agréable de voir que le général Hillier... J'ai travaillé avec lui au sein de l'IFOR. Nous avons vécu les mêmes choses. Il est bien évident qu'il comprend tout cela. C'est donc de là que vient une bonne partie de cette éducation. On se rend compte maintenant que ces problèmes sont ce le prix à payer pour faire ce travail. Si un ambulancier ou un pompier venait vous dire qu'il est déprimé et qu'il souffre du syndrome de stress post-traumatique, vous pourriez le comprendre. Pourquoi n'en serait-il pas de même pour un soldat?
    Les choses ont changé. Depuis six ans que je participe au programme des OSI, j'ai vu des changements étonnants.
(1705)
    Vous êtes donc satisfait de ce que, dans l'avenir prévisible, de tels postes seront souvent comblés par des gens qui comprennent les problèmes pour avoir eux-mêmes vécu les situations. Il m'est venu à l'esprit que nous sommes dans cette situation depuis environ dix ans, alors que pendant la période où nous ne l'étions pas, il n'était pas possible de trouver de telles personnes pour occuper ces postes. Mais ce n'est pas le problème aujourd'hui. Il est important d'être sensible à cette question, mais ni vous ni moi ne pouvons garantir que ceux qui dirigeront les forces armées dans 20 ans ou 30 ans y seront sensibles. Je ne sais pas comment on pourrait s'y prendre.
    En fait, quand on parle de ce trouble, c'est le premier mot qui est le plus important, « post- ». Les chiffres ont probablement augmenté énormément après la publication de l'étude du Dr Passey. Si on pouvait s'attaquer au problème de façon « pré-traumatique », nous pourrions choisir les gens afin d'éviter qu'ils souffrent de ce trouble. Mais malheureusement, c'est un stress « post-traumatique », qui peut se manifester six mois, quatre mois, dix mois, quatre ans ou cinq ans après les événements. J'ai parlé à un ancien combattant de 82 ans qui souffrait des symptômes du SSPT. Il est maintenant à la retraite, il était assis sur son perron et ses souvenirs remontaient à la surface. Il m'a dit que les ombres retrouvaient leur visage. Et pourtant, la guerre est finie depuis 65 ans. Cela revient toujours vous hanter.
    Il faudra donc trouver le moyen de conserver ces connaissances, même si le nombre des opérations diminue, afin que ces compétences ne soient pas perdues ou que nous ne cessions de faire attention au problème parce qu'il n'est plus à l'ordre du jour. C'est ce que nous avons toujours craint, qu'une fois que le rythme des opérations ralentirait, la préoccupation des forces en ce qui concerne la santé mentale risque de s'évanouir. Il faut donc veiller à ce que ces compétences soient maintenues.

[Français]

    Merci, monsieur Regan.
    Monsieur Bouchard, vous disposez de huit minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Je remercie également nos trois témoins d'être venus comparaître.
    Docteur Passey, j'ai ici un article de M. Stéphane Guay publié le 18 février 2008. Il s'intitule « Les militaires consultent peu les ressources en santé mentale ». En voici un extrait: « [...] le taux de suicide chez les militaires est le double de celui de l’ensemble de la population ».
    Une telle déclaration devrait-elle nous inquiéter? Selon vous, les autorités militaires se préoccupent-elles de de cette situation? D'après ce que vous observez dans le cadre de votre pratique, s'il n'est pas deux fois plus élevé, le taux de suicide est-il plus important chez les militaires que dans l'ensemble de la population?

[Traduction]

    C'est une très bonne question, sur laquelle je me suis penché à un certain nombre de reprises avec les forces armées.
    Tout d'abord, faut-il se préoccuper de ce problème? Absolument. Le suicide peut être évité. S'il existe suffisamment de ressources compétentes et que ces ressources peuvent être consultées sans stigmatisme, et s'il y a aussi des experts compétents et chevronnés, un grand nombre de ces suicides pourraient être évités.
    Le taux de suicide chez les militaires devraient être beaucoup moins élevé qu'au sein de l'ensemble de la population. Il n'y a pas de personnes très âgées dans les forces militaires, non plus que de victimes du cancer, de personnes très malades, d'alcooliques ou de narcomanes. Certains groupes de personnes présentent généralement des taux de suicide plus élevés, et ces groupes ne se retrouvent pas dans les forces armées. Il y a déjà eu un tri préalable et les forces armées cherchent des personnes capables de gérer leur stress. En général, j'estime que nos troupes sont bien entraînées.
    Ce que nous devons faire, c'est examiner les causes de ces problèmes. S'agit-il des déploiements? Est-ce dû au rythme des opérations? Parfois, le déploiement n'est pas nécessairement le facteur de stress. Il peut s'agir du stress qui touche la famille et qui se est transféré aux soldats. Il faut aller au-delà de la personne atteinte. Il faut examiner la famille dans son ensemble et tout le système de soutien.
    Comparativement à ce que nous avions auparavant... Je dis toujours « nous », même si je ne suis plus dans l'armée, mais vous ne pouvez pas éliminer le militaire en moi. Nous avons fait de grands progrès en matière de santé mentale. Mais nous pouvons faire davantage.
    Les membres des forces régulières sont beaucoup mieux appuyés que par le passé, mais ce qui me concerne principalement à l'heure actuelle, c'est le sort des réservistes. Les réservistes peuvent revenir ou quitter leur unité. Ils redeviennent des civils, et cela signifie qu'ils ne sont plus pris en charge pour les suivis, qu'ils se perdent dans les statistiques.
    Combien de fois avez-vous entendu parler d'une jeune personne qui se tue dans un accident d'automobile ou de motocyclette à grande vitesse? On ne parle jamais de suicide dans tel cas, mais je suis pourtant en mesure de vous dire qu'un nombre important des personnes que je traite, tant des militaires que d'anciens militaires, ont des comportements à très haut risque et se fichent pas mal de vivre ou de mourir.
    Les réservistes posent un énorme problème et il faudra faire plus d'efforts pour régler ce problème.
(1710)

[Français]

    Docteur Passey, il y a quelque temps, dans le cadre de la mission en Afghanistan, les militaires étaient affectés au combat pour une période de six mois, puis ils revenaient. J'entends dire de plus en plus que cette période est maintenant plus longue. On parle de neuf mois, voire davantage. Il y a donc deux méthodes. Je crois que ça découle des difficultés de recrutement, du fait que la mission a été prolongée jusqu'en 2011.
    Selon vous, serait-il préférable de maintenir cette période à six mois, mais de la répéter plus fréquemment, plutôt que d'en faire passer la durée à neuf mois? Quelle méthode préconiseriez-vous dans le but de réduire les cas de stress post-traumatique?

[Traduction]

    C'est difficile. D'un côté, si nous avons des périodes d'affectation plus courtes, étant donné que notre armée est petite, les gens devront retourner dans le théâtre bien plus rapidement. Une période d'affectation plus longue, d'une durée de neuf mois ou d'un an, a pour avantage de permettre aux gens de revenir au Canada pendant un peu plus longtemps avant de devoir repartir en formation. Cela leur permettrait d'avoir un peu plus de temps à passer avec leurs familles.
    D'un autre côté, plus on est dans une période d'affectation longue et plus on est exposé à des événements traumatisants. Où l'on n'a pas seulement besoin de faire face à un seul événement traumatisant pour être affecté. Nous savons que les effets cumulatifs du stress peuvent causer le SSPT ou d'autres traumatismes liés au stress opérationnel.
    L'idéal — et c'est ce que j'avais recommandé dans les années 90 — serait que les gens puissent rester au moins deux ans, et préférablement trois, au Canada entre les périodes d'affectation. Mais cela peut s'avérer difficile, car il y a souvent des zones d'occupation dans lesquelles il n'y a pas beaucoup de gens formés. Quand j'étais dans les forces armées à Edmonton, j'ai entendu des cas de personnes qui, à peine sorties de l'avion, se faisaient déjà demander de partir lors de la prochaine affectation.
    Je suis donc tout à fait d'accord avec le général Dallaire en ce qui concerne le recrutement. Les forces armées ont besoin de plus de personnel afin de mieux gérer et répartir le stress auquel font face les troupes.
    Puis-je ajouter quelque chose?
    Une de mes périodes d'affectation a duré un an. J'étais un observateur militaire à Sarajevo au cours de la guerre. Pour être franc, comme l'a dit le médecin, si vous êtes en affectation pendant une période de plus de six mois, vous aller commencer à avoir des symptômes. Au bout de neuf mois, j'ai commencé à ressentir des symptômes de SSPT. Mais je ne m'en suis pas toute suite rendu compte. J'étais donc malade sur le théâtre des opérations. Je crois que le fait de rallonger les périodes d'affectation ne font qu'augmenter les traumatismes.

[Français]

    Un des experts qui ont comparu nous a dit qu'il faudrait faire systématiquement une évaluation de tous les militaires ayant participé aux combats pour déceler les cas de stress post-traumatique. Ce serait apparemment peu coûteux.
     Seriez-vous prêt à recommander une telle pratique?

[Traduction]

    Il est important de souligner deux choses.
    D'abord, il est très difficile de détecter et de prédire qui sera atteint de SSPT. On a essayé de le faire au cours de la Deuxième Guerre mondiale et on a vu que les méthodes aléatoires étaient aussi efficaces que les méthodes de détection utilisées. Alors il est très difficile de prédire cette maladie. Ce n'est pas parce que quelqu'un est susceptible de développer le SSPT que cette personne en souffrira. Au contraire, les choses pourraient également se passer très bien pour eux durant la mission. La détection est fort difficile.
    Ensuite, la plupart des gens qui vont dans les forces armées ne sont pas stupides. Ils sont très intelligents et ont une bonne éducation de nos jours. S'ils ont décidé qu'ils voulaient entrer dans l'armée, c'est qu'ils savaient, en grande partie, comment répondre aux questionnaires.
    Au cours de mes recherches, j'ai trouvé que 50 p. 100 des gens qui souffraient de SSPT avaient indiqué que leur état de santé émotive et psychologique était bon, voire excellent. Cela me permet de conclure qu'ils ne faisaient pas preuve d'une bonne introspection. Ils me disaient que eux allaient bien, et que le problème était que nous étions des gens troublés.
    Dans un monde idéal, il serait fantastique de pouvoir détecter ces gens et pouvoir ainsi les protéger en étant proactifs. Mais, à l'heure actuelle, je ne connais aucun outil pour y parvenir. Si quelqu'un souffre d'un SSPT grave et que vous les observez, alors oui, bien entendu, vous allez sans doute pouvoir les détecter. Mais quand on fait face à 800 personnes dans un bataillon, on n'a tout simplement pas le temps de le faire. Il faut leur demander de répondre à des questionnaires, et ces derniers ne sont pas infaillibles.
(1715)

[Français]

    Merci beaucoup.
    On va maintenant passer au Parti conservateur.
    Madame Gallant.

[Traduction]

    Merci, monsieur le président.
    Monsieur le révérend Studd, dans vos remarques liminaires, vous avez indiqué qu'au plan de la santé de nos soldats, les forces armées canadiennes, en sont restés aux années 50. Pouvez-vous m'expliquer ce propos?
    À titre de civil, j'ai voulu tenter de travailler dans le domaine de la santé mentale pour les forces armées. Bon nombre de personnes, y compris des gens qui travaillaient dans le domaine des sciences sociales à la base de Petawawa, comme le médecin chef de la base et Calian, qui s'occupe de l'embauche, m'ont indiqué que l'on ne reconnaissait que certaines catégories de professionnels comme étant aptes à fournir les soins nécessaires. L'on m'a ainsi indiqué que l'on ne reconnaissait que les psychologues cliniques qui avaient un doctorat ou des travailleurs sociaux. J'imagine que les travailleurs sociaux devraient, dans ce cas-là, avoir une maîtrise.
    Cela représente le point de vue des années 50 sur qui il faut consulter quand on a besoin d'aide. Qui fallait-il appeler quand on avait des problèmes maritaux? Eh bien, c'était un travailleur social ou un psychologue.
    Je veux que vous compreniez qu'il existe d'autres professionnels de la santé mentale qui sont peut-être mieux formés et qui ont l'expérience requise pour pouvoir travailler dans presque n'importe quel domaine de la santé mentale. C'est le point que j'essaie de faire valoir.
    Je me suis senti très frustré. Le RARM a payé pour ma reconversion professionnelle. Le régime a payé beaucoup d'argent pour que je prenne ce cours de deux ans. J'avais cru qu'on m'accueillerait de nouveau dans la fonction publique. Cela ne s'est pas fait. Je n'ai pas pu avancer dans ce domaine.
    Je suis frustré quand je vois que mes collègues aux États-Unis sont reconnus et sont embauchés pour faire du travail en matière de traumatisme lié au stress opérationnel ou de SSPT. Je suis tout à fait capable de faire moi-même ce travail. C'est ce que je fais dans ma pratique privée.
    C'est intéressant. Ainsi, une des agences du gouvernement fédéral a payé vos frais de scolarité afin que vous réussissiez ce cours. Puis, d'un autre côté, une autre partie du gouvernement fédéral ne reconnaît pas votre diplôme.
    Monsieur le président, si nous avons assez de temps, j'aimerais partager mon temps avec monsieur Lunney.
    Lors de vos remarques liminaires, j'ai toute suite remarqué à quel point vous aviez de l'expérience concrète avec les forces armées puisque vous aviez travaillé comme aumônier pour les Forces canadiennes. En quoi est-ce qu'une formation en thérapie familiale et maritale vous aurait aidé à faire votre ancien travail d'aumônier militaire?
    Les aumôniers sont des intervenants de première ligne. Ce sont des gens que l'on contacte lorsqu'il y a un problème personnel ou familial. Ainsi, quand les travailleurs sociaux à Petawawa raccrochaient leur téléphone à 16 heures et rentraient à la maison, ils laissaient un message indiquant que, en cas de problème, il faudrait contacter l'aumônier de service.
    Les problèmes que je voyais étaient toujours liés à la famille. Lorsqu'il y avait un problème, cela impliquait la femme et les enfants du militaire, et parfois aussi les grands-parents ou les parents qui se trouvaient ailleurs. En effet, ces choses sont interreliées.
    J'aurais aimé avoir un bon nombre de compétences pour aider un couple à surmonter ces problèmes. Parfois, les difficultés viennent tout simplement du fait que le militaire est parti pendant environ un an, puisqu'il devait être formé pendant six mois et ensuite a été affecté pendant un autre six mois. Ce militaire revient et se rend compte que sa femme, ou sa conjointe, a dû s'occuper des finances, et des enfants, et qu'elle se débrouillait très bien toute seule. Et tout d'un coup, ce militaire se sent exclu de sa propre famille.
    Quand j'étais aumônier, je ne savais pas comment aider les gens à régler ce problème. Mais on s'attendait à ce que je sois en mesure de le faire. On passait beaucoup de temps à discuter avec les couples et avec les familles pour tenter de les aider à régler leurs problèmes. Mais, à l'époque, je n'avais pas vraiment reçu de formation.
(1720)
    Lors de son témoignage devant le Comité, le commandant Dean Milner a dit que la BFC Petawawa manquait cruellement de personnel médical de toutes catégories. Étant donné que les prochains soldats déployés en Afghanistan seront de Petawawa, il est essentiel de combler la pénurie de professionnels médicaux maintenant. À votre avis, de quoi aurait-on besoin pour que ce soit fait?
    D'après ce que j'ai entendu, car j'habite aussi dans la région de Petawawa, et d'après ce que je vois dans ma propre pratique privée, on aura besoin de beaucoup de choses. Il faut augmenter le personnel de ce qu'on appelle, je crois, la clinique de santé mentale, quoique le général Dallaire a dit qu'ils n'utilisent plus ce nom. Il va falloir engager beaucoup de gens pour combler ces postes pour offrir la thérapie et aider toutes les familles qui souffrent.
    Je vous ai décrit Petawawa dans les années 90. De nos jours, l'ambiance est beaucoup plus tendue à Petawawa car des familles vivent quotidiennement sachant qu'elle recevront peut-être un coup de fil leur indiquant que leur être cher qui est en poste en Afghanistan est mort. Cela cause beaucoup de stress et a augmenté la charge de travail des thérapeutes auprès des familles et en stress en milieu de travail.
    Je dois vous interrompre, monsieur Studd.
    J'aimerais permettre aux autres collègues de poser les deux dernières question pour une à deux minutes chaque. Puis ce sera tout pour cette séance.
    Monsieur Lunney, voulez-vous poser une question?
    Je n'ai pas beaucoup de temps donc je serai bref.
    Pour répondre à l'observation formulée plus tôt sur la façon dont nous avons modifié notre approche, nous allons doubler le nombre de professionnels de la santé, ou du moins le ministère de la Défense nationale essaie de répondre aux besoins. L'entraînement préalable au déploiement est bien meilleur qu'il ne l'était. Nous en avons discuté. Il y a aussi maintenant des pairs conseillers qui rencontrent et accueillent les soldats à leur retour. Lors du voyage de retour, il y a une période de récapitulation et une période de décompression. C'est un moment pour parler, comme vous l'avez dit plus tôt, et un moment pour se détendre, pour parler aux gens avant qu'ils soient libérés ou qu'ils se retrouvent ici, seuls. Tout d'abord, je me demande si vous croyez que cela aidera.
    En second lieu, très rapidement, la nature de la mission a changé, en particulier si l'on parle de l'Afghanistan. Lorsque nous sommes arrivés, il s'agissait d'une mission de combat très difficile alors que maintenant l'intensité des combats a diminué. Il y a des opérations de nettoyage et des patrouilles. En fait, les dispositifs explosifs de circonstances constituent le plus gros problème auquel nous sommes maintenant confrontés.
    Comme l'exposition ou la difficulté et la nature de la mission ont changé, comme nous participons moins directement au combat, croyez-vous que nous observerons une diminution de ces chiffres élevés?
(1725)
    Pour répondre à votre première question j'ai deux choses à dire à propos des difficultés à trouver des professionnels. Une clinique de traitement des traumatismes liés au stress opérationnel a ouvert ses portes à Fredericton il y a deux semaines. On a trouvé et embauché des psychiatres, trois fois plus de psychologues, deux fois plus de travailleurs sociaux pour cette clinique. Le ministère des Anciens Combattants les a trouvés. Pourquoi le ministère de la Défense nationale n'en trouve-t-il pas?
    Pour ce qui est de l'entraînement, il n'y a presque pas d'entraînement psychologique pour les soldats lors de leur entraînement préalable au déploiement. L'entraînement est surtout axé sur la mission. Il ne les assoie pas pour leur dire « O.K. les gars, il y a un dispositif explosif de circonstance et l'un d'entre nous est transformé en bouillie, voici comment nous allons nous en occuper ». Ils ne le font pas. Un commandant m'a dit qu'ils ne voulaient pas que je leur — à ces jeunes officiers qui quittent l'école d'infanterie pour se retrouver dans les unités — apprenne à se rendre quand je leur parlerai des traumatismes liés au stress opérationnel. Voilà ce qu'il pensait de nom enseignement.
    Mais lorsque j'ai fini ma thérapie comme soldat en service, j'aurais aimé avoir certaines de ces compétences qu'ils m'ont enseignées en thérapie, comment décompresser, comment me concentrer, comment garder les pieds sur terre, comment gérer l'ennui, comment gérer la solitude. Ce n'est pas de la sorcellerie. Je suis bien mieux équipé maintenant que je ne l'étais pour gérer de telles choses.
    Donc, l'entraînement préalable au déploiement n'enseigne que se battre et mourir. C'est tout. Quant aux menaces, que ce soit les dispositifs explosifs de circonstance, que ce soit quelqu'un armé d'un lance-roquettes, armé d'un fusil, c'est un danger pour la vie, peu importe comment ce danger se présente. Cela n'a pas d'importance. C'est l'une des causes principales du syndrome de stress post-traumatique — le risque de perdre la vie. On peut être assis dans un camp et entendre des explosions à des kilomètres de distance. Cela peut déclencher la peur que l'explosion se rapproche un jour. Si vous passez six mois à nourrir cette peur, eh bien, elle se manifestera, et vous aurez un soldat malade.
    C'est pourquoi on voit des cuisiniers atteints du syndrome du stress post-traumatique. Ils ne quittent jamais le camp. Comment un cuisinier peut-il être atteint d'un syndrome de stress post-traumatique? Il n'est jamais à l'extérieur du périmètre. Il écoute. Il entend des bribes de conversations quand les soldats font la queue pour leur repas. « On a été bien chanceux de passer au travers de cette journée ». Il accumule toutes ces petites informations. Après son quart de travail, il va s'allonger sur son lit à deux heures de l'après-midi , il doit dormir car son quart recommence à quatre heures du matin et il se met à réfléchir. La peur est là; elle se manifeste. Voilà comment un cuisinier peut être atteint de syndrome de stress post-traumatique.
    Comme l'a dit le médecin, il est impossible d'enseigner à un soldat ce à quoi ressemble un cadavre. C'est impossible. Il n'existe aucune façon d'expliquer à quelqu'un l'émotion de voir un de ses amis se faire tuer. Il est impossible de leur expliquer ce que l'on éprouve and on subit des tirs d'artillerie, d'entendre les balles arrivées, de voir les nuages de fumée autour de soi, car nous ne voulons pas tuer nos soldats pendant l'entraînement. Ils doivent donc apprendre une fois qu'ils arrivent.

[Français]

    Il reste du temps pour une dernière question très brève.

[Traduction]

    Merci monsieur le président.
    Félicitations à tous pour votre travail.
    J'ai quelques questions. Et si vous ne pouvez pas me donner de réponses aujourd'hui, j'apprécierais que vous les envoyez par écrit au président.
    Tout d'abord, sur le sujet du syndrome de stress post-traumatique. Je sais que cela mène à la dépression et au suicide, mais y a-t-il d'autres effets tels que le syndrome de douleur chronique et le syndrome de fatigue chronique, auquel j'ai été confronté comme avocat spécialisé en sévices graves à la personne en Alberta? Car c'est le cas dans des affaires de sévices graves à la personne. J'ai vu beaucoup autres diagnostics, et je dois dire que les effets sont absolument effroyables. Les gens qui en souffrent ne s'en rendent même pas compte. Ils pensent qu'ils ont des troubles mentaux. C'est le résultat, en partie, et je sais que cela se manifeste deux ou trois des fois même quatre ou cinq ans plus tard.
    Monsieur Passey, je serais intéressé à entendre vos observations là-dessus en particulier. En 2003, vous avez critiqué la capacité à gérer le syndrome de stress post-traumatique du gouvernement libéral. Avez-vous observé un changement dans la façon dont le gouvernement se penche sur le problème et reconnaît l'existence du syndrome? Bien entendu, la machine gouvernementale progresse lentement car elle est très grande, un peu comme les forces armées, mais sommes-nous sur la bonne voie?
    Et pour conclure, avons-nous les bons outils d'évaluation en place pour être en mesure de poser un diagnostic? Les outils actuels sont-ils suffisants?
    Je ne crois pas avoir en fait critiqué le gouvernement libéral. J'ai critiqué les Forces canadiennes et leur incapacité à prendre des mesures que je considérais nécessaire.
    Il ne fait aucun doute que l'on est sur la bonne voie. La situation s'est nettement améliorée. Il reste toujours à régler un problème concernant les réservistes et leurs familles. Nous pourrions y consacrer tout un après-midi, et j'ai siégé à un comité des Affaires des Anciens Combattants qui traitait précisément de ce genre de choses.
    Pour revenir brièvement au diagnostic de comorbidité, nous savons que dans le cas du SSPT, environ 50 p. 100 des hommes deviendront alcooliques. Environ un tiers feront également une consommation abusive d'autres drogues ou en deviendront dépendants. Près de 50 p. 100 des hommes et des femmes développeront également une grave dépression. Nous savons qu'une personne atteinte de SSPT a 90 fois plus de chances de développer des symptômes physiques qu'une personne qui n'est pas atteinte de SSPT. Nous savons également que dans le cas d'un casque bleu atteint de SSPT, les dépenses de services de santé sont 37 fois supérieures à celles engagées pour un casque bleu qui n'est pas atteint de SSPT. Il y a donc un lien entre le corps et l'esprit. Il y a un problème en ce qui concerne la sensibilité à la douleur, etc. Il ne fait aucun doute que la fibromyalgie et la chronique fatigue y sont associées. Le risque de développer ce genre de maladies est beaucoup plus élevé pour une personne atteinte de trouble de stress post-traumatique. Donc la comorbidité ne fait aucun doute.
    Vous m'avez donné une heure, mais j'ai consacré 16 années de ma vie au SSPT. Vous avez demandé l'impossible à quelqu'un qui est improbable dans le meilleur des cas. En ce qui concerne l'évaluation et le traitement du SSPT — nous sommes sur la bonne voie. Le ministère des Anciens Combattants et les Forces canadiennes sont tous deux sur la bonne voie. Je pense qu'il reste encore beaucoup à faire. Il reste toujours des lacunes en ce qui concerne le nombre de ressources, la compétence de ressources, la formation, l'acquisition, etc.
    Lorsqu'il s'agit de recruter des professionnels, nous devons sortir des sentiers battus. On pourrait faire appel à des médecins de famille en milieu rural, à qui on offre une formation et un financement pendant qu'ils sont toujours étudiants. En ce qui concerne la psychologie et la psychiatrie, le délai est de plus de huit ans. Je pense que nous devons envisager de faire appel à d'autres types de spécialistes, afin d'avoir une capacité d'intervention rapide, ce que nous n'avons pas à l'heure actuelle.
(1730)
    Je vous remercie.
    Vos exposés étaient très intéressants. Le courant semblait vraiment passé parmi vous trois, même si vous avez fait des exposés individuels. Nous vous en remercions. Cette séance a été très utile.
    Bon retour. Je vous remercie.
    La séance est levée.