:
Merci, monsieur le président.
Prendre au maximum 10 minutes pour parler d'un sujet aussi accablant que les blessures liées au stress opérationnel est chose peu facile, spécialement pour un ancien général maintenant devenu apprenti politicien.
Je vais faire un tour d'horizon assez rapide, afin d'allouer nécessairement du temps à la période des questions, où l'on pourra aborder plus en détail les éléments que vous recherchez.
Je sais que, avant vous, d'autres comités de la Chambre des communes ainsi que le Sénat ont mené des études sur le stress post-traumatique. Or, j'avoue que les études exigent justement des renouveaux et des mises à jour. Je félicite donc votre comité d'examiner ce volet relatif aux blessures survenues lors de combats ou de conflits. Il ne s'agit pas d'une maladie, mais bel et bien de blessures opérationnelles, et celles-ci devraient être traitées avec la même urgence et la même empathie que toutes autres blessures physiques souvent plus faciles à déceler.
[Traduction]
Pour ce qui est des stigmates laissées par le stress lié au combat, dans une organisation très darwinienne comme les Forces canadiennes, il a fallu beaucoup de temps pour accepter, dans la culture des forces, que quelqu'un qui est blessé entre les deux oreilles — de façon peu visible — a les mêmes besoins urgents et requiert les mêmes soins et les mêmes possibilités de retour vers le plein emploi ou l'emploi à temps partiel, ou encore le soutien du ministère des Anciens combattants, que quelqu'un qui a tout autre blessure physique. Il nous a fallu des années simplement pour reconnaître qu'il s'agit d'un traumatisme. Dès que nous parlions de santé mentale, tout le monde se sauvait en courant. Personne ne voulait vivre avec ces stigmates qui existent encore aujourd'hui dans la société civile.
Je vais vous raconter une très brève histoire avant que nous ne passions aux questions. Avant 1997, nous avions une petite clinique, au quartier général de la Défense nationale, qui était utilisée à environ 40 p. 100 de sa capacité. J'étais alors le chef d'état-major du sous-ministre adjoint du Personnel et j'étais chargé de tout le personnel médical et de cette clinique qui était sous mon autorité. Il est devenu évident que nous étions à côté de la plaque en ce qui concerne ce traumatisme étant donné l'augmentation du nombre de divorces, de retraites anticipées dues aux pressions de la famille ou de la consommation de drogue y compris l'alcool, l'augmentation des problèmes de discipline au point où un certain nombre d'excellents soldats semblaient tout à coup mal tourner et se retrouvaient devant des juges et des tribunaux qui ne comprenaient pas ce qui se passait.
En 1997, je devais présenter un rapport aux médias disant que même si nous avions eu une vague de suicides… N'oubliez pas, mesdames et messieurs, que nous étions entrés dans une nouvelle ère avec la guerre du Golfe, vers 1990-1991. En 1997, nous avions des troupes en Bosnie, au Rwanda et en Somalie. Nous avions donc déjà eu, dans nos rangs, en 1997, un bon nombre de victimes présentant des blessures visibles, mais certainement un nombre beaucoup plus important dont les blessures étaient invisibles, et nous n'avions encore procédé à aucun ajustement. Toutefois, le rapport que j'étais censé présenter précisait que les 11 suicides du passé n'étaient pas directement reliés au stress opérationnel. Il était attribué à toutes sortes d'autres raisons qui se sont trouvées tout à coup exacerbées du fait que le membre des forces était déployé et qu'il était peut-être prédisposé à se suicider.
J'ai refusé de reconnaître que c'était une réalité et j'ai commencé une campagne, après être devenu sous-ministre adjoint du Personnel, pour examiner, avec le ministère des Anciens combattants, toute la question du stress opérationnel et du TSPT, comme nous avons finalement baptisé ce trouble, en reconnaissant que le TSPT pouvait être une maladie mortelle. Il fallait que les soins, les traitements, les institutions ainsi que la reconnaissance de ce traumatisme par la chaîne de commandement et les forces fassent un énorme pas en avant sans quoi nous allions simplement continuer à perdre un bon nombre d'excellents soldats, de marins et d'aviateurs, non seulement parce qu'ils étaient blessés, mais aussi parce que les effets que cela avait sur leurs familles étaient tout à fait intolérables. Nous allions perdre l'énorme investissement que nous avions fait dans du personnel très qualifié qui, après une ou deux missions, ne pouvait pas continuer à servir ou qui avait des problèmes de discipline, se retrouvait en prison ou, pire encore, qui se suicidait.
Cela fait maintenant 13 ans que nous nous penchons sur la question et pendant ce temps de nombreuses initiatives ont été prises à la Défense nationale et aux Anciens combattants. Au début de 1998, j'ai pu faire transférer un brigadier-général aux Anciens combattants comme agent de liaison plutôt qu'un lieutenant-colonel. Il s'appelait Pierre Boutet et il avait été le juge-avocat général.
Pendant cinq ans, Pierre Boutet et un sous-ministre adjoint appelé Dennis Wallace se sont attelés à une énorme réforme au sein des Anciens combattants pour faire reconnaître ce traumatisme, mais aussi pour qu'on reconnaisse qu'il s'agissait d'une ère nouvelle où le ministère allait devoir s'occuper des victimes au lieu de s'attendre simplement à perdre des clients des guerres précédentes.
Larry Murray, un ex-amiral des forces, est devenu sous-ministre des Anciens combattants après l'an 2000. Il a poursuivi cet important examen qui a pris fin en 2004 avec le rapport Neary que nous avons déposé ensemble. Il recommandait non seulement de nous doter d'une nouvelle Charte des anciens combattants, mais de trouver un nouveau moyen de prendre en charge les victimes et leurs soins.
Nous avons maintenant créé des cliniques. Les Anciens combattants et la Défense nationale ont des cliniques. Nous avons créé des bureaux conjoints pour échanger des renseignements. Toutefois, comme les ordinateurs ne sont pas encore reliés, la documentation médicale continue de poser un sérieux problème. Nous nous sommes lancés dans le domaine de la prévention avant le déploiement.
Mon fils a suivi, à Saint-Jean, un cours de 10 semaines pour les nouvelles recrues. Un cours de trois heures leur a été donné par un ancien combattant de la nouvelle génération qui souffrait du TSPT, mais qui faisait partie de la structure d'entraide. Mon fils a dit que c'était le cours le plus intéressant qui soit. Le lendemain, quatre participants ont abandonné parce que c'était trop éprouvant pour eux. Tout cet exercice de préparation a été perfectionné avec le temps et nécessite encore quelques améliorations.
La reconnaissance des victimes se fait maintenant dans le théâtre des opérations et on déploie même des thérapeutes sur le terrain. En 1992, quand je commandais mes cinq brigades et que j'avais des troupes en Bosnie, j'ai suggéré que nous ayons sur place des gens possédant ce genre de connaissances scientifiques pour relever des données sur les victimes. On a déclaré que c'était inutile. Nous avons rectifié la situation.
Je pense que, maintenant, nous nous occupons mieux du retour à la maison et de la reconnaissance des victimes. Le système en place est assez perfectionné pour établir quels sont ceux qui pourraient être à risque. La question est toutefois de savoir ce que nous allons faire après ce constat? Plus particulièrement, que faisons-nous pour le réserviste, rentré à Matane, qui se trouve à 500 kilomètres de la base la plus proche, à 200 kilomètres de l'hôpital le plus proche ayant un véritable service psychiatrique et qui est isolé là-bas après avoir servi jusqu'à 18 mois dans une opération de grande intensité ou peut-être même plus longtemps en raison de déploiements multiples?
[Français]
Le risque qui existe aujourd'hui survient au retour. La préparation dans le théâtre d'opérations peut toujours être améliorée, mais c'est au retour que le risque existe. Il s'agit de savoir quoi faire pour minimiser les conséquences de cette blessure sur l'individu, de le convaincre d'aller suivre une thérapie et de prendre des médicaments. Il importe que cette personne reçoive le soutien de ses pairs. Il faut aider les familles à comprendre l'individu qui est revenu blessé et, nécessairement, faire de la prévention autant pour empêcher l'abus de substances que pour empêcher l'individu de commettre des actes criminels et de se retrouver en prison ou, ultimement, de commettre des actes qui l'amènent au suicide.
[Traduction]
Je vais vous raconter une brève anecdote, si vous le permettez, pour montrer que si vous étudiez les traumatismes liés au stress opérationnel et leurs répercussions sur les forces, il est essentiel d'étudier aussi les familles. Quand je suis rentré du Rwanda, ma belle-mère m'a dit qu'elle n'aurait jamais survécu à la Seconde Guerre mondiale si elle avait dû vivre ce que ma famille a vécu. Mon beau-père commandait un régiment pendant la Seconde Guerre mondiale. Toute la nation était en guerre et tout le monde avait donc un rôle à jouer. Très peu d'information était diffusée et à l'époque, la technologie était assez limitée.
Par contre, aujourd'hui, les familles vivent les missions avec les troupes. Elles consultent continuellement toutes les sources d'information à leur disposition pour savoir si nous avons été tués, blessés, capturés, si la mission a mal tourné, s'il y a eu des frictions. Par conséquent, quand vous revenez de mission, vous ne rentrez pas dans un foyer qui a “tenu le fort” comme on disait par le passé, mais vous rentrez dans une famille qui a déjà éprouvé un stress important en voyant ce qui se passait, mais sans pouvoir faire quoi que ce soit. Je dois dire néanmoins qu'Internet et ces moyens de communications ont quelque peu réduit la distance entre les soldats sur le terrain et les familles.
Le moment est maintenant venu de regarder vers l'avenir. La semaine dernière, j'ai assisté, à Montréal, à un colloque international sur le stress opérationnel organisé par les Anciens combattants et un organisme international qui est en train de réunir de plus en plus de données et de renforcer les capacités de recherche sur ce traumatisme, ses sources et les moyens de l'atténuer.
J'ai également assisté, il y a deux jours, au Forum de recherche sur la santé des militaires et vétérans canadiens organisé par l'Université Queen's et le CMR, qui répondait à un critère que je craignais énormément de voir oublié. Notre intervention en Afghanistan était censée prendre fin en 2011. Nous terminerons notre mission de combat, mais nous aurons toujours, sur le terrain, des troupes qui pourraient être en danger et nous continuerons donc d'avoir besoin d'un dispositif de soutien. Néanmoins, nous avions peur qu'en limitant l'importance de cette mission, nous allions aussi commencer à réduire l'importance des besoins des victimes et que Anciens combattants Canada et la Défense nationale ne reconnaissent pas que les hommes et les femmes qui ont participé à trois ou quatre missions vont ressentir les effets d'une baisse d'adrénaline. L'impact de ces missions va commencer à les frapper lorsqu'ils reprendront une vie normale, car c'est alors que le stress opérationnel vous assaille. Il y aura donc une forte augmentation des cas de traumatisme chez les soldats et les familles qui ont réussi à résister jusqu'ici.
D'autre part, nous avons commencé à partir de zéro en 1997. Je suis allé à la clinique des anciens combattants des États-Unis, à White River Junction, au Vermont, pour rencontrer son directeur. C'est le Dr Matthew Friedman. Je lui a demandé de nous aider à établir notre clinique, parce que les Américains avaient eu le Vietnam tandis que nous n'avions pas participé à des opérations vraiment importantes, excepté un peu au Congo, un peu à Chypre, depuis la Corée. Nos capacités étaient limitées.
Les Américains nous ont aidé sans hésiter. Ils ont fourni des statistiques qui étaient intéressantes et je terminerai sur cette note, avant que nous ne passions aux questions. Ils nous ont dit qu'ils ne voulaient pas que nous subissions ce qu'ils avaient subi pendant la guerre du Vietnam. Sur le mur noir de Washington sont inscrits les 58 300 noms de ceux qui ont été tués dans le théâtre d'opérations au Vietnam. Néanmoins, en 1997, 22 ans plus tard, les Américains avaient enregistré près de 102 000 suicides — ceux qu'ils ont pu enregistré — directement reliés à la guerre du Vietnam.
Alors combien de victimes américaines le Vietnam a-t-il vraiment fait? Était-ce 58 000 ou peut-être plus près de 160 000?
Je vous pose la même question: combien de victimes avons-nous eu vraiment? Est-ce 152 ou peut-être 170 ou 175? Je peux vous parler de ma mission au Rwanda; j'ai eu des soldats tués sur le terrain et il y a deux ans, 14 ans après la mission, un des officiers s'est suicidé.
Mesdames et messieurs, vous examinez un sujet extrêmement important pour nos soldats et leurs familles. Je dirais que c'est également extrêmement important pour la viabilité opérationnelle des Forces canadiennes afin que nos soldats expérimentés restent en bonne santé et puissent surmonter ce genre de traumatismes.
Merci.
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Voici ce que je vais vous répondre.
Pour ceux qui restent dans les forces et qui font l'objet d'un suivi au bout de trois mois et de six mois — mon fils a eu ce suivi à son retour d'une période de service de six mois en Sierra Leone — même s'ils présentent, à divers degrés, des signes de TSPT, qu'il est essentiel de diagnostiquer rapidement, ils n'obtiennent pas toujours immédiatement les soins nécessaires. Par conséquent, le suivi et les soins présentent des lacunes au niveau civil, mais aussi au niveau militaire, même si la Défense nationale et les Anciens combattants ont conclu davantage d'ententes contractuelles pour disposer d'un plus grand nombre de thérapeutes.
Un des problèmes est que nous n'engageons pas suffisamment de psychologues par rapport aux psychiatres. L'analogie dont j'aime me servir est celle d'une personne qui met la main sur le rond brûlant de la cuisinière. Le psychiatre va vous donner des pilules pour atténuer la douleur et va surveiller la guérison. Le psychologue va vous demander pourquoi vous avez mis votre main là.
Nous n'avons pas de problème à les stabiliser, quitte à en faire des zombies, parfois. Les soins de stabilisation sont de plus en plus disponibles. Ce qui manque, c'est la thérapie nécessaire pour leur permettre de vivre une vie relativement normale, c'est-à-dire se bâtir une prothèse — car c'est ce que vous devez faire. Ils ont donc besoin d'une thérapie professionnelle, de médicaments et d'accepter leur situation.
Le troisième élément est l'entraide. Il s'agit d'avoir quelqu'un, entre ces séances, qui ne vous posera pas de questions stupides, mais qui sera prêt à vous écouter pendant des heures, à vous laisser parler. Ce sont rarement les membres de la famille, car ils sont trop proches. Ma famille n'a même pas lu mon livre. Il peut s'agir d'oncles, de collègues, etc. Pour renforcer l'entraide, les Anciens combattants ont récemment ouvert leur service d'entraide aux familles, ce qui est intéressant, et les enfants en ont aussi besoin.
Des dispositifs sont en place pour les membres de la force régulière. Ces soldats restent au sein d'un groupe uni, comme dans un régiment. Il y a toutefois des troupes d'appoint qui se retrouvent un peu partout dans les forces et ces militaires ne sont pas toujours suivis parce que personne d'autre dans l'unité n'est allé dans le même théâtre. La chaîne de commandement ne se soucie pas autant du suivi de l'intéressé ou ne comprend même pas la nature du problème. Ces personnes risquent donc d'être oubliées.
Néanmoins, les principales lacunes se situent au niveau des réserves. Quand un réserviste se retrouve dans différents villages du pays et décide d'abandonner l'armée, on se soucie très peu de savoir quels soins il reçoit. Voilà pourquoi il y a davantage de soldats devant les tribunaux. Vous verrez là de nombreux réservistes parce qu'on les a pratiquement laissés tomber.
Il y a des grosses lacunes au niveau des réservistes. Nous comptons de plus en plus sur eux pour assurer notre capacité opérationnelle, ce qui est très différent de la situation dans les années 1970 et 1980 où nous considérions qu'ils serviraient de base pour une mobilisation générale, pendant la guerre froide.
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En 1971, il y a eu un plan dit de rétablissement. C'est quand nous avons opéré d'énormes coupes au sein des forces. Nous avons offert aux gens une indemnité de départ, même aux anciens combattants de la guerre de Corée, et nous les avons laissé partir.
Trois ans plus tard, nous apprenions qu'un grand nombre d'entre eux étaient morts. Il ne s'agissait pas de suicides; ils étaient simplement morts le coeur brisé, parce qu'ils s'étaient retrouvés dans un monde qu'ils ne comprenaient pas et parce qu'ils avaient été abandonnés.
Une des lacunes que nous avons constatées est que, lorsque vous êtes libéré des forces et que vous remettez votre carte d'identité et votre uniforme, votre esprit n'est pas libéré des forces pour autant. Votre loyauté persiste ad vitam aeternam. Vous avez besoin d'un pont pour passer de l'autre côté, d'une forme de soutien paternaliste pour continuer à ressentir cette loyauté, surtout si vous êtes un vétéran qui a combattu, qui s'est fait blesser et qui a vu des gens se faire tuer. Mais il n'y avait pas de pont. On les a laissé partir et ils ont dû s'occuper eux-mêmes d'intégrer le dispositif des anciens combattants. L'ancien dispositif des anciens combattants les a pris en charge comme il le pouvait.
Ce dispositif de réadaptation et de réinsertion a été mis en place quand la nouvelle Charte des anciens combattants a été adoptée, mais ceux qui en ont bénéficié ne sont pas nombreux. Une des raisons est qu'un bon nombre d'entre eux n'ont pas encore été libérés. Particulièrement dans le cas de ceux qui ont participé à la guerre en Afghanistan, ils font toujours partie des forces. Quand ils commenceront à être libérés après leur période d'adaptation de trois ou parfois quatre ans, nous allons voir si le programme de réadaptation et de réinsertion des Anciens combattants a réussi à les dépister avant leur départ — en fait, on envisage de le faire six mois à l'avance — pour les aider à faire la transition à la vie civile.
C'est intéressant; un article a été publié aujourd'hui au sujet d'une interview que j'ai donnée hier. Compte tenu de l'universalité du service, les forces ne peuvent pas garder ces soldats, car elles ont trop peu de personnel pour remplir leur mission. On pourrait toutefois créer une sorte de service auxiliaire où les soldats blessés pourraient rester en uniforme, peut-être à des conditions différentes. Ils pourraient continuer à servir dans des fonctions différentes, parce qu'ils possèdent des compétences et de l'expérience, au lieu d'être libérés. Cela réduirait le traumatisme du retour à la vie civile. Certains ne veulent plus voir un uniforme et sont contents de partir, mais d'autres souhaitent simplement rester.
Les forces disposeraient ainsi d'une main-d'oeuvre supplémentaire ou d'un personnel supplémentaire qu'elles pourraient absorber, car quel sera le chiffre? Après l'Afghanistan, il y aura peut-être 1 500 à 2 000 soldats gravement blessés, sans inclure tous ceux qui souffriront du trouble de stress post-traumatique. N'oublions pas qu'entre 1991 où nous avons eu les anciens combattants de la guerre du Golfe que nous avons traités très mal jusqu'en 2006, où nous avons commencé à appliquer la nouvelle Charte des anciens combattants, nous avons enregistré un grand nombre de victimes. Il y a eu plus de 10 soldats tués, plus de 100 blessés gravement et environ 2 000 qui ont subi un traumatisme psychologique que ce soit en Somalie, au Rwanda, en Bosnie, etc. Ces gens-là se sentent abandonnés. C'est seulement grâce aux changements que nous avons vus aujourd'hui, cette nouvelle loi, qu'ils pourront commencer à bénéficier de la nouvelle Charte des anciens combattants si ce programme de réadaptation et de réinsertion commence.
Oui, Anciens combattants Canada a un programme. Il s'agit maintenant de voir s'il est vraiment efficace. Néanmoins, il faudrait peut-être donner à la Défense nationale la possibilité d'essayer de garder ses soldats.
Je vais terminer sur cette note. En 1998, quand j'étais le sous-ministre adjoint, j'ai comparu au nom des forces devant notre Commission des droits de la personne. Le ministère ne répondait pas aux exigences concernant le quatrième pilier, c'est-à-dire l'embauche de personnes handicapées. Du côté civil, les résultats n'étaient pas trop mauvais, mais du côté militaire, ils n'étaient pas satisfaisants parce qu'il fallait que tout le personnel soit déployable selon le principe de l'universalité du service.
Nous pourrions mieux répondre aux exigences de la Commission des droits de la personne en employant des anciens combattants blessés… mais à la condition que cela ne compromette pas l'efficacité opérationnelle des forces — je veux parler de ceux qui tiennent à être déployés.
:
Vous avez cerné 15 questions dans une. Je vous en félicite, vous êtes habile dans cela.
D'abord, ce que j'avais recommandé en 1998 et qui a été mis en avant, c'est que l'individu aille volontairement chercher de la thérapie. Sans la thérapie, ceux qui sont affectés par le stress opérationnel ne s'en sortiront pas. C'est le premier principe. Si tu as un bras flambé et que tu ne vas pas voir le médecin, tu vas en mourir. C'est la même chose avec cela.
Alors, j'ai tenté de convaincre les thérapeutes de ne pas attendre à leur bureau que les gens arrivent, mais d'aller au-devant des coups et de vendre leur salade. En premier lieu, on n'explique pas encore assez le rôle du thérapeute, ce qu'il peut faire et comment il est intégré dans l'organisation, particulièrement les thérapeutes civils qui sont affectés au ministère des Anciens Combattants ou même à la Défense nationale sans avoir aucune expérience dans les forces armées. Il faudrait les amener au champ et leur faire vivre l'expérience, pour leur faire connaître la culture.
Donc, le premier pas demeure encore que les thérapeutes vendent leur salade.
[Traduction]
Woody Allen a dit qu'il était à la mode d'avoir un psychiatre. Vous vous souvenez de ses films? Et c'est vrai, c'est à la mode d'avoir un psychiatre. Je suis une thérapie depuis 13 ans auprès de psychiatres et de psychologues et je prends également des médicaments.
[Français]
L'autre volet porte sur la façon de rattraper ces gens, de ne pas les laisser tomber dans un état de dépression pouvant mener au suicide.
Le suicide peut se produire en deux minutes, n'importe quand. Une odeur, un bruit, n'importe quoi peut déclencher cette catastrophe. Dans mon cas, cela a pris quatre ans avant que je devienne, tout à coup, plus du tout fonctionnel. J'ai été licencié des Forces canadiennes pour cette blessure. Par la suite, je suis devenu suicidaire, parce qu'il n'y avait pas de système autre que la thérapie et ainsi de suite. Il n'y avait pas le suivi humain.
[Traduction]
Le dispositif d'entraide à la disposition des militaires et de leur famille doit être l'outil de prévention le plus innovateur, le plus rentable et le plus progressiste qui soit — tous les superlatifs que vous pouvez trouver. Il y a deux ans, le groupe du SSBSO, le groupe d'entraide, a dit qu'il empêchait un suicide par jour; c'est seulement pour les membres des forces.
J'ai toutefois été déçu de voir que, jusqu'à présent, les 400 personnes qui s'occupent du stress opérationnel — qui font beaucoup de travail bénévole, qui passent beaucoup de temps avec les gens chez Tim Hortons, qui les écoutent, etc., avec un budget très limité — sont certainement appréciées, mais qu'il n'y a pratiquement aucun officier parmi elles. J'ai vu un adjudant se rendre tous les jours dans une cellule de prison pour en sortir un colonel et être le soutien de ce colonel pendant plus d'un an.
[Français]
À mon avis, l'élément dont on devrait vraiment mousser l'étude plus à fond, c'est le stress opérationnel.
[Traduction]
Dans le cadre du travail qu'il accomplit actuellement aux quatre coins du pays dans le domaine de la santé mentale, le sénateur Kirby travaille avec le fondateur du programme de stress opérationnel, le colonel Stéphane Grenier, qui serait un excellent témoin. C'est lui qui a créé ce programme. J'étais encore en service et je me souviens que nous n'y croyions pas. Les professionnels de la santé l'avaient critiqué et pourtant ce programme s'est révélé exceptionnel, à tel point que le sénateur Kirby envisage maintenant de créer cette capacité pour l'ensemble de la société.
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Je ne parlerai pas de la charte, car je suis le président du Sous-comité des anciens combattants. Nous étudions la charte depuis huit mois et nous espérons pouvoir poursuivre notre examen non seulement de la charte, mais de la façon dont elle est appliquée et interprétée dans la réglementation. C'est également moi qui ai fait adopter la charte au Sénat en 2005 et c'est donc quelque chose qui me tient à coeur.
C'est le résultat des études. La question est de savoir combien c'est efficace. Nous sommes en train d'apprendre quelle est son efficacité et c'est ainsi que nous allons pouvoir continuer à l'améliorer, bien entendu.
Pour ce qui est de l'état d'esprit et de ses conséquences, ce n'est pas seulement ce que l'on voit, ce que l'on sent et ce que l'on entend qui cause la plupart des traumatismes. Souvent, quand vous êtes au milieu de l'action, occupé à faire certaines choses et à essayer de sauver d'autres gens, une sorte de film se déroule sous vos yeux. C'est quand vous rentrez chez vous et que vous vous asseyez pour prendre une bière que tout à coup, tout commence à s'éclaircir. Ou c'est le soir, après une journée maussade comme celle d'aujourd'hui et ce genre de circonstances.
Si vous ne vous construisez pas une prothèse en apprenant à éviter certains endroits… Par exemple, je ne vais pas dans les épiceries parce que l'abondance de fruits et légumes, ainsi que les odeurs, me paralysent littéralement. Je ne peux plus bouger, parce que cela me ramène aux points de distribution de la nourriture où des gens se sont fait piétiner à mort, etc. Par conséquent, il faut du temps pour se construire une prothèse et il faut bénéficier d'une thérapie et du soutien de ses pairs.
Là où nous voyons vraiment des dégâts ou la difficulté de vivre, c'est suite à des dilemmes d'ordre moral et éthique et parfois juridique — selon le mandat… Contrairement à la Seconde Guerre mondiale où il y avait des règles d'engagement, vous saviez quel uniforme portait l'ennemi. C'était très linéaire, bien établi. Aujourd'hui, il peut venir de toutes parts. L'ennemi, les extrémistes, les terroristes ne respectent aucune règle du jeu. Vous pourriez vous trouver aussi bien devant une jeune fille de 14 ans, enceinte, qui prépare un attentat-suicide que devant une jeune fille de 14 ans, enceinte, qui cherche à obtenir une protection.
Ce sont ces dilemmes et la façon dont nous y répondons qui détruisent notre cerveau. Le TSPT a un effet physique sur le cerveau; ce n'est pas simplement psychologique.
Pour ce qui est des chiffres, j'entends constamment tous ces chiffres selon lesquels il n'a pas plus de suicides chez les militaires que chez les civils. Mais réfléchissons un peu. Ces personnes ont été sélectionnées, formées, triées sur le volet et ceux qui ne répondaient pas aux exigences ont été éliminés. Ces soldats sont préparés pour les opérations. Ils sont soumis à tout un système de contrôle et de commandement. Ils ont adopté un mode de vie, une culture qui leur donnent un sentiment de fierté.
Vous avez donc tout ce bagage positif et pourtant vous dites que nos chiffres ne sont pas plus élevés que ceux des civils? S'ils sont les mêmes que ceux des civils, nous avons un très sérieux problème. Même si nos soldats vivent ces expériences traumatiques, étant donné qu'ils ont été sélectionnés, ils devraient avoir un taux de suicide moins élevé et certainement pas plus élevé.
Il y a un an, j'ai donné une conférence à un colloque du U.S. Marine Corps. Les Américains avaient un énorme problème de suicides qui est apparu soudainement à cause du stress causé par le retour à une vie normale qui n'était plus comme avant: je ne suis plus qui j'étais quand je suis parti et ma famille n'est plus ce qu'elle était quand je suis parti.
Par conséquent, c'est lors du retour à la normale que certains de ces facteurs de stress créent des traumatismes.
Je voudrais d'abord remercier le comité de nous avoir invitées à prendre la parole aujourd'hui. Comme vous l'avez mentionné, je m’appelle Shay-Lee Belik et je suis étudiante au doctorat au département des sciences de santé communautaire et attachée de recherche au département de psychiatrie à l’Université du Manitoba.
Je suis accompagnée du Dr Jitender Sareen, professeur de psychiatrie à l’Université du Manitoba et psychiatre-conseil à la Clinique des blessures de stress opérationnel de Winnipeg. Je veux souligner la collaboration étroite que le Dr Gordon Asmundson, de l’Université de Regina, et le Dr Murray Stein, de l’Université de Californie à San Diego, nous ont apportée dans la réalisation de ce projet.
Je souhaite aussi mentionner l’appui financier des Instituts canadiens de recherche en santé. Je me dois de préciser que notre groupe effectue des recherches dans le domaine de la santé mentale chez les militaires depuis 2004 et qu’il travaille sur les stratégies de prévention du suicide auprès des communautés des premières nations du Manitoba depuis 2005.
Si j’ai bien compris, vous m’avez invitée pour vous parler de mes travaux et de ce que j’ai appris sur la question du suicide chez les militaires canadiens. Je commencerai par vous entretenir de ce que nous savons à propos du suicide chez les militaires et surtout chez les militaires canadiens. Il est bien établi que le suicide est l’un des grands problèmes de santé mentale dans le monde. On a pu lire récemment qu’il est la principale cause de décès chez les militaires.
Aux États-Unis, la couverture médiatique des derniers temps a souligné le lourd tribut que paye l’armée à cause du suicide de ses soldats, parlant parfois d’épidémie de suicides et estimant que ce phénomène a coûté la vie à beaucoup plus d’Américains que la guerre en Afghanistan. La presse semble se focaliser sur le nombre élevé de suicides, tandis que les chercheurs, de leur côté, débattent autour de la question de savoir si la proportion de militaires concernés par ce phénomène est supérieure à celle de la population en général. Pour certains, moins de militaires sont touchés, sans doute à cause de « l’effet du soldat en forme », qui revient à dire que le personnel militaire est habituellement en meilleure santé physique et mentale que la population en général compte tenu de la sélection à laquelle il est soumis.
D’autres chercheurs, en revanche, sont parvenus au constat inverse et affirment que le taux de suicides est supérieur chez les militaires. D’autres encore n’ont constaté aucune différence entre les deux groupes. Toutefois, si l’on tient compte de l’effet du soldat en forme et du fait que le risque de mortalité global est généralement inférieur chez les militaires, on peut en venir à conclure que l’absence de différence dans les taux constatés entre les échantillons de militaires et les échantillons de non-militaires est indicative d’un risque de suicide plus élevé chez les soldats. Une telle conclusion revient à dire que certains aspects de la vie sous l’uniforme et après la libération sont peut-être un puissant facteur de risque de décès par suicide.
Dans les comptes rendus de recherche, on note tout un débat autour de la question de savoir si l’exposition au combat, la participation à des missions de maintien de la paix et les déploiements contribuent au risque de suicide. Pourtant, le US Institute of Medicine a récemment avancé, à partir de données recueillies sur les vétérans du Vietnam et sur d’anciens combattants ayant subi des traumatismes de guerre, qu’il existe suffisamment de preuves pour conclure à l’existence d’un lien entre les déploiements en zones de guerre et le suicide dans les premières années suivant le retour du théâtre des opérations. Le facteur de risque ne semble toutefois pas être le même chez tous les militaires. Deux études réalisées au Royaume-Uni indiquent que le taux global de suicide chez les vétérans n’est pas supérieur à celui de la population en général, bien que les jeunes hommes, surtout les moins de 24 ans, semblent être plus à risque que les jeunes civils du même groupe d’âges. On signale que la jeunesse est un facteur de risque de suicide chez les militaires comme chez les non-militaires. D’autres facteurs de risque sont d’ailleurs communs à ces deux populations: célibat, faible soutien social, diagnostic de trouble mental dont le TSPT, tentative antérieure de suicide, impulsivité et accès à des moyens meurtriers, surtout à des armes à feu.
À l’examen, il ressort que, même si le risque est identique, la prévalence de ces facteurs est supérieure chez les militaires. Par exemple, une étude réalisée sur un échantillon d’anciens casques bleus norvégiens a fait ressortir que les suicidants avaient privilégié les armes à feu et d’autres moyens aussi radicaux, et que les méthodes employées expliquent l’augmentation du nombre de suicides réussis pour la cohorte étudiée par rapport à la population norvégienne en général. Cette préférence chez les militaires est peut-être attribuable au fait qu’ils ont une plus grande expérience des armes et plus facilement accès à de tels moyens que les civils. Les différences de prévalence des facteurs de risque peuvent expliquer certaines dissimilitudes constatées dans les taux de suicide, mais jusqu’ici cette disparité n’a pas vraiment été étudiée.
Les autres facteurs de risque sont propres au métier des armes; par exemple: appartenir à la force régulière d’active plutôt qu’à la réserve; avoir été hospitalisé à la suite de deux blessures ou plus reçues au combat; effectuer un bref tour de service et être rapatrié prématurément; avoir un grade subalterne; éprouver des sentiments de honte et de culpabilité relativement au service et, comme on a pu le constater récemment, avoir subi des traumatismes cérébraux.
Un certain nombre de facteurs de protection ont par ailleurs été recensés: discussions sur le thème de l’exposition des militaires, esprit de corps, camaraderie et sens du commandement militaire.
Il faut souligner que la recherche effectuée jusqu’ici a essentiellement concerné les militaires américains, et ne pas perdre de vue que leur expérience est très différente de celle de non-Américains, donc des militaires canadiens. Le rythme et la durée maximale des déploiements et, plus important encore, le rôle et la mission sont quelques-unes des différences qui existent entre forces américaines et forces canadiennes.
Au Canada, les médias ont causé tout un émoi avec leurs grands titres sur l’augmentation spectaculaire des taux de suicide dans les Forces canadiennes ces dernières années. Pourtant, à en croire le Rapport du comité d’experts des Forces canadiennes sur la prévention du suicide, le taux de suicide des militaires d’active de la force régulière est tout à fait semblable à celui de la population en général. Le taux moyen de suicide entre 2002 et 2006 chez les hommes civils de tous âges a été de 17,8 par 100 000, tandis que le taux de suicide chez les hommes de la force régulière pendant la même période a été de 16,9 pour 100 000. De plus, il semble indiquer que le taux de suicide dans les Forces canadiennes a diminué, comme en atteste une évaluation de la progression quinquennale débutée en 1995. Jusqu’ici, on ne connaît pas le taux de suicide dans le cas des vétérans canadiens.
Quatre études seulement ont directement porté sur la question du suicide au sein des Forces canadiennes. Tien et son équipe ont en récemment publié une sur les principales causes de décès des militaires canadiens. Entre 1983 et 2007, 1 889 militaires d’active sont morts dont 17 p. 100 par suicide. En revanche, le nombre de morts liés au combat a été inférieur à 5 p. 100 de tous les décès. L’étude souligne que le suicide est la troisième cause la plus importante de décès chez les militaires canadiens, les accidents de la route arrivant en tête de liste.
Soit dit en passant, les accidents mortels de militaires où l’alcool serait en cause présentent beaucoup de facteurs de risque communs avec les décès par suicide. Il faut donc conclure à l’existence d’une tendance autodestructive dans un sous-groupe de militaires, que celle-ci débouche sur un suicide ou un accident mortel, et celle-ci met en évidence le caractère meurtrier des comportements impulsifs.
La deuxième étude, celle de Wong et de son équipe, examine le rôle des missions de maintien de la paix en tant que facteur de risque de suicide chez les anciens bérets bleus canadiens. À l’aide d’une méthode de cas-témoins, l’équipe de chercheurs a comparé, rétrospectivement, 66 suicides de militaires à un ensemble de cas-témoins, également constitués de militaires. Les résultats indiquent que le risque de suicide est supérieur chez les soldats du rang, célibataires, sans enfant, n’ayant pas terminé leur secondaire et ayant le français comme langue première. Aucune augmentation du risque de suicide n’a été relevée chez les militaires ayant pris part à des missions de maintien de la paix et leur taux de suicide ne correspond qu’à la moitié de celui d’une population comparable de civils. Toutefois, par rapport à population témoin, beaucoup plus de militaires étant passés aux actes avaient des antécédents de maladies psychiatriques et de stress psychosocial. Les difficultés d’ordre relationnel, l’attente de la libération du service et les conflits liés au travail de militaire sont quelques-uns des stresseurs psychosociaux en question. Soulignons que toute tentative de suicide antérieure constitue l’un des prédicteurs les plus solides du passage à l’acte.
Notre groupe a réalisé deux autres études sur le rapport entre l’idéation suicidaire et la tentative de suicide chez les soldats canadiens en service actif. La première, qui s’attarde à la relation entre l’exposition à des événements traumatiques et les tentatives de suicide, a permis d’établir un lien entre l’exposition à des traumatismes d’ordre sexuel ou autres — comme le viol, l’agression sexuelle, la violence par le conjoint et la violence dans l’enfance — et une augmentation de la probabilité des tentatives de suicide. L’exposition au combat et à des missions de maintien de la paix n’augmente cependant pas ce risque.
Notre toute dernière étude, affichée en ligne hier, compare les taux d’idéation suicidaire et de tentatives de suicide entre les militaires canadiens et la population civile canadienne. Elle fait ressortir qu’il n’existe aucune différence dans les taux de pensées suicidaires entre les deux populations, mais que les militaires sont moins susceptibles que les civils de déclarer qu’ils ont tenté de se suicider dans le courant de l’année écoulée. On n’a noté que peu de différences dans les facteurs de risque déterminant le comportement suicidaire entre les soldats d’active et la population en général, ce qui tend à prouver l’existence de modalités suicidaires communes.
Les récentes conclusions d’enquêtes sur les militaires américains, canadiens et britanniques montrent que, de façon générale, le personnel militaire ne se prévaut pas des traitements en santé mentale, d’où la nécessité de mener des campagnes de sensibilisation. La formation Gatekeeper offerte aux États-Unis est un exemple de programme d’action sociale signalé comme étant l’une des stratégies d’intervention les plus prometteuses jusqu’ici dans le domaine du suicide. Il a été démontré que la formation Gatekeeper, intégrée à une stratégie générale de prévention du suicide, a permis de réduire les taux de suicide de 33 p. 100 dans le cas d’un échantillon de plus de 5 millions de membres de l’US Air Force.
Selon un examen récent des programmes de prévention du suicide chez les militaires d’active et les vétérans, il ressort que les interventions multiples auprès de militaires d’active ont toutes été bien documentées, mais qu’on manque de données à propos des programmes s’adressant aux anciens combattants.
À l’instar de l’US Air Force avec son Suicide Prevention Program, les Forces canadiennes ont mis en oeuvre un vaste programme de prévention du suicide sur le thème « Soyez la différence ». Un volet de ce programme consiste à former l’ensemble du personnel à la prévention du suicide suivant un modèle de formation très connu, la Formation appliquée en techniques d’intervention face au suicide. Les évaluations réalisées à cet égard ont fait ressortir l’efficacité d’une telle formation qui permet de mieux savoir comment composer avec les suicidants, mais son effet sur les taux de suicide n’a pas été déterminé.
Aux États-Unis, le Département des anciens combattants a aussi lancé une stratégie complète de prévention du suicide qui couvre toutes les catégories recommandées en matière de prévention de suicide par l’Institute of Medicine: interventions universelles, interventions sélectives et interventions indiquées.
Cela étant, nous recommandons la mise en oeuvre d’une stratégie globale de prévention du suicide pour les vétérans canadiens. Selon une récente étude canadienne fondée sur l’audit systématique de 102 suicides au Nouveau-Brunswick, certaines mesures s’imposent: meilleure coordination des services de traitement des toxicomanies avec les spécialistes en santé mentale; lancement de campagnes de sensibilisation du public pour inciter les personnes à risque à se faire traiter, et formation offerte au personnel de santé primaire afin d’améliorer la détection des maladies mentales et des problèmes liés à abus de substances psychoactives et au comportement suicidaire.
Cela étant, nous recommandons, en premier lieu, d’améliorer le suivi des anciens combattants ayant tenté de se suicider, puisqu’on sait que toute tentative antérieure est l’un des prédicteurs les plus valables du passage à l’acte abouti. Deuxièmement, il convient de sensibiliser et de former les anciens combattants et leurs prestataires de service aux questions de santé mentale et aux techniques d’intervention face au suicide, de sorte à favoriser la détection des personnes à risque. Troisièmement, il y a lieu d’insister sur la collaboration. Enfin, nous recommandons d’améliorer le dépistage des tendances suicidaires et des troubles mentaux chez les anciens combattants traités en établissement de soins. Il existe un programme de dépistage de ce genre au Danemark et en Norvège. Il consiste à envoyer des questionnaires à tous les soldats six mois après leur libération pour voir s’ils ne présentent pas de troubles mentaux et de tendances suicidaires.
Peu importe que le risque de suicide chez les anciens combattants des Forces canadiennes soit ou non supérieur à celui des civils, une chose est sûre, il faut mettre sur pied des programmes de prévention du suicide si l’on veut réduire les taux de suicide, puisque tout suicide est une tragédie inutile. Qui plus est, le suicide peut occasionner de graves traumatismes et être une source de stress chez les familles, les amis et les collègues de travail en deuil, sans compter qu’il peut inspirer des idées et des comportements suicidaires à d’autres.
Il est essentiel d’adopter des mesures pour s’attaquer à ce grave sujet de santé publique.
Merci de votre attention.
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Je voudrais d'abord vous remercier infiniment pour votre présence ici aujourd'hui et votre témoignage.
J'ai toujours de la difficulté à comparer les taux de suicide des militaires ou des anciens combattants avec ceux de l'ensemble de la population. Il y a des années, je vivais au Yukon et nous avions eu quelques suicides dans notre petite ville de Watson Lake. À l'époque, il y a eu, à Whitehorse, une conférence à laquelle j'ai participé. Je me souviens d'avoir discuté de cette question avec des chefs des premières nations qui m'ont dit: « Nous ne voulons jamais qu'on nous compare à l'ensemble de la population. Nous sommes des peuples des premières nations. Nous sommes Autochtones. Nos préoccupations, nos problèmes, nos pensées, nos opinions, nos croyances sont différents et nous ne voulons pas être comparés au reste de la population. »
Je remarque que vous avez fait, plusieurs fois, des comparaisons avec la population en général.
Dans votre mémoire vous dites: « En revanche, l'exposition au combat et à des missions de maintien de la paix n'augmente en rien ce risque ». Bien entendu, je ne peux pas mettre en doute votre étude, mais j'ai du mal à croire que les soldats exposés au combat et à des missions de maintien de la paix ne courent pas ce risque. Je me souviens des gens qui ont été chargés de ramasser les corps déchiquetés sur les rochers après la catastrophe de Swissair. Certains d'entre eux ont dû quitter le service à cause de ce qu'ils avaient vu.
Le suicide peut survenir de nombreuses années plus tard. Comme l'a dit M. Dallaire, un de ses soldats s'est suicidé 14 ans plus tard.
Deuxièmement, vous dites, plus loin dans votre mémoire, que la formation Gatekeeper a réduit les taux de suicide de 33 p. 100. Est-ce une réduction de 33 p. 100 l'année des événements? Les tendances suicidaires peuvent durer jusqu'à la fin de vos jours. Vous pouvez vous suicider dans la cinquantaine à cause de ce qui vous est arrivé dans la vingtaine, je crois. J'aimerais donc savoir comment vous quantifiez ce genre de statistiques.
Je ne doute pas de vos compétences. Vous avez dit que vous aviez commencé cette étude en 2004. C'est à peu près à cette époque que la mission en Afghanistan a pris toute son ampleur. Comptez-vous faire des études plus approfondies pour suivre ces anciens combattants et leurs familles pendant de nombreuses années ou allez-vous vous arrêter là, plus ou moins?
Merci.