:
Tout d'abord, j'aimerais vous remercier de m'avoir élu et féliciter les deux vice-présidents, M. Wilfert et M. Bachand, pour leur élection.
[Traduction]
Je vais faire de mon mieux pour assurer la présidence du comité, comme je l'ai fait par le passé.
[Français]
J'essaierai de faire en sorte que nos délibérations soient le plus efficaces possible, et de rester neutre et non partisan le plus possible.
Je vous remercie beaucoup de la confiance que vous me témoignez. C'est pour moi un honneur de présider ce comité, assisté de mes deux vice-présidents.
[Traduction]
Je vais maintenant demander si nous avons le consentement unanime de la Chambre pour aller de l'avant et amorcer notre étude sur la souveraineté de l'Arctique. Si nous avons le consentement unanime, nous pourrons entendre les témoins qui sont prêts à comparaître.
Avons-nous le consentement unanime?
Des voix: Oui.
Le président: Merci beaucoup. Je demande à nos témoins d'entrer.
Les gens de l'Inuit Tapiriit Kanatami seront les premiers à témoigner dans le cadre de notre étude sur la souveraineté de l'Arctique.
Nous recevons Mary Simon, qui est la présidente, de même que John Merritt, le conseiller principal en politiques.
Bienvenue à tous. Vous aurez de cinq à sept minutes pour présenter votre exposé. Par la suite, les membres du comité vous poseront des questions. Merci beaucoup. La parole est à vous.
:
Merci beaucoup, et bon matin. Je vous félicite d'avoir été élu président.
J'aimerais tout d'abord remercier le comité de nous avoir invités à comparaître aujourd'hui pour parler de la souveraineté de l'Arctique.
Vous avez indiqué que j'avais de cinq à sept minutes. Avec votre permission, il se pourrait que je prenne quelques minutes de plus, si cela convient au comité. Je ne serai pas beaucoup plus longue.
Comme vous l'avez dit, l'Inuit Tapiriit Kanatami — nous l'appelons l'ITK — est l'organisme national qui représente les Inuits du Canada. L'ITK représente les Inuits qui vivent dans les quatre régions constituant l'Inuit Nunangat: la région d'Inuvialuit dans la région de la mer de Beaufort, le Nunavut, le Nunavik dans le Nouveau-Québec et le Nunatsiavut au Labrador.
Les quatre régions inuites qui constituent l'Inuit Nunangat ont conclu des ententes de règlement de revendications territoriales, des traités modernes avec la Couronne. Dans ce contexte, la Couronne représente l'État canadien et la population canadienne dans son ensemble. Ces ententes de règlement de revendications territoriales sont protégées au titre de l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Les ententes de règlement de revendications territoriales assurent une grande partie de la structure institutionnelle contemporaine dans le cadre de nos relations contemporaines avec la Couronne, mais il importe de rappeler que notre relation spéciale avec la Couronne remonte à beaucoup plus loin dans l'histoire.
Depuis l'époque de Martin Frobisher et à travers des siècles de voyages et d'activités auxquels ont pris part des navires militaires, des baleiniers, des commerçants, des missionnaires, des forces policières et des fonctionnaires, les Inuits entretiennent une relation politique et juridique particulière avec la Couronne. Cette relation a toujours évolué, et le rythme de cette évolution s'est accru au cours des dernières années.
Au cours de la période précédant les années 1960 et 1970, la relation entre la Couronne et les Inuits était fortement unilatérale, les Inuits ayant un contrôle de moins en moins grand sur leur capacité de prendre des décisions liées non seulement à eux-mêmes mais aussi au territoire et à l'eau qui assuraient leur survie depuis des milliers d'années. Peut-être l'essentiel de cette relation unilatérale s'est-il fait sentir lorsque des ménages inuits ont été amenés à déménager à des milliers de milles pour contribuer à la réalisation de projets mis en oeuvre ailleurs, et lorsque les enfants inuits ont été envoyés dans des écoles résidentielles. Il n'y a pas de meilleurs moyens d'illustrer plus soigneusement ou plus douloureusement la perte de contrôle d'une société que par la rupture des liens entre des parents et leurs enfants.
Au cours des dernières années, la relation entre la Couronne et les Inuits a retrouvé un certain équilibre, à défaut d'un équilibre complet. Les tribunaux ont reconnu les responsabilités de la Couronne que prévoit la common law en ce qui a trait à divers éléments comme le titre ancestral, les droits ancestraux, l'honneur de la Couronne, une relation fiduciaire et l'obligation de consulter et de prendre des mesures d'adaptation.
Depuis 1982, les droits issus de traités jouissent d'une reconnaissance et d'une protection constitutionnelles. Cet effort visant à rétablir l'équilibre dans la relation politique et juridique entre la Couronne et les Inuits du Canada s'accompagne d'une évolution de la compréhension internationale de la façon dont les droits et le rôle des États influent sur les droits et le rôle des peuples du monde, y compris les peuples indigènes, et vice versa. Les droits et le rôle des États doivent dorénavant aller de paire avec les concepts, nouveaux et établis de longue date, liés aux droits fondamentaux de la personne, aussi bien collectifs qu'individuels. Cette nouvelle réalité occupe une place importante dans la réflexion des Inuits sur la souveraineté de l'Arctique, et non seulement l'Arctique canadien mais aussi l'Arctique circumpolaire au complet.
Les Inuits sont un peuple autochtone du Canada, mais les Inuits sont aussi un peuple indigène du Groenland, de l'Alaska et de la pointe la plus à l'est de la Russie. En avril de cette année, les Inuits de tout le monde circumpolaire ont adopté un document de première importance intitulé Déclaration circumpolaire inuite sur la souveraineté de l'Arctique. J'ai apporté aujourd'hui des exemplaires supplémentaires de ce document, si vous en voulez un. Vous l'avez peut-être déjà.
L'article 2 de la déclaration s'intitule « Évolution de la souveraineté dans l'Arctique », et il présente six propositions clés à cet égard. Compte tenu du sujet abordé par le comité, l'article 2.1 mérite d'être cité intégralement:
« Souveraineté » est un terme qui fait référence à l’autorité absolue et indépendante d’une collectivité ou d’une nation, tant sur le plan interne qu’externe. Il s’agit d’un concept contesté qui n’a pas de définition établie. Les vieilles idées de souveraineté tombent en désuétude, car certains modèles de gouvernance, comme celui de l’Union européenne, évoluent. Les souverainetés se chevauchent et se divisent souvent de façon originale au sein des fédérations pour reconnaître le droit des peuples.
Pour les Inuits qui vivent au sein de la Russie, du Canada, des États-Unis et du Danemark-Groenland, les questions de souveraineté et de droit souverain doivent être examinées et évaluées dans le contexte de notre longue lutte pour la reconnaissance et le respect à titre de peuple indigène de l’Arctique, ayant le droit d’exercer l’autodétermination sur son destin, ses territoires, ses cultures et ses langues.
Comment le processus d'élaboration des politiques nationales et internationales pour l'Arctique du gouvernement du Canada devrait-il mettre à profit les réalités nouvelles et changeantes dont fait état la Déclaration circumpolaire inuite? À mon avis, il y a six mesures essentielles que le Parlement et le gouvernement du Canada devraient prendre.
La première recommandation serait que, dans le cadre de toutes ses déclarations clés concernant la souveraineté et les droits souverains en rapport avec le territoire et les eaux de l'Arctique, le gouvernement du Canada reconnaisse l'importance cruciale de l'utilisation et de l'occupation du territoire et des eaux de l'Inuit Nunangat par les Inuits depuis des temps immémoriaux. L'histoire de l'utilisation par les Inuits a été reconnue à divers moments et à divers endroits par le passé. Par exemple, les accords conclus avec la Norvège en 1930 concernant les îles Sverdrup reconnaissaient l'importance cruciale de la chasse par les Inuits, et l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut conclus en 1993 reconnaissait expressément la contribution des Inuits du Nunavut aux arguments du Canada à l'égard de la souveraineté.
La cohérence de cette reconnaissance ne passe pas uniquement par la défense efficace de la cause devant un auditoire international; c'est aussi une question de respect fondamental à l'égard des Inuits.
Ma deuxième recommandation porte sur le fait que, pour assurer la logique de son processus d'élaboration des politiques pour l'Arctique, le gouvernement du Canada doit se fonder sur l'idée d'une relation de partenariat de base avec les Inuits. L'article 3.3 de la Déclaration circumpolaire inuite exprime cela de la façon suivante:
Les liens inextricables entre souveraineté et droits souverains dans l’Arctique, et l’autodétermination des Inuits et leurs autres droits exigent que les États acceptent la présence et le rôle des Inuits comme partenaires des relations internationales dans l’Arctique.
L'idée de partenariat avec les Inuits suscite encore plus l'intérêt dans le contexte des politiques nationales. Pour qu'il soit crédible et constructif, ce partenariat ne doit pas seulement être une mesure symbolique ou un voeux pieux. La collaboration avec les Inuits doit être au coeur de toute stratégie sur l'Arctique qui mérite d'être mise en œuvre, et non en périphérie. La stratégie sur l'Arctique du gouvernement du Canada aurait dû davantage être le fruit d'un projet de rédaction fondé sur la collaboration dans le cadre d'un échéancier accéléré, reposant sur un partenariat avec les Inuits.
La troisième recommandation est la suivante. Les partenariats qui ne reposent pas sur la confiance ne donneront jamais de bons résultats, et la confiance, au niveau le plus élémentaire, dépend de l'assurance que les promesses faites seront tenues. Malheureusement, certaines des promesses initiales qui ont été faites aux Inuits ne se sont toujours pas concrétisées.
L'exemple le plus frappant est lié à la poursuite pour un milliard de dollars intentée par les Inuits du Nunavut à l'automne 2006 parce que le gouvernement du Canada ne voulait pas donner suite à un rapport de conciliation sur la façon d'honorer équitablement les promesses faites dans le cadre de l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut. Ce n'est tout simplement pas suffisant.
Je passe maintenant à la quatrième recommandation. Le gouvernement du Canada ne peut s'attendre à ce que le monde respecte sans réserve des arguments fondés sur l'utilisation et l'occupation du territoire et des eaux de l'Arctique par les Inuits alors que les Inuits continuent d'être autant à la traîne des autres Canadiens en ce qui a trait notamment aux normes minimales en matière d'éducation, de santé et de logement.
Le monde associera de plus en plus les mesures d'affirmation de la souveraineté aux questions qui comportent d'autres attentes de la part de la communauté internationale, notamment en ce qui concerne le traitement réservé aux minorités autochtones et l'attention portée aux principaux facteurs environnementaux.
Les Inuits sont un peuple patient et rationnel. Nous savons que les problèmes sociaux et économiques auxquels nous faisons face n'ont pas surgi en un instant et que nous ne les réglerons pas du jour au lendemain. Nous sommes conscients que la plupart de ces problèmes sont de nature historique et situationnelle, et qu'ils ne sont pas attribuables à des préjudices ou à de mauvaises intentions. Mais nous savons également que le fait d'ignorer ou de minimiser les besoins matériels fondamentaux des résidents permanents de l'Arctique, ou encore de ne pas comprendre que l'aliénation des jeunes ébranlera assurément le respect de la loi et la tolérance envers les autres, ne renforcera pas la souveraineté. C'est pourquoi la souveraineté doit réellement commencer à la maison.
Je passe à ma cinquième et dernière recommandation.
Un partenariat avec les Inuits de l'Arctique ne peut se concevoir sans tenir compte de la volonté ou de l'absence de volonté du gouvernement du Canada de défendre les droits des Autochtones partout dans le monde. Il est temps que le gouvernement du Canada agisse conformément à la résolution adoptée par la Chambre des communes et qu'il manifeste son appui, au même titre que presque tous les pays de la communauté internationale, en faveur de la Déclaration de 2007 des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. En nommant un nouvel ambassadeur pour l'Arctique, le gouvernement du Canada consoliderait également sa capacité à traiter les enjeux liés à l'Arctique et sa grande réputation à cet égard.
Je vous remercie sincèrement de m'avoir donné l'occasion de vous présenter mon exposé.
:
Je vous remercie pour votre question.
L'un des éléments clés du partenariat entre les gouvernements et les Inuits dont nous avons parlé présuppose que toutes nos revendications territoriales ont été réglées. Les accords qui en découlent sont très exhaustifs et ils ont été signés par toutes les parties. Les signatures apposées sur les documents juridiques témoignent d'un lien de confiance et reflètent certaines attentes.
Donc, les outils dont nous avons besoin pour créer ce partenariat sont déjà en place. Il est très important de veiller à ce que ces accords permettent aux Inuits de s'associer avec différentes organisations. Il n'y a pas que le gouvernement fédéral qui soit en cause; il y a aussi les gouvernements provinciaux et territoriaux. Le régime de cogestion et le pouvoir que nous confèrent ces accords revêtent une grande importance pour l'établissement de cette relation.
Je tenais également à souligner que nous collaborons avec le gouvernement du Canada. Les Inuits n'ont jamais vraiment protesté contre la présence militaire dans l'Arctique. Cela ne nous pose pas vraiment problème, sauf que les Inuits privilégient la dimension humaine de la question de la souveraineté, ce qui veut dire que parallèlement à la construction des infrastructures pour nos militaires et la sécurité de nos frontières, nous devons fonder des communautés durables. Comme je l'ai dit plus tôt dans mon exposé, les Inuits occupent le territoire de l'Arctique depuis des millénaires, et, à bien des égards, nous, en tant que Canadiens et peuple autochtone habitant au Canada, nous avons fait office de porte-étendard dans le Grand Nord et nous avons servi à montrer que des gens habitent dans cette région.
Les Inuits ne partiront pas de si tôt. Nous sommes des résidents permanents de l'Arctique. C'est pourquoi je crois qu'il est très important d'établir avec le gouvernement un plan d'action qui favorisera le développement des capacités de nos communautés, pour que nous puissions occuper les emplois qui se trouvent dans l'Arctique et que vous n'ayez pas toujours à faire déplacer des gens. Pour ce faire, il nous faut un meilleur système de santé et d'éducation, un qui soit comparable à celui du Canada. Il s'agit ici de s'efforcer de réduire l'écart entre les conditions de vie des Inuits et celles des autres Canadiens. Cela va de pair. Je crois qu'il s'agit là d'un élément d'une grande importance.
Dans votre présentation, vous avez aussi mentionné l'importance de la Stratégie pour le Nord. Vous savez que le Canada a lancé une stratégie dotée de sommes importantes. Le Bloc québécois reconnaît qu'on ne peut pas beaucoup bouger et qu'il est impossible de parler de souveraineté de l'Arctique sans la présence des Inuits. Pour nous, c'est extrêmement important. On l'a dit à plusieurs reprises dans nos prises de position et on a écrit des lettres ouvertes. On reconnaît que vous êtes un peuple. D'ailleurs, dans la Constitution canadienne, vous êtes reconnus comme l'un des peuples.
J'aimerais obtenir votre opinion, vu que vous représentez tous les Inuits, y compris ceux du Nunavik, au Québec. Les sept villages inuits au nord du 60e parallèle, au Nunavik, ne sont pas inclus dans la Stratégie pour le Nord et ne sont donc pas admissibles à l'aide du gouvernement fédéral.
Qu'en pensez-vous? Avez-vous eu des représentations du Nunavik et de la province de Québec pour obliger le gouvernement fédéral à les inclure?
Selon moi, ils occupent un point stratégique dans le Grand Nord. Avec ce qui se présentera par l'océan Atlantique, ils doivent passer dans le détroit d'Hudson. Pour le Québec, le fait qu'ils ne soient pas représentés est une très grave injustice.
Pouvez-vous nous dire si le Nunavik a fait des représentations auprès de vous? De votre côté, faites-vous des représentations auprès du gouvernement fédéral pour corriger cette injustice?
:
Merci, monsieur le président.
Madame Simon, bienvenue. Je suis très heureux que vous soyez parmi nous; c'est moi qui ai recommandé au comité de vous inviter. Chers collègues, Mme Simon vient du Nunatsiavut, ce qui veut dire, d'après ce que j'ai compris, « notre beau pays ». Je vous remercie de votre présence, et de tout le travail que vous faites.
En tant que Canadien, sachant les efforts et le temps qui ont été consacrés aux négociations sur les revendications territoriales — une trentaine d'années dans le cas du Nunatsiavut —, je suis déconcerté de voir que vous devez poursuivre le gouvernement pour qu'il applique ce qui est prévu. Je sais ce qu'il faut pour que les gens signent ce type d'accord, puisque c'est pour de bon. Ce qui se produit me déçoit grandement, tout comme le fait que le Canada soit l'un des rares pays qui n'ont pas signé la Déclaration sur les droits des peuples autochtones. Les perspectives de partenariat sont limitées dans ces circonstances.
Le refus de signer cette déclaration des Nations Unies est décevant vu ce qu'il représente, mais a-t-il un impact du point de vue pratique? Est-ce que ce refus a des répercussions sur les droits des Inuits, ou si l'impact est plus important du point de vue de la reconnaissance?
L'ITK a trouvé que le Canada avait invoqué de bien curieux arguments dans la période précédant l'adoption de la déclaration, car à l'approche du vote à New York, en septembre 2007, le Canada semblait dire que l'adoption de la déclaration créerait des remous sur le plan juridique au pays. On a même avancé que des éléments de la Loi sur la Défense nationale pourraient être remis en question.
Lorsque la déclaration a été adoptée avec l'accord de tous les pays à l'exception de quatre, il y a eu un véritable revirement dans la position du gouvernement. Il disait que la déclaration n'avait pas d'impact au Canada. Il avait commencé par dire que la déclaration aurait un impact énorme au pays, et en fin de compte il disait que ça ne changeait rien. C'était vraiment étrange, et pas convaincant du tout.
En fait, la plupart des avocats en droit international s'entendraient pour dire que la déclaration a une valeur au Canada. Elle fait partie du cadre international des droits de la personne. Quand on parle d'instruments de protection des droits de la personne, ce n'est pas une simple question d'adhésion ou de renonciation au niveau des pays. Si c'était le cas, il y aurait très peu de normes fiables au monde dans ce domaine.
Il semble que deux juges canadiens aient déjà invoqué la pertinence de la déclaration dans leur interprétation de lois canadiennes. Il est clair que la déclaration n'équivaut pas à un traité officiel ou à une loi, mais elle est importante en droit international, et le Canada ne fonctionne pas à l'extérieur de ce contexte.
Un des quatre pays qui se sont opposés à la déclaration, soit l'Australie, est revenu sur sa position. Il semble aussi que la Nouvelle-Zélande et les États-Unis réexaminent leur décision. Le Canada pourrait bel et bien se retrouver seul dans son camp.
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Je vous remercie de votre question.
Nous nous intéressons à tout ce qui pourrait réduire le coût de la vie dans le Nord. Dans cette optique, il serait utile de construire de petits ports — plus d'un petit port.
Si je reviens à ce que vous disiez sur l'ouverture du passage du Nord-Ouest, pour dire comment nous percevons le partenariat qu'il faut créer dans le contexte actuel, ça pourrait être lié aux changements climatiques, parce que beaucoup de choses sont en train de changer. Nous croyons que les changements climatiques ont d'importantes répercussions sur notre capacité de vivre dans l'Arctique selon nos traditions en tant que peuple. Bien des choses ont changé.
Je crois qu'il vaudrait vraiment la peine d'examiner la possibilité de créer une administration fédérale et inuite pour la gestion du passage du Nord-Ouest. Ce genre d'administration nous permettrait de disposer d'un régime de réglementation proactif pour contrer l'augmentation prévue de la circulation maritime, par exemple, en tenant compte de l'utilisation historique de ce secteur par les Inuits, et de l'importance capitale d'un développement économique durable pour les communautés inuites.
Nous travaillons à améliorer le système d'éducation pour être en mesure de consolider notre base économique. Ces deux aspects sont liés, alors quand vous parlez du passage du Nord-Ouest et des possibilités d'exploration dans le Haut-Arctique, nous considérons que ça pourrait être très utile.
:
Merci, monsieur le président.
Je tiens à remercier nos deux témoins d'être des nôtres aujourd'hui. Le sujet est intéressant.
J'aimerais toutefois en revenir plus généralement au sujet à l'étude, c'est-à-dire la souveraineté canadienne dans l'Arctique pour tous les Canadiens, y compris les Inuits. Bien entendu, les Inuits ont un rôle très important à jouer à cet égard, ancré dans l'histoire et la géographie.
Tout d'abord, la responsabilité principale du dossier de la souveraineté canadienne dans l'Arctique a été confiée à Affaires indiennes et du Nord Canada. Selon vous, est-ce bon, mauvais, encourageant? Comment voyez-vous évoluer la situation avec ce ministère à la tête du dossier et non le ministère de la Défense nationale?
:
Merci pour cette question.
La question de la souveraineté influe de longue date sur notre peuple. Je ne sais pas si vous le savez, mais au début des années 1950, les gens du Nunavik, dans le Nord du Québec, d'où je viens, ont été déménagés dans le Haut-Arctique. Le gouvernement — peut-être pas l'actuel gouvernement mais néanmoins le gouvernement fédéral — a reconnu le rôle essentiel joué par les Inuits dans l'affirmation de la souveraineté. La question de la souveraineté se répercute sur nous depuis longtemps.
Nous tentons maintenant d'avoir davantage de prise sur l'évolution de la situation, en pensant aux conséquences sur nos vies de tous les jours, parce qu'il est arrivé que des gens soient déménagés sans y avoir consenti. À l'heure actuelle, en 2009, nous disposons d'accords sur les revendications territoriales; de plus, diverses organisations, comme l'ITK, ont été créées pour nous représenter. Il y a la Société Makivik, la société Nunavut Tunngavik, la région des Inuvialuit et maintenant, le gouvernement du Nunatsiavut. Ces entités voient à l'administration de leurs territoires. Je crois qu'il en va de notre responsabilité à tous de s'assurer que ces processus soient efficaces sans toutefois nuire au bien-être des gens, comme ce fut le cas dans le passé. À cette époque, les gens ont vécu de gros traumatismes et nous ne souhaitons pas revivre une telle situation. Ce n'est qu'en travaillant les uns avec les autres que nous obtiendrons les garanties nécessaires.
:
Vous posez une question très importante.
Nous venons tout juste de lancer un processus national, dont j'assume la présidence, en vue d'améliorer le système d'éducation des Inuits dans tout l'Arctique canadien. Ce processus nous permettra de mesurer notre rendement en matière d'éducation, notamment en mettant en lumière nos réussites et nos échecs. Nous voulons consolider nos acquis et cerner davantage les lacunes. Nous avons donc lancé un processus dans tout l'Arctique, auquel participent activement la Société Makivik, la Commission scolaire Kativik au Nunavik et le gouvernement du Nunatsiavut. Le processus englobe toutes les régions et a été approuvé par le ministre Strahl au nom du gouvernement du Canada. Nous sollicitons activement la participation des provinces où vivent des peuples inuits, comme le Québec et Terre-Neuve-et-Labrador. Nous avons accueilli un représentant du gouvernement de Terre-Neuve. La province n'a pas signé l'accord, mais elle était présente et a participé au processus, ce qui en dit long.
Nous entreprenons cette initiative car j'estime que l'éducation se trouve au coeur de tous les enjeux auxquels nous devons faire face. Notre population compte beaucoup de jeunes et si nous n'arrivons pas à bien éduquer ces personnes jusqu'à l'âge adulte, les emplois dans l'Arctique continueront d'être occupés par des gens de l'extérieur de la région, qui finiront tôt ou tard par retourner d'où ils viennent. L'éducation est garante de la durabilité de nos collectivités. Le taux de diplomation au secondaire est actuellement de 23 p. 100, ce qui signifie que 61 p. 100 des élèves ne se rendent pas au bout de leurs études secondaires. Vous savez, lorsqu'il s'est rendu dans l'Arctique l'été dernier, le premier ministre m'a posé beaucoup de questions à ce sujet, et il a été très surpris de constater que la plupart des gens qui travaillent dans l'Arctique viennent d'ailleurs et ne sont pas des Inuits. Il voulait savoir pourquoi.
Comme vient de le mentionner Mme Simon, notre présidente, ITK reconnaît que l'Arctique est une région où tout coûte cher et où l'investissement public est limité. Il faut donc optimiser les ressources.
Si on parle de mettre de l'avant une stratégie pour la souveraineté et une stratégie de défense dans le Nord, il est logique d'essayer d'utiliser les investissements fédéraux à des fins multiples. Il faut donc, de manière consciente, essayer de concilier nos objectifs civils et militaires. Dans de nombreux cas, nous pensons qu'un programme novateur peut permettre de répondre à différents besoins.
Nous avons parlé plus tôt des ports pour petits bateaux. Il est tout à fait sensé d'investir dans de tels ports, car ils sont importants pour la surveillance, le contrôle et la protection de l'environnement. Ils jouent également un rôle essentiel dans la réduction des coûts d'acheminement des biens jusqu'aux communautés et dans le développement économique.
Parallèlement à cette question se trouve celle de l'expansion de la pêche commerciale dans l'Arctique. Il s'y trouve un noyau de pêche inuite — de pêche commerciale — promis à un brillant avenir. Il se peut que les allocations de flétan noir augmentent au cours des 12 prochains mois. Ce serait logique que le propriétaire d'une pêcherie commerciale dans l'Arctique soit Inuit. Chaque bateau qui sort en mer pour surveiller ces eaux est une preuve de l'occupation canadienne et de l'utilisation que nous en faisons.
Nous avons aussi abordé la question des Rangers, qui sont incontestablement un élément précieux pour la politique de défense du Canada, et le développement du programme des Rangers vient à point nommé. En théorie, ce programme pourrait lui aussi avoir des objectifs multiples. En plus de l'observation environnementale, on pourrait y ajouter un volet qui permettrait aux Rangers de contribuer à l'acheminement de provisions dans les communautés. Selon certains rapports, un ménage inuit sur deux manque de nourriture une fois par année. Ce sont des données inacceptables.
Il serait donc utile de pouvoir bénéficier d'investissements qu'on pourrait utiliser à des fins multiples.
:
Merci, monsieur le président. Je vous félicite pour votre victoire éclatante.
John et Mary, laissez-moi joindre ma voix à celles de mes collègues pour vous souhaiter la bienvenue parmi nous ce matin et vous remercier de prendre le temps de venir comparaître.
Mary, je croyais que vous aviez parlé de six recommandations. Vous en avez donné cinq. J'ai peut-être mal compris; vous avez peut-être dit « cinq » et j'ai entendu « six ».
En gardant en tête vos cinq recommandations, je me demande si une partie du problème lié au changement vient du fait que l'Arctique vit un changement rapide. Si on songe que les traîneaux à chiens sont devenus des motoneiges et que les chasseurs qui vivaient des ressources de la terre se battent maintenant contre la toxicodépendance, on voit que l'impact environnemental a entraîné un changement important du mode de vie des habitants de l'Arctique.
Parmi les éléments dont vous avez besoin pour réussir à vous adapter au changement, quelle serait votre première recommandation? Vous avez parlé des revendications territoriales, de la santé, de l'éducation et des partenariats avec le gouvernement. Quel est le problème auquel il faudrait d'abord s'attaquer?
Vous avez raison, j'ai bien dit qu'il y avait six recommandations. J'avais l'impression d'avoir dépassé le temps qui m'était accordé, alors je n'ai pas abordé la sixième. Mais j'en ai fait mention pendant notre discussion lorsque j'ai proposé d'aller vers une relation plus fructueuse en mettant en place une administration fédérale et inuite pour la gestion du passage du Nord-Ouest. C'était la sixième recommandation.
Laissez-moi me prononcer sur le tableau général que vous avez brossé. De nombreux facteurs expliquent pourquoi nos jeunes ne vont pas aussi bien qu'ils le devraient. Notre système scolaire doit être amélioré, tout comme nos services sociaux et notre système de santé. Nous n'avons pas de services en santé mentale. Le taux de suicide est sept fois plus élevé dans le Nord que dans le reste du Canada, et ce sont surtout des jeunes hommes qui se suicident. Nous ne disposons pas de services en santé mentale; il n'y a absolument rien à cet égard dans bien des régions parce que, comme vous le savez, nos communautés sont très éloignées. Il n'y a pas de routes. Plus la communauté est petite, moins elle obtient de services. Tandis que nous mettons en place nos services de santé, la santé mentale est l'une de nos principales priorités — ce qui ne veut pas dire que nous réduisons l'importance des autres facteurs de santé.
L'éducation est une autre priorité.
Quant aux changements climatiques, il nous faut des programmes d'adaptation. Le climat change rapidement dans l'Arctique. Nous n'y pouvons rien; nous n'avons aucune prise sur ces événements, et nous ne sommes pas non plus vraiment en mesure d'aider les gens à s'y adapter. Vous avez raison de dire que cela a une incidence.
Une fois tous ces facteurs mis ensemble, il m'est très difficile de désigner une priorité numéro un, car ils sont tous interreliés.
Certaines de nos communautés vont devoir être déplacées en raison des changements climatiques. L'une d'entre elles se trouve au Nunavik; il s'agit de Salluit, qui s'enfonce lentement.
Ce sont là des enjeux très importants pour nos communautés.
:
Merci, monsieur le président.
Au cours de nos délibérations, nous avons essayé de cerner quelque peu la question de la souveraineté. L'occupation du territoire est un aspect très important. Il semble que, dans le Grand Nord, personne ne conteste le fait que les Inuits occupent ce territoire depuis des temps immémoriaux.
Il y a néanmoins d'autres avenues dans lesquelles on s'engage aussi. De fait, il y a toute la question du prolongement du plateau continental. Comme vous le savez, le Canada devra présenter en 2013 sa proposition ou sa façon de voir la chose. De plus, 300 000 km supplémentaires ont été reconnus comme appartenant à la Norvège.
Il y a aussi toute la question du contrôle du territoire, et c'est ce sur quoi j'aimerais avoir votre point de vue. En ce qui concerne la Stratégie pour le Nord, nous, du Bloc québécois, trouvons qu'il y a une grande tendance vers la militarisation du Grand Nord. Il me semble vous avoir entendu dire plus tôt que vous n'aviez pas d'objection à ce qu'il y ait un peu plus de militaires dans ce Grand Nord. Parmi toutes les façons de faire mises en avant par le gouvernement, il y a la modernisation des Rangers. Vous ne pouvez pas être contre cela.
J'aimerais cependant vous entendre, par exemple, sur le centre d'entraînement militaire à Resolute Bay, la construction d'un port en eaux profondes à Nanisivik, la présence d'un brise-glace, les nouveaux navires de patrouille extracôtière, le projet Polar Epsilon qui, avec RADARSAT-2, examinera les entrées et le cheminement des bateaux dans le passage du Nord-Ouest.
Reconnaissez-vous que le contrôle du territoire puisse aller aussi loin que l'ensemble des mesures militaires mises en avant par le gouvernement? D'une part, partagez-vous ce point de vue? D'autre part, êtes-vous consultés sur l'ensemble de la dynamique, lorsqu'on décide qu'on fera ceci ou cela? Vos gouvernements sont-ils consultés? Le Canada vous demande-t-il de l'assister relativement à l'ensemble de ces projets?
:
Vous serez soulagés ou déçus d'apprendre que personne à ITK ne travaille à temps plein sur les questions d'ordre militaire à proprement parler, donc par définition, je vous répondrai en des termes généraux.
Vous avez terminé en parlant de consultation. Je peux vous dire que ITK n'a pas vraiment voix au chapitre en ce qui concerne la stratégie de l'Arctique, ce qui fut une grande déception. Comme l'a dit Mme Simon, un partenariat consiste à accomplir des choses ensemble; si les Inuits ne jouent pas de rôle central dans l'élaboration de la stratégie de l'Arctique, c'est difficile pour eux de croire que la stratégie tiendra compte de leurs priorités. Ça vaut pour tout.
Pour les investissements de nature militaire, comme l'a dit Mme Simon, les Inuits appuient la démarche du Canada, qui vise à démontrer à toute la planète que le pays s'est doté d'un programme actif pour s'acquitter de ses responsabilités dans l'Arctique. Dans la mesure du possible, il est important que les investissements de nature militaire permettent aussi d'atteindre des objectifs civils. Si nous pouvons faire avancer les priorités à la fois sur le plan civil et militaire, les investissements seront optimisés.
De toute évidence, au coeur de ce débat se trouve la question de savoir quelles sont les limites à ne pas dépasser pour l'investissement militaire par comparaison aux fonds injectés dans l'éducation et la santé. À mon avis, l'impression générale est que les questions d'ordre civil ont été mises de côté et que les investissements nécessaires dans les politiques sociales n'ont toujours pas été réalisés. La poursuite intentée par les Inuits du Nunavut, dont nous avons parlé plus tôt, porte expressément sur ce point. En tant que conciliateur, le juge Berger a produit un très bon rapport en 2006, dans lequel on peut lire que la seule façon d'aller de l'avant avec le projet du Nunavut est d'augmenter les investissements faits dans l'éducation et la formation, et qu'il existe un lien entre les acquis linguistiques et l'éducation. NTI était en charge de la poursuite. ITK l'appuie, et nous espérons arriver à un compromis.
Les satellites-radars entrent peut-être dans une vision différente de la gestion du passage du Nord-Ouest, dont nous avons parlé plus tôt. La possibilité que les Inuits et le gouvernement fédéral gèrent conjointement ce passage est une idée qui sort des sentiers battus, mais qui mérite d'être explorée. L'administration de la voie maritime du Saint-Laurent est bilatérale, en collaboration avec les États-Unis. Le partenariat avec les Inuits est très certainement aussi important dans l'Arctique que notre relation avec les Américains l'est le long de notre frontière méridionale.
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Merci beaucoup, monsieur le président. Félicitations pour votre réélection.
En tant que nouveau membre de ce comité, je veux simplement dire que je suis très content d'être ici et que j'ai hâte de travailler avec vous tous.
Madame Simon et monsieur Merritt, merci beaucoup pour le temps que vous nous accordez aujourd'hui et cette semaine. J'ai trouvé votre exposé très utile et très instructif.
J'aimerais survoler deux ou trois sujets, si j'en ai le temps. Je commencerai par approfondir la question de M. Payne sur CanNor, l'Agence canadienne de développement économique du Nord. Il est évident, et j'en suis pleinement conscient — votre exposé ne laisse planer aucun doute là-dessus —, qu'il y a encore beaucoup de travail à faire dans l'Arctique, notamment dans les domaines du développement humain et social, de la santé, de l'éducation, etc. Vous avez mentionné tout ça de façon très éloquente.
Quoi qu'il en soit, j'espère que vous conviendrez que le niveau d'intérêt de ce gouvernement envers l'Arctique est sans précédent. À preuve, la récente mise sur pied de CanNor. Je crois que le fait que CanNor soit établie dans le Nord, à Iqaluit, est révélateur, et que cela contribuera à mettre en évidence les retombées des programmes qui sont sous son égide.
Avez-vous déjà pensé à la manière dont vous pourriez tirer parti de l'établissement de CanNor dans le Nord et du grand intérêt que suscitent ces programmes?