Mon nom est Francine Matteau, mère du caporal-chef Nicolas Magnan blessé au combat à Kandahar le 22 août 2007. Par suite de l'accident de mon fils, j'ai été sensibilisée au sort réservé à ce que j'appelle la nouvelle génération d'anciens combattants. J'ai donc décidé d'entreprendre cette croisade par souci de justice pour tous. Je témoignerai selon ce que je sais.
Tout n'est pas mauvais dans cette nouvelle charte. Cependant, le retrait de la pension mensuelle est une grave erreur. La pension était et restera la seule manière de leur assurer une sécurité financière et une paix d'esprit très bien méritée. Après maintes discussions avec la direction d'Anciens Combattants Canada, les faits nous confirment que cette nouvelle charte a été adoptée trop rapidement sans en évaluer toutes les conséquences. Entre autres, elle contribue à se débarrasser des anciens combattants à plus ou moins brève échéance. Est-ce par souci d'économie? Plusieurs éléments me laissent croire que oui. Une fois libérés des Forces canadiennes, ils n'ont plus beaucoup d'aide d'Anciens Combattants Canada.
Notre pays a décidé d'envoyer nos soldats à la guerre. Bien sûr, on pouvait prévoir qu'il y aurait davantage de blessés. Le Canada doit prendre ses responsabilités et s'occuper des combattants lorsqu'ils reviennent handicapés physiquement et psychologiquement, et cela, jusqu'à la fin de leurs jours.
Le Canada, pour écrire sa nouvelle charte, s'est inspiré de ce qui se fait dans deux pays, la Grande-Bretagne et l'Australie. Ces deux pays sont revenus sur leur décision par suite de la pression des militaires, des familles et des médias. La Grande-Bretagne donne maintenant jusqu'à 855 000 $ en guise de montant forfaitaire, plus une pension mensuelle. Pour l'Australie, je ne connais pas les chiffres.
Je n'en demande pas tant. Je suis consciente qu'il y a aussi une question de budget. Cependant, le retour de la pension mensuelle est une priorité. C'est aussi une question de justice, de parole et de respect pour ceux qui ont choisi une carrière militaire. Lors de leur engagement, ils étaient convaincus que si, par malheur, il leur arrivait quelque chose, leur pays serait là pour eux. Ce n'est plus le cas. Ils se sentent humiliés, trahis, rejetés par ceux en qui ils avaient mis toute leur confiance, ce qui n'aide pas à retrouver une santé physique et psychologique. Ils se sentent abandonnés par le système.
Passons maintenant au montant forfaitaire. C'est très simple, on ne donne pas un gros montant d'argent à quelqu'un qui est instable psychologiquement. Ils pensent à s'évader, ils s'isolent, abusent d'alcool et de drogue, ils s'endettent, et lorsqu'ils reçoivent leur montant forfaitaire, ils paient leurs dettes et n'ont plus un sou. À la fin, les familles en font les frais. Ils sont découragés. Ces hommes et ces femmes sont détruits. Durant une mission, ils sont exposés à un stress intense, 24 heures sur 24, dormant très peu, vivant et voyant des horreurs au quotidien. Personne ne peut sortir indemne d'un tel vécu. De plus, pour recevoir leur montant forfaitaire, ils doivent se battre et se battre alors qu'ils n'en ont plus la force, aller d'appel en appel, revivre ces événements douloureux et pénibles, et cela dure généralement trois ans, et parfois plus.
Tout ce processus ne fait qu'augmenter le degré d'agressivité, de frustration et d'angoisse. Ils veulent passer à autre chose, mais dans ces conditions, c'est impossible. Le montant forfaitaire maximum est de 269 000 $ pour une indemnité maximum, c'est-à-dire 100 p. 100. Plusieurs d'entre eux, d'après les barèmes établis par le ministère, arrivent à des taux de 200 p. 100 et de 300 p. 100. Les 269 000 $ semblent donc carrément insuffisants. Dans le cas de mon fils, son avocate arrive à une indemnité de 104 p. 100, sans compter son syndrome de stress post-traumatique pour lequel il a déjà reçu 25 p. 100. Mon fils Nicolas attend la date de son deuxième appel. C'est un délai de près de trois ans.
Pour toutes ces raisons, j'insiste sur le retour de la pension mensuelle. Ils ont de lourdes séquelles, et cela, pour toute leur vie. Quelques exemples supplémentaires suivront.
Bien sûr, avec un bon suivi, ils arriveront à fonctionner à peu près normalement, mais la moindre difficulté ou déception les ramèneront souvent à la case départ.
J'ose espérer que vous avez entendu et que vous entendrez un spécialiste parler du syndrome de stress post-traumatique. Il en aurait sûrement beaucoup à vous apprendre sur ce très grave problème. Il faut aussi tenir compte du fait que plus ils vieilliront, plus ces blessures psychiques et physiques leur causeront différents problèmes de santé. À ce moment-là, ils auront le fardeau de la preuve.
Parlons de l'impact sur la famille. Ce n'est pas facile de soutenir un conjoint qui souffre du syndrome de stress post-traumatique. Pensons à toutes ces difficultés auxquelles ils ont à faire face. Plusieurs d'entre eux ont aussi des enfants, en plus d'avoir des difficultés financières. Combien de drames à venir, divorces, suicides. Vous savez que la troisième cause de mortalité chez les militaires est le suicide.
J'ai assisté à une réunion organisée par l'ombudsman, M. Pat Strogan, à la base militaire de Valcartier. J'ai entendu, ce soir-là, des histoires qui m'ont complètement bouleversée. Un ancien combattant de 40 ans pleurait au micro en racontant qu'il n'avait plus un sou. C'est une histoire tragique parmi tant d'autres.
Parlons maintenant du programme de retour à la vie civile. Oui, ils peuvent retourner aux études, période durant laquelle on leur assure 75 p. 100 de leur salaire, et même obtenir un diplôme d'études collégiales. Ce n'est quand même pas si mal si on tient compte des déductions en moins, ça peut aller. Le problème est que plusieurs d'entre eux n'ont pas les préalables pour obtenir un diplôme d'études collégiales. Seront-ils capables de se concentrer pour parvenir à étudier, d'autant plus qu'ils ont quitté les études depuis fort longtemps?
Je connais une personne à qui on a payé un cours de gardien de sécurité. Pour cet emploi, il gagne 15 $ l'heure, soit 27 000 $ par année, comparativement à 50 000 $ quand il était dans les Forces canadiennes.
Ceux qui arriveront à terminer un diplôme d'études collégiales auront un salaire de 32 000 $ à 35 000 $ par année, alors que plusieurs d'entre eux gagnaient entre 60 000 $ et 70 000 $ par année pendant leur vie de militaire. Comment pourront-ils conserver leur maison, payer pour l'éducation des enfants et les activités parascolaires? Il s'agit d'une perte de revenus substantielle. Comme l'a confirmé l'ombudsman, plusieurs d'entre eux vivront carrément sous le seuil de la pauvreté. Vous conviendrez que cette situation est totalement inacceptable. Qui en est responsable?
Une autre chose m'inquiète. Quel genre d'employés feront-ils? Combien de directeurs seront prêts à tolérer leurs sautes d'humeur, leurs absences répétées, parce que certains jours, ça ne va pas? S'ils perdent leur emploi, ils devront se justifier, mais ce système ne sera pas éternel. Je ne fais que vous faire part de la réalité telle qu'elle a été décrite par les militaires rencontrés. Ils deviennent asociaux, recherchent la paix, n'acceptent plus les contrariétés. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle plusieurs d'entre eux se retirent et s'isolent de la société.
Ce système n'est nullement adapté à leurs besoins. Combien d'entre eux décrocheront? Combien d'entre eux feront taire la vie? On trouvera sûrement encore des anciens combattants devenus des sans-abri. N'oublions pas qu'ils restent des êtres très fragiles. Tous ces systèmes coûtent très cher à administrer, sans compter qu'ils génèrent beaucoup de frustrations
Il s'agit d'une urgence, redonnons-leur la pension mensuelle et laissons-les vivre leur vie comme ils l'entendent. Vous en conviendrez, ils en ont assez bavé.
J'espère avoir apporté quelques informations — que vous connaissiez déjà sans doute — qui, je l'espère, vous aideront à comprendre que le rétablissement de la pension mensuelle est d'une importance capitale.
Avec tout le respect que nous leur devons, ils ne méritent pas d'être traités de cette façon. Ils ont servi votre pays, leur pays. Il est donc de notre devoir d'être là pour eux. Ne croyez pas que nous pouvons accepter qu'ils soient tassés sur la voie de service parce qu'ils ne peuvent plus donner leur 100 p. 100. Ce ne sont pas des accidentés de travail ou des accidentés de la route qui roulaient à 150 km/h en état d'ébriété, mais plutôt des individus soucieux de la sécurité de leur pays.
Le système actuel démontre qu'ils sont pénalisés pour avoir choisi une carrière militaire.
Voilà. Vous avez certainement des questions, et j'y répondrai en fonction de ce que je sais.
Merci.
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Il existe déjà un programme pour l'adaptation des maisons, par exemple. On parle ici de la fabrication d'une rampe, de l'élargissement des portes pour permettre le passage d'un fauteuil roulant et ainsi de suite. Il y a aussi des programmes par l'entremise desquels les gens qui ont subi des blessures peuvent obtenir des prothèses pour leurs chaussures. Il est possible de faire faire des prothèses, toujours aux frais du ministère.
En ce qui a trait au montant forfaitaire actuel, il est octroyé parce que ces gens doivent vivre avec leurs blessures. Je suis d'accord avec vous pour dire que ce montant n'est pas très élevé. Toutefois, c'est complexe. Si on leur donne le double de ce montant, ils vont faire des folies. Je ne sais pas comment on peut gérer ça. Présentement, ils reçoivent un montant de 269 000 $ qui est indexé au coût de la vie d'année en année. Je ne sais pas si ce montant pourrait être versé différemment, mais si on leur donne le montant global alors qu'ils sont encore fragiles, je me demande ce qu'ils en feront. Ils vont rester fragiles toute leur vie, mais ils vont tout de même reprendre du poil de la bête au fil des années. En Angleterre, le montant accordé est très élevé. Je ne sais pas si ces vétérans agissent comme les nôtres. Quoi qu'il en soit, des membres du personnel médical de Valcartier m'ont confirmé qu'ils n'avaient plus un sou. Ils pleurent sur leur sort parce que plus personne n'a d'argent, ou très peu.
Mon fils a fait de bons placements. Bien sûr, il avait 32 ans, et non 23 ou 24 ans, au moment où c'est arrivé. Si vous leur donnez un montant de 200 000 $ alors qu'ils ont 23 ou 24 ans, ils ont l'impression d'avoir gagné à la loterie et perdent le contrôle. Étant donné la grande fragilité de leur état psychologique, ils s'isolent, boivent ou, dans certains cas, dépensent leur argent au casino. Ils ont chacun leur façon de se défouler, mais en fin de compte, il ne leur reste plus d'argent.
Je ne sais pas comment vous pourriez gérer le montant forfaitaire, mais l'idée de leur donner un montant global me fait un peu peur. Il y a peut-être une autre façon de procéder, par exemple en versant un montant tous les cinq ans. Je ne sais pas. Quoi qu'il en soit, un gros montant global va donner lieu aux mêmes problèmes.
Il ne faut pas oublier la pension mensuelle. Pour ma part, c'est ce à quoi je tiens vraiment. Le montant forfaitaire ne règle aucun problème. Certains jeunes pleurent même chez leur psychologue. Ils ne connaissent pas exactement mon nom, mais ils savent que je suis la mère de Nicolas Magnan et que j'ai fait des demandes. Ils ne savent pas ce que ça va donner. Ils s'accrochent à tout pour s'en sortir. Ils sont découragés. Ils n'ont plus d'argent. C'est l'enfer pour eux. C'est vraiment triste.
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Actuellement, le processus a été un peu retardé parce que Nicolas était en congé parental. Il est retourné au travail lundi dernier, le 17 mai. Son épouse est thaïlandaise et elle veut retourner vivre en Thaïlande. On leur offre le retour aux études. Nicolas a demandé de pouvoir apprendre le thaï pour démarrer son commerce là-bas, apprendre à le lire, l'écrire et le parler. Il n'a pas encore eu de réponse à ce sujet.
Peu de gens ont entrepris leur retour aux études, je crois. Nicolas faisait partie des premiers blessés. Évidemment, je suis surtout au courant de ce qui se passe dans la région de Québec, mais je suis très peu au courant de ce qui se passe ailleurs. Je sais que des blessés d'ailleurs, d'autres provinces, sont revenus. Je ne pourrais pas vous dire comment ils ont été suivis.
Comme je le disais un peu plus tôt, tant mieux s'ils peuvent retourner aux études, mais un diplôme d'études collégiales n'assure qu'un faible revenu. S'ils ont une famille, ça ne se compare pas. Comme tout le monde, ils ont déjà des obligations. Ils ont une maison dont la valeur correspond à leur ancien revenu. La voiture, c'est la même chose. Bien sûr, on peut la changer, on n'est pas obligé de se promener en Mercedes, on peut se promener en Volkswagen, ça va quand même, mais seront-ils obligés de vendre la maison à laquelle ils tenaient? Ce sont des choses comme cela qui m'inquiètent relativement au retour aux études. D'autre part, je ne suis pas certaine qu'ils puissent faire de bons employés avec leur syndrome de stress post-traumatique. Cela m'inquiète. Ils ont tellement de sautes d'humeur, ils cherchent toujours à s'isoler. Comment faire pour les intégrer dans un groupe?
La semaine dernière, j'ai vu une émission, comme certains d'entre vous, peut-être, car je sais que vous avez de longues heures de travail. Elle était diffusée par HiSToRiA TV. C'était une émission sur le syndrome de stress post-traumatique. On voyait des hommes qui étaient sortis des Forces canadiennes depuis plusieurs années. Ils avaient encore de graves séquelles. Un de ces hommes se promenait toujours avec un couteau dans les poches, c'est assez spécial. Il allait au cinéma, il fallait qu'il s'assît en arrière. Un autre ne pouvait même plus aller à la boucherie et passer devant un comptoir de viande. Il disait qu'il avait assez vu de chair. Cela donne des frissons.
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Ce pourrait être attrayant, en général, bien que ce ne le soit peut-être pas pour mon fils puisqu'il va quitter pour aller en Thaïlande.
Les propos à ce sujet sont contradictoires en quelque sorte. J'ai lu certains articles dans les journaux — je suis de très près ce qui se passe relativement à ce dossier. Je ne me souviens plus des noms, mais j'ai lu qu'on pouvait garder nos blessés dans l'armée et leur confier d'autres travaux. On sait qu'ils peuvent accomplir bien d'autres tâches de bureau sans être obligés d'aller au combat. Par contre, dans un autre article, on disait qu'on ne pouvait pas garder les vétérans dans l'armée, car cela nous amènerait éventuellement à accepter des handicapés comme militaires, ce qui entrerait en conflit avec les normes établies.
Il est évident que ces militaires ne possèdent plus les caractéristiques requises. Vous connaissez les normes établies. Par exemple, ils doivent être capables de courir tant de kilomètres avec tant de livres sur le dos, ils doivent pouvoir ramper, etc. Il est certain que ces vétérans n'entrent plus dans la norme.
J'en ai justement parlé avec mon fils. Il m'a dit que les gars faisaient semblant de rien, qu'ils s'accrochaient, évidemment. Avant de prendre son congé parental, Nicolas travaillait au mess des officiers à la Citadelle, et il aurait peut-être pu continuer à travailler ainsi pendant un certain temps.
Or, considérant les règles de base des Forces canadiennes et les exigences à satisfaire pour être accepté comme militaire, tranquillement, on les guide vers la porte de sortie, parce qu'ils ne peuvent plus se soumettre aux exigences. On ne peut pas les mettre dehors sans raison, ce ne sont pas des sauvages. Toutefois, on ne peut pas accepter l'embauche de militaires blessés au sein même des Forces canadiennes.
Ils peuvent occuper certains postes au sein du gouvernement fédéral, par exemple. S'ils ont les préalables, ils seraient censément les premiers à obtenir un poste. Par contre, ils ne peuvent pas faire partie des Forces canadiennes puisqu'ils n'entrent pas dans les normes. Comme je vous le disais plus tôt, une personne handicapée pourrait utiliser le fait que les Forces canadiennes acceptent les personnes handicapées pour avancer qu'il peut très bien travailler à l'ordinateur, faire telle et telle chose. C'est ce qui poserait problème. On disait qu'ils ne le pouvaient pas. Enfin, c'est ce que j'ai lu dans le journal.
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Tous les programmes ne sont pas si clairs que ça à comprendre pour nous, les individus qui essaient de trouver des choses sur le Web, parce que beaucoup de pages sont noircies — il y a comme une force de censure. De plus, les militaires ne sont pas toujours très ouverts parce qu'ils ont toujours peur du système; la loi de l'omerta est là et ils ont toujours très peur.
Les 75 p. 100, je sais qu'ils existent durant leur formation, c'est-à-dire durant la période où ils retournent aux études. Oui, les 75 p. 100 existent. Je le disais tout à l'heure: c'est acceptable parce que finalement ils auront beaucoup moins de déduction, par conséquent il n'y aura pas une si grande marge de différence de revenu.
Le supplément, comme vous le dites, si par exemple pour une blessure — encore là je ne sais pas comment vous l'établissez exactement... Je connais aussi une personne qui reçoit 780 $ par mois parce qu'il a un fort choc post-traumatique. C'est 780 $ par mois, et c'est le même bonhomme qui travaille comme gardien de sécurité. Il va vivre avec beaucoup moins.
C'est la perte de revenu qui leur est imposée que je n'accepte pas. Ils sont allés se battre pour notre pays, pour votre pays, pour le leur et, dans les faits c'est comme s'ils étaient pénalisés d'avoir choisi une carrière militaire.
Tous ces programmes sont tellement compliqués, même plusieurs militaires ne les comprennent pas tous. C'est très compliqué. Ils sont toujours obligés de retourner, de se justifier encore et encore. Y a-t-il quelque chose de plus humiliant pour eux que ça?
Je vais vous donner l'occasion d'élaborer un peu plus, mais je dois d'abord vous dire que vous faites une excellente défenseure, non seulement pour la cause de votre fils, mais pour celle de bien d'autres hommes et femmes qui ont comparu devant le comité et qui sont préoccupés.
Je suis d'accord avec vous. Je pense que le problème est de savoir comment vivre avec 75 p. 100 de son revenu, si celui-ci est de 700 $ par mois. Si on a de la chance, on obtiendra un montant global de 260 000 $, et on aura bien d'autres programmes de soutien, et ainsi de suite. Mais la réalité est qu'on devra par la suite vivre avec 700 $ par mois, ce qui correspond à 75 p. 100 du revenu qu'aurait gagné un jeune homme. Cela entraînera un tas d'autres problèmes.
Je partage assurément une partie des préoccupations qu'on a — et je pense que c'est le cas pour nous tous —, et nous tentons d'apporter des changements. Quels types de changements préconiseriez-vous, dans ce cas?
Nous parlons d'un jeune homme qui a perdu beaucoup d'années de sa vie, et c'est pourquoi on lui accorde en partie un paiement forfaitaire. Quels changements devrions-nous apporter, à votre avis? Si ce n'est pas 75 p. 100, quel devrait être ce pourcentage?
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Il a en effet perdu une partie de sa vie, il a aussi perdu une partie de son intégrité. Plusieurs ont perdu leurs jambes, d'autres un bras, d'autres sont complètement défigurés. Quel avenir leur est réservé? Je me pose de sérieuses questions, car vous imaginez bien que ce n'est pas toujours facile. Ils ont une vie devant eux. On peut, par exemple, penser qu'ils voudront peut-être fonder une famille — ils ont 22 ans —, bien qu'ils n'aient peut-être pas de conjointe actuellement. Il faut penser que ce ne sera peut-être pas facile de trouver une conjointe, quand on n'a plus de jambes ou qu'il nous manque un bras. La sympathie, c'est bien beau, mais on n'est pas toutes des mères Teresa.
Dans ce programme, on ne tient pas compte non plus du fait qu'ils sont célibataires ou qu'ils ont une famille. Je voudrais finalement le retour à ce qui existait auparavant. Je pense qu'ils étaient assez bien servis avec les pensions qu'ils avaient autrefois. Cela tenait compte du fait qu'ils étaient célibataires, qu'ils avaient une femme, un, deux ou trois enfants.
On ne peut pas demander la lune, j'en suis consciente. Néanmoins, tout ce que je veux, c'est une sécurité financière. J'ai même entendu parler de femmes de militaires qui se sont suicidées parce que c'est très lourd à porter. On ne peut pas laisser ça ainsi, c'est absolument inconcevable. Ils ne méritent pas d'être traités de la sorte.
C'est bien beau de dire qu'on leur offre une foule de programmes, mais ils ont l'impression d'aller quémander. Je m'excuse, mais j'appellerais ça un « régime d'assistance sociale ». C'est comme ça que je le vois. C'est humiliant pour eux. Ça n'a aucun sens. C'est justement tellement humiliant et tellement compliqué que plusieurs vont décrocher.
On est actuellement à la recherche de sans-abri à Montréal, à Calgary: on y retournera parce que certains vont carrément décrocher. Il faut penser qu'on ne traite pas avec des gens comme vous et moi; on traite avec des gens qui sont extrêmement fragiles sur le plan émotif.
Je veux revenir à ceci. Lorsqu'on dit qu'on a une pension, c'est toujours relatif. Auparavant, je travaillais à défendre les accidentés du travail au Québec, et le système est similaire à celui des pensions pour les accidentés ou les blessés des Forces canadiennes. C'est toujours difficile de faire reconnaître leurs lésions ou d'adhérer à un programme ou à quelque chose de semblable.
On parle toujours des 75 p. 100, mais ce n'est pas pour la vie. Si quelqu'un a une incapacité dans une proportion de 10 p. 100 ou de 15 p. 100, on va lui trouver un programme de réadaptation, comme vous le dites, et on va lui donner une formation d'agent de sécurité. Or je dois vous dire qu'au Québec, dans 90 p. 100 des cas, c'est ce que l'on fait de ces gens. On fait de tous des agents de sécurité, car c'est le cours le plus simple à suivre, le travail le plus facile à accomplir et, ainsi, on se débarrasse de la personne.
Néanmoins, une fois que cette personne sera sur le marché du travail, qu'elle gagnera dorénavant 20 000 $ alors qu'elle en gagnait 40 000, pensez-vous qu'il sera possible et faisable pour les Forces canadiennes de compenser la différence entre le revenu gagné auparavant dans les Forces canadiennes et le nouveau revenu? Les Forces canadiennes combleraient ainsi l'écart entre les deux salaires. Qu'en pensez-vous?
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Madame Matteau, je tiens à remercier votre fils pour son dévouement et pour son sacrifice envers notre pays. Je voudrais également vous remercier, vous et votre famille, pour le dévouement dont vous avez fait preuve pour le Canada.
J'approuve certaines choses que vous avez dites. Ici, nous ne parlons pas de personnes qui doivent simplement se recycler parce que leurs emplois ne correspondent plus aux besoins de la société. Ces individus avaient des attentes, des aspirations professionnelles. Quelqu'un comme votre fils se serait attendu à continuer à gravir les échelons jusqu'à un certain point, et à ce qu'un certain niveau de vie soit maintenu s'il demeurait dans les forces armées. Il ne fait aucun doute que certains changements doivent être apportés. Il s'agit d'une charte évolutive; c'est pourquoi nous nous penchons sur les changements possibles.
J'hésite à dire qu'il ne devrait pas y avoir de montant forfaitaire. À mon avis, il faudrait qu'il y ait un mélange. Certains programmes doivent être mis en place, et nous devons examiner tout cela sérieusement pour trouver la solution qui convient. Dans ma région, il y a beaucoup d'anciens combattants qui sont revenus blessés d'Afghanistan, et un paiement forfaitaire initial, à tout le moins, est très utile pour les aider à prendre un nouveau départ. Il faut revoir cela, assurément — qu'il s'agisse de paiements mensuels ou de n'importe quoi d'autre.
Mais il y a un sujet dont j'aimerais discuter avec vous, car il est fort préoccupant. Vous avez dit que les anciens combattants étaient rejetés par ceux à qui ils faisaient confiance, abandonnés par le système et contraints de lutter encore et encore pour obtenir leur paiement forfaitaire. Il est très troublant que des hommes et des femmes puissent revenir des théâtres de guerre après avoir risqué leur vie pour notre pays et se sentir tout simplement rejetés par la bureaucratie — car c'est bien ce dont nous parlons, ici — d'une organisation au sein de laquelle ils combattaient, dans certains cas.
J'ai deux questions pour vous. Premièrement, avez-vous des solutions ou des idées à proposer en ce qui concerne des façons de mieux servir nos militaires de retour de la guerre, du point de vue de la bureaucratie? Lorsque vous avez eu affaire au système, avez-vous relevé certains moyens qui pourraient nous permettre de simplifier ce dernier?
Ma seconde question est d'ordre personnel, et concerne le trouble de stress post-traumatique. Votre fils est très chanceux d'avoir reçu un diagnostic alors qu'il était encore au MDN. Les militaires qui ne reçoivent aucun diagnostic de ce trouble pendant cinq, six ou sept ans ont vraiment un dur combat à mener pour tenter d'accéder ne serait-ce qu'à certains services essentiels du gouvernement du Canada auxquels ils ont droit. Avez-vous des propositions ou des idées à nous soumettre en ce qui concerne la manière dont nous pourrions mieux servir nos anciens combattants qui rentrent au pays?
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D'abord, si je me souviens bien, Nicolas était obligé d'aller consulter le psychologue en arrivant de sa mission. Il n'avait pas le choix. Je pense qu'ils étaient obligés d'y aller, mais je vous dis cela sous toute réserve.
Nicolas a toujours refusé la médication parce qu'on est anti-médication. Finalement, quand il est revenu, il m'a dit qu'il n'avait jamais voulu prendre de médication, qu'il avait en effet été très bien suivi par le psychologue. Il n'avait pas un mot à dire contre cela, car il avait un excellent psychologue. Cependant, il m'a avoué qu'il sentait que ça le rattrapait. Je le savais parce que je le voyais faire et que je connais mon fils. Je savais que non seulement cela le rattrapait, mais que ça l'avait rattrapé avant qu'il ne parte en Thaïlande.
En ce qui concerne le montant forfaitaire, on en revient toujours au même problème. On en revient toujours au fait que si vous leur donnez plus d'argent ou encore le fameux montant forfaitaire, ils le gaspillent. Je n'oserais pas donner de pourcentage, mais je me demande si 10 p. 100 ou 5 p. 100 de ceux qui ont reçu un montant forfaitaire ont encore de l'argent. On entend dire qu'il n'y en a plus, qu'il n'y a plus personne. Il faut nuancer, quand on entend des choses comme ça. J'ai quand même une certaine expérience de vie, il faut un peu nuancer. Je n'irais pas dire qu'il y en a 99,9 p. 100 qui n'ont plus un sou, mais la majorité n'a plus un sou. Et d'après le personnel médical de Valcartier, en effet, il n'y en a plus un seul qui a encore de l'argent. Peut-être que, dans d'autres bases, il y en a eu de plus sages, je ne le sais pas, mais à Valcartier c'est ainsi. On ne peut cependant pas dire qu'il n'y en a plus un, puisque mon fils en a encore. Donc, c'est difficile de répondre.
Quelle était l'autre question? Je m'excuse.
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À mon avis, il n'y en a qu'une seule. C'est le retour à la pension mensuelle. C'est la priorité. Ce n'est pas compliqué, c'est la seule manière de leur assurer une sécurité. J'en reviens toujours à dire que ce sont des êtres fragiles, des personnes blessées physiquement, psychologiquement. Physiquement, comment seront-ils dans 10 ans?
À 60 ans, on a souvent mal ici et là en se levant un matin et on a mal à un genou le lendemain matin. Eux, qui ont eu de graves blessures aux jambes, qui ont subi intervention chirurgicale après intervention chirurgicale — et il y en a plusieurs —, seront-ils encore capables de marcher à 60 ans ou seront-ils assis dans un fauteuil roulant?
C'est pourquoi je dis que c'est bien beau, tous ces programmes... D'abord, avez-vous pensé à l'administration de tout ça? Ça va être compliqué. Je ne suis pas comptable, mais je sais compter. Je me dis que ça va être d'une complexité incroyable. Mais, surtout, le militaire va toujours être obligé d'aller se justifier. Mérite-il ça? D'après vous, méritent-ils d'être toujours obligés d'aller se justifier après ce qu'ils ont vécu? Ils sont à plat. Ils sont détruits, ces gens.
C'est horrible de les obliger à retourner se justifier chaque fois qu'un petit bobo sort, de recommencer le même processus encore et encore pour s'expliquer. C'est une horreur de leur faire vivre ça. À mon avis, ils ne méritent pas ça, après ce qu'ils ont vécu et ce qu'ils ont donné. Et nous ne pouvons pas accepter ça, ni vous tous ni tous les citoyens, à commencer par moi-même.