:
Merci, monsieur le président.
Mesdames et messieurs, bonjour.
Je souhaite d'abord remercier le comité de m'avoir invité cet après-midi à témoigner sur l'état de santé mentale dans les Forces canadiennes, plus particulièrement sur les traumatismes liés au stress opérationnel.
Comme nous l'avons indiqué dans notre rapport spécial de décembre 2008, les traumatismes liés au stress opérationnel demeureront un défi important pour les Forces canadiennes et une pénible réalité pour les soldats, les marins et les aviateurs canadiens et leurs familles, pendant les années à venir.
[Français]
En juin 2009, le Comité permanent de la défense nationale de la Chambre des communes prévoyait que des 27 000 membres des Forces canadiennes qui avaient été envoyés en mission en Afghanistan, entre 2002 et 2008, environ 1 120 pourraient présenter des symptômes du syndrome de stress post-traumatique et 3 640 pourraient être aux prises avec certains troubles mentaux.
Ces statistiques ne tiennent pas compte des membres des Forces canadiennes qui ont servi en Afghanistan après 2008 ni de ceux qui ont participé à des opérations militaires dangereuses et exigeantes avant la mission en Afghanistan, notamment les missions dans les Balkans, au Rwanda et ailleurs.
À bien des égards, les traumatismes liés au stress opérationnel seront, selon moi, un défi générationnel pour le ministère de la Défense nationale, Anciens Combattants Canada et les Forces canadiennes et le gouvernement du Canada dans son ensemble.
Je suis donc très heureux que le comité examine cet enjeu. Vos travaux seront extrêmement importants pour les militaires actifs, les anciens combattants et leur famille, qui ont donné tellement d'eux-mêmes au service du Canada.
[Traduction]
Monsieur le président, je suis accompagné aujourd'hui de Mary McFadyen, notre avocate générale, qui travaille sur cet enjeu depuis déjà de nombreuses années. Mme McFadyen a été l'ombudsman par intérim pendant les 14 mois précédant mon entrée en fonction.
Nous avons fourni aux membres du comité un document sommaire qui résume les travaux entrepris par notre bureau dans le domaine des traumatismes liés au stress opérationnel. Pendant les prochaines minutes, j'aimerais vous faire part de certains progrès qui ont été réalisés par le ministère de la Défense nationale et les Forces canadiennes, et de plusieurs domaines qui requièrent leur attention de façon plus urgente. Je vais aussi communiquer les intentions de notre bureau au cours des mois à venir pour ce qui est des traumatismes liés au stress opérationnel.
Avant de débuter, je veux vous faire remarquer que les données de recherche factuelles relatives aux traumatismes liés au stress opérationnel datent de 2008. J'ai assumé mes fonctions en 2009. Notre recherche date de 2008. Nous avons suivi de près la question, mais nous n'avons pas encore entrepris un troisième examen de suivi approfondi. J'estime toutefois que plusieurs des préoccupations soulevées par notre bureau en 2008 sont toujours d'actualité.
Monsieur le président, depuis 2002, notre bureau s'occupe des enjeux importants en matière de santé mentale. Nous avons publié quatre rapports et formulé plus de 40 recommandations en vue d'améliorer les soins et les traitements reçus par les membres des Forces canadiennes qui souffrent du syndrome de stress post-traumatique ou d'autres traumatismes liés au stress opérationnel.
Dans notre rapport de décembre 2008, nous avons conclu que la Défense nationale et les Forces canadiennes ont réalisé des progrès dans le dépistage, la prévention et le traitement du syndrome de stress post-traumatique et d'autres traumatismes liés au stress opérationnel. Toutefois, nous avons aussi constaté plusieurs cas où leurs familles n'ont pas eu accès aux soins dont ils avaient vraiment besoin. De plus, les conséquences pour les personnes qui passent entre les mailles du système sont souvent désastreuses et persistantes.
[Français]
Une de nos préoccupations les plus pressantes était la stigmatisation des militaires atteints du syndrome de stress post-traumatique ou d'autres traumatismes liés au stress opérationnel. Elle constitue toujours un vrai problème dans plusieurs établissements d'un bout à l'autre du pays. En effet, les fournisseurs de soins en santé mentale de toutes les régions du Canada estiment qu'il s'agit là d'un des plus grands défis actuels des Forces canadiennes.
J'ai donc accueilli favorablement le lancement de la Campagne de sensibilisation à la santé mentale à l'été de 2009. Cette campagne vise justement à régler le problème de stigmatisation auquel font face les militaires atteints de traumatismes liés au stress opérationnel.
C'est avec plaisir que j'ai constaté certaines des autres initiatives prises par la Défense nationale depuis que nous avons publié notre dernier rapport spécial en décembre 2008, notamment la création de l'Unité interarmées de soutien au personnel. Celle-ci assure une approche mieux coordonnée et intégrée en vue de traiter les traumatismes liés au stress opérationnel.
[Traduction]
En même temps, nous savons qu'il y a des domaines qui demandent encore plus d'attention. Par exemple, la première recommandation de notre bureau dans notre rapport spécial de 2002 était que les Forces canadiennes mettent sur pied une base de données qui reflète exactement le nombre de membres des Forces canadiennes qui souffrent de maux causés par le stress.
Sans données fiables, il est difficile de comprendre la portée et la gravité du problème et de concevoir et de mettre en oeuvre des programmes nationaux efficaces pour aider ceux qui souffrent d'un traumatisme lié au stress opérationnel. Ces données pourraient aussi être utilisées pour cibler les initiatives d'éducation et de formation vers les besoins les plus marqués. J'ajouterais que ces données pourraient aider à mieux déterminer les besoins en matière de fournisseurs de soins et d'infrastructure additionnels. Il est regrettable que la Défense nationale ait été si lente à donner suite à cette recommandation.
Les soins et les traitements offerts aux familles des militaires qui souffrent de traumatismes liés au stress opérationnel est un autre enjeu que nous continuons de surveiller. En décembre 2008, notre bureau n'a pas été capable de trouver de preuves de l'existence d'une approche coordonnée, à l'échelle nationale, pour garantir un accès rapide à des soins et à des traitements médicaux aux familles des militaires qui souffrent du syndrome de stress post-traumatique ou d'autres traumatismes liés au stress opérationnel. En effet, la disponibilité, la qualité et la rapidité des soins variaient énormément d'un établissement militaire à l'autre.
Quand un membre des Forces canadiennes souffre d'un traumatisme lié au stress opérationnel, c'est toute la famille qui s'en trouve grandement éprouvée.
[Français]
Nous sommes toujours préoccupés par les problèmes de stress et d'épuisement professionnel dans la communauté des fournisseurs de soins militaires, notamment les aumôniers, les travailleurs sociaux, les médecins, les psychologues, les psychiatres ainsi que les infirmiers et infirmières en santé mentale.
Monsieur le président, ces enjeux seront une priorité de notre bureau lors du lancement de notre troisième enquête de suivi sur les traumatismes liés au stress opérationnel dans les Forces canadiennes.
Nous reconnaissons et applaudissons les progrès réalisés par les Forces canadiennes dans le dépistage, la prévention et le traitement des problèmes de santé mentale. Mais en même temps, étant donné le grand nombre de militaires qui en souffrent actuellement, et même du plus grand nombre prévu de militaires qui en souffriront, nous avons conclu que cet enjeu doit être examiné de nouveau par notre bureau.
J'espère lancer cette enquête de suivi au cours des prochains mois.
[Traduction]
Monsieur le président, comme je l'ai déjà mentionné, nous jugeons que les traumatismes liés au stress opérationnel seront un défi générationnel pour notre pays. Je suis donc heureux que votre comité se penche sur une solution pour relever ce défi.
De plus, nous sommes prêts à fournir à votre comité toute l'aide que nous pouvons apporter.
Merci.
:
Bonjour, monsieur Daigle. Je suis heureux de vous entendre parler français et anglais. C'est intéressant, parce que ça nous permet de mieux comprendre quelquefois.
J'aimerais poser quelques questions au sujet de certains témoignages que le comité a entendus.
Prenons l'exemple de Frédéric Couture. Ce jeune homme est revenu d'Afghanistan amputé d'un de ses membres, malheureusement. Il a fait une tentative de suicide sur le théâtre des opérations, où il se trouvait avec quelques collègues. Par la suite, il a été hospitalisé.
On a su, la semaine dernière, qu'il était revenue au Québec sans avoir reçu de soins d'ordre psychologique sur le théâtre des opérations. Vous connaissez l'histoire, j'imagine. Sa mère, qui le gardait, n'a jamais vraiment su ce qui s'était produit sur le théâtre des opérations. Finalement, il s'est enlevé la vie.
J'imagine qu'en tant qu'ombudsman de la Défense nationale et des Forces canadiennes vous avez entendu ce type de témoignages à de nombreuses reprises.
Souvent, chez ceux qui en souffrent, le syndrome de stress post-traumatique ne sort pas comme un bouton sur le bout du nez un bon matin. C'est un processus qui inclut toute la question de la consultation et du dépistage chez la personne qui est au prise avec ce problème. En règle générale, ce sont les hommes qui sont aux prises avec ce problème, et on sait qu'ils consultent moins que les femmes.
J'aimerais entendre vos commentaires à ce sujet, bien qu'on ait entendu des commentaires à ce sujet à plusieurs reprises. Lorsque quelqu'un fait partie de l'armée, on s'en occupe. Pourtant, lorsque quelqu'un quitte l'armée, on dirait qu'il n'existe plus, qu'il n'a plus accès aux services, qu'on ne tient pas compte de lui et de ses différents besoins, surtout ses besoins psychologiques.
Avez-vous eu plusieurs plaintes à ce sujet?
:
Monsieur le président, je vais répondre aux questions qui sont beaucoup plus ponctuelles, parce que je les vis maintenant, alors que le rapport qu'on a publié date de 2008.
Pour répondre à votre question, je dirai qu'on a actuellement des plaintes qui sont à l'étude chez nous. Ce que vous mentionnez, je l'ai senti lorsque j'ai visité certaines bases militaires.
Premièrement, bien que le ministère ait lancé une campagne de sensibilisation en 2009, la stigmatisation existe toujours.
Je rencontre des jeunes mères de famille qui me confient que jamais leurs maris ne voudront qu'elles disent qu'ils sont malades, parce qu'ils ne voudront pas s'avancer pour présenter cela. Lorsque ces personnes sont malades, leur premier répondant, leur premier fournisseur de services, c'est la famille. La femme et les enfants s'occupent du conjoint — ou le mari qui s'occupe de la conjointe. Ça en impose beaucoup aux les familles proprement dites.
Il existe en ce moment des cas où des familles n'ont pas encore fait leur deuil
[Traduction]
... ils n'ont pas encore fait leur deuil...
[Français]
de leur époux ou de leur fils. Certains d'entre eux se sont suicidés, comme vous l'avez mentionné.
On demande aux gens de venir à notre bureau pour ces choses. Alors, si vous en connaissez... On continue de suivre étroitement certaines de ces familles. Je corresponds avec le ministre à propos de ces dossiers.
C'est une chose qui existe. Malgré la stigmatisation, les jeunes, vous avez raison, ne vont pas s'avouer qu'ils ont une faiblesse, car ils ont l'esprit guerrier.
Les familles en souffrent beaucoup. Après un déploiement opérationnel, si les familles en ont besoin, que ce soit le plus proche parent, la mère, le père, l'épouse ou l'époux, on les réunit pour les débreffer. On présente alors à la famille les indicateurs à observer chez le membre de leur famille qui a été blessé.
Je ne sais pas si vous avez eu la chance de le voir, mais dimanche dernier dans The Chronicle Herald, un journal de la Nouvelle-Écosse, il y avait un article très intéressant sur le personnel militaire qui a été plus ou moins forcé de quitter les Forces canadiennes.
D'après moi, l'un des plus grands problèmes des militaires, c'est que lorsqu'ils ne sont plus aptes à être déployés, ils ne sont plus employables dans les Forces canadiennes. Comme ils le disent eux-mêmes, ils sont « chassés » des forces. Certains anciens combattants disent même que le MDN a refilé le problème au ministère des Anciens Combattants.
Dans le secteur privé, où je travaillais auparavant, il y avait dans les lignes aériennes, ce qu'on appelait « l'obligation d'adaptation ». Lorsqu'une personne était blessée, la société était tenue d'essayer, du mieux qu'elle le pouvait, de prendre des mesures d'adaptation pour permettre à cette personne de continuer à travailler. Je ne sais pas si cette obligation s'applique aux Forces canadiennes, car le MDN a demandé à de nombreux employés qui croyaient être encore aptes à travailler de quitter les forces. Ils ont été libérés pour motifs médicaux en vertu de l'alinéa 3(b)d). Cela ajoute énormément de stress pour ces employés et leurs familles.
Comme vous le savez, monsieur, le MDN, c'est une culture. C'est un mode de vie. C'est dans leur gène. C'est leur identité, et tout à coup, on leur enlève cela, pour une raison ou une autre, sans que ce soit de leur faute, à cause d'un traumatisme. Ils sont forcés de vivre dans un monde entièrement différent auquel ils ne sont plus adaptés depuis assez longtemps.
J'aimerais que vous me disiez quelque chose. Si vous n'avez pas la réponse maintenant, pourriez-vous me la fournir plus tard?
Premièrement, combien d'employés du MDN toujours en fonction reçoivent une pension du ministère des Anciens Combattants? Puis, au sujet de l'obligation d'adaptation, est-ce que le MDN fait suffisamment d'efforts pour garder les soldats blessés dans ses rangs, ou avez-vous constaté qu'on les pousse vers la sortie — une fois blessés, vous n'êtes plus bons pour le MDN?
:
Merci beaucoup de me permettre de comparaître devant vous. Je l'apprécie énormément et je vous confirme que le simple fait d'avoir ouvert une commission d'enquête apporte beaucoup d'espoir dans le coeur des vétérans qui souffrent en silence chez eux.
J'ai eu la chance de servir mon pays pendant 14 ans. Et si je n'avais pas été blessé en mission, je serais encore au service de notre beau pays. La dernière mission où j'ai eu l'honneur de servir était au Timor-Oriental; j'y étais en tant que fantassin airborne. J'ai été blessé, là-bas. Lorsque je suis revenu à l'aéroport de Québec, il n'y avait strictement personne pour m'attendre à l'aéroport. Pourtant, j'ai été rapatrié de l'Australie pour des raisons médicales. Je vous confirme que lorsque je suis arrivé à l'aéroport de Québec et que j'ai vu qu'il n'y avait personne, j'ai rapidement compris ce que c'est que de passer de héros à zéro.
Cela m'a conduit à beaucoup de détresse, physique et psychologique. On sait que l'armée est un milieu où on se dit qu'on est le fort d'entre les forts, celui qu'on admire, redoute et respecte. Lorsqu'on devient un problème pour cause médicale, on n'a pas le goût d'en parler, parce qu'on aura à faire face, premièrement, au jugement des pairs et, deuxièmement, au jugement de la chaîne de commandement, qui se dira qu'on est un autre militaire qui n'a plus le goût de travailler. Malheureusement, je vous confirme qu'on a droit à cela.
Malgré le fait que j'avais beaucoup de problèmes, autant physiques que psychologiques, je suis allé frapper à la porte de l'armée pour lui demander de l'aide. On m'a répondu que si j'en demandais trop, on allait me sortir parce que l'armée n'a pas besoin de cas problèmes dans ses rangs. Donc, tu marches ou tu pars. Ça ne donne pas le goût de vouloir de l'aide, donc, on avale ses problèmes et on essaie de continuer à marcher.
Ensuite, quand on arrive devant le ministère des Anciens Combattants, on nous dit de prouver que notre état est dû au service, parce qu'il n'y a rien d'écrit dans notre dossier. Non, il n'y a rien d'écrit dans notre dossier, parce qu'on ne veut pas dire qu'on est malade, car à partir du moment où on est malade, on ne fait plus partie des héros, on fait partie des zéros.
Je suis même allé frapper à la porte du ministère des Anciens Combattants pour dire que j'avais besoin d'aide psychologique, que j'avais peur de moi-même. Ce qu'un fonctionnaire m'a répondu en me regardant dans les yeux — excusez le terme —, c'était que j'étais un assisté social déguisé, en uniforme, qui voulait seulement un plus gros chèque. Il m'a dit de le laisser tranquille.
Imaginez que vous êtes un soldat très opérationnel et que, en l'espace de neuf jours, vous tombez malade physiquement et mentalement. Vous n'êtes pas capable de vous comprendre vous-même et ça vous prend tout votre courage pour avouer que vous avez des problèmes médicaux. Le syndrome de stress post-traumatique n'est pas facile à avouer. J'avoue que j'ai une maladie psychologique. C'est excessivement difficile de se l'avouer à soi-même. Non seulement je me l'avoue, mais je vais chercher de l'aide, et l'armée me dit que mon stress est un stress lié à mon enfance.
Ensuite, quand je vais au ministère de la Défense nationale, les fonctionnaires me traitent de personne qui veut un plus gros chèque d'assisté social parce que je suis déguisé, en uniforme. Ça ne donne pas le goût de retourner frapper à une porte pour demander de l'aide. Ça donne le goût de rester chez soi, de ne rien demander, parce qu'on se dit qu'on coûte cher et qu'on est gênant.
On se demande pourquoi les militaires ne vont pas chercher d'aide. C'est parce qu'ils sont mal vus, ils ne sont considérés que comme une dépense. Quand on a signé, on n'a pas compté, on a tout donné ce qu'on pouvait donner. Ça m'a fait plaisir de le faire. Si c'était à refaire, j'y retournerais parce que j'aime mon pays. Lorsque le diagnostic de stress post-traumatique a fini par tomber, j'ai eu l'honneur, finalement, de recevoir des soins. C'était assez compliqué. Il a fallu plus de trois ans avant qu'on reconnaisse chez moi le syndrome de stress post-traumatique. Pendant ce temps, c'est ma conjointe qui me soutenait. Lorsqu'on dit que la famille est importante, c'est vrai.
Lorsqu'on entre dans l'armée, tant qu'on est opérationnel, on nous dit qu'on est bon, qu'on est fort et de continuer, qu'on a confiance en nous, et on nous donne des défis. Ce que j'adore de l'armée, c'est qu'on nous en donne autant qu'on en demande, et autant qu'on en donne, autant on nous en demande. C'est excessivement motivant. Sauf que le jour où on tombe malade, on nous dit de ne pas déranger, qu'on ne veut plus entendre parler de nous. Donc, l'amour qu'on avait grâce à notre profession, notre métier, on ne l'a plus que grâce à notre réseau social.
Mais il faut faire attention, le réseau social, la famille, tout ça a des limites. Ma conjointe a reçu un diagnostic de burn-out, parce que c'était la seule qui prenait soin de moi pendant que l'armée et le ministère des Anciens Combattants disaient que je n'avais pas de problème, que mon stress était lié à mon enfance. Je n'ai jamais utilisé de C7, pendant mon enfance, ni de sniper gun.
Finalement, on m'a hospitalisé à l'Hôpital Sainte-Anne, après que ma conjointe eut reçu le diagnostic de burn-out parce qu'elle avait pris soin de moi. C'était une femme saine d'esprit, une ambulancière de carrière. Elle avait donc déjà des connaissances médicales.
J'ai été hospitalisé au seul hôpital pour vétérans du Canada, où il n'y a que quatre lits pour les gens de ma génération. Dans ces quatre lits, ils n'acceptent que ce qu'ils appellent des beaux cas. Si on a des problèmes de toxicomanie, de dépendance à la drogue, à l'alcool ou aux médicaments, ils ne veulent pas de nous. S'ils considèrent qu'on est agressif, ils ne veulent pas nous hospitaliser à Sainte-Anne-de-Bellevue. Donc, les seuls endroits où on peut aller, ce sont les hôpitaux civils. Lorsqu'on arrive, les employés des hôpitaux civils ont peur de nous parce qu'on a été étiquetés comme souffrant du syndrome de stress post-traumatique.
Personnellement, je leur ai dit que j'étais une personne effrayée, que je n'avais pas envie de faire du mal à quiconque, que j'étais un homme fondamentalement doux, mais que j'avais peur. Je leur ai demandé de m'aider. Ils m'ont demandé quel était mon problème. Je leur ai répondu que je souffrais du syndrome de stress post-traumatique. Ils m'ont séquestré, couché dans un lit et ils m'ont injecté des calmants. Pourtant, je n'ai strictement rien fait, je n'ai absolument pas été violent. Je suis venu demander de l'aide volontairement. Quand on demande de l'aide et qu'on se fait séquestrer, ça ne donne pas le goût de demander de l'aide de nouveau. Tout ce qu'on a le goût de faire, c'est de se taire et ne plus dire un mot.
Lorsque j'ai été hospitalisé à l'hôpital pour les vétérans pour des problèmes physiques, on m'a dit que je demandais trop de soins, qu'on ne pouvait pas m'aider à faire ma toilette, etc. J'ai répondu que l'hôpital accueillait des vétérans de la Seconde Guerre mondiale. Ils ont tout mon respect, mais pourquoi eux avaient-ils droit à des soins, mais pas moi? On m'a répondu que ces vétérans étaient d'une autre génération, qu'ils avaient des droits, que les jeunes vétérans en avaient d'autres, mais pas les mêmes. Je suppose que les balles qui ont sifflé dans nos oreilles faisaient moins mal que celles qui ont sifflé dans les leurs. J'ai énormément de respect pour eux, mais je crois qu'on sert son pays selon sa génération, selon l'endroit où notre pays nous demande d'aller. Pourquoi serions-nous traités différemment d'eux quand nous avons besoin de soins? Pourquoi devons-nous aller mendier des soins?
Malgré tout, j'ai transmis ma passion à ma conjointe, qui a intégré les Forces canadiennes à titre de réserviste. Elle a servi en Afghanistan. Elle est revenue au mois de novembre 2009. Je l'ai appuyée pendant 10 mois. Durant tout ce temps, lorsqu'on appelait les Forces canadiennes pour les informer que Sabrina ne se sentait pas bien, qu'elle faisait des crises d'angoisse, ces derniers me répondaient que je savais ce que c'était, que je devais la soutenir dans son épreuve, que j'étais fort et que je devais continuer. Après l'avoir soutenue durant 6 mois, malgré mon état de santé physique et mentale, ma conjointe et moi étions atteints tous deux du syndrome de stress post-traumatique. C'est déjà beaucoup de soutenir un conjoint. Dans ma situation, j'étais incapable de le faire, mais je l'ai fait par amour pour elle.
Après 6 mois, Sabrina a tenté de se suicider. J'ai sacrifié ma santé physique et mentale pour mon pays, et j'ai failli lui sacrifier ma femme. C'est cher payé. Lorsque j'ai appelé les Forces canadiennes pour leur demander de m'aider et leur dire que j'étais le premier répondant et que j'étais en train de faire des manoeuvres de réanimation sur ma conjointe, on m'a répondu d'aller à un hôpital civil, qu'on ne pouvait rien faire pour moi. J'y suis allé.
Rendu là, j'ai appelé le commandant de son régiment, car elle était une réserviste. L'ombudsman a dit tout à l'heure que cela faisait partie de la tâche du commandant. Elle s'est présentée à l'hôpital, mais tout ce qu'elle m'a dit, c'était qu'elle ne pouvait faire que des suggestions. C'est le ministère des Anciens Combattants qui décide qui doit être hospitalisé. Ma conjointe étant instable, elle n'avait pas le droit d'être hospitalisée dans le seul hôpital pour anciens combattants du Canada. Il fallait qu'elle soit hospitalisée dans un hôpital civil. Dans les hôpitaux civils, on nous a dit qu'elle souffrait du syndrome de stress post-traumatique, qu'on ne savait pas quoi faire d'elle et qu'il fallait qu'elle soit hospitalisée à l'hôpital pour anciens combattants. Où va-t-on? Personne ne veut s'occuper de nous. J'ai ramené ma conjointe chez moi et j'ai pris soin d'elle du mieux que j'ai pu, jusqu'à ce qu'on lui fasse le grand privilège de l'accepter à l'Hôpital Sainte-Anne, le seul hôpital pour anciens combattants au Canada. C'est trop tard, je ne suis plus capable de m'occuper d'elle. J'ai dû la quitter. On s'est dit qu'on s'aimait beaucoup, mais qu'on n'avait plus assez une bonne santé pour s'occuper l'un de l'autre.
Sabrina est revenue de l'Afghanistan en novembre de l'an dernier. Aujourd'hui, le ministère des Anciens Combattants est toujours en train d'étudier la façon de nous aider. Désolé, c'est trop tard.
Sabrina est partie dans sa famille, en Beauce et, moi, je suis seul à la maison.
Je ne suis pas le genre de personne qui va chialer pour le plaisir de le faire. Je vous confirme que j'ai eu énormément de temps pour réfléchir à des solutions réelles.
Ça fait 11 ans que je me bats contre le ministère des Anciens Combattants du Canada pour avoir des soins — monsieur le député m'a énormément aidé dans mon dossier et je le remercie —, et c'est la première fois que l'on me demande, en tant que vétéran, ce que je pense qui serait bon pour moi. Je l'apprécie énormément car ça fait 11 ans que j'ai envie de le dire.
Pourquoi le ministère ne nous pose-t-il pas simplement la question? C'est très simple: qu'il nous traite comme des humains.
Certains disent qu'aller à la guerre, c'est le plus grand acte d'amour envers une personne: je suis prêt à mourir pour toi. Quand on revient au pays et qu'on demande de l'aide, après avoir été prêt à faire le plus grand sacrifice qu'il est possible de faire, on se fait répondre qu'on n'a pas d'argent pour les « BS » en uniformes qui veulent un plus gros chèque.
J'ai même demandé aux fonctionnaires si je pouvais signer un formulaire disant que je n'ai pas droit aux pensions, mais que j'ai droit aux soins. Si le problème est un problème d'argent, que faut-il que je fasse pour qu'on me redonne ma dignité? J'attends toujours la réponse.
Cela fait plus de 11 ans que je présente des demandes au ministère des Anciens Combattants et il est toujours en train d'étudier de quelle façon il pourrait nous aider.
Dans ces conditions, croyez-vous que ça donne le goût aux militaires de dire qu'eux aussi sont malades? Non. La personne sera traînée dans la boue. C'est la loi du silence. Il ne faut pas dire qu'on est malade, parce qu'on va perdre notre job. Si quelqu'un vit un stress post-traumatique, plus personne ne voudra l'engager. Il ne faut pas faire cette erreur. Et on se passe le mot entre nous.
Vous voulez connaître la vérité? Il faut nous laisser l'occasion de parler. Si un enfant parle et se fait punir chaque fois qu'il parle, il ne parlera plus.
Voilà. Je vous remercie.
:
On a un énorme problème, parce que les quatre lits à l'Hôpital Sainte-Anne sont seulement pour ce que les fonctionnaires appellent des « beaux cas », c'est-à-dire des cas qui n'ont pas de problèmes d'agressivité, de dépendances à la drogue, à l'alcool. Dans les hôpitaux civils, on ne veut pas entendre parler de nous.
Plus tôt, Mme la députée a dit qu'en tombant dans l'alcool et ces choses-là, les militaires essaient de se soigner eux-mêmes pour endormir la douleur, pour éteindre la petite voix qui crie en eux. C'est vrai que beaucoup de personnes vont tenter de trouver des solutions par elles-mêmes.
Ça s'explique par la manière dont est fait le système. Premièrement, il ne faut pas parler. Deuxièmement, si tu as besoin d'aide, ton dossier est à l'étude pour un temps indéterminé. Pendant ce temps-là, c'est ta famille qui te supporte.
Une des choses que les gens doivent savoir, c'est qu'on est contagieux. En ce sens que lorsque quelqu'un habite chez toi et qu'il souffre du syndrome de stress post-traumatique, qu'il est hyper vigilant, qu'il fait de l'insomnie et qu'il a beaucoup de peine, qu'on le veuille ou non, les personnes autour de lui souffrent énormément d'un sentiment d'impuissance. Elles aimeraient tellement nous aider, mais elles ne sont pas capables de le faire, elles n'ont ni les outils ni les connaissances pour le faire.
Plus on prend de temps avant de prendre soin des militaires, plus on contamine les gens autour d'eux, plus le problème grossit. Plus ça avance, moins les vétérans ont un soutien social, parce que les gens ne sont plus capables de nous supporter. De la même manière que j'ai dû dire à ma conjointe qu'elle devait partir, que je n'avais plus l'énergie de prendre soin d'elle, qu'on était en train de se détruire tous les deux. Ça, c'est pour ce qui est de la famille.
Anciens Combattants Canada devrait créer de nouveaux lits et surtout ouvrir des centres de crise. Lorsqu'un militaire a, dès l'arrivée, la reviviscence du combat, c'est que ça ne va vraiment pas bien. Il a des flashs du combat, l'odeur revient. Il devient dangereux pour lui-même et pour les autres. Il n'a nulle part où aller.
Je suis un des vétérans intervenant avec le groupe OSISS. J'ai été formé comme pair aidant bénévole. Tout ce qu'on peut faire avec la personne, c'est essayer de contenir le problème et la ramener ici, maintenant. On a juste des soins de fortune qu'on se fait entre nous.
Une des preuves qu'il y a des lacunes et qu'il n'y a pas suffisamment de soins pour nous, c'est que nous, les vétérans, on doit fonder des regroupements comme Vétérans Canada pour s'entraider. Il n'y a pas d'outils adéquats pour nous.